HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

TOME PREMIER

 

LIVRE CINQUIÈME.

 

 

Depuis la formation du camp du Refuge dans l'île d'Ely jusqu'au supplice du dernier chef saxon.

1070-1076

 

Tout le pays des Anglo-Saxons était conquis, de la Tweed au cap de Cornouaille, de la mer de Gaule à la Saverne, et la population vaincue était traversée dans tous les sens par l'armée de ses conquérants. Il n'y avait plus de provinces libres, plus de masses d'hommes organisées militairement. On trouvait seulement quelques débris épars des armées et des garnisons détruites, des soldats qui n'avaient plus de chefs, et des chefs que personne ne suivait. La guerre se continuait contre eux par la persécution individuelle : les plus considérables étaient jugés et condamnés solennellement ; le reste était livré à la discrétion des soldats étrangers, qui en faisaient des serfs pour leurs domaines[1], ou bien les massacraient avec des circonstances qu'un ancien historien refuse de détailler comme incroyables et dangereuses à raconter[2]. Ceux auxquels il restait quelques moyens de s'expatrier gagnaient les ports du pays de Galles ou de l'Écosse, pour s'y embarquer, et aller, selon l'expression des vieilles annales, promener leur douleur et leur misère à travers les royaumes étrangers[3]. Le Danemark, la Norvège et les pays de langue teutonique étaient en général le but de ces émigrations ; mais on vit aussi des fugitifs anglais aller vers le midi, et solliciter un asile chez des peuples entièrement différents d'origine et de langage.

Le bruit de la haute faveur dont jouissait à Constantinople la garde scandinave des empereurs détermina un certain nombre de jeunes gens à chercher fortune de ce côté. Ils se réunirent sous la conduite de Siward, ancien chef de la province de Glocester, côtoyèrent l'Espagne et débarquèrent en Sicile, d'où ils adressèrent à la cour impériale un message et des propositions[4]. Ils furent, selon leur demande, incorporés dans la troupe d'élite qui, sous le nom tudesque de Variags, veillait près de la chambre des empereurs, gardait les clefs de la ville où ils séjournaient, et quelquefois celles du trésor public. Les Varings, ou Varangs, selon la prononciation grecque[5], étaient, en général, Danois, Suédois ou Germains ; ils laissaient croître leurs cheveux, à la manière des gens du Nord, et avaient pour arme principale de grandes haches d'acier à deux tranchants, qu'ils portaient à la main ou posaient sur l'épaule droite. Cette milice, d'un aspect vraiment redoutable, était renommée, depuis des siècles, par sa discipline sévère et sa fidélité à toute épreuve. L'exemple des premiers Saxons qui s'y enrôlèrent fut suivi par d'autres, et, dans la suite, le corps des Varings se recruta surtout d'hommes venus d'Angleterre, ou, comme disaient les Grecs dans leur langage encore classique, de Barbares de l'île de Bretagne[6]. L'idiome anglo-saxon, ou un dialecte mélangé de saxon et de danois, devint, à l'exclusion du grec, le langage officiel de ces gardes du palais impérial ; c'était dans cette langue qu'ils recevaient les ordres de leurs chefs, et qu'eux-mêmes adressaient à l'empereur, dans les grands jours de fête, leurs félicitations et leurs vœux[7].

Quant aux Saxons qui ne purent ou ne voulurent pas émigrer, beaucoup d'entre eux se réfugièrent dans les forêts avec leurs familles, et, s'ils étaient riches et puissants, avec leurs serviteurs et leurs vassaux[8]. Les grandes routes où passaient les convois normands furent infestées par leurs bandes armées ; ils enlevaient par ruse aux conquérants Ce que les conquérants avaient enlevé par force, et, se faisaient ainsi payer la rançon de leurs héritages, ou vengeaient, par l'assassinat, le massacre de leurs compatriotes[9]. Ces réfugiés sont appelés brigands par les historiens amis de la conquête[10], et ces historiens les traitent, dans leurs récits, comme des hommes librement et méchamment armés contre un ordre de société légitimé. Il se commettait chaque jour, disent-ils, une foule de vols et, d'homicides, causés par la scélératesse naturelle aux indigènes et par les immenses richesses de ce royaume L[11] ; mais les indigènes croyaient avoir le droit de reprendre ces richesses qu'on leur avait ôtées ; et s'ils devenaient brigands, ce n'était, selon eux, que pour rentrer dans leurs propres biens. L'ordre contre lequel ils s'insurgeaient, la loi qu'ils violaient, n'avaient à leurs yeux aucune sanction : aussi le mot anglais Outlaw[12] — mis hors la loi, bandit ou brigand — perdit dès lors, dans la bouche du peuple subjugué, son ancien sens défavorable. Au contraire, les vieux récits, les légendes et les romances populaires des Anglais, ont répandu une sorte de teinte poétique sur le personnage du banni, sur la vie errante et libre qu'il mène sous les feuilles des bois[13]. Dans ces romances, l'homme mis hors la loi est toujours le plus gai et le plus brave des hommes[14] ; il est roi dans la forêt, et ne craint point le roi du pays[15].

Ce fut surtout la contrée du nord, celle qui avait le plus énergiquement résisté aux envahisseurs, qui devint le pays du vagabondage en armes, dernière protestation des vaincus. Les vastes forêts de la province d'York étaient le séjour d'une bande nombreuse, qui avait pour chef un homme appelé Sweyn, fils de Sigg[16]. Dans les contrées du centre et près de Londres, jusque sous les murs des châteaux normands, on vit se former aussi plusieurs troupes de ces hommes qui, reniant jusqu'au bout l'esclavage, disent les historiens du temps, prenaient le désert pour demeure[17]. Leurs rencontres avec les conquérants étaient toujours sanglantes, et quand ils apparaissaient dans quelque lieu habité, c'était un prétexte pour l'étranger d'y redoubler ses vexations : il punissait les hommes sans armes du trouble que lui causaient les gens armés ; et ces derniers, à leur tour, faisaient quelquefois des visites redoutables à ceux qu'on leur signalait comme amis des Normands. Ainsi une terreur perpétuelle régnait sur le pays. Au danger de périr par l'épée de l'homme d'outre-mer, qui se croyait un demi-dieu parmi des brutes, qui ne comprenait ni la prière, ni les raisons, ni les excuses proférées dans l'idiome des vaincus, se joignait encore celui d'être regardé comme traître ou comme suspect par les Saxons indépendants, frénétiques de désespoir comme les Normands l'étaient d'orgueil[18]. Aussi nul habitant n'osait s'aventurer dans le voisinage de sa propre maison ; la maison de chaque Anglais considérable qui avait juré la paix et donné des otages au conquérant était close et fortifiée comme une ville en état de siège[19]. Elle était remplie d'armes de toute espèce, d'arcs, de flèches, de haches, de massues, de poignards et de fourches de fer ; les portes étaient munies de verrous et de barricades. Quand venait l'heure du repos, au moment de tout fermer, l'ancien de la famille se levait, et prononçait à haute voix les prières qui se faisaient alors sur mer aux approches de l'orage ; il disait : Que le Seigneur nous bénisse et nous aide ; tous les assistants répondaient Amen[20]. Cette coutume subsista en Angleterre plus de deux siècles après la conquête[21].

Dans la partie septentrionale de la province de Cambridge il y a une vaste étendue de terres basses et marécageuses, coupées en divers sens par des rivières. Toutes les eaux du centre de l'Angleterre, qui ne coulent pas dans le bassin de la Tamise ou dans celui de la Trent, vont se jeter dans ces marais, qui, au temps de l'arrière-saison, débordent, couvrent le pays, et se chargent de vapeurs et de brouillards. Une partie de cette contrée humide et fangeuse s'appelait et s'appelle encore l'île d'Ely : une autre s'appelait l'île de Thorneye ; une troisième, File de Croyland. Ce sol, presque mouvant, impraticable pour la cavalerie et pour les soldats pesamment armés, avait plus d'une fois servi de refuge aux Saxons, dans le temps de la conquête danoise[22] ; sur la fin de l'année 1069, il devint un point de réunion pour quelques bandes de partisans, formées de divers côtés contre les Normands[23]. D'anciens chefs déshérités s'y rendirent successivement avec leur clientèle, les uns par terre, les autres sur des vaisseaux, par l'embouchure des rivières. Ils y élevèrent des retranchements de terre et de bois, et y établirent une grande station armée qui prit le nom de camp du Refuge[24]. Les étrangers hésitèrent d'abord à les attaquer au milieu des joncs et des saules, et leur laissèrent ainsi le temps d'envoyer des messages dans le pays et hors du pays, et d'avertir, en beaucoup de lieux, les amis de la vieille Angleterre. Devenus forts, ils entreprirent la guerre de parti sur terre et sur mer, ou, pour parler comme les conquérants, la piraterie et le brigandage.

Chaque jour, au camp de ces brigands, de ces pirates pour la bonne cause, se rendait quelque Saxon de haut rang, laïque ou prêtre, apportant avec lui les derniers débris de sa fortune ou la contribution de son église. Eghelrik, évêque de Lindisfarn, et Sithrik, abbé d'un monastère du Devonshire, y vinrent, ainsi que beaucoup d'autres. Les Normands les accusaient d'outrager la religion et de déshonorer la sainte Église en se livrant à, un genre de vie criminel et infâme[25] ; mais ces reproches intéressés ne les arrêtaient pas. L'exemple des prélats insurgés encouragea beaucoup d'hommes, et l'ascendant qu'ils exerçaient sur les esprits, pour le bien comme pour le mal, devint favorable à la cause patriotique. Les gens d'église, jusque-là trop peu ardents pour elle, s'y rallièrent avec plus de zèle. Plusieurs d'entre eux, il est vrai, s'étaient généreusement dévoués ; mais la masse avait appliqué aux conquérants le précepte apostolique de la soumission aux puissances[26]. La conquête les avait en général moins maltraités que le reste de la nation : toutes leurs terres n'avaient pas été prises ; l'asile de leurs habitations n'avait pas été partout violé. Dans les vastes salles des monastères, où les espions normands ne pénétraient point encore, les Saxons laïques pouvaient se rassembler en grand nombre, et, sous prétexte de vaquer à des exercices de dévotion, converser et conspirer librement. Ils apportaient avec eux l'argent qu'ils avaient soustrait aux perquisitions des vainqueurs, et le laissaient en dépôt dans le trésor du saint lieu, pour le soutien de la cause nationale, ou pour la subsistance de leurs fils si eux-mêmes périssaient dans les combats. Quelquefois l'abbé du couvent faisait briser les lames d'or et détacher les pierres précieuses dont les rois saxons avaient orné jadis les autels et les reliquaires, disposant ainsi de leurs dons pour le salut du pays qu'eux-mêmes avaient aimé durant leur vie. Des messagers braves et fidèles transportaient le produit de ces contributions communes, à travers les postes normands, jusqu'au camp des réfugiés[27] ; mais ces manœuvres patriotiques ne restèrent pas longtemps secrètes.

Le roi Guillaume, d'après le conseil de Guillaume, fils d'Osbern, son sénéchal, ordonna bientôt des perquisitions dans tous les couvents de l'Angleterre, et fit prendre tout l'argent que les riches Anglais y avaient placé en dépôt, ainsi que la plupart des vases, des reliquaires et des ornements précieux[28]. On enleva aussi des églises où elles avaient été déposées les chartes qui contenaient les fausses promesses de clémence et de justice faites naguère par le roi étranger, quand il était encore incertain de sa victoire[29]. Cette grande spoliation eut lieu dans le carême qui, suivant l'ancien style du calendrier, termina l'année 1070 ; et aux octaves de Pâques arrivèrent en Angleterre, d'après les demandes adressées antérieurement par Guillaume, trois légats du siège apostolique. C'étaient Ermenfroy, évêque de Sion, et les cardinaux Jean et Pierre. Le conquérant fondait de grands desseins sur la présence de ces mandataires de son allié le pape Alexandre, et il les retint auprès de lui toute une année, les honorant, dit un vieil historien, à l'égal des anges de Dieu[30]. Au milieu de fa famine qui faisait périr les Anglais par milliers, des fêtes brillantes furent célébrées dans le palais fortifié de Winchester. Là, les cardinaux romains, plaçant de nouveau la couronne sur la tête du roi normand, effacèrent la vaine malédiction que l'archevêque d'York, Eldred, avait prononcée contre lui[31].

Après les fêtes, il y eut à Winchester une assemblée de tous les étrangers, laïques ou prêtres, qui s'étaient fait une grande fortune en prenant le bien des Anglais[32]. Les évêques saxons furent sommés d'y comparaître, au nom de l'autorité de l'Église romaine, par des circulaires dont le style hautain pouvait leur présager d'avance l'issue que ce grand concile, comme on l'appelait, devait avoir pour eux. Bien que l'Église de Rome, disaient les envoyés, ait le droit de surveiller la conduite de tous les chrétiens, il lui appartient plus spécialement de s'enquérir de vos mœurs et de votre manière de vivre, à vous qu'elle a instruits dans la foi du Christ, et de réparer la décadence de cette foi que vous tenez d'elle. C'est pour exercer sur vos personnes cette salutaire inspection que nous, ministres du bienheureux apôtre Pierre, et représentants autorisés de notre seigneur le pape Alexandre, nous avons résolu de tenir avec vous un concile, pour rechercher les mauvaises choses qui pullulent dans la vigne du Seigneur et en planter de profitables au bien des corps et des âmes[33].

Le sens réel de ces paroles mystiques était que le nouveau roi, d'accord avec le pape, avait résolu de destituer en masse tout le haut clergé de race anglaise ; les légats venaient donner une sorte de couleur religieuse à cette opération politique. Telle était leur mission, et le premier prélat qu'ils frappèrent fut l'archevêque de Canterbury, Stigand, celui qui avait couronné en face de l'invasion un roi de race anglo-saxonne et qui donnait comme patriote des craintes au roi étranger. Mais ces griefs restèrent secrets, et l'arrêt de dégradation ecclésiastique fut motivé sur d'autres causes, sur des prétextes plus honnêtes, comme s'exprime un vieil historien[34]. L'ordination de Stigand fut déclarée nulle, d'abord parce qu'il avait pris l'archevêché de Canterbury du vivant de l'archevêque Robert, exilé par le peuple anglais ; ensuite parce qu'il avait célébré la messe avec le pallium de ce même Robert ; et enfin parce qu'il avait reçu son propre pallium de Benoît X, déclaré antipape et excommunié par l'Église[35].

Quand l'ami du roi Harold et de son pays eut été, selon le langage ecclésiastique, frappé, comme un arbre stérile, par la hache de correction[36], ses terres furent partagées entre le roi Guillaume, l'évêque de Bayeux, frère du roi, et Adelise, femme de Hugues de Grantmesnil, qui, sans deute gagnée par cette gracieuse largesse, vint habiter l'Angleterre et y ramena son mari[37]. Ceux des évêques anglais sur le compte desquels on ne trouva rien à objecter canoniquement n'en furent pas moins frappés de même. Alexandre, évêque de Lincoln ; Eghelmar, évêque de l'Estanglie ; Eghelrik, évêque de Sussex, d'autres prélats et les abbés des principaux monastères, furent déposés presque à la fois. Au moment où l'on prononçait à quelqu'un d'entre eux sa sentence, on le contraignait de jurer, sur l'Évangile, qu'il se regardait comme déchu de sa dignité à tout jamais, et que, quel que fût le successeur qu'on lui donnerait, il ne ferait rien pour le discréditer en protestant contre lui[38]. Ensuite chaque évêque dégradé était conduit soit dans une forteresse, soit dans un monastère qui devait lui servir de prison. Ceux qui avaient été autrefois moines, on les recloîtrait de force dans leurs anciens couvents, et l'on publiait officiellement que, dégoûtés du monde et du bruit, il leur avait plu d'aller revoir les anciens compagnons de leur jeunesse[39].

