HISTOIRE DE LA CONQUÊTE DE L'ANGLETERRE PAR LES NORMANDS

TOME PREMIER

 

LIVRE TROISIÈME.

 

 

Depuis le soulèvement du peuple anglais contre les favoris normands du roi Edward jusqu'à la bataille de Hastings.

1048-1066

 

Parmi les hommes qui vinrent de Normandie ou de France, pour visiter le roi Edward, se trouvait Eustache, comte de Boulogne. Il gouvernait héréditairement cette ville, avec un petit territoire voisin de l'Océan ; et, pour signe de sa dignité de seigneur d'une contrée maritime, il attachait à son heaume, lorsqu'il s'armait en guerre, cieux longues aigrettes de fanons de baleine[1]. Eustache venait d'épouser la sœur d'Edward, déjà veuve d'un haut baron français nommé Gaultier de Mantes[2]. Le nouveau beau-frère du roi saxon séjourna auprès de lui quelque temps, avec une suite nombreuse. Il trouva le palais rempli d'hommes nés comme lui dans la Gaule et en parlant l'idiome, de façon que l'Angleterre lui semblait un pays conquis, où les Normands et les Français avaient le droit de tout oser. Dans son voyage de retour, après avoir pris du repos à Canterbury, le comte Eustache se dirigeait vers Douvres. Il fit faire halte à son escorte à quelque distance de la ville, quitta son palefroi de voyage, et monta le grand coursier qu'un de ses gens lui menait en main droite[3] ; il endossa sa cotte de mailles, et tous ses compagnons firent de même. C'est dans cet attirail menaçant qu'ils entrèrent à Douvres[4].

Ils se promenaient insolemment par la ville, marquant les meilleures maisons pour y passer la nuit, et s'y établissant d'autorité. Les habitants murmurèrent ; l'un d'entre eux eut le courage d'arrêter sur le seuil de sa porte un des Français qui prétendait prendre son quartier chez lui. L'étranger mit l'épée à la main et blessa l'Anglais, qui, s'armant à la hâte avec les gens de sa famille, assaillit et tua l'agresseur. A cette nouvelle, Eustache de Boulogne et toute sa troupe quittèrent leurs logements, remontèrent à cheval, et faisant le siège de la maison de l'Anglais, ils le massacrèrent, dit la chronique saxonne, devant son propre foyer[5]. Ensuite ils parcoururent la ville, l'épée nue à la main, frappant les hommes et les femmes, et écrasant les enfants sous les pieds de leurs chevaux[6]. Ils n'allèrent pas loin sans rencontrer un corps de citoyens en armes ; et, dans le combat qui s'engagea, dix-neuf des Boulonnais furent tués. Le comte prit la fuite avec le reste des siens ; mais n'osant gagner le port et s'embarquer, il retourna vers la ville de Glocester, où résidait alors le roi Edward avec ses favoris normands[7].

Le roi, disent les chroniques, donna sa paix à Eustache et à ses compagnons[8]. Il crut, sur la seule parole de son beau-frère, que tout le tort était du côté des habitants de Douvres, et, enflammé contre eux d'une colère violente, il manda promptement Godwin, dans le gouvernement duquel cette ville était comprise : Pars sans délai, lui dit Edward, et va châtier, par une exécution militaire, ceux qui attaquent mes parents à main armée et troublent la paix du pays[9]. Moins prompt à se décider en faveur d'un étranger contre ses compatriotes, Godwin prop6sa qu'au lieu d'exercer une vengeance aveugle sur la ville entière, on citât, selon les formes légales, les magistrats à comparaître devant le roi et les juges royaux, pour rendre raison de leur conduite[10]. Il ne vous convient pas, dit-il au roi, de condamner, sans les entendre, des hommes que votre devoir est de protéger[11].

La colère d'Edward, animée par les clameurs de ses courtisans et de ses favoris, se tourna tout entière contre le chef anglais, qui, accusé lui-même de désobéissance et de rébellion, fut sommé de comparaître devant un grand conseil convoqué à Glocester. Godwin s'émut peu d'abord de cette accusation, pensant que le roi se calmerait, et que les autres chefs lui rendraient justice[12]. Mais il apprit bientôt que, par l'influence royale et par les intrigues des étrangers, l'assemblée avait été séduite, et qu'elle devait rendre un arrêt de bannissement contre lui et contre ses fils. Le père et le fils résolurent d'opposer leur popularité à ces manœuvres, et de faire un appel aux Anglais contre les courtisans d'outre-mer, quoiqu'il l'id loin de leur esprit, dit encore l'ancienne chronique, de vouloir faire aucune violence à leur roi national[13].

Godwin leva une troupe de soldats volontaires dans le pays situé au sud de la Tamise, pays qu'il gouvernait clans toute son étendue. Harold, l'ainé de ses fils, rassembla beaucoup d'hommes sur les côtes de l'est, entre la Tamise et le golfe de Boston ; son second fils, nommé Sweyn, engagea dans cette opposition patriotique les habitants des bords de la Saverne et des frontières galloises. Les trois corps d'armée se réunirent près de Glocester, et demandèrent au roi, par des messages, que le comte Eustache et ses compagnons, ainsi que plusieurs Normands et Boulonnais qui se trouvaient en Angleterre, fussent livrés au jugement de la nation. Edward ne répondit point à ces requêtes, et envoya aux deux grands chefs du nord et des provinces centrales, à Siward et à Leofrik, tous les deux Danois de naissance, l'ordre de se mettre en marche vers le sud-ouest avec toutes les forces qu'ils pourraient rassembler. Les gens de Northumbrie et de Mercie qui s'armèrent, à l'appel fait par les deux chefs, pour la défense de l'autorité royale, ne le firent point avec ardeur. Siward et Leofrik entendaient murmurer par leurs soldats qu'on se trompait, si l'on comptait sur eux pour verser le sang de leurs compatriotes en faveur de l'intérêt étranger et des favoris du roi Edward.

Tous deux furent sensibles à ces remontrances ; la distinction nationale entre les Anglo-Saxons et les Anglo-Danois était devenue assez faible pour que la vieille haine des deux races ne pût désormais servir d'instrument à une cause ennemie de celle du pays. Les chefs et les guerriers des provinces septentrionales refusèrent d'en venir aux mains avec les insurgés du sud ils demandèrent qu'un armistice eût lieu entre le roi et Godwin, et que leur différend fût débattu devant une assemblée tenue à Londres[14]. Edward fut contraint de céder. Godwin, qui ne souhaitait point la guerre pour elle-même, consentit volontiers ; et d'une part et de l'autre, dit la chronique saxonne, on se jura la paix de Dieu et une parfaite amitié[15]. C'était la formule du siècle ; mais, d'un côté du moins, ces promesses furent peu sincères. Le roi profita du temps qui lui restait jusqu'à la réunion de l'assemblée, fixée à l'équinoxe d'automne, pour augmenter la force de ses troupes, pendant que Godwin se retirait vers les provinces du sud-ouest, et que ses bandes volontaires, n'ayant ni solde ni quartiers, retournaient dans leurs familles. Faussant, quoique indirectement, sa parole, Edward fit publier, dans l'intervalle, son ban pour la levée d'une armée, tant au sud qu'au nord de la Tamise[16].

Cette armée, disent les chroniques, était la plus nombreuse qu'on-eût vue depuis le nouveau règne[17]. Le roi en donna le commandement à ses favoris d'outre-mer, parmi lesquels figurait au premier rang un jeune fils de sa sœur Goda et du Français Gaultier de Mantes. Edward cantonna ses forces au dedans de Londres et près de la ville, de façon que le conseil national s'ouvrit au milieu d'un camp, sous l'influence de la terreur et des séductions royales. Godwin et ses deux fils furent sommés par ce conseil, délibérant sous la force, de renoncer au bénéfice des serments qu'avaient prêtés entre leurs mains le peu d'hommes qui leur restaient[18], et de comparaître sans escorte et sans armes. Ils répondirent qu'ils étaient prêts à obéir au premier de ces deux ordres, mais qu'avant de se rendre à l'assemblée seuls et sans défense, ils réclamaient des otages, pour garantie de leur sûreté personnelle à l'entrée et à la sortie[19]. Deux fois ils répétèrent cette demande, que l'appareil militaire déployé clans Londres justifiait pleinement de leur part[20], et deux fois on leur répondit par un refus et par la sommation de se présenter sans délai avec douze témoins qui affirmeraient par serment leur innocence. Ils ne vinrent pas, et le grand conseil les déclara contumaces volontaires, ne leur octroyant que cinq jours de paix pour sortir d'Angleterre avec toute leur famille[21]. Godwin, sa femme Ghitha, ou Édith, et trois de ses fils, Sweyn, Tosti et Gurth, se rendirent sur la côte de l'est, d'où ils s'embarquèrent pour la Flandre. Harold et son frère Leofwin allèrent vers l'ouest à Brig-stow, maintenant Bristol, et passèrent la mer d'Irlande. Avant l'expiration du délai de cinq jours, et au mépris du décret de l'assemblée, le roi fit courir à leur poursuite une troupe de cavaliers armés ; mais le commandant de cette troupe, qui était un Saxon, ne put ou ne voulut pas les atteindre[22].

Les biens de Godwin et de ses enfants furent saisis et confisqués. Sa fille, l'épouse du roi, fut dépouillée de tout ce qu'elle avait en terres, en meubles et en argent. Il ne convenait pas, disaient avec ironie les courtisans étrangers, que, dans le temps où la famille de cette femme souffrait les peines de l'exil, elle-même dormit sur la plume[23]. Le faible Edward alla jusqu'à permettre qu'on l'emprisonnât dans un cloître ; les favoris prétendaient qu'elle n'était son épouse que de nom, bien qu'elle partageât son lit, et lui-même ne démentait pas ce propos, sur lequel se fonda en partie sa réputation de sainteté[24]. Les jours qui suivirent furent des jours d'allégresse et de fortune pour les gens venus d'outre-mer, et la Normandie fournit plus que jamais des gouverneurs à l'Angleterre. Les 'Normands y obtenaient peu à peu ra même suprématie que les Danois avaient conquise autrefois par l'épée. Un moine de Jumièges, appelé Robert, devint archevêque de Canterbury ; un autre moine normand fut évêque de Londres ; des prélats et des abbés saxons furent déposés, pour faire place aux chapelains étrangers du roi Edward[25]. Les gouvernements de Godwin et de ses fils furent le partage d'hommes portant ides noms exotiques ; un certain Eudes devint chef des quatre provinces de Devon, de Sommerset, de Dorset et de Cornouailles, et le fils de Gaultier de Mantes, nommé Raoul, eut la garde de la province de Hereford et des postes de défense établis contre les Gallois[26].

Bientôt un nouvel hôte de Normandie, le plus considérable de tous, vint visiter le roi Edward, et se promener, avec une suite nombreuse, â travers les villes et les châteaux de l'Angleterre[27] ; c'était Guillaume, duc des Normands, fils bâtard du dernier duc, nommé Robert, et que son caractère violent fit surnommer Robert le Diable. Robert l'avait eu d'une jeune fille de Falaise, qu'un jour, â son retour de la chasse, il rencontra, près d'un ruisseau, lavant du linge avec ses compagnes. Sa beauté frappa le duc, qui, souhaitant de l'avoir pour maîtresse, envoya, dit une chronique en vers[28], l'un de ses plus discrets chevaliers faire des propositions à la famille. Le père reçut d'abord dédaigneusement de pareilles offres ; mais, par réflexion, il alla consulter un de ses frères, ermite â la forêt voisine, homme de grande réputation religieuse[29] ; celui-ci répondit qu'on devait faire en tout point la volonté du prince ; la chose fut accordée, dit le vieux poète, et la nuit et l'heure convenues[30]. La jeune Normande s'appelait Arlète, nom corrompu en langue romane de l'ancien nom danois Herleve ; le duc Robert l'aima beaucoup, et l'enfant qu'il eut d'elfe fut élevé avec autant de soin que s'il eût été fils d'une épouse[31].

Le jeune Guillaume n'était encore âgé que de sept ans, lorsque son père fit le vœu d'aller en pèlerinage à pied jusqu'à Jérusalem, pour la rémission de ses fautes. Les barons de Normandie voulurent retenir le duc Robert, en lui représentant qu'il serait mal pour eux de demeurer sans chef : Par ma foi, répondit le duc, je ne vous  laisserai point sans seigneur. J'ai un petit bâtard qui grandira et  sera prud'homme, s'il plaît à Dieu, et je suis certain qu'il est mon fils. Recevez-le donc pour seigneur ; car je le fais mon héritier, et le saisis dès à présent de tout le duché de Normandie[32]. Les barons firent ce que souhaitait le duc Robert, parce que cela leur convenait, dit la vieille chronique[33] ; ils jurèrent fidélité à l'enfant, et placèrent leurs mains entre les siennes[34]. Robert étant mort dans son pèlerinage, plusieurs comtes et barons normands, et surtout les parents des anciens ducs protestèrent contre cette élection, disant qu'un bâtard ne pouvait commander aux fils des Danois[35]. Les seigneurs du Bessin et du Cotentin, plus remuants que les autres et encore plus fiers de la pureté de leur descendance, se mirent à la tête des mécontents et levèrent une armée nombreuse ; mais ils furent vaincus en bataille rangée au Val-des-Dunes, près de Caen, non sans le secours du roi de France, qui soutenait la cause du jeune duc par, intérêt personnel, et afin d'exercer de l'influence sur les affaires du pays.

Guillaume, en avançant en âge, devint de plus en plus cher à ses partisans ; le jour où il revêtit pour la première fois une armure, et monta, sans s'aider de l'étrier, sur son premier cheval de bataille, fut un jour de fête en Normandie. Dès sa jeunesse, il s'occupa de soins militaires, et fit la guerre à ses voisins d'Anjou et de Bretagne. Il aimait passionnément les beaux chevaux et en faisait venir, disent les contemporains, de Gascogne, d'Auvergne et d'Espagne, recherchant surtout ceux qui portaient des noms propres par lesquels on distinguait leur généalogie[36]. Le jeune fils de Robert et d'Arlète était ambitieux et vindicatif à l'excès ; il appauvrit autant qu'il put la famille de son père, pour enrichir et élever en dignité ses parents du côté maternel. Il punit souvent d'une manière sanglante les railleries que lui attirait la tache de sa naissance, soit de la part de ses compatriotes, soit de la part des étrangers. Un jour qu'il attaquait la ville d'Alençon, les assiégés s'avisèrent de lui crier du haut des murs : La peau ! la peau ! et de battre des cuirs, pour faire allusion au métier du bourgeois de Falaise dont Guillaume était le petit-fils. Le bâtard fit aussitôt couper les pieds et les mains à tous les prisonniers qu'il avait en son pouvoir, et lancer leurs membres, par ses frondeurs, au dedans des murs de la ville[37].

En parcourant l'Angleterre, le duc de Normandie put croire un moment qu'il n'avait pas quitté sa propre seigneurie ; des Normands commandaient la flotte qu'il trouva en station au port de Douvres ; à Canterbury, des soldats normands formaient la garnison d'un fort bâti sur le penchant d'une colline[38] ; d'autres Normands vinrent le saluer, en habits de grands officiers ou de prélats. Les favoris d'Edward se rangèrent avec respect autour du chef de leur pays natal, autour de leur seigneur naturel, pour parler comme on s'exprimait alors. Guillaume parut en Angleterre plus roi qu'Edward lui-même, et son esprit ambitieux ne tarda pas à concevoir l'espérance de le devenir sans beaucoup de peine à la mort de ce prince esclave de l'influence normande. De pareilles idées ne pouvaient manquer de naître dans l'esprit du fils de Robert. Il joignait à un grand désir de puissance et de renommée une grande fermeté de résolution, une rare intelligence des moyens d'atteindre son but et autant de courage que d'adresse.

Mais, si l'on en croit le témoignage d'un contemporain, il ne laissa rien voir alors de sa pensée pour l'avenir et n'en parla point au roi Edward, ne se pressant point d'agir et croyant que les choses se disposeraient d'elles-mêmes à souhait pour son ambition[39]. Edward, de son côté, soit qu'il songeât ou non à ses projets et à l'opportunité d'avoir un jour son parent maternel pour successeur, ne lui en dit rien non plus ; seulement il l'accueillit avec une grande tendresse, lui donna des armes, des chevaux, des chiens et des oiseaux de chasse[40], le combla de toutes sortes de présents et d'assurances d'affection. Tout entier au souvenir du pays où il avait passé sa jeunesse, le roi des Anglais se laissait ainsi aller à l'oubli de sa propre nation ; mais cette nation ne s'oubliait pas elle-même, et ceux qui lui conservaient leur amour trouvèrent bientôt le moment d'attirer sur eux les regards du roi.

Dans l'été de l'année 1052, Godwin partit de Bruges avec plusieurs vaisseaux, et aborda sur le rivage de Kent[41]. Il envoya secrètement des messagers à la garnison saxonne du port de Hastings, dans la province de Suth-sex, ou Sussex par euphonie ; d'autres émissaires se répandirent au loin vers le sud et vers le nord. A leur sollicitation, beaucoup de gens en état de porter les armes se lièrent par serment à la cause du chef exilé, promettant tous, dit un vieil historien, de vivre et de mourir avec lui[42]. La nouvelle de ce mouvement parvint à la flotte royale, qui croisait dans la mer de l'est sous la conduite du Normand Eudes et du Français Raoul ; tous deux se mirent à la poursuite de Godwin, qui, se trouvant inférieur en forces, recula et s'abrita dans la rade de Pevensey, pendant qu'une tempête arrêtait la marche des vaisseaux du roi. Il côtoya ensuite lé rivage du sud jusqu'à la hauteur de file de Wight, où ses deux fils Harold et Leofwin, venant d'Irlande, le rejoignirent avec unes petite armée[43].

Le père et les fils recommencèrent ensemble à pratiquer des intelligences parmi les habitants des provinces méridionales. Partout où ils abordaient, on leur fournissait des vivres, on se liait à leur cause par serment et on leur donnait des otages[44] ; tous les corps de soldats royaux, tous les navires qu'ils rencontraient dans les ports désertaient à eux[45]. Ils firent voile vers Sandwich, où leur débarquement eut lieu sans obstacles, malgré la proclamation d'Edward qui ordonnait à tout habitant de fermer le passage au chef rebelle. Le roi était alors à Londres ; il appela clans cette ville tous les guerriers de l'ouest et du nord. Peu obéirent à son appel, et ceux qui s'y rendirent vinrent trop tard[46]. Les vaisseaux de Godwin purent librement remonter la Tamise et arriver en vue de Londres, près du faubourg qu'on appelait alors et qu'on appelle encore Southwark[47]. Quand vint la marée basse, on jeta l'ancre, et des émissaires secrets se répandirent parmi les habitants de Londres, qui, à l'exemple de ceux des ports, jurèrent de vouloir tout ce que voudraient les ennemis de l'influence étrangère[48]. Les vaisseaux passèrent sans obstacle sous le pont de Londres, et débarquèrent un corps de troupes qui se rangea sur le bord du fleuve.

