HISTOIRE DES GAULOIS

Première partie

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Aussi loin qu'on puisse remonter dans l'histoire de l'Occident, on trouve la race des Galls occupant le territoire continental compris entre le Rhin, les Alpes, la Méditerranée, les Pyrénées et l'Océan, ainsi que les deux grandes îles situées au nord-ouest, à l'opposite des bouches du Rhin et de la Seine. De ces deux îles, la plus voisine du continent s'appelait Alb-in, c'est-à-dire l'Ile blanche[1] ; l'autre portait le nom d'Er-in, l'Ile de l'ouest[2]. Enfin le territoire continental recevait spécialement la dénomination de Galltachel[3], qui signifiait Terre des Galls.

Mais la Terre des Galls, ou la Gaule, n'était pas possédée en totalité par la race qui lui avait donné son nom. Un petit peuple, d'origine, de langue, de mœurs toutes différentes[4], le peuple aquitain, en habitait l'angle sud-ouest, formé par les Pyrénées occidentales et l'Océan, et circonscrit par le cours demi-circulaire de la Garonne. Ce peuple était un composé de bandes ibériennes ou espagnoles qui avaient passé les Pyrénées à des époques inconnues. Maîtresses d'un sol facile à défendre, elles s'y maintenaient entièrement indépendantes de la domination gallique.

Les Galls, dans ces temps reculés, menaient la vie des peuples chasseurs et pasteurs; plusieurs de leurs tribus se teignaient le corps avec une substance bleuâtre, tirée des feuilles du pastel[5] ; quelques-unes se tatouaient. Leurs armes offensives étaient des haches et des couteaux en pierre ; des flèches garnies d'une pointe en silex ou en coquillage[6] ; des massues, des épieux durcis au feu, qu'ils nommaient gais[7] ; et d'autres appelés catéies qu'ils lançaient tout enflammés sur l'ennemi[8]. Leur armure défensive se bornait à un bouclier de planches, grossièrement jointes, de forme étroite et allongée. Ce fut le commerce étranger qui leur apporta les armes en métal, et l'art de les fabriquer eux-mêmes avec le cuivre et le fer de leurs mines. De petites barques d'osier, recouvertes d'un cuir de bœuf, composaient leur marine; et, sur ces frêles esquifs, ils affrontaient les parages les plus dangereux de l'Océan[9].

La population gallique se divisait en familles ou tribus, formant entre elles plusieurs nations distinctes. Ces nations adoptaient généralement des noms tirés de la nature du pays qu'elles occupaient, ou empruntés à quelque particularité de leur état social ; souvent elles se réunissaient à leur tour pour composer de grandes confédérations ou ligues.

Telles étaient la confédération des Celtes[10] ou tribus des bois ; qui habitait les vastes forêts situées alors entre les Cévennes et l'Océan, la Garonne et le pied des monts Arvernes ; celle des Armorikes[11] ou tribus maritimes, qui comprenait toutes les nations riveraines de l'Océan ; la nation des Arvernes[12] ou hommes des hautes terres, qui possédait le plateau élevé que nous appelons encore aujourd'hui l'Auvergne ; celle des Allobroges[13] ou hommes du haut pays, répandue sur le versant occidental des Alpes, entre l'Arve au nord, l'Isère au midi, et le Rhône au couchant ; des Helvètes[14], qui tiraient leur nom des pâturages des Alpes où ils s'étaient établis ; des Séquanes, qui devaient le leur à la rivière de Seine (Sequana[15]) dont ils avoisinaient la source, au couchant, tandis qu'au levant ils s'étendaient jusqu'au Jura ; des Édues[16] dont les troupeaux de moutons et de chèvres parcouraient les vallées de la Saône et de la Haute-Loire ; enfin des Bituriges, voisins occidentaux de la nation éduenne, ayant pour demeure l'espèce de presqu’île que ferment, en se réunissant, la Loire, l'Allier et la Vienne.

Les Celtes et les Aquitains, qui n'étaient séparés que par la Garonne, se livrèrent sans doute plus d'une guerre [1600 à 1500 av. J.-C.] ; sans doute aussi une de ces guerres donna occasion à quelque bande celtique de franchir les passages occidentaux des Pyrénées et de pénétrer dans l'intérieur de l'Espagne, où d'autres bandes la suivirent. Le flot de cette première invasion se dirigea vers le nord et le centre de la péninsule, entre l'Èbre et la chaîne des monts Idubèdes ; mais la population ibérienne ne se laissa pas aisément subjuguer. Une lutte longue et terrible eut lieu sur le territoire envahi, entre la race indigène et la race conquérante. Toutes deux, à la fin, affaiblies et fatiguées, se rapprochèrent, et de leur mélange, disent les historiens, sortit la nation Celt-ibérienne, mixte de nom, comme d'origine[17].