Plusieurs membres du haut clergé saxon trouvèrent moyen de se dérober à leur sort ; l'archevêque Stigand et l'évêque de Lincoln s'enfuirent tous les deux en Écosse ; Eghelsig, abbé de Saint-Augustin, s'embarqua pour le Danemark, et y resta, quoiqu'il fût réclamé comme fugitif du roi par un rescrit du conquérant[40]. Eghelvin, évêque de Durham, sur le point de partir aussi pour l'exil, maudit solennellement les oppresseurs de son pays, et les déclara séparés de la communion des chrétiens, suivant les formules graves et sombres par lesquelles cette séparation se prononçait[41]. Mais le bruit de ses paroles frappa en vain les oreilles du roi normand : Guillaume avait des prêtres pour démentir les prêtres saxons, comme il avait des épées pour briser les épées saxonnes.

Lanfranc, ce religieux d'origine lombarde qu'on a vu plus haut jouer le rôle de négociateur auprès de la cour de Rome[42], vivait encore en Normandie, fort renommé pour son savoir comme légiste, et toujours également chéri du pape et du nouveau roi[43]. Ce fut lui que les légats d'Alexandre II proposèrent pour remplacer Stigand dans l'archevêché de Canterbury, et Guillaume approuva pleinement ce choix, espérant beaucoup de l'habileté de Lanfranc pour consolider la conquête. La reine Mathilde et les seigneurs de Normandie pressèrent vivement son départ ; il fut accueilli avec joie par les Normands d'Angleterre, qui le célébraient hypocritement comme un instituteur envoyé de Dieu pour réformer les mauvaises mœurs des Anglais[44]. Lanfranc fut nommé archevêque par élection du roi et de ses barons, contre l'ancienne coutume de l'Église anglo-saxonne, où les prélats étaient choisis par le corps du clergé, et les abbés par les moines[45]. Cet usage était un de ceux que la conquête ne pouvait laisser subsister, et tout le pouvoir religieux, aussi bien que le pouvoir civil, devait passer des indigènes aux conquérants.

Lorsque l'archevêque Lanfranc fit sa première entrée dans la métropole qu'on lui donnait à régir, il ne put s'empêcher d'être saisi d'un profond sentiment de tristesse, en voyant l'état où les Normands l'avaient réduite. L'église du Christ, à Canterbury, était dévastée par le pillage et l'incendie, et le grand autel, dépouillé d'ornements, se trouvait presque enterré sous les décombres[46]. Aux fêtes de la Pentecôte, il y eut un second concile tenu à Windsor, et Thomas, l'un des chapelains du roi, fut nommé archevêque d'York, à la place du Saxon, Eldred, qui était mort de chagrin. Thomas, de même que Lanfranc, trouva son église métropolitaine détruite par le feu, avec ses ornements, ses chartes, ses titres et ses privilèges il trouva le territoire de son diocèse tout ravagé, et les Normands qui l'habitaient si attristés par le spectacle de leurs propres dévastations, qu'ils hésitaient même à s'établir sur les terres qu'ils avaient prises[47]. Thomas se mit en possession de tous les domaines de l'église d'York ; mais nul homme, Normand ou Saxon, ne voulut les recevoir en fief ou les prendre à ferme, soit par dégoût, soit par terreur[48].

Le pape envoya à Lanfranc son propre pallium, en signe d'investiture, et le combla de messages flatteurs : Je vous désire, lui disait-il, et ne me console de votre absence qu'en pensant aux heureux fruits que l'Angleterre va recueillir par vos soins[49]. C'est ainsi que, vues de loin, les hideuses opérations de la conquête prenaient des couleurs agréables. La mission de Lanfranc en Angleterre, sa mission, réelle et avouée, c'était de faire servir la religion à l'asservissement des Anglais, d'achever, comme dit un vieux narrateur, la ruine du peuple vaincu par de mutuels embrassements de la royauté et du sacerdoce[50]. Pour atteindre plus sûrement ce but, le nouvel archevêque de Canterbury suggéra au conquérant un nouveau plan de constitution ecclésiastique, plan aussi favorable à l'ambition du prélat qu'à la stabilité de la conquête. Il faut, disait Lanfranc au roi Guillaume, qu'il n'y ait en Angleterre qu'un seul chef religieux, pour que la royauté que vous avez conquise se maintienne dans son intégrité. Il faut que l'église d'York, l'église du pays des rébellions, quoique régie par un Normand, devienne sujette de celle de Kent ; il faut surtout que l'archevêque d'York ne jouisse point de la prérogative de sacrer les rois d'Angleterre, de crainte qu'un jour, soit de force, soit de bon gré, il ne prête son ministère à quelque Saxon ou Danois élu par les Anglais en révolte[51].

L'église de Kent ou de Canterbury avait été ; comme on l'a vu plus haut, la première église fondée par les missionnaires venus de Rome, au milieu des Saxons encore païens[52]. Sur cette primauté dans le temps, s'était établie l'idée vague d'une sorte de prééminence hiérarchique, mais sans qu'il en résultât pour l'église de Kent, ni pour ceux qui la gouvernaient, aucune suprématie effective. Le siège métropolitain d'York était resté l'égal de l'autre, et tous deux exerçaient conjointement la haute surveillance sur tous les évêchés de l'Angleterre[53]. C'est cet ordre de choses que l'archevêque Lanfranc entreprit de réduire à l'unité absolue, chose nouvelle, disent les historiens du siècle, chose inouïe, avant le règne des Normands[54]. Il évoqua d'anciens privilèges et des actes ambigus de différents papes, qui s'étaient plu à témoigner leur affection pour l'église de Canterbury, fille aînée de la papauté en Bretagne. Il établit comme axiome que la loi devait découler d'où avait découlé la foi, et que de même que le pays de Kent était le sujet de Rome, parce qu'il en avait reçu le christianisme, par une raison semblable, le pays d'York devait être hiérarchiquement soumis à celui de Kent[55].

Thomas, l'archevêque normand d'York, dont une pareille politique tendait à ruiner l'indépendance personnelle, fut assez peu dévoué à la cause de la conquête pour entreprendre de s'opposer à cette nouvelle institution[56]. Il pria son collègue Lanfranc de citer quelques titres authentiques à l'appui de ses prétentions. C'était une demande embarrassante : mais le Lombard l'éluda, en assurant que les actes en bonne forme et les titres ne lui manqueraient point, si, par malheur, tout n'avait péri, quatre ans auparavant, dans l'incendie de son église[57]. Cette réponse évasive termina le différend, grâce à certains avertissements officiels que reçut l'adversaire indiscret du confident du roi Guillaume : car on lui signifia que si, en vue de la paix et de l'unité du royaume, il ne se résignait pas à recevoir la loi de son collègue, et à reconnaître que le siège d'York n'avait jamais été l'égal de l'autre siège métropolitain, lui et tous ses parents seraient bannis de l'Angleterre[58]. Thomas n'insista plus, et fit son devoir de fidèle enfant de la conquête ; il renonça, entre les mains de Lanfranc, à tout le pouvoir que ses prédécesseurs avaient exercé au sud de l'Humber, et, faisant profession solennelle d'obéissance et de fidélité, ne garda plus que le nom d'archevêque : car Lanfranc, sous le titre de primat, en réunit seul tous les droits[59]. Selon le langage des vainqueurs, il devint, par la grâce de Dieu, le père de toutes les églises, et, selon le langage des vaincus, toutes tombèrent sous son joug et furent ses tributaires[60]. Il en chassa qui il voulut ; il y mit des Normands, des Français, des Lorrains, des hommes de tous pays et de toutes races, pourvu qu'ils ne fussent pas Anglais[61] ; et il est à remarquer que, dans la dépossession générale des anciens prélats de l'Angleterre, on épargna les hommes de naissance étrangère naturalisés dans le pays. Tels étaient Hermann, Guis, et Walter ou Gautier, tous trois Lorrains, qui conservèrent les évêchés de Wells, de Sherborn et de Hereford.

La plupart des évêchés et des abbayes furent employés, comme l'avaient été naguère les biens des riches, la liberté des pauvres et la beauté des femmes, à payer les dettes de la conquête. Un certain Remi, ci-devant moine à Fécamp, reçut l'évêché de Lincoln, pour un navire et vingt hommes d'armes qu'il avait amenés en 1006 au rendez-vous des troupes normandes[62]. Cet homme et les autres prélats venus d'outre-mer, comme un arrière-ban de milice, expulsèrent partout les moines qui, selon une coutume particulière à l'Angleterre, vivaient sur les domaines des églises épiscopales ; et le roi Guillaume les en remercia, pensant, dit un contemporain, que des moines de race anglaise ne pouvaient lui souhaiter que du mal[63]. Une foule d'aventuriers qui n'avaient de clercs que le nom, vint fondre sur les prélatures, les archidiaconats, les doyennés de l'Angleterre[64]. Ils y portèrent l'esprit de violence et de rapine, les airs hautains et méprisants du dominateur étranger ; beaucoup d'entre eux se rendirent célèbres par leur faste et leurs désordres, plusieurs par des actions infâmes[65]. Robert de Limoges, évêque de Litchfield, pilla le monastère de Coventry ; il prit les chevaux et les meubles des religieux qui l'habitaient, ouvrit, par effraction, leurs cassettes, et finit par faire abattre leurs maisons, pour construire avec les matériaux un palais épiscopal, dont l'ameublement fut payé par la fonte des ornements d'or et d'argent qui décoraient l'église[66]. Ce même Robert fit un décret pour interdire aux clercs saxons l'usage des aliments nourrissants et des livres instructifs, de crainte, dit l'historien, que la bonne nourriture et la science ne leur donnassent trop de force et de hardiesse contre leur évêque[67].

Les évêques normands dédaignèrent, presque tous, d'habiter les anciens chefs-lieux des diocèses, qui étaient, pour la plupart, de petites villes, et se transportèrent dans des lieux qui offraient plus de commodités pour le luxe et les jouissances de la vie : c'est ainsi que Coventry, Lincoln, Chester, Salisbury, Thedford, devinrent des villes épiscopales[68]. En général, les hommes d'église amenés par l'invasion furent pour l'Angleterre une nouvelle plaie, et leur tyrannie, qui atteignait les consciences, eut quelque chose de plus odieux que la force brutale des hommes d'épée[69]. Quelquefois les abbés normands maniaient aussi l'épée, mais contre des moines sans armes, et plus d'un couvent anglais fut le théâtre d'exécutions militaires. Dans celui que gouvernait un certain Turauld ou Torauld, venu de Fécamp, l'abbé avait pour coutume de crier : A moi, mes hommes d'armes ! toutes les fois que ses religieux lui résistaient en quelque point de discipline ecclésiastique. Ses exploits belliqueux devinrent même si célèbres, que le conquérant se crut obligé de l'en punir, et que, par un genre de châtiment bizarre, il l'envoya régir le couvent de Peterborough, dans la province de Northampton, poste dangereux à cause du voisinage du camp de refuge des Saxons, mais fort convenable, disait Guillaume, pour un abbé si bon soldat[70]. Délivrés de ce chef redoutable, les moines n'en furent pas plus heureux ; car ils reçurent à sa place un certain Guérin de Lire, qui, selon les paroles d'un ancien récit, prit dans leurs bourses jusqu'au dernier écu, pour se faire un renom auprès de ceux qui naguère l'avaient vu pauvre[71]. Ce Guérin fit déterrer de l'église les cadavres des abbés de race anglaise, ses prédécesseurs, et jeter leurs ossements hors des portes[72].

Pendant que de pareils actes avaient lieu en Angleterre, la renommée allait publiant au dehors, par la plume des clercs salariés, ou qui souhaitaient de l'être, que Guillaume le puissant, le victorieux, le pieux, civilisait ce pays, jusque-là barbare, et y ranimait le christianisme, auparavant fort négligé[73]. La vérité, toutefois, ne fut pas entièrement étouffée : les plaintes des opprimés parvinrent même jusqu'à Rome ; et, dans cette cour romaine que les historiens du temps accusent d'être si vénale[74], il se trouva quelques hommes consciencieux qui dénoncèrent la révolution opérée en Angleterre comme odieuse et contraire aux lois ecclésiastiques. La dégradation en masse des évêques et des principaux abbés saxons et l'intrusion des Normands furent vivement blâmées[75]. Mais la mort d'Alexandre II, et l'avènement, sous le nom de Grégoire VII, de cet archidiacre Hildebrand qui, ainsi qu'on Fa vu plus haut, avait déployé tant de zèle en faveur de l'invasion, réduisirent presque au silence les accusateurs de la nouvelle Église fondée par la conquête normande[76]. Sa légitimité canonique cessa d'être mise en question, et deux individus seulement, Thomas, archevêque d'York, et Remi, évêque de Lincoln, furent cités à la cour pontificale, l'un parce qu'il était fils de prêtre, l'autre parce qu'il avait acheté à deniers comptants la dignité épiscopale[77].

Lanfranc partit avec eux, muni de présents pour le pape et les principaux citoyens de Rome. Tous les trois distribuèrent largement l'or des Anglais dans la ville des apôtres, et s'y firent par là un grand renom[78]. Cette conduite leur aplanit toutes les difficultés ; l'affaire des deux prélats normands fut arrangée sous main, et, au lieu d'enquête sur leur compte, il n'y eut qu'une scène d'apparat, où tous les deux remirent au pape, en signe d'obéissance, leur anneau et leur bâton pastoral. Lanfranc plaida leur cause, en prouvant qu'ils étaient utiles et même nécessaires au nouveau roi, pour les nouveaux arrangements du royaume[79] ; et le pape lui répondit : Décide l'affaire comme tu l'entendras, toi qui es le père de ce pays ; je remets à ta disposition les deux verges pastorales[80]. Lanfranc les prit et les rendit à Remi et à Thomas ; puis, ayant lui-même reçu de Grégoire VII la confirmation de son titre de primat de toute l'Angleterre, il repartit avec ses compagnons.

Ainsi les églises des Anglais continuèrent d'être livrées, sans obstacle, et avec l'aveu de l'Église romaine, à des clercs venus de tous pays. Le prélat de race étrangère prononçait devant un auditoire saxon ses homélies en langue française, et quand elles étaient écoutées patiemment, ou par surprise, ou par terreur, l'homme d'outremer s'enorgueillissait de la puissance de ses discours, qui, disait-il, s'insinuaient, par miracle, dans l'oreille des barbares[81]. Une sorte de pudeur et d'envie d'offrir au monde-chrétien autre chose que ce ridicule spectacle firent rechercher par le roi Guillaume quelqu'un des hommes que l'opinion du temps préconisait au loin, à cause de l'austérité de leur vie religieuse. Tel était Guimond, moine du couvent de la Croix-Saint-Leufroi, en Normandie ; le roi lui envoya l'invitation de passer la mer, et il obéit sans délai aux ordres de son seigneur temporel. Quand-il fut arrivé en Angleterre, le conquérant lui dit qu'il avait dessein de l'y retenir, et de l'élever à une haute dignité ecclésiastique : voici ce que répondit le moine, si l'on en croit un historien postérieur de peu d'années[82] :

Beaucoup de motifs m'engagent à fuir les dignités et le pouvoir ecclésiastiques ; je ne les énoncerai point tous. Je dirai seulement que je ne conçois pas de quelle manière il me serait possible d'être dignement le chef religieux d'hommes dont je ne connais ni les mœurs ni la langue, et dont les pères, les frères, les amis, sont morts sous votre épée, ou sont déshérités, bannis, emprisonnés, durement asservis par vous. Parcourez les saintes Écritures, voyez si quelque loi y tolère que le pasteur du troupeau de Dieu lui soit imposé violemment par le choix d'un ennemi. Ce que vous avez ravi par la guerre, au prix du sang de tant d'hommes, pourriez- vous sans péché le partager avec moi, avec ceux qui, comme moi, ont juré mépris au monde, et, pour l'amour du Christ, se sont dépouillés de leurs propres biens ? C'est la loi de tous les religieux que de s'abstenir de rapines, et de n'accepter aucune part de butin, même comme offrande à l'autel ; car, ainsi que le disent les Écritures, celui qui offre en sacrifice le bien des pauvres fait comme s'il immolait le fils en présence de son père. Quand je me rappelle ces préceptes divins, je me sens troublé de frayeur ; votre Angleterre me semble une vaste proie ; et je crains de la toucher, elle et ses trésors, à l'égal d'un brasier ardent[83]...