Avant de tirer une seule flèche, les exilés[49] envoyèrent au roi Edward un message respectueux pour lui demander la révision de la sentence qui les avait frappés. Edward refusa d'abord ; d'autres messages se succédèrent, et, durant ces retards, Godwin eut peine à contenir l'irritation de ses amis[50]. De son côté, le roi trouva les hommes qui restaient sous ses drapeaux peu disposés à en venir aux mains avec des compatriotes[51]. Ses favoris étrangers, qui prévoyaient que la paix entre les Saxons serait leur ruine, le pressaient de donner le signal du combat ; mais, la nécessité le rendant plus sage, il cessa d'écouter les Normands, et consentit à ce que voudraient résoudre les chefs anglais des deux partis. Ceux-ci se réunirent sous la présidence de Stigand, évêque de Winchester, homme doué au plus haut degré de patriotisme et de résolution. Ils décidèrent d'un commun accord que le roi devait accepter de Godwin et de ses fils le serment de paix et des otages, en leur offrant de son côté des garanties équivalentes[52].

Au premier bruit de cette réconciliation, les courtisans de Normandie et de France[53] montèrent à cheval en grande hâte, et s'enfuirent de différents côtés. Les uns gagnèrent vers l'ouest un fort gardé par le Normand Osbern, surnommé Pentecoste, d'autres coururent vers un château du nord, commandé aussi par un Normand[54]. Robert, l'archevêque de Canterbury, et un autre évêque normand, sortirent de Londres par la porte orientale, suivis de quelques hommes d'armes de leur nation, qui, en fuyant, tuèrent plusieurs Anglais accourus pour les arrêter[55]. Ils se rendirent à la côte de l'est et s'y embarquèrent sur un bateau de pêcheur. Dans son trouble et son empressement, l'archevêque Robert laissa en Angleterre ses effets les plus précieux, et entre autres choses le pallium qu'il avait reçu de l'Église romaine comme insigne de sa dignité[56].

Un grand conseil des sages fut convoqué hors de Londres, et, cette fois, s'assembla librement. Tous les chefs et les meilleurs hommes du pays, dit une chronique saxonne[57], y assistèrent. Godwin porta la parole pour se défendre, et se justifia de toute accusation devant le roi et le peuple[58] ; ses fils se justifièrent de même. Leur sentence d'exil fut cassée, et une autre sentence, unanimement rendue, bannit d'Angleterre tous les Normands comme ennemis de la paix publique, fauteurs de discordes, et calomniateurs des Anglais auprès de leur roi[59]. Le plus jeune des fils de Godwin, appelé Wulfnoth, fut remis avec l'un des fils de Sweyn entre les mains d'Edward, comme otages de la paix jurée. Entraîné encore, dans ce moment même, par son fatal penchant d'amitié pour les gens d'outre-mer, le roi les envoya tous les deux en garde à Guillaume, duc de Normandie[60]. La fille de Godwin sortit de son cloître, et revint habiter le palais ; tous les membres de cette famille populaire rentrèrent dans leurs honneurs, à l'exception d'un seul, de Sweyn, qui y renonça de son plein gré. Il avait autrefois enlevé une religieuse et commis un meurtre par emportement ; pour satisfaire à la justice et apaiser es remords, il se condamna lui-même à faire nu-pieds le voyage de Jérusalem. Il accomplit rigoureusement ce pénible pèlerinage, mais une prompte mort en fut la suite[61].

L'évêque Stigand, qui avait présidé l'assemblée tenue pour la grande réconciliation, prit la place du Normand Robert dans l'archevêché de Canterbury[62]. C'était un homme de talents politiques plus que de vertus sacerdotales, ambitieux d'honneurs et de richesses, mais joignant à cette ambition une passion plus noble, celle du bien public et de l'indépendance du pays[63]. Il fut nominé archevêque, non provisoirement, mais en titre, par les évêques suffragants du siège de Canterbury et par le roi, et ce fut de leur part un acte de précaution, et, pour ainsi dire, de nécessité nationale[64]. En effet, la vacance d'un siège métropolitain dont le ressort s'étendait aux trois quarts de l'Angleterre pouvait, dans la crise présente, donner ouverture aux intrigues du titulaire étranger. La raison d'État parlait très-haut ; elle fut écoutée avant tout. On ne se demanda pas avec inquiétude si les règles canoniques permettaient qu'un dignitaire de l'Église en remplaçât un autre encore vivant, non démissionnaire et non canoniquement déposé. Le pallium de l'archevêque normand resté en Angleterre semblait â l'imagination du peuple un signe du jugement de Dieu sur l'homme qui avait plus qu'aucun autre semé la discorde entre les Anglais et leur roi et provoqué la guerre civile[65]. On regarda cet homme comme mort pour l'Angleterre et l'on passa outre en élevant à son poste l'un des auteurs de la révolution qui 'avait mis fin au règne de l'influence étrangère, le prélat dont le caractère pouvait le mieux garantir au pays que cette influence ne pénétrerait plus désormais dans l'ordre ecclésiastique.

Les Normands Hugues et Osbern-Pentecostes rendirent les châteaux dont ils avaient la garde, et obtinrent des saufs-conduits pour sortir d'Angleterre[66] ; mais à la requête du faible Edward, quelques infractions furent faites au décret de bannissement porté contre les étrangers en masse. Raoul, fils de Gaultier de Mantes et de la sœur du roi ; Robert, surnommé le Dragon, et son gendre Richard, fils de Scrob ; Onfroy, écuyer du palais ; Onfroy, surnommé Pied-de-Geai, et d'autres pour lesquels le roi avait une amitié particulière, ou qui s'étaient peu signalés dans les derniers troubles, obtinrent le privilège d'habiter en Angleterre et d'y conserver des emplois[67]. Guillaume, évêque de Londres, fut rappelé aussi, quelque temps après, et rétabli dans son siège épiscopal ; un Flamand, nominé Herman, demeura évêque de Wilton[68]. Godwin s'opposa de tout son pouvoir 'à cette tolérance contraire à la volonté publique ; mais sa voix ne prévalut point, parce que trop de gens voulaient faire preuve de bonne grâce envers le roi, et succéder par ce moyen au crédit des courtisans étrangers. La suite prouva qui de ces gens de cour ou de l'austère Godwin était meilleur politique.

Il est difficile d'apprécier exactement le degré de sincérité du roi Edward clans son retour vers l'intérêt national, et sa réconciliation avec la famille de Godwin. Entouré de ses compatriotes, peut-être se croyait-il en esclavage, peut-être regardait-il comme une gêne son obéissance aux vœux du pays qui l'avait fait roi. Ses relations ultérieures avec le duc de Normandie, ses entretiens particuliers avec les Normands restés auprès de sa personne, sont la partie secrète de cette histoire. Tout ce que disent les chroniques du temps, c'est qu'une amitié apparente existait entre le roi et son beau-père, et qu'en même temps Godwin était détesté au dernier point en Normandie. Les étrangers à qui son retour avait fait perdre leurs emplois et leurs honneurs, ceux à qui la facile et brillante carrière de courtisans du roi des Anglais était maintenant fermée, ne nommaient jamais Godwin sans l'appeler traître, ennemi de son roi, meurtrier du jeune Alfred.

Cette dernière inculpation était la plus accréditée, et elle poursuivit le patriote saxon jusqu'à l'heure de sa mort. Un jour, à la table d'Edward, il tomba subitement en défaillance, et l'on bâtit sur cet incident un récit romanesque et fort douteux, quoique répété par plusieurs historiens. Ils racontent qu'un des serviteurs, versant à boire, posa un pied à faux, trébucha, mais se retint dans sa chute en appuyant l'autre jambe. Eh bien, dit Godwin au roi en souriant, le frère est venu au secours du frère. — Sans doute, reprit Edward, jetant sur le chef saxon un regard significatif, le frère à besoin de son frère, et plût à Dieu que le mien vécût encore !Ô roi ! s'écria Godwin, d'où vient qu'au moindre souvenir de ton frère, tu me fais toujours mauvais visage ? Si j'ai contribué, même indirectement, à son malheur, fasse le Dieu du ciel que je ne puisse avaler ce morceau de pain ![69] Godwin mit le pain dans sa bouche, disent les auteurs qui rapportent cette aventure, et sur-le-champ il s'étrangla. La vérité est que sa mort ne fut point aussi prompte ; que, tombé de son siège et emporté hors de la salle par deux de ses fils, Tosti et Gurth, il expira cinq jours après[70]. En général, le récit de tous ces événements varie, selon que l'écrivain est Normand ou Anglais de race. Je vois toujours devant moi deux routes et deux versions opposées, dit un historien postérieur de moins d'un siècle ; que mes lecteurs soient avertis du péril où je me trouve moi-même 3[71].

Peu de temps après la mort de Godwin, mourut Siward, chef du Northumberland, qui d'abord avait suivi le parti royal contre Godwin, et qui ensuite avait voté pour la paix et pour l'expulsion des favoris étrangers. Il était Danois de naissance, et la population de même origine à laquelle il commandait lui donnait le nom de Siward-Digr, c'est-à-dire Siward le Fort[72] ; on montra longtemps une grosse pierre qu'il avait, disait-on, coupée en deux d'un coup de hache[73]. Attaqué par la dysenterie, et sentant sa fin approcher : Levez-moi, dit-il à ceux qui l'entouraient ; que je meure debout comme un soldat, et non accroupi comme une vache ; revêtez-moi de ma cotte de mailles, couvrez ma tête de mon heaume, mettez mon écu à mon bras gauche et ma hache dorée dans ma main droite, afin que j'expire sous les armes[74]. Siward laissait un fils appelé Waltheof, trop jeune encore pour lui succéder dans son gouvernement de Northumbrie ; cet emploi fut donné à Tosti, le troisième des fils de Godwig. Harold, qui était l'aîné, remplaça son père dans le gouvernement de tout le pays situé au sud de la Tamise, et remit à Alfgar, fils de Leofrik, gouverneur de Mercie, l'administration des provinces de l'est qu'il avait gouvernées jusque-là[75].

Harold était alors, en puissance et en talents militaires, le premier homme de son pays[76]. Il refoula dans leurs anciennes limites les Gallois, qui firent vers ce temps plusieurs irruptions, encouragés par le peu d'habileté du Français Raoul, neveu d'Edward, qui commandait la place frontière de Hereford et avait sous lui une troupe de ses compatriotes restés par tolérance en Angleterre[77]. Raoul se montrait peu vigilant pour la garde d'un pays qui n'était pas le sien ; ou si, en vertu de son pouvoir de chef, il appelait les Saxons aux armes, c'était pour les exercer malgré eux à la tactique du continent, et les faire combattre à cheval, contre l'usage de leur nation[78]. Les Anglais, embarrassés de leurs montures, et abandonnés par leur général, qui prit la fuite au premier péril, ne résistèrent point aux Gallois ; les lieux voisins de Hereford furent envahis, et la ville même fut pillée[79]. C'est alors que Harold vint du sud de l'Angleterre ; il chassa les Cambriens jusque par delà leurs frontières ; il les contraignit de jurer qu'ils ne les repasseraient plus, et d'accepter comme loi que tout homme de leur nation, trouvé en armes à l'est du retranchement d'Offa, aurait la main droite coupée[80]. Il parait que les Saxons élevèrent de leur côté un autre retranchement parallèle, et que l'espace du milieu devint une sorte de terrain libre pour les commerçants des deux nations. Les antiquaires croient distinguer encore les traces de cette double ligne de défense, et sur les hauteurs, quelques restes d'anciens postes fortifiés, établis par les Bretons à l'ouest, et par les Anglais à l'orient[81].

Pendant que Harold grandissait ainsi en renommée et en popularité auprès des Anglo-Saxons du sud, son frère Tosti était loin de s'attirer l'amour des Anglo-Danois du nord. Tosti, bien que Danois du côté de sa mère, par un faux orgueil national, traitait ses subordonnés en sujets plutôt qu'en citoyens volontairement réunis, et leur faisait sentir le joug d'un conquérant au lieu de l'autorité d'un chef. Il violait à plaisir leurs coutumes héréditaires, levait des tributs énormes, et faisait mettre à mort, sans jugement, les hommes qui lui portaient ombrage[82]. Après plusieurs années d'oppression, la Boss patience des Northumbriens se lassa, et une troupe d'insurgés, conduite par deux hommes d'un grand nom dans le pays, se présenta subitement aux portes d'York, résidence de Tosti. Le chef s'enfuit ; mais ses officiers et ses ministres, Saxons et Danois de race, furent mis à mort en-grand nombre.

Les insurgés s'emparèrent des arsenaux et du trésor de la province ; puis, assemblant un grand conseil, ils déclarèrent le fils de Godwin déchu de son pouvoir et mis hors la loi[83]. Morkar, l'un des fils de cet Alfgar qui, après la mort de Leofrik, son père, était devenu chef de toute la Mercie, fut élu pour succéder à Tosti. Le fils d'Alfgar se rendit à York, prit le commandement de l'armée northumbrienne, et chassa Tosti vers le sud. L'armée s'avança sur les terres de Mercie jusqu'à la ville de Northampton, et beaucoup d'habitants de la contrée vinrent la grossir. Edwin, frère de Morkar, qui avait un commandement sur la frontière du pays de Galles, leva, pour soutenir la cause de son frère, quelques troupes de sa province, et même un corps de Cambriens, engagés sous la condition d'une solde, et peut-être par le désir de satisfaire leur haine nationale en Combattant contre les Saxons, même sous une bannière saxonne[84].

A la nouvelle de ce grand mouvement, le roi Edward fit marcher Harold, avec les guerriers du sud et de l'est, à la rencontre des insurgés. L'orgueil de famille blessé dans la personne d'un frère, joint à l'aversion naturelle aux gens puissants contre tout acte énergique d'indépendance populaire, semblait devoir faire de Harold un ennemi impitoyable pour la population qui avait chassé Tosti, et pour le chef qu'elle avait élu. Mais le fils de Godwin se montra supérieur à ces passions vulgaires, et, avant de tirer l'épée contre des compatriotes, il proposa aux Northumbriens une conférence pour la paix. Ceux-ci exposèrent leurs griefs et le motif de leur insurrection. Harold essaya de disculper son frère, et promit au nom de Tosti une meilleure conduite pour l'avenir, si le peuple de Northumberland lui pardonnait et l'accueillait de nouveau ; mais les Northumbriens protestèrent d'une voix unanime contre toute réconciliation avec celui qui les avait tyrannisés[85]. Nous sommes nés libres, dirent-ils, et élevés dans la liberté ; un chef orgueilleux est pour nous une chose insupportable, car nous avons appris de nos ancêtres à vivre libres ou à mourir[86]. Ils chargèrent Harold lui-même de porter leur réponse au roi. Harold, préférant la justice et le repos du pays à l'intérêt de son propre frère[87], se rendit auprès d'Edward ; et ce fut encore lui qui, à son retour, jura aux Northumbriens la paix que le roi leur octroyait, en sanctionnant l'expulsion de Tosti et l'élection du fils d'Alfgar[88]. Tosti, mécontent du roi Edward, de ses compatriotes qui l'abandonnaient, et surtout de son frère, qu'il croyait tenu de défendre sa cause, juste ou injuste, quitta l'Angleterre, la haine dans le cœur, et se rendit auprès du comte de Flandre, dont il avait épousé la fille.

Depuis que le royaume était délivré de la domination danoise, la loi du roi Knut pour la levée du tribut annuel, qu'on nommait le denier de saint Pierre, avait subi le sort des autres lois décrétées par le pouvoir étranger. La force publique ne contraignait personne à l'observer, et Rome ne recevait plus d'Angleterre que les offrandes (le dévotion et les dons volontaires des particuliers. Les arrérages du tribut s'accumulaient d'année en année, et dans son zèle pour y pourvoir, le roi Edward se voyait contraint d'en diminuer la source, en imposant la taxe d'un denier, non plus à toute maison habitée, mais seulement à celle où se trouvait du bétail pour une valeur de trente deniers[89]. Un envoi d'argent fait par lui en 1060 est, à ce qu'il parait, le seul qui ait eu lieu dans tout son règne[90]. Aussi l'antique amitié de l'Église romaine pour le peuple Anglais déclinait-elle rapidement ; on se plaignait de lui et de son roi en termes peu mesurés dans le consistoire pontifical. Ce roi, d'une piété fervente, et qui devait être un saint canonisé, était qualifié de mauvais chef, et la nation qu'il gouvernait de peuple renonçant à la foi[91]. Le bon accueil toujours à fait à Rome aux évêques anglais et aux ambassadeurs d'Angleterre couvrait un fond de rancune et de malveillance d'où sortaient à la moindre occasion des difficultés et des litiges. Parfois même, les envoyés du roi Edward, se sentant provoqués, répondaient par la menace d'une suppression totale de l'impôt levé au nom de saint Pierre. C.est ce que ne craignit pas de faire Tosti, le frère de Harold, accompagnant à Rome un archevêque d'York nouvellement élu qui sollicitait du pape Nicolas II le pallium, signe et confirmation de sa dignité métropolitaine[92].

Un autre grief de l'Église romaine contre l'Angleterre était né de l'expulsion des Normands et des Français décrétée en 1052. Robert, l'archevêque de Canterbury, dépossédé par sa fuite et par le suprême tribunal du pays, loin d'accepter ce jugement, s'était empressé d'aller à Rome porter plainte au pape Léon IX de la violation faite en sa personne d'un caractère sacré, sous de faux prétextes, à ce qu'il disait, et par les manœuvres de factieux qui étaient en même temps ses ennemis et ceux du roi. Il rapporta en Normandie des lettres du pape attestant son innocence, justifiant sa conduite, et demandant sa restauration dans le siège, que nul autre ne devait occuper de son vivant[93]. Ou le pape Léon IX ne se rendait pas un compte exact de la crise d'où sortait l'Angleterre, ou, par habitude de juger toutes choses du point de vue purement religieux, il subordonnait la question de sûreté nationale à celle de discipline ecclésiastique. En donnant à l'étranger banni comme dangereux des lettres qui imposaient son rétablissement à la nation anglaise, il sortait de ses attributions spirituelles et se mêlait des affaires politiques du pays. Obéir en quoi que ce fût à ces lettres, reconnaître une suspension des droits de métropolitain, eût été, de la part de ceux qui gouvernaient l'Angleterre, fléchir sur la question de garantie contre le retour des favoris exilés[94]. Le grand conseil de la nation ne voulut céder sur aucune des conséquences de son jugement, et le roi, que ce fût de bon cœur ou non, se soumit à la nécessité. L'archevêque Stigand conserva son titre, mais il eut le tort d'aller plus loin : par un acte de présomption qui était dans son caractère, il officia revêtu du pallium que Robert avait laissé à son départ[95]. Cet acte inconsidéré n'était au fond qu'un signe de sa confiance absolue que dans un temps plus ou moins prochain un pape mieux informé que Léon IX transigerait sur le droit qu'avait l'Angleterre de tenir aux précautions prises pour sa paix intérieure contre les intrigues de l'étranger.