La route de l'Espagne une fois tracée, de nombreuses émigrations galliques s'y portèrent successivement, et, se poussant l'une l'autre, finirent par occuper toute la côte occidentale depuis le golfe d'Aquitaine, jusqu'au détroit qui sépare la presqu'île du continent africain. Tantôt la population indigène se retirait devant ce torrent; tantôt, après une résistance plus ou moins prolongée, elle suivait l'exemple des Celtibères, faisait la paix, et se mélangeait. Des Celtes allèrent s'établir dans l'angle sud-ouest de cette côte qu'ils trouvèrent abandonné, et sous leur nom national (Celtici) ils formèrent un petit peuple qui eut pour frontières, au sud et à l'ouest l'océan, à l'orient le fleuve Anas, aujourd'hui la Guadiana[18]. D'autres Galls, dont la nation n'est pas connue, s'emparèrent de i'angle nord-ouest ; et le nom actuel du pays (la Galice) rappelle encore leur conquête[19]. La contrée intermédiaire conserva une partie de sa population qui, mélangée avec les vainqueurs, produisit la nation des Lusitains[20], non moins célèbres que les Celtibères dans l'ancienne histoire de l'Ibérie.

Par suite de ces conquêtes, la race gallique se trouva répandue sur plus de la moitié de la péninsule espagnole. La limite du territoire qu'elle occupait, mixte ou pure, pourrait être représentée par une ligne qui partirait des frontières de la Galice, longerait l'Èbre jusqu'au milieu de son cours, suivrait ensuite la chaîne des monts Idubèdes pour se terminer à la Guadiana, comprenant ainsi tout l'ouest et une grande partie de la contrée centrale.

Mais les victoires des Galls au midi des Pyrénées eurent, pour leur patrie, un contrecoup funeste. Tandis qu'ils se pressaient dans l'occident et le centre de l'Espagne, les nations ibériennes, déplacées et refoulées sur la côte de l'est, forcèrent les passages orientaux de ces montagnes. La nation des Sicanes , la première, pénétra dans la Gaule, qu'elle ne fit que traverser, et entra en Italie parle littoral de la Méditerranée[21]. Sur ses traces arrivèrent ensuite les Ligors[22] ou Ligures, peuple originaire de la chaîne de montagnes au pied de laquelle coule la Guadiana[23] ; et chassé de son pays par les Celtes conquérants[24]. Trouvant la côte déblayée par les Sicanes, les Ligures s'en emparèrent, et étendirent leurs établissements tout le long de la mer, depuis les Pyrénées jusqu'à l'embouchure de l'Arno, bordant ainsi, par une zone demi-circulaire, le golfe qui dès lors porta leur nom. Dans les temps postérieurs, lorsqu'ils se furent multipliés, leurs possessions en Gaule comprirent toute la côte à l'occident du Rhône, jusqu'à la ligne des Cévennes[25] ; et à l'orient de ce fleuve, tout le pays situé entre l'Isère, les Alpes, le Var et la mer[26]. Mais il resta parmi eux, à l'est du Rhône, principalement, quelques tribus galliques, dont nous aurons plus d'une fois l'occasion de parler dans la suite de cet ouvrage.

L'irruption des peuples ibériens avait révélé aux Galls l'existence de l'Italie ; ce fut de ce côté qu'ils se dirigèrent, lorsque la surabondance de population, ou toute autre cause les détermina à entreprendre de nouvelles migrations. Une horde nombreuse, composée d'hommes, de femmes, et d'enfants de toute tribu, s'organisa sous le nom collectif d'Ambra[27] (les vaillants ou les nobles), franchit les Alpes, et se précipita sur l'Italie.

L'Italie subalpine[28] présente à l'œil un vaste bassin que les Alpes bornent au nord, la mer supérieure[29] au levant, et du nord-ouest au sud-est, la chaîne des Apennins. D'occident en orient, cette plaine immense est traversée par le Pô, appelé aussi Éridan, qui, prenant sa source au mont Viso (Vesulus), se jette dans la mer supérieure, dont il couvre la plage d'eaux stagnantes. Ce roi des fleuves italiens[30], dans son cours de cent vingt-cinq lieues, reçoit presque toutes les rivières que versent d'un côté les Alpes occidentales, pennines et rhétiennes, de l'autre, les Alpes maritimes et l'Apennin ; sur sa rive gauche, la Doria (Duria), le Tésin (Ticinus), l'Adda (Addna), l'Oglio (Ollias), le Mincio (Mincius) ; sur sa rive droite, le Tanaro (Tanarus) sorti des Alpes maritimes, la Trébia et le Réno (Rhenus) sortis tous deux des Apennins[31]. Au nord du Pô, l'Adige (Athesis), fleuve moins considérable que celui-ci, mais pourtant rapide et profond, descend des Alpes rhétiennes pour aller se perdre aussi dans les lagunes de la côte[32].