Le moine de Saint-Leufroi repassa la mer et retourna au fond de son cloître ; mais le bruit se répandit bientôt qu'il avait exalté la pauvreté des religieux au. dessus de la riches e des prélats, et nommé rapine, à la face du roi et de ses barons, l'acquisition de l'Angleterre ; qu'enfin il avait traité de ravisseurs et d'intrus tous les évêques et les abbés installés dans ce pays contre la volonté des Anglais[84]. Ses paroles déplurent à beaucoup de gens qui, ne se souciant pas de l'imiter, le calomnièrent et firent tant par leurs intrigues, qu'ils le contraignirent à quitter le pays. Guimond se rendit à Rome, et de là en Apulie, dans l'une des villes conquises et possédées par les Normands[85].

La haine que le clergé de la conquête portait aux indigènes de l'Angleterre s'étendit jusque sur les saints de race anglaise, et dans plus d'un lieu leurs tombeaux furent ouverts et leurs ossements dispersés[86]. Tout ce qui avait été anciennement un objet de vénération dans le pays fut regardé, par les nouveaux venus, comme vil et méprisable[87]. Mais l'aversion violente qu'inspiraient aux Normands les saints anglais tenait à des raisons politiques, autres que leur dédain commun pour tout ce qu'honoraient les vaincus. Souvent la vénération religieuse n'avait été pour les Anglo-Saxons qu'un reflet du patriotisme, et parmi les saints qu'on invoquait alors en Angleterre, plusieurs l'étaient devenus en mourant de la main de l'ennemi, au temps des invasions danoises, comme Elfeg, archevêque de Canterbury, et Edmund, roi de l'Est-Anglie[88]. De pareils saints devaient porter ombrage aux nouveaux envahisseurs, car leur culte alimentait l'esprit de révolte, et consacrait de vieux souvenirs de courage et d'indépendance. Aussi les prélats étrangers, et à leur tète l'archevêque Lanfranc, ne, tardèrent-ils pas à proclamer que les saints saxons n'étaient pas de vrais saints, les martyrs saxons de vrais martyrs[89]. Guérin de Lire attaqua saint Adhelm ; Lanfranc entreprit de dégrader saint Elfeg, en rabaissant les mérites de sa mort si belle et si patriotique : Ce qui fait le martyr, disait le primat, c'est la cause et non le supplice ; je ne vois là qu'un homme tué par des païens faute d'une rançon qu'il ne pouvait payer et ne voulut pas mettre à la charge d'autrui[90].

Des violences faites à la conviction populaire, soit raisonnable, soit superstitieuse, excitent souvent le courage des opprimés plus que la perte même de la liberté et du bien-être. Les insultes prodiguées aux objets d'une ancienne dévotion, les souffrances des évêques, une sorte de haine fanatique contre les innovations religieuses de la conquête, agitèrent fortement les esprits, et devinrent le mobile d'une grande conspiration qui s'étendit sur toute l'Angleterre[91]. Beaucoup de prêtres s'y engagèrent, et trois prélats en furent les chefs : c'étaient Frithrik, abbé de Saint-Alban ; Wulfstan, évêque de Worcester, le' seul homme de race anglaise qui eût encore un évêché, et Walter, évêque de Hereford, Flamand de naissance, le seul parmi les étrangers, évêque avant la conquête, qui se soit montré fidèle à la cause de sa patrie adoptive[92]. Le nom du jeune roi Edgar fut prononcé de nouveau ; il circula des chants populaires où on l'appelait le beau, le brave, l'enfant chéri de l'Angleterre[93]. Les deux frères Edwin et Morkar quittèrent pour la seconde fois la cour du Normand. La ville de Londres, jusque-là paisible et résignée à la domination étrangère, commença à se montrer turbulente, et, comme disent les vieux historiens dans un langage malheureusement trop vague, à résister en face au roi Guillaume[94].

Pour conjurer ce nouveau péril, Guillaume prit le parti qui lui avait déjà réussi plus d'une fois, celui de promettre et de mentir. Frithrik et les autres chefs des insurgés, invités par ses messages à se rendre à Berkhamsted, pour traiter de la paix, vinrent à ce lieu de mauvais augure, où pour la première fois des mains saxonnes avaient touché, en signe de sujétion, la main armée du conquérant. Ils y trouvèrent le roi et le primat Lanfranc, son conseiller le plus intime. Tous deux affectèrent à leur égard un air de douceur et de bonne foi[95] ; et il y eut, sur les intérêts réciproques, une longue discussion qui se termina par un accord. Toutes les reliques de l'église de Saint-Alban avaient été portées au lieu des conférences ; un missel fut ouvert sur ces reliques, à la page de l'Évangile, et le roi Guillaume, se plaçant dans la situation où lui-même autrefois avait placé Harold, jura, par les saints ossements et par les sacrés Évangiles, d'observer inviolablement les bonnes et anciennes lois que les saints et pieux rois d'Angleterre, et surtout le roi Edward, avaient établies ci-devant[96]. L'abbé Frithrik et les autres Anglais, satisfaits de cette concession, répondirent au serment de Guillaume par le serment de fidélité qu'on prêtait aux anciens rois, et se séparèrent ensuite, rompant la grande association qu'ils avaient formée pour la délivrance du pays[97]. L'évêque Wulfstan fut député vers l'ouest, dans la province de Chester, pour y calmer les esprits, et faire une visite pastorale dont aucun prélat normand n'osait encore se charger[98].

Ces bonnes et antiques lois, ces lois d'Edward, dont la promesse avait le pouvoir d'apaiser les insurrections, n'étaient point un code particulier, un système de dispositions écrites, et l'on entendait simplement par ces mots l'administration douce et populaire qui avait existé en Angleterre au temps des rois nationaux. Durant la domination danoise, le peuple anglais, dans ses prières adressées au vainqueur, demandait, sous le nom de lois d'Ethelred, l'anéantissement du régime odieux de la conquête[99] ; demander les lois d'Edward, sous la domination normande, c'était former le même souhait, mais un souhait inutile, et que, en dépit de ses promesses, le nouveau conquérant ne pouvait remplir. Quand bien même il eût maintenu, de bonne foi, toutes les pratiques légales de l'ancien temps, quand même il les eût fait observer à la lettre par ses juges étrangers, elles n'auraient point porté leurs anciens fruits. Il y avait erreur de langage dans les demandes de la nation anglaise ; car ce n'était pas le défaut d'observance. de ses vieilles lois criminelles ou civiles qui rendait sa situation si désastreuse, mais la ruine de son indépendance et de son existence comme nation[100]. Ni Guillaume ni ses successeurs ne montrèrent jamais une grande haine pour la législation saxonne, soit civile, soit criminelle ; ils la laissèrent observer en beaucoup de points, et les Saxons ne s'en trouvèrent pas mieux. Ils laissèrent le taux des amendes pour le vol et le meurtre commis contre des Anglais, varier comme avant la conquête, suivant la division des grandes provinces[101] ; ils laissèrent le Saxon accusé de meurtre et de brigandage se justifier, selon l'antique usage, par le fer rouge et l'eau bouillante, tandis que le Français, accusé par un Saxon, se défendait par le duel ou simplement par le serment, selon la loi de Normandie[102]. Cette différence de procédure, toute au détriment de la population vaincue, ne disparut qu'après un siècle et demi, quand les décrets de l'Église romaine eurent interdit partout les jugements du feu et de l'eau[103].

D'ailleurs, parmi les anciennes lois saxonnes, il s'en rencontrait quelques-unes qui devaient être spécialement favorables à la conquête, comme celle qui rendait les habitants de chaque district responsables de tout délit commis dans le district, et dont l'auteur serait inconnu[104] ; loi commode entre les mains de l'étranger pour mettre la terreur dans le pays. Quant à ces sortes de lois, il était de l'intérêt du conquérant de les maintenir ; et, quant aux autres, relatives à des intérêts particuliers, leur confirmation lui était à peu près indifférente. Aussi exécuta-t-il en ce sens la promesse qu'il avait faite aux conjurés saxons, sans s'inquiéter si eux-mêmes comprenaient autrement cette promesse. Il fit venir auprès de lui, à Londres, douze hommes de chaque province, qui déclarèrent, sous le serment, les anciennes coutumes du pays[105] ; ce qu'ils dirent fut rédigé en une espèce de code dans l'idiome français du temps, seul langage légal reconnu par le gouvernement de la conquête. Ensuite, les hérauts normands allèrent criant à son de cor, dans les villes et dans les bourgades, les lois que le roi Guillaume octroyait à tout le peuple d'Angleterre, les mêmes que le roi Edward, son cousin, avait tenues avant lui[106].

Les lois d'Edward furent publiées, mais le temps d'Edward ne revint pas pour l'Angleterre, et les chefs du mouvement patriotique éprouvèrent les premiers le peu de valeur de cette concession. Du moment que leur ligue fut dissoute, ils se virent persécutés à outrance par le pouvoir qu'ils avaient contraint de capituler avec eux[107]. L'évêque Walter s'enfuit dans le pays de Galles ; les soldats normands eurent ordre de le poursuivre jusque dans ce pays, sur lequel ne s'étendait point la domination du roi Guillaume ; mais il leur échappa, à la faveur des forêts et des montagnes[108]. Le roi Edgar, s'apercevant qu'on lui dressait des piéges, prit de nouveau la fuite vers l'Écosse. Quant à l'évêque Wulfstan, homme faible d'esprit et de caractère, il donna toutes les sûretés qu'on exigeait de lui, et de cette manière il trouva grâce auprès du conquérant ; il offrit à l'abbé de Saint-Alban d'obtenir au même prix son pardon, mais Frithrik fut plus fier[109]. Il assembla tous ses moines dans la salle du chapitre, et, prenant congé d'eux avec émotion : Mes frères, mes amis, leur dit-il, voici le moment où, selon les paroles de l'Écriture sainte, il nous faut fuir de ville en ville devant la face de nos persécuteurs[110]. Emportant avec lui quelques provisions et des livres, il gagna secrètement l'île d'Ely et le camp du Refuge, où il mourut peu de temps après[111].

Le roi Guillaume, irrité de cette fuite d'un homme qu'il croyait dangereux, tourna toute sa fureur contre le monastère de Saint-Alban. Il en saisit les domaines, en fit arracher les forêts, et résolut de le détruire de fond en comble[112]. Mais le primat Lanfranc lui en fit des reproches, et, à force d'instances, obtint de lui la conservation du couvent et la permission d'y mettre un abbé de son choix. Lanfranc avait amené en Angleterre un jeune homme appelé Paul, qui passait pour être son fils ; c'est à lui qu'il conféra l'abbaye vacante[113]. Le premier acte administratif du nouvel abbé fut de démolir les tombeaux de tous ses prédécesseurs, qu'il qualifiait de brutes et d'idiots parce qu'ils étaient de race anglaise[114]. Paul fit venir de Normandie ses parents, et leur distribua les offices et une partie des biens de son église[115] : Ils étaient tous, dit l'ancien historien, sans la moindre culture littéraire, et de mœurs ignobles à tel point qu'on ne saurait l'écrire[116].

Il faut que le lecteur se reporte maintenant vers l'île d'Ely, vers cette terre marécageuse et plantée de roseaux, comme s'expriment les chroniques du temps, qui était le dernier asile de l'indépendance anglo-saxonne[117]. L'archevêque Stigand et l'évêque Eghelwin quittèrent l'Écosse pour s'y rendre[118]. Edwin et Morkar, après avoir quelque temps erré par les forêts et les campagnes, y arrivèrent aussi avec d'autres chefs[119]. Le roi, qui venait de réussir, par sa seule ruse, à dissoudre la conjuration des prêtres patriotes, essaya de même la. tromperie, avant d'employer la force contre les Saxons du camp d'Ely. Morkar fut, pour la troisième fois, dupe de ses fausses paroles : il se laissa persuader d'abandonner le camp du Refuge et de retourner à la cour[120] ; mais à peine eut-il mis le pied hors des retranchements élevés par ses compagnons, qu'il fut saisi et mis aux fers dans une forteresse dont le gardien était Roger, fondateur et propriétaire du château de Beaumont en Normandie[121]. Edwin quitta aussitôt l'île d'Ely, non pour se soumettre comme son frère, mais pour travailler à le délivrer. Durant six mois il chercha du secours et ras sembla des amis en Angleterre, en Écosse et dans le pays de Galles[122] ; mais, au moment où il se trouvait assez fort pour exécuter son entreprise, deux traîtres le vendirent aux Normands, qui l'attaquèrent à l'improviste. Il se défendit longtemps avec vingt cavaliers contre des forces supérieures. Ce combat eut lieu près des côtes de la mer du Nord, vers laquelle le chef saxon faisait retraite, espérant trouver quelque moyen de s'y embarquer ; mais il fut arrêté par un ruisseau que la marée montante avait grossi. Accablé par le nombre, il succomba et sa tête fut portée au conquérant[123], qui, selon le récit de quelques historiens, pleura sur le sort d'un homme qu'il aimait et qu'il aurait voulu attacher à sa fortune.

Tel fut le destin d'Edwin et de Morkar, fils d'Alfgar, beaux-frères du roi Harold, tous deux victimes de la cause qu'ils avaient plusieurs fois abandonnée. Leur sœur, nommée Lucie, éprouva le sort de toutes les femmes anglaises demeurées sans protecteur. Elle fut livrée en mariage à Ives Taille-Bois, chef d'auxiliaires angevins, qui reçut, avec elle, tous les anciens domaines de la famille d'Alfgar[124]. La plus grande partie de ces terres était située aux environs de Spalding, vers les confins des provinces de Cambridge et de Lincoln, dans la contrée marécageuse qu'on appelait Holland, c'est-à-dire le pays bas, près du camp des réfugiés d'Ely. Ives Taille-Bois s'établit dans ce lieu ; il devint, pour les fermiers de l'ancien domaine, ce que, dans la langue saxonne, on appelait le hlaford, et, par contraction, le lord de la terre[125]. Ce nom signifiait originairement distributeur du pain, et c'est ainsi que dans la vieille Angleterre on désignait le chef d'une grande maison, celui dont la table nourrissait beaucoup d'hommes. Mais à cette signification inoffensive se substituèrent d'autres idées, des idées de domination et de servitude, lorsque les hommes de la conquête reçurent des indigènes le nom de lords. Le lord étranger fut un maître ; les habitants du domaine tremblèrent en sa présence, et n'approchèrent qu'avec terreur de son manoir ou de sa halle, comme parlaient les Saxons, demeure autrefois hospitalière, dont la porte était toujours ouverte et le foyer toujours allumé, maintenant fortifiée, murée, crénelée, garnie d'armes et de soldats, à la fois citadelle pour le maitre et prison pour le voisinage.