L'archevêque Robert mourut à l'abbaye de Jumièges peu de temps après son retour de Rome ; mais sa mort, qui aurait dû tout concilier, ne fit point revenir le pape Léon IX de sa détermination de ne point reconnaître et de ne point confirmer par l'envoi du pallium l'archevêque élu de Canterbury. Stigand attendit la mort de Léon IX pour renouveler ses instances. Il s'adressa, mais inutilement, à deux papes, Victor II et Étienne IX[96]. Quand le dernier mourut, en 1058, imperturbable dans son espérance, il saisit encore l'occasion d'un nouvel avènement. C'était celui de Benoît X, intronisé par une faction de nobles romains sans l'aveu et contre le gré des cardinaux[97]. Les vices de cette élection, en apparence conforme à tant d'autres, n'étaient ni jugés ni même soupçonnés en Angleterre, lorsqu'un prêtre, nommé Godric, y rapporta de Rome le pallium accordé cette fois par le souverain pontife à l'élu de Canterbury[98]. Dans leur chronique en langue saxonne, les moines de l'abbaye de Peterborough consignèrent cette grande nouvelle comme le fait capital de l'année[99]. Mais, en 1059, l'élection canonique d'un autre pape, Nicolas II, amena l'abdication de Benoît X, qui fut dégradé du sacerdoce et dont tout les actes furent annulés[100]. Stigand se trouva donc de nouveau sans pallium et chargé d'un nouveau reproche, celui d'avoir sollicité les bonnes grâces d'un faux pape ignominieusement dégradé. Bientôt la correction ecclésiastique vint le frapper lui-même, et, en 1061, Alexandre II lui interdit les fonctions métropolitaines, parce qu'il avait pris l'archevêché de Canterbury du vivant de l'archevêque Robert, qu'il avait porté en officiant à la messe le pallium de Robert et qu'il cumulait l'évêché de Winchester avec l'archevêché de Canterbury[101]. De ces trois chefs d'accusation, l'un était depuis longtemps éteint, l'autre était une faute irréfléchie et, comme telle, digne d'indulgence, un autre enfin était l'exemple même donné par le précédent pape, Nicolas II, qui avait gardé jusqu'à sa mort l'évêché de Florence avec celui de Rome[102].

Il ne se trouvait d'ailleurs contre celui qu'on aurait pu nommer l'élu du peuple d'Angleterre aucun motif de répugnance personnelle. Si l'ambition de Stigand était notoire, ses mœurs étaient irréprochables, et bien que taxé d'avarice par ceux qui ne l'aimaient pas, il avait fait aux églises de Winchester et de Canterbury le don d'ornements magnifiques longtemps célèbres après sa mort[103]. On ne pouvait lui imputer que les vices communs du haut clergé de l'Angleterre et de tout l'Occident à cette époque, peu de littérature et l'habitude de traiter les affaires de l'Église avec le même esprit que celles du siècle, d'en convoiter sans mesure les biens et les dignités et de les cumuler sans honte[104]. Contre cet esprit de simonie qui était la rouille de la barbarie germanique et du monde féodal, une réaction commençait à se produire au sein de l'Église romaine. Mais la réforme que cette Église s'imposait et qu'elle tâchait de répandre n'avait pas même gagné le nord de l'Italie, et sa seule annonce, au delà des monts, soulevait l'opposition qui, peu de temps après, éclata en guerres terribles dans la lutte du sacerdoce et de l'empire. Ce n'était donc pas sur un homme seul, c'était sur la nation anglaise tout entière soutenant son archevêque patriote que tombait la sentence du pape Alexandre II, et contre elle, au sein de la cour pontificale, une hostilité sourde, mais extrêmement dangereuse, commençait à fermenter[105].

Un événement survenu hors de l'Angleterre fournit aux Romains à l'occasion d'associer leur haine au désir de vengeance qu'avait excité chez beaucoup de Normands la prétendue trahison de G6dwin, et aux projets ambitieux du duc Guillaume. Il y avait à la cour de Normandie un religieux nommé Lanfranc, Lombard d'origine, fameux dans le monde chrétien par son habileté comme légiste, par l'étendue de ses connaissances littéraires et par des ouvrages consacrés avec bonheur à la défense de l'orthodoxie ; cet homme, que le duc Guillaume chérissait comme l'un de ses plus utiles conseillers, tomba dans la disgrâce pour avoir blâmé le mariage du duc normand avec Mathilde, fille de Baudoin V, comte de Flandre, sa parente à l'un des degrés prohibés par l'Église[106]. Le pape Nicolas II refusait obstinément de reconnaître et de sanctionner l'union des deux époux ; ce fut auprès de lui que se retira le moine Lombard exilé de la cour de son seigneur. Mais, loin de se plaindre du duc de Normandie, Lanfranc plaida respectueusement, devant le souverain pontife, la cause de ce mariage, que, de lui-même, il n'avait pas voulu approuver[107]. A force de prières et d'adresse, il obtint une dispense en forme, et, pour ce service signalé, fut reçu par le duc en plus grande intimité qu'auparavant. Il devint l'âme de ses conseils et son plénipotentiaire auprès de la cour de Rome. Les prétentions respectives du clergé romain et du duc de Normandie sur l'Angleterre, la possibilité de les faire valoir et de réussir en commun, furent dès lors l'objet, sinon de véritables négociations, au moins de pourparlers confidentiels. On était loin encore de songer à un envahissement par les armes ; mais la parenté de Guillaume avec Edward semblait un grand moyen de succès, car les rois anglo-saxons pouvaient léguer jusqu'à un certain point la couronne, en désignant leur successeur au choix ou à l'approbation du grand conseil national[108].

Il y avait deux années qu'en Angleterre la paix intérieure durait 1065 sans aucun trouble. L'aigreur du roi Edward contre les fils de Godwin disparaissait faute d'aliments et par l'habitude de vivre au milieu d'eux. Harold, le nouveau chef de cette famille populaire, rendait pleinement au roi cette déférence de respect et de soumission dont il était si jaloux. D'anciens récits disent qu'Edward l'aimait et le traitait comme son propre fils[109] ; mais du moins n'éprouvait-il point à son égard l'espèce d'aversion mêlée de crainte que Godwin lui avait inspirée, et n'avait-il plus de prétexte pour retenir, comme des garanties contre le fils, les deux otages qu'il avait reçus du père. On se rappelle que ces otages avaient été confiés par le soupçonneux Edward à la garde du duc de Normandie. Ils étaient, depuis plus de dix ans, loin de leur pays, dans une sorte de captivité. Harold, frère de l'un et oncle de l'autre, croyant le moment favorable pour obtenir leur délivrance, demanda au roi la permission d'aller les réclamer en son nom, et de les ramener d'exil[110]. Sans montrer aucune répugnance à se dessaisir des otages, Edward parut fort alarmé du projet que formait Harold d'aller lui-même en Normandie. Je ne veux pas te contraindre, lui dit-il, mais si tu pars, ce sera sans mon aveu ; car certainement ton voyage doit attirer quelque malheur sur toi et sur notre pays. Je connais le duc Guillaume et son esprit astucieux ; il te hait et ne t'accordera rien, à moins d'y voir un grand profit ; le seul moyen de lui faire rendre les otages serait d'envoyer un autre que toi[111].

Le Saxon, brave et plein de confiance, ne se rendit point à cet avis ; il partit pour la traversée, comme pour un voyage de plaisir, entouré de gais compagnons, avec son oiseau sur le poing et ses lévriers courant devant lui[112]. Il s'embarqua dans un des ports de la province de Sussex. Le vent contraire écarta ses cieux vaisseaux de leur route et les poussa vers l'embouchure de la Somme, sur les terres de Guy, comte de Ponthieu. C'était la coutume de ce pays maritime, comme de beaucoup d'autres, au moyen âge, que tout étranger jeté sur la côte par une tempête, au lieu d'être humainement secouru, fût emprisonné et mis à rançon[113]. Harold et ses compagnons subirent cette loi rigoureuse ; après avoir été dépouillés du meilleur de leur bagage, ils furent enfermés par le seigneur du lieu dans sa forteresse de Belram, aujourd'hui Beaurain, près de Montreuil[114].

Pour échapper à l'ennui d'une longue captivité, le Saxon se déclara porteur d'un message du roi d'Angleterre pour le duc de Normandie, et envoya demander à Guillaume de le faire sortir de prison, afin qu'il pût se rendre auprès de lui. Guillaume n'hésita point, et réclama de son voisin, le comte de Ponthieu, la liberté du captif, d'abord avec de simples menaces, sans nullement parler de rançon. Le comte de Ponthieu fut sourd aux menaces, et ne céda qu'à l'offre d'une grande somme d'argent et d'une belle terre sur la rivière d'Eaume[115]. Harold se rendit à Rouen, et le duc de Normandie eut alors la joie de tenir chez lui, en sa puissance, le fils du plus grand ennemi des Normands, l'un des chefs de la ligue nationale qui avait fait bannir d'Angleterre les fauteurs de ses prétentions sur la royauté des Anglais[116]. Le duc Guillaume accueillit le chef saxon avec de grands honneurs et une apparence de franche cordialité : il lui dit que les deux otages étaient libres sur sa seule requête, qu'il pouvait repartir avec eux ; mais qu'en hôte courtois il devait ne point tant se presser, et demeurer au moins quelques jours à voir les villes et les fêtes du pays[117].

Harold se promena de ville en ville, de château en château, et, avec ses jeunes compagnons, prit part à des joutes militaires. Le duc les fit chevaliers, c'est-à-dire membres de la haute milice normande, espèce de fraternité guerrière, où tout homme riche qui se vouait aux armes était introduit sous les auspices d'un ancien affilié, qui lui donnait en cérémonie une épée, un baudrier plaqué d'argent et une lance ornée d'une flamme. Les guerriers saxons reçurent en présent de leur parrain en chevalerie de belles armes et des chevaux de grand prix[118]. Ensuite Guillaume leur proposa, polir essayer leurs éperons neufs, de le suivre dans une expédition qu'il entreprenait contre ses voisins de Bretagne. Depuis le traité de Saint-Clair-sur-Epte, chaque nouveau duc de Normandie avait tenté de rendre effectif le prétendu droit de suzeraineté que Charles le Simple avait cédé à Roll ; il en résultait des guerres continuelles et une inimitié nationale entre les deux États que séparait la petite rivière de Couesnon.

Harold et ses amis, follement jaloux d'acquérir un renom de courage parmi les hommes de Normandie, firent pour leur hôte, aux dépens des Bretons, des prouesses qui un jour devaient coûter cher à eux-mêmes et à leur pays. Le fils de Godwin excita l'admiration de l'armée par sa haute taille, la beauté de sa figure et la grâce de ses manières ; robuste et adroit, il sauva de sa main au passage du Couesnon plusieurs soldats qui se perdaient dans les sables mouvants[119]. Lui et Guillaume, tant que dura la guerre, n'eurent qu'une même tente et qu'une même table[120]. Au retour, ils chevauchaient côte à côte, égayant la route par un entretien amical, qu'un jour le duc fit tomber sur le temps de sa première jeunesse et sur ses relations avec le roi Edward, alors exilé en Normandie. Quand Edward et moi, dit-il au Saxon, nous vivions dans le même pays et souvent sous le même toit, il me promit avec serinent que, si jamais il devenait roi en Angleterre, il me ferait héritier de son royaume ; Harold, j'aimerais que tu m'aidasses à réaliser cette promesse, et sois sûr que si, par tes bons offices, j'obtiens le royaume, quelque chose que tu me demandes, je te l'accorderai aussitôt 3[121].

Harold, quoique surpris à l'excès de cette confidence inattendue, ne put se défendre d'y répondre par des paroles vagues d'adhésion ; et Guillaume reprit en ces termes : Puisque tu consens à me servir, il faut que tu t'engages à fortifier le château de Douvres, qui est de ton gouvernement, à y faire creuser un puits d'eau vive, et à le mettre en mon pouvoir ; il faut aussi que tu me donnes ta sœur pour que je la marie à l'un de mes barons, et que toi-même tu épouses ma fille Adelize ; de plus, je veux qu'à ton départ tu me laisses, pour garant de ta promesse, l'un des deux otages que tu réclames ; il restera sous ma garde, et je te le rendrai en Angleterre, quand j'y arriverai comme roi[122]. Harold sentit à ces paroles tout le péril où il était, et où, sans le savoir, il avait mis ses deux jeunes parents. Pour sortir d'embarras, il acquiesça de bouche à toutes les demandes du Normand[123] ; et celui qui avait deux fois pris les armes pour chasser les étrangers de son pays, promit de livrer à un étranger la principale forteresse de ce même pays. Il se réservait de manquer plus tard à cet indigne engagement, croyant acheter par un mensonge son salut et son repos. Guillaume n'insista plus ; mais il ne laissa pas longtemps le Saxon en paix sur ce point.

Arrivé au château de Bayeux, le duc Guillaume tint sa cour, et y convoqua le grand conseil des hauts barons de Normandie[124]. Selon de vieux récits, la veille du jour fixé pour l'assemblée, Guillaume fit prendre, dans les églises de la ville et dans celles du voisinage, tout ce qui s'y trouvait de reliques. Les ossements tirés de leurs châsses et des corps entiers de saints furent mis, par son ordre, dans une grande huche ou une cuve qu'on plaça, couverte d'un riche drap d'or, dans la salle du conseil[125]. Quand le duc se fut assis dans son siège de cérémonie, tenant à la main une épée nue, couronné d'un cercle à fleurons, et entouré de la foule des seigneurs normands, parmi lesquels était le Saxon, on apporta deux petits reliquaires, et on les posa sur le drap d'or qui couvrait et cachait la cuve pleine de reliques[126]. Harold, dit alors Guillaume, je te requiers, devant cette noble assemblée, de confirmer, par serment, les promesses que tu m'as faites ; savoir : de m'aider à obtenir le royaume d'Angleterre après la mort du roi Edward, d'épouser ma fille Adelize, et de m'envoyer ta sœur pour que je la marie à l'un des miens[127].

L'Anglais, pris une seconde fois au dépourvu, et n'osant renier ses propres paroles, s'approcha des deux reliquaires, étendit la main au-dessus, et jura d'exécuter, selon son pouvoir, ses conventions avec le duc, pourvu qu'il vécût et que Dieu l'y aidât. Toute l'assemblée répéta : Que Dieu l'aide ![128] Aussitôt Guillaume fit un signe ; le drap d'or fut levé, et l'on découvrit les ossements et les corps saints dont la cuve était remplie, et sur lesquels le fils de Godwin avait juré sans se douter de leur présence. On dit qu'à cette vue il tressaillit et changea de visage, effrayé d'avoir fait le plus redoutable des serments[129]. Les fiançailles de Harold avec la fille de Guillaume se firent devant la même assemblée, et la jeune fille, étrangère à ce qu'il y avait de faux dans la situation présente, mit avec bonheur sa main dans la main de l'hôte de son père, qui plaisait à tous et qu'elle aimait[130]. Peu de jours après, Harold repartit, emmenant avec lui son neveu, mais laissant son jeune frère Wulfnoth au pouvoir du duc de Normandie. Guillaume l'accompagna jusqu'à la mer et lui fit de nouveaux présents, joyeux d'avoir, par surprise, arraché à l'homme d'Angleterre le plus capable de nuire à ses projets, la promesse solennelle, appuyée d'un serment terrible, de le servir et de l'aider[131].

Lorsque Harold, de retour dans son pays, se présenta devant le roi Edward, et lui raconta ce qui s'était passé entre lui et le duc Guillaume, le roi devint pensif et dit : Ne t'avais-je pas averti que je connaissais Guillaume, et que ton voyage attirerait de grands malheurs sur toi-même et sur notre nation ? Fasse le ciel que ces malheurs n'arrivent pas durant ma vie ![132] Ces paroles et cette tristesse sembleraient prouver qu'en effet, par entraînement et par imprudence, Edward avait fait jadis à un enfant étranger la promesse d'une royauté qui ne lui appartenait pas. On ne peut dire si, depuis son avènement, il avait entretenu, par de nouvelles paroles, l'espérance ambitieuse de son cousin maternel ; mais, à défaut de paroles expresses, son amitié constante pour le duc Guillaume avait tenu lieu à ce dernier d'assurances et de raisons positives pour le croire toujours favorable à ses vues.

Déjà même l'impression produite de l'autre côté du détroit par ce qui venait de s'y passer, répondait d'une façon alarmante aux sinistres prévisions du roi Edward. L'opinion universelle en Normandie était que le roi d'Angleterre avait légué sa couronne à Guillaume par un acte authentique, dont le porteur avait été Harold chargé de le confirmer par serment[133]. On allait plus loin, et l'on trouvait à cette opinion, indubitable en apparence, des racines dans une version étrangement fausse de l'histoire des quinze dernières années. On faisait de la fuite de l'archevêque Robert et de son retour honteux en Normandie, une première ambassade envoyée par Edward à Guillaume, pour lui annoncer que les grands d'Angleterre consentaient à ce qu'il fût héritier de la couronne, et, pour comble d'absurdité, on disait que les deux otages, l'un fils, l'autre petit-fils de Godwin, avaient été remis alors comme garantie de cette promesse[134]. Ainsi l'attente de l'annexion d'un royaume au duché de Normandie, la conviction d'un droit légitime sur ce royaume pour le duc, et en même temps pour le pays, éveillaient l'ambition nationale dans ce pays guerrier, dont la noblesse, gardant et modifiant l'esprit des Scandinaves ses ancêtres, cherchait au loin, non plus comme eux, les aventures de mer, mais des territoires à conquérir.

Quelles qu'eussent été jusqu'à ce moment les négociations secrètes du duc de Normandie avec l'Église romaine, elles purent dès lors avoir une base fixe et suivre une direction certaine. Un serment prêté sur les reliques appelait, s'il était violé, la condamnation de l'Église ; et, dans ce cas, selon l'opinion du siècle, l'Église frappait justement. Soit par un sentiment réel des périls dont cette vindicte ecclésiastique, associée à l'ambition normande, menaçait l'Angleterre, soit par une impression de terreur vague et superstitieuse, un grand abattement d'esprit s'empara de la nation anglaise. Des bruits sinistres couraient de bouche en bouche ; l'on craignait et l'on s'alarmait sans sujet positif d'alarmes ; l'on exhumait des prédictions attribuées à des saints du vieux temps. L'un d'eux prophétisait des infortunes telles que les Saxons n'en avaient jamais éprouvé depuis leur départ des rives de l'Elbe[135] ; un autre annonçait l'invasion d'un peuple de langue inconnue, et la servitude du peuple anglais sous des maîtres venus d'outre-mer[136]. Toutes ces rumeurs, jusque-là sans crédit, étaient recueillies avidement, et entretenaient les imaginations dans l'attente de quelque malheur national.