La contrée circumpadane était célèbre chez les anciens, non moins par sa fertilité que par sa beauté ; et plusieurs écrivains n'hésitent pas à la placer au-dessus du reste de l'Italie[33]. Dès les temps les plus reculés, on vantait ses pâturages[34], ses vignes, ses champs d'orge et de millet[35], ses bois de peupliers et d'érables[36], ses forêts de chênes où s'engraissaient de nombreux troupeaux de porcs, nourriture principale des peuplades italiques[37]. Elle était alors en presque totalité au pouvoir des Sicules, nation qui se prétendait Autochtone, c'est-à-dire née de la terre même qu'elle habitait[38]. Les Vénètes, petit peuple illyrien ou slave[39], s'y étaient conquis une place, à l'orient, entre l'Adige, le Pô et la mer. Au couchant, l'Apennin séparait les Sicules des Ligures, établis, comme nous venons de le dire, le long du golfe auquel ils avaient donné leur nom, jusqu'à l'embouchure de l'Arno.

Ce ne fut pas sans avoir longtemps résisté que les Sicules abandonnèrent à la horde gallique leur terre natale ; les combats qu'ils soutinrent contre elle sont mentionnés par les anciens historiens, comme les plus sanglants dont l'Italie eût été jusqu'alors le théâtre[40]. Vaincus enfin, ils se retirèrent au midi de la péninsule[41], d'où ils passèrent dans la grande île qui prit d'eux le nom de Sicile. Cet événement, qui livrait à la race gallique toute la vallée du Pô, eut lieu vers l'an 1364 avant notre ère[42]. Les vainqueurs ne s'arrêtèrent pas là ; ils poussèrent leurs conquêtes jusqu'à l’embouchure du Tibre ; ce fleuve, la Néra (Nar), et le Trento (Truentus), devinrent la frontière méridionale de leur empire qui, s'étendant de là aux Alpes, embrassa plus de la moitié de l'Italie[43].

Possesseurs paisibles de ce grand territoire, les Ambra ou Ombres ( note sous lequel ils sont plus connus dans l'histoire) s'y organisèrent suivant les usages des nations galliques. Ils le partagèrent en trois régions ou provinces, déterminées par la nature du pays. La première, sous le nom d'Is-Ombrie[44] ou de Basse-Ombrie, comprit les plaines circumpadanes; la seconde, appelée Oll-Ombrie[45] ou Haute-Ombrie renferma les deux versants de l'Apennin et le littoral montueux de la mer supérieure ; la côte de la mer inférieure, entre l'Arno et le Tibre, forma la troisième, et reçut la dénomination de Vil-Ombrie[46], ou d'Ombrie maritime. Dans ces circonstances, les Ombres prirent un accroissement considérable de population[47] ; ils comptèrent, dans les haute et basse provinces seulement trois cent cinquante-huit grands bourgs que les historiens décorent du titre de villes[48] ; leur influence s'étendit en outre sur toutes les nations italiques jusqu'à l'extrémité de la presqu'île.

Mais, dans le cours du onzième siècle, un peuple nouvellement émigré du nord de la Grèce entra en Italie par les Alpes illyriennes, traversa l'Isombrie comme un torrent, franchit l'Apennin, et envahit l’Ombrie maritime[49] ; c'était le peuple des Rasènes[50] si célèbres dans l'histoire sous le nom d'Étrusques. Bien supérieurs en civilisation aux races de la Gaule et de l'Italie, les Étrusques connaissaient l'art de construire des forteresses et de ceindre leurs places d'habitation, de murailles élevées et solides, art nouveau pour l'Italie où toute l'industrie se bornait alors à rassembler au hasard de grossières cabanes sans plan et sans moyens de défense[51]. Une chose distinguait encore ce peuple des sauvages tribus ombriennes, c'est qu'il ne détruisait ou ne chassait point la population subjuguée ; organisé, dans son sein, en caste de propriétaires armés, il la laissait vivre attachée à la glèbe du champ dont il l'avait dépouillée. Tel fut le sort des Ombres dans la partie de leur territoire située entre le cours du Tibre, l'Arno et la mer inférieure. Là disparurent rapidement les traces de la domination gallique. Aux villages ouverts et aux cabanes de chaume, suc-cédèrent douze grandes villes fortifiées, habitation des conquérants et chefs-lieux d'autant de divisions politiques qu'unissait un lien fédéral[52]. Le pays prit le nom des vainqueurs et fut appelé dès lors Étrurie.