Aussi, dit un contemporain[126], tous les gens du pays bas avaient grand soin de paraître humbles devant Ives Taille-Bois, et de ne lui adresser la parole qu'un genou en terre ; mais, quoiqu'ils s'empressassent de lui rendre tous les honneurs possibles, et de payer tout ce qu'ils lui devaient, et au delà, en redevances et en services, de son côté il n'avait pour eux ni affabilité ni bienveillance. Au contraire, il les vexait, les tourmentait, les torturait, les emprisonnait, les accablait de corvées, et, par ses cruautés journalières, contraignait la plupart d'entre eux de vendre le peu qu'ils possédaient encore, et de s'en aller en d'autres pays. Par un instinct diabolique, il se plaisait à malfaire pour le mal seul : souvent il lançait ses chiens à la poursuite du bétail des pauvres gens, dispersait les animaux domestiques à travers les marécages, les noyait dans les lacs, ou les mutilait de diverses manières, et les rendait incapables de servir en leur brisant les membres ou le dos.

Une partie des moines anglais de l'abbaye de Croyland habitaient près de Spalding, dans une succursale que le monastère possédait à la porte même du manoir de ce redoutable Angevin. Il leur fit éprouver encore plus violemment qu'au reste du voisinage les effets de sa manie destructive contre tout ce qui était Saxon, ou appartenait à des Saxons[127]. Il estropiait leurs chevaux et leurs bœufs, tuait leurs moutons et leurs oiseaux de basse-cour, accablait leurs fermiers d'exactions, et faisait assaillir leurs serviteurs sur les routes à coups de bâton ou d'épée[128]. Les moines essayèrent auprès de lui les supplications et les offres ; ils donnèrent des présents à ses valets ; ils tentèrent tout et souffrirent tout, dit l'histoire contemporaine[129] ; puis, voyant que leurs efforts étaient superflus et que la malice du tyran et des siens ne faisait que s'accroitre, ils prirent avec eux les vases sacrés, leurs lits et leurs livres, et, laissant leur habitation en la main de Dieu tout-puissant, secouant la poussière de leurs pieds contre les fils du feu éternel, ils retournèrent à Croyland.

Ives Taille-Bois, joyeux de leur retraite, fit partir promptement un message pour Angers, sa ville natale, demandant qu'on lui envoyât dés moines, auxquels il offrait, disait-il, une maison honnête et suffisante pour un prieur et cinq religieux, toute bâtie, toute meublée, bien pourvue de terres et de fermages[130]. Les moines français passèrent le détroit et s'emparèrent de la succursale de Croyland. L'abbé du lieu, qui, par hasard, était encore un Anglais, eut la hardiesse d'adresser quelques plaintes au conseil du roi contre le chef angevin ; mais Ives Taille-Bois fut absous et félicité même de tout ce qu'il avait commis en vexations, en pillages et en meurtres Ces étrangers se soutenaient mutuellement, dit l'ancien narrateur[131] ; ils formaient une ligue étroite, serrés les uns contre les autres, comme sur le corps du dragon l'écaille est jointe à l'écaille.

Il y avait dans ce temps, en Flandre, un Saxon nommé Hereward ; anciennement établi dans ce pays, et à qui des émigrés anglais, fuyant leur patrie après y avoir tout perdu, annoncèrent que son père était mort, que son héritage paternel était la propriété d'un Normand, et que sa vieille mère avait subi et subissait encore une foule d'afflictions et d'insultes[132]. A cette nouvelle, Hereward se mit en route pour l'Angleterre, et arriva, sans être soupçonné, au lieu habité autrefois par sa famille ; il se fit reconnaître de ceux de ses parents et de ses amis qui avaient survécu à l'invasion, les détermina à se réunir en troupe armée, et, à leur tête, attaqua le Normand qui avait insulté sa mère et occupait son héritage[133]. Hereward l'en chassa et prit sa place ; mais contraint, pour sa propre sûreté, de ne point s'en tenir à ce seul exploit, il continua la guerre de partisan aux environs de sa demeure, et soutint, contre les gouverneurs des forteresses et des villes voisines, de nombreux combats, où il se signala par sa bravoure, son adresse et sa force extraordinaires[134]. Le bruit de ses actions d'éclat se répandit par toute l'Angleterre, et les regards des vaincus se tournèrent vers cet homme avec un sentiment d'espérance ; on fit sur ses aventures et à sa louange des vers populaires qui maintenant ont péri, et qui furent chantés dans les rues aux oreilles des conquérants, grâce à leur ignorance de l'idiome du peuple anglais[135].

L'héritage reconquis sur les Normands par le Saxon Hereward était situé à Brunn, aujourd'hui Boum, au sud de la province de Lincoln, près de l'abbaye de Croyland, non loin de celle de Peterborough et des îles d'Ely et de Thorneye : les insurgés de ces cantons ne tardèrent pas à pratiquer des intelligences avec les bandes que commandait le brave chef de partisans. Frappés de sa renommée et de son habileté, ils l'invitèrent à se rendre auprès d'eux, pour être leur capitaine, et Hereward, cédant à leur prière, passa au camp du Refuge avec tous ses compagnons[136]. Avant de prendre le commandement d'hommes dont plusieurs étaient membres de la haute milice saxonne, espèce de confrérie ou de corporation autorisée par les anciennes lois du pays, il voulut s'y faire agréger lui-même, et devenir, suivant l'expression des auteurs contemporains, un homme de guerre légitime[137].

L'institution d'une classe supérieure parmi ceux qui se vouaient aux armes, et de cérémonies sans lesquelles nul ne pouvait être admis dans cet ordre militaire, avait été apportée et propagée dans tout l'occident de l'Europe par les peuples germaniques qui démembrèrent l'empire romain. Cette coutume existait en Gaule, et, dans la langue romane de ce pays, un membre de la haute milice se nommait cavalier ou chevalier, parce que les guerriers à cheval étaient alors, dans toute la Gaule, et en général sur le continent, la principale force des armées. Il n'en était point de même en Angleterre ; la perfection de la science équestre n'entrait pour rien dans l'idée qu'on s'y formait de l'homme de guerre accompli ; les deux seuls éléments de cette idée étaient la jeunesse et la force, et, en langue saxonne, on appelait knit, c'est-à-dire jeune homme, celui que les Français, les Normands, les Gaulois méridionaux et même les Allemands, appelaient homme de cheval[138].

Malgré cette différence, les cérémonies par lesquelles un guerrier était agrégé à la haute milice nationale, en Angleterre et sur tout le continent, étaient exactement les mêmes : l'aspirant devait se confesser un soir, veiller dans l'église toute la nuit, et le matin, à l'heure de la messe, placer son épée sur l'autel, la recevoir des mains de l'officiant, et communier après l'avoir reçue[139]. Tout combattant qui s'était soumis à ces diverses formalités était dès lors réputé un homme de guerre en titre, et capable de commander dans tous les grades[140]. C'était de cette manière qu'un homme d'armes était fait chevalier en France et dans tonte la Gaule, à l'exception de la Normandie, où, par un reste des usages danois, l'investiture de la chevalerie avait lieu sous des formes plus militaires et moins religieuses. Les Normands avaient même coutume de dire que celui qui s'était fait ceindre l'épée par un clerc n'était point un vrai chevalier, mais un bourgeois sans prouesse[141]. Ce propos dédaigneux fut proféré contre le Saxon Hereward, quand les chevaliers avec lesquels il s'était souvent mesuré 1072 apprirent qu'il venait d'aller au monastère de Peterborough prendre le baudrier militaire de la main d'un abbé saxon. Toutefois, il y eut alors, de la part des Normands, autre chose que leur aversion habituelle pour les rites qui faisaient dépendre la chevalerie du sacerdoce ; ils ne voulaient pas qu'un Anglais rebelle obtint, de quelque manière que ce fût, le droit de s'intituler chevalier comme eux. Leur orgueil de conquérants semble avoir été, dans cette occasion, plus vivement blessé que leur point d'honneur comme guerriers ne l'était par la cérémonie religieuse ; car eux-mêmes, dans la suite, se soumirent à cette cérémonie, et accordèrent aux évêques le droit de conférer la chevalerie[142].

Le monastère de Peterborough était alors gouverné par ce même Brand qui, après son élection par les moines du lieu, était allé demander à Edgar la confirmation de son titre d'abbé[143]. Cet homme, d'un esprit fier et incapable de plier, ne songeait en aucune manière à rentrer en grâce auprès du roi Guillaume. En se prêtant à faire pour un chef de rebelles la cérémonie de la bénédiction des armes, il donna un second exemple de courage patriotique et de mépris pour le pouvoir étranger. Sa perte était inévitable ; mais la mort l'enleva de ce monde avant que les soldats normands vinssent le saisir au nom du roi, et c'est alors que fut envoyé comme son successeur, à l'abbaye de Peterborough, le Normand Turauld, ce moine batailleur déjà nommé ci-dessus[144]. Turauld, menant avec lui cent soixante hommes bien armés, s'arrêta dans la ville de Stamford, à quelques lieues de Peterborough, et envoya des coureurs pour observer la position des réfugiés anglais, et s'assurer des obstacles qu'il trouverait à prendre possession de l'abbaye[145]. De leur côté, les réfugiés, avertis de l'approche du Normand, firent une descente au monastère, et, trouvant les moines peu résolus à se défendre contre l'abbé et ses hommes d'armes, ils enlevèrent tous les objets précieux qu'ils trouvèrent, des croix, des vases, des étoffes, et les transportèrent, par eau, dans leur quartier, afin d'avoir, disaient-ils, des gages de la fidélité du couvent[146]. Le couvent ne fut pas fidèle, et reçut les étrangers sans résistance.

Turauld s'y installa comme abbé, et prit soixante-deux hydes de terre sur les domaines de l'église pour le salaire ou le fief de ses soldats[147]. L'Angevin Ives Taille-Bois, vicomte de Spalding, proposa bientôt à l'abbé, son voisin, une expédition de guerre contre Hereward et le camp des Saxons. Turauld parut accepter la proposition avec joie ; mais comme sa bravoure était moins grande contre les gens armés que contre les moines, il laissa le vicomte angevin s'avancer seul à la découverte, au milieu des forêts de saules qui servaient de retranchements aux Saxons, et demeura fort en arrière avec quelques Normands de haut parage[148]. Pendant qu'Ives entrait d'un côté dans le bois, Hereward en sortit par l'autre, assaillit à l'improviste l'abbé et ses Normands, les fit tous prisonniers, et les retint dans ses marais jusqu'à ce qu'ils eussent payé une rançon de trente mille marcs d'argent[149].

Cependant la flotte danoise, qui, après avoir passé dans le golfe de l'Humber l'hiver de 1069, repartit au printemps sans livrer aucun combat, et causa ainsi la seconde prise de la ville d'York, était arrivée en Danemark. Ses chefs furent mal accueillis, à leur retour, par le roi Sven, dont ils avaient violé les ordres en se laissant gagner par Guillaume. Le roi irrité bannit son frère Osbiorn, et, prenant lui-même le commandement de la flotte, fit voile pour la Grande-Bretagne[150] ; il entra dans l'Humber, et, au premier bruit de son approche, les habitants de la contrée voisine se soulevèrent encore, vinrent au-devant des Danois, et firent alliance avec eux[151]. Mais, dans ce pays si dévasté, si abattu par les exécutions militaires, il n'y avait plus assez de moyens pour entreprendre efficacement une grande résistance. Le roi danois repassa la mer, et ses capitaines et ses guerriers, continuant leur route vers le sud, descendirent dans le golfe de Boston, et, par l'embouchure de l'Ouse et de la Glen, arrivèrent dans d'Ely. Les réfugiés les y accueillirent comme des libérateurs et des amis[152].

Aussitôt que le roi Guillaume fut informé de l'apparition de la flotte danoise, il envoya en toute hâte des messages et des présents au roi Sven en Danemark ; et ce roi, qui, si peu de temps auparavant, avait puni son frère d'avoir trahi les Saxons, gagné lui-même on ne sait pourquoi, car il y a beaucoup de choses obscures dans l'histoire de ce temps, les trahit à son tour[153]. Les Danois, stationnés sur leurs vaisseaux, près d'Ely, reçurent l'ordre de faire retraite : ils ne se contentèrent pas de s'éloigner simplement, mais ils enlevèrent et emportèrent avec eux une partie du trésor des insurgés, et, entre autres choses, les croix, les vases sacrés et les autres ornements de l'abbaye de Peterborough. Alors, de même qu'en l'année 1069, le roi normand rassembla toutes ses forces contre les Saxons délaissés. Le camp du refuge fut investi par terre et par eau, et les assaillants construisirent de toutes parts des digues et des ponts sur les marais. Hereward et les autres chefs, parmi lesquels on distinguait Siward Beorn, compagnon de la fuite du roi Edgar, résistèrent quelque temps avec bravoure. Guillaume commença, du côté de l'occident, à travers les eaux couvertes de saules et de joncs, une chaussée qui devait être longue de trois mille pas[154] ; mais ses travailleurs étaient continuellement inquiétés et troublés dans leur ouvrage.

Hereward faisait des attaques si brusques, il employait des stratagèmes si imprévus, que les Normands, frappés d'une crainte superstitieuse, attribuèrent ses succès à l'assistance du démon. Croyant le combattre avec ses propres armes, ils eurent recours à la magie ; Ives Taille-Bois, désigné par le roi pour surveiller les travaux, fit venir une sorcière qui devait, selon lui, déconcerter par ses enchantements toutes les ruses de guerre des Saxons[155]. La magicienne fut placée sur une tour de bois à la tète des ouvrages commencés ; mais au moment où les soldats et les pionniers s'avançaient avec confiance, Hereward déboucha par le côté, et, mettant le feu à la forêt d'osiers dont la marécage était couvert, il fit périr dans les flammes la sorcière et la plus grande partie des hommes d'armes et des travailleurs normands[156].

Ce succès des insurgés ne fut pas le seul : malgré la supériorité de l'ennemi, ils l'arrêtèrent à force d'adresse et d'activité. Durant plusieurs mois, la contrée d'Ely tout entière resta bloquée comme une ville de guerre, ne recevant aucune provision du dehors. Il y avait dans l'île un couvent de moines qui, ne pouvant supporter la famine et les misères du siège, envoyèrent au camp du roi, et offrirent de lui livrer un passage, s'il promettait de les laisser en possession de leurs biens. L'offre des moines fut acceptée, et deux seigneurs normands, Gilbert de Clare et Guillaume de Garenne, engagèrent leur foi pour l'exécution de ce traité[157]. Grâce à la trahison des religieux d'Ely, les troupes royales pénétrèrent inopinément ton dans File, tuèrent mille Anglais, et, cernant de près le camp du Refuge, forcèrent le reste à mettre bas les armes[158]. Tous se rendirent, à l'exception de Hereward, qui, audacieux jusqu'au bout, fit sa retraite par des lieux impraticables, où les Normands n'osèrent le poursuivre[159].

Il gagna, de marais en marais, les terres basses de la province de Lincoln, où des pécheurs saxons, qui portaient chaque jour du poisson au poste normand voisin, le reçurent dans leurs bateaux, lui et ses compagnons, et les cachèrent sous des tas de paille. Les bateaux abordèrent auprès du poste, comme à l'ordinaire : le chef et ses soldats, connaissant de vue les pêcheurs, ne conçurent ni alarmes ni soupçons ; ils apprêtèrent leurs repas, et se mirent tranquillement à manger sous leurs tentes. Alors Hereward et ses amis s'élancèrent, la hache à la main, sur les étrangers, qui ne s'y attendaient point, et en tuèrent un grand nombre. Les autres s'enfuirent, abandonnant le poste qu'ils gardaient et laissant leurs chevaux tout sellés, dont les Anglais s'emparèrent[160].

Ce hardi coup de main ne fut pas le dernier exploit du grand capitaine de partisans. On le vit se promener encore en plusieurs lieux avec sa bande recrutée de nouveau, et dresser des embûches aux Normands, sans jamais leur faire de quartier, ne voulant pas, dit un auteur du temps, que ses compatriotes eussent péri sans vengeance[161]. Il avait avec lui cent hommes bien armés et d'une fidélité à toute épreuve, parmi lesquels on distinguait, comme les plus dévoués et les plus braves, Winter, son frère d'armes ; Gheri, son parent ; Alfrik, Godwin, Leofwin, Torkill, Siward, et un autre Siward surnommé le Roux[162]. Quand l'un d'entre eux, dit un vieux poète, rencontrait trois Normands, jamais il ne refusait le combat ; et, pour le chef, souvent il lui arriva de tenir tête à sept ennemis[163]. Il parait que la gloire de Hereward, si chère à tous les cœurs saxons, lui gagna l'amour d'une dame nommée Alswithe, qui avait conservé de grands biens, probablement parce que sa famille s'était de bonne heure déclarée pour le nouveau roi. Elle offrit sa main au chef de rebelles, par admiration pour son courage ; mais, craignant en même temps les dangers et les aventures, elle usa de son empire sur lui pour le décider à vivre en repos, et à faire sa paix avec le conquérant[164].

Hereward, qui l'aimait, se rendit à ses instances, et, comme on disait alors, accepta la paix du roi. Mais cette paix ne pouvait être qu'une trêve ; malgré la parole de Guillaume, et peut-être d'après ses ordres, les Normands cherchèrent bientôt à se défaire du redoutable chef saxon. Sa maison fut plusieurs fois assaillie à l'improviste ; et un jour qu'il reposait en plein air après son diner, une troupe d'hommes armés, parmi lesquels se trouvaient plusieurs Bretons, le surprit et l'entoura. Il était sans cotte de mailles et n'avait pour armes qu'une épée et une courte pique dont les Saxons marchaient toujours munis. Éveillé en sursaut par le bruit, il se leva, et, sans s'effrayer du nombre : Traîtres félons, dit-il, le roi m'a donné sa paix ; et si vous en voulez à mes biens ou à ma vie, par Dieu, je vous les vendrai cher[165].

En disant ces mots, Hereward poussa sa lance avec tant de vigueur contre un chevalier qui se trouvait en face de lui, qu'il lui perça la poitrine à travers son haubert. Malgré plusieurs blessures, il continua de frapper de sa demi-pique tant qu'elle dura ; puis il se servit de l'épée ; et cette arme s'étant brisée sur le heaume d'un de ses ennemis, il combattit encore avec le tronçon qui lui restait dans la main. Quinze Normands, dit la tradition, étaient déjà tombés autour de lui, lorsqu'il reçut à la fois quatre coups de lance[166]. Il eut encore la force de se tenir à genoux, et, dans cette position, saisissant un bouclier qui était par terre, il en frappa si rudement au visage Raoul de Dol, chevalier breton, que du coup il le renversa mort ; mais en même temps lui-même défaillit et expira. Le chef de la troupe, nommé Asselin, lui coupa la tête, jurant, par la vertu de Dieu, que de sa vie il n'avait vu un si vaillant homme. Ce fut dans la suite un dicton populaire parmi les Saxons, et même parmi les Normands, que s'il y en avait eu quatre comme lui en Angleterre, jamais les Français n'y seraient entrés, et que, s'il ne fût pas mort de cette manière, un jour ou l'autre il les eût chassés tous[167].

Ainsi fut détruit, en l'année 1072, le camp d'Ely, qui avait donné un moment l'espoir de la liberté à cinq provinces. Longtemps après la dispersion des braves qui s'y étaient réfugiés, on trouvait encore, sur ce coin de terre marécageuse, les traces de leurs retranchements, et les restes d'un fort de bois, que les habitants du lieu nommaient le château de Hereward[168]. Beaucoup, de ceux qui avaient mis bas les armes eurent les mains coupées et les yeux crevés, et, par une sorte de dérision atroce, le vainqueur les renvoya libres en cet état[169] ; d'autres furent emprisonnés dans des châteaux forts sur tous les points de l'Angleterre. L'archevêque Stigand fut condamné à la réclusion perpétuelle ; l'évêque de Durham, Eghelwin, accusé par les Normands d'avoir dérobé les trésors de son église, parce qu'il les avait employés à soutenir la cause patriotique, fut enfermé à Abingdon, où, peu de mois après, il mourut de faim[170]. Un autre évêque, Eghelrik, fut mis en prison dans l'abbaye de Westminster, pour avoir, disait la sentence rendue par les juges étrangers, attenté à la paix publique et exercé la piraterie[171]. Mais le jugement des Anglais et l'opinion populaire sur son compte étaient bien différents ; on le loua tant qu'il vécut, et, après sa mort, on l'honora comme saint. Les pères enseignèrent à leurs enfants à implorer son intercession ; et, un siècle après, il venait encore des visiteurs et des pèlerins à son tombeau[172].

La trahison des moines d'Ely reçut bientôt sa récompense : quarante hommes d'armes occupèrent leur couvent comme un poste militaire, et y vécurent à francs quartiers. Chaque matin il fallait que le cellérier leur distribuât des vivres et une solde dans la grande salle du chapitre[173]. Les moines se plaignirent amèrement de la violation du traité qu'ils avaient conclu avec le roi, et on leur répondit que l'île d'Ely avait besoin d'être gardée[174]. Ils offrirent alors la somme de sept cents marcs pour être délivrés de la charge d'entretenir les soldats étrangers, et cette somme, qu'ils se procurèrent en dépouillant leur église, fut portée au Normand Picot, vicomte royal à Cambridge. Le vicomte fit peser l'argent, et trouvant que par hasard il y manquait le poids d'un gros, il accusa judiciairement les moines du crime de fraude envers le roi, et les fit condamner par sa cour à payer trois cents marcs de plus, en réparation de cette offense[175]. Après le payement des mille marcs, vinrent des commissaires royaux, qui enlevèrent du couvent d'Ely tous les objets de quelque valeur, et firent un recensement des terres de l'abbaye, afin de les partager en fiefs[176]. Les moines se répandirent en plaintes qui ne furent écoutées de personne ; ils invoquèrent la pitié pour leur église, autrefois la plus belle, disaient-ils, entre les filles de Jérusalem, maintenant souffrante et opprimée[177]. Mais pas une larme ne coula, pas une main ne s'arma pour leur cause.

Après l'entière défaite et la dispersion des réfugiés de l'île d'Ely, l'armée normande de terre et de mer se dirigea vers les provinces du nord pour y faire en quelque sorte une battue, et empêcher qu'il ne s'y formât de nouveaux rassemblements. Passant pour la première fois la Tweed elle entra sur le territoire d'Écosse, afin d'y saisir tous les émigrés anglais, et d'effrayer le roi Malcolm, qui, à leur sollicitation, avait fait dans la même année une incursion hostile en Northumberland[178]. Les émigrés échappèrent à cette poursuite, et le roi d'Écosse ne les livra point aux Normands ; mais, intimidé par la présence de troupes plus régulières et mieux armées que les siennes, il vint à la rencontre du roi Guillaume dans un appareil tout pacifique, lui toucha la main en signe d'amitié, lui promit d'avoir ses ennemis pour ennemis, et s'avoua, de plein gré, son vassal et son homme lige, comme on s'exprimait alors[179].

Guillaume se retira satisfait d'avoir enlevé à la cause saxonne le dernier appui qui lui restât ; et, à son retour d'Écosse, il fut reçu à Durham par l'évêque Vaulcher, Lorrain de nation, que les Normands avaient mis à la place d'Eghelwin, dégradé par eux et condamné, comme on l'a vu, à un emprisonnement perpétuel. Il parait que le triste sort du prélat saxon avait excité dans le pays une haine violente contre l'élu des étrangers. Quoique la ville de Durham, située sur des hauteurs, fût très-forte par sa position, Vaulcher ne s'y croyait point en sûreté contre l'aversion des Northumbriens. A sa demande, disent les chroniques, le roi fit bâtir, sur la plus haute colline, une citadelle où il pût séjourner avec ses gens à l'abri de toute espèce d'attaque[180].

Cet évêque, après sa consécration à Winchester, avait été accompagné jusqu'à York par une escorte nombreuse de chevaliers normands ; et, dans cette ville, le Saxon Gospatrik, devenu, au prix d'une grande somme d'argent, comte du pays au delà de la Tyne, était venu recevoir le pontife lorrain pour le conduire à Durham[181]. Ce bon office rendu à la cause de la conquête ne put faire oublier au conquérant que Gospatrik était Anglais, et qu'il avait été patriote : aucune complaisance n'était capable d'effacer cette tache originelle. Dans l'année même, le roi Guillaume enleva au Saxon la dignité qu'il avait achetée, mais sans lui rien restituer ; et la raison qu'il allégua fut que Gospatrik avait combattu au siège d'York, et pris part à l'insurrection où avait péri Robert Comine[182]. Saisi du même chagrin et du même remords qu'autrefois l'archevêque Eldred[183], Gospatrik abandonna pour jamais l'Angleterre, et s'établit en Écosse, où sa famille se perpétua longtemps, honorée et opulente[184]. Le gouvernement, ou, pour parler comme les Normands, le comté de Northumberland fut donné alors à Waltheof, fils de Siward, qui, de même que son prédécesseur, s'était trouvé dans les rangs saxons au siège d'York, mais dont l'heure fatale n'était pas encore venue.

Après cette suite d'expéditions heureuses, le roi Guillaume, trouvant en Angleterre un moment d'abattement profond, ou d'heureuse paix, comme disaient les vainqueurs, hasarda un nouveau voyage en Gaule, où il était rappelé par des troubles et une opposition élevée contre son pouvoir. Le comté du Maine, enclavé, pour ainsi dire, entre deux États beaucoup plus puissants, la Normandie et l'Anjou, Semblait destiné à tomber alternativement sous la suzeraineté de l'un ou de l'autre. Mais, malgré ce désavantage de position et l'infériorité de leurs forces, les Manceaux luttaient souvent avec vigueur pour le rétablissement de leur indépendance nationale, et l'on disait d'eux, au onzième siècle, qu'ils étaient d'un naturel dur, hautain et peu disposé à l'obéissance[185]. Quelques années avant sa descente en Angleterre, Guillaume fut reconnu pour suzerain du Maine par Herbert, comte de ce pays, grand ennemi de la puissance angevine, et à qui ses incursions nocturnes dans les bourgs de l'Anjou avaient fait donner le surnom bizarre et énergique d'Éveille-Chiens. Comme vassaux du duc de Normandie, les Manceaux lui fournirent de bonne grâce leur contingent de chevaliers et d'archers ; mais quand ils le virent occupé des soins et des embarras de la conquête, ils songèrent à s'affranchir de la domination normande. Nobles, gens de guerre, bourgeois, toutes les classes de la population concoururent à cette œuvre patriotique ; les châteaux gardés par des soldats normands furent attaqués et pris l'un après l'autre ; Turgis de Tracy et Guillaume de La Ferté, qui commandaient la citadelle du Mans, rendirent cette place, et sortirent du pays avec tous ceux de leurs compatriotes qui avaient échappé aux représailles et aux vengeances populaires[186].

Le mouvement imprimé aux esprits par cette insurrection ne s'arrêta point lorsque le Maine eut été rendu à '§es seigneurs nationaux ; et l'on vit alors éclater dans la principale ville une révolution d'un nouveau genre. Après avoir combattu pour l'indépendance du pays, les bourgeois du Mans, rentrés dans leurs foyers, commencèrent à trouver gênant et vexatoire le gouvernement de leur comte, et s'irritèrent d'une foule de choses qu'ils avaient tolérées jusque-là. A la première taille un peu lourde qui leur fut imposée, ils se soulevèrent, et, se liant ensemble par le serment de se soutenir l'un l'autre, ils formèrent ce que, dans le langage du temps, on appelait une commune[187]. L'évêque du Mans, les nobles de la ville, et Geofroi de Mayenne, tuteur du comte régnant, furent obligés, par force ou par crainte, de jurer la commune, et de confirmer par ce serment les nouvelles lois établies contre leur pouvoir ; mais quelques nobles des environs s'y refusèrent, et les bourgeois, pour les réduire se mirent en devoir d'attaquer leurs châteaux et leurs hôtels.

Ils marchaient à ces expéditions par paroisse, la croix et la bannière en tète de chaque compagnie ; mais, malgré cet appareil religieux, ils faisaient la guerre à outrance, avec passion, avec cruauté même, comme il arrive toujours dans les troubles politiques. On leur reprochait de guerroyer sans scrupule durant le carême et la semaine sainte ; on leur reprochait aussi de faire trop sévèrement et trop sommairement justice de leurs ennemis, pendant les uns et mutilant les autres, sans aucun égard pour le rang des personnes[188]. Objet de la haine de presque tous les seigneurs du pays, la commune du Mans, à une époque où ces sortes d'institutions étaient rares, défendit opiniâtrement sa liberté. Un complot, qui livra au comte Geofroi de Mayenne la forteresse de la ville, contraignit les bourgeois à combattre dans les rues, et à mettre eux-mêmes le feu à leurs maisons, pour pousser les travaux du siège. Ils le firent avec ce dévouement courageux qu'on vit éclater, un demi-siècle après, dans les grandes communes du royaume de France[189].

C'est durant cette lutte entre la puissance féodale et la liberté bourgeoise que le roi d'Angleterre fit ses préparatifs pour envahir le Maine, et imposer sa seigneurie aux deux partis rivaux. Habile à profiter de l'occasion, il ordonna d'enrôler partout les hommes de race anglaise qui voudraient le servir pour une solde ; il comptait sur la misère où la plupart se trouvaient réduits pour les attirer par l'appât du butin que cette guerre semblait promettre. Des gens qui n'avaient plus ni feu ni lieu, les restes des bandes de partisans détruites sur plusieurs points de l'Angleterre, et même des chefs qui s'étaient signalés au camp du Refuge, se réunirent sous la bannière normande, sans cesser de haïr les Normands. Ils étaient joyeux d'aller combattre contre des hommes qui, bien que ennemis du roi Guillaume, leur semblaient être de la même race que lui par la conformité du langage. Sans s'inquiéter si c'était de gré ou de force que les Manceaux avaient, sept ans auparavant, pris part à la conquête, ils marchèrent contre eux, à la suite du conquérant, comme à un acte de vengeance nationale. Dès leur entrée dans le pays, ils se livrèrent avec une sorte de frénésie à tous les genres de dévastation et de rapine, arrachant les vignes, coupant les arbres, brûlant les villages ; en un mot, faisant au Maine tout le mal qu'ils auraient voulu faire à la Normandie[190].

La terreur causée par leurs excès contribua, plus que la bravoure des chevaliers normands et la présence même du roi Guillaume, à la soumission du pays. Les places fortes et les châteaux se rendirent, pour la plupart, avant le premier assaut, et les principaux bourgeois du Mans apportèrent les clefs de leur ville au roi dans son camp sur les bords de la Sarthe. Ils lui prêtèrent serment comme à leur seigneur légitime, et Guillaume, en retour, leur promit la conservation de leurs anciennes franchises, mais sans maintenir, à ce qu'il parait, l'établissement de la commune. Ensuite l'armée repassa en Angleterre, où les soldats saxons abordèrent chargés de butin ; mais ces richesses mal acquises devinrent fatales à plusieurs d'entre eux, parce qu'elles excitaient l'envie et la cupidité des Normands[191].

Pendant que ces choses se passaient, le roi Edgar alla, d'Écosse en Flandre, négocier auprès du comte de ce pays, rival politique, quoique parent de Guillaume, quelques secours pour la cause saxonne, plus que jamais désespérée. Ayant peu réussi, malgré ses efforts, il repassa en Écosse, où il fut surpris de recevoir un message amical de la part du roi de France, Philippe, premier du nom[192]. Philippe, alarmé des succès du roi normand dans le Maine, avait résolu, en aidant les Saxons, de lui susciter des obstacles qui le rendissent moins actif de l'autre côté de la mer ; il invitait Edgar à venir près de lui, pour assister à son conseil ; il lui promettait une forteresse sur les bords du détroit, à portée de l'Angleterre, pour y descendre, et de la Normandie, pour y faire du ravage[193]. Edgar accepta cette proposition, et disposa tout pour son voyage en France. Le roi Malcolm, son beau-frère, devenu homme lige et vassal de Guillaume, ne pouvait, sans fausser sa foi, fournir au Saxon des soldats pour cette entreprise ; il se contenta de lui donner des secours secrets en argent, et distribua, selon l'usage du siècle, des armes et des habits à ses compagnons de fortune[194].

Edgar mit à la voile ; mais à peine en pleine mer, ses vaisseaux furent dispersés et ramenés par une tempête violente[195]. Quelques-uns vinrent échouer sur les côtes septentrionales de l'Angleterre, et les hommes qui les montaient devinrent prisonniers des Normands ; les autres périrent en mer[196]. Le roi et les principaux d'entre ceux qui l'accompagnaient échappèrent à ces deux périls, et rentrèrent en Écosse, après avoir tout perdu, les uns à pied, les autres pauvrement montés, dit une chronique contemporaine[197]. Après ce malheur, Malcolm donna à son beau-frère le conseil de ne plus s'obstiner contre le sort, et de demander, pour la troisième fois, la paix au conquérant[198]. Edgar, se laissant persuader, envoya au delà du détroit un message au roi Guillaume, et celui-ci l'invita à passer auprès de lui en Normandie. Pour s'y rendre, il traversa l'Angleterre entière, escorté par les chefs et les comtes normands des provinces, et accueilli dans leurs châteaux[199]. A la cour de Rouen, où il séjourna onze années, il vécut dans l'hôtel du roi, s'habilla de ses livrées, et s'occupa de chiens et de chevaux plus que d'intérêts politiques[200] ; mais, après ces onze ans, il éprouva un sentiment de regret, et revint en Angleterre habiter au milieu de ses compatriotes[201] : dans la suite, il retourna encore en Normandie, et passa toute sa vie dans les mêmes irrésolutions, ne sachant prendre aucun parti durable, jouet des événements :et d'un caractère sans énergie et sans fierté[202].

La triste destinée du peuple anglais paraissait déjà fixée sans retour. Dans le silence de toute opposition, une sorte de calme, celui du découragement, régna par tout le pays. Les marchands d'outremer purent étaler sans crainte, dans les villes et les bourgs, des étoffes et des armes fabriquées sur le continent, qu'ils venaient échanger contre le butin de la conquête[203]. On eût pu voyager, dit l'histoire contemporaine, portant avec soi son poids en or, sans que personne vous adressât autre chose que de bonnes paroles[204]. Le soldat normand, plus tranquille dans la possession de son lot de terre ou d'argent, moins troublé par les alarmes de nuit, moins souvent obligé de dormir dans son haubert, devint moins violent et moins haineux. Les vaincus eux-mêmes eurent quelques moments de repos[205], les femmes anglaises craignirent moins pour leur pudeur : un grand nombre d'entre elles, qui s'étaient réfugiées dans les monastères, et avaient pris le voile comme une sauvegarde contre la brutalité des conquérants[206], commencèrent à désirer la fin de cette retraite forcée, et voulurent rentrer dans la vie de famille.

Mais il n'était pas aussi aisé aux femmes saxonnes de quitter le cloître que d'y entrer. Les prélats normands tenaient la clef des monastères, comme les barons normands tenaient la clef des villes ; et il fallut que ces maîtres souverains des corps et des âmes des Anglais délibérassent en assemblée solennelle sur la question de laisser libres des femmes devenues religieuses à contre-cœur et par nécessité. L'archevêque Lanfranc présidait .ce concile, où assistèrent tous les évêques nommés par le roi Guillaume, avec plusieurs abbés de Normandie et d'autres personnages de haut rang. L'avis du primat fut que les Anglaises qui, afin de sauver leur chasteté, avaient pris le couvent pour asile, ne devaient point être punies d'avoir obéi aux saints préceptes, et qu'il fallait ouvrir les portes des cloîtres à toutes celles qui le demanderaient[207]. Cette opinion prévalut dans le concile normand, moins peut-être parce qu'elle était la plus humaine, que parce qu'elle venait d'un confident et d'un ami intime du roi Guillaume ; les réfugiées à qui il restait encore une famille ou des protecteurs recouvrèrent ainsi leur liberté.

Vers le même temps, Guillaume, fils d'Osbern, l'un des plus hauts barons normands, périt de mort violente en Flandre, où, pour l'amour d'une femme, il s'était engagé dans des intrigues politiques[208]. L'aîné de ses fils, appelé du même nom que lui, hérita de ses terres en Normandie, et Roger, le plus jeune, eut les domaines conquis en Angleterre, avec le comté de Hereford. Il se chargea du soin de pourvoir et de doter sa jeune sœur, appelée Emma, et négocia bientôt pour elle un mariage avec Raulf de Gaël, seigneur breton, devenu comte de Norfolk[209]. On ne sait pour quelle raison cette alliance déplut au roi, qui envoya de Normandie une défense expresse de la conclure. Mais les parties n'en tinrent compte, et, au jour fixé pour la cérémonie, la nouvelle épouse fut conduite à Norwich, principale ville du comté de Norfolk, où se firent, dit la chronique saxonne, des noces qui furent fatales à tous ceux qui y assistèrent[210]. Il y vint des évêques et des barons normands, des Saxons amis des Normands, et même des Gallois, invités par le comte de Hereford : Waltheof, fils de Siward, mari d'une nièce du roi, et comte de Huntingdon, de Northampton et du Northumberland, figurait à l'une des premières places[211].

Après un repas somptueux, où le vin fut versé en abondance, les langues des assistants se délièrent : Roger de Hereford blâma hautement le refus du roi Guillaume d'approuver l'union formée entre sa sœur et le comte de Norfolk ; il s'en plaignit comme d'un affront fait à la mémoire de son père, l'homme à qui le bâtard, disait-il, devait incontestablement sa conquête et sa royauté[212]. Les Saxons, qui avaient reçu de Guillaume des injures bien autrement cruelles, applaudirent avec véhémence aux invectives du comte normand ; et les esprits s'échauffant par degrés, l'on en vint, de toutes parts, à un concert d'exécrations contre le conquérant de l'Angleterre[213].

C'est un bâtard, un homme de basse lignée, disaient les Normands ; il a beau se faire appeler roi, on voit clairement qu'il n'est pas fait pour l'être, et que Dieu ne l'a point pour agréable[214]. — Il a empoisonné, disaient les Bas-Bretons, Conan, ce brave comte de Bretagne, dont tout notre pays garde encore le deuil[215]. — Il a envahi le noble royaume d'Angleterre, s'écriaient à leur tour les Saxons : il en a massacré injustement les héritiers légitimes, ou les a contraints de s'expatrier[216]. — Et ceux qui sont venus à sa suite ou à son aide, répliquaient les gens d'outre-mer, ceux qui l'ont élevé plus haut que pas un de ses devanciers, il ne les a point honorés comme il le devait ; il est ingrat envers les braves qui ont versé leur sang à son service. Que nous a-t-il donné à nous, vainqueurs et couverts de blessures ? des fonds de terres stériles et dévastés ; et encore, dès qu'il voit nos fiefs s'améliorer, il nous les enlève ou les diminue[217]. — C'est vrai, c'est la vérité ! s'écriaient tumultueusement tous les convives ; il est en haine à tous, et sa mort réjouirait beaucoup d'hommes[218].

Après ces propos, jetés d'une manière confuse, l'un des deux comtes normands se leva, et s'adressant à Waltheof : Homme de cœur, lui dit-il, voici le moment ; voici, pour toi, l'heure de la vengeance et de la fortune[219]. Unis-toi seulement à nous, et nous rétablirons, en toutes choses, le royaume d'Angleterre comme il était au temps du roi Edward. L'un de nous trois sera roi, les deux autres commanderont sous lui, et toutes les seigneuries du pays relèveront de nous. Guillaume est occupé outre-mer par des affaires interminables ; nous tenons pour assuré qu'il ne repassera plus le détroit. Allons, brave homme de guerre, embrasse ce parti ; c'est le meilleur pour toi, pour ta famille, pour ta nation, abattue et foulée[220]. A ces paroles, de nouvelles acclamations s'élevèrent ; les comtes Roger et Raulf, plusieurs évêques et abbés, avec un grand nombre de barons normands et de guerriers saxons, se conjurèrent par serment contre le roi Guillaume[221]. Waltheof, après une résistance qui prouvait son peu de goût pour cette bizarre association, se laissa persuader et entra dans le complot. Roger de Hereford se rendit promptement dans sa province, afin d'y rassembler ses amis, et il engagea dans sa cause beaucoup de Gallois des frontières, qui se lièrent à lui, soit pour une solde, soit en haine du conquérant qui menaçait leur indépendance[222]. Dès que le comte Roger eut ainsi réuni toutes ses forces, il se mit en marche vers l'est, où l'attendaient les autres conjurés.

Mais lorsqu'il voulut passer la Saverne au pont de Worcester, il rencontra des préparatifs de défense assez redoutables pour l'arrêter ; et, avant qu'il eût pu trouver un autre passage, le Normand Ours, vicomte de Worcester, et l'évêque Wulfstan, toujours fidèle au roi Guillaume, dirigèrent des troupes sur différents points de la rive orientale du fleuve. Eghelwig, cet abbé courtisan qui s'était fait le serviteur des étrangers contre ses compatriotes, détermina, par ses intrigues, la population de la contrée de Glocester à écouter l'appel des chefs royaux plutôt que les proclamations et les promesses du conspirateur normand[223]. En effet, les Saxons se réunirent sous la bannière du comte Gaultier de Lacy contre Roger de Hereford et ses Gallois, dont la cause ne leur parut pas assez évidemment liée à leur cause nationale. Entre deux partis presque également étrangers pour eux, ils suivirent celui qui offrait le moins de périls, et servirent le roi Guillaume qu'ils haïssaient à la mort. Dans son absence, c'était le primat Lanfranc qui, sous le titre de lieutenant royal, administrait toutes les affaires[224] ; il fit partir en grande hâte de Londres et de Winchester des troupes qui marchèrent vers la province où Roger était tenu en échec, et, en même temps, il lança contre lui une sentence d'excommunication conçue dans les termes suivants :

Puisque tu t'es départi des règles de conduite de ton père, que tu as renoncé à la foi qu'il garda toute sa vie à son seigneur, et qui lui fit acquérir tant de richesses, en vertu de môn autorité canonique je te maudis, t'excommunie, et t'exclus du seuil de l'église et de la compagnie des fidèles[225].

Lanfranc écrivit aussi au roi, en Normandie, pour lui annoncer cette révolte et l'espérance qu'il avait d'y mettre fin promptement. Ce serait avec plaisir, lui disait-il, et comme un envoyé de Dieu même, que nous vous verrions au milieu de nous. Ne vous hâtez cependant pas de traverser la mer ; car ce serait nous faire honte que de venir nous aider à détruire une poignée de traîtres et de brigands[226]. La première de ces épithètes parait avoir été destinée aux Normands qui suivaient le comte Roger, et la seconde aux Saxons qui se trouvaient en assez grand nombre dans l'armée de Raulf de Gaël, campée auprès de Cambridge, ou bien qui, encouragés par la présence de cette armée, commençaient à s'agiter dans les villes maritimes de l'est, et à renouer avec les Danois leurs anciennes négociations[227].

Le roi de Danemark promit, encore une fois, d'envoyer contre le roi Guillaume des troupes de débarquement ; mais avant l'arrivée de ce secours, l'armée du comte de Norfolk fut attaquée, avec des forces supérieures, par Eudes, évêque de Bayeux ; Geoffroy, évêque de Coutances, et le comte Guillaume de Garenne. La bataille se donna dans un lieu que les anciens historiens nomment Fagulon[228]. Les conjurés normands et saxons y furent complètement défaits, et l'on raconte que les vainqueurs coupèrent le pied droit à tous leurs prisonniers, de quelque nation et de quelque rang qu'ils fussent[229]. Raulf de Gaël s'échappa et courut se renfermer dans sa citadelle de Norwich ; puis il s'embarqua pour aller chercher du secours auprès de ses amis en Basse-Bretagne, et laissa le château à la garde de sa nouvelle épouse et de ses vassaux[230]. La fille de Guillaume, fils d'Osbern, opposa une longue résistance aux attaques des officiers royaux, et ne capitula que quand elle y fut contrainte par la famine[231]. Les hommes d'armes qui défendaient la forteresse de Norwich se rendirent, sous condition d'avoir la vie sauve s'ils quittaient l'Angleterre dans le délai de quarante jours[232]. Gloire à Dieu au plus haut des cieux, écrivit alors le primat Lanfranc au roi Guillaume, votre royaume est enfin purgé de l'ordure de ces Bretons[233]. En effet, beaucoup d'hommes de cette nation, qui étaient venus comme auxiliaires ou comme aventuriers à la conquête, enveloppés dans la disgrâce de Raulf de Gaël, perdirent les terres qu'ils avaient enlevées aux Anglais[234]. Pendant que les amis de Raulf étaient ainsi vaincus et dispersés, ceux de Roger de Hereford furent défaits dans l'ouest, et leur chef emmené prisonnier.

Avant de passer en Angleterre pour jouir de ce nouveau triomphe, le roi Guillaume fit une incursion hostile sur le territoire des Bretons ses voisins. Il voulait y poursuivre le comte Raulf de Gaël, et tenter, sous ce prétexte, la conquête d'une portion du pays, objet constant de l'ambition et de la politique de ses aïeux[235]. Mais, après avoir vainement assiégé la ville de Dol, il se retira devant l'armée du duc de Bretagne, qui marchait contre lui soutenu par le roi de France[236]. Traversant alors le détroit, il vint à Londres, aux fêtes de Noël, présider le grand conseil des barons normands et juger les auteurs et les complices de la dernière conspiration[237]. Raulf de Gaël, absent et contumace, fut dépossédé de tous ses biens ; Roger de Hereford comparut, et fut condamné à perdre aussi ses terres et à passer toute sa vie dans une forteresse[238]. Au fond de sa prison, son caractère fier et indomptable lui fit souvent braver par des injures le roi qu'il n'avait pu détrôner. Un jour, aux fêtes de Pâques, Guillaume, suivant l'usage de la cour de Normandie, lui envoya, comme s'il eût été libre, un habit complet d'étoffes précieuses, cotte et manteau de soie, justaucorps garni de fourrures étrangères[239]. Roger examina en détail ces riches vêtements avec un air de satisfaction ; puis il fit allumer un grand feu et les y jeta[240]. Le roi, qui ne s'attendait point à voir ses dons reçus de la sorte, en fut vivement courroucé, et jura, par la splendeur de Dieu (c'était son serment favori), que l'homme qui lui avait fait un tel outrage de sa vie ne sortirait de prison[241].

Après avoir raconté cette déplorable destinée du fils de l'homme le plus puissant après le roi, et qui avait le plus excité Guillaume à entreprendre sa conquête[242], l'historien né en Angleterre, et, quoique étranger d'origine, touché des misères de son pays natal, s'écrie dans une sorte d'enthousiasme patriotique : Où est-il à présent ce Guillaume, fils d'Osbern, vice-roi, comte de Hereford, sénéchal de Normandie et d'Angleterre ?[243] Lui qui fut le premier et le plus grand oppresseur des Anglais, qui, par ambition et par avarice, encouragea la fatale entreprise où périrent tant de milliers d'hommes, il est tombé à son tour, et a reçu le prix qu'il méritait[244]. Il avait tué beaucoup d'hommes par l'épée, et il est mort par l'épée ; et, après sa mort, l'esprit de discorde a fait révolter son fils et son gendre contre leur seigneur et leur parent. La race de Guillaume, fils d'Osbern, a été déracinée de l'Angleterre, tellement qu'aujourd'hui elle n'y a pas un coin où mettre le pied[245].

La vengeance royale s'étendit sur tous ceux qui avaient assisté au banquet des noces de Norwich ; et la ville même où ce fatal banquet avait eu lieu fut frappée sans distinction et en masse[246]. Des vexations multipliées en ruinèrent les habitants saxons, et forcèrent un grand nombre d'entre eux à émigrer dans la province de Suffolk, aux environs de Beecles et de Halesworth. Là, trois Normands, Roger Bigot, Richard de Saint-Clair et Guillaume de Noyers, s'emparèrent de leurs personnes et en firent des serfs tributaires, bien qu'ils fussent devenus trop misérables pour être une propriété avantageuse[247]. D'autres Saxons et les Gallois faits prisonniers les armes à la main, sur les bords de la Saverne, eurent les yeux crevés et les membres mutilés, ou furent pendus à des gibets, par sentence des comtes, des prélats, des barons et des chevaliers normands, réunis à la cour du roi[248].

Sur ces entrefaites, une nombreuse flotte, partie du Danemark, et conduite par l'un des fils du roi Sven, redevenu l'ami des Anglais, s'approcha de la côte orientale ; mais quand les Danois apprirent ce qui se passait, ils n'osèrent engager le combat contre les Normands, et relâchèrent en Flandre[249]. Ce fut Waltheof qu'on accusa de les avoir appelés par des messages : il nia cette imputation ; mais la femme normande qu'il avait reçue en mariage du roi Guillaume se fit sa dénonciatrice, et porta témoignage contre lui[250]. Les voix de l'assemblée ou de la cour (comme on disait alors) se divisèrent sur l'arrêt à porter contre le chef saxon. Les uns votaient la mort, comme pour un Anglais révolté ; les autres la prison perpétuelle, comme pour un officier du roi[251]. Ces débats se prolongèrent presque une année, pendant laquelle Waltheof fut enfermé dans le fort royal de Winchester. A la fin, ses ennemis prévalurent, et dans l'une des cours qui se tenaient trois fois fan, l'arrêt de mort fut prononcé[252]. Les contemporains anglais accusent Judith, la nièce du roi, mariée à Waltheof contre son gré, d'avoir souhaité et pressé la sentence qui devait la rendre veuve et libre[253]. En outre, beaucoup de Normands ambitionnaient les trois comtés que possédait le chef saxon[254] ; et Ives Taille-Bois, dont les terres touchaient aux siennes, et qui désirait s'arrondir, fut un des plus acharnés à sa perte[255]. Enfin le roi, à qui Waltheof ne pouvait plus être utile, fut joyeux de trouver un prétexte pour se défaire de lui ; déjà, depuis longtemps, il avait conçu ce projet, si l'on en croit les anciens narrateurs[256].

De grand matin, pendant que le peuple de Winchester dormait encore, les Normands conduisirent le chef saxon hors des murs de la ville[257]. Waltheof marcha au supplice revêtu de ses habits de comte, et les distribua à des clercs et à des pauvres qui l'avaient suivi, et que les Normands laissèrent approcher à cause de leur petit nombre et de leur aspect tout pacifique[258]. Arrivés sur une colline, à peu de distance des murs, les soldats s'arrêtèrent, et le Saxon, se prosternant la face contre terre, pria à voix basse durant quelques minutes ; mais les Normands, craignant que le moindre retard ne fit répandre dans la ville la nouvelle de l'exécution, et qu'il n'y eût un soulèvement pour sauver Waltheof, lui dirent avec impatience : Lève-toi, afin que nous accomplissions nos ordres[259]. Il leur demanda pour dernière grâce d'attendre encore qu'il eût récité pour lui et pour eux l'Oraison dominicale[260]. Ils le permirent, et Waltheof se relevant de terre, mais restant agenouillé, se mit à dire à haute voix : Notre père, qui es dans les cieux... ; mais aux premiers mots du verset : Et ne nous induis pas en tentation..., le bourreau, qui aperçut peut-être quelque rayon du jour naissant, ne voulut plus tarder davantage, et, tirant subitement sa large épée, il abattit d'un seul coup la tête du condamné[261]. Son cadavre fut jeté dans une fosse creusée à la jonction de deux chemins, et recouvert de terre à la hâte[262].

N'ayant pu sauver Waltheof, les Saxons portèrent le deuil de sa mort, et l'honorèrent du nom de martyr, qu'ils venaient de décerner, au même titre, à l'évêque Eghelwin, mort de faim dans l'un des donjons normands[263]. On a voulu, dit un contemporain, effacer sa mémoire de ce monde ; mais on n'y a pas réussi, car nous croyons fermement qu'il est au ciel avec les bienheureux[264]. Le bruit courut parmi les serfs et les bourgeois de l'Angleterre qu'après quinze jours, le corps du dernier chef de race anglaise, enlevé par les moines de Croyland, avait paru intact et arrosé de sang frais[265]. D'autres miracles, propagés de même par la superstition patriotique, s'opérèrent, dit-on, près du tombeau de Waltheof, dressé, avec la permission du roi, dans le chapitre de l'abbaye dont il avait été le bienfaiteur[266]. La nouvelle de ces prodiges effraya l'épouse normande du chef décapité. Pour apaiser l'âme de celui qu'elle avait trahi, et dont elle avait causé la mort, elle se rendit à Croyland, au tombeau de Waltheof, et offrit un drap de soie qu'elle posa sur la pierre du sépulcre. Les chroniques du temps racontent qu'un bras invisible repoussa son offrande, qu'on vit la pièce d'étoffe soulevée et jetée au loin, comme par un violent coup de vent[267].

L'abbé de Croyland, Wulfketel, Anglais de race, se hâta de publier ces faits miraculeux, et les prêcha en langue saxonne aux visiteurs de son couvent. Mais l'autorité normande ne le laissa pas longtemps faire en paix ses prédications[268], et il fut accusé d'idolâtrie devant un concile tenu à Londres[269]. Les évêques et les comtes assemblés le dégradèrent de sa dignité ecclésiastique, et l'envoyèrent, comme simple reclus, au couvent de Glastonbury, gouverné par un Normand appelé Toustain, renommé, entre tous les abbés de la conquête, pour son naturel dur et féroce[270]. Ce châtiment ne découragea point la superstition populaire : fondée sur des regrets nationaux, elle ne s'éteignit qu'avec ces regrets, quand les fils des Saxons eurent oublié la vieille cause pour laquelle avaient souffert leurs aïeux. Mais ce temps ne vint pas aussi vite que l'eussent désiré les conquérants, et quarante années après la mort de Waltheof, lorsque le gouvernement du monastère de Croyland avait déjà passé, par une succession d'abbés étrangers, sous l'autorité d'un certain Geoffroy, venu de la ville d'Orléans, les miracles recommencèrent à s'opérer sur fe tombeau du dernier chef saxon[271]. Les Anglais de race venaient en foule visiter sa sépulture ; et les moines d'origine 'normande qui se trouvaient dans l'abbaye tournaient cet empressement en ridicule, et injuriaient les pèlerins, ainsi que l'objet de leur culte, disant que c'était un méchant traître justement puni de mort[272].

La veuve de Waltheof hérita de tous ses biens, et même on enleva pour elle au monastère de Croyland des terres que son mari avait données en possession pleine et entière[273]. Judith espérait partager ce vaste héritage avec un époux de son choix ; mais elle se trompa, et la même puissance qui avait disposé de sa main pour faire déserter un Saxon voulut l'employer cette fois à payer les services d'un Français. Sans consulter sa nièce plus qu'il n'avait fait précédemment, le roi Guillaume la donna, avec les biens de Waltheof, à un certain Simon, venu de la ville de Senlis, brave chevalier, mais boiteux et mal fait[274]. Judith témoigna pour cet homme un dédain qui courrouça le conquérant[275] ; peu disposé à faire plier sa politique devant l'intérêt d'une femme, il adjugea à Simon de Senlis le comté de Northampton et tout l'héritage de Waltheof, dont la veuve perdit ainsi le fruit de sa trahison. Restée seule avec deux enfants, elle mena une vie obscure et triste dans plusieurs cantons retirés de l'Angleterre. Les Normands la méprisaient, parce qu'elle était devenue pauvre ; les Saxons l'abhorraient comme infâme, et les vieux historiens de race anglaise montrent une sorte de joie en racontant ses années d'abandon et de chagrin[276].

L'exécution de Waltheof mit le comble à l'abattement du peuple vaincu. Il parait que ce peuple n'avait point encore perdu toute espérance tant qu'il voyait l'un des siens investi d'un grand pouvoir, même sous l'autorité de l'étranger. Après le fils de Siward, il n'y eut plus en Angleterre, parmi les hommes investis d'honneurs et de fonctions politiques, un seul qui fût né dans le pays, qui ne regardât pas les indigènes comme des ennemis ou des brutes. Toute l'autorité religieuse avait aussi passé aux mains d'hommes de nation étrangère, et des anciens prélats saxons il ne restait plus que Wulfstan, évêque de Worcester[277]. C'était un homme simple et faible d'esprit, incapable de rien oser, et qui, ainsi qu'on l'a vu plus haut, après un moment d'entraînement patriotique, s'était réconcilié de tout son cœur avec les conquérants. Depuis, il leur avait rendu d'importants services ; il avait fait des visites pastorales et proclamé les amnisties du roi dans les provinces encore mal pacifiées : il avait marché en personne contre Roger de Hereford, au passage de la Saverne ; mais il était de race anglaise : son jour vint comme était venu celui des autres.

Dans l'année 1076, Wulfstan fut cité devant un concile d'évêques et de seigneurs normands, réunis dans l'église de Westminster, et présidés par le roi Guillaume et par l'archevêque Lanfranc. L'assemblée déclara unanimement que le prélat saxon était incapable d'exercer en Angleterre les fonctions épiscopales, attendu qu'il ne savait pas parler français[278]. En vertu de cet arrêt bizarre, le roi et l'archevêque ordonnèrent au condamné de rendre le bâton et l'anneau[279], insignes de sa dignité. L'étonnement et l'indignation d'être si mal récompensé inspirèrent à Wulfstan une énergie toute nouvelle pour lui ; il se leva, et, tenant à la main son bâton pastoral, marcha droit au tombeau du roi Edward, enterré dans l'église ; là, s'arrêtant et s'adressant au mort en langue anglaise : Edward, dit-il, c'est toi qui m'as donné ce bâton ; c'est à toi que je le rends et le confie[280]. Puis, se tournant vers les Normands : J'ai reçu cela de qui valait mieux que vous ; je le lui remets, ôtez-le-lui si vous pouvez[281]. En prononçant ces derniers mots, le Saxon frappa vivement la pierre de la tombe avec la pointe du bâton pastoral. Son air et ce geste inattendu produisirent sur l'assemblée une grande impression de surprise, mêlée d'un effroi superstitieux : le roi et le primat ne réitérèrent point leur demande, et laissèrent le dernier évêque anglais garder son bâton et son office[282].

L'imagination populaire fit de cette aventure un prodige, et l'on répandit la nouvelle que le bâton pastoral de Wulfstan, quand il en frappa la pierre, s'y était enfoncé profondément, comme dans une terre molle, et que personne n'avait pu l'en arracher, excepté le Saxon lui-même lorsque les étrangers eurent révoqué leur sentence[283]. Après la mort de Wulfstan, et après qu'un chanoine de Bayeux, appelé Samson, lui eut succédé dans l'épiscopat de Worcester, les Anglais de race le décorèrent, comme Waltheof et comme Eghelwin, des noms de saint et de bienheureux[284]. Ce fut le lot de presque tous les hommes éminents par la dignité ou par le caractère qui subirent la mort ou la persécution pour la cause de la nationalité anglo-saxonne.

Tout cela est un peu étrange pour nous ; car les nations opprimées ont perdu l'usage de faire des saints de leurs défenseurs et de leurs amis ; elles ont la force de conserver le souvenir de ceux qu'elles ont aimés, sans décorer leurs noms d'une auréole superstitieuse. Mais quelque différence qu'il y ait entre nos mœurs patriotiques et celles des hommes qui nous ont précédés sur la terre, que cette différence ne nous inspire envers eux ni sévérité, ni dédain. La grande pensée de l'indépendance humaine leur fut révélée comme à nous ; ils l'environnèrent de leurs symboles favoris ; ils rassemblèrent autour d'elle ce que leur esprit imaginait de plus noble, et la firent religieuse, comme nous la faisons poétique. C'est la même conviction et le même enthousiasme exprimés d'une autre manière, le même penchant à immortaliser ceux qui .ont dévoué leur vie au salut et au bien-être de tous.

 

 

 



[1] Chron. saxon., Fragm., ex autog. biblioth. S. Germani, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 216.

[2] Historia eliensis, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 516, ed. Gale.

[3] Johan. de Fordun Scoti-chronicon, lib. V, cap. XI, p. 404, ed. Hearne.

[4] Torfæi Hist. rer. norveg., t. III, p. 386.

[5] Pour la signification de ce mot, voyez liv. III.

[6] Stritteri Memoriæ populorum ex script. hist. byzant. digestæ, t. IV, p. 431.

[7] Stritteri Memoriæ populorum ex script. hist. byzant. digestæ, t. IV, p. 431. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 505.

[8] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 29.

[9] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.

[10] Latrones, latrunculi, sicarii.

[11] Lelandi Collectanea, p. 42.

[12] Ut-lage, selon l'orthographe saxonne ; en latin, Utlagus.

[13] Robin Hood, a collection of all the ancient poems, songs and ballads. London, 1823, in-12, p. 1, 68, 70 et passim.

[14] Rithson's Robin Hood, a collection of ancient ballads, vol. II, p. 221. London, 1832.

[15] Rithson's Robin Hood, a collection of ancient ballads, vol. II, passim. London, 1832.

[16] Hist. monasterii salebiensis, apud Labbe, Nova biblioth. ms., t. I, p. 603.

[17] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 29.

[18] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 523.

[19] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 46.

[20] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 46.

[21] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 46.

[22] Voyez liv. II.

[23] Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 256. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 61, ed. Gale.

[24] Thomæ Rudborne, Hist., loc. sup. cit. — Match. Westmonast. Flor. histor., p. 227.

[25] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 256, ed. Savile.

[26] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p, 509.

[27] Thomæ Eliensis, Hist. eliensis ; Anglia sacra, t. I, p. 609.

[28] Hist. eliensis, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 516, ed. Gale. — Chron. Saxon., Fragm, sub anno MLXXI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem. — Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 257.

[29] Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 226.

[30] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 516.

[31] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 516. — Vita Lanfranci, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 52. — Voyez livre IV.

[32] Plusieurs prélats de Normandie y assistaient. (Voyez Wilkins, Concilia Magnæ  Britanniæ, t. I, p. 322 et seq.)

[33] Voyez Wilkins, Concilia Magnæ  Britanniæ, t. I, p. 323.

[34] Chron. Walteri Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 458, ed. Gale.

[35] Florent. Wigorn. Chron., p. 636. — Voyez plus haut, livre III.

[36] Chron. Walteri Hemingford., apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 458, ed. Gale.

[37] Domesday-book, vol. I, fol. 142, verso ; vol. II, p. 142 et 288. — Voyez livre IV.

[38] Lanfranci Opera, p. 301.

[39] Lanfranci Opera, p. 301. — Hist. cænob. abbendoniensis ; Anglia sacra., t. I, p. 168. — Hist. eliensis, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 516, ed. Gale. — Ibid., p. 512.

[40] Legatio Helsini in Daniam, apud Script. rer. danic., t. III, p. 285, in notis.

[41] Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 226.

[42] Voyez livre III.

[43] Vita Lanfranci, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 31 et 32. — Lanfranci Opera, p. 299.

[44] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 520.

[45] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 519. — Anglia sacra, t. I, p. 785.

[46] Eadmeri Hist. nov., p. 7, ed. Selden.

[47] Thomæ Stubbs Act. pontific. eborac., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1708, ed. Selden.

[48] Thomæ Stubbs Act. pontific. eborac., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1708, ed. Selden.

[49] Lanfranci Opera ; notæ et observat., p. 337.

[50] Gervas. Cantuar. Imag. de discordiis inter inonac. dorobor. et archiep. baldewinun, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1333, ed. Selden.

[51] Thomæ Stubbs Act. pontiftc. eborac., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1706, ed. Selden.

[52] Voyez livre I.

[53] Thomæ Stubbs Act. pontific. eborac., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1705. ed. Selden.

[54] Eadmeri Hist. nov., p. 3, ed. Selden.

[55] Lanfranci Opera, p. 378.

[56] Lanfranci Epist., apud Wilkins, Concilia Magnæ Britannia, t. I, p. 326.

[57] Lanfranci Opera, p. 302.

[58] Thomæ Stubbs Act. pontific. eborac., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1706, ed. Selden.

[59] Thomæ Rudborne, Hist. major Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 253. — Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. I, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2345, ed. Selden.

[60] Lanfranci Opera, p. 306. — Gervas. Cantuar. Imag. de discordiis, etc., apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 1333, ed. Solden.

[61] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 70, ed. Gale.

[62] Voyez livre III. — Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. IV, apud Rer. anglic. Script., p. 290, ed. Savile. — Eadmeri Hist. nov., p. 7, ed. Selden.

[63] Eadmeri Hist. nov., p. 10, ed. Selden. — Hist. Ingulf. Croyland., apud. Rer. anglic. Script., t. I, p. 86, ed. Gale.

[64] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 523.

[65] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. V, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 377, ed. Gale.

[66] Lanfranci Opera, p. 315. — Additam. ah hist. veterem Lichfeldensom ; Anglia sacra, t. I, p. 445.

[67] Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. II, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2352, ed. Selden.

[68] Lanfranci Opera, p. 338. — Chron. saxon., ed. Gibson, in notis.

[69] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 523.

[70] Willelm. Malmesb., de Gest. pontifia angl., lib. V, apud. Rer. anglic. Script., t. III, p. 372, ed. Gale.

[71] Willelm. Malmesb., de Gest. pontifia angl., lib. V, apud. Rer. anglic. Script., t. III, p. 372, ed. Gale.

[72] Willelm. Malmesb., de Vita Adhelmi episcopi scireburnensis ; Anglia sacra, t. II, p. 142.

[73] Historiæ francicæ Fragm., apud Script. rer. Gallic. et francic., t. XI, p. 162.

[74] Radulphi de Diceto, Imag. histor., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIII, p. 202.

[75] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 523. — Eadmeri Hist. nov., p. 6 et 7, ed. Selden.

[76] Voyez livre III.

[77] Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. I, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2348, ed. Selden.

[78] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 548.

[79] Eadmeri Hist. nov., p. 7, ed. Selden.

[80] Eadmeri Hist. nov., p. 7, ed. Selden.

[81] Petri Blesensis Ingulfi continuat., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 135, ed. Gale.

[82] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 524.

[83] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 524 et 525.

[84] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 526.

[85] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 526.

[86] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. V, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 372, ed. Gale.

[87] Eadmeri Hist. nov., p. 126, ed. Selden.

[88] Voyez livre II.

[89] Johan. Sarisburiensis, de Vita Anselmi archiep. cantuar. ; Anglia sacra, t. II, p. 162.

[90] Johan. Sarisburiensis, de Vita Anselmi archiep. cantuar. ; Anglia sacra, t. II, p. 162.

[91] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 48.

[92] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 47.

[93] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 48.

[94] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 47.

[95] Matth. Paris. Vitæ abbalum S, Albani, t. I, p. 48.

[96] Matth. Paris. Vitæ abbalum S, Albani, t. I, p. 48.

[97] Matth. Paris. Vitæ abbalum S, Albani, t. I, p. 48.

[98] Willelm. Malmesb., de Vita S. Vulfstani, lib. I, cap I ; Anglia sacra, t. II, p. 256.

[99] Voyez livre II.

[100] Ils requirent... estre tenus et gouvernez comme le roy Edouart les avoit gouvernez. (Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 239.)

[101] Leges regis ; Hist. ingulf. Croyland. ; apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 89, ed. Gale.

[102] Leges Willhelmi regis ; Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 982, ed. Selden.

[103] Seldeni notæ ad Eadmeri Hist. nov., p. 204.

[104] Borhs, fritte-bohrs, borhs-holders. —Voyez Canciani Leg. antiq. barbar., t. IV, p. 273, 338 et 310.

[105] Thomæ Rudborne Hist. major Winton ; Anglia sacra, t. I, p. 259.

[106] Ces sount les lois et les custumes que li reis Will. grentat a tut le puple de Engleterre... iceles mesmes que li rois Edward sun cosin tint devant lui. (Leges Willhelmi regis ; Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 88, ed. Gale.

[107] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 48.

[108] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49.

[109] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49.

[110] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49.

[111] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49.

[112] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49.

[113] Matth. Paris. Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49. — Seldeni notæ ad Eadmeri Hist. nov. p. 196.

[114] Matth. Paris. Vita abbatum S. Albani, t. I, p. 52.

[115] Matth. Paris. Vita abbatum S. Albani, t. I, p. 53.

[116] Matth. Paris. Vita abbatum S. Albani, t. I, p. 53.

[117] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 176.

[118] Thomæ Eliensis, Hist. eliensis ; Anglia sacra, t. I, p. 609.

[119] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 181.

[120] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 521.

[121] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 521. — Beaumont-le-Roger, département de l'Eure.

[122] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 521.

[123] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 521.

[124] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 306.

[125] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 71, ed. Gale.

[126] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 71, ed. Gale.

[127] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 71, ed. Gale.

[128] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 71, ed. Gale.

[129] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 71, ed. Gale.

[130] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 72, ed. Gale.

[131] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 72, ed. Gale.

[132] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 70, ed. Gale.

[133] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 70, ed. Gale.

[134] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 68, ed. Gale.

[135] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 70, ed. Gale.

[136] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 71, ed. Gale.

[137] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script, t. I, p. 70, ed. Gale.

[138] Alias Knight, aut Cild ; alias Child. Les Allemands avaient pareillement employé le mot Hild ou Held, avant celui de Reiter ou Ritter.

[139] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 70, ed. Gale.

[140] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 70, ed. Gale.

[141] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 70, ed. Gale.

[142] Voyez Sharon Turner, Hist. des Anglo-Normands, t. I, p. 140.

[143] Voyez livre IV.

[144] Voyez livre V.

[145] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 177.

[146] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 177.

[147] Ex lib. Hugonis monachi petriburgensis ; Lelandi Collectanea, t. I, p. 14. — On appelait hyde ou hide, en Angleterre, ce qu'en France on appelait chamade. Voyez Ducange, Glossar., au mot Hida.

[148] Petri Blesensis Ingulri continuat., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 125, ed. Gale.

[149] Petri Blesensis Ingulri continuat., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 125, ed. Gale.

[150] Florent. Wigorn. Chron., p. 636.

[151] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 176.

[152] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 176.

[153] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 177.

[154] De Gestis Herwardi Saxonis ; Chron. anglo-norm., t. II, p. 57.

[155] Petri Blesensis Ingulti continuat., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 124 et 125, ed. Gale.

[156] Petri Blesensis Ingulti continuat., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 125, ed. Gale. — De Gestis Herwardi Saxonis ; Chron. anglo-norm., t. II, p. 76.

[157] Ibid., p. 78.

[158] John Stow's Annals, p. 114. London, 1631.

[159] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 181.

[160] Chronique de Geoffroy Gaymar ; Chron. anglo-norm., t. I, p. 19.

[161] Matth. Paris., t. 1, p. 7. — Hist. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 71, ed. Gale.

[162] De Gestis Herwardi Saxonis ; Chron. anglo-norm., t. II, p. 52.

[163] Chron. de Geoffroy Gaymar ; Chron. anglo-nom., t. I, p. 22.

En plusurs lius ceo avint

Encontre VII très bien se tint.

[164] Chron. de Geoffroy Gaymar ; Chron. anglo-nom., t. I, p. 22 et 23.

Ceo fut Alsued qe ço manda

A Ereward, que mult ama...

Au roi se devoit accorder.

[165] Chron. de Geoffroy Gaymar ; Chron. anglo-nom., t. I, p. 24.

Mult fièrement dist as François :

Triwes m'avoit doné li rois...

Fel traîtres, vendrai moi cher.

[166] Chron. de Geoffroy Gaymar ; Chron. anglo-norm., t. I, p. 26.

Mes IIII vindrent à son dos

Qui l'ont feru par mi le cors,

Od IIII lances l'ont feru.

[167] Chron. de Geoffroy Gaymar ; Chron. anglo-norm., t. I, p. 27.

Et s'il eust eu od lui trois,

Mar i entrassent li François ;

Et s'il ne fust issi occis,

Tous les chaçast for del païs.

— La mort violente de Hereward, sur laquelle se taisent les chroniques latines, est attestée par un ancien rôle de la généalogie des seigneurs de Brunne. (Chron. anglo-norm., t. II, préface, p. XIV.)

[168] Matth. Paris., t. I, p. 7.

[169] Florent. Wigorn. Chron., p. 637.

[170] Hist. episc. dunelm. ; Anglia sacra., t. I, p. 703.

[171] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl.,. lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 277, ed. Savile.

[172] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl.,. lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 277, ed. Savile.

[173] Thomæ Eliensis, Hist. eliensis ; Anglia sacra, t. I, p. 612.

[174] Thomæ Eliensis, Hist. eliensis ; Anglia sacra, t. I, p. 612.

[175] John Stow's Annals, p. 114.

[176] Thomas Eliensis, Hist. eliensis. ; Anglia sacra, t I, p. 610.

[177] Hist. eliensis, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 501, ed. Gale.

[178] Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 227. — Matth. Paris., t. I, p. 7.

[179] Matth. Paris., t. I, p. 6 et 7.

[180] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 454, ed. Savile.

[181] Roger de Hoved., Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 454, ed. Savile.

[182] Monast. anglic., Dugdale, t. 1, p. 41. — Roger de Hoved., Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 454, ed. Savile.

[183] Voyez livre IV.

[184] Roger de Hoved., Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 424. — Voyez Dugdale's Baronage.

[185] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 531.

[186] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 532.

[187] Gest. pontific. cenomann., apud Script. rer. gailic. et francic., t. XII, p. 540.

[188] Gest. pontific. cenomann., apud Script. rer. gailic. et francic., t. XII, p. 540.

[189] Gest. pontific. cenomann., apud Script rer. gallic. et francic., t. XII, p. 540-552. — Voyez les Lettres sur l'histoire de France, lettre XIII et suivantes.

[190] Matth. Paris., t. I, p. 8.

[191] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 533. — Gest. pontific. cenomann., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 539-541.

[192] Chron. saxon., Fragm. sub auno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[193] Chron. saxon., Fragm. sub auno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[194] Chron. saxon., Fragm. sub auno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[195] Chron. saxon., Fragm. sub auno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[196] Chron. saxon., Fragm. sub auno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[197] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[198] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[199] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[200] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXXV, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem. — Willelrn. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 103, ed. Savile.

[201] Annales waverleienses, sub anno MLXXXVI, apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 133, ed. Gale.

[202] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 103, ed. Savile.

[203] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. Rer. normann., p. 520.

[204] Matt. Westmonast. Flor. histor., p. 229.

[205] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Sript. rer. normann., p. 520.

[206] Ealmeri Hist. nov., p. 57, ed. Selden.

[207] Ealmeri Hist. nov., p. 57, ed. Selden.

[208] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 105, ed. Savile.

[209] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 182.

[210] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 182.

[211] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 182. — Matth. Paris., t. I, p. 9.

[212] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 104, ed. Savile.

[213] Matth. Paris., t. I, p. 9.

[214] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534.

[215] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534. — Voyez livre III.

[216] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534.

[217] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534.

[218] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534.

[219] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534.

[220] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 534.

[221] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. apud Rer. anglic. Script., p. 104, ed. Savile.

[222] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 182.

[223] Script. rer. danic., t. III, p. 207. — Voyez livre IV.

[224] Vita Lanfranci ; Lanfranci Opera, p. 15.

[225] Lanfranci Opera, p. 321.

[226] Lanfranci Opera, p. 317.

[227] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script rer. normann., p. 535. — Matth. Paris., t. I, p. 9.

[228] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[229] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[230] Matth. Paris., t. I, p. 9.

[231] Matth. Paris., t. I, p. 9.

[232] Lanfranci Opera, p. 318.

[233] Lanfranci Opera, p. 318.

[234] Lanfranci Opera, p. 318.

[235] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[236] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[237] Alured. Beverlac. Annal. de gest. reg. britann., p. 134, ed. Hearne.

[238] Alured. Beverlac. Annal. de gest. reg. britann., p. 134, ed. Hearne.

[239] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[240] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[241] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 536.

[242] Voyez livre III.

[243] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 156.

[244] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 156.

[245] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann, p. 535.

[246] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 183.

[247] Domesday-book, vol. II, p. 117.

[248] Matth. Paris., t. I, p. 9. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 183.

[249] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 183. — Matth. Paris., t. I, p. 9.

[250] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, and Script. rer. Normann., p. 536.

[251] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, and Script. rer. Normann., p. 535.

[252] Johan. de Fordun Scoti-chronicon, lib. VI, p. 510, ed. Hearne. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, and Script. rer. Normann., p. 536.

[253] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 72, ed. Gale.

[254] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 72, ed. Gale.

[255] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 72, ed. Gale.

[256] Johan. de Fordun Scoti-chronicon, lib. VI, p. 509, ed. Hearne.

[257] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 536.

[258] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 536.

[259] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 536.

[260] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 536.

[261] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 536.

[262] Math. Paris., t. I, p. 9.

[263] Orderic. Vital. Hist. ecelesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 537. — Cæles Walthioti iarli, cap. CI ; Snorre's Heimsktingla, t. III, p. 169.

[264] Florent. Wigorn. Chron.. p. 639.

[265] Orderic. Vital. Hist. ecelesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 537.

[266] Orderic. Vital. Hist. ecelesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 537. — Vita et passio Waldevi comitis ; Chron. angto-norm., t. II, p. 119.

[267] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 72, ed. Gale. — Vita et passio Waldevi comitis ; Chron. anglo-norm., t. II, p. 118.

[268] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 73, ed. Gale.

[269] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 73, ed. Gale.

[270] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 73, ed. Gale.

[271] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 543.

[272] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 543.

[273] Domesday-book, vol. I, fol. 152, verso ; 202, recto ; 228, recto. ; — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., p. 72, ed. Gale.

[274] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., p. 72, ed. Gale.

[275] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., p. 72, ed. Gale.

[276] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., p. 73, ed. Gale.

[277] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 975, ed. Selden.

[278] Annales burtonienses, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 264, ed. Gale. — Matth. Paris., t. I, p. 20. — Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. II, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2368, ed. Selden.

[279] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Sript., t. I, col. 976, ed. Selden.

[280] Annal. burton., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 2E4, ed. Gale. — Chron. Johan. Bromton, apud. Hist. anglic. Script., t. I, col. 976, ed. Selden.

[281] Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. II, apud Hist. anglic. Script., t. col. 2368, ed. Selden.

[282] Matth. Paris., Vitæ abbatum S. Albani, t. I, p. 49.

[283] Henrici Knyghton, de Event. angl., lib. II, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2368, ed. Selden.

[284] Annal. burton., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 247, ed. Gale.