La santé du roi Edward, .homme d'une nature débile, et devenu sensible à tout ce qui intéressait la destinée de son pays, déclina depuis ces événements. Il ne pouvait se cacher à lui-même que son amour pour les étrangers était la cause du péril qui effrayait l'Angleterre ; son esprit en fut plus accablé encore que celui de la nation. Afin d'étouffer les pensées et peut-être les remords qui l'obsédaient, il se livra tout entier au détail des pratiques religieuses ; il donna beaucoup aux églises et aux monastères ; il acheva l'œuvre de son règne, la réédification de l'église de Saint-Pierre, à l'extrémité occidentale de Londres : La dédicace du nouveau bâtiment, qui devait se faire en grande pompe devant le roi, sa famille et les hauts dignitaires du royaume, fut annoncée par toute l'Angleterre pour la fête des Saints-Innocents, 28 décembre 1065. Mais ce jour-là, Edward malade ne put sortir de sa chambre ; la cérémonie eut lieu sans lui, et la reine Edith, chargée de ses insignes, l'y représenta comme souverain et comme fondateur. L'absence du roi et l'idée de son danger attristèrent cette fête nationale pour laquelle des milliers d'hommes avaient été convoqués ou étaient venus d'eux-mêmes à Londres. Le roi Edward, atteint gravement, languit encore une semaine, et il expira le 5 janvier de l'année 1066. Sur son lit de mort, il s'entretint sans cesse de ses sombres pressentiments ; il eut des visions effrayantes, et, dans ses extases mélancoliques, les passages menaçants de la Bible lui revenaient à la mémoire. Le Seigneur a tendu son arc, disait-il ; le Seigneur a préparé son glaive ; il le brandit comme un guerrier ; son courroux se manifestera par le fer et par la flamme[137]. Ces paroles d'une application évidente frappaient de crainte les grands du royaume et les chefs de province qui, retenus à Londres par l'attente d'un événement douloureux, entouraient en ce moment le lit du roi.

Quelque affaiblie que fût la pensée du vieux monarque, il eut assez de force et de résolution pour déclarer aux chefs qui le consultaient sur le choix de son successeur, que l'homme le plus digne de régner était Harold, fils de Godwin[138]. En prononçant le nom de Harold dans cette circonstance, le roi Edward se montrait supérieur à ses préjugés d'habitude, et même à l'ambition de retenir la couronne clans sa propre famille ; car il y avait alors en Angleterre un petit-fils d'Edmund Côte-de-Fer, né en Hongrie, où son père s'était réfugié, comme on l'a vu, dans le temps des proscriptions danoises. Ce jeune homme, appelé Edgard, n'avait ni talents ni gloire acquise, et ayant passé toute son enfance dans un pays étranger, il parlait à peine la langue saxonne[139]. Un pareil candidat ne pouvait lutter de popularité avec Harold, l'homme puissant et admiré, le guerrier à toute épreuve, le chef de la famille ennemie de toute influence étrangère[140]. Lui seul semblait capable de tenir tête aux dangers qui menaçaient la nation et de démentir l'absurde promesse qu'il avait faite malgré lui[141] ; quand bien même le roi mourant ne l'eût pas désigné au choix du conseil souverain, son nom devait sortir de toutes les bouches.

Le jour même des funérailles d'Edward, au milieu d'un deuil universel et sous l'émotion d'une crise nationale, Harold fut élu roi par les grands et les nobles encore très-nombreux dans Londres, et sacré par l'archevêque Stigand, qui, malgré son interdiction prononcée à Rome, avait célébré comme métropolitain les obsèques royales, et, quelques jours auparavant, la dédicace de l'église de Saint-Pierre[142]. Le petit-fils du fermier Wulfnoth, parvenu au rang suprême, se montra, dès son avènement, juste, sage, affable, dévoué à l'intérêt général, et, selon les paroles d'un vieil historien, il ne s'épargna, pour la défense du pays, aucune fatigue ni sur terre ni sur mer[143].

Il fallut au roi Harold beaucoup de soins et de peines pour vaincre le découragement public qui se montrait de différentes manières. L'apparition d'une comète, visible en Angleterre pendant près d'un mois, produisit sur les esprits une impression extraordinaire d'étonnement et d'effroi. Le peuple s'attroupait dans les rues et sur les places des villes et des villages pour considérer ce météore, qu'on regardait comme la confirmation des pressentiments nationaux[144]. Un moine de Malmesbury, qui s'occupait d'astronomie, composa sur la nouvelle comète une sorte de déclamation poétique où se trouvaient ces paroles : Te voilà donc enfin revenue, toi qui feras pleurer tant de mères ! Il y a bien des années que je t'ai vue briller ; mais tu me sembles plus terrible aujourd'hui que tu m'annonces la ruine de mon pays 2[145].

Les commencements du nouveau règne furent marqués par un retour complet aux usages nationaux abandonnés sous le règne précédent. Dans les chartes du roi Harold, l'ancienne signature saxonne remplaçait les sceaux pendants à la mode normande[146]. Harold néanmoins ne poussa point la réforme jusqu'à destituer de leurs emplois ou chasser du pays les Normands qu'avait épargnés, malgré la loi, une imprudente condescendance pour les affections du roi Edward. Ces étrangers continuèrent de jouir de tous les droits civils ; mais, peu reconnaissants de cette conduite généreuse, ils se mirent à intriguer au dedans et au dehors pour le duc de Normandie. Ce fut, selon toute probabilité, un message de leur part qui vint annoncer à Guillaume la mort d'Edward et l'élection du fils de Godwin[147].

Au moment où le duc apprit cette grande nouvelle, il était dans son parc, près de Rouen, tenant à la main un arc et des flèches neuves qu'il essayait[148]. Tout à coup il parut pensif, remit son arc à l'un de ses gens, et passant la Seine, se rendit à son hôtel de Rouen ; il s'arrêta dans la grande salle et s'y promena de long en large, tantôt s'asseyant, tantôt se levant, changeant de siège et de posture, et ne pouvant demeurer en place. Aucun de ses gens n'osait l'aborder ; tous se tenaient à l'écart et se regardaient l'un l'autre en silence[149]. Un officier, admis d'une manière plus intime dans la familiarité de Guillaume, venant à entrer alors, les assistants l'entourèrent pour apprendre de lui la cause de cette grande agitation qu'ils remarquaient dans le duc. Je n'en sais rien de certain, répondit l'officier, mais nous en serons bientôt instruits. Puis, s'avançant seul vers Guillaume : Seigneur, dit-il, à quoi bon nous cacher vos nouvelles ? qu'y gagnerez-vous ? Il est de bruit commun par la ville que le roi d'Angleterre est mort, et que Harold s'est emparé du royaume, mentant à sa foi envers vous. — L'on dit vrai, répondit le duc ; mon dépit vient de la mort d'Edward, et du tort que m'a fait Harold. — Eh bien, sire, reprit le courtisan, ne vous courroucez pas d'une chose qui peut être amendée : à la mort d'Edward il n'y a nul remède, mais il y en a aux torts de Harold ; à vous est le bon droit : vous avez de bons chevaliers ; entreprenez donc hardiment : chose bien entreprise est à demi faite[150].

Un homme de race saxonne et le propre frère de Harold, ce Tosti que les Northumbriens avaient chassé du commandement, et que Harold, devenu roi, n'avait point voulu leur imposer de nouveau, vint de Flandre exhorter Guillaume à ne pas laisser régner en paix celui qui s'était parjuré[151]. Tosti se vantait auprès des étrangers d'avoir en Angleterre plus de crédit et de puissance que le roi son frère, et il promettait d'avance la possession de ce pays à quiconque voudrait s'unir à lui pour en faire la conquête[152]. Trop prudent pour s'engager dans une grande démarche sur la simple parole d'un aventurier, Guillaume donna au Saxon, pour éprouver ses forces, quelques vaisseaux, avec lesquels, au lieu de débarquer en Angleterre, Tosti se rendit vers la Baltique, afin de quêter d'autres secours et d'exciter contre sa : patrie l'ambition des rois du Nord. Il eut une entrevue avec Swen, roi du Danemark, son parent du côté maternel, et lui demanda de l'aider contre son frère et sa nation. Nais le Danois ne répondit à cette demande que par un refus durement exprimé. Tosti se retira mécontent et alla chercher ailleurs un roi moins délicat sur la justice[153].

Il trouva en Norvège Harald ou Harold, fils de Sigurd, le plus vaillant des Scandinaves, le dernier qui eût mené la vie aventureuse dont le charme s'était évanoui avec la religion d'Odin. Dans ses courses vers le midi, Harold avait suivi alternativement la route de terre et celle de mer ; on l'avait vu tour à tour pirate et guerrier errant, Viking et Varing, comme on s'exprimait dans la langue du Nord[154]. Il était allé servir dans l'est sous les chefs de sa nation qui, depuis près de deux siècles, possédaient une partie des pays slaves. Ensuite, poussé par le besoin de voir, il s'était rendu à Constantinople, où d'autres émigrés de la Scandinavie, sous ce même nom de Varings, dont s'honoraient les conquérants des villes russes, formaient une milice mercenaire pour la garde des empereurs[155].

Harold était frère d'un roi, mais il ne crut point déroger en s'enrôlant dans cette milice. Il veilla ; la hache sur l'épaule, aux portes du palais impérial, et fut employé, avec le corps dont il faisait partie, en Asie et en Afrique. Lorsque le butin fait dans ces expéditions l'eut rendu assez riche, il eut envie de repartir et demanda son congé ; comme on voulait le retenir de force, il s'évada par mer, emmenant avec lui une jeune femme de haute naissance. Après cette évasion, il croisa en pirate le long des côtes de la Sicile, et accrut ainsi le trésor qu'il emportait sur son navire[156]. Il était poète, comme la plupart des corsaires septentrionaux, qui, dans les longues traversées, et quand le calme de la mer ralentissait leur marche, s'amusaient à chanter en vers leurs succès ou leurs espérances.

Au retour des longs voyages où, comme il disait lui- même dans ses chansons, il avait promené au loin son vaisseau, l'effroi des laboureurs, son vaisseau noir rempli de guerriers, Harold leva une armée, et fit la guerre au roi de Norvège, afin de le déposséder. Il prétendait avoir des droits héréditaires sur ce royaume ; mais reconnaissant bientôt la difficulté de le conquérir, il fit la paix avec le premier occupant, sous la condition d'un partage ; et dans cet arrangement, le trésor du fils de Sigurd fut divisé entre eux, de même que le territoire de Norvège. Afin de gagner à ses projets ce roi fameux par ses richesses et son courage, Tosti l'aborda avec des paroles flatteuses : Tout le monde sait, lui dit-il, qu'il n'y a jamais eu dans le Nord un guerrier égal à toi ; tu n'as qu'à vouloir, et l'Angleterre t'appartiendra[157]. Le Norvégien se laissa persuader, et promit de mettre sa flotte en mer aussitôt que la fonte annuelle des glaces aurait rendu l'Océan libre[158].

En attendant le départ de son allié de Norvège, Tosti vint tenter la fortune sur les côtes septentrionales de l'Angleterre, avec une bande d'aventuriers. rassemblés en Frise, en Hollande et dans le pays flamand. Il pilla et dévasta quelques villages ; mais les deux grands chefs des provinces voisines de l'Humber, Edwin et Morkar, se réunirent, et, poursuivant ses vaisseaux, le forcèrent de chercher une retraite sur les rivages de l'Écosse[159]. Pendant ce temps, le roi Harold, fils de Godwin, tranquille dans les contrées méridionales de l'Angleterre, vit arriver près de lui un messager de Normandie qui lui parla en ces termes : Guillaume, duc des Normands, te rappelle le serment que tu lui as juré, de ta bouche et de ta main, sur de bons et de saints reliquaires[160]. — Il est vrai, répondit le roi saxon, que j'ai fait ce serment au duc Guillaume ; mais je l'ai fait me trouvant sous la force ; j'ai promis ce qui ne m'appartenait pas, ce que je ne pouvais nullement tenir : car ma royauté n'est point à moi, et je ne saurais m'en démettre sans l'aveu du pays ; de même, sans l'aveu du pays, je ne puis prendre une épouse étrangère. Quant à ma sœur, que le duc réclame pour la marier à l'un de ses chefs, elle est morte dans l'année[161].

L'ambassadeur normand porta cette réponse, et Guillaume, voulant essayer jusqu'au bout les moyens de conciliation, répliqua par un second message et par des reproches modérés. Il requit doucement Harold, s'il ne consentait pas à remplir toutes les conditions jurées, d'en exécuter au moins une, et de prendre en mariage la jeune fille qu'il avait promis d'épouser[162]. Harold répondit de nouveau qu'il n'en ferait rien, et pour donner là-dessus toute garantie à la nation qu'il gouvernait, il épousa une femme saxonne, la sœur d'Edwin et de Morkar, chefs des deux grandes provinces de Mercie et de Northumbrie. Alors les derniers mots de rupture furent prononcés ; Guillaume jura qu'avant la fin de l'année il irait, l'épée en main, exiger toute sa dette, et chercher son débiteur au lieu même où celui-ci croirait avoir le pied le plus sûr[163].

Aussi loin que la publicité pouvait s'étendre dans le onzième siècle, le duc de Normandie proclama par ses émissaires ce qu'il appelait l'injustice et le sacrilège du Saxon[164]. La nature des idées sociales et religieuses d'un siècle où tout reposait sur le serment empêcha les spectateurs désintéressés dans cette querelle de comprendre la conduite patriotique du fils de Godwin, et sa déférence pour la volonté du peuple qui l'avait fait roi. L'opinion du plus grand nombre, sur le continent, fut pour Guillaume contre Harold, pour l'homme qui s'était servi des choses saintes comme d'un piège et qui se prévalait d'une fourberie pour exiger une trahison, contre l'homme qui refusait de trahir et de livrer son pays. Les négociations entamées auprès de l'Église romaine par le moine Lanfranc prirent une face nouvelle et décisive, du moment qu'un archidiacre de Lisieux eut porté au delà des monts l'annonce du prétendu crime de Harold et de toute la nation anglaise[165]. Le duc de Normandie intentait contre le roi d'Angleterre, devant la cour pontificale, avec l'accusation de parjure, celle d'usurpation d'un héritage qui lui appartenait comme parent et légataire du roi Edward[166]. Il affectait le rôle d'un plaignant qui attend justice et désire que son adversaire soit écouté. Mais Harold fut vainement requis de se défendre devant la cour de Rome ; il refusa de s'avo.uer justiciable de cette cour, et n'y députa aucun ambassadeur, trop fier pour soumettre à des étrangers l'indépendance de sa couronne, et trop sensé pour croire à l'impartialité des juges qu'invoquait son ennemi[167].

Le consistoire de Saint-Jean de Latran était alors gouverné par un homme dont la célébrité domine toutes celles du moyen âge : c'était Hildebrand, moine de Cluny, créé par le pape Nicolas II, archidiacre et chancelier de l'Église romaine. Après avoir régné sous le nom de ce pape, il fut assez puissant pour en faire élire un de son choix, Alexandre II, et pour le maintenir contre la désapprobation de la cour impériale[168]. Toutes les vues de ce personnage, doué d'une étonnante vigueur d'esprit et de caractère, tendaient à transformer la suprématie religieuse du Saint-Siège en souveraineté universelle sur les États chrétiens[169]. Cette révolution, commencée au neuvième siècle par la réduction de plusieurs villes de l'Italie centrale sous l'obéissance ou la suzeraineté du pape, s'était continuée dans les deux siècles suivants. Toutes les cités de la Campanie, dont le pontife de Rome était le métropolitain immédiat, avaient passé, de gré ou de force, sous sa puissance temporelle, et, par une circonstance bizarre, on avait vu, clans la première moitié du onzième siècle, des chevaliers normands, émigrés de leur pays, conduire, sous la bannière de saint Pierre, les milices romaines à cette conquête[170].

A la même époque, d'autres Normands, pèlerins ou aventuriers, s'étaient mis à la solde des petits seigneurs de l'Italie méridionale harcelée par les descentes des Sarrasins ; puis, comme jadis les Saxons a la solde des Bretons, ils avaient rompu leur engagement, pris les forteresses où ils commandaient et établi leur domination sur le pays[171]. Cette nouvelle puissance, qui mettait fin au pouvoir de l'empire grec sur les villes de la Calabre et de l'Apulie, fut d'abord l'alliée naturelle de l'Église romaine, qui bientôt s'alarma de ses progrès et eut à défendre contre elle ses possessions territoriales[172]. Après de vains efforts pour soutenir une guerre toujours malheureuse, la cour de Rome fit la paix avec les princes normands et obtint clés lors une grande autorité politique sur ces guerriers simples d'esprit et pleins de vénération pour le Saint-Siège. Les nouveaux ducs ou comtes de Calabre, d'Apulie et de Sicile, s'avouèrent vassaux du prince des apôtres et reçurent une bannière de l'Église en signe d'investiture féodale des principautés qu'ils possédaient[173]. Ainsi l'Église romaine profitait de la puissance des armes normandes pour étendre sa suzeraineté en Italie, et elle s'habituait à considérer les Normands comme destinés à combattre pour son service, ou à lui faire hommage de leurs conquêtes[174].

Telles étaient les singulières relations que le hasard des événements venait de créer, lorsque arrivèrent à la cour de Rome les plaintes et la requête du duc de Normandie. Plein de son idée favorite, l'archidiacre Hildebrand crut le moment propice pour tenter sur le royaume d'Angleterre ce qui avait réussi en Italie ; il fit tous ses efforts pour substituer aux débats ecclésiastiques sur la tiédeur de zèle du peuple anglais, la simonie de ses évêques et le parjure de son roi, un traité offensif pour la conquête du pays[175]. On ne peut dire s'il déclara nettement la portée de ses intentions politiques, mais la plainte de Guillaume contre Harold fut examinée dans l'assemblée des cardinaux, sans qu'il fût question d'autre chose que du droit héréditaire, du respect pour les dernières volontés d'un mort et de la sainteté du serment.

Dans ce moment décisif, plusieurs des assistants eurent des scrupules sur leur compétence comme juges et sur les lins d'un procès qui tendait à faire sanctionner par l'Église la guerre contre un peuple chrétien. Hildebrand fut blâmé par eux et, selon ses propres expressions, presque noté d'infamie pour son zèle en faveur d'une cause qui était celle de l'homicide[176] ; mais il s'en émut peu et emporta de haute lutte une décision conforme à son avis.