Une fois constitués, les Étrusques poursuivirent avec ordre et persévérance l'expropriation de la race ombrienne ; ils attaquèrent l'Ombrie circumpadane qui, successivement, et pièce à pièce, passa sous leur domination. Les douze cités étrusques se partagèrent par portions égales cette seconde conquête ; chacune d'elles eut son lot dans les trois cents villages que les Galls y avaient habités[53] ; chacune d'elles y construisit une place de commerce et de guerre qu'elle peupla de ses citoyens[54] ; ce fut là la nouvelle Étrurie[55]. Mais les Isombres ne se résignèrent pas tous à la servitude. Un grand nombre repassèrent dans la Gaule où ils trouvèrent place, soit parmi les Helvètes[56], soit parmi les tribus éduennes, sur les bords de la Saône[57]. Plusieurs se réfugièrent dans les vallées des Alpes parmi les nations liguriennes qui commençaient à s'étendre sur le versant occidental de ces montagnes, et vécurent au milieu d'elles sans se confondre, sans jamais perdre ni le souvenir de leur nation ni le nom de leurs pères. Bien des siècles après, le voyageur pouvait distinguer encore des autres populations alpines la race de ces exilés de l'Isombrie[58]. Même dans la contrée circumpadane, l'indépendance et le nom isombrien ne périrent pas totalement. Quelques tribus concentrées entre le Tésin et l'Adda, autour des lacs qui baignent le pied des Alpes pennines[59], résistèrent à tous les efforts des Étrusques, qu'ils troublèrent longtemps dans la jouissance de leur conquête. Désespérant de les dompter, ceux-ci, pour les contenir du moins, construisirent près de leur frontière la ville de Melpum, une des plus fortes places de toute la nouvelle Étrurie[60].

La nation ombrienne était réduite au canton montagneux qui s'étendait entre la rive gauche du Tibre et la mer supérieure, et comprenait l'Ollombrie avec une faible partie de la Vilombrie ; les Étrusques vinrent encore l'y forcer, tandis que les peuples italiques, profitant de sa détresse, envahissaient sa frontière méridionale jusqu'au fleuve Æsis. Épuisée, elle demanda la paix et l'obtint. Avec le temps même, elle finit par s'allier intimement à ses anciens ennemis ; elle adopta la civilisation, la religion, la languie, la fortune politique de l'Étrurie, volontairement toutefois et sans renoncer à son indépendance[61] : mais dès lors elle ne fut plus qu'une nation italienne, et pour nous son histoire finit là. Cependant cette culture étrangère n'effaça pas complètement son caractère originel. L'habitant des montagnes ombriennes se distingua toujours des autres peuples de l'Italie par des qualités et des défauts attribués généralement à la race gallique : sa bravoure était brillante, impétueuse, mais on lui reprochait de manquer de persévérance ; il était irascible, querelleur, amoureux des combats singuliers ; et cette passion avait même fait naître chez lui l'institution du duel judiciaire[62]. Quelques axiomes politiques des Ombres, parvenus jusqu'à nous, révèlent une morale forte et virile. Ils pensent, dit un ancien écrivain, Nicolas de Damas, qui paraît avoir étudié particulièrement leurs moeurs, ils pensent qu'il est honteux de vivre subjugués ; et que dans toute guerre, il n'y a que deux chances pour l'homme de coeur, vaincre ou périr. Malgré l'adoption des usages étrusques, il se conserva dans les dernières classes de ce peuple quelque chose de l'ancien costume et de l'ancienne armure nationale ; le gais, porté double, un dans chaque main, à la manière des Galls, fut toujours l'arme favorite du paysan de l'Ombrie[63].

Tandis que la race gallique, au midi des Alpes, éprouvait ces alternatives de fortune, au nord des Alpes, quelques germes de civilisation apportés par le commerce étranger commençaient à se développer dans son sein. Ce fut, selon toute apparence, durant le treizième siècle que des navigateurs venus de l'Orient abordèrent pour la première fois la côte méridionale de la Gaule ; attirés par les avantages que le pays leur présentait, ils y revinrent, et y bâtirent des comptoirs. Les Pyrénées, les Cévennes, les Alpes, recelaient alors à fleur de terre des mines d'or et d'argent ; les montagnes de l'intérieur, d'abondantes mines de fer[64] ; la côte de la Méditerranée fournissait un grenat fin qu'on suppose avoir été l'escarboucle[65] ; et les indigènes ligures ou gaulois péchaient autour des îles appelées aujourd'hui îles d'Hières du corail dont ils ornaient leurs armes[66] et que sa beauté fit rechercher des marchands de l'Orient. En échange de ces richesses, ceux-ci importaient les articles ordinaires de leur traite : du verre, des tissus de laine, des métaux ouvrés, des instruments de travail, surtout des armes[67].

