Depuis la bataille de Hastings jusqu'à la prise de Chester, dernière ville conquise par les Normands. 1066-1070Pendant que l'armée du roi des Anglo-Saxons et l'armée de l'envahisseur étaient en présence, quelques nouveaux vaisseaux, partis de Normandie, avaient traversé le détroit pour venir rejoindre la grande flotte mouillée dans la rade de Hastings. Ceux qui les commandaient abordèrent par erreur, à plusieurs milles de distance vers le nord, dans un lieu qui portait le nom de Rumeney, aujourd'hui Romney. Les habitants de la côte accueillirent les Normands comme des ennemis, et il y eut un combat où les étrangers furent vaincus[1]. Guillaume apprit leur défaite peu de jours après sa victoire, et, pour épargner un semblable malheur aux recrues qu'il attendait encore d'outre-mer, il résolut de s'assurer, avant tout, la possession des rivages du sud-est. Au lieu de s'avancer vers Londres, il rétrograda vers Hastings, et y demeura quelque temps, pour essayer si sa seule présence ne déterminerait pas la population de la contrée voisine à se soumettre volontairement. Mais personne ne venant pour demander la paix, le vainqueur se remit en route avec les restes de son armée et des troupes fraîches qui, dans l'intervalle, lui étaient arrivées de Normandie[2]. Il côtoya la mer, du sud au nord, dévastant tout sur son passage ; à Romney, il vengea, par le sac de la ville, la déroute de ses soldats[3] ; de là il marcha vers Douvres, la place la plus forte de toute la côte, celle dont il avait tenté autrefois de devenir maître, sans péril et sans combat, par le serment qu'il surprit à Harold. Le fort de Douvres, récemment achevé par le fils de Godwin dans de meilleures espérances, était situé sur un rocher baigné par la mer, naturellement escarpé, et qu'on avait encore taillé de toutes parts, avec beaucoup de travail, pour le rendre uni comme un mur. Les Normands n'eurent pas besoin d'en faire le siège ; l'approche du vainqueur de Hastings, avec toute son armée, intimida tellement ceux qui le gardaient qu'ils demandèrent à capituler. Mais pendant que les pourparlers avaient lieu à l'une des portes de la ville, les écuyers de l'armée normande s'y précipitèrent et y mirent le feu pour la piller ; beaucoup de maisons furent détruites, et les habitants reçurent l'ordre d'évacuer celles qui restaient debout[4]. Guillaume passa huit jours à Douvres pour y construire de nouveaux ouvrages de défense, puis, changeant de direction dans sa route, il cessa de longer la côte, et marcha sur la ville capitale[5]. L'armée normande s'avançait par la grande voie romaine que les Anglais nommaient Wetlinga-street, la même qui avait figuré tant de fois comme limite commune dans les partages de territoire entre les Saxons et les Danois[6]. Ce chemin conduisait de Douvres à Londres par le milieu de la province de Kent ; les envahisseurs, maîtres de la ville forte, qui était la clef du pays, ne rencontrèrent personne qui leur disputât le passage. En avant de Canterbury, les habitants de cette métropole et tous ceux des bourgs voisins vinrent d'eux-mêmes demander la paix et offrir des otages[7]. Ils jurèrent fidélité au duc Guillaume, sous la condition de rester après la conquête aussi libres qu'ils l'étaient auparavant, et le duc, qui voulait assurer sa route vers Londres, leur promit par serment tout ce qu'ils demandaient. Mais en traitant ainsi pour eux seuls et en séparant leur destinée de celle de la nation, les hommes de Kent firent une chose plus nuisible à la cause commune qu'avantageuse pour eux-mêmes, et ils ne tardèrent pas à l'éprouver. La ville de Canterbury, on ignore à quel moment, fut incendiée comme celle de Douvres, et sa cathédrale, atteinte par le feu, demeura longtemps en ruine[8]. Pourtant, la capitulation du pays de Kent, transformée plus tard en victoire par l'imagination du peuple, donna lieu à une de ces légendes qui sont, après les grandes défaites nationales, la consolation et comme la revanche des vaincus. On raconta que Guillaume, surpris dans une embuscade, avait traité, pour sauver sa vie, avec la population en armes sous la conduite de l'archevêque Stigand et de l'abbé du principal monastère de Canterbury, et, dans le récit populaire, on joignit à cette fiction celle d'une forêt mouvante, renouvelée des vieilles traditions du Nord[9]. Stigand, l'ami de Godwin et de Harold, le seul survivant de ceux qui avaient joué un grand rôle politique dans la dernière crise de la nationalité anglo-saxonne, ne se trouvait pas alors dans la province où l'on posait les armes, mais à Londres, où personne encore ne songeait à se soumettre. Les habitants de cette grande ville et les chefs qui s'y étaient réunis avaient résolu de livrer une seconde bataille, qui, bien préparée et bien conduite, devait, selon toute apparence, être plus heureuse que la première[10]. Mais il fallait un chef suprême, sous le commandement duquel toutes les forces et toutes les volontés fussent ralliées ; et le conseil national, qui devait nommer ce chef, tardait à rendre sa décision, agité et divisé qu'il était par des intrigues et des prétentions diverses. Aucun des frères du dernier roi, hommes capables de tenir dignement sa place, n'était revenu du combat de Hastings ; Harold laissait des fils encore très jeunes et trop peu connus du peuple : il ne parait point qu'on les ait proposés alors comme candidats à la royauté. Les candidats les plus puissants en renommée et en crédit étaient Edwin et Morkar, fils d'Alfgar, beaux-frères de Harold, chefs de la Northumbrie et de la Mercie. Ils avaient pour eux le suffrage de tous les hommes du nord de l'Angleterre ; mais les citoyens de Londres, les habitants du sud, et le parti mécontent du dernier règne, leur opposaient le jeune Edgar, neveu du roi Edward, qu'on surnommait Etheling, l'illustre, parce qu'il était de l'ancienne race royale[11]. Ce jeune homme, d'un caractère faible, et sans réputation acquise, n'avait pu balancer, un an auparavant, la popularité de Harold ; il balança celle des fils d'Alfgar, et fut soutenu contre eux par Stigand lui-même et par l'archevêque d'York Eldred[12]. Parmi les autres évêques, plusieurs ne voulaient pour roi ni Edgar, ni les compétiteurs d'Edgar, et demandaient qu'on se soumit à l'homme qui venait avec une bulle du pape et un étendard de l'Église[13]. Leur avis, tout sacerdotal, n'eut aucun poids ; faisant acte de volonté patriotique, le grand conseil arrêta son choix sur un Saxon, mais sur celui qui était le moins propre à commander dans les' circonstances difficiles, sur le jeune neveu d'Edward[14]. Il fut proclamé roi, après beaucoup d'hésitations, durant lesquelles un temps précieux fut perdit en disputes inutiles. Son avènement ne rallia point les esprits divisés ; Edwin et Morkar, qui avaient promis de se mettre à la tète des troupes rassemblées à Londres, rétractèrent cette promesse et se retirèrent dans leurs gouvernements du nord, emmenant avec eux les soldats de ces contrées, sur lesquels ils avaient tout crédit[15]. Ils espéraient follement pouvoir défendre les provinces septentrionales, séparément du reste de l'Angleterre. Leur départ affaiblit et découragea ceux qui restèrent à Londres auprès du nouveau roi ; l'abattement, fruit des discordes civiles, succéda au premier élan de patriotisme excité par l'invasion étrangère[16]. Pendant ce temps, les troupes normandes approchaient de plus en plus, et parcouraient en divers sens les provinces de Surrey, de liants, de Hertford et de Middlesex, pillant partout, brûlant les villages et massacrant les hommes en armes ou sans armes[17]. Cinq cents cavaliers s'avancèrent jusqu'au faubourg méridional de Londres, engagèrent le combat avec un corps de bourgeois qui se présenta devant eux, et incendièrent, dans leur retraite, les bâtiments situés sur la rive droite de la Tamise[18]. Jugeant, par cette épreuve, que la grande ville saxonne était disposée à se défendre, Guillaume, au lieu de s'en approcher et d'en faire le siège, se porta vers l'ouest et alla passer la Tamise au gué de Wallingford, dans la province de Berks. Il établit dans ce lieu un camp retranché, et y laissa des troupes pour intercepter les secours qui pourraient venir des provinces occidentales ; puis, se dirigeant vers le nord-est, il alla camper lui-même à Berkhamsted, dans la province de Hertford, pour interrompre également toute communication entre Londres et la contrée du nord, et prévenir le retour des fils d'Alfgar, s'ils se repentaient de leur inaction[19]. Par cette manœuvre, la capitale se trouva cernée ; de nombreux corps d'éclaireurs en ravageaient les environs et en arrêtaient les approvisionnements, sans livrer aucun combat décisif. Plus d'une fois, les habitants de Londres en vinrent aux mains avec les Normands ; mais, par degrés, ils se fatiguèrent, et furent vaincus, moins par la force de l'ennemi que par la crainte de la famine et par la pensée décourageante qu'ils étaient isolés de tout secours[20]. Il y avait dans la ville deux pouvoirs dont l'accord était nécessaire et difficile à maintenir, la cour du rouet la ghilde ou confrérie municipale des bourgeois[21]. La municipalité, pleinement libre, était régie par ses magistrats électifs, la cour avait pour chef l'officier du palais qu'on nommait staller, intendant[22]. Ce poste, à la fois civil et militaire, venait d'être rendu à l'homme qui l'avait exercé sous l'avant-dernier règne ; c'était un vieux guerrier, nommé Ansgar, que ses fatigues et ses blessures avaient paralysé des jambes, et qui se faisait porter en litière partout où son devoir l'appelait[23]. Guillaume l'avait rencontré, en 1051, à la cour du roi Edward ; il crut possible de le gagner à sa cause, et lui fit porter par un émissaire secret ses pro positions et ses offres, qui n'étaient rien moins, en cas de succès, que la lieutenance du royaume. On ne peut dire si Ansgar fut ébranlé par ces promesses, mais il les reçut avec réserve, et, gardant sur elles un secret absolu, il prit un parti qui devait le décharger du péril d'avoir avec l'ennemi des intelligences personnelles. De son chef ou d'accord avec les conseil- fers du roi, il réunit les principaux bourgeois de Londres, et, s'adressant à eux, par le nom que se donnaient mutuellement les membres de la corporation municipale[24] : Honorables frères, dit-il, nos ressources s'épuisent, la ville est menacée d'un assaut, et aucune année ne vient à son secours. Voilà notre situation ; mais quand la force est à bout, quand le courage ne peut plus rien, il reste l'adresse et la ruse ; je vous conseille d'y recourir. L'ennemi ne sait pas encore toutes nos souffrances ; profitons-en, et, si vous m'en croyez, envoyez-lui de bonnes paroles par un homme qui sache le tromper, qui feigne d'apporter votre soumission, et qui, en signe de paix, donne la main si on l'exige[25]. Ce conseil, dont il est difficile de juger l'à-propos et le mérite, plut aux chefs de la bourgeoisie comme venant d'un politique habile et d'un homme de guerre expérimenté. Ils se flattaient, à ce qu'il semble, d'obtenir une suspension d'hostilités, et de traîner les négociations en longueur jusqu'à l'arrivée d'un secours ; mais la chose tourna tout autrement. Le parlementaire envoyé pour jouer de ruses avec le duc Guillaume revint de son camp dupé par lui, chargé de présents et dévoué à sa cause[26]. Lorsqu'il parut devant les magistrats et les notables de la ville pour leur rendre compte de son message, une foule émue d'anxiété l'escortait et se pressait derrière lui. Son discours étrangement audacieux fut un éloge sans mesure du prétendant armé, où toutes les vertus royales lui étaient prêtées, et qui promettait en son nom paix, justice et obéissance aux vœux de la nation anglaise[27]. Ces paroles, si différentes des bruits répandus alors sur la dureté implacable du vainqueur de Hastings, loin de provoquer le cri de trahison, furent accueillies par la foule, sinon par les magistrats eux-mêmes, avec joie et confiance. Il y eut pour le parti de la paix et du duc de Normandie un de ces entraînements populaires auxquels rien ne résiste et que le repentir suit trop tard. Peuple et magistrats furent d'accord et résolurent par acclamation qu'on devait, sans attendre rien de plus, porter au duc Guillaume les clefs de la ville[28]. La cour du jeune roi Edgar, sans armée, sans libre communication au dehors, était incapable de maîtriser les dispositions de la bourgeoisie, et de la forcer à courir les hasards d'une résistance désespérée. Ce gouvernement, né au milieu du désordre, et qui, malgré sa popularité, manquait des ressources les plus ordinaires, se vit contraint de déclarer qu'il n'existait plus. Le roi lui-même, accompagné des archevêques Stigand et Eldred, et de Wulstan, évêque de Worcester, plusieurs chefs de haut rang et les premiers d'entre les bourgeois de Londres, vinrent au camp de Berkhamsted et y firent leur soumission. Ils livrèrent des otages au duc de Normandie, lui prêtèrent le serment de fidélité ; et, en retour, le duc leur promit, sur sa foi, d'être pour eux un bon seigneur[29]. Alors il marcha vers Londres, et, malgré ses promesses, laissa tout dévaster dans son chemin[30]. Sur la route de Berkhamsted à Londres, se trouvait un riche monastère, appelé l'abbaye de Saint-Alban, construit près des ruines d'une ancienne ville municipale romaine. En approchant des terres de ce couvent, Guillaume remarqua avec surprise de grands abatis d'arbres disposés pour intercepter le passage ou pour le rendre difficile. Il fit venir devant lui l'abbé de Saint-Alban, Frithrik, l'un des hommes que le roi Harold avait le plus aimés[31]. Pourquoi, lui demanda le conquérant, as-tu fait couper ainsi tes bois ? — J'ai fait mon devoir, répondit le moine saxon ; et si tous ceux de mon ordre eussent agi de même, comme ils le pouvaient et le devaient, peut-être n'aurais-tu pas pénétré aussi avant dans notre pays[32]. Guillaume n'alla point jusqu'à Londres ; mais, s'arrêtant à la distance de quelques milles, il fit partir un nombreux détachement de soldats chargés de lui construire, au sein de la ville, une forteresse pour sa résidence[33]. Pendant qu'on hâtait ces travaux, le conseil de guerre des Normands discutait, dans le camp près de Londres, les moyens d'achever promptement la conquête commencée avec tant de bonheur[34]. Les amis familiers de Guillaume disaient que, pour rendre moins âpres à la résistance les habitants des provinces encore libres, il fallait que, préalablement à toute invasion ultérieure, le chef de la conquête prit le titre de roi des Anglais[35]. Cette proposition était sans doute la plus agréable au duc de Normandie ; mais, toujours circonspect, il feignit d'y être indifférent. Quoique la possession de la royauté fût l'objet de son entreprise, il parait que de graves motifs l'engagèrent à se montrer moins ambitieux qu'il ne l'était d'une dignité qui, en l'attachant à la nation vaincue, devait jusqu'à un certain point séparer sa fortune de celle de ses compagnons d'armes. Guillaume s'excusa modestement, et demanda au moins quelque délai, disant qu'il n'était pas venu en Angleterre pour son intérêt seul, mais pour celui de toute sa nation et des braves qui l'avaient suivi ; que, d'ailleurs, si Dieu voulait qu'il devint roi, le temps de prendre ce titre n'était pas arrivé pour lui, parce que trop de provinces et trop d'hommes restaient encore à soumettre[36]. La majorité des chefs normands inclinait à prendre à la lettre ces scrupules et cette réserve, et à décider qu'en effet il n'était pas temps de faire un roi, lorsqu'un capitaine de bandes auxiliaires, Aimery de Thouars, à qui la royauté de Guillaume devait porter moins d'ombrage qu'aux barons de Normandie, prit vivement la parole, et dit : C'est trop de modestie que de s'informer si des gens de guerre veulent que leur seigneur soit roi ; on n'appelle point des soldats à une discussion de cette nature, et d'ailleurs nos débats ne servent qu'à retarder ce que nous souhaitons tous de voir s'accomplir sans délai[37]. Ceux d'entre les Normands qui, après les feintes excuses de Guillaume, auraient osé opiner dans le même sens que leur duc, furent d'un avis tout contraire lorsque le Poitevin eut parlé, de crainte de paraître moins fidèles et moins dévoués que lui au chef commun. Ils décidèrent donc unanimement qu'avant de pousser plus loin la conquête, le duc Guillaume se ferait couronner roi d'Angleterre avec le cérémonial ordonné par la coutume du pays. La soumission du jeune Edgar, des chefs anglais et des bourgeois de Londres était considérée par Guillaume comme une reconnaissance de son droit à la royauté. Il avait maintenant à recevoir la consécration religieuse, et il comptait que cette grande cérémonie attirerait vers lui l'esprit du peuple et l'aiderait à tout pacifier[38]. Suivant l'ancien usage, le sacre du nouveau roi devait être fait à Londres par le premier des métropolitains, l'archevêque de Canterbury. Stigand, l'homme décoré de ce titre, et, en même temps, l'homme le plus puissant de l'Angleterre par son crédit et ses richesses, obéissant à la nécessité, s'était soumis avec les autres. Guillaume affectait envers lui de grands égards et une courtoisie particulière ; il ne lui faisait rien sentir des effets de l'interdiction portée contre lui par le pape ; il le nommait son père et il en recevait le nom de fils ; mais, sous ces paroles mutuellement affectueuses, il n'y avait d'une part et de l'autre que défiance et aversion[39]. Le vainqueur des Anglais voulait en même temps deux choses contradictoires : ménager l'archevêque Stigand, qu'il jugeait dangereux pour sa cause et dont l'interdiction n'était pas admise en Angleterre, et ne pas mécontenter le pape, dont l'alliance intime était une partie de sa force. Pour sortir d'embarras, il eut recours, dit un vieil historien, à l'astuce qui lui était familière. Évitant de donner son avis dans la question de discipline ecclésiastique, il se tint à l'écart et fit intervenir, à prix d'argent, de faux mandataires du Saint-Siège qui se disaient chargés de mettre opposition au sacre, s'il était célébré par Stigand[40]. L'archevêque de Canterbury, dupe ou non de ce stratagème, fut contraint de céder sur son droit, et l'on décida que le métropolitain d'York, Eldred, officierait à la cérémonie, l'autre métropolitain jouissant du reste de tous les honneurs dus à son rang[41]. C'est ainsi que les choses se passèrent ; mais la masse du peuple anglais accueillit une autre version des mêmes faits, moins réelle et plus patriotique. On dit, et la tradition répéta, que Stigand, invité à sacrer le nouveau roi, avait refusé son ministère, déclarant qu'il ne voulait pas imposer les mains à un homme couvert du sang des hommes et envahisseur des droits d'autrui[42]. Le lieu désigné pour la cérémonie du couronnement fut l'église royale de Saint-Pierre, qu'on appelait alors et qu'on appelle encore aujourd'hui le monastère de l'Ouest[43]. L'église fut préparée et ornée comme aux anciens jours où, après le vote libre des meilleurs hommes de l'Angleterre[44], le roi de leur choix venait s'y présenter pour recevoir l'investiture du pouvoir qu'ils lui avaient déféré. Mais cette élection nationale n'avait point eu lieu pour Guillaume ; son titre était le droit du plus fort. Il sortit de son camp près de Londres, et marcha, entre deux haies de soldats étrangers, au monastère, où l'attendaient les chefs et les prélats saxons, tristes et confus de ce qu'ils allaient faire, ou s'étourdissant eux-mêmes par la pompe et le bruit du jour, et affectant un air de liberté dans leur lâche et servile office. Toutes les avenues de l'église, les places et les rues du faubourg étaient remplies de cavaliers en armes, qui avaient ordre d'agir hostilement au moindre signe d'émeute ou de trahison[45]. Les feudataires normands, comtes ou barons, évêques ou abbés, et les autres chefs de l'armée, se trouvaient déjà dans l'église ou y entrèrent avec le duc. Quand s'ouvrit la cérémonie, Geoffroy, évêque de