Aux termes de la sentence, qui fut prononcée par le pape Alexandre II, il était permis au duc Guillaume de Normandie d'entrer en Angleterre à main armée, pour y établir son droit comme héritier du royaume en vertu du testament du roi Edward[177]. Une bulle d'excommunication, lancée contre Harold et tous ses adhérents, fut remise au messager de Guillaume, et l'on joignit à cet envoi une bannière de l'Église romaine et un anneau contenant un cheveu de saint Pierre, enchâssé sous un diamant de prix[178]. Il y avait là comme un double symbole d'investiture militaire et ecclésiastique ; et l'étendard qui allait consacrer l'invasion de l'Angleterre par le duc de Normandie était le pareil de celui que, trois ans auparavant, le même pape avait envoyé à Roger, comte de Sicile, pour qu'il le déployât contre les musulmans dominateurs du pays[179].

Avant que la bulle, la bannière et l'anneau fussent arrivés, le duc Guillaume assembla, en conseil de cabinet, ses amis les plus intimes, pour leur demander avis et secours. Ses deux frères utérins Eudes et Robert, dont l'un était évêque de Bayeux et l'autre comte de Mortain ; Guillaume fils d'Osbern, sénéchal de Normandie, c'est-à-dire lieutenant du duc pour l'administration civile, et quelques hauts barons, assistaient à cette conférence. Tous furent d'opinion qu'il fallait descendre en Angleterre, et promirent à Guillaume de le servir de corps et de biens, jusqu'à vendre ou engager leurs héritages. Mais ce n'est pas tout, lui dirent-ils ; il vous faut demander aide et conseil à la généralité des habitants de ce pays ; car il est de droit que qui paye la dépense soit appelé à la consentir[180]. Guillaume alors fit convoquer, disent les chroniques, une grande assemblée d'hommes de tous états de la Normandie, gens de guerre, d'église et de négoce, les plus considérés et les plus riches. Le duc leur exposa son projet et sollicita leur concours ; puis l'assemblée se retira, afin de délibérer plus librement hors de toute influence[181].

Dans le débat qui suivit, les opinions parurent fortement divisées ; les uns voulaient qu'on aidât le duc de navires, de munitions et de ' deniers ; les autres refusaient toute espèce d'aide, disant qu'ils avaient déjà plus de dettes qu'ils n'en pouvaient payer. Cette discussion n'était pas sans tumulte, et les membres de l'assemblée, hors de leurs sièges et partagés en groupes, parlaient et gesticulaient avec grand bruit[182]. Au milieu de ce désordre, le sénéchal de Normandie, Guillaume fils d'Osbern, éleva la voix et dit : Pourquoi vous disputer de la sorte ? Il est votre seigneur, il a besoin de vous ; votre devoir serait de lui faire vos offres et non d'attendre sa requête. Si vous lui manquez et qu'il arrive à ses fins, de par Dieu, il s'en souviendra ; montrez donc que vous l'aimez, et agissez de bonne grâce. — Nul doute, s'écrièrent les opposants, qu'il ne soit notre seigneur ; mais n'est-ce pas assez pour nous de lui payer ses rentes ? Nous ne lui devons point d'aide pour aller outre mer : il nous a déjà trop grevés par ses guerres ; qu'il manque sa nouvelle entreprise, et notre pays est ruiné[183]. Après beaucoup de discours et de répliques en différents sens, l'on décida que le fils d'Osbern, qui connaissait les facultés de chacun, porterait la parole pour excuser l'assemblée de la modicité de ses offres[184].

Les notables normands retournèrent vers le duc, et le fils d'Osbern parla ainsi : Je ne crois pas qu'il y ait au monde des gens plus zélés que ceux-ci ; vous savez les aides qu'ils vous ont fournies, les services onéreux qu'ils vous ont faits ; eh bien, sire, ils veulent faire davantage ; ils se proposent de vous servir au delà de la mer comme en deçà. Allez donc en avant, et ne les épargnez en rien ; tel qui jusqu'à présent ne vous a fourni que deux bons combattants à cheval, va faire la dépense du double... ![185]Eh ! non ! eh ! non ! s'écrièrent à la fois les assistants, nous ne vous avons point chargé d'une telle réponse ; nous n'avons point dit cela ; cela ne sera pas ! Qu'il ait affaire dans son pays, et nous le servirons comme il lui est dû ; mais nous ne sommes point tenus de l'aider à conquérir le pays d'autrui. D'ailleurs, si nous lui faisions une seule fois double service, et si nous le suivions outre mer, il s'en ferait un droit et une coutume pour l'avenir ; il en grèverait nos enfants ; cela ne sera pas, cela ne sera pas !!! Les groupes de dix, de vingt, de trente personnes, recommencèrent à se former : le tumulte fut général, et l'assemblée se sépara[186].

Le duc Guillaume, surpris et courroucé au delà de toute mesure, dissimula cependant sa colère, et eut recours à un artifice, qui presque jamais n'a manqué son effet quand des souverains habiles ont voulu vaincre les résistances populaires. Il fit appeler séparément auprès de lui les mêmes hommes que d'abord il avait convoqués en masse ; commençant par les plus riches et les plus influents, il les pria de venir à son aide de pure grâce et par don gratuit, affirmant qu'il n'avait nul dessein de leur faire tort à l'avenir, ni d'abuser contre eux de leur propre libéralité, offrant même de leur donner acte de sa parole à cet égard par des lettres scellées de son grand sceau[187]. Aucun n'eut le courage de prononcer isolément son refus à la face du chef' du pays, clans un entretien seul à seul. Ce qu'ils accordèrent fut enregistré aussitôt ; et l'exemple des premiers venus décida ceux qui vinrent ensuite. L'un souscrivit pour des vaisseaux, l'autre pour des hommes armés en guerre, d'autres promirent de marcher en personne ; les clercs donnèrent leur argent, les marchands leurs étoffes, et les paysans leurs denrées[188].

Bientôt arrivèrent de Rome la bannière consacrée et la bulle qui autorisait l'agression contre l'Angleterre. A cette nouvelle, l'empressement redoubla ; chacun apportait ce qu'il pouvait ; les mères envoyaient leurs fils s'enrôler pour le salut de leurs âmes[189]. Guillaume fit publier son ban de guerre dans les contrées voisines ; il offrit une forte solde et le pillage de l'Angleterre à tout homme robuste qui voudrait le servir de la lance, de l'épée ou de l'arbalète[190]. Il en vint une multitude, par toutes les routes, de loin et de près, du nord et du midi. Il en vint du Maine et de l'Anjou, du Poitou et de la Bretagne, de la France et de la Flandre, de l'Aquitaine et de la Bourgogne, des Alpes et des bords du Rhin[191]. Tous les aventuriers de profession, tous les enfants perdus de l'Europe occidentale accoururent à grandes journées ; les uns étaient chevaliers et chefs de guerre, les autres simples piétons et sergents d'armes, comme on s'exprimait alors ; les uns offraient de servir pour une solde en argent, les autres ne demandaient que le passage et tout le butin qu'ils pourraient faire. Plusieurs voulaient de la terre chez les Anglais, un domaine, un château, une ville ; d'autres enfin souhaitaient seulement quelque riche Saxonne en mariage[192]. Tous les vœux, toutes les prétentions de l'avarice humaine se présentèrent : Guillaume ne rebuta personne, dit la chronique normande, et fit plaisir à chacun, selon son pouvoir[193]. Il donna d'avance à un moine de Fescamp un évêché en Angleterre[194].

Durant le printemps et l'été, dans tous les ports de la Normandie, des ouvriers de toute espèce furent employés à construire et à équiper des vaisseaux ; les forgerons et les armuriers fabriquaient des lances, des épées et des cottes de mailles, et des portefaix allaient et venaient sans cesse pour transporter les armes des ateliers sur les navires[195]. Pendant que ces préparatifs se poursuivaient, Guillaume alla en France trouver le roi Philippe Ier à son domaine de Saint-Germer, près de Beauvais, et, le saluant d'une formule de déférence que ses aïeux avaient souvent omise : Vous êtes mon seigneur, lui dit-il ; s'il vous plait de m'aider, et que Dieu me fasse la grâce d'obtenir mon droit sur l'Angleterre, je promets de vous en faire hommage, comme si je la tenais de vous[196].

Le roi Philippe assembla son conseil de barons, sans lequel il ne pouvait décider aucune affaire importante, et les barons furent d'avis qu'il ne fallait en aucune façon aider Guillaume dans sa conquête. Vous savez, dirent-ils au roi, combien peu les Normands vous obéissent aujourd'hui ; ce sera bien autre chose quand ils possèderont l'Angleterre. D'ailleurs, secourir le duc coûterait beaucoup à notre pays, et s'il venait à faillir dans son entreprise, nous aurions la nation anglaise pour ennemie à tout jamais[197]. Le duc Guillaume se retira mécontent du roi de France, et il adressa par lettres une pareille demande au comte de Flandre, son beau-père, qui, sans se joindre personnellement à l'expédition projetée, la favorisa de tout son pouvoir[198]. Portant plus loin ses tentatives diplomatiques, Guillaume conclut avec l'empereur d'Allemagne, Henri IV, un traité qui lui garantissait au besoin des secours pour la défense de la Normandie, et il obtint de Swen, roi de Danemark, le plus grand ami de la cause anglo-saxonne, des assurances d'amitié que les faits démentirent plus tard[199].

Malgré l'inimitié nationale des Normands et des Bretons, il existait entre les ducs de Normandie et les comtes de Bretagne des alliances de parenté-qui compliquaient les relations des deux États sans les rendre moins hostiles. Au temps où le duc Robert, père de Guillaume, s'était mis en route pour son pèlerinage, il n'avait point de

plus proche parent que le comte breton Allan ou Alain, issu de Roll par les femmes, et ce fut à lui qu'il remit en partant la garde de son

duché et la tutelle de son fils. Le comte Alain n'avait pas tardé à déclarer douteuse du côté paternel la naissance de son pupille, et à favoriser le parti qui voulait le priver de la succession ; mais après la défaite de ce parti au Val-des-Dunes, il mourut empoisonné, selon toute apparence, par les amis du jeune bâtard. Son fils, nommé Conan, lui succéda, et il régnait encore en Bretagne à l'époque du grand armement de Guillaume pour la conquête de l'Angleterre. C'était un homme audacieux, redouté de ses voisins et dont la principale ambition était de nuire au duc de Normandie, qu'il regardait comme un usurpateur et comme le meurtrier de son père. Le voyant engagé dans une entreprise difficile, Conan crut le moment favorable pour lui déclarer la guerre, et il lui fit porter par l'un de ses chamberlains le message suivant :

J'apprends que tu es prêt à passer la mer, afin de conquérir le royaume d'Angleterre. Or, le duc Robert, dont tu feins de te croire le fils, portant pour Jérusalem, remit tout son héritage au comte Allan, mon père, qui était son cousin. Mais toi et tes complices vous avez empoisonné mon père ; tu t'es approprié sa seigneurie et tu l'as retenue jusqu'à ce jour, contre toute justice, attendu que tu es bâtard. Rends-moi donc le duché de Normandie qui m'appartient, ou je te ferai la guerre à outrance, avec tout ce que j'ai de forces[200].

Les historiens normands avouent que Guillaume fut effrayé de ce message, car la plus faible diversion pouvait déjouer ses projets de conquête ; mais il trouva Moyen de se délivrer, sans beaucoup de peine, de l'ennemi qui se déclarait avec tant de hardiesse et d'imprudence. Le chamberlain du comte de Bretagne, gagné sans doute à prix d'argent, frotta de poison l'intérieur du cor dont son maître se servait à la chasse, et, pour surcroît de précaution, il empoisonna de même ses gants et les rênes de son cheval[201]. Conan mourut peu de jours après le retour de son messager. Le comte Eudes, qui lui succéda, se garda bien de l'imiter et d'alarmer Guillaume le Bâtard sur la validité de ses droits : au contraire, se liant avec lui d'une amitié toute nouvelle entre les Bretons et les Normands, il lui envoya ses deux fils pour le servir contre les Anglais. Ces cieux jeunes gens, appelés Brian et Allan, vinrent au rendez-vous des troupes normandes[202] accompagnés d'un corps de chevaliers de leur pays qui leur donnaient le titre de Mactierns[203], tandis que les Normands les appelaient comtes. D'autres riches Bretons, qui n'étaient point de pure race celtique et portaient des noms à tournure française, comme Robert de Vitré, Bertrand de Dinand, Raoul de Fougères et Raoul de Gaël, se rendirent pareillement auprès du duc de Normandie, pour lui offrir leurs services[204].

Le rendez-vous des navires et des gens de guerre était à l'embouchure de la Dive, rivière qui se jette dans l'Océan, entre la Seine et l'Orne. Durant un mois, les vents furent contraires et retinrent la flotte normande au port. Ensuite une brise du sud la poussa jusqu'à l'embouchure de la Somme au mouillage de Saint-Valery[205]. Là, les mauvais temps recommencèrent, et il fallut attendre plusieurs jours. La flotte mit à l'ancre et les troupes campèrent sur le rivage, fort incommodées par la pluie qui ne cessait de tomber à flots[206]. Pendant ce retard, quelques-uns des vaisseaux, fracassés par une tempête violente, périrent avec leurs équipages ; cet accident causa une grande rumeur parmi les troupes, fatiguées d'un long campement.

Dans l'oisiveté de leurs journées, les soldats passaient des heures à converser sous la tente, à se communiquer leurs réflexions sur les périls du voyage et les difficultés de l'entreprise[207]. Il n'y avait point encore eu de combat, disait-on, et déjà beaucoup d'hommes étaient morts ; l'on calculait et l'on exagérait le nombre des cadavres que la mer avait rejetés sur le sable. Ces bruits abattaient l'ardeur des aventuriers d'abord si pleins de zèle ; quelques-uns même rompirent leur engagement et se retirèrent[208]. Pour arrêter cette disposition funeste à ses projets, le duc Guillaume faisait enterrer secrètement les morts, et augmentait les rations de vivres et de liqueurs fortes[209]. Mais le défaut d'activité ramenait toujours les mêmes pensées de tristesse et de découragement. Bien fou, disaient les soldats en murmurant, bien fou est l'homme qui prétend s'emparer de la terre d'autrui ; Dieu s'offense de pareils desseins, et il le montre en nous refusant le bon vent[210].

Guillaume, en dépit de sa force d'âme et de sa présence d'esprit habituelle, était en proie à de vives inquiétudes qu'il avait peine à dissimuler. On le voyait fréquemment se rendre à l'église de Saint-Valery, patron du lieu, y rester longtemps en prières, et chaque fois qu'il en sortait, regarder au coq qui surmontait le clocher quelle était la direction du vent. S'il paraissait tourner au sud, le duc se montrait joyeux ; mais s'il soufflait du nord ou de l'ouest, son visage et sa contenance redevenaient tristes[211]. Soit par un acte de foi sincère, soit pour fournir quelque distraction aux esprits abattus et découragés, il envoya prendre processionnellement, dans l'église, la châsse qui contenait les reliques du saint, et la fit porter en grande pompe à travers le camp. Toute l'armée se mit en oraison ; les chefs firent de riches offrandes ; chaque soldat, jusqu'au dernier, donna sa pièce de monnaie, et la nuit suivante, comme si le ciel eût fait un miracle, les vents changèrent et le temps redevint calme et serein. Au point du jour, c'était le 27 septembre, le soleil, jusque-là obscurci de nuages, parut dans tout son éclat[212]. Aussitôt le camp fut levé, tous les apprêts de l'embarquement s'exécutèrent avec beaucoup d'ardeur et non moins de promptitude, et, quelques heures avant le coucher du soleil, la flotte entière appareilla. Sept cents navires à grande voilure et plus d'un millier de bateaux de transport se mirent en mouvement pour gagner le large, au bruit des trompettes et d'un immense cri de joie poussé par soixante mille bouches[213].

Le vaisseau que montait le duc Guillaume marchait en tête, portant, au haut de son mât, l'étendard envoyé par le pape, et une croix en guise de pavillon. Ses voiles étaient de diverses couleurs, et l'on y voyait peints en plusieurs endroits les trois lions, enseigne de Normandie ; à la proue était sculptée la figure d'un enfant tenant une bannière et sonnant de la trompette[214]. Enfin de grands fanaux élevés sur les hunes, précaution nécessaire pour une traversée de nuit, devaient servir de phare à toute la flotte et lui indiquer le point de ralliement. Ce bâtiment, meilleur voilier que les autres, les précéda tant que dura le jour, et, la nuit, il les laissa loin en arrière. Au matin, le duc fit monter un matelot au sommet du mât, pour voir si les autres vaisseaux venaient : Je ne vois que le ciel et la mer, dit le matelot, et aussitôt on jeta l'ancre[215]. Le duc affecta une contenance gaie, et, de peur que le souci et la crainte ne se répandissent parmi l'équipage, il fit servir un repas copieux et des vins fortement épicés[216]. Le matelot remonta et dit que cette fois il apercevait quatre vaisseaux ; la troisième fois, il s'écria : Je vois une forêt de mâts et de voiles[217].

Pendant que ce grand armement se préparait en Normandie, Harold, roi de Norvège, fidèle à ses engagements envers le Saxon Tosti, avait rassemblé deux cents vaisseaux de guerre et de transport. La flotte resta quelque temps à l'ancre, et l'armée norvégienne, attendant le signal du départ, campait sur le rivage, comme les Normands à l'embouchure de la Somme. Des impressions vagues de découragement et d'inquiétude s'y manifestèrent par les mêmes causes, mais sous des apparences plus sombres, et conformes à l'imagination rêveuse des hommes du Nord. Plusieurs soldats crurent avoir dans leur sommeil des révélations prophétiques. L'un d'eux songea qu'il voyait ses compagnons débarqués sur la côte d'Angleterre et en présence de l'armée des Anglais ; que devant le front de cette armée courait, à cheval sur un loup, une femme de taille gigantesque ; le loup tenait dans sa gueule un cadavre humain dégouttant de sang, et quand il avait achevé de le dévorer, la femme lui en donnait un autre[218]. Un second soldat rêva que la flotte partait, et qu'une foule d'aigles, de vautours, de corbeaux et d'autres oiseaux de proie étaient perchés sur les mâts et à l'arrière des vaisseaux : sur un rocher voisin était une femme assise, tenant un sabre nu, regardant et comptant les navires : Allez, disait-elle, oiseaux du carnage, allez avec bon espoir, vous aurez à manger, vous aurez à choisir, car je serai là, j'y serai, je vais avec eux[219]. On remarqua, non sans effroi, qu'au moment où Harold mit le pied sur sa chaloupe royale, le poids de son corps la fit enfoncer beaucoup plus que de coutume[220].