Tout fait présumer que ce commerce entre l'Asie et la Gaule dut son origine aux Phéniciens, qui, dès le onzième siècle, entourant d'une ligne immense de colonies et de comptoirs tout le bassin occidental de la Méditerranée, depuis Malte jusqu'au détroit de Calpé, s'en étaient arrogé la possession exclusive. A l'égard de la Gaule, ils ne se bornèrent pas à la traite de littoral ; l'existence de leurs médailles dans des lieux éloignés de la mer, la nature de leur établissement surtout témoignent qu'ils colonisèrent assez avant l'intérieur. L'exploitation des mines les attirait principalement dans le voisinage des Pyrénées, des Cévennes et des Alpes. Ils construisirent même, pour le service de cette exploitation, une route qui faisait communiquer la Gaule avec l'Espagne et avec l'Italie, où ils possédaient également des mines et des comptoirs. Cette route passait par les Pyrénées orientales, longeait le littoral de la Méditerranée gauloise, et traversait ensuite les Alpes par le col de Tende ; ouvrage prodigieux par sa grandeur et par la solidité de sa construction, et qui plus tard servit de fondement aux voies massaliotes et romaines[68]. Lorsque ces intrépides navigateurs eurent découvert l'Océan atlantique, ils nouèrent aussi des relations de commerce avec la côte occidentale de la Gaule ; surtout avec Albion et les îles voisines où ils trouvaient à bas prix de l'étain[69] et une espèce de murex, propre à la teinture noire[70].

Une antique tradition passée d'Asie en Grèce et en Italie, où n'étant plus comprise elle se défigura, parlait de voyages accomplis dans tout l'Occident par le dieu tyrien, Hercule ; et d'un premier âge de civilisation, que les travaux du dieu avaient fait luire sur la Gaule. La Gaule, de son côté, conservait une tradition non moins ancienne et qui n'était pas sans rapport avec celle-là. Le souvenir vague d'un état meilleur amené par les bienfaits d'étrangers puissants, de conquérants d'une race divine, se perpétuait de génération en génération parmi les peuples galliques ; et lorsqu'ils entrèrent en relation avec les Grecs et les Romains, frappés de la coïncidence des deux traditions, ils adoptèrent tous les récits que ceux-ci leur débitèrent sur Hercule[71].

Quiconque réfléchit à l'amour de l'antiquité orientale pour les symboles, cesse de voir dans l'Hercule phénicien un personnage purement fabuleux, ou une pure abstraction poétique. Le dieu né à Tyr le jour même de sa fondation, protecteur inséparable de cette ville où sa statue est enchaînée dans les temps de périls publics ; voyageur intrépide, posant et reculant tour à tour les bornes du monde ; fondateur de villes tyriennes, conquérant de pays subjugués par les armes tyriennes ; un tel dieu n'est autre en réalité que le peuple qui exécuta ces grandes choses ; c'est le génie tyrien personnifié et déifié. Tel les faits nous montrent le peuple, tel la fiction dépeint le héros ; et l'on pourrait lire dans la légende de la Divinité l'histoire de ses adorateurs. Le détail des courses d'Hercule en Gaule confirme pleinement ce fait général ; et l'on y suit, en quelque sorte pas à pas, la marche, les luttes, le triomphe, puis la décadence de la colonie dont il est le symbole évident.

C'est à l'embouchure du Rhône que la tradition orientale fait arriver d'abord Hercule ; c'est près de là qu'elle lui fait soutenir un premier et terrible combat. Assailli à l'improviste par Albion et Ligur[72], enfants de Neptune, il a bientôt épuisé ses flèches, et va succomber, lorsque Jupiter envoie du ciel une pluie de pierres ; Hercule les ramasse, et, avec leur aide, parvient à repousser ses ennemis[73]. Le fruit de cette victoire est la fondation de la ville de Nemausus (Nîmes), à laquelle un de ses compagnons ou de ses enfants donne son nom[74]. Il serait difficile de ne pas reconnaître sous ces détails mythologiques le récit d'un combat livré par des montagnards de la côte aux colons phéniciens, dans les champs de la Crau[75], sur la rive gauche du Rhône non loin de son embouchure; combat dans lequel les cailloux, qui s'y trouvent accumulés. en si prodigieuse quantité, auraient servi de munitions aux frondeurs phéniciens.

Vainqueur de ses redoutables ennemis, le dieu appelle autour de lui les peuplades indigènes éparses dans les bois ; hommes de toute tribu, de toute nation, de toute race, accourent à l'envi pour participer à ses bienfaits[76]. Ces bienfaits sont l'enseignement des premiers arts et l'adoucissement des moeurs. Lui-même, il leur construit des villes, il leur apprend à labourer la terre ; par son influence toute puissante, les immolations d'étrangers sont abolies ; les lois deviennent moins inhospitalières et plus sages[77] ; enfin les tyrannies, c'est-à-dire l'autorité absolue des chefs de tribu et des chefs militaires, sont détruites et font place à des gouvernements aristocratiques[78], constitution favorite du peuple phénicien. Tel est le caractère constant des conquêtes de l'Hercule tyrien en Gaule, comme dans tout l'Occident.