Coutances, montant sur une estrade, demanda, en langue française, aux Normands, s'ils étaient tous d'avis que leur seigneur prit le titre de roi des Anglais, et, en même temps, l'archevêque d'York demanda aux Anglais, en langue saxonne, s'ils voulaient pour roi le duc de Normandie[46]. Alors il s'éleva dans l'église des acclamations si bruyantes, qu'elles retentirent hors des portes jusqu'à l'oreille des cavaliers qui remplissaient les rues voisines. Ils prirent ce bruit confus pour un cri d'alarme, et, dans le premier trouble, soit par imprudence, soit par suite d'une consigne secrète, ils mirent le feu aux maisons[47]. Plusieurs s'élancèrent dans l'église, et, à la vue de leurs épées nues et des lueurs de l'incendie, tous les assistants se dispersèrent, hommes et femmes, Normands et Saxons[48]. Les uns couraient sans savoir d'autres allaient au feu pour l'éteindre, d'autres, comme à Douvres, pour faire du butin dans le désordre[49]. La cérémonie lut suspendue par ce tumulte, et il ne resta pour l'achever en toute hâte que le duc, l'archevêque Eldred, les évêques, et quelques prêtres des deux nations. Tout tremblants, ils reçurent de celui qu'ils faisaient roi et qui, selon un ancien récit, tremblait comme eux, le serinent de traiter le peuple anglais aussi bien que le meilleur des rois que ce peuple avait librement élu[50]. Dès le lendemain de ce jour, la ville de Londres eut lieu d'apprendre ce que valait un tel serinent dans la : bouche d'un étranger vainqueur : on imposa aux citoyens un énorme tribut, et cette levée d'argent, que les chroniques saxonnes qualifient de cruelle, fut faite sur les riches Anglais, à titre de don volontaire, pour le joyeux avènement du nouveau roi[51]. Guillaume lui-même semblait ne pas croire que la bénédiction de l'archevêque Eldred et quelques acclamations eussent fait de lui un roi d'Angleterre dans le sens légal de ce mot, et il se rangeait à sa vraie place par l'attitude de défiance et d'hostilité qu'il gardait vis-à-vis du peuple. Il n'osa point encore s'établir dans Londres ni habiter le château crénelé qu'on lui avait construit à la hâte. Il sortit pour attendre dans la campagne voisine que ses ingénieurs eussent donné plus de solidité à cet ouvrage, et jeté les fondements de deux forteresses, pour réprimer, dit un historien normand, l'esprit mobile d'une population nombreuse et fière[52]. Durant les jours que le nouveau roi passa à sept milles de Londres, dans un lieu appelé Barking, les deux chefs saxons dont la fatale retraite avait amené la reddition de la grande ville, effrayés de la puissance que la possession de Londres et le titre de roi donnaient à l'envahisseur, vinrent du nord lui demander grâce et lui jurer fidélité[53]. Mais la soumission d'Edwin et de Morkar n'entraina point celle des provinces dont ils étaient gouverneurs, et l'armée normande ne se porta point en avant pour aller occuper ces provinces ; elle resta cantonnée autour de Londres et sur les côtes du sud et de l'est, les plus voisines de la Gaule. Le soin de partager les richesses du territoire envahi l'occupait alors presque uniquement. Des commissaires parcouraient toute l'étendue de pays où l'armée avait laissé des garnisons, et ils y faisaient un inventaire exact des propriétés de toute espèce, publiques ou particulières[54]. Ils les enregistraient avec soin et en grand détail, car la nation normande se montrait déjà, comme on l'a vu depuis, extrêmement prodigue d'écritures, d'actes et de procès-verbaux. On s'enquérait des noms de tous les Anglais morts en combattant, ou qui avaient survécu à la défaite, ou que des retards involontaires avaient empêchés de se rendre sous les drapeaux. Tous les biens de ces trois classes d'hommes, terres, revenus, meubles, étaient saisis[55] : les enfants des premiers étaient déclarés déshérités à tout jamais ; les autres étaient pareillement dépossédés sans retour ; et eux-mêmes, dit le vieux narrateur, sentaient qu'en leur laissant la vie, l'ennemi faisait beaucoup pour eux[56]. Quant aux hommes qui n'avaient point pris les armes, ils furent aussi dépouillés de tout, comme ayant eu l'intention de les prendre : mais, par grâce, on leur laissa l'espoir qu'après des années d'obéissance et de dévouement à la puissance étrangère, non pas eux, mais leurs fils obtiendraient des maîtres du pays une portion plus ou moins grande de l'héritage paternel[57]. Telle fut la loi de la conquête, selon le témoignage non suspect d'un homme presque contemporain et issu de la race des conquérants[58]. L'immense produit de cette spoliation universelle fut la solde des aventuriers de tout pays qui s'étaient enrôlés sous la bannière du duc de Normandie. Leur chef, le nouveau roi des Anglais, retint, pour sa part en choses mobilières, le trésor des anciens rois, l'orfèvrerie des églises et ce qu'on trouva de plus précieux dans les maisons des nobles et les magasins des marchands[59]. Guillaume envoya au pape Alexandre II, avec une portion de ces richesses, l'étendard de Harold richement brodé, comme retour d'un-pareil don et comme trophée d'une victoire qu'à Rome on souhaitait vivement[60]. Toutes les églises d'outre-mer où l'on avait prié et fait des vœux pour le succès de l'invasion reçurent, en récompense, des vases d'or, des croix du même métal, ornées de pierreries, des ornements d'une grande valeur et des sommes d'argent considérables[61]. La Normandie, ses cathédrales, ses monastères et ses hospices d'indigents eurent de droit le meilleur lot dans cette pieuse distribution des premiers gains de la conquête[62]. Après la part du roi et du clergé, on fit celle des hommes de guerre, selon leur grade et les conditions de leur engagement. Ceux qui, au camp sur la Dive, avaient fait hommage pour des terres, alors à conquérir, reçurent celles des Anglais dépossédés[63] ; les comtes et les barons eurent de vastes domaines, des châteaux, des bourgades, des villes entières ; les chevaliers et les simples vassaux eurent des fiefs proportionnés à leur grade[64]. Quelques-uns prirent leur solde en argent ; d'autres avaient stipulé d'avance qu'ils auraient une femme saxonne, et Guillaume, dit la chronique normande, leur fit prendre, par mariage, de nobles dames, héritières de grands biens, dont les maris étaient morts dans la bataille. Un seul, parmi les hommes venus à la suite du conquérant, ne voulut rien accepter de la dépouille des vaincus. C'était un Normand, de condition noble, appelé Goubert, fils de Richard : il dit qu'il avait accompagné son seigneur en Angleterre, pour remplir les devoirs d'un vassal, mais que le bien d'autrui ne le tentait pas ; qu'il retournerait dans son pays et se contenterait de l'héritage modeste qu'il y possédait légitimement[65]. Le nouveau roi employa les derniers mois de l'hiver qui termina l'année 1066 à faire une sorte de promenade militaire dans les provinces alors envahies. Il est difficile de déterminer exactement le nombre de ces provinces et l'étendue de pays que les troupes étrangères Occupaient et parcouraient librement. Toutefois, en examinant avec soin les récits des chroniqueurs, on trouve des preuves, tout au moins négatives, que les Normands ne s'étaient point avancés, dans la direction du nord-est, au delà des rivières dont l'embouchure forme le golfe de Boston, et vers le sud-ouest, au delà des terres montagneuses qui bordent la province de Dorset. La ville d'Oxford, située presque à distance égale de ces deux points opposés, sur la ligne droite tirée de l'un à l'autre, ne s'était point encore rendue, mais peut-être cette frontière idéale avait-elle été dépassée, soit au nord soit au midi d'Oxford. Il est également difficile de le nier ou de l'affirmer, et de fixer à un instant précis la limite d'un envahissement toujours en progrès. L'espace de terre possédé par Guillaume effectivement, et non d'une manière nominale, en vertu de son titre de roi, fut en peu de temps hérissé de citadelles et de châteaux forts, cantonnements des troupes étrangères[66]. Tous les indigènes y furent désarmés et contraints de jurer obéissance et fidélité au nouveau chef suprême imposé par la lance et l'épée. Ils jurèrent ; mais au fond de leur cœur, ils ne croyaient pas que le conquérant fût roi légitime ; et, à leurs yeux, le véritable roi d'Angleterre, c'était encore le jeune Edgar, tout déchu et captif qu'il était. Les moines du couvent de Peterborough, dans la, province de Northampton, en donnèrent la preuve. Ayant perdu leur abbé Leofrik, revenu mortellement blessé de la bataille de Hastings, ils choisirent pour lui succéder leur prévôt, nommé Brand ; et, comme la règle voulait que l'élection fût approuvée par le chef du pays, ils envoyèrent Brand vers Edgar. Selon la chronique du monastère, ils firent cette démarche, parce que les habitants de la contrée pensaient qu'Edgar deviendrait roi[67]. Dès que le bruit en parvint aux oreilles du roi Guillaume, sa colère fut au comble ; il voulait châtier rudement ceux qui lui avaient fait cette offense, mais ses propres amis intervinrent, et il pardonna en acceptant une somme de quarante marcs d'or[68]. Toutefois, la trêve ne fut pas longue entre le roi de la conquête et le couvent de Peterborough : Bientôt, dit le narrateur contemporain, tous les maux et toutes les douleurs ont fondu sur notre maison. Que Dieu daigne avoir pitié d'elle[69]. Cette prière d'un moine saxon pouvait être celle de tout habitant des provinces conquises ; car chacun y avait largement sa part de douleurs et de misères : pour les hommes, c'était la ruine et la servitude ; pour les femmes, c'étaient les affronts et les violences, plus cruelles que tout le reste. Celles qui ne furent pas prises par mariage le furent par amours, comme on disait dans le langage des vainqueurs[70], et devinrent le jouet des soldats étrangers, dont le dernier et le plus vil était seigneur et maitre dans la maison du vaincu. D'ignobles valets d'armes, de sales vauriens, dit un auteur du temps, disposaient, à leur fantaisie, des plus nobles filles, et ne leur laissaient qu'à pleurer et à souhaiter la mort[71]. Ces misérables effrénés s'émerveillaient d'eux-mêmes, ils devenaient fous d'orgueil et de surprise, de se voir si puissants, d'avoir des serviteurs plus riches que n'avaient jamais été leurs pères ; tout ce qu'ils voulaient, ils se le croyaient permis[72]. Tel fut le spectacle donné au monde par une conquête chrétienne, et tel fut le sort qui s'étendit sur les hommes de race anglaise, à mesure que la bannière aux trois lions avança sur leurs campagnes et fut arborée dans leurs villes[73]. Mais cette destinée, partout également dure, prit des apparences diverses, selon la diversité des lieux. Les villes ne furent point frappées comme les campagnes ; telle ville ou telle campagne le fut différemment de telle autre ; autour d'un fond commun de misères, si l'on peut s'exprimer ainsi, il y eut des formes variées et cette multiplicité d'accidents qu'offrent toujours les choses humaines. Toute la contrée voisine de Hastings avait souffert de telles dévastations que, vingt ans après, les domaines ruraux n'y produisaient aucun revenu. La ville de Douvres, à demi consumée par l'incendie, entra dans le partage d'Eudes, évêque de Bayeux, qui ne put, disent les vieux actes, en savoir au juste la valeur, parce qu'elle était trop dévastée[74]. Il en distribua les maisons à ses vassaux et à ses gens ; Raoul de Courbespine en reçut trois avec le champ d'une femme pauvre[75] ; Guillaume, fils de Geoffroy, eut aussi trois maisons dont l'une était l'ancien hôtel de la Ghilde ou corporation municipale[76]. Près de Colchester, dans la province d'Essex, Geoffroy de Mandeville occupa seul quarante manoirs ou habitations entourées de terres en culture ; quatorze propriétaires saxons furent dépossédés par Engelry, et trente par un certain Guillaume. Un riche Anglais se remit, pour sa sûreté, au pouvoir du Normand Gaultier, qui en fit son tributaire[77] ; un autre Anglais devint serf de corps sur la glèbe de son propre champ[78]. Dans la province de Suffolk, un chef normand s'appropria les terres d'une Saxonne nommée Edive la belle[79]. La cité de Norwich passa tout entière dans le domaine privé du conquérant : elle avait payé aux rois saxons trente livres et vingt sous d'impôt ; mais Guillaume exigea par an soixante-dix livres, un cheval de prix, cent sous au profit de la reine sa femme, et, en outre, vingt livres pour le salaire de l'officier qui y commandait en son nom[80]. Une forte citadelle fut bâtie au sein de cette ville habitée par des hommes d'origine danoise, parce que les vainqueurs craignaient qu'elle n'appelât et ne reçût du secours des Danois qui croisaient souvent près de la côte[81]. Dans la ville de Dorchester, au lieu de cent soixante-douze maisons qu'on y avait vues du temps du roi Edward, on n'en comptait plus que quatre-vingt-huit ; le reste était en ruine ou avait servi de matériaux pour la construction d'une forteresse ; à Warham, sur cent trente trois maisons, soixante-trois disparurent de même[82] ; à Bridport, vingt maisons furent tellement ruinées, qu'on cessa de les compter au nombre de celles qui payaient l'impôt[83]. L'île de Wight, près de la côte du sud, fut conquise par Guillaume, fils d'Osbern, sénéchal du roi normand, et devint une portion de ses vastes domaines en Angleterre[84]. Il la transmit à son fils ; puis elle échut à son petit-neveu Baudoin, appelé en. Normandie Baudoin de Reviers, et qu'en Angleterre on surnomma Baudoin de l'île. Près de Winchester, dans la province de Fiants, se trouvait le monastère de Hida, dont l'abbé, accompagné de douze moines et de vingt hommes d'armes, était allé à la bataille de Hastings et n'en était point revenu[85]. La vengeance que le conquérant exerça contre ce monastère fut mêlée d'une sorte de plaisanterie ; il prit sur les domaines du couvent douze fois la portion de terre suffisante pour solder et entretenir un homme d'armes, ou, selon le langage du temps, douze fiefs de chevaliers, avec une portion de capitaine, ou un fief de baron, comme rançon du crime des treize religieux qui avaient combattu contre lui[86]. Un autre fait qu'on peut citer parmi les joyeusetés de la conquête, c'est qu'une jongleresse, appelée Adeline, figure sur le rôle de partage dressé pour la même province, comme ayant reçu fief et salaire de Roger, l'un des comtes normands[87]. Dans la province de Hertford, un Anglais avait racheté sa terre par le payement de neuf onces d'or[88] ; et cependant, pour échapper à une dépossession violente, il fut obligé de se rendre tributaire d'un soldat appelé Vigot. Trois guerriers saxons, Thurnoth, Waltheof et Thurman, associés. en fraternité d'armes, possédaient auprès de Saint-Alban un manoir qu'ils avaient reçu de l'abbaye à condition de la défendre par l'épée, s'il en était besoin[89]. Ils remplirent fidèlement cet office jusqu'au temps de l'invasion normande ; alors, sommés de se rendre et ne le voulant pas, ils abandonnèrent leur domaine. Le sort fit tomber ce domaine dans la part de conquête d'un noble baron, appelé Roger de Toëny, qui eut bientôt à défendre lui-même ses possessions nouvelles contre les Saxons dépossédés. Ceux-ci, réfugiés dans les forêts voisines, y rassemblèrent une troupe de gens expropriés comme eux, et attaquant à l'improviste les Normands établis sur leurs terres, ils en tuèrent plusieurs, mirent le feu aux maisons qu'ils occupaient, mais ne réussirent point à les chasser[90]. Ces faits, pris au hasard entre des centaines d'autres, suffisent pour que le lecteur se figure les scènes tristes, mais variées, qu'offraient en même temps plusieurs provinces anglaises du sud et de l'est, tandis que le roi normand s'installait dans la Tour de Londres. Cette forteresse, construite à l'un des angles du mur de la ville, vers l'orient, près de la Tamise, reçut alors le nom de Tour Palatine, nom formé d'un vieux titre romain que Guillaume portait en Normandie, conjointement avec ceux de duc ou de comte. Deux autres forteresses, bâties à l'occident, et confiées à la garde des Normands Baynard et Gilbert de Montfichet, prirent chacune le nom de leurs gardiens[91]. La bannière aux trois lions fut arborée sur le donjon de Guillaume, et sur les deux autres flottèrent celles de Baynard et de Montfichet. Mais ces capitaines avaient tous deux juré d'en faire descendre leurs drapeaux, et d'y élever celui du roi, leur seigneur, à son premier commandement, à son commandement p.roféré avec colère ou sans colère, soutenu par grande ou petite force, pour cause de délit ou sans délit, comme s'énonce la formule de droit féodal. Avant de faire, au bruit des trompettes, leur entrée dans leurs tours et de les garnir de leurs hommes de service, ils avaient mis leurs mains entre les mains du roi Guillaume, et s'étaient reconnus eux-mêmes pour ses hommes de service et de foi. Ce qu'ils jurèrent au chef de la conquête, d'autres le leur jurèrent aussi, et d'autres encore firent à ces derniers le même serment de foi et d'hommage. Ainsi la troupe des conquérants, quoique éparse et disséminée sur le territoire des vaincus, resta unie par une grande chaîne de devoirs, et garda la même ordonnance qu'à son départ de Normandie ou dans son camp près de Hastings. Le subalterne devait foi et service à son supérieur militaire, ou à celui dont il avait reçu en fief soit des terres, soit de l'argent. Sous cette condition, les mieux partagés dans les différents gains de la conquête donnèrent une part de leur superflu à ceux qui avaient eu moins de bonheur. Les chevaliers reçurent des barons, et les simples hommes d'armes de leurs capitaines ; à leur tour les hommes d'armes donnèrent aux écuyers, les écuyers aux sergents, les sergents aux archers et aux valets. En général, les riches donnèrent aux pauvres ; mais les pauvres devinrent bientôt riches des profits croissants de l'invasion, et, parmi ces classes de combattants et de feudataires que le langage du siècle distinguait[92], il y eut une grande mobilité, parce que les chances de la guerre portaient rapidement les hommes des derniers rangs vers les premiers[93]. Tel qui avait passé la mer avec la casaque matelassée et l'arc de bois noirci du piéton, parut sur un cheval de bataille, et ceint du baudrier militaire, aux yeux des nouvelles recrues qui arrivèrent après lui. Tel était venu pauvre chevalier, qui bientôt leva bannière, comme on s'exprimait alors, et conduisit une compagnie dont le cri de ralliement était son nom. Les bouviers de Normandie et les tisserands de Flandre, avec un peu de courage et de bonheur, devenaient promptement, en Angleterre, de hauts hommes, d'illustres barons ; et leurs noms, vils ou obscurs sur l'une des rives du détroit, étaient nobles et glorieux sur l'autre. Voulez-vous savoir, dit un
vieux rôle en langue française, quels sont les noms
des grands venus d'outre-mer avec le conquérant, Guillaume à la grande
vigueur[94] ? Voici leurs surnoms comme on les trouve écrits, mais
sans leurs noms de baptême, qui souvent manquent ou sont changés : c'est Mandeville
et Dandeville, Omfreville et Domfreville, Bouteville et Estouteville, Moyon
et Boyon, Biset et Basset, Malin et Malvoisin... Tous les noms qui
suivent sont pareillement rangés de façon à soulager la mémoire par la rime et
l'allitération. Plusieurs listes du même genre et disposées avec le même art
se sont conservées jusqu'à nos jours ; on les trouvait jadis inscrites sur de
grandes pages de vélin dans les archives des églises, et décorées du titre de
livres des conquereurs 1[95]. Dans l'une de
ces listes, les noms sont disposés par groupes de trois : Bastard, Brassard,
Baynard ; Bigot, Bagot, Talbot ; Toret, Trivet, Bouet ; Lucy, Lacy, Perey... Un
autre catalogue des conquérants de l'Angleterre, longtemps gardé dans le
trésor du monastère de la Bataille, contenait des noms d'une physionomie
singulièrement basse et bizarre, comme Bonvilain et Boutevilain, Ti'ousselot
et Troussebout, l'Engayne et Longue-Épée, Œil-de-bœuf et Front-de-bœuf ...
Enfin des actes authentiques désignent comme chevaliers normands en
Angleterre un Guillaume le charretier, un Hugues le tailleur, un Guillaume le
tambour[96]
; et parmi les surnoms de cette chevalerie rassemblée de tous les coins de la
Gaule figurent un grand nombre de simples noms de villes et de pays :
Saint-Quentin, Saint-Maur, Saint-Denis, Saint-Malo, Tournai, Verdun, Fismes,
Châlons[97],
Chaunes, Étampes, Rochefort, la
Rochelle, Cahors[98], Champagne,
Gascogne... Tels furent ceux qui apportèrent en Angleterre le titre de
gentilhomme[99],
et l'y implantèrent a main armée pour eux et pour leurs descendants. Les valets de l'homme d'armes normand, son écuyer, son porte-lance, furent gentilshommes sur le sol anglais. Ils devinrent tout à coup nobles à côté du Saxon autrefois riche et noble lui-même, maintenant courbé sous l'épée de l'étranger, expulsé de la maison de ses aïeux, n'ayant pas où reposer sa tête[100]. Cette noblesse naturelle et générale de tous les vainqueurs croissait en raison de l'autorité ou de l'importance personnelle de chacun d'eux. Après la noblesse du roi normand, unique entre toutes, venait celle du gouverneur de province, qui portait le titre de comte ; après la noblesse du comte venait celle de son lieutenant, appelé vice-comte ou vicomte ; ensuite celle des gens de guerre, suivant leurs grades, barons, chevaliers, écuyers ou sergents, nobles inégalement, mais tous nobles par le droit de leur victoire commune et de leur naissance étrangère. Avant de marcher à la conquête des provinces du nord et de l'ouest, Guillaume, par des raisons difficiles à bien déterminer, voulut repasser la mer et visiter son pays natal. Peut-être avait-il hâte de se montrer à ses compatriotes, entouré de la pompe d'un roi et des trophées de sa victoire ; peut-être aussi une passion moins noble, mêlée d'inquiétude sur l'avenir, lui faisait-elle désirer de mettre en sûreté, hors de l'Angleterre, les richesses qu'il avait enlevées aux provinces déjà conquises[101]. Près de s'embarquer pour retourner en Normandie, il confia la lieutenance de son pouvoir royal à son frère Eudes, évêque de Bayeux, et à Guillaume, fils d'Osbern. A ces deux vice-rois furent adjoints d'autres seigneurs de marque, comme aides et comme conseillers : Hugues de Grantmesnil, Hugues de Montfort, Gaultier Giffard et Guillaume de Garenne[102]. Ce fut à Pevensey que se rendit le nouveau roi, afin de s'embarquer au lieu même où il était venu aborder six mois auparavant ; plusieurs vaisseaux l'y attendaient, pavoisés en signe de joie et de triomphe[103]. Un grand nombre d'Anglais s'y étaient rendus par son ordre, pour passer le détroit avec lui[104]. On remarquait parmi eux le roi Edgar, l'archevêque Stigand, Frithrik, abbé de Saint-Alban, les deux frères Edwin et Morkar, et Waltheof, fils de Siward, qui n'avait pu combattre à la journée de Hastings. Ces hommes, et plusieurs autres que le vainqueur emmenait aussi, devaient lui servir d'otages et de garants du repos des Anglais, et il espérait d'ailleurs que, privée, par leur absence, de ses chefs les plus puissants et les plus populaires, cette nation serait moins remuante et moins hardie à se soulever[105]. Dans le port où pour la première fois il avait mis le pied en Angleterre, le conquérant distribua des présents de toute espèce à ceux de ses gens d'armes qui repassaient la mer, afin, dit un historien normand, que nul à son retour ne prit dire qu'il n'avait pas gagné à la conquête[106]. Guillaume, ajoute le même auteur, son chapelain et son biographe, apporta en Normandie plus d'or et d'argent que n'en pourrait lever celui qui serait maître du territoire entier de la Gaule[107]. Toute la population des villes et des campagnes, depuis la mer jus. qu'a Rouen, accourut sur son passage, et le salua de vives acclamations. Les monastères et le clergé séculier rivalisèrent d'efforts et de zèle pour fêter le vainqueur des Anglais, et ni moines ni prêtres ne restèrent sans récompense. Guillaume leur donna de l'or en monnaie, en vases et en lingots, et des étoffes richement brodées qu'ils étalèrent dans les églises, où elles excitaient l'admiration[108]. L'Angleterre excellait alors dans la broderie d'or et d'argent et dans tous les ouvrages de luxe ; en outre, la navigation de ce pays, déjà fort étendue, y portait beaucoup d'objets rares et précieux inconnus en Gaule[109]. Un parent du roi de France, nommé Raoul, vint, avec une suite nombreuse, à la cour tenue par le roi Guillaume durant la solennité pascale[110]. Les Français, non moins que les Normands, considéraient avec un plaisir mêlé de surprise la vaisselle ciselée, d'or et d'argent, et les coupes à boire des Saxons, faites de grandes cornes de buffle garnies de métal aux deux extrémités[111]. Ils s'émerveillaient de la beauté et de la longue chevelure des jeunes Anglais, otages du roi normand[112]. Ils remarquèrent, dit le narrateur contemporain, ces choses et beaucoup d'autres également nouvelles pour eux, afin de les raconter dans leurs pays[113]. Pendant que cet appareil de fête était déployé sur l'une des rives du détroit, sur l'autre l'insolence des vainqueurs se faisait sentir à la nation subjuguée. Les chefs qui gouvernaient les provinces conquises accablaient à l'envi les indigènes, soit gens de haut rang, soit gens du peuple, d'exactions, de tyrannies et d'outrages[114]. L'évêque Eudes et le fils d'Osbern, orgueilleux de leur nouvelle puissance, méprisaient les plaintes des opprimés, et leur refusaient toute justice[115] ; si leurs hommes d'armes pillaient les maisons ou ravissaient les femmes des Anglais, ils les soutenaient et frappaient sur le malheureux qui, atteint par ces injures, osait s'en plaindre tout haut[116]. L'excès de la souffrance poussa les habitants de la côte de l'est à tenter de s'affranchir du joug des Normands, à l'aide d'un secours étranger. Eustache, comte de Boulogne, le même qui, sous le règne d'Edward, avait occasionné tant de tumulte en Angleterre[117], était alors en discorde et en inimitié avec le roi Guillaume, qui retenait son fils prisonnier. La haine du roi normand rapprocha les Anglais de cet homme qui avait été naguère un de leurs plus grands ennemis ; ils connaissaient sa puissance et son habileté à la guerre, ils voyaient eu lui un allié naturel à cause de sa parenté avec le roi Edward, et, s'il leur fallait maintenant obéir à un étranger, ils aimaient mieux que ce fût à lui qu'à tout autre[118]. Les habitants du pays de Kent envoyèrent donc un message à Eustache, et lui promirent de l'aider à s'emparer de Douvres, s'il voulait faire une descente et les secourir contre les Normands. Le comte de Boulogne y consentit, et, armant plusieurs vaisseaux chargés de troupes d'élite, il mit à la voile et aborda près de Douvres à la faveur d'une nuit obscure. Tous les Saxons de la contrée se levèrent en armes : Eudes de Bayeux, gouverneur de la ville, et son lieutenant, Hugues de Montfort, s'étaient rendus au delà de la Tamise avec une partie de leurs soldats. Si le siège eût duré seulement deux jours, les habitants des provinces voisines seraient venus en grand nombre se réunir aux assiégeants[119] ; mais Eustache et ses hommes essayèrent mal à propres d'enlever le château de Douvres par un coup de main : ils éprouvèrent une résistance inattendue, et se découragèrent après ce seul effort. Un faux bruit de l'approche d'Eudes, qui revenait, disait-on, avec le gros de ses troupes, les frappa d'une terreur panique. Le comte de Boulogne fit sonner la retraite ; ses hommes d'armes se précipitèrent en désordre vers leurs vaisseaux, et la garnison normande, les voyant dispersés, fit une sortie pour les poursuivre. Plusieurs tombèrent, en fuyant, du haut des rochers escarpés sur lesquels la ville de Douvres est assise, et le comte ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval. Mais la garnison, que son petit nombre rendait prudente, rentra bientôt dans la place ; les Boulonnais remirent à la voile, et les insurgés saxons se retirèrent par différents chemins[120]. Telle fut l'issue de la première tentative faite en Angleterre pour renverser la domination normande ; Eustache de Boulogne se réconcilia peu de temps après avec le roi Guillaume ; et, oubliant ses alliés d'un jour, il brigua les honneurs et les richesses que leur ennemi pouvait donner[121]. Dans la province de Hereford, au delà de la chaîne de hauteurs qui avait autrefois protégé l'indépendance des Bretons, et qui pouvait servir de rempart à celle des Anglais, habitait, avant l'invasion, sur des terres qu'il avait reçues de la munificence du roi Edward, un Normand appelé Richard, fils de Scrob. C'était un de ces hommes que les Saxons avaient exceptés de la sentence d'exil rendue en l'année 1052 contre tous les Normands vivant en Angleterre. Pour prix de ce bienfait, le fils de Scrob, au débarquement de Guillaume, devint chef d'intrigues pour la conquête, établit des intelligences avec les envahisseurs, et se mit à la tète de quelques corps de soldats originaires de la Gaule, et demeurés, depuis le règne d'Edward, dans les châteaux voisins de Hereford. Il se cantonna avec eux dans ces châteaux, et faisant des sorties fréquentes, il entreprit de forcer les villes et les bourgades voisines à se soumettre au conquérant. Mais la population de l'ouest résista avec énergie, et, sous la conduite d'Edrik, fils d'Alfrik, parent de la famille de Godwin, elle se leva pour repousser les attaques du fils de Scrob et de ses hommes d'armes[122]. Le chef saxon eut l'art d'intéresser à sa cause les chefs des tribus galloises, jusque-là ennemies mortelles des habitants de l'Angleterre[123]. Ainsi la terreur des Normands réconciliait, pour la première fois, les Cambriens et les Teutons de la Bretagne, et faisait ce que n'avait pu faire, en d'autres temps, l'invasion des païens du Nord. Soutenu par les milices du pays de Galles, Edrik prit avec succès l'offensive contre Richard, fils de Scrob, et ses soldats, auxquels les chroniques du temps donnent le nom de châtelains de Hereford[124]. Trois mois après le départ du roi Guillaume polir la Normandie, il les chassa du territoire qu'ils occupaient, pilla leurs cantonnements, et affranchit, mais en le ravageant, tout le pays voisin[125]. Au sud de cette contrée, sur les côtes qui bordent le long golfe où se jette la Saverne, et au nord, sur les terres voisines des montagnes, il n'y avait encore, dans ce temps, ni postes militaires établis par les Normands, ni châteaux forts bâtis ou possédés par eux. La conquête, si l'on peut s'exprimer ainsi, n'y était point encore parvenue : ses lois n'y régnaient point, son roi n'y était nullement reconnu, non plus que dans toute la partie septentrionale de l'Angleterre, depuis le golfe de Boston jusqu'à la Tweed. Au centre, les coureurs ennemis tenaient librement la campagne ; mais beaucoup de villes fermées ne s'étaient point rendues ; et même, dans le pays où l'invasion paraissait accomplie, les conquérants n'étaient pas sans alarmes ; car des messagers, partis .des contrées où l'indépendance régnait encore, allaient secrètement de ville en ville rallier les amis du pays, et relever les courages abattus par la rapidité de la défaite. Sous les yeux de l'autorité étrangère, disparaissait chaque jour quelqu'un des hommes le plus en crédit parmi le peuple. Ils allaient quêter, chez des nations amies, du secours contre les Normands, ou ils émigraient pour toujours, aimant mieux vivre sans patrie que de rester sous leur puissance[126]. Ceux qui, dans la première terreur, s'étaient rendus au camp de Guillaume, et lui avaient prêté le serment de paix et de soumission, étaient invités, par des adresses patriotiques, à rompre leur pacte avec l'étranger, et à suivre le parti des gens de bien et des braves[127]. La nouvelle de cette agitation et de ces manœuvres, parvenue à Guillaume dans sa province de Gaule, le força de précipiter son retour en Angleterre. Il s'embarqua au port de Dieppe, au mois de décembre, par une nuit froide, et, à son arrivée, il mit dans les places fortes de la province de Sussex de nouveaux gouverneurs choisis en Normandie parmi les hommes auxquels il se fiait le plus. Il trouva dans Londres une fermentation sourde qui semblait présager quelque mouvement prochain : craignant que ses trois châteaux forts, avec leurs tourelles garnies de machines, ne fussent pas capables de le protéger contre une insurrection populaire, il résolut d'en prévenir ou d'en éloigner le moment, et déploya sa ruse, cette ruse de renard que la tradition anglaise lui attribue[128], pour assoupir l'esprit patriotique qu'il désespérait de briser. Il célébra en grande pompe, à Londres, les fêtes de Noël, et, rassemblant autour de lui plusieurs des chefs et des évêques saxons, il les accabla de fausses caresses ; il se montrait plein d'affabilité, et donnait à tout venant le baiser de bienvenue[129] : si l'on demandait, il accordait ; si l'on conseillait, il écoutait ; tous furent dupes de ses artifices[130]. Après avoir ainsi gagné une partie des gens en crédit, le roi Guillaume se tourna vers le peuple ; une proclamation, écrite en langue saxonne, et adressée aux habitants de Londres, fut publiée en son nom, et lue à haute voix dans les églises et sur les places de la ville. Apprenez tous, y disait-il, quelle est ma volonté. Je veux que, tous tant que vous êtes, vous jouissiez de vos lois nationales, comme dans les jours du roi Edward ; que chaque fils hérite de son père, après les jours de son père, et que nul de mes hommes ne vous fasse tort[131]. A cette promesse, quelque peu sincère qu'elle fût, l'effervescence se calma dans Londres ; le soulagement présent rendit les esprits moins disposés à courir les chances périlleuses d'une grande opposition au pouvoir. Exemptés pour un moment des trois fléaux que la conquête avait apportés en Angleterre, les violences, les lois étrangères et l'expropriation, les habitants de la grande cité saxonne abandonnèrent la cause de ceux qui souffraient, et, calculant le gain et la perte, résolurent de se tenir en repos. On ne sait combien de temps ils jouirent des concessions du vainqueur ; mais ils le laissèrent alors s'éloigner impunément de Londres, avec l'élite de ses soldats, pour aller soumettre les provinces encore libres. Le roi normand se dirigea d'abord vers le sud-ouest, et traversant les hauteurs qui séparent les provinces de Dorset et de Devon, il marcha contre Exeter[132]. C'est dans cette ville qu'après la bataille de Hastings s'était réfugiée la mère de Harold ; elle y avait rassemblé les débris de ses richesses, qu'elle consacrait à la cause du pays pour lequel son fils était mort. Les citoyens d'Exeter étaient nombreux et pleins de zèle patriotique : l'histoire contemporaine rend d'eux ce témoignage que, jeunes ou vieux, ils haïssaient à la mort les envahisseurs d'outre-mer[133]. Ils fortifiaient leurs tours et leurs murailles, faisaient venir des hommes d'armes de toutes les provinces voisines, et enrôlaient, à prix d'argent, les navigateurs étrangers qui se trouvaient dans leur port. Ils envoyaient aussi des messages aux habitants des autres villes pour les inviter à se confédérer avec eux[134], se préparant de toutes leurs forces Contre le roi de race étrangère, avec lequel jusqu'à ce moment, disent les chroniques, ils n'avaient rien eu à démêler[135]. L'approche des troupes d'invasion fut annoncée de loin aux
habitants d'Exeter, par la nouvelle de leurs ravages : car tous les lieux par
où elles passaient furent entièrement dévastés[136]. Les Normands
s'arrêtèrent à la distance de quatre milles, et c'est de là que Guillaume
envoya aux citoyens l'ordre de se soumettre et de lui prêter le serment de
fidélité. Nous ne jurerons point fidélité,
répondirent-ils, à celui qui se prétend roi, et ne
le recevrons point dans nos murs. ; mais, s'il veut recevoir, comme tribut,
l'impôt que nous donnions à nos rois, nous consentirons à le lui payer[137]. — Je veux des sujets, répliqua Guillaume, et n'ai point pour habitude de les prendre à de telles
conditions[138]. Les troupes
normandes approchèrent, ayant pour avant-garde un bataillon d'hommes de race
anglaise, qui s'étaient réunis aux étrangers par force, ou par misère, ou par
envie de s'enrichir en pillant leurs compatriotes[139]. L'on ne sait
par suite de quelle intrigue les chefs et les magistrats d'Exeter vinrent,
avant le premier assaut, trouver le roi, lui livrer des otages et lui
demander la paix. Mais à leur retour, les citoyens, loin de remplir
l'engagement qui venait d'être conclu, tinrent les portes de la ville
fermées, et se préparèrent de nouveau à combattre[140]. Guillaume investit la ville d'Exeter, et faisant avancer à la vue des remparts l'un des otages qu'il avait reçus, il lui fit crever les yeux[141]. Le siège dura dix-huit jours ; une grande partie de l'armée normande y périt ; de nouveaux renforts survinrent au conquérant, et ses mineurs sapèrent les murs ; mais l'opiniâtreté des citoyens se montrait invincible. Ils eussent peut-être lassé Guillaume, si les hommes qui les commandaient n'avaient été lâches une seconde fois. Quelques historiens racontent que les habitants d'Exeter se rendirent au camp du roi, en appareil de suppliants, avec le clergé revêtu de ses habits et portant les livres saints[142]. La chronique saxonne contemporaine ne prononce que ces seuls mots, tristes par leur brièveté même : Les citoyens rendirent la ville parce que les chefs les trompèrent[143]. Un grand nombre de femmes, échappées aux violences qui suivirent la reddition d'Exeter[144], se réfugièrent avec la mère du dernier roi de race anglaise dans une des îles de la Saverne, puis dans la ville de Bath, que l'ennemi ne possédait pas encore ; de là elles gagnèrent la côte de l'ouest, et, faute d'un chemin plus direct, s'y embarquèrent pour la Flandre[145]. Quarante-huit maisons avaient été détruites dans le siège[146] : leurs débris servirent aux Normands à bâtir un château fort qu'ils nommèrent Rouge-Mont, parce qu'il était situé sur une colline de terre rougeâtre. Ce château fut donné en garde à Baudoin de Meules, fils du comte Gilbert de Brionne, qui eut pour son partage, comme conquérant, et pour son salaire, comme vicomte de la province de Devon, vingt maisons à Exeter et cent cinquante-neuf manoirs dans la province[147]. Il s'était formé, dans cette campagne, une alliance défensive entre les Anglo-Saxons et les vieux Bretons de la Cornouaille. Après la prise d'Exeter, ces deux populations, devenues amies, furent enveloppées clans la même ruine, et le territoire de l'une et de l'autre fut partagé par les vainqueurs. L'un des premiers noms inscrits sur les rôles de ce partage fut celui de la femme du conquérant, Mathilde, fille de Baudoin V, comte de Flandre, que les Normands appelaient la Reine, titre inconnu aux Anglais, qui n'employaient dans leur langage que les noms de dame ou d'épouse[148]. Mathilde obtint, pour sa part de conquête, toutes les terres d'un riche Saxon appelé Brihtrik[149]. Cet homme, si l'on en croit de vieux récits, ne lui était point inconnu, et, dans un de ses voyages en Flandre, comme ambassadeur du roi Edward, il avait encouru les ressentiments de la fille du comte Baudoin en refusant de l'épouser. Ce fut Mathilde elle-même qui demanda au roi, son mari, de lui adjuger, avec tous ses biens, l'Anglais qui l'avait dédaignée, et elle satisfit à la fois sa vengeance et son avarice, en s'appropriant les terres et en faisant emprisonner l'homme dans une forteresse[150]. C'est probablement à la suite de cette première invasion dans l'ouest que furent conquises et partagées les côtes de Sommerset et de Glocester. Quelques faits prouvent que cette conquête et ce partage ne se firent point sans résistance. Selon la tradition du pays, le monastère de Winchcomb perdit alors une grande partie de ses possessions, parce que les moines de ce lieu, qui étaient au nombre de trois cents, avaient pris les armes, pour résister au roi Guillaume[151]. Leur abbé, Godrik, fut saisi par les soldats normands et emprisonné à Glocester, et le couvent, odieux aux vainqueurs, fut donné en garde à Eghelwig, chef de l'abbaye d'Evesharn, que les annales