Malgré ces présages sinistres, l'expédition se mit en route vers le sud-ouest, sous la conduite du roi et de son fils Olaf. Avant d'aborder en Angleterre, ils relâchèrent aux Orcades, îles peuplées d'hommes de race scandinave, et deux chefs, ainsi que l'évêque de ces îles, se joignirent à eux. Ils côtoyèrent ensuite le rivage oriental de l'Écosse, et c'est là qu'ils rencontrèrent Tosti et ses vaisseaux. Ils firent voile ensemble, et attaquèrent, en passant, la ville maritime de Scarborough. Voyant les habitants disposés à se défendre opiniâtrement, ils s'emparèrent d'un rocher à pic qui dominait la ville, y élevèrent un bûcher énorme de troncs d'arbres, de branches et de chaume, qu'ils firent rouler sur les maisons ; puis, à la faveur de l'incendie, ils forcèrent les portes de la ville et la pillèrent[221]. Relevés, par ce premier succès, de leurs terreurs superstitieuses, ils doublèrent gaiement la pointe de Holderness, à l'embouchure de l'Humber, et remontèrent le cours du fleuve.

De l'Humber ils passèrent dans l'Ouse, qui s'y jette et coule près d'York. Tosti, qui dirigeait le plan de campagne des Norvégiens, voulait, avant tout, reconquérir avec leur aide cette capitale de son ancien gouvernement, afin de s'y installer de nouveau. Morkar, son successeur, Edwin, frère de celui-ci, et le jeune Walteof, fils de Siward, chef de la 'province de Huntingdon, rassemblèrent les habitants de toute la contrée voisine, et livrèrent bataille aux étrangers, au sud d'York, sur la rive de l'Humber ; d'abord vainqueurs, ensuite forcés à la retraite, ils se renfermèrent dans la ville, où les Norvégiens les assiégèrent. Tosti prit le titre de chef du Northumberland, et fit des proclamations datées du camp des étrangers : quelques hommes faibles le reconnurent, et un petit nombre d'aventuriers ou de mécontents se rendit à son appel[222].

Pendant que ces choses se passaient dans le nord, le roi des Anglo-Saxons se tenait avec toutes ses forces sur les côtes du sud pour observer les mouvements de Guillaume, dont, l'invasion, à laquelle on s'attendait depuis longtemps, causait d'avance beaucoup d'alarmes[223]. Harold avait passé tout l'été sur ses gardes, près des lieux de débarquement les plus voisins de la Normandie[224] ; mais le retard de l'expédition commençait à faire croire qu'elle ne serait point prête avant l'hiver. D'ailleurs les périls étaient plus grands de la part des ennemis du nord, déjà maîtres d'une partie du territoire anglais, que de la part de l'autre ennemi, qui n'avait point encore mis le pied en Angleterre ; et le fils de Godwin, hardi et vif dans ses projets, espérait, en peu de jours, avoir chassé les Norvégiens et être de retour à son poste pour recevoir les Normands. Il partit à grandes journées, à la tête de ses meilleures troupes, et arriva de nuit sous les murs d'York, au moment où la ville venait de capituler pour se rendre aux alliés de Tosti. Les Norvégiens n'y avaient pas encore fait leur entrée ; mais, sur la parole des habitants, et dans leur conviction de l'impossibilité où l'on était de rétracter cette parole, ils avaient rompu les lignes de siège et fait reposer leurs soldats. De leur côté, les habitants d'York ne songeaient qu'à recevoir le lendemain même Tosti et le roi de Norvège, qui devaient tenir dans la ville un grand conseil, y régler le gouvernement de toute la province, et distribuer aux étrangers et aux transfuges les terres des Anglais rebelles[225].

L'arrivée imprévue du roi saxon, qui avait marché de manière à éviter les postes ennemis, changea toutes ces dispositions. Les citoyens d'York reprirent les armes, et les portes de la ville furent fermées et gardées de façon qu'aucun homme ne pût en sortir pour se rendre ail camp des Norvégiens. Le jour suivant fut un de ces jours d'automne où le soleil se montre encore clans toute sa force ; la portion de l'armée norvégienne qui sortit du camp sur l'Humber pour accompagner son roi vers York, ne croyant point avoir d'adversaires à combattre, vint sans cottes de mailles, à cause de la chaleur, et ne garda pour armes défensives que des casques et des boucliers.

A quelque distance de la ville, les Norvégiens aperçurent tout à coup un grand nuage de poussière, et sous ce nuage, quelque chose de brillant comme l'éclat du fer au soleil. Quels sont ces hommes qui marchent vers nous ? dit le roi à Tosti. — Ce ne peut être, répondit le Saxon, que des Anglais qui viennent demander grâce et implorer notre amitié[226]. La masse d'hommes qui s'avançait, grandissant à mesure, parut bientôt comme une armée nombreuse, rangée en ordre de bataille. L'ennemi ! l'ennemi ! crièrent les Norvégiens, et ils détachèrent trois cavaliers pour aller porter aux gens de guerre restés au camp et sur les navires l'ordre de venir en toute hâte. Le roi Harold, fils de Sigurd, déploya son étendard, qu'il appelait le ravageur du monde[227] ; les combattants se rangèrent autour sur une ligne peu profonde, et courbée vers les extrémités. Ils se tenaient serrés les uns contre les autres, et leurs lances étaient plantées en terre, la pointe inclinée vers l'ennemi : il leur manquait à tous la partie la plus importante de leur armure. Le roi de Norvège, en parcourant les rangs sur son cheval noir, chanta des vers improvisés, dont un fragment nous a été transmis par les historiens du Nord : Combattons, disait-il, marchons, quoique sans cuirasses, sous le tranchant du fer bleuâtre ; nos casques brillent au soleil, c'est assez pour des gens de cœur[228].

Avant le choc des deux armées, vingt cavaliers saxons, hommes et chevaux, couverts de fer, s'approchèrent des lignes des Norvégiens ; l'un d'entre eux cria d'une voix forte : Où est Tosti, fils de Godwin ?Le voici, répondit le fils de Godwin lui-même. — Si tu es Tosti, reprit le messager, ton frère te fait dire par ma bouche qu'il te salue, et t'offre la paix, son amitié et tes anciens honneurs. — Voilà de bonnes paroles, et bien différentes des affronts et des hostilités qu'on m'a fait subir depuis un an. Mais, si j'accepte ces offres, qu'y aura-t-il pour le noble roi Harold, fils de Sigurd, mon fidèle allié ?Il aura, reprit le messager, sept pieds de terre anglaise, ou un peu plus, car sa taille passe celle des autres hommes[229]. — Dis donc à mon frère, répliqua Tosti, qu'il se prépare à combattre : car jamais il n'y aura qu'un menteur qui aille raconter que le fils de Godwin a délaissé le fils de Sigurd[230].

Le combat commença aussitôt, et, au premier choc des deux armées, le roi de Norvège reçut un coup de flèche qui lui traversa la gorge. Tosti prit le commandement ; et alors son frère Harold envoya une seconde fois lui offrir la paix et la vie, pour lui et pour les Norvégiens[231]. Mais tous s'écrièrent' qu'ils aimaient mieux mourir que de rien devoir aux Saxons. Dans ce moment, les hommes des vaisseaux arrivèrent, armés de cuirasses, mais fatigués de leur course sous un soleil ardent. Quoique nombreux, ils ne soutinrent pas l'attaque des Anglais, qui avaient déjà rompu la première ligne de bataille et pris le drapeau royal. Tosti fut tué avec la plupart des chefs norvégiens, et, pour la troisième fois, Harold offrit la paix aux vaincus. Ceux-ci l'acceptèrent ; Olaf, fils du roi mort, l'évêque et l'un des chefs des îles Orcades se retirèrent avec vingt-trois navires, après avoir juré amitié à l'Angleterre[232]. Le pays des Anglais fut ainsi délivré d'une nouvelle invasion des hommes du Nord. Mais, pendant que ces ennemis s'éloignaient pour ne plus revenir, d'autres ennemis s'approchaient, et le même souffle de vent qui agitait alors les bannières saxonnes victorieuses gonflait les voiles normandes, et les poussait vers la côte de Sussex.

Par un hasard malheureux, les vaisseaux qui avaient longtemps croisé devant cette côte venaient de rentrer faute de vivres[233]. Les troupes de Guillaume abordèrent ainsi sans résistance à Pevensey, près de Hastings, le 28 septembre de l'année 1066, trois jours après la victoire de Harold sur les Norvégiens. Les archers débarquèrent d'abord ; ils portaient des vêtements courts, et leurs cheveux étaient rasés ; ensuite descendirent les gens à cheval, portant des cottes de maille et des heaumes en fer poli de forme conique, armés de longues et fortes lances, et d'épées droites à deux tranchants. Après eux sortirent les travailleurs de Farinée, pionniers, charpentiers et forgerons, qui déchargèrent, pièce à pièce, sur le rivage, trois châteaux de bois, taillés et préparés d'avance.

Le duc ne prit terre que le dernier de tous ; au moment où son pied touchait le sable, il fit un faux pas et tomba sur la face. Un murmure s'éleva ; des voix crièrent : Dieu nous garde ! c'est mauvais signe[234]. Mais Guillaume, se relevant, dit aussitôt : Qu'avez-vous ? quelle chose vous étonne ? J'ai saisi cette terre de mes mains, et par la splendeur de Dieu, tant qu'il y en a, elle est à nous[235]. Cette vive repartie arrêta subitement l'effet du mauvais présage. L'armée prit sa route vers la ville de Hastings, et, près de ce lieu, on traça un camp, et l'on construisit deux des châteaux de bois, dans lequel on plaça des vivres. Des corps de soldats parcoururent toute la contrée voisine, pillant et brûlant les maisons[236]. Les Anglais fuyaient de leurs demeures, cachaient leurs meubles et leur bétail, et se portaient en foule vers les églises et les cimetières qu'ils croyaient le plus sûr asile contre un ennemi chrétien comme eux. Mais, dans leur soif de butin, les Normands tenaient peu de compte de la sainteté des lieux et ne respectaient aucun asile[237].

Harold était à York, blessé et se reposant de ses fatigues, quand un messager vint en grande hâte lui dire que le duc de Normandie avait débarqué et planté sa bannière sur le territoire anglo-saxon. Il se mit en marche vers le sud avec son armée victorieuse, publiant, sur son passage, l'ordre â tous les chefs-de provinces de faire armer leurs milices et de les conduire à Londres. Les combattants de l'ouest vinrent sans délai ; ceux du nord tardèrent à cause de la distance ; mais cependant il y avait lieu de croire que le roi d'Angleterre se verrait bientôt entouré de toutes les forces du pays. Un de ces Normands, en faveur desquels on avait dérogé autrefois à, la loi d'exil portée contre eux, et qui maintenant jouaient le rôle d'espions et d'agents secrets de l'envahisseur, manda au duc Guillaume d'être sur ses gardes, et que, dans quatre jours, le fils de Godwin aurait avec lui cent mille hommes[238]. Harold trop impatient n'attendit pas les quatre jours ; il ne put maîtriser son désir d'en venir aux mains avec les étrangers, surtout quand il apprit les ravages de toute espèce qu'ils faisaient autour de leur camp[239]. L'espoir d'épargner quelques maux à ses compatriotes, peut-être l'envie de tenter contre les Normands une attaque brusque et imprévue, comme celle qui lui avait réussi contre les Norvégiens, le déterminèrent à se mettre en marche vers Hastings, avec des forces quatre fois moindres que celles du duc de Normandie[240].

Mais le camp de Guillaume était soigneusement gardé contre une surprise, et ses postes s'étendaient au loin. Des détachements de cavalerie avertirent, en se repliant, de l'approche du roi saxon, qui, disaient-ils, accourait en furieux[241]. Prévenu dans son dessein d'assaillir l'ennemi à l'improviste, Harold fut contraint de modérer sa fougue ; il fit halte à la distance de sept milles du camp des Normands, et, changeant tout d'un coup de tactique, il se retrancha, pour les attendre, derrière des fossés et des palissades. Des espions, parlant le français, furent envoyés par lui près de l'armée d'outremer, pour observer ses dispositions et évaluer ses forces. A leur retour, ils racontèrent qu'il y avait pets de prêtres dans le camp de Guillaume que de combattants du côté des Anglais. Ils avaient pris pour des prêtres tous les soldats de l'armée normande qui portaient la barbe rase et les cheveux courts, parce que les Anglais avaient coutume de laisser croître leurs cheveux et leur barbe. Harold ne put s'empêcher de sourire à ce récit : Ceux que vous avez trouvés en si grand nombre, dit-il, ne sont point des prêtres, mais de braves gens de guerre qui nous feront voir ce qu'ils valent[242]. Plusieurs des chefs saxons conseillèrent à leur roi d'éviter le combat et de faire sa retraite vers Londres, en ravageant tout le pays, pour affamer les envahisseurs. Moi, répondit Harold, que je ravage le pays qui m'a été donné en garde ! Par ma foi, ce serait trahison, et je dois tenter plutôt les chances de la bataille avec le peu d'hommes que j'ai, mon courage et ma bonne cause[243].

Le duc normand, que son caractère entièrement opposé portait, en toute circonstance, à ne négliger aucun moyen, et à mettre l'intérêt au-dessus de la fierté personnelle, profita de la position défavorable où il voyait son adversaire, pour lui renouveler ses demandes et ses sommations. Un moine appelé Dom Hugues Maigrot vint inviter, au nom de Guillaume, le roi saxon à faire de trois choses l'une : ou se démettre de la royauté en faveur du duc de Normandie, ou s'en rapporter à l'arbitrage du pape pour décider qui des deux devait être roi, ou enfin remettre cette décision à la chance d'un combat singulier. Harold répondit brusquement : Je ne me démettrai point de mon titre, ne m'en rapporterai point au pape et n'accepterai point le combat[244]. Sans se rebuter de ces refus positifs, Guillaume envoya de nouveau le moine normand, auquel il dicta ses instructions dans les termes suivants : Va dire à Harold que, s'il veut tenir son ancien pacte avec moi, je lui laisserai tout le pays qui est au delà du fleuve de l'Humber, et que je donnerai à son frère Gurth toute la terre que tenait Godwin ; que s'il s'obstine à ne point prendre ce que je lui offre, tu lui diras, devant ses gens, qu'il est parjure et menteur, que lui et tous ceux qui le soutiendront sont excommuniés .de la bouche du pape, et que j'en ai la bulle[245].

Dom Hugues Maigrot prononça ce message d'un ton solennel, et la chronique normande dit qu'au mot d'excommunication, les chefs anglais s'entre-regardèrent comme en présence d'un grand péril. L'un d'eux prit alors la parole : Nous devons combattre, dit-il, quel que soit pour nous le danger ; car il ne s'agit pas ici d'un nouveau seigneur à recevoir comme si notre roi était mort ; il s'agit de bien autre chose. Le duc de Normandie a donné nos terres à ses barons, à ses chevaliers, à tous ses gens ; et la plus grande partie lui en ont déjà fait hommage ; ils voudront tous avoir leur don, si le duc devient notre roi ; et lui-même sera tenu de leur livrer nos biens, nos femmes et nos filles ; car tout leur est promis d'avance. Ils ne viennent pas seulement pour nous ruiner, mais pour ruiner aussi nos descendants, pour nous enlever le pays de nos ancêtres ; et que ferons-nous, où irons-nous, quand nous n'aurons plus de pays ?[246] Les Anglais promirent, d'un serment unanime, de ne faire ni paix, ni trêve, ni traité avec l'envahisseur, et de mourir ou de chasser les Normands[247].

Tout un jour fut employé à ces messages inutiles ; c'était le dix-huitième depuis le combat livré aux Norvégiens près d'York. La marche précipitée de Harold n'avait encore permis à aucun nouveau corps de troupes de le rejoindre à son camp. Edwin et Morkar, les deux grands chefs du nord, étaient à Londres, ou en chemin vers Londres ; il ne venait que des volontaires, un à un, ou par petites bandes, des bourgeois armés à la hâte, des religieux qui abandonnaient leurs cloîtres pour se rendre à l'appel du pays. Parmi ces derniers on vit arriver Leofrik, abbé du grand monastère de Peterborough, près d'Ely, et l'abbé de Hida, près de Winchester, qui amenait douze moines de sa maison et vingt hommes d'armes levés à ses frais[248].

L'heure du combat paraissait prochaine ; les deux frères de Harold, Gurth et Leofwin, avaient pris leur poste auprès de lui ; le premier tenta de lui persuader de ne point assister à l'action, mais d'aller vers Londres chercher de nouveaux renforts, pendant que ses amis soutiendraient l'attaque des Normands. Harold, disait-il, tu ne peux nier que, soit de force, soit de bon gré, tu n'aies fait au duc Guillaume un serment sur les corps des saints ; pourquoi te hasarder au combat avec un parjure contre toi ? Nous qui n'avons rien juré, la guerre est pour nous de toute justice ; car nous défendons notre pays. Laisse-nous donc seuls livrer bataille ; tu nous aideras si nous plions, et si nous mourons, tu nous vengeras[249]. A ces paroles touchantes dans la bouche d'un frère, Harold répondit que son devoir lui défendait de se tenir à l'écart pendant que les autres risquaient leur vie[250] ; trop plein de confiance dans son courage et dans la bonté de sa cause, il disposa les troupes pour le combat.

Sur le terrain qui porta depuis, et qui aujourd'hui porte encore le nom de lieu de la bataille[251], les lignes des Anglo-Saxons occupaient une longue chaîne de collines fortifiées par un rempart de pieux et de claies d'osier. Dans la nuit du 13 octobre, Guillaume fit annoncer aux Normands que le lendemain serait jour de combat. Des prêtres et des religieux qui avaient suivi, en grand nombre, l'armée d'invasion, se réunirent pour prier et chanter des litanies, pendant que les gens de guerre préparaient leurs armes. Ceux-ci, après ce premier soin, employèrent le temps qui leur restait à faire la confession de leurs péchés, soit à un homme d'église, s'ils en trouvaient quelqu'un, soit entre compagnons sous la tente[252]. Dans l'autre armée, la nuit se passa d'une manière bien différente ; tout entiers à l'exaltation patriotique et pleins d'une confiance en eux-mêmes que l'événement devait démentir, les Saxons se divertissaient avec grand bruit et chantaient de vieux chants nationaux, en vidant, autour de leurs feux, des cornes remplies de bière et de vin[253].

Au matin, dans le camp normand, l'évêque de Bayeux, fils de la mère du duc Guillaume, célébra la messe et bénit les troupes, armé d'un haubert sous son rochet ; puis il monta un grand coursier blanc, prit un bâton de commandement et fit ranger la cavalerie. L'armée se divisa en trois colonnes d'attaque : à la première étaient les gens d'armes venus des comtés de Boulogne et de Ponthieu, avec la plupart des aventuriers engagés individuellement pour une solde ; à la seconde se trouvaient les auxiliaires bretons, manceaux et poitevins ; Guillaume en personne commandait la troisième, formée de la chevalerie normande. En tête et sur les flancs de chaque corps de bataille, marchaient plusieurs rangs de fantassins armés à la légère, vêtus de casaques matelassées, et portant de longs arcs de bois ou des arbalètes d'acier. Le duc montait un cheval d'Espagne, qu'un riche Normand lui avait amené d'un pèlerinage à Saint-Jacques en Galice. Il tenait suspendues à son cou les plus révérées d'entre les reliques sur lesquelles Harold avait juré, et l'étendard béni par le pape était porté à côté de lui par un jeune homme appelé Toustain le Blanc[254]. Au moment où les troupes allaient se mettre en marche, le duc élevant la voix, leur parla en ces termes[255] :

Mes vrais et loyaux amis, vous avez passé la mer pour l'amour de moi et vous êtes mis en aventure de mort, ce dont je me tiens grandement obligé envers vous sachez que c'est pour une bonne querelle que nous allons combattre, et que ce n'est pas seulement pour conquérir ce royaume que je suis venu ici d'outre-mer. Les gens de ce pays, vous ne l'ignorez pas, sont faux et doubles, parjures et traîtres. Ils ont tué sans cause les Danois, hommes, femmes et enfants, dans la nuit de la Saint-Brice ; ils ont décimé les compagnons d'Alfred, frère d'Édouard, mon parent, et l'ont aveuglé et mis à mort. Ils ont fait encore d'autres cruautés et trahisons contre les Normands ; vous vengerez aujourd'hui ces méfaits, s'il plaît à Dieu. Pensez à bien combattre et mettez tout à mort, car si nous pouvons les vaincre, nous serons tous riches[256]. Ce que je gagnerai, vous le gagnerez : si je conquiers, vous conquerrez ; si je prends la terre, vous l'aurez[257]. Pensez aussi au grand honneur que vous aurez aujourd'hui, si la victoire est à nous, et songez bien que si vous êtes vaincus, vous êtes morts sans remède, car vous n'avez aucune voie de retraite. Vous trouverez devant vous, d'un côté des armes et un pays inconnu, de l'autre, la mer et des armes[258]. Qui fuira sera mort, qui se battra bien sera sauvé. Pour Dieu ! que chacun fasse bien son devoir, et la journée sera pour nous[259].

L'armée se trouva bientôt en vue du camp saxon, au nord-ouest de Hastings. Les prêtres et les moines qui l'accompagnaient se détachèrent, et montèrent sur une hauteur voisine, pour prier et regarder le combat. Un Normand, appelé Taillefer, poussa son cheval en avant du front de bataille, et entonna le chant, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland. En chantant, il jouait de, son épée, la lançait en l'air avec force, et la recevait dans sa main droite ; les Normands répétaient ses refrains ou criaient : Dieu aide ! Dieu aide ![260]

A portée de trait, les archers commencèrent à lancer leurs flèches, et les arbalétriers leurs carreaux[261], mais la plupart des coups furent amortis par le haut parapet des redoutes saxonnes. Les fantassins armés de lances et la cavalerie s'avancèrent jusqu'aux portes des retranchements, et tentèrent de les forcer. Les Anglo-Saxons, tous à pied autour de leur étendard planté en terre, et formant derrière leurs palissades une masse compacte et solide, reçurent les assaillants à grands coups de hache, qui, d'un revers, brisaient les lances et coupaient les armures de mailles[262]. Les Normands, ne pouvant pénétrer dans les redoutes ni en arracher les pieux, se replièrent, fatigués d'une attaque inutile, vers la division que commandait Guillaume.

Le duc alors fit avancer de nouveau tous ses archers, et leur ordonna de ne plus tirer droit devant eux, mais de lancer leurs traits en haut, pour qu'ils tombassent par-dessus le rempart du camp ennemi. Beaucoup d'Anglais furent blessés, la plupart au visage, par suite de cette manœuvre ; Harold lui-même eut l'œil crevé d'une flèche, mais il n'en continua pas moins de commander et de combattre[263]. L'attaque des gens de pied et de cheval recommença de près, aux cris de Notre-Dame ! Dieu aide ! Dieu aide ![264] Mais les Normands furent repoussés, à l'une des portes du camp, jusqu'à un grand ravin recouvert de broussailles et d'herbes, où leurs chevaux trébuchèrent et où ils tombèrent pêle-mêle, et périrent en grand nombre[265]. Il y eut un moment de terreur dans l'armée d'outre-mer. Le bruit courut que le duc avait été tué, et, à cette nouvelle, la fuite commença. Guillaume se jeta lui-même-au-devant des fuyards et leur barra le passage, les menaçant et les frappant de sa lance[266], puis se découvrant la tête : Me voilà, leur cria-t-il, regardez-moi, je vis encore, et je vaincrai avec l'aide de Dieu[267].

Les cavaliers retournèrent aux redoutes ; mais ils ne purent davantage en forcer les portes ni faire brèche : alors le duc s'avisa d'un stratagème, pour faire quitter aux Anglais leur position et leurs rangs ; il donna l'ordre à mille cavaliers de s'avancer et de fuir aussitôt. La vue de cette déroute simulée fit perdre aux Saxons leur sang-froid ; ils coururent tous à la poursuite, la hache suspendue au cou[268]. A une certaine distance, un corps posté à dessein joignit les fuyards, qui tournèrent bride, et les Anglais, surpris dans leur désordre, furent assaillis de tous côtés à coups de lance et d'épée dont ils ne pouvaient se garantir, ayant les deux mains occupées à manier leurs grandes haches. Quand ils eurent perdu leurs rangs, les clôtures des redoutes furent enfoncées ; cavaliers et fantassins y pénétrèrent ; mais le combat fut encore vif, pêle-mêle et corps à corps. Guillaume eut son cheval tué sous lui ; le roi Harold et ses deux frères tombèrent morts au pied de leur étendard, qui fut arraché et remplacé par la bannière envoyée de Rome[269]. Les débris de l'armée anglaise, sans chef et sans drapeau, prolongèrent la lutte jusqu'à la fin du jour, tellement que les combattants des deux partis ne se reconnaissaient plus qu'au langage[270].

Alors finit cette résistance désespérée ; les compagnons de Harold se dispersèrent, et beaucoup moururent, sur les chemins, de leurs blessures et de la fatigue du combat. Les cavaliers normands lès poursuivaient sans relâche, ne faisant quartier à personne[271]. Ils passèrent la nuit sur le champ de bataille, et le lendemain, au point du jour, le duc Guillaume rangea ses troupes et fit faire l'appel de tous les hommes qui avaient passé la mer à sa suite, d'après le rôle qu'on en avait dressé avant le départ, au port de Saint-Valery. Un grand nombre d'entre eux, morts ou mourants, gisaient à côté des vaincus[272]. Les heureux qui survivaient eurent, pour premier gain de leur victoire, la dépouille des ennemis morts. En retournant les cadavres, on en trouva treize vêtus d'un habit de moine sous leurs armes : c'étaient l'abbé de Hida et ses douze compagnons. Le nom de leur monastère fut inscrit le premier sur le livre noir des conquérants[273].

Les mères et les femmes de ceux qui étaient venus de la contrée voisine combattre et mourir avec leur roi, se réunirent pour rechercher ensemble et ensevelir les corps de leurs proches. Celui du roi Harold demeura quelque temps sur le champ de bataille, sans que personne osât le réclamer. Enfin la veuve de Godwin, appelée Ghitha, surmontant sa douleur, envoya un message au duc Guillaume, pour lui demander la permission de rendre à son fils les derniers honneurs. Elle offrait, disent les historiens normands, de donner en or le poids du corps de son fils. Le duc refusa durement, et dit que l'homme qui avait menti à, sa foi et à sa religion n'aurait d'autres tombeau qu'un tas de pierres sur le sable du rivage. Il donna commission à l'un de ses capitaines, appelé Guillaume Malet, de faire que le vaincu de Hastings fût ainsi enterré comme un ignoble malfaiteur[274].

Mais, par une cause qu'on ignore, cet ordre ne s'exécuta point ; le corps du dernier roi anglo-saxon reçut une sépulture honorable dans l'église collégiale de Waltham que Harold lui-même avait fondée[275], et voici la tradition â la fois touchante et douteuse qui existait à cet égard. On disait que deux chanoines de Waltham, Osgod et Ailrik, députés par leur chapitre pour voir l'issue de la bataille, obtinrent du vainqueur adouci pour eux la grâce d'emporter dans leur église les restes de leur bienfaiteur. Ils allèrent à l'amas des corps dépouillés d'armes et de vêtements, les examinèrent avec soin l'un après l'autre, et ne reconnurent point celui qu'ils cherchaient, tant ses blessures l'avaient défiguré. Tristes, et désespérant de réussir seuls dans cette recherche, ils s'adressèrent à une femme que Harold, avant d'être roi, avait entretenue comme maîtresse, et la prièrent de se joindre à eux. Elle s'appelait Édith, et on la surnommait la Belle au cou de cygne[276]. Elle consentit à suivre les deux prêtres, et fut plus habile qu'eux à découvrir le cadavre de celui qu'elle avait aimé.

Tous ces événements sont racontés par les chroniqueurs de race anglaise avec un ton d'abattement qu'il est difficile de reproduire. Ils nomment le jour de la bataille un jour amer, un jour de mort, un jour souillé du sang des nobles et des braves[277]. Angleterre, que dirai-je de toi, s'écrie l'historien de l'église d'Ely, que raconterai-je à nos descendants ? que tu as perdu ton roi national et que tu es tombée au pouvoir de l'étranger ; que tes fils ont péri misérablement ; que tes conseillers et tes chefs sont vaincus, morts ou déshérités[278]. Bien longtemps après le jour de ce fatal combat, la superstition patriotique crut voir encore des taches de sang sur le terrain où il avait eu lieu ; elles se montraient, disait-on, sur les hauteurs au nord-ouest de Hastings, quand la pluie avait humecté le sol[279].

Aussitôt après sa victoire, Guillaume fit vœu de bâtir en cet endroit un couvent sous l'invocation de la sainte Trinité et de saint Martin, le patron des guerriers de la Gaule[280]. Ce vœu ne tarda pas à être accompli, et le grand autel du nouveau monastère fut élevé au lieu même où l'étendard du roi Harold avait été planté et abattu. L'enceinte des murs extérieurs fut tracée autour de la colline que les plus braves des Anglais avaient couverte de leurs corps, et toute la lieue de terre circonvoisine, où s'étaient passées les diverses scènes du combat, devint la propriété de cette abbaye, qu'on appela, en langue normande, Abbaye de la Bataille[281]. Des moines du grand couvent de Marmoutiers, près de Tours, vinrent y établir leur domicile, et prièrent pour les âmes de ceux qui étaient morts dans cette journée[282]. On dit que, dans le temps où furent posées les premières pierres de l'édifice, les architectes découvrirent que certainement l'eau y manquerait : ils allèrent, tout déconcertés, porter à Guillaume cette nouvelle désagréable : Travaillez, travaillez toujours, répliqua le conquérant d'un ton jovial ; car si Dieu me prête vie, il y aura plus de vin chez les religieux de la Bataille, qu'il n'y a d'eau claire dans le meilleur couvent de la chrétienté[283].

 

 

 



[1] Voyez Willelmi Britonnis Philippeid., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XVII, p. 262 et 263.

[2] Willelm. Malmesb., de Gest. reg, angl., lib. II, apud Rer. angl. Script., p. 81, ed. Savile.

[3] Voyez le Glossaire de Ducange, aux mots Dextrarius, Dextralis, Destrier.

[4] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 163. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[5] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 162.

[6] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 441, ed. Savile.

[7] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem. — Chron. saxon., ed. Gibson, p. 163.

[8] Chron. saxon., ed. Lye, t. II, ad finem.

[9] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 163.

[10] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[11] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[12] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[13] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 164.

[14] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 441, ed. Savile.

[15] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 164.

[16] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 164. — Chron. saxon., Fragm. sub anno MLII, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem.

[17] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 164.

[18] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., ch. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[19] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 164.

[20] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[21] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 164.

[22] Chron. saxon., Fragm. sub anno MLII, apud mess., ed. Lye, t. II, ad finern. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 441, ed. Savile.

[23] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 82, ed. Savile.

[24] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 80, ed. Savile.

[25] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 165.

[26] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p, 443, ed. Savile. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile.

[27] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 65, ed. Gale.

[28] Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-More, t. II, p. 555 et suivantes.

[29] Chroniques des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-More, t. II, p. 558.

[30] Chroniques des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-More, t. II, p. 558.

[31] Willelm. Malmesb., de Gest. rer. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 95, ed. Savile.

[32] Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-More, t. II, p. 571. — Chron. de Saint-Denis ; Recueil des historiens de la France et des Gaules, t. XI, p. 400.

[33] Toutes voies, puisque à faire leur convenoit, accomplirent leur volonté. (Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-More, t. II, p. 571.)

[34] Dodo de Sancto Quintino, apud Script. rer. normann., p. 157.

[35] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud ibid., p. 268.

[36] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 181.

[37] Chronique des ducs de Normandie, par Benoît de Sainte-More, t. III, p. 93, 94 et 96. Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 276.

[38] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 441, ed. Savile.

[39] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 65, ed. Gale.

[40] Roman de Rou, t. II, p. 100.

[41] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 165.

[42] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud. Rer. anglic. Script., p. 442, ed. Savile.

[43] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 165. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 442, ed. Savile.

[44] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167.

[45] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 432, ed. Savile. — Buthse-carlus, marin, homme attaché au service d'un vaisseau, de bucca, buccia, bucea, buscia, du verbe saxon bugan, courber, signifiant vaisseau de grande dimension ; et de cari, ceorl, homme robuste. (Vid. Sominrei Glossarium, apud Hist. anglic. Script., t. II, ad finem, ed. Selden.)

[46] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 442, ed. Savile.

[47] Les Saxons écrivaient Suth-Weorc.

[48] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 442, ed. Savile.

[49] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167.

[50] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167.

[51] Roger de Hoved., loc. sup. cit.

[52] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167.

[53] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167.

[54] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167.

[55] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 167 et 168.

[56] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 168.

[57] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 168.

[58] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 168.

[59] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 168. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 82, ed. Savile.

[60] Eadmeri Hist. novorum, lib. I, p. 4, ed. Selden.

[61] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 442. — Willelm. Malmesb. de Gest. reg. angl., lib. II, apud Rer. anglic. Script., p. 82, ed. Savile.

[62] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 168.

[63] Willelm. Malmesb., de Gestis pontific. Anglor., lib. I, p. 204.

[64] Rodulphus de Diceto, de Archiepiscopes cantuariensibus ; Anglia sacra, t. II, p. 683.

[65] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, p. 80 et 82, ed. Savile.

[66] Roger de Hoved, Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 443, ed. Savile.

[67] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. angtic. Script., p. 443, ed. Savile.

[68] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. angtic. Script., p. 443, ed. Savile. — Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. Anglor., lib. II, p. 249, ed. Savile.

[69] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib., II, apud. Rer. anglic. Script., p. 81, ed. Savile. — Ailredus abbas Rieval apud Hist, anglic. Script., ed. Selden, t. I, p. 395.

[70] Simeonis Dunelm. Hist., p. 187, ed. Selden. — Roger de Hoved. Annal., pars I, ed. Savile, p. 443.

[71] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, p. 80 et p. 81.

[72] Origo et gesta Sivardi regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 288.

[73] Origo et gesta Sivardi regis, apud Script. rer. danic., t. III, p. 292 et 302.

[74] Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 366, ed. Savile. — Ranulf. Higden. Polychron., lib. VI, apud. Rer,. anglic. Script., t. I, p. 281, ed. Gale.

[75] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic, Script., p. 443, ed. Savile.

[76] Willelm. Gemiticensis, de Ducibus normannis, p. 665, ed. Camden.

[77] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud. Rer. anglic. Script., p. 443, ed. Savile.

[78] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud. Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[79] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[80] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[81] Wat's dike. Voyez Pennant's Tour in Wales.

[82] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud. Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[83] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[84] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 171. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[85] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 446, ed. Savile.

[86] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. apud Rer. anglic. Script., p. 83, ed. Savile.

[87] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. apud Rer. anglic. Script., p. 83, ed. Savile.

[88] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 171.

[89] Leges Edwardi regis, apud Wilkins, Leg. anglo-saxon., p. 198.

[90] Epistola Edwardi regis ad Nicolaum papam II, apud Baronii Annales, t. XVII, p. 178.

[91] Epistola Alexandri papæ II ad Willelmum regem, apud Baronii Annales, t. XVII, p. 302.

[92] Willelm. Malmesb. Vita S. Wutstani, lib. I, cap. X, apud Pagi annales ecclesiast., t. IV, p. 211. — Idem, de Gest. pontific. angl., lib. III, p. 271, ed. Savile.)

[93] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, p. 82, ed. Savile. — Idem, de Gest. pontific. angl., lib, I, p. 204.

[94] L'un des anciens manuscrits de la chronique saxonne de Peterborough, mais un seul, montre qu'il y eut dans le clergé des partisans de ce moyen terme. Il porte à la date de 1053 : Cette année, il n'y eut pas d'archevêque dans ce pays. Mais l'évêque Stigand tenait l'évêché de Canterbury et Kynsig celui d'York. — Voyez Monumenta historica britannica, p. 452.

[95] Gervas. Cantuar. Act. pontific. Cantuar., apud Hist. anglic. Script., col. 1651, ed. Selden.

[96] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. I, p. 204, ed. Savile.

[97] Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 142.

[98] Anglia sacra, t. I, p. 796.

[99] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 170.

[100] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. I, p. 204, ed. Savile.

[101] Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 453, ed. Savile. — Les effets de cette interdiction, déclarée en Angleterre par deux légats du saint-siée, consistaient h réduire Stigand au titre et aux droits de simple évêque administrant par intérim l'archevêché de Canterbury. On s'y conforma en 1062, à cause de la présence des légats ; mais, après leur départ, on n'en tint plus compte. — Voyez Florent Wigorn. Chron., apud Monumenta historica britannica, p. 599.

[102] Fleury, Histoire ecclésiastique, t. XIII, p. 88.

[103] Annal. ecclesiæ Winton. ; Anglia sacra, t. I, p. 294. — Chron. Willielmi Thorn., apud Hist. angl. Script., col. 1785, ed. Selden. — Gervasii Cantuar. Act. pontific. Cantuar., apud ibid., col. 1651.

[104] Willelm. Malmesb., de Gest. rer. anglic., lib. II, p. 82, ed. Savile. — Idem, de Gest. pontific. angl., lib. I, p. 204, ed. Savile.

[105] En lisant le portrait de l'archevêque Stigand, tracé par Guillaume de Malmesbury, et, d'après lui, par tous les chroniqueurs anglo-normands, on ne doit pas oublier que ce portrait satirique fut écrit dans la plus grande ferveur de la réforme accomplie sous Grégoire VII et ses premiers successeurs.

[106] Vita Lanfranci, apud Rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 31.

[107] Vita Lanfranci, apud Rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 31.

[108] En l'année 1057, Edward avait appelé auprès de lui, dans cette intention, le fils d'Edmund Côte-de-Fer, exilé sous le règne de Knut ; mais ce prince mourut peu de temps après son retour. (Voyez Chron. saxon., ed. Gibson, p. 169.) — Roger de Hoved. pars I, p. 444, ed. Savile.

[109] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXVII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 143.

[110] Eadmeri Hist. novorum, lib. I, p. 4, ed. Selden. — Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 449, ed. Savile.

[111] Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 4, ed. Selden. — Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 449, ed. Savile. — Simeon. Dunelm. Hist., apud Script. anglic., t. X, col. 196, ed. Selden. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 223. — Roman de Rou, t. II, p. 108 et 109.

[112] HAROLD DUX ANGLORUM ET SUI MILITES EQUITANT AD BOSHAM ; Tapisserie de Bayeux.

[113] Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 449, ed. Savile. — On appelait en Picardie droit de lagan le droit qui autorisait, au profit du seigneur, la saisie des choses apportées par la mer ou échouées sur les côtes. Ce droit fut aboli, en 1191, par le roi Philippe-Auguste et par Jean, comte de Ponthieu. — Voyez le Rec. des monuments inédits de l'hist. du Tiers État, t. I, p. 115.

[114] Roman de Rou, t. II, p. 110 et 111. — Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. — HIC APPREDENDIT WIDO HAROLDUM ET DUXIT EUM AD BELREM ET IBI EUM TENUIT ; Tapisserie de Bayeux.

[115] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 223.

[116] Matth. Paris., t. I, p. 1. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 366, ed. Savile. HIC DUX WILLELM CUM HAROLDO VENIT AD PALATIUM SUUM ; Tapisserie de Bayeux.

[117] Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 449, ed. Savile.

[118] Chevals et armes li duna. (Roman de Rou, t. II, p. 113.) — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 191.

[119] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Hist. normann. Script., p. 492. — HIC HAROLD DUX TRAHEBAT EOS DE ARENA ; Tapisserie de Bayeux.

[120] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 191.

[121] Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 449, ed. Savile. — Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. Chron. de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 223.

[122] Roger de Hoved. Annal., pars I, p. 449, ed. Savile. — Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. — Guillaume avait quatre filles, Cécile, Constance, Adelize et Adèle. (Voyez Willelm. Gemet., lib. VIII, apud Script. rer. normann., p. 310.) Ordéric Vital donne à la troisième le nom d'Agathe. (Voyez lib. V, p. 573.) Harold était veuf d'une femme dont le nom est inconnu et qui lui avait donné trois fils.

[123] Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. — Roger de Hoved. Annal., p. 449, ed. Savile.

[124] Ce château, situé hors de la ville, et maison de plaisance des ducs, se nommait le Bourg.

[125] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. 223. — Roman de Rou, t. II, p. 113.

Tut une cuve en fist emplir,

Pois d'un paele les fist covrir,

Ke Heraut ne sout ne ne vit.

[126] HIC WILLELM VENIT BAGIAS UBI HAROLD SACRAMENTUM FECIT WILLELMO DUCI ; Tapisserie de Bayeux.

[127] Roman de Rou, t. II, p. 113. — Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. — Guill. Pietav., apud Script. rer. normann., p. 191.

[128] Plusors dient : Ke Dex li dont ! (Roman de Rou, t. II, p. 114.)

[129] Roman de Rou, t. II, p. 114. — Chron. de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 223.

[130] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. V, p. 573.

[131] Guill. Pictav., apud Script. hist. normann., p. 192.

[132] Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 449, ed. Savile.

[133] Willelm. Malmesb., de Gest. rer. angl., lib. II, p. 93, ed. Savile. — Ingulf. Croyland. Hist., p. 900, ed. Savile.

[134] Guill. Pictav. Gesta Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 181. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. III, apud Hist. normann. Script., p. 249. — On voit plus tard ces mensonges proférés par Guillaume dans les instructions qu'il donne à ses envoyés. (Guill. Pictav., apud Hist. normann. Script., p. 200.)

[135] Johan. de Fordun, Scoti-chronicon, lib. IV, cap. XXXVI, p. 349, ed. Hearne.

[136] Chron. Johan. Bromton, apud Rer. anglic. Script., t. I, col. 909, ed. Selden. — Osberni Vita S. Dunstani ; Anglia sacra, t. II, p. 118.

[137] Ailred. Rieval., de Vita Edwardi confess., apud Hist. angl. Script., t. I, col. 400, ed. Selden. — La prophétie du roi Edward annonçant la conquête de l'Angleterre pour un temps déterminé est une légende qui n'a pu être construite qu'après l'événement. — Voyez ibid., et Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. II, p. 92, ed. Savile.

[138] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 172. — Eadmeri Hist. nov., p. 5, ed. Selden. — Roger de Hoved.. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 449, ed. Savile.

[139] Ingulf. Croyland. Hist., p. 899, ed. Savile. — Pontani Rerum danicarum Hist., lib. V, p. 183 et 184, ed. Amsterdam, 1651.

[140] Vita Haroldi, Chron. anglo-norm., t. II, p. 243.

[141] Vita Haroldi, Chron. anglo-norm., t. II, p. 187.

[142] Chron. saxon., ed. Gibson, p. 172. — Florent. Wigorn. Chron., p, 633, ed. Francofurt... — Guill. Pictav., apud. Script. rer. normann., p. 196. — Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Script. rer. normann., p. 492. — HIC RESIDET HAROLD REX ANGLORUM, STIGAND ARCHIEPISCOPUS ; Tapisserie de Bayeux. — De Inventions sanctæ crucis walthamensis ; Chron. anglo-norm., t. II, p. 243. — L'une des chartes du roi Edward en faveur de l'abbaye de Westminster, nouvellement reconstruite, porte, après le nom de la reine Edith, la signature suivante Ego Stigandus archiepiscopus concessi et subscripsi. Une autre charte du même roi pour la même œuvre porte : Ego Stigandus, sanctæ metropolis ecclesiæ cantuariæ episcopus, confirmavi. Voyez Spelman, Concilia Magnæ Britanniæ, t. I, p. 331 et 635. — Quant à l'assertion que le sacre de Harold fut fait par l'archevêque d'York, Eldred, assertion émise au douzième siècle, c'est-à-dire longtemps après la déposition canonique de Stigand, par des historiens amis de la cause anglo-saxonne qui tenaient à séparer cette cause de celle du prélat condamné, on doit la croire fausse, car il y a contre elle un fait d'impossibilité : c'est qu'Eldred était gravement malade à l'époque de la mort du roi Edward et que sa maladie dura plusieurs mois.—Voyez l'Anglia sacra, t. I, p. 243.

[143] Florent. Wigorn. Chron., p. 633, ed. Francofurt... — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 447, ed. Savile. Willelm. Malmesh., de Gest. reg. angl., apud ibid., p. 93.

[144] ISTI MIRANTUR STELLAM ; Tapisserie de Bayeux.

[145] Ranulph. Hygden. Polychron., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., t. III, p. 281, ed. Gale.

[146] Voyez Ducarel's Normann. Antiquities.

[147] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Hist. normann. Script., p. 196. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 224. — HIC NAVIS ANGLICA VENIT IN TERRAM WILLELMI DUCIS ; Tapisserie de Bayeux.

[148] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de France, t. XIII, p. 224.

[149] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de France, t. XIII, p. 225.

[150] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de France, t. XIII, p. 225.

[151] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., apud Script. rer. normann., p. 492.

[152] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXI ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 146 et 147.

[153] Torfæ, Hist. rer. norveg., pars III, lib. V, cap. XVII, p. 347-349.

[154] Plus correctement Warghing, dérivé de varg, fugitif, expatrié. Ce mot existe dans tous les anciens dialectes germaniques. Voyez Ducange, Glossar. ad script. mediæ et infimæ latinitatis, verbis Wargus, Wargengus, Warengangi, Warganeus, Wargangi, etc.

[155] Les historiens grecs du Bas-Empire désignent ce corps de soldats étrangers par les mots Φαργάνοι et Βάραγγοι.

[156] Saga af Haraldi Hardrada, cap. III et seq. ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 56 et seq.

[157] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 149.

[158] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 149.

[159] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 148. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 448, ed. Savile.

[160] Sur bons saintuaires. (Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 229.)

[161] Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 182.

[162] Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden.

[163] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 99, ed. Savile. — Hist. Ingulf. Croylancl., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 68, ed. Gale.

[164] Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 5, ed. Selden.

[165] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. III, apud Hist. Normann. Script., p. 492.

[166] Ingulf. Croyland. Hist., p. 900, ed. Savile. — Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 287.

[167] Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., t. I, p. 69, ed. Gale. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 100, ed. Savile.

[168] Leo Ostiensis, apud Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 182.

[169] Les motifs moraux du plan colossal d'ambition pour la papauté qui fut l'œuvre de Grégoire VII, méconnus des historiens du siècle dernier, sont pleinement appréciés par l'école historique moderne ; je n'ai pas à en parler ici, et, pour ce qui touche ce point de vile, je renvoie le lecteur à l'Histoire de la civilisation en Europe, par M. Guizot, VIe et VIIe leçons, et à la Vie de saint Anselme, par M. de Rémusat, p. 71, 95 et 185.

[170] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. III, apud Script. rer. normann., p. 472 et 473. — Ibid., p. 483.

[171] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. III, apud Script. rer. normann., p. 472.

[172] Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 72.

[173] Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 170.

[174] Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 138.

[175] Epistola Gregorii papæ VII ad Guillelmam regem Anglorum, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 648.

[176] Epistola Gregorii VII, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XIV, p. 648.

[177] Orderic. Vital. Hist. ecclesiast., lib. III, apud Hist. normann. Script., p. 492. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 100, ed. Savile. — Baronii Annales ecclesiast., t. XVII, p. 288. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 227.

[178] Ingulf. Croyland. Hist., p. 900, ed. Savile. — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 197.

[179] Gaufridus Malaterra, apud Pagi Annal. ecclesiast., t. IV, p. 223.

[180] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 225.

[181] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 100, ed. Savile. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 225.

[182] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 100, ed. Savile. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 225.

[183] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 225. — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 98.

[184] Chronique de Normandie, loc. sup. cit. — Henrici Huntind. Hist., lib. VI, apud Rer. anglic. Script., p. 367, ed. Savile.

[185] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 226. — Roberti de Monte Appendix ad. Sigebertum, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 168.

[186] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t, XIII, p. 226. — Roman de Rou, t. II, p. 132.

Mult oïssiez cort estormir,

Noise lever, barunz frémir.

[187] Et telles lettres comme ils en vouldroient deviser, il leur en feroit. (Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 226.)

[188] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 226.

[189] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 227.

[190] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 51. — Hist. Franc. Fragm., apud ibid., p. 162.

[191] Order. Vital. Hist. ecclesiast., apud Script. rer. normann., p. 494.

[192] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 227.

[193] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 227.

[194] Willelm. Malmesb., de Gest. pontific. angl., lib. IV, p. 290, ed. Savile.

[195] ISTI PORTANT ARMA AD RAVES ; Tapisserie de Bayeux.

[196] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 226.

[197] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 226.

[198] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. V, p. 159, ed. Savile.

[199] Guill. Pictav., de Gest. Guillelmi ducis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 92.

[200] Willelm. Gamet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 286.

[201] Willelm. Gamet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 286.

[202] Dom Lobineau, Hist. de Bretagne, liv. III, t. I, p. 98.

[203] Fils de chef. Tiern, chef ; en gallois, Teyrn.

[204] Dom Lobineau, Hist. de Bretagne, liv. III, t. I, p. 98 — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 227.

[205] Des savants respectables ont pensé que ce lieu devait être Saint-Valéry-en-Caux, et non Saint-Valéry-sur-Somme, situé hors des limites du duché de Normandie ; mais le poème récemment découvert dans la bibliothèque de Bruxelles ne permet plus de doute à cet égard. Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-normandes, t. III, p. 3.

[206] Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-normandes, t. III, p. 4.

[207] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 100, ed. Savile.

[208] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 198.

[209] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 198.

[210] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 100, ed. Savile.

[211] Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-normandes, t. III, p. 4.

[212] Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-normandes, t. III, p. 4.

[213] Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-normandes, t. III, p. 4. — Dans ce passage l'auteur exagère beaucoup la force de l'armée normande.

[214] Dr Strutt's Normann. antiquities, pl. XXXII. — Roman de Rou, t. II, p. 146. — HIC WILLELM DUX IN MAGNO NAVIGIO MARE TRANSIVIT ; Tapisserie de Bayeux.

[215] Guill. Pictav., apud. Script. rer. normann., p. 198.

[216] Guill. Pictav., apud. Script. rer. normann., p. 199.

[217] Guill. Pictav., apud. Script. rer. normann., p. 199.

[218] Saga af Harafdi Hardrada, cap. LXXXIV ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 151.

[219] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXIII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 150 et 151.

[220] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXV ; Snorre's Heimeringla, t. III, p. 152. — Torfæi Hist. rer. norveg., pars III, lib. V, cap. VII, p. 351.

[221] Torfæi Hist. rer. norveg., pars III, lib. V, cap. VII, p. 351.

[222] Torfæi Hist. rer. norveg., pars III, lib. V, cap. VII, p. 352. — Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXVII ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 156.

[223] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 197.

[224] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. angl. Script., p. 448, ed. Savile.

[225] Saga af Haraldi Hardrada, cap. LXXXIX ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 156. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 448, ed. Savile.

[226] Saga af Haraldi Hardrada, cap. XCI ; Snorre's Heinkikringla, t. III, p. 158 et 159.

[227] En islandais Land-eydo, en danois Landode. — Saga af Haraldi Hardrada, cap. XCI ; Snorre's Heintskringla, t. III, p. 158.

[228] Saga af Haraldi Hardrada, cap. XCIV ; Snorre's Heinkikringla, t. III, p. 160. — Gesta Danorum, t. II, p 165.

[229] Saga af Haraldi Hardrada, cap. XCIV ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 160.

[230] Saga af Haraldi Hardrada, cap. XCIV ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 160.

[231] Saga af Haraldi Hardrada, cap. XCVI ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 164.

[232] Saga af Haraldi Hardrada, cap. C ; Snorre's Heimskringla, t. III, p. 167. — Chron. saxon., Fragm. Sub anno MLXVI, apud Gloss., ed. Lye, t. II, ad finem. — Pontani Rerum danicarum Historiæ, lib. V, p. 186.

[233] Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 448, ed. Savile.

[234] Roman de Rou, t. II, p. 151 et 152.

[235] Roman de Rou, t. II, p. 152.

[236] Chron. saxon. Fragm., ed. Lye, sub anno 1066. — HIC DOMUS INCENDITUR ; Tapisserie de Bayeux.

[237] Roman de Rou, t. II, p. 153.

[238] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 228. — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 199.

[239] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 201.

[240] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., Lb. III, p. 100, ed. Savile. — De inventione sanctæ crucis Waltham., Chron. anglo-norm., t. II, p. 244 et p. 246. — Florent. Wigorn. Chron., p. 634. — Roger de Hoved. Annal., pars I, apud Rer. anglic. Script., p. 448. ed. Savile. — Hist. Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic, Script., t. I, p. 69, ed. Gale.

[241] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 201.

[242] Roman de Rou, t. II, p. 174. — Matth. Paris, t. I, p. 3.

[243] Par foy, dit Hérault, je ne détruiray pas le pays que j'ay à garder. (Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 229.)

[244] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 230. — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 201.

[245] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, 231.

[246] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 230. — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 231.

[247] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 230. — Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 231.

[248] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 210.

[249] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 100, ed. Savile.

[250] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, apud Rer. anglic. Script., p. 100, ed. Savile.

[251] Bataille, batayl, ou battle, selon l'orthographe anglaise moderne ; en latin locus belli. — Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 288. — Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 311.

[252] Willelm. Malmesb., de Gest. reg, angl., lib. III, p. 101, ed. Savile. — Roman de Rou, t. II, p. 184.

[253] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 101, ed. Savile. — Roman de Rou, t. II, p. 184 à 186.

[254] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 201. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 232 et 233.

[255] HIC WILLELM DUX ALLOQUITUR SUIS MILITIBUS ; Tapisserie de Bayeux.

[256] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 232.

[257] Roman de Rou, t. II, p. 187.

[258] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 95.

[259] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 232.

[260] Diex aie ! (Roman de Rou, t. II, p. 189 et 190.) — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 101, ed. Savile.) — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 234.

[261] Flèches courtes, épaisses et de forme carrée. Voyez Ducange, Glossar., au mot Quadrelli.

[262] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 201.

[263] Ingulf. Croyland., apud Rer. anglic. Script., p. 900, ed.. Savile.

[264] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 234.

[265] Willelm. Gemet. Hist. Normann., apud Script. rer. normann., p. 287.

[266] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 202.

[267] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 202.

[268] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 235.

[269] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmiducis, apud Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 99.

[270] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 236. — Matth. Westmonast. Flores hist., p. 223. — Eadmeri Hist. nov., lib. I, p. 6, ed. Selden.

[271] Guill. Pictav., apud Script. rer. normann., p. 203.

[272] Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 236.

[273] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 210.

[274] Guill. Pictav., de Gestis Guillelmi ducis, apud. Script. rer. gallic. et francic., t. XI, p. 99. — Widonis Carmen de Hastingæ prælio ; Chron. anglo-normandes, t. III, p. 27.

[275] Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 102, ed. Savile. — Chronique de Normandie ; Recueil des hist. de la France, t. XIII, p. 239. — Le tombeau de Harold, à Waltham, avait pour épitaphe ces simples mots : Hic jacet Harold infelix. Beaucoup d'Anglais refusèrent de croire à sa mort, comme jadis les Bretons à celle d'Arthur. Le bruit courut qu'il s'était échappé de la bataille, horriblement blessé ; qu'il avait guéri et qu'il se tenait caché, attendant un retour de fortune, dans un coin reculé de l'Angleterre. Cette opinion durait encore à la fin du douzième siècle. — Voyez Cambrensis Itinerar. Walliæ, lib. II, cap. XI, et la curieuse légende intitulée Vita Haroldi, Chron. anglo-norm., t. II, p. 143.

[276] De inventione sanctæ crucis walthamensis ; Chron. anglo-norm., t. II, p. 249.

[277] Matth. Westmonast. Flores hist., p. 224. — Willelm. Malmesb., de Gest. reg. angl., lib. III, p. 101, ed. Savile. — Guillaume de Malmesbury, écrivain des premiers temps du douzième siècle, était fils d'un Normand et d'une Saxonne ; il dit de lui-même : Ego autem, quia utriusque gentis sanguinem traho, dicendi tale temperamentum servabo. Et en effet, on peut le nommer l'historien éclectique de la conquête.

[278] Hist. ecclesiast Eliensis, lib. II, cap. XLIV, apud Rer. anglic. Script., t. II, p. 516, ed. Gale.

[279] Guilielm. Neubrig. Hist., p. 10, ed. Hearne.

[280] Chartæ Willelmi Conquæstoris, apud Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 317 et 318.

[281] Charta Willelmi Conquæstoris, in notis ad Eadmeri Hist. nov., ed Selden., p. 165. — En latin, Abbatia de Bello.

[282] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 312.

[283] Monast. anglic., Dugdale, t. I, p. 312.