Si nous continuons à suivre sa marche, nous le voyons, après avoir civilisé le midi de la Gaule, s'avancer dans l'intérieur par les vallées du Rhône et de la Saône. Mais un nouvel ennemi l'arrête, c'est Tauriske[79], montagnard farouche et avide qui ravage la plaine, désole les routes et détruit tout le fruit des travaux bienfaisants du dieu ; Hercule court l'attaquer dans son repaire et le tue. Il pose alors sans obstacle les fondements de la ville d'Alésia sur le territoire éduen. Ainsi, quelque part qu'Hercule mette le pied, il trouve des amis et des ennemis ; des amis parmi les tribus de la plaine, des ennemis dans les montagnes où la barbarie et l'indépendance sauvage se retranchent et lui résistent.

Alésia, disent les récits traditionnels, fut construite grande et magnifique ; elle devint le foyer et la ville mère de toute la Gaule[80]. Hercule l'habita, et, par ses mariages avec des filles de rois, la dota d'une génération forte et puissante. Cependant lorsqu'il eut quitté la Gaule pour passer en Italie, Alésia déchut rapidement ; les sauvages, des contrées voisines s'étant mêlés à ses habitants, tout rentra peu à peu dans la barbarie[81]. Avant son départ, continuent les mythologues, Hercule voulut laisser de sa gloire un monument impérissable. Les dieux le contemplèrent fendant les nuages et brisant les cimes glacées des Alpes[82].» La route dont on lui attribue ici la construction, et à laquelle son nom fut attaché, est celle-là même que nous mentionnions tout à l'heure comme un ouvrage des Phéniciens, et qui conduisait de la côte gauloise en Italie, par le Col de Tende.

Au déclin de l'empire phénicien, ses colonies maritimes en Gaule tombèrent entre les mains des Rhodiens, puissants à leur tour sur la Méditerranée ; ses colonies intérieures disparurent. Les Rhodiens construisirent quelques villes, entre autres Rhoda ou Rhodanousia[83], près des bouches libyques du Rhône; mais leur domination fut de courte durée. Leurs établissements étaient presque, déserts et le commerce entre l'Orient et la Gaule presque tombé, quand les Phocéens arrivèrent.

Ce fut l'an 600 avant Jésus-Christ que le premier vaisseau phocéen jeta l'ancre sur la côte gauloise, à l'est du Rhône ; il était conduit par un marchand nommé Euxène[84], occupé d'un voyage de découvertes. Le golfe où il aborda dépendait du territoire des Ségobriges, une des tribus galliques qui s'étaient maintenues libres au milieu de la population ligurienne. Le chef ou roi des Ségobriges, que les historiens appellent Nann, accueillit avec amitié ces étrangers, et les emmena dans sa maison, où un grand repas était préparé ; car ce jour-là il mariait sa fille[85]. Mêlés parmi les prétendants Galls et Ligures, les Grecs prirent place au festin, qui se composait, selon l'usage, de venaison et d'herbes cuites[86].

La jeune fille, nommée Gyptis, suivant les uns, et Petta, suivant les autres[87], ne parut point pendant le repas. La coutume ibérienne[88], conservée chez les Ligures et adoptée par les Ségobriges, voulait qu'elle ne se montrât qu'à la fin portant à la main un vase rempli de quelque boisson[89], et celui à qui elle présenterait à boire devait être réputé l'époux de son choix. Au montent où le festin s'achevait, elle entra donc, et, soit hasard, soit toute autre cause, dit un ancien narrateur, elle s'arrêta en face d'Euxène, et lui tendit la coupe. Ce choix imprévu frappa de surprise tous les convives. Nann, croyant y reconnaître une inspiration supérieure et un ordre de ses dieux, appela le Phocéen son gendre, et lui concéda pour dot le golfe où il avait pris terre. Euxène voulut substituer au nom que sa femme avait porté jusqu'alors un nom tiré, de sa langue maternelle ; par une double allusion au sien et à leur commune histoire, il la nomma Aristoxène, c'est-à-dire la meilleure des hôtesses.

Sans perdre de temps, Euxène avait fait partir pour Phocée son vaisseau et quelques-uns de ses compagnons, chargés de recruter des colons dans la mère-patrie. En attendant, il travailla aux fondations d'une ville qu'il appela Massalie[90]. Elle fût construite sur une presqu'île creusée en forme de port vers le midi, et attenante au continent par une langue de terre étroite[91]. Le sol de la presqu'île était sec et pierreux ; Nann, par compensation, y joignit quelques cantons du littoral encore couvert d'épaisses forêts[92], mais où la terre, fertile et chaude, fut jugée par les Phocéens convenir parfaitement à la culture des arbres de l'Ionie.