contemporaines surnomment Eghelwig le Circonspect, l'un de ces hommes que les esprits timides louaient de ne point tramer de rébellion, et d'avoir dans le cœur la crainte de Dieu et du roi institué par lui[152]. Dès la première défaite de la nation anglaise, Eghelwig avait juré fidélité sincère à l'étranger pour qui Dieu se déclarait. Quand la conquête vint à s'étendre sur le pays de l'ouest, il se fit par ruse une part dans l'expropriation de ses compatriotes ; il leur vendait à prix d'or sa protection contre les Normands, et quand il les avait pour débiteurs, tout ce qu'ils possédaient, meubles et terres, passait nits entre ses mains[153]. Le roi Guillaume l'aimait et l'honorait beaucoup ; il gouverna, selon le gré du conquérant, les moines rebelles de Winchcomb, jusqu'à ce qu'un étranger vint d'outre-nier pour remplir encore mieux cet office[154]. Ainsi le domaine de l'indépendance anglaise allait se rétrécissant dans l'ouest ; mais les vastes provinces du nord offraient encore un asile, une retraite et des champs de bataille pour les amis du pays. Là se rendaient ceux qui n'avaient plus ni terre ni famille, ceux dont les frères étaient morts, dont les filles avaient été ravies, ceux enfin qui aimaient mieux, disent les vieilles annales, traîner une vie dure et pénible, que de subir un esclavage inconnu à leurs pères[155]. Ils marchaient de forêt en forêt, de lieu désert en lieu désert, jus qu'à la dernière ligne des forteresses bâties par les Normands[156]. Quand ils avaient franchi cette enceinte de la servitude, ils retrouvaient la vieille Angleterre et s'embrassaient en liberté. Le repentir amena bientôt vers eux les chefs qui, désespérant les premiers de la cause commune, avaient donné le premier exemple de la soumission volontaire[157]. Ils s'échappèrent du palais où le conquérant les retenait captifs sous de fausses apparences d'affection, les appelant ses grands amis, ses amis particuliers[158], et faisant de leur présence à sa cour une accusation pour le peuple, qui refusait de reconnaître un roi qu'entouraient ses chefs nationaux. C'est ainsi qu'Edwin et Morkar partirent pour la contrée du nord. Leurs compatriotes, dit un narrateur voisin de ce temps, les aimaient d'une affection sans bornes ; beaucoup d'hommes se révoltèrent avec eux ; les prêtres et les moines faisaient pour eux de fréquentes prières, et les vœux des pauvres les accompagnaient[159]. Aussitôt que les fils d'Alfgar furent arrivés dans leurs anciens gouvernements de Mercie et de Northumbrie, de grands signes de mouvement patriotique se manifestèrent dans ces deux pays, depuis Oxford jusqu'aux rives de la Tweed. Aucun Normand n'avait encore passé l'Humber, et un petit nombre d'entre eux avaient pénétré au cœur de la Mércie. Ce pays communiquait librement, par sa frontière du nord-ouest, avec la population galloise, qui, oubliant ses anciens griefs contre les Saxons, fit cause commune avec eux contre les nouveaux envahisseurs. Le bruit se répandit que les chefs anglais et gallois avaient tenu ensemble de grands conseils sur les montagnes, et que, d'un accord unanime, ils avaient résolu de délivrer leur île de la domination normande ; envoyaient partout des émissaires pour exciter l'indignation et la révolte[160]. C'était au delà du cours de l'Humber que devait se former le grand camp de l'indépendance ; on lui donnait la cité d'York pour premier boulevard, et pour dernières défenses les lacs et les marais du nord[161]. Beaucoup d'hommes avaient fait serment de ne plus dormir à l'abri d'un toit jusqu'au jour de la délivrance ; ils couchaient en plein air ou sous des tentes, et les Normands leur donnaient le nom de sauvages[162]. On ne peut savoir combien de projets d'affranchissement, bien ou mal conçus, furent formés et détruits dans ce temps ; ce qui n'éclata pas en lutte ouverte fut le secret de la chancellerie du roi Guillaume. Les auteurs normands contemporains parlent, mais en termes vagues, de mauvaises conspirations ; l'un d'eux fait remonter à l'absence du roi un complot dont le but était, selon lui, d'attaquer à l'improviste les soldats des garnisons normandes, le mercredi des cendres, jour où ils se rendaient tous à l'église, nu-pieds et sans armes[163]. L'historien dit que cette machination fut découverte, et que les coupables, se dérobant par une prompte fuite à la vengeance du grand vainqueur[164], gagnèrent le pays situé au nord de l'Humber. Vers ce pays se dirigeait alors, de toutes les provinces conquises, l'émigration des proscrits et des mécontents. Bientôt un nouveau fugitif, et le plus noble de tous, prit la même route ; c'était le jeune Edgar, roi légitime d'Angleterre, suivant le droit national, par l'élection du peuple et la consécration de l'Église. Il partit avec sa mère Agathe, ses deux sœurs Marguerite et Christine, un chef appelé Merlesweyn, et d'autres hommes de haut rang[165]. Cherchant pour les princesses un refuge inviolable, et pour la royauté saxonne un secours étranger, ils ne firent que traverser le Northumberland. Ils passèrent la limite septentrionale qui, depuis la défaite du roi Egfrith par les Pictes et les Scots, séparait l'Angleterre de l'ancienne Albanie ; nommée en ce temps-là, comme aujourd'hui, le pays des Scots ou l'Écosse[166]. Les invasions des pirates danois, qui s'étendirent aussi bien au nord qu'au sud de la Tweed, n'avaient point changé cette frontière. Le seul résultat politique de la domination exercée quelque temps par les Danois sur le peuple mêlé de Galls, de Bretons et de Saxons, qui habitait entre le Forth et la Tweed, fut d'ajouter à ce mélange de différentes races d'hommes un nouvel accroissement de population germanique. De là vint qu'au sud du Forth, et surtout vers l'est, l'idiome prépondérant fut un dialecte teutonique, parsemé de mots galliques et bretons, et plus rapproché, dans ses formes grammaticales, du danois que de l'anglo-saxon. Vers le temps où ce changement s'opérait par degrés au sud de l'Albanie, dans le nord, une révolution plus rapidement accomplie réunit en un seul État, et sous la même autorité, les Pictes de la côte orientale et les Scots des montagnes de l'ouest, jusque-là séparés comme nations et régis par des chefs indépendants l'un de l'autre. Leur rapprochement ne se fit pas sans quelque violence ; car ces deux peuples, quoique vraisemblablement de même origine, quoique parlant un langage peu différent[167], et naturellement portés à se confédérer contre un adversaire commun, étaient rivaux en temps de paix. Les Scots, chasseurs des montagnes, menant une vie plus rude et plus active que leurs voisins de la plaine, se croyaient plus nobles qu'eux, et les appelaient, par dérision, mangeurs de pain[168]. Malgré ce mépris apparent pour le blé, les chefs des Scots avaient l'ambition d'étendre sur les plaines, où croissaient des moissons, le pouvoir qu'ils exerçaient sur le pays des rochers et des lacs. Ils poursuivirent longtemps ce projet par la force et par l'intrigue ; mais la nation des Pictes leur résista jusqu'à l'époque où elle fut affaiblie par les incursions et les victoires des Danois[169]. Kenneth, fils d'Alpin, roi de l'Albanie occidentale, saisissant l'occasion, descendit alors sur les terres des Pictes pour en faire la conquête. Les mangeurs de pain furent vaincus, et la plus grande partie d'entre eux se soumit à l'autorité de Kenneth ; les autres tentèrent, en se retirant au nord, de conserver un roi de leur nation et de leur choix[170] ; mais ils n'y réussirent point, et Kenneth, roi des Scots ou Écossais, devint chef de l'Albanie entière, qui depuis lors fut appelée Écosse. La nation des Pictes perdit son nom en s'incorporant avec les Scots ; mais il ne parait pas que cette fusion ait eu lieu à des conditions inégales, comme il serait sans doute arrivé si les vainqueurs et les vaincus eussent été de race différente. Les vaincus n'eurent à subir su aucun esclavage, aucune dégradation politique ; et la servitude de la glèbe, fruit ordinaire des conquêtes étrangères dans le moyen âge, ne s'établit point en Écosse. Bientôt il n'y eut plus au nord du Forth qu'un seul peuple, et ce fut de bonne heure une tentative infructueuse que de rechercher les traces de l'idiome qu'avaient parlé les Pictes au temps de leur indépendance. Les rois des vainqueurs, désertant leur pays natal, vinrent habiter parmi les vaincus à Dumferline et à Scone. Ils transportèrent avec eux la pierre consacrée sur laquelle, d'après l'usage antique, ils devaient se placer le jour de leur couronnement, pour prêter serment au peuple, et à laquelle une ancienne superstition nationale attachait le destin de la race des Scots. Au temps de l'invasion des Normands en Angleterre, il ne restait plus la moindre trace de l'ancienne séparation des Galls de l'île de Bretagne en deux populations distinctes ; la seule division nationale qui se remarquât dans le royaume d'Écosse était celle des hommes parlant la langue gallique, qu'on appelait aussi erse, c'est-à-dire irlandaise[171], et des hommes issus de colonies teutoniques ou scandinaves, dont l'idiome était à la fois intelligible pour les Danois et les Anglais. Cette population, la plus voisine de l'Angleterre, bien que appelée écossaise par les Anglais, avait beaucoup plus d'affinité avec ce dernier peuple — à cause de la ressemblance des langues et de la communauté d'origine — qu'avec les Écossais de race gallique. Ces derniers, qui joignaient à une fierté un peu sauvage des habitudes d'indépendance provenant de leur organisation en clans ou en tribus séparées, étaient souvent en querelle avec la population mélangée des plaines du sud, et même avec les rois d'Écosse. Les rois trouvaient presque toujours les Écossais méridionaux disposés à les servir dans leurs projets contre la liberté des clans ; et ainsi l'inimitié instinctive de Ces deux races d'hommes, fruit de la diversité d'origine et de langage, tournait au profit du despotisme royal. Cette expérience, faite plus d'une fois par les successeurs de Kenneth, fils d'Alpin, excita en eux une grande affection pour les habitants des basses terres d'Écosse[172], et en général pour les hommes d'origine anglaise ; ils préféraient ces étrangers aux hommes issus des mêmes ancêtres qu'eux ; ils favorisaient de tout leur pouvoir les Écossais de nom aux dépens des Écossais de race, et recevaient avec une bienveillance empressée tous les émigrants d'Angleterre. C'est par suite de ce penchant politique que le roi d'Écosse Malcolm, surnommé Kenmore, accueillit comme des hôtes bienvenus le jeune Edgar, sa mère, ses sœurs et ses amis[173]. Il salua Edgar comme le véritable et légitime roi des Anglais, lui offrit un asile sûr et des secours pour relever sa fortune. Il donna aux chefs dépossédés, qui accompagnaient leur roi, des domaines, que peut-être il enleva despotiquement ï ses sujets de race bretonne et gallique ; et, comme il était encore sans épouse, il prit pour femme une des sœurs d'Edgar, la plus jeune, appelée Marguerite. Marguerite ne savait point la langue gallique ; elle eut souvent besoin d'interprète pour parler aux chefs des tribus du nord et de l'ouest, et aux évêques de ces contrées ; alors c'était le roi Malcolm, son mari, qui se chargeait de cette fonction[174]. Malcolm s'énonçait également bien, dans les deux idiomes ; mais peu de temps après son règne, les rois d'Écosse dédaignèrent de parler et d'apprendre la langue des anciens Scots, celle du peuple dont eux-mêmes descendaient et dont le pays tirait son nom. La nouvelle de l'alliance formée entre les Saxons et le roi d'Écosse, et des rassemblements .hostiles qui se faisaient au nord de l'Angleterre, détermina Guillaume ne pas attendre une attaque et à prendre vivement l'offensive[175]. Son premier fait d'armes, dans cette nouvelle expédition, fut le siège de la ville d'Oxford. Les citoyens résistèrent au roi étranger, et l'insultèrent même du haut de leurs murs ; mais une partie du rempart de la ville s'écroula, sapée par les Normands, qui entrèrent d'assaut par cette brèche et se vengèrent des habitants par le massacre et l'incendie[176]. Sur sept cent vingt maisons, plus de quatre cents furent détruites[177]. Les religieux du couvent de Sainte-Frideswide, suivant l'exemple des moines de Winchcomb, prirent les armes pour défendre leur monastère, et en furent tous expulsés après la victoire des Normands[178]. La ville de Warvich fut prise ensuite, puis celle de Leicester, qui fut détruite presque de fond en comble[179], puis celle de Derby, où le tiers des maisons fut renversé[180]. Après le siège et la prise de Nottingham, une forte citadelle y fut bâtie, et confiée à la garde du Normand Guillaume Peverel. Ce Guillaume eut, pour sa part de conquête, cinquante-cinq manoirs dans la province de Nottingham, et, dans la ville même, quarante-huit maisons de marchands, douze maisons de gens de guerre et huit maisons de cultivateurs anglais[181]. Il établit sa demeure clans la contrée de Derby, sur un rocher à pic, au haut duquel son château paraissait suspendu en l'air, comme le nid d'un oiseau de proie[182]. De Nottingham, les troupes normandes se dirigèrent, à l'est, sur Lincoln, qu'elles forcèrent de capituler et de livrer des otages. Cent soixante-six maisons y furent détruites, pour servir d'emplacement aux forteresses et aux autres retranchements dont la garnison étrangère s'entoura avec plus de soin qu'ailleurs ; car dans cette ville, dont la population était d'origine danoise, les conquérants redoutaient, comme à Norwich, une attaque des Danois d'outre-mer[183]. Parmi les otages de Lincoln, emprisonnés dans les forteresses normandes pour garantie du repos de la province, se trouvait un jeune homme appelé Thurgot, Danois de race, qui parvint à se faire ouvrir les portes en gagnant ses gardiens à prix d'argent[184]. Il alla secrètement au port de Grimsby, à l'embouchure de l'Humber, trouver des marchands norvégiens dont le vaisseau était près de mettre à la voile. Par un hasard fâcheux, ce vaisseau avait été retenu pour le passage de certains ambassadeurs que le conquérant envoyait dans le Nord, afin de dissuader les rois de ce pays de prendre intérêt à la cause des Saxons et de leur prêter secours. Les Norvégiens n'hésitèrent point à sauver le jeune fugitif, et le cachèrent au fond de leur navire, si bien que les inspecteurs normands de la côte, qui en firent la visite au moment du départ, ne s'aperçurent de rien[185]. Les ambassadeurs s'embarquèrent, et quand on eut perdu la terre de vue, l'otage se montra tout à coup, à leur grand étonnement. Ils voulurent que les matelots retournassent à terre, afin, disaient-ils, de rendre au roi son fugitif[186] ; mais les Norvégiens, se moquant d'eux, répondaient : Le vent est trop bon, le vaisseau va trop bien ; ce serait dommage de perdre l'occasion. La querelle s'échauffant de part et d'autre, on en vint à prendre les armes ; mais la force était du côté des matelots, et à mesure que le navire avança en pleine mer, les Normands devinrent plus traitables[187]. Partis de la ville de Lincoln, que, par une espèce d'euphonie française, ils appelaient Nicole[188], les soldats de l'invasion marchèrent sur York. Dans le lieu où se rapprochent les rivières dont la jonction forme le grand fleuve de l'Humber, ils rencontrèrent l'armée confédérée des Anglo-Saxons et des Gallois. Là, de même qu'à la bataille de Hastings, par la supériorité de leur nombre et de leur armure, ils chassèrent l'ennemi de ses positions vainement défendues pied à pied. Un grand nombre d'Anglais et de Gallois périrent ; le reste s'enfuit vers York pour y chercher un refuge ; mais les Normands qui les poursuivaient arrivèrent avec eux sous les murs de la ville, où s'acheva la déroute des insurgés et de leurs auxiliaires[189]. Frappés de crainte à la vue de ce désastre et au bruit de la présence du roi, les habitants d'York lui ouvrirent leurs portes et lui en présentèrent les clefs avec des otages[190]. Les débris de l'armée patriotique, ou, si l'on veut parler comme les vainqueurs, de la troupe des séditieux et des brigands, descendirent sur des bateaux le fleuve de l'Humber[191] ; ils remontèrent ensuite, au nord, vers le pays des Écossais ou vers les territoires anglais voisins de l'Écosse. Là se fit le ralliement des vaincus d'York ; là se retirèrent, dit un vieux chroniqueur, Edwin et Morkar, les nobles chefs, ainsi que d'autres hommes de grande distinction, des évêques, des clercs, des gens de tout état, tristes de voir leur cause la plus faible, mais ne se résignant point à l'esclavage[192]. Les vainqueurs bâtirent une citadelle au sein de la ville d'York, qui devint ainsi une place forte normande, et le boulevard de la conquête au nord[193]. Ses tours, garnies de cinq cents chevaliers et d'un nombre au moins quadruple d'écuyers et de servants d'armes, menacèrent le pays des Northumbriens. Cependant l'invasion ne continua point alors sur ce pays, et il est même douteux que la province d'York ait été occupée dans sa largeur, depuis l'Océan jusqu'aux montagnes de l'ouest. La capitale, soumise avant son territoire, était le poste avancé des conquérants, et un poste encore périlleux ; ils y travaillaient jour et nuit à tracer leurs lignes de défense ; ils forçaient le pauvre Saxon, devenu leur homme de corvée, à creuser des fossés et à construire des retranchements pour ses ennemis. Craignant d'être assiégés à leur tour, ils rassemblaient de toutes parts et entassaient dans leur cantonnement des munitions et des vivres. Dans cette ville nouvellement réduite, à la tête d'une population pour laquelle commençait l'épreuve du gouvernement étranger, il y avait un homme qui, seul entre tous, semblait devoir être exempt de l'oppression et des avanies de la conquête. C'était l'archevêque d'York, Eldred, qui, après avoir concouru à l'élection du roi Edgar et s'être soumis avec lui, avait prêté son ministère au sacre du roi Guillaume et lui gardait depuis lors une inviolable fidélité. Il était, parmi les évêques d'Angleterre, le chef du parti de l'obéissance et de la paix, et la reddition d'York sans combat avait été, en partie du moins, l'œuvre de son influence[194]. Il croyait qu'un droit supérieur à toute considération humaine était né, pour Guillaume, de la consécration religieuse, et trouvait que si le nouveau roi ne remplissait pas envers la nation les promesses de son sacre, il les tenait mieux envers l'Église, ménageant, sauf le cas de rébellion flagrante, les personnes et les biens ecclésiastiques[195]. Eldred se flattait qu'un jour le respect pour le clergé amènerait, la paix aidant, plus de modération à l'égard du peuple, et cette pensée le fortifiait contre les murmures de ceux qui regrettaient d'avoir posé les armes et rendu la ville par ses conseils. Une expérience personnelle vint dissiper ses illusions et lui montrer ce qu'était la conquête, ce que, de plus en plus, elle devait être pour tous les Saxons, clercs ou laïques. A l'une des grandes fêtes de l'année, temps où il était d'usage en Angleterre que chaque évêque, selon sa richesse, donnât de grands repas et tint, pour ainsi dire, table ouverte, il arriva que l'archevêque Eldred fit venir de ses domaines voisins de la ville un convoi de provisions pour son usage[196]. Ses domestiques s'acheminaient vers York, menant des chevaux et des chariots chargés de blé et d'autres denrées ; ils rencontrèrent, aux portes de la ville, le vicomte, lieutenant du gouverneur normand, escorté d'une compagnie d'hommes d'armes : Qui êtes-vous, leur demanda le vicomte, et à qui portez-vous ces provisions ? — Nous sommes, répondirent-ils, les serviteurs de l'archevêque, et ces choses sont pour l'usage de sa maison. Sans se soucier du nom de l'archevêque ni des plaintes de ses domestiques, le vicomte ordonna aux gens qui l'accompagnaient de faire prendre aux voitures le chemin du château d'York, et de déposer le blé et les autres denrées dans les magasins normands[197]. A cette nouvelle, l'archevêque Eldred s'empressa d'envoyer une députation de clercs de son église et de citoyens de là ville, prier l'officier royal de lui faire rendre ce qui lui appartenait ; mais le vicomte répondit avec hauteur qu'il ne rendrait rien de ce qu'il avait trouvé bon de prendre. Sur son refus sèchement réitéré, les envoyés lui dirent que si l'archevêque n'obtenait pas justice, il se verrait contraint d'agir pontificalement ; et à ces mots, le Normand, redoublant d'insolence, éclata en menaces contre l'archevêque saxon et renvoya ses députés avec toute sorte d'insultes[198]. Ceux-ci rapportèrent à l'archevêque ce qu'ils avaient entendu et souffert, et Eldred en fut atterré ; l'ami du conquérant se sentait frappé par la conquête, et ce coup imprévu soulevait dans son fane une indignation que cette âme calme et prudente n'avait point éprouvée jusqu'alors. Jeté hors de lui-même par un ressentiment personnel mêlé de remords patriotique, l'archevêque fit remonter jusqu'au roi, qu'il avait couronné de sa main, la responsabilité de ces injures, et rompit dans sa conscience le pacte qu'il avait fait avec lui. Il partit d'York à l'instant même polir aller trouver le conquérant, et se présenta devant lui, revêtu de ses ornements pontificaux. Guillaume, le voyant, se leva pour lui offrir, selon l'usage du temps, le baiser de paix ; mais le prélat saxon n'avança pas et dit[199] : Écoute, roi Guillaume : tu étais étranger, et, Dieu voulant punir l'orgueil de notre nation, tu obtins, par sa permission, quoiqu'au prix de beaucoup de sang, le royaume d'Angleterre ; alors je t'ai consacré roi et, en te bénissant, j'ai posé la couronne sur ta tête. Mais aujourd'hui que tu l'as mérité, je te maudis comme persécuteur de l'Église de Dieu, oppresseur de ses ministres et violateur des promesses que tu m'as faites avec serment devant l'autel de saint Pierre[200]. Intrépide au milieu des plus grands dangers, Guillaume était, comme tous les esprits de son siècle, accessible aux terreurs soudaines d'une forte impression religieuse. Il fut troublé de ce spectacle et de ces paroles étranges pour lui, et se jetant aux pieds de l'archevêque, il lui demanda par quelle faute il avait pu encourir une telle sentence[201]. En même temps, les seigneurs normands qui l'entouraient, saisis d'une tout autre émotion, adressèrent à l'archevêque des paroles de colère, le menaçant de la mort ou de l'exil pour l'affront qu'il faisait à un si grand prince, et lui ordonnant de relever aussitôt le roi agenouillé devant lui[202]. Mais Eldred, puisant dans sa fierté blessée et dans la dignité de son ministère une force qui lui était nouvelle, resta calme et serein devant les invectives et les menaces : Laissez-le, dit-il aux Normands, laissez-le s'humilier ; ce n'est pas devant moi qu'il se prosterne, c'est devant l'apôtre Pierre que je représente et dont il sent le pouvoir[203]. Puis, mettant fin à cette scène pénible ; il prit la main du roi, qui se releva et qui, apprenant la cause de son apparition imprévue, promit de lui faire rendre sans délai tout ce qu'on lui avait enlevé[204]. L'archevêque Eldred se remit en chemin pour sa ville métropolitaine, emportant des lettres qui contenaient l'ordre du roi et un blâme sévère pour le vicomte, qui s'était permis d'agir envers lui comme envers tout autre Anglais. Il avait obtenu réparation, il était satisfait pour le présent, mais il ne croyait plus à l'avenir. Il voyait que son espérance de paix sous la conquête n'était qu'un songe ; que, d'une part, ses compatriotes, abhorrant le joug étranger, n'auraient avec les Normands que des trêves passagères, et que, de l'autre, l'esprit de violence et l'orgueil de la victoire montaient, chez les vainqueurs, à un excès que le roi lui-même serait incapable de contenir[205]. Sous le poids d'une amère tristesse, où le repentir, à ce qu'il semble, se joignait au découragement, il fut pris d'une maladie lente qui par degrés mina ses forces. Un an après, lorsque les Saxons, ralliés de nouveau et soutenus par mi secours danois, s'avancèrent pour attaquer la ville d'York, le chagrin d'Eldred et sa langueur redoublèrent ; il pria Dieu, dit un ancien récit, de lui faire la grâce de ne pas voir la destruction de son église et la ruine de son pays, et mourut comme il l'avait demandé[206]. La guerre durait encore aux extrémités de l'Angleterre, l'agitation était partout ; on s'attendait à ce que les fugitifs d'York reviendraient, par terre ou par mer, tenter quelque nouvel effort. L'ennui de cette lutte sans terme visible commença dès lors à se faire sentir aux soldats et même aux chefs de l'armée d'invasion. Plusieurs, se croyant assez riches, résolurent de renoncer aux fatigues ; d'autres trouvèrent que les terres des Anglais ne valaient pas les peines et les dangers au prix desquels on les obtenait ; d'autres voulaient revoir leurs femmes qui les accablaient de messages et les conjuraient de revenir lus d'elles et près de leurs enfants[207]. Le roi Guillaume fut vivement alarmé de ces dispositions ; il offrit pour réchauffer le zèle plus qu'il n'avait encore donné, et promit, pour le temps où la conquête serait achevée, des terres, de l'argent, des honneurs en abondance'. Il fit répandre l'accusation de lâcheté contre ceux qui demandaient leur retraite et abandonnaient leur seigneur en péril, au milieu des étrangers[208]. Des railleries amères et indécentes furent dirigées contre les femmes normandes qui s'empressaient de rappeler auprès d'elles leurs maris et leurs protecteurs[209]. Mais, malgré cela, Hugues de Grantmesnil, comte de la province de Hauts, son beau-frère Onfroy du Tilleul, gardien du fort de Hastings, et un grand nombre d'autres partirent, laissant leurs terres et leurs honneurs, pour aller, comme disaient de plus fidèles qu'eux à la cause du conquérant, se mettre sous le servage de femmes impudiques au mépris de leur devoir comme vassaux[210]. Ce départ fit une grande impression sur l'esprit du roi. Prévoyant pour l'avenir de plus grandes difficultés qu'il n'en avait éprouvé jusque-là, il renvoya en Normandie la reine Mathilde pour l'éloigner du trouble et pour être lui-même tout entier aux soins de la guerre[211]. De nouveaux événements ne tardèrent pas à justifier ses inquiétudes. L'un des fils du roi Harold, appelés Godwin, Edmund et Magnus, vint d'Irlande, où tous les trois s'étaient réfugiés, soit après la bataille de Hastings, soit après la prise d'Exeter, et amena au secours des Anglais plusieurs vaisseaux et une petite armée[212]. Il entra dans l'embouchure de l'Avon, et mit le siège devant Bristol ; mais, ne pouvant s'en emparer, il remonta sur ses navires, côtoya le rivage du sud-ouest, et alla débarquer dans la province de Sommerset. A son approche, tous les habitants du pays se soulevèrent contre les Normands, et l'insurrection s'étendit aux provinces de Devon et de Dorset. L'alliance des Bretons de la Cornouaille avec leurs voisins saxons se renouvela, et ils attaquèrent ensemble le corps de troupes étrangères qui stationnait dans ces contrées[213]. On envoya pour renfort aux Normands les Anglais auxiliaires, qui avaient trouvé plus aisé de se joindre à l'ennemi que de lui résister ; et, comme au siège d'Exeter, ils furent placés à l'avant-garde, pour essuyer les premiers coups. Ils étaient conduits par Ednoth, ancien grand officier du roi Harold, dont Guillaume voulait se défaire en l'envoyant contre les insurgés : car c'était sa politique, dit un vieil historien, de mettre les Saxons aux prises les uns avec les autres, voyant pour lui-même un grand débarras, de quelque côté que fût la victoire[214]. Ednoth périt avec beaucoup des siens ; l'insurrection subsista, et le fils de Harold, quoiqu'il eût l'avantage, retourna en Irlande pour y prendre l'aîné de ses deux frères et en ramener de nouvelles troupes[215]. Godwin et Edmund, naviguant ensemble et doublant le long promontoire qui porte le nom de Land's-End, ou Fin-du-Pays, entrèrent, cette fois, par l'embouchure de la rivière de Tavy, au sud de la province de Devon[216]. Ils s'aventurèrent imprudemment sur ce territoire, où les Normands, cantonnés dans les provinces du sud, avaient rassemblé toutes leurs forces pour opposer une barrière à l'insurrection de l'ouest. Deux chefs, dont l'un était Brian, fils d'Eudes, comte ou duc de Bretagne, les attaquèrent à l'improviste et leur tuèrent plus de deux mille hommes, anglais ou irlandais[217]. Les fils du dernier roi saxon remontèrent sur leurs vaisseaux et mirent à la voile, ayant perdu toute espérance. Pour achever de détruire les révoltés de Dorset et de Sommerset, l'évêque de Coutances, Geoffroi, vint avec les garnisons de Londres, de Winchester et de Salisbury. Il parcourut ces deux provinces, à la poursuite des hommes armés ou suspects d'avoir pris les armes ; tout ce qui résista fut mis à mort, et les prisonniers, sinon tous, du moins en partie, furent mutilés pour servir d'exemple[218]. Cette déroute et la retraite des auxiliaires venus d'Irlande n'abattirent point entièrement l'effervescence des populations de l'ouest. Le mouvement commencé au sud s'était prolongé sur toute la frontière du territoire gallois ; les habitants de la contrée voisine de Chester, contrée encore libre de toute invasion, descendirent jusqu'à Shrewsbury, et, se joignant aux bandes armées d'Edrik, qu'on surnommait le Sauvage, ils refoulèrent les Normands vers l'est[219]. Les deux chefs, Brian et Guillaume, qui avaient battu les fils de Harold et réduit les hommes de Devon et de Cornouaille, s'avancèrent alors du côté du sud, et le roi lui-même, parti de Lincoln, vint du côté de l'orient, avec l'élite de ses gens d'armes. Il rencontra près de Stafford, au pied des montagnes, le plus grand corps d'armée des insurgés, et le détruisit dans un seul combat[220]. Les autres capitaines normands marchèrent sur Shrewsbury ; et cette ville ainsi que les campagnes qui l'avoisinent retombèrent sous la loi de l'étranger ; les habitants rendirent leurs armes ; quelques braves seulement, qui voulurent les garder, se retirèrent sur les dunes de la mer ou sur la cime des montagnes. Ils continuèrent de guerroyer, péniblement et sans avantages, contre les petits corps isolés, dressant, à l'entrée des bois et dans les vallées étroites, des embûches pour le soldat égaré ou le coureur aventureux, ou le messager qui portait l'ordre des chefs ; mais les grandes routes, les cités, les bourgs, s'ouvrirent aux bataillons ennemis. La terreur remplaça l'espoir dans le cœur des vaincus : ils s'évitèrent au lieu de s'unir, et tout le pays du sud-ouest rentra encore une fois dans le silence. Au nord, la cité d'York était toujours l'extrême limite de la conquête ; les soldats normands qui occupaient cette ville ne cherchaient point à s'avancer au delà, et même leurs excursions sur la contrée au sud d'York n'étaient point sans danger pour eux. Hugues, fils de Baudry, vicomte de la ville, n'osait descendre jusqu'à Selby et passer la rivière d'Ouse sans se faire suivre d'une force imposante. Les soldats normands n'étaient plus en sûreté dès qu'ils s'éloignaient des rangs et quittaient leurs armes ; car des bandes d'insurgés, aussitôt ralliées que dissoutes, harcelaient continuellement les corps de troupes en marche, et même la garnison d'York[221]. Guillaume Malet, collègue du fils de Baudry 'dans le commandement de cette garnison, alla jusqu'à déclarer, dans ses dépêches, que sans de prompts secours il ne répondait plus de son poste[222]. Cette nouvelle, portée au quartier du roi Guillaume, y causa une grande alarme. Le roi lui-même partit en hâte, et arriva devant la ville d'York, au moment où les citoyens, ligués avec les gens du plat pays, assiégeaient la forteresse normande. Il les attaqua vivement avec des forces supérieures, en tua un grand nombre et fit beaucoup de prisonniers, n'épargnant personne, disent les chroniques, mettant la ville au pillage et laissant profaner l'église métropolitaine[223]. Durant huit jours passés à York, il y jeta les fondements d'un second château fort, dont il confia les travaux et la garde à son confident le plus intime, Guillaume, fils d'Osbern, son sénéchal et son maréchal pour la Normandie et l'Angleterre[224]. Après son départ, les Anglais se rallièrent encore, et firent à la fois le siège des deux châteaux ; mais ils furent repoussés avec perte, et les Normands achevèrent en paix leurs nouveaux ouvrages de défense[225]. Assuré de la possession d'York, le conquérant reprit l'offensive, et tenta de reculer jusqu'à Durham les limites du pays subjugué ; ce fut un certain Robert, surnommé Comine ou de Comines, qu'il chargea de cette expédition hasardeuse. Robert partit avec le titre anticipé de comte du Northumberland[226]. Son armée était peu considérable ; mais sa confiance en lui-même était grande, et s'accrut au delà de toute mesure quand il se vit presque au terme de sa route sans avoir trouvé de résistance. Déjà.il apercevait les murailles de Durham, lorsque Eghelwin, l'évêque saxon de la ville, vint à sa rencontre et l'avertit d'être sur ses gardes, parce que les gens du pays avaient résolu de mourir tous plutôt que de se soumettre au pouvoir d'un étranger : Que m'importe ce qu'ils disent ? répondit Robert Comine ; ils ne m'attaqueront pas, aucun d'eux ne l'oserait[227]. Les Normands entrèrent dans Durham et y massacrèrent quelques hommes inoffensifs, comme pour défier les Anglais[228] ; les soldats campèrent sur les places, et leur chef prit pour quartier la maison de l'évêque. La nuit vint, et alors les habitants des rives de la Tyne allumèrent, sur toutes les hauteurs, des feux -qui leur servaient de signaux ; ils se rassemblèrent en grand nombre et firent diligence vers Durham. Au point du jour, ils étaient arrivés devant les portes, qu'ils forcèrent, et les Normands furent assaillis de toutes parts, au milieu des rues, dont ils ignoraient les détours[229]. Ils cherchèrent à se rallier dans la maison épiscopale, où était le logement de leur comte ; ils y firent des barricades, et la défendirent quelque temps, tirant leurs flèches d'en haut sur les Saxons. Mais ceux-ci terminèrent le combat en mettant le feu à la maison, qui fut brûlée tout entière avec les hommes qui s'y étaient renfermés[230]. Robert Comine fut du nombre. Il avait amené avec lui sept cents cavaliers complètement armés ; mais on ne sait pas au juste combien de gens de service et de fantassins les accompagnaient[231]. Cette terrible défaite produisit une telle impression sur les Normands, que des troupes nombreuses, envoyées pour tirer vengeance du massacre, s'avancèrent jusqu'à Elfertun, aujourd'hui Northallerton, à égale distance d'York et de Durham, et qu'arrivées à ce point, elles reculèrent, saisies d'une terreur panique. Le bruit courut qu'elles s'étaient trouvées dans une obscurité complète et contraintes de retourner en arrière par la puissance d'un saint nommé Cuthbert, qui était le patron du pays et dont le corps reposait à Durham[232]. Les Northumbriens, qui M'emportèrent cette grande victoire, étaient fils d'anciens colons danois, et il n'avait point cessé d'exister entre eux et la population du Danemark des relations d'amitié réciproque, fruits de leur commune origine. Du moment qu'ils se virent menacés par l'invasion normande, ils adressèrent aux Danois des demandes de secours, au nom de l'ancienne fraternité de leurs ancêtres, et de semblables sollicitations parvinrent aussi aux rois de Danemark de la part des habitants anglo-danois d'York, de Lincoln et de Norwich[233]. Une foule de réfugiés saxons plaidaient la cause de leur pays auprès des peuples septentrionaux, les pressaient avec instance d'entreprendre la guerre contre les Normands qui opprimaient une nation de la grande famille teutonique, après avoir tué son roi, proche parent de plusieurs rois du Nord[234]. Guillaume, qui, de sa vie, n'avait su prononcer un seul mot de la langue septentrionale que ses aïeux avaient jadis parlée, prévit, dès le commencement, cette alliance naturelle des Anglais avec les Danois, et c'est ce qui lui fit bâtir de nombreuses forteresses sur les côtes orientales de l'Angleterre. Il envoya plusieurs fois à Sven, roi de Danemark, des ambassadeurs accrédités, des négociateurs habiles, des évêques à la parole insinuante, avec de riches présents, pour lui persuader de demeurer en paix[235]. Mais l'homme du Nord ne se laissa point séduire, et ne consentit point, disent les chroniques danoises, à laisser le peuple anglais en servitude sous un peuple de race et de langue étrangères. Sven rassembla sa flotte et ses soldats[236]. Deux cent quarante vaisseaux partirent pour la Bretagne, conduits par Osbiorn, frère du roi, et par ses deux fils Harald et Knut. A la nouvelle de leur départ, les Anglais comptaient avec impatience les jours qui devaient s'écouler jusqu'à l'arrivée de ces enfants de la Baltique, autrefois si terribles pour eux, et prononçaient avec amour des noms que leurs pères avaient maudits[237]. L'on attendait aussi des troupes enrôlées à prix d'argent sur les côtes de l'ancienne Saxe et de la Frise[238], et les Saxons réfugiés en Écosse promettaient quelques secours. Encouragés par leur victoire, les habitants du Northumberland faisaient de fréquentés excursions, au sud de leur pays, sur les cantonnements des étrangers[239]. Le gouverneur de l'un des châteaux d'York fut tué dans une de ces rencontres[240]. Ce fut dans l'intervalle des deux fêtes de la vierge Marie, en automne, que le fils du roi Sven, Osbiorn son frère, et cinq autres chefs danois de haut rang, abordèrent en Angleterre[241]. Ils tentèrent hardiment une descente sur la partie des côtes la mieux gardée, celle du sud-est ; mais, successivement repoussés de Douvres, de Sandwich et de Norwich, ils remontèrent vers le nord et entrèrent dans le golfe de l'Humber, comme faisaient jadis leurs aïeux, mais sous de tout autres auspices[242]. Dès que le bruit de leur approche se fut répandu dans les lieux d'alentour, de toutes parts les chefs de race anglaise, tous les Anglais en masse, vinrent des bourgs et des campagnes faire amitié avec les Danois et se joindre à eux[243]. Le jeune roi Edgar, Merlsweyn, Gospatrik, Siward Beorn, et beaucoup d'autres réfugiés, accoururent promptement de l'Écosse. On vit arriver aussi Waltheof, fils de Siward, échappé, comme Edwin et son frère, du palais du roi Guillaume : il était encore très-jeune, et se faisait remarquer, de même qu'autrefois son père, par une taille élevée et une grande vigueur de corps[244]. Les Saxons se placèrent à l'avant-garde, les Danois formèrent le corps d'armée, et c'est dans cet ordre qu'ils marchèrent sur York, les uns à cheval, les autres à pied, tous pleins de joie, dit la chronique contemporaine[245]. Des messagers les devancèrent pour avertir les citoyens que leur délivrance approchait, et bientôt la ville d'York fut investie de toutes parts. Dans le huitième jour du siège, les Normands qui gardaient les deux châteaux, craignant que les maisons voisines ne fournissent aux assaillants des matériaux pour combler les fossés, mirent le feu à ces maisons[246]. L'incendie gagna rapidement, et ce fut à la lueur des flammes que les insurgés et leurs auxiliaires, aidés par les habitants, pénétrèrent dans la ville et forcèrent les étrangers de se renfermer dans l'enceinte de leurs citadelles ; le même jour, les deux citadelles furent emportées d'assaut[247]. Dans ce combat décisif périrent, comme s'exprime la chronique saxonne, bien des centaines d'hommes de France[248]. Waltheof, placé en embuscade à l'une des portes des châteaux, tua de sa propre main, à coups de hache, beaucoup de Normands qui cherchaient à s'enfuir[249]. Il poursuivit, avec ses compagnons, cent chevaliers jusque dans un petit bois voisin, et pour s'épargner la peine d'une plus longue course, il fit mettre le feu au bois, où les cent chevaliers furent tous brûlés. Un Danois, guerrier et poète, célébra ce fait d'armes dans un chant où il louait le chef saxon d'être terrible comme Odin, et d'avoir servi aux loups d'Angleterre un repas de cadavres normands[250]. Les vainqueurs firent grâce de la vie aux deux commandants d'York, Gilbert de Gand et Guillaume Malet, à la femme et aux enfants de ce dernier, et à un petit nombre d'autres qui furent emmenés sur la flotte danoise. Ils renversèrent de fond en comble, peut-être imprudemment, les fortifications bâties par l'étranger, afin d'effacer tout vestige de son passage. Le jeune Edgar, redevenu roi dans York, conclut, suivant l'ancienne coutume saxonne, un pacte d'alliance avec les citoyens[251] ; et ainsi fut relevée, pour quelques moments, la royauté nationale des Anglo-Saxons. Son domaine et le pouvoir d'Edgar s'étendait de la Tweed à l'Humber ; mais Guillaume, et avec lui l'esclavage, régnait encore sur tout le pays du sud, sur les plus belles provinces et les plus grandes villes. L'hiver approchait ; les navires des Danois furent mis en station dans le golfe de l'Humber, aux bouches de l'Ouse et de la Trent. Leur armée et celle des Saxons libres attendaient le retour de la belle saison pour s'avancer vers le midi, faire rétrograder les conquérants, et confondre le roi Guillaume, comme s'exprime un vieil historien[252]. Guillaume ne fut pas sans alarmes ; la nouvelle de la prise d'York et de la déroute complète des siens l'avait transporté de douleur et de colère ; il avait juré de ne point quitter sa lance qu'il n'eût tué tous les Northumbriens[253] ; mais, modérant son emportement, il voulut d'abord essayer la ruse, et envoya des messagers habiles à Osbiorn, le frère du roi Sven, commandant supérieur de la flotte danoise. Il promit à ce chef de lui faire tenir en secret une grande somme d'argent, et de lui laisser prendre librement des vivres pour son armée sur toute la côte orientale, s'il voulait, la fin de l'hiver, mettre à la voile et s'éloigner sans combat[254]. Tenté par l'avarice, le Danois fut infidèle à sa mission et traître envers les alliés de son pays ; à son grand déshonneur, disent les chroniques, il promit tout ce que demandait le roi Guillaume[255]. Guillaume ne se borna point à cette seule précaution : après avoir enlevé sans bruit aux Saxons libres leur principale force, il se tourna vers les Saxons de la contrée soumise, fit droit à quelques-unes de leurs plaintes, modéra l'insolence de ses hommes de guerre et de ses agents, amollit par de minces concessions l'esprit faible du grand nombre, donna quelques bonnes paroles, et, en retour, se fit prêter de nouveaux serments et livrer de nouveaux otages[256]. Alors il marcha sur York à grandes journées, avec ses meilleures troupes[257]. Les défenseurs de la ville apprirent en même temps l'approche de la cavalerie normande et le départ des vaisseaux danois. Tout délaissés qu'ils étaient, et déchus de leurs meilleures espérances, ils résistèrent encore, et se firent tuer par milliers sur les brèches de leurs murailles[258]. Le combat fut long et la victoire chèrement achetée. Le roi Edgar se vit contraint de fuir, et ceux qui purent s'échapper comme lui gagnèrent par différents chemins la contrée voisine de l'Écosse. Pour la seconde fois maitre d'York, le conquérant ne s'y arrêta point ; il fit continuer vers le nord la marche rapide de ses bataillons. Les étrangers se précipitèrent sur la terre de Northumbrie avec la frénésie de la vengeance[259] ; ils incendièrent les champs en culture comme les maisons, et massacrèrent les troupeaux de même que les hommes. Cette dévastation fut opérée avec une sorte d'étude et sur un plan régulier, afin que les braves du nord, trouvant leur pays inhabitable, fussent contraints de l'abandonner et de se disperser en d'autres lieux[260]. Ils se retirèrent, soit dans les montagnes qui tenaient leur nom de l'asile qu'y avaient jadis trouvé les Cambriens, soit à l'extrémité des côtes de l'est, dans des marécages impraticables et sur les dunes de l'Océan. Là ils se firent brigands et pirates contre l'étranger, et furent accusés, dans les proclamations du conquérant, de violer la paix publique et de se livrer à un genre de vie infâme[261]. Les Normands entrèrent pour la seconde fois dans Durham, et leur sommeil n'y fut point troublé, comme l'avait été celui de Robert Comine. Avant leur entrée dans cette ville, qui était pour eux la clef de tout le pays septentrional, l'évêque de Durham, Eghehvin, le même qui avait donné à Robert des avertissements si mal reçus, s'était réuni aux principaux habitants pour fuir ensemble et chercher un refuge aux extrémités du pays[262]. Emportant avec eux les reliques de saint Cuthbert, comme un trésor national et comme leur sauvegarde Contre l'ennemi, ils gagnèrent, à l'embouchure de la Tweed, Pile de Lindisfarne, qui, deux fois le jour, à la marée montante, est tout entière baignée par les eaux, et deux fois, quand la mer est basse, se trouve rejointe à la terre ferme[263]. La grande église de Durham, abandonnée de son clergé, devint l'asile des Saxons blessés, malades ou pauvres qui n'avaient pas eu le moyen de s'enfuir ; ils y couchaient sur la pierre au nombre de plusieurs centaines, épuisés de misère et de faim[264]. L'armée conquérante, dont les corps détachés couvraient espace de cent milles, traversa dans tous les sens ce territoire, pour la première fois envahi par elle, et les traces de son passage s'y imprimèrent profondément[265]. De vieux historiens témoignent que, depuis l'Humber jusqu'à la Tyne, il ne resta pas une pièce de terre en culture, pas un seul Village habité[266]. Les monastères qui avaient échappé aux ravages des païens danois, celui de Saint-Pierre auprès de la Wear, celui de Whitby, qu'habitaient des religieuses, furent profanés et incendiés[267]. Au sud du cours de l'Humber, selon les mêmes narrateurs, le ravage ne fut pas moins terrible. Ils disent qu'entre York et la mer orientale, tout être vivant fut mis à mort, depuis l'homme jusqu'à la bête[268], tout, excepté ceux qui se réfugièrent à Beverley, dans le monastère qui renfermait la tombe de saint Jean l'archevêque. C'était un saint de race anglo-saxonne, et, à l'approche des conquérants, un grand nombre d'hommes et de femmes accoururent, avec ce qu'ils avaient de plus précieux, autour de l'église dédiée à leur bienheureux compatriote, afin que, se souvenant qu'il était né Saxon, il les protégeât, eux et leurs biens, contre la fureur de l'étranger[269]. Le camp des Normands était alors à sept milles de Beverley, et le bruit s'y répandit que l'église de Saint-Jean était le refuge des riches et le dépôt des richesses du pays. Quelques éclaireurs aventureux se détachèrent, sous la conduite d'un certain Toustain, pour courir les premiers au pillage[270]. Ils entrèrent à Beverley sans résistance, marchèrent vers le cimetière où se pressait la foule effrayée, et franchirent les barrières sans s'inquiéter du saint anglo-saxon plus que de ceux qui l'invoquaient. Toustain, le chef de la bande, parcourant des yeux les groupes d'Anglais, aperçut un vieillard richement vêtu et portant des bracelets d'or, suivant la mode de sa nation[271]. Il galopa contre lui l'épée nue ; le vieillard effrayé s'enfuit dans l'église, et Toustain l'y poursuivit ; mais à peine eut-il passé les portes, que son cheval, glissant sur le pavé, s'abattit et le froissa clans sa chute[272]. A la vue de leur capitaine à demi mort, les autres Normands tournèrent bride, et, l'imagination frappée, ils coururent pleins d'effroi au camp raconter ce terrible exemple du pouvoir de saint Jean de Beverley. Au passage de l'armée, nul n'osa s'exposer de nouveau à la vengeance du saint, et le domaine de son église, si l'on en croit la légende, resta seul couvert d'habitations et de fruits au milieu du pays dévasté[273]. Guillaume, poursuivant les débris des Saxons libres, alla jusqu'au pied de la grande muraille romaine, dont les restes se prolongent encore de l'est à l'ouest, depuis l'embouchure de la Tyne jusqu'au golfe de Solway. Il retourna ensuite vers York, où il fit apporter de Winchester la couronne d'or, le sceptre doré, le manteau doublé de fourrure et tous les autres insignes de la royauté anglaise ; il les étala en grande pompe durant les fêtes de la Nativité, comme pour faire un défi aux hommes qui avaient combattu, quelques mois auparavant, pour le roi Edgar et leur pays[274]. Il n'y avait plus personne capable de répondre à cette provocation ; un dernier rassemblement de braves fut dispersé sur les bords de la Tyne ; et telle fut, dans la contrée du nord, la fin de la résistance, la fin de la liberté selon les Anglais, celle de la rébellion selon les Normands[275]. Sur les deux rives de l'Humber, la cavalerie du roi étranger,
ses comtes, ses baillis[276], purent
désormais voyager librement par les chemins et par les villes. La famine,
comme une fidèle compagne de la conquête, suivit leurs pas : dès l'année
1067, elle avait désolé quelques provinces, les seules qui alors eussent été
envahies ; mais, en 1070, elle s'étendit sur l'Angleterre entière, et se
montra dans toute son horreur sur les terres nouvellement conquises[277]. Les habitants
de la province d'York et du territoire au nord d'York, après s'être nourris
de la chair des chevaux morts que l'armée normande laissait sur les routes,
mangèrent de la chair humaine ; plus de cent mille personnes de tout âge
périrent de misère dans cette contrée[278]. C'était un affreux spectacle, dit un vieil
annaliste, que de voir sur les chemins, sur les
places publiques, aux portes des maisons, les cadavres humains rongés de
vers, car il ne restait personne pour leur donner la sépulture[279]. Cette détresse n'était que pour les indigènes, et le soldat étranger vivait clans l'abondance ; il y avait pour lui, au sein de ses forteresses, de vastes amas de vivres et de blé, et on lui en envoyait d'outre-mer au prix de l'or enlevé aux Anglais. Bien plus, la famine l'aidait à dompter entièrement les vaincus, et parfois, pour les restes du repas d'un valet de l'armée normande, le Saxon naguère illustre parmi les siens, maintenant flétri par la faim, venait se vendre, lui et toute sa famille, en servitude perpétuelle[280]. L'acte de vente s'inscrivait sur les pages blanches de quelque missel, où l'on peut retrouver aujourd'hui, à demi effacés, et servant de thème à la sagacité des antiquaires, ces monuments des misères d'un autre âge. Le territoire situé d'un côté au nord, et de l'autre au sud de l'Humber, tout ravagé qu'il était, fut divisé entre les conquérants avec le même ordre qui avait présidé aux partages des terres méridionales. On fit plusieurs lots des maisons ou plutôt des ruines d'York ; car dans les deux sièges qu'avait soufferts cette ville, elle avait été tellement dévastée, que, plusieurs siècles après, les fondements des anciens faubourgs se voyaient en rase campagne, à un mille de distance[281]. Le roi Guillaume prit la plus grande partie des habitations qui restaient debout[282] ; les chefs normands se partagèrent le reste, avec les églises, les boutiques des marchands, et jusqu'aux bancs du marché à là viande, dont ils perçurent le loyer[283]. Guillaume de Garenne eut vingt-huit villages dans la seule province d'York, et Guillaume de Percy plus de quatre-vingts manoirs[284]. La plupart de ces domaines, dans le rôle dressé quinze ans plus tard, portent pour qualification ces simples mots : terre en friche[285]. Tel fonds qui, au temps du roi Edward, avait produit 60 livres de rente, en produisait moins de cinq entre les mains de son possesseur étranger ; et sur tel domaine où deux Anglais d'un rang élevé avaient vécu à l'aise, on ne trouva plus, après la conquête, que deux pauvres laboureurs esclaves, rendant à peine à leur seigneur normand la dixième partie du revenu des anciens cultivateurs libres[286]. De grands espaces de pays au nord d'York furent le partage du Bas-Breton Allan, que les Normands appelaient Alain, et que ses compatriotes, dans leur langage celtique, surnommaient Fergan, c'est-à-dire le Roux[287]. Cet Alain construisit un château fort et des ouvrages de défense auprès de son principal manoir, appelé Ghilling, sur une colline escarpée qu'entourait presque de toutes parts la rivière rapide de Swale. Cette forteresse, dit un vieux récit, était destinée à le protéger, lui et les siens, contre les attaques des Anglais déshérités[288]. Comme la plupart des autres capitaines de l'armée conquérante, il baptisa d'un nom français le château qui devint sa demeure, et l'appela Riche-Mont, à cause de sa situation élevée, qui dominait le pays d'alentour[289]. Toute l'île formée par l'Océan et les rivières, à la pointe la plus orientale de l'Yorkshire, fut le partage de Dreux de Beveren, chef d'auxiliaires flamands. Cet homme épousa une parente du roi Guillaume et la tua dans un accès de colère ; mais, avant que le bruit de cette mort se fût répandu, il alla trouver le roi, et le supplia de lui donner de l'argent en échange de ses terres, parce qu'il avait envie de retourner en Flandre. Guillaume fit compter au Flamand la somme qu'il demandait, et ne sut qu'après son départ pourquoi il était parti[290]. Alors l'île de Holderness devint la propriété d'Eudes de Champagne, qui avait pour épouse une des sœurs maternelles du conquérant. Peu de temps après, la femme d'Eudes lui ayant donné un fils, il représenta au roi que son île était peu fertile, qu'elle ne produisait que de l'avoine, et il le pria de lui octroyer une terre capable de porter du blé, pour qu'on pût en nourrir l'enfant[291]. Le roi Guillaume, disent les anciens actes, lui fit don du bourg entier de Bytham, dans la province de Lincoln. Non loin de cette même île de Holderness, sur les bords de
l'Humber, Gamel, fils de Quétel, venu de Meaux en France avec une troupe
d'hommes nés dans la même ville, prit une certaine étendue de terre où il
établit sa demeure et celle de tous ses compagnons[292]. Ces hommes,
voulant attacher à leur nouvelle habitation un souvenir de leur ville natale,
lui donnèrent le nom de Meaux, et ce nom fut pendant plusieurs siècles celui
d'une abbaye fondée au même lieu[293]. Gamel, chef
des aventuriers de Meaux et possesseur du principal manoir de leur petite
colonie, s'entendit avec les chefs normands qui occupaient les terres
voisines pour que les limites de leurs possessions respectives fussent
invariablement déterminées. Il eut plusieurs conférences ou plusieurs parlements, comme on disait alors, avec Basin,
Sivard, Francon et Richard d'Estouteville. Tous, de commun accord, mesurèrent
leurs portions de terre et y établirent des bornes, afin,
dit le vieux récit, que leur postérité ne trouvât rien
à débattre et que la paix qui existait entre eux se transmit à leurs
héritiers[294]. Le grand domaine de Pontefract, lieu où les troupes normandes avaient passé à gué la rivière d'Aire, fut le partage de Guilbert de Lacy, lequel, suivant l'exemple de presque tous les autres capitaines normands, y construisit un château fort[295]. Il parait que ce Guilbert franchit le premier, avec ses bandes, les montagnes à l'ouest d'York, et qu'il envahit la contrée voisine de Lancaster, qui formait alors une portion de la province de Chester. Toujours est-il certain qu'il s'appropria, dans cette contrée, une terre immense, dont le chef-lieu était Blackburn, et qui s'étendait, vers le sud et vers l'est, jusqu'aux frontières de l'Yorkshire. Pour former ce grand domaine, il expulsa, suivant une vieille tradition, tous les propriétaires anglais de Blackburn, de Rochdale, de Tollington et du voisinage. Avant la conquête, disait la tradition, tous ces propriétaires étaient libres, égaux en droits et indépendants les uns des autres ; mais après l'invasion des Normands, il n'y eut plus, dans tout le pays, qu'un seul seigneur et des fermiers à bail[296]. Le roi Guillaume, avec ses corps d'élite, ne s'était avancé que jusqu'à Hexam ; ce furent ses capitaines qui, pénétrant plus loin, conquirent le reste du pays de Northumbrie vers le nord et vers l'ouest. La contrée montagneuse du Cumberland fut érigée en comté normand ; un certain Renouf Meschin en prit possession, et la terre de bruyères et de marais qu'on appelait Westmoreland fut aussi réduite sous le pouvoir d'un gouverneur étranger. Ce comte fit, d'après l'ordre du roi Guillaume, le partage des domaines et des riches héritières du pays. Il donna les trois filles de Simon, fils de Thorn, propriétaire des deux manoirs d'Elreton et de Toclewick, l'une à Onfroy, qui était chevalier et son vassal, l'autre à un écuyer nommé Raoul Tortes-mains, et la troisième à Guillaume de Saint-Paul, aussi écuyer[297]. Dans la Northumbrie proprement dite, Ives de Vescy reçut du roi le bourg d'Alnwich, avec la petite-fille et tout l'héritage d'un Saxon mort à la bataille de Hastings[298]. Robert de Brus eut par conquête, disent les vieux actes, un grand nombre de manoirs et le péage du port de Hartlepool, dans la province de Durham[299]. Enfin, pour citer un dernier trait de ces prises de possession territoriale, Robert d'Omfreville obtint la forêt de Riddesdale, qui appartenait à Mildred, fils d'Akman ; il reçut, comme signe d'investiture, l'épée que le roi Guillaume portait à son entrée dans le Northumberland, et jura sur cette épée de s'en servir pour purger le territoire de loups et d'ennemis de la conquête[300]. Quand les Northumbriens, après avoir expulsé Tosti, frère de Harold, dans une insurrection nationale, eurent choisi pour chef Morkar, frère d'Edwin, Morkar avait mis, de leur aveu, à la tête du pays situé au delà de la Tyne, le jeune Osulf, fils d'Edulf[301]. Osulf garda son commandement jusqu'au jour où les Normands eurent passé la Tyne ; alors il fut contraint de fuir comme les autres dans les forêts et les montagnes. On mit à sa place un noble saxon appelé Kopsi, que les habitants de la Northumbrie avaient chassé avec Tosti dont il était parent, qui avait à se venger d'eux, et que, pour cette raison peut-être, le roi Guillaume leur imposa comme chef. C'était un des hommes d'Angleterre les plus soumis à la conquête, et il avait, entre tous, le singulier renom de plaire aux Normands[302]. Kopsi, installé dans son poste sous la protection d'une force étrangère, se croyait en sûreté malgré la répugnance et la haine de ses compatriotes ; mais, au bout d'un mois, il fut assailli à l'improviste par une troupe de déshérités, conduite par ce même Osulf dont il avait reçu la dépouille. Il était assis à un banquet, dans un bourg de son gouvernement, lorsque les Saxons tombèrent sur lui et sur ceux qui l'entouraient, le tuèrent, et se dispersèrent aussitôt[303]. Ces traits d'audace et de vengeance, dont les historiens ne citent qu'un petit nombre, durent certainement se reproduire en beaucoup de lieux ; mais, quelque nombreux qu'ils fussent, ils ne pouvaient sauver l'Angleterre. Une force immense, régulièrement conduite et régulièrement distribuée, se jouait des efforts vertueux, mais impuissants, des amis de l'indépendance. Les plus braves et les plus grands, ceux dont le nom ralliait beaucoup d'hommes, perdirent courage et se séparèrent, les uns pour retourner dans l'exil, les autres pour capituler de nouveau. Le roi Edgar, avec Merlesweyn et Siward Beorn, gagna un des ports de la côte orientale et s'y embarqua pour l'Écosse ; Waltheof, Gospatrik, Morkar et Edwin firent leur paix avec le conquérant[304]. Ce fut sur les bords de la Tees qu'eut lieu cette réconciliation fatale à la cause saxonne. Le roi Guillaume établit, durant quinze jours, son camp sur les rives de ce fleuve, et là il reçut les serments de Gospatrik et de Waltheof. Le premier, qui était absent et qui se soumit par message, obtint le gouvernement de la Northumbrie, vacant par la mort de Kopsi, avec le titre de comte[305]. Waltheof mit sa main nue dans la main du roi, et devint comte des deux provinces de Huntingdon et de Northampton qu'il avait gouvernées sous le règne d'Edward et perdues par sa révolte contre Guillaume[306]. Il épousa Judith, l'une des nièces du conquérant ; mais, comme le montrera la suite de cette histoire, le lit de la femme étrangère fut plus dur pour le chef saxon que la terre nue où il avait craint de dormir en gardant sa foi à son pays[307]. Après la conquête des terres du nord, celle des provinces du nord-ouest, voisines du territoire gallois, parait s'être bientôt accomplie. Edrik, surnommé le Sauvage, n'arrêta plus les bandes normandes qui débordaient de tous côtés, et cessa de troubler par ses incursions leurs établissements, jusque-hi précaires, aux environs du retranchement d'Offa. Enfin, Raoul de Mortemer fit prisonnier le chef de partisans, et, sur l'avis de son conseil de guerre, le dépouilla de tous ses biens, pour avoir refusé, dit un ancien récit, d'obéir à la conquête[308]. L'armée normande qui réduisit la population des marelles galloises ne s'arrêta pas à la tranchée d'Offa ; mais, passant cette frontière, à l'ouest de Shrewsbury, elle pénétra sur le territoire des Cambriens. Ce fut le commencement de l'invasion du pays de Galles que, depuis lors, poursuivirent sans relâche les conquérants de l'Angleterre[309]. La première forteresse normande élevée sur les terres galloises fut bâtie à seize milles de Shrewsbury, par un chef nommé Baudoin. Les habitants du lieu l'appelaient, en langue cambrienne, Tre-Faldwin, ou le château de Baudoin ; mais le nom que les Normands lui conservèrent fut celui de Mont-Gomery, par égard pour Roger de Montgomery, comte de la province de Shrop et de tout le pays conquis sur les Gallois[310]. La gille de Shrewsbury, fortifiée d'une citadelle bâtie sur l'emplacement de cinquante et une maisons, fut rangée dans le domaine du roi Guillaume[311]. Il y fit percevoir les impôts pour le compte de son échiquier[312] — c'est ainsi que les Normands appelaient ce que les Romains avaient nommé le fisc —. Les agents du conquérant n'exigèrent pas de plus grandes taxes que la ville n'en avait payé dans le temps de l'indépendance anglaise ; mais une réclamation authentique des habitants montre de quelle valeur était pour eux cette modération apparente. Les habitants anglais de Shrewsbury — ce sont les paroles du rôle — disent qu'il leur est bien lourd de payer intégralement l'impôt qu'ils payaient dans les jours du roi Edward, et d'être taxés pour autant de maisons qu'il en existait alors ; car cinquante et une maisons ont été rasées pour le château du comte ; cinquante autres sont dévastées au point d'être inhabitables ; quarante- trois Français occupent des maisons qui payaient dans le temps d'Edward, et, de plus, le comte a donné à l'abbaye qu'il a fondée trente-neuf bourgeois qui autrefois contribuaient avec les autres[313]. Ces monastères, fondés par les Normands dans les villes ou les campagnes de l'Angleterre, se peuplaient de moines venus d'outremer à la suite des troupes étrangères. Chaque nouveau ban de soldats était escorté d'un nouveau ban de clercs, qui venaient au pays des Anglais pour gaaingner, comme on disait alors. Dans l'année 1068, l'abbé de Saint-Riquier en Ponthieu, s'embarquant au port de Wissaut pour aller en Angleterre, rencontra plus d'une centaine de religieux de tous les ordres, avec une foule de militaires et de marchands, qui tous attendaient, comme lui, le moment de passer le détroit[314]. Des bénédictins de Séez en Normandie, pauvres et manquant de tout, vinrent s'établir dans une vaste habitation que leur donna Roger de Montgomery, et y reçurent, pour leur table, la dîme de toute la venaison prise dans la province de Shrop[315]. Des moines de Saint-Florent, à Saumur, émigrèrent pour venir occuper deux églises échues, par conquête, à l'Angevin Guillaume de Brause[316]. Dans la province de Stafford, près de Stone, sur la Trent, se trouvait un oratoire dont les dépendances fournissaient le vivre et le logement à deux nonnes et à un prêtre saxon. Tous les trois furent tués par un certain Enisant, soldat de l'armée conquérante, et cet Enisant, dit la vieille tradition mise en vers, tua le prêtre et les deux nonnes, afin que sa sœur, qu'il amenait avec lui, eût leur église 2[317]. Depuis que la conquête prospérait, ce n'était pas seulement de jeunes soldats et de vieux chefs de guerre, mais des familles entières, hommes, femmes et enfants, qui émigraient de presque tous les coins de la Gaule pour chercher fortune en Angleterre ; ce pays était devenu, pour les gens d'outre-mer, comme ces terres nouvellement découvertes que l'on va coloniser, et qui appartiennent à tout venant. Noël et Célestrie sa femme, dit un ancien acte, vinrent à l'armée de Guillaume le Bâtard, et reçurent en don de ce même bâtard le manoir d'Elinghall, avec toutes ses dépendances 3[318]. Suivant un vieux dicton en rimes, le premier seigneur de Cognisby, nommé Guillaume, était arrivé de basse Bretagne avec son épouse Tifaine, sa servante Maufa et son chien Hardigras[319]. Il se faisait des fraternités d'armes, des sociétés de gain et de perte, à la vie et à la mort, entre les hommes qui s'aventuraient ensemble aux chances de l'invasion[320]. Robert d'Ouilly et Jean d'Ivry vinrent à la conquête comme frères ligués et fédérés par la foi et le serment ; ils portaient des vêtements pareils et des armes pareilles ; ils partagèrent également les terres anglaises qu'ils conquirent[321]. Eudes et Picot, Robert Marmion et Gauthier de Somerville firent de même[322]. Jean de Courcy et Amaury de Saint-Florent jurèrent leur fraternité d'armes dans l'église de Notre-Dame à Rouen ; ils firent vœu de servir ensemble, de vivre et de mourir ensemble, de partager ensemble leur solde et tout ce qu'ils gagneraient par leur bonne fortune et leur épée. D'autres, au moment du départ, se défirent de tous les biens qu'ils possédaient dans leur pays natal, comme étant peu de chose au prix de ce qu'ils espéraient conquérir. C'est ainsi élue Geoffroy de Chaumont, fils de Gédoin, vicomte de Blois, fit don à sa nièce Denise des terres et des rentes qu'il avait à Blois, à Chaumont et à Tours. Il partit pour la conquête, dit l'histoire contemporaine, et revint ensuite à Chaumont avec de grandes sommes d'or et d'argent, et des titres qui lui assuraient la possession de vastes domaines 4[323]. Il ne restait à envahir que la contrée voisine de Chester, et cette ville était la seule des grandes cités d'Angleterre qui n'eût point entendu retentir lès pas des chevaux de l'étranger. Après avoir passé l'hiver dans le nord, le roi Guillaume entreprit, en personne, cette dernière expédition[324] ; mais, au moment de partir d'York, de grands murmures s'élevèrent dans son armée. La réduction du Northumberland avait fatigué les vainqueurs, et ils prévoyaient, dans l'invasion des bords de la mer de l'ouest et de la rivière de Dee, de plus grandes fatigues encore. Des récits décourageants sur la difficulté des lieux en, plein hiver et l'opiniâtreté invincible des habitants de ces territoires circulaient parmi les soldats[325]. Le mal du pays se fit sentir aux Angevins et aux Bretons auxiliaires, comme, dans l'année précédente, il avait attaqué les Normands. Eux, à leur tour, se plaignirent tout haut de la dureté du service et demandèrent en grand nombre leur congé pour repasser la mer[326]. Guillaume ne pouvant réussir à vaincre l'obstination de ceux qui refusaient de le suivre, fit semblant de la mépriser. Il promit à qui lui serait fidèle du repos après la victoire, et de grands biens pour salaire de ses peines[327] ; ensuite il traversa, par des chemins presque impraticables pour les chevaux, la chaîne de montagnes qui s'étend, du nord au sud, dans toute la longueur de l'Angleterre, entra eu vainqueur dans la ville de Chester, et, selon sa coutume, y bâtit une forteresse. Il fit de même à Stafford ; à Salisbury, dans son retour vers le sud, il distribua largement des récompenses à ses gens de guerre[328]. Puis il se rendit à Winchester dans sa citadelle royale, la plus forte de toutes, et qui était son palais de printemps, comme celle de Glocester était son palais d'hiver, et son palais d'été la Tour de Londres ou le couvent de Westminster, près de Londres[329]. Le corps de troupes que commandait un Flamand nommé Gherbod resta pour la garde ou la défense de la nouvelle province conquise ; Gherbod fut le premier capitaine qui porta le titre de comte de Chester. Pour soutenir ce titre et maintenir son poste, il fut exposé à de grands périls, tant de la part des Anglais que de celle des Gallois, qui le harcelèrent longtemps[330]. Il s'ennuya de ces fatigues et repartit pour son pays. Alors le roi Guillaume donna le comté de Chester à Hugues d'Avranches fils de Richard Gosse, qu'on surnommait Hugues le Loup, et qui portait une tète de loup peinte sur son écu. Hugues le Loup et ses lieutenants passèrent la rivière de Dee, qui formait, à l'extrémité de la tranchée d'Offa, la limite septentrionale des terres galloises. Ils conquirent le pays de Flint, qui devint une partie du comté normand de Chester, et bâtirent un fort à Ruddlan[331]. L'un de ces lieutenants, Robert d'Avranches, changea son nom en celui de Robert de Ruddlan, et, par une fantaisie contraire, Robert de Malpas ou de Maupas, gouverneur d'un autre château fort bâti sur une colline élevée, donna son propre nom à ce lieu, qui le porte encore aujourd'hui. Tous, dit un ancien historien, firent une guerre terrible sur la frontière et versèrent à flots le sang des Gallois[332]. Ils leur livrèrent un combat meurtrier près des marais de Ruddlan, lieu déjà noté comme funeste dans la mémoire du peuple cambrien, à cause d'une grande bataille perdue contre les Saxons vers la fin du huitième siècle. Un singulier monument de ces deux désastres nationaux subsistait encore, il y a peu d'années, dans le pays de Galles ; c'était un air triste, sans paroles, mais qu'on avait coutume d'appliquer à beaucoup de sujets mélancoliques : on l'appelait l'air des marais de Ruddlan[333]. De vieux récits disent que, quand Hugues le Loup se fut installé, avec le titre de comte, dans la province de Chester, il fit venir de Normandie l'un de ses anciens amis, appelé Neel ou Lenoir, et que Lenoir amena avec lui cinq frères : Houdard, Édouard, Volmer, Horsuin et Volfan[334]. Hugues leur distribua des terres dans son comté ; il donna à Lenoir le bourg de Halton, près de la rivière de Mersey, et l'institua son connétable et son maréchal héréditaire, c'est-à-dire que toutes les fois que le comte de Chester irait en guerre, Lenoir et ses héritiers, en allant, devaient marcher à la tète de l'armée, et se trouver les derniers au retour. Ils eurent pour lot, dans le partage du butin fait sur les Gallois, tolites les bêtes à quatre membres ayant le poil de diverses couleurs[335]. En temps de paix, ils eurent droit de justice, pour tous les délits, dans le district de Halton, et firent leur profit des amendes ; leurs serviteurs jouissaient du privilège d'acheter avant qui que ce fût dans la ville de Chester, à moins que les serviteurs du comte ne se fussent présentés les premiers[336]. Outre ces prérogatives, Lenoir le connétable obtint, pour lui et pour ses héritiers, l'intendance des chemins et des rues, aux foires de Chester, le péage des marchés sur toute la terre de Halton, tous les animaux trouvés errants dans ce district[337], et enfin le droit d'étalage ou la liberté de vendre en toute franchise, sans taxe et sans péage, toute espèce de marchandises, excepté le sel et les chevaux[338]. Houdard, le premier des cinq frères, devint à peu près pour Lenoir ce que celui-ci était pour le comte Hugues ; il fut sénéchal héréditaire de la connétablie de Halton. Lenoir, son seigneur, lui donna, pour son service et son hommage, les terres de Weston et d'Ashton[339]. Il eut, comme profits de guerre, tous les taureaux conquis sur les Gallois, et le meilleur bœuf pour récompense de l'homme d'armes qui portait sa bannière[340]. Édouard, le second frère, reçut du connétable deux journées de terre à Weston[341] ; deux autres frères, Wolmer et Horsuin, reçurent ensemble un domaine dans le village de Runcone ; et le cinquième, appelé Wolfan, qui était prêtre, obtint, l'église de Runcone[342]. Ces détails bizarres sont en eux-mêmes peu mémorables ; mais ils peuvent aider le lecteur à se figurer les scènes variées de la conquête, et à revêtir de leur couleur originale les faits de plus grande importance. Tous les arrangements d'intérêt, tous les partages de possessions et d'offices qui eurent lieu dans la province de Chester, entre le gouverneur normand, le premier lieutenant de ce gouverneur et les cinq compagnons du lieutenant, donnent une idée vraie et naïve des transactions du même genre qui se faisaient, en même temps, dans toutes les provinces de l'Angleterre. Quand désormais le lecteur rencontrera les titres de comte, de connétable, de sénéchal ; quand il trouvera cités, dans le cours de cette histoire, les droits de juridiction, de marché, de péage, les profits de guerre ou de justice, qu'il se rappelle Hugues d'Avranches, Lenoir son ami, et les cinq frères qui, vinrent avec Lenoir. Alors quelque réalité lui apparaîtra sous ces formules du temps passé, qui, envisagées abstractivement, n'ont pour nous, à la distance où nous sommes, qu'un sens vague et incertain. Il faut pénétrer jusqu'aux hommes, à travers l'espace des temps ; il faut se les représenter vivant et agissant sur le sol où la poussière de leurs os ne se retrouverait pas aujourd'hui ; et c'est à dessein que beaucoup de faits locaux, que beaucoup de noms ignorés ont été placés dans ce récit. Que l'imagination du lecteur s'y attache : qu'elle repeuple la vieille Angleterre de ses envahisseurs et de ses vaincus du onzième siècle ; qu'elle se figure leurs situations, leurs intérêts, leurs langages divers, la joie et l'insolence des uns, la misère et la terreur des autres, tout le mouvement qui accompagne la guerre à mort de deux grandes masses d'hommes. Il y a sept cents ans que ces hommes ne sont plus ; mais qu'importe à l'imagination guidée par l'étude ? Pour elle, il n'y a point de passé, et l'avenir même est du présent. |
[1] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. normann., p. 204.
[2] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Glossar., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[3] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Glossar., ed. Lye, t. II, ad finem. — Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. normann., p. 204.
[4] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Glossar., ed. Lye, t. II, ad
finem. — Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-norm., t. III,
p. 28.
[5] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. normann., p. 204.
[6] Voyez liv. II, passim.
[7] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. gallic et francic., t. XI, p. 99.
[8] Gervasii Cantuar., de Discordiis inter monachos cantuarienses et baldewinum archiepiscopum, col. 1310, cd. Selden. — Epistola Lanfranci ad Alexandrum papam II ; Wilkins, Concilia Magnæ Britanniæ, p. 327.
[9] Chron. Wilielmi Thorn., apud. Hist. anglic. Script., col. 1786, ed. Selden. — Lappenberg, Geschichte von England, t. II, p. 65. — Voyez ci-après, Pièces justificatives, la ballade du seizième siècle.
[10]
Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. anglic.
et francic., t. XI, p. 99. — Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI,
apud Gloss., ed. Lye,
t. II, ad finem.
[11] Willelm. Malmesb., de Gest. reg.
angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 102, ed. Savile.
[12] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[13] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 102, ed. Savile.
[14] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 100.
[15] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[16] Willelm. Malmesb., de Gest. reg.
angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 102, ed. Savile.
[17] Florent. Wigorn. Chron.,
p. 634.
[18] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 205. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV,
apud Script. rer. normann,, p. 503.
[19] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 205. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV,
apud Script. rer. normann,, p. 503.
[20] Willelm. Gemet. Hist. normann.,
apud Script. rer. normann., p. 288.
[21] Voyez, sur ce genre d'institutions, le chapitre VI des Considérations sur l'histoire de France placées en tête des Récits des temps mérovingiens.
[22] Voyez Ed. Lye, Dictionn. saxonico et gothico-latinum, aux mots Stallere, Steallere. — Chron. anglo-normandes, t. II, p. 234.
[23] Widonis Carmen de Hastingæ
prælio ; Chron. anglo-norm., t. III, p. 31.
[24] Widonis Carmen de Hastingæ
prælio ; Chron. anglo-norm., t. III, p. 31.
[25] Widonis Carmen de Hastingæ
prælio ; Chron. anglo-norm., t. III, p. 33.
[26] Widonis Carmen de Hastingæ
prælio ; Chron. anglo-norm., t. III, p. 33.
[27] Widonis Carmen de Hastingæ
prælio ; Chron. anglo-norm., t. III, p. 33.
[28] Widonis Carmen de Hastingæ
prælio ; Chron. anglo-norm., t. III, p. 34.
[29] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
— Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 102, ed. Savile.
[30] Florent. Wigorn. Chron., p.
634. — Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVI, apud Gloss., ed. Lye,
t. II, ad finem.
[31] Matth. Paris. Vitæ abbatum S.
Albani, p. 47.
[32] John Speed's, Histor. of Great
Britain, p. 436, ed. London, 1623.
[33] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 205.
[34] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 205.
[35] Guill. Pictav., apud Script. rer.
normann., p. 205.
[36] Guill. Pictav., apud Script. rer.
normann., p. 203.
[37] Guill. Pictav., apud Script. rer.
normann., p. 205.
[38]
Gulielm. Neubrig., de Rer. anglic., p. 15, ed. Hearne.
[39] Willelm. Malmesb., de Gest.
pontific. angl., p. 204, ed. Savile.
[40] Willelm. Malmesb., de Gest.
pontific. angl., p. 204, ed. Savile.
[41] Ingulf. Croyland. Hist., p. 900, ed. Savile. — Widonis Carmen de Hastingæ prælio ;
Chron, anglonorum., t. III, p. 37.
[42] Gulielm. Neubrig., de Reb.
anglic., p. 15, ed. Hearne. — Chron. Johan. Bromton, apud Hist.
anglic. Script., col. 962, ed. Selden. — Chron. Walteri Hemingford,
apud Hist. anglic. Script., t. II, p. 457, ed. Gale.
[43] Westminster.
[44] Chron. saxon., passim.
[45] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503. — Guill. Pictav., apud ibid,
p. 206.
[46] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503.
[47] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503.
[48] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503.
[49] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503.
[50] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503. — Chron. saxon.,
Fragm. sub anno MLXVI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
[51] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. III, apud Script. rer. normann., p. 503. — Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 100.
[52] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 208.
[53] Orderic. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 506. — Guill. Pictav., apud ibid.,
p. 208.
[54] Dialogus de saccario, in notis ad Matth. Paris., ad initium.
[55] Dialogus de saccario, in notis ad Matth. Paris., ad initium.
[56] Dialogus de saccario, in notis ad Matth. Paris., ad initium.
[57] Dialogus de saccario, in notis ad Matth. Paris., ad initium.
[58] Ricardus Nigellus, Richard Lenoir, ou Noirot, évêque d'Ely au douzième siècle.
[59] Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 206.
[60] Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 206.
[61] Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 206.
[62] Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 206.
[63] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 239. — Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 208. — Ce qu'il y a de fausseté historique dans beaucoup d'assertions du même auteur est signalé par D. Bouquet, Recueil des hist. de la France, t. XI, p. 96, note.
[64] Roman de Rou, t. II, p. 387.
Dona chastels, dona citez,
Dona manoirs, dona comtez,
Dona terres as vavassors,
Dona altres rentes plusors.
— Le mot vassal était alors synonyme d'homme de guerre. Hardi et noble vassal. Vassaument, pour bravement.
[65] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. VI, apud Script. rer. normann., p. 606.
[66] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem. — Guill. Pictav, de Gest, Guillelmi ducis, apud Hist. normann.
Script., p 208.
[67] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 173.
[68] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 173.
[69] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 173.
[70] Le mot paramour, dans l'anglais moderne, est un bizarre composé de la vieille locution normande.
[71] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 523.
[72] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 522 et 523.
[73] Voir le tableau qu'on se faisait de la conquête en Allemagne et en France : Ex Chronico germano-saxonico, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 216. — Ex Chronico lemovicensi Willelmi Godelli, apud ibid., p. 284.
[74] Extracta ex Domesday-book, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 759, ed. Gale.
[75] Domesday-book, vol. I, fol. 9, verso.
[76] Extracta ex Domesday-book, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 759, ed. Gale.
[77] Domesday-book, vol. I, fol. 33, recto.
[78] Domesday-book, vol. II, p. 1.
[79] Edeva
faira. (Domesday-book. vol. II,
p. 285.) — La même femme, nommée ailleurs Edeva
pulchra, avait aussi des terres qui lui furent enlevées dans les
provinces de Hertford, de Buckingham et de Cambridge. — Voyez Henry Ellis, General
introduction to Domesday-book, vol. II, p. 78.
[80] Domesday-book, vol. II, p. 117.
[81] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 208.
[82] Extrada ex Domesday-book, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 764, ed. Gale.
[83] Extrada ex Domesday-book, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 764, ed. Gale.
[84] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 905. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann. Script., p. 521.
[85] Voyez plus haut, livre III.
[86] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 210.
[87] Domesday-book, t. I, fol. 38, verso.
[88] Domesday-book, t. I, fol. 137, verso.
[89] Matth. Paris, Vitæ abbalunt S.
Albani, t. I, p. 46.
[90] Matth. Paris, Vitæ abbalunt S.
Albani, t. I, p. 46.
[91] Castellum
Beynardi, Baynard castle.
(Maitland's History of London, p. 41.)
[92] Conte, baron et chevalier ; conte, baron et vavassor. (Anciennes poésies normandes.)
[93]
Orderic. Vital. Hist.
ecclesiast., apud Hist.
normann. Script., p. 521.
[94] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 963, ed. Selden.
[95] Tous les granntz sieignors apres nomez si come il est escript en le liver des conquérors. (Johan. Lelandi Collectanea, vol. I, p. 202.)
[96] Monast. anglic., Dugdale, passim.
[97] Devenu par corruption Chaloner.
[98] Devenus par corruption Rochford, Rokely, Chaworth, etc. D'autres noms français ont été défigurés de diverses manières, comme de la Haye, Hay ; de la Souche, Zouche, du Saut-de-Chevreau, Sacheverell, etc.
[99] Ce mot, d'extraction française, n'avait pas d'équivalent précis dans la langue anglo-saxonne.
[100] Johan. de Fordun, Scoti-chronicon,
lib. IV, p. 404, ed. Hearne.
[101] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 173. — Guill. Pictav., apud Hist. normann.
Script., p. 206. — Henrici Huntind. Hist., lib. VII, p. 369, ed.
Savile.
[102] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 209.
[103] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 209.
[104] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 209.
[105] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 209.
[106] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 209.
[107] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 210. — Guillaume de Poitiers a senti le besoin d'entourer le fait qu'il énonçait d'une explication apologétique. Les trois Gaules sont une allusion aux Commentaires de César et aux écrits des géographes romains.
[108] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 211.
[109] Guill. Pictav., apud. Script. rer. normann., p. 211. — Voyez le Glossaire de Ducange, aux mots Anglicum opus.
[110] Raoul, comte de Vermandois et de Mantes, époux en secondes noces de la reine Anne, mère de Philippe Ier.
[111] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 211.
[112] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 211. — Cette mode nationale des cheveux longs et bouclés, qui rendait la jeunesse anglaise plus belle aux yeux des étrangers, était depuis quelque temps blâmée en Angleterre, comme un signe de mollesse, par un évêque réputé saint. Il avait pour habitude de couper la chevelure des jeunes gens qui s'approchaient de lui avec un petit couteau qui lui servait à se rogner les ongles. L'auteur de sa vie ajoute : Si qui repugnandum putarent, eis palum exprobrare mollitiem.... qui æmularentur capillorum fluxu fœminas non plusquam fœminæ valerent ad defensandam patriam contra gentes transmarinas. (Vita sancti Wulstani., Wigorn. episc., Anglia sacra, t. II, p. 254.)
[113] Guill. Pictav., apud. Script.
rer. normann., p. 211.
[114] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 507.
[115] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 507.
[116] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann. Script., p. 507.
[117] Voyez plus haut, livre III.
[118] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 212.
[119] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 212.
[120] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 212.
[121] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 212.
[122] Florent. Wigorn. Chron., p.
635. — Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 221.
[123] Florent. Wigorn. Chron., p.
635. — Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVII, apud Gloss., ed. Lye,
t. II, ad finem.
[124] Florent. Wigorn. Chron., p.
635. — Chron. saxon., Fragm sub anno apud MLXVII, Gloss., ed. Lye,
t. II, ad finem.
[125] Florent. Wigorn. Chron., p.
635.
[126] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 212.
[127] Guill. Pictav., apud Script.
rer. normann., p. 212.
[128] Matth. Paris. Vitæ abbatum S.
Albani, t. I, p. 47. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist.
normann. Script., p. 509.
[129] Matth. Paris. Vitæ abbatum S.
Albani, t. I, p. 47.
[130] Matth. Paris. Vitæ abbatum S.
Albani, t. I, p. 47.
[131] Maitland's History of London,
p. 28.
[132] Chron. saxon. Fragm. sub anno MLXVII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[133] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[134] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[135] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[136] Chron. saxon. Fragm. sub anno MLXVII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[137] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[138] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[139] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[140] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[141] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[142] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 510.
[143] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[144] Chron. saxon., Fragm. sub anno apud MLXVII, Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[145] Florent. Wigorn. Chron., p.
635.
[146] Domesday-book, vol. I, fol. 100, recto.
[147] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann. Script., p. 510.
[148] Se Hlafdige, se Cwene. De hlafdige, en supprimant les aspirations, on a fait lafdy et lasdy, enfin lady. Cwene, cween, ou queen, signifie proprement une femme. — La reine Mathilde, récemment appelée en Angleterre par son mari, avait été, comme lui, sacrée par l'archevêque Eldred.
[149] Domesday-book, vol. I, fol. 101, recto. — Voyez Henry Ellis, Introduction to
Domesday-book, t. II, p. 54.
[150] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 154.
[151] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 190.
[152] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud ed. Lye, t. II, ad finem. —
Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann.,
p. 509.
[153] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 132.
[154] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 151 et 190.
[155] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 225.
[156] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 225.
[157] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 225.
[158] Matth. Paris. Vitæ abbatum S.
Albani, t. I, p. 47.
[159] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 511.
[160] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 511.
[161] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 511.
[162] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 511.
[163] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 212. — Willelm. Gemet., Hist. normann., apud ibid.,
p. 289.
[164] Willelm. Gemet., Hist. normann.,
apud Hist. normann. Script., p. 290.
[165] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 173.
[166] Voyez plus haut, livre I, passim.
[167]
L'historien Bède, au huitième siècle, distingue l'idiome des Pictes de celui
des Scots. Voyez Venerabilis
Bedæ Hist. gentis Anglor. ecclesiast., lib. I, cap. I.
[168] Voyez Jamicson's Popular songs,
t. II, notes.
[169] Johann. de Fordun, Scoti-chronicon,
lib. IV, p. 280, ed. Hearne.
[170] Johann. de Fordun, Scoti-chronicon, lib. IV, p. 283, ed. Hearne.
[171] Irse, Irshe, Irisd, nom saxon des habitants d'Ireland.
[172] Lowlands
of Scotland.
[173] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 103, ed. Savile. — Johan. de Fordun, Scoci-chronicon, lib. V, p. 410 et seq., ed. Hearne.
[174] Johan. de Fordun, Scoci-chronicon, lib. V, p. 412, ed. Hearne. — Ellis's Metrical Romances, introduction, p. 127.
[175]
Chron. saxon. Fragm. sub anno MLXVII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
[176] Willelm. Malmesb., de Gest. reg.
angl., lib. III, p. 102, ed Savile. — Matth. Paris., t. I, p. 6.
[177] Extracta ex Domesday-book,
apud Rer. avec. Script., t. I, p. 765, ed. Gale.
[178] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 984.
[179] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 312.
[180] Domesday-book, vol. fol. 280, recto.
[181] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann. Script., p. 511. — Domesday-book, vol. I, fol. 280, recto.
[182] Ce lieu se nomme aujourd'hui the Peak, le Pic, et l'on y voit encore les ruines de la forteresse de Peverel.
[183] Order. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 511. — Domesday-book, vol. I,
fol. 336, verso.
[184] Successio primorum eccles.
dunelmensis, Anglia sacra, t. I, p. 786.
[185] Roger de Hoved. Annal, pars
I, apud Rer. anglic. Script., p. 456, ed. Savile.
[186] Roger de Hoved. Annal, pars
I, apud Rer. anglic. Script., p. 456, ed. Savile.
[187] Roger de Hoved. Annal, pars
I, apud Rer. anglic. Script., p. 456, ed. Savile.
[188] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 645.
[189] Willelm. Gemet. Hist. normann.,
apud Script. rer. normann., p. 290.
[190] Willelm. Gemet. Hist. normann.,
apud Script. rer. normann., p. 290. — Orderic. Vital. Hist.
ecclesiast., apud ibid., p. 511.
[191] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Hist. normann. Script., p. 290 et passim.
[192]
Matth. Wesmonast. Flor.
histor., p. 225.
[193] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 511.
[194] Guill. Pictav., apud Hist. normann. Script., p. 213. Sur les premières dispositions des citoyens d'York., Orderic Vital dit : Eboracensis civitas ardentissime furit, quam sanctitas pontificis sui sedare requit. (Hist. normann. Script., p. 511.)
[195]
L'énorme quantité de vases et d'ornements sacrés, dont Guillaume avait fait des
largesses aux églises de Normandie et de toute la Gaule, passait, contre toute
évidence, pour lui avoir été donnée volontairement par les églises d'Angleterre
(Guill. Pictav., apud Hist. normann. Script., p. 211.) — Voyez, pour les
promesses du sacre, Roger de Hoveden, p. 450, ed. Savile.
[196] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden. — Vita sancti Welstani, Willelm.
Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. IV, p. 280, ed. Savile.
[197] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden.
[198] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden.
[199] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden.
[200] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden. — Gulielm. Neubrig., apud Script. rer.
britann. antiq., p. 357. — Anglia sacra, t. I, p. 294.
[201] Gulielm. Neubrig., apud Script.
rer. Britann., p. 357.
[202] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden.
[203] Gulielm. Neubrig., apud Script.
rer. Britann., p. 357. — Thomas Stubbs, Actus pontific. eborac.,
col. 1704, ed. Selden.
[204] Gulielm. Neubrig., apud Script.
rer. Britann., p. 357.
[205] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 512. — Ibid., p. 507.
[206] Thomas Stubbs, Actus pontific.
eborac., col. 1703, ed. Selden.
[207] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.
[208] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.
[209] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.
[210] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.
[211] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.
[212] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye,
t. II, ad finem. — Selon Florent de Worcester et les chroniqueurs qui l'ont
suivi, cette expédition fut conduite par les trois fils de Harold. Voyez Florent. Wigorn. Chron.,
p. 635.
[213] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 514.
[214] Willelm. Malmesb., de Gest. reg.
angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 104, ed. Savile.
[215] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem. — Florent. Wigorn. Chron., p. 635.
[216] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye, t, II, ad
finem. — Florent. Wigorn. Chron., p. 635.
[217] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye, t, II, ad
finem. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann. Script.,
p. 513.
[218] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Scipt. rer. normann., p. 514.
[219] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Scipt. rer. normann., p. 514.
[220] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Scipt. rer. normann., p. 514.
[221] Hist. monast. selebiensis, apud Labbe, Nova Biblioth. ms., t. I, p. 602.
[222] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512.
[223] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 512. — Chron. saxon.,
Fragm, sub anno MLXVIII apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
[224] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 512.
[225] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast„
apud, Hist. normann. Script., p. 511.
[226] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 174. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast„
apud, Hist. normann. Script., p. 512.
[227] Simeon. Dunelm. Hist., col.
198, ed. Selden.
[228] Simeon. Dunelm. Hist., col.
198, ed. Selden.
[229] Simeon. Dunelm. Hist., col.
198, ed. Selden.
[230] Simeon. Dunelm. Hist., col.
198, ed. Selden.
[231] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 174. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud
Rer. anglic. Script., p. 450 et 451, ed. Savile.
[232] Simeon. Dunelm. Hist., col.
198, ed. Selden.
[233] Legatio Helsini in Daniam, apud Script. rer. danic., t. III, p. 255, in nota n ad
calc. pag.
[234] Legatio Helsini in Daniam, apud Script. rer. danic., t. III, p. 253 et 254.
[235] Henrici Knyghton, de
Event. angl., lib. II, apud Hist. anglic. Script., t. II, col. 2343,
ed. Selden. — Torfæi, Hist. rer. norveg., t. III, p. 385 et 386.
[236] Legatio Helsini in Daniam, apud Script. rer. danic., t. III, p. 214.
[237] Voyez livre II, passim.
[238]
Orderic. Vital. Hist.
ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 513.
[239] Willelm. Gemet. Hist. normann.,
apud Script. rer. normann., p. 290.
[240] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud. Hist. normann. Script., p. 512.
[241] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 226. — Matth. Paris., t. I, p. 6.
[242] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 513.
[243] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 513. — Chron. saxon.,
Fragm. sub anno MLXVIII apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
[244] Vita et passio Walvevi
comitis, Chron. anglo-norm., t. II, p. 112.
— Matth. Westmonast. Flor. histor., p. 229.. — Voyez plus haut, livre
III.
[245] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann.
Script., p. 513.
[246] Alured. Beverlac. Annal.
de Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 128, ed. Hearne. — Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII,
apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
[247] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 128, ed. Hearne.
[248] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye, t. II. ad finem. — Matth. Paris., t. I, p. 6.
[249] Vita et passio Waldevi comitis, Chron. anglo-norm., t. II, p. 112.
[250] Saga af Haraldi Hardrada, cap. CI ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 168. — La tradition scandinave, en gardant le souvenir de ce combat, le confondit avec la bataille de Hastings ; elle en fit l'action principale de la lutte entre les Saxons et les Normands, et fit de Waltheof lui-même un des frères du roi Harold.
[251] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud. Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[252] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 226. — Matth. Paris., t. I, p. 6.
[253] Roger de Hoved. Annal., pars
I, apud Rer. anglic. Script., p. 451, ed. Savile.
[254] Florent. Wigorn. Chron., p.
636.
[255] Florent. Wigorn. Chron.,
p. 636.
[256] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 226.
[257] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLXVIII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad
finem.
[258] Matth. Westmonast. Flor. histor.,
p. 236.
[259] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 123, ed. Hearne. — Chron. saxon.,
ed. Gibson, p. 174.
[260] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 514.
[261] Willelm. Gemet. Hist. normann.,
apud Script. rer. normann., p. 290.
[262] Chron. Johann. Bromton, col. 966, ed. Selden.
[263] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 129, ed. Hearne.
[264] Simeon. Dunelm. Hist., apud Hist.
anglic. Script., col. 199, ed. Selden.
[265] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
apud Hist. normann. Script., p. 514.
[266] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lih. IX, p. 128, ed. Hearne. — Willelm. Malmesb. de
Gest. reg. angl., lib. III, p. 103, ed. Savile.
[267] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., col. 966, ed.
Selden. — Simeon. Dunelm. Hist., apud ibid., col. 199.
[268] Alured. Beverlac. Annal. de Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 129, ed. Hearne.
[269] Alured. Beverlac. Annal. de Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 129, ed. Hearne. — Jean, d'abord moine à Beverley, puis évêque d'Hexam, et enfin archevêque d'York, honoré comme saint après sa mort, arrivée en 721.
[270] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 129, ed. Hearne.
[271] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 129, ed. Hearne.
[272] Alured. Beverlac. Annal. de
Gest. reg. Britann., lib. IX, p. 129, ed. Hearne.
[273] Chron. Johan. Bromton, apud Hist. anglic. Script., t. I, col. 966,
ed. Selden.
[274] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515.
[275] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515. — Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer normann., p. 290.
[276] Ballivi ; en français du temps, bailis ou baillis, nom qui s'appliquait à plusieurs sortes d'officiers publics.
[277] Florent. Wigorn. Chron., sub
anno 1069, p. 636.
[278] Florent. Wigorn. Chron., sub
anno 1069, p. 636. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. IV, apud Script.
rer. normann., p. 515.
[279] Roger de Hoved. Annal., pars
I, apud Rer. anglic. Script., p. 451, ed. Savile.
[280] Roger de Hoved. Annal., pars
I, apud Rer. anglic. Script., p. 451, ed. Savile.
[281] Lelaudi Collectanea, vol. IV, p. 36.
[282] Extracta ex Domesday-book,
apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 774, ed. Gale.
[283] Domesday-book, vol. I, fol. 298, recto.
[284] Ancient tenures of land, p. 6.
[285] Domesday-book, vol. I, fol. 309, recto.
[286] Domesday-book, vol. I, fol. 315, recto.
[287] Geneal. comit. Richmundiæ, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 568.
[288] Geneal. comit. Richmundiæ, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XII, p. 568.
[289] Ibid. — Monast. anglic.,
Dugdale, t. I, p. 877.
[290] Dugdale's Baronage of England,
t. I, p. 60. — Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 796.
[291] Dugdale's Baronage of England,
t. I, p. 60. — Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 796.
[292] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 792.
[293] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 792.
[294] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 794.
[295] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 859.
[296] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 859.
[297] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 838.
[298] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 592.
[299] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 148. — Ancient tenures of land, p. 146.
[300] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 15.
[301] Simeon. Dunelm. Hist., apud Hist.
angl. Script., col. 204, ed. Selden.
[302] Guill. Pictav., apud Hist.
normann. Script., p. 212.
[303] Simeon. Dunelm., apud Hist.
anglic. Script., col. 204, ed. Selden.
[304] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 174. — Simeon. Dunelm. Hist., col. 200, ed.
Selden.
[305] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 41.
[306] Orderio. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515. — Chron. saxon.,
Fragm. sub anno MLXXI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.
[307] Vita et passio Waldevi
comitis, Chron. anglo-norm., t. II, p. 112.
[308] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 221.
[309] Gesta Stephani regis, apud Script. rer. normann., p. 930.
[310] Pennant's Tour in Wales, t.
II, p. 348.
[311] Extracta ex Domesdaybook, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 773, ed. Gale.
[312] Ce nom vient d'une table à cases et à compartiments sur laquelle on comptait les sommes d'argent pour faciliter le calcul.
[313] Extracta ex Domesdaybook, apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 773, ed. Gale.
[314] Chron. S. Richarii, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 133.
[315] Pennant's Tour in Wales, t.
II, p. 402.
[316] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 973.
[317] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 126.
[318] Monast. anglic., Dugdale, t. III, p. 54.
[319] Hearne, præfat. ad Johan de Fordun Scoti-chronicon,
p. 170.
[320] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 136.
[321] Ducange, Gloss. ad Script.
mediæ et infimæ latinitatis, verbo Fratres conjurati.
[322] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 198.
[323] Gesta ambasiensium dominorum, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 258.
[324] Orderic. Vital. Hist.
ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515.
[325] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515.
[326] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515.
[327] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515.
[328] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 515.
[329] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 190.
[330] Orderic. Vital. Hist, ecclesiast.,
lib. IV, apud Script. rer. normann., p. 522.
[331] Journey to Snowdon, p. 11 ; Pennant's Tour in Wales, vol. II, à la fin.
[332]
Orderic. Vital. Hist.
ecclesiast., lib. IV, apud Script. rer. normann.,
p. 522.
[333] Morfa Rhuddlan. Voyez Cambro-briton, vol. I, p. 53 et 95.
[334] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.
[335] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.
[336] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.
[337] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187. — Voyez le Glossaire de Ducange, au mot Wayf.
[338] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.
[339] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.
[340] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187. — Voyez Ducange, Gloss. ad Script. mediæ et infimæ latinitatis, verbo Adventagium.
[341] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.
[342] Monast. anglic., Dugdale, t. II, p. 187.