Cependant les messagers d'Euxène atteignirent la côte de l'Asie mineure et le port de Phocée ; ils exposèrent aux magistrats les merveilleuses aventures de leur voyage[93], et comment, dans des régions dont elle ignorait presque l'existence, Phocée se trouvait tout à coup maîtresse d'un territoire et de la faveur d'un roi puissant. Exaltés par ces récits, les jeunes gens s'enrôlèrent en foule, et le trésor public, suivant l'usage, se chargea des frais de transport et fournit des vivres, des outils, des armes, diverses graines ainsi que des plans de vigne, d'olivier[94]. A leur départ, les émigrants prirent au foyer sacré de Phocée du feu destiné à brûler perpétuellement au foyer sacré de Massalie, vivante et poétique image de l'affection qu'ils promettaient à la mère patrie ; puis les longues galères phocéennes à cinquante rames[95], et portant à la proue la figure sculptée d'un phoque, s'éloignèrent du port. Elles se rendirent premièrement à Éphèse, où un oracle leur avait ordonné de relâcher. Là, une femme d'un haut rang, nommée Aristarché, révéla au chef de l'expédition que Diane, la grande déesse éphésienne, lui avait ordonné en songe de prendre une de ses statues, et d'aller établir son culte en Gaule ; transportés de joie, les Phocéens accueillirent à leur bord la prêtresse et sa divinité, et une heureuse traversée les conduisit dans les parages des Ségobriges[96].

Massalie, alors, prit de grands développements ; des cultures s'établirent ; une flotte fut construite ; et plusieurs des anciens forts, bâtis sur la côte par les Phéniciens et les Rhodiens, furent relevés et reçurent des garnisons. Ces empiètements et une si rapide prospérité alarmèrent les Ligures ; craignant que la nouvelle colonie ne les asservit bientôt, comme avaient fait jadis les Phéniciens, ils se liguèrent pour l'exterminer, et elle ne dut son salut qu'à l'assistance du père d'Aristoxène. Mais ce fidèle protecteur mourut, et bien loin de partager la vive affection de Nann à l'égard des Phocéens, son fils et héritier Coman nourrissait contre eux une haine secrète. Sans en avoir la certitude, la confédération ligurienne le soupçonnait ; pour sonder les intentions cachées du roi Ségobrige, elle lui députa un de ses chefs, qui s'exprima en ces termes :

Un jour, une chienne pria un berger de lui prêter quelque coin de sa cabane pour y faire ses petits ; le berger y consentit. Alors la chienne demanda qu'il lui fût permis de les y nourrir, et elle l'obtint. Les petits grandirent, et, forte de leur secours, la mère se déclara seule maîtresse du logis. Ô roi, voilà ton histoire ! Ces étrangers qui te paraissent aujourd'hui faibles et méprisables, demain te feront la loi, et opprimeront notre pays[97].

Coman applaudit à la sagesse de ce discours, et ne dissimula plus ses desseins ; il se chargea même de frapper sans délai sur les Massaliotes un coup aussi sûr qu'imprévu.

On était à l'époque de la floraison de la vigne, époque d'allégresse générale chez les peuples de race ionienne[98]. La ville de Massalie tout entière était occupée de joyeux préparatifs ; on décorait de rameaux verts, de roseaux, de guirlandes de fleurs, la façade des maisons et les places publiques. Pendant les trois jours que durait la fête, les tribunaux étaient fermés et les travaux suspendus. Coman résolut de profiter du désordre et de l'insouciance qu'une telle solennité entraînait d'ordinaire, pour s'emparer de la ville et en massacrer les habitants. D'abord il y envoya ouvertement, et sous prétexte d'assister aux réjouissances, une troupe d'hommes déterminés ; d'autres s'y introduisirent, en se cachant avec leurs armes au fond des chariots qui, des campagnes environnantes, conduisaient à Massalie une grande quantité de feuillages[99]. Lui-même, dès que la fête commença, alla se poster en embuscade dans un petit vallon voisin avec sept mille soldats, attendant que ses émissaires lui ouvrissent les portes de la ville plongée dans le double sommeil de la fatigue et du plaisir.

Ce complot si perfidement ourdi, l'amour d'une femme le déjoua. Une proche parente du roi, éprise d'un jeune Massaliote, courut lui tout révéler, le pressant de fuir et de la suivre[100]. Celui-ci dénonça la chose aux magistrats. Les portes furent aussitôt fermées, et l'on fit main-basse sur les Ségobriges qui se trouvèrent dans l'intérieur des murs. La nuit venue, les habitants, tous armés, sortirent à petit bruit pour aller surprendre Coman au lieu même de son embuscade. Ce ne fut pas un combat, ce fut une boucherie. Cernés et assaillis subitement dans une position où ils pouvaient à peine agir, les Ségobriges n'opposèrent aux Massaliotes aucune résistance ; tous furent tués, y compris le roi[101]. Mais cette victoire ne fit qu'irriter davantage la confédération ligurienne ; la guerre se poursuivit avec acharnement ; et Massalie, épuisée par des pertes journalières, allait succomber, lorsque des évènements qui bouleversèrent toute la Gaule survinrent à propos pour la sauver[102]. Il est nécessaire à l'intelligence de ces événements et de ceux qui les suivirent, que nous interrompions quelques instants le fil de ce récit, afin de reprendre les choses d'un peu plus haut.

Au nord de la Gaule habitait un grand peuple qui appartenait primitivement à la même famille humaine que les Galls, mais qui leur était devenu étranger par l'effet d'une longue séparation[103] : c'était le peuple des Kimris. Comme tous les peuples menant la vie vagabonde et nomade, celui-ci occupait une immense étendue de pays ; tandis que la Chersonèse Taurique, et la côte occidentale du Pont-Euxin, étaient le siège de ses hordes principales[104] ; son avant-garde errait le long du Danube[105] ; et les tribus de son arrière-garde parcouraient les bords du Tandis et du Palus-Méotidé. Les moeurs sédentaires avaient pourtant commencé à s'introduire parmi les Kimris ; les tribus de la Chersonèse Taurique bâtissaient des villes, et cultivaient la terre[106] ; mais la grande majorité de la race tenait encore avec passion à ses habitudes d'aventures et de brigandages.

Dès le onzième siècle, les incursions de ces hordes à travers la Colchide, le Pont, et jusque sur le littoral de la mer Égée, répandirent par toute l'Asie l'effroi de leur nom[107] ; et l'on voit les Kimris ou Kimmerii, ainsi que les Grecs les appelaient euphoniquement, jouer dans les plus anciennes traditions de l'Ionie un rôle important, moitié historique, moitié fabuleux[108]. Comme la croyance religieuse des Grecs plaçait le royaume des ombres et l'entrée des enfers autour du Palus-Méotide, sur le territoire même occupé par les Kimris, l'imagination populaire, accouplant ces deux idées de terreur, fit de la race kimmérienne une race infernale, anthropophage, non moins irrésistible et non moins impitoyable que la mort, dont elle habitait les domaines[109].

Pourtant, si l'on en croit d'autres sources historiques, ces tribus du Palus-Méotide, si redoutées dans l'Asie, n'étaient ni les plus belliqueuses, ni les plus sauvages de leur race. Elles le cédaient de beaucoup, sous ces deux rapports, à celles qui parcouraient les bords du Danube[110], marchant l'été, se retranchant l'hiver dans leurs camps de chariots[111], et toujours en guerre ave des peuplades illyriennes, non moins sauvages qu'elles. Il est très probable que ces tribus avancées commencèrent de bonne heure à inquiéter la frontière septentrionale de la Gaule, et qu'elles franchirent le Rhin, d'abord pour piller, ensuite pour conquérir ; toutefois, jusqu'au septième siècle avant notre ère, ces irruptions n'eurent lieu que partiellement et par intervalles. Mais, à cette époque, des migrations de peuples sans nombre vinrent se croiser et se choquer dans les steppes de la haute Asie. Les nations scythiques ou teutoniques, chassées en masse par d'autres nations fugitives, envahirent les bords du Palus-Méotide et du Pont-Euxin ; et, à leur tour, chassèrent plus avant dans l'Occident une grande partie des hordes kimriques dépossédées[112]. Celles-ci remontèrent la vallée du Danube, et, poussant devant elles leur avant-garde déjà maîtresse du pays, la forcèrent à chercher un autre territoire; ce fut alors qu'une horde considérable de Kimris passa le Rhin, sous la conduite de Hu ou Hesus-le-Puissant, chef de guerre, prêtre et législateur[113], et se précipita sur le nord de la Gaule.

L'histoire ne nous a pas laissé le détail positif de cette conquête ; mais l'état relatif des deux races, lorsqu'elle se fut accomplie et que ses résultats furent consolidés, peut, jusqu'à un certain point, nous en faire deviner la marche. Le grand effort de l'invasion paraît s'être porté le long de l'Océan, sur la contrée appelée Armorique dans la langue des Kimris comme dans celle des Galls. Les conquérants s'y répandirent dans la direction du nord au sud et de l'ouest à l'est, refoulant la population envahie au pied des chaînes de montagnes qui coupent diagonalement la Gaule du nord-est au sud-ouest, depuis les Vosges jusqu'aux monts Arvernes. Sur quelques points, les grands fleuves servirent de barrières à l'invasion ; les Bituriges, par exemple, se maintinrent derrière la moyenne Loire et la Vienne ; les Aquitains, derrière la Garonne. Ce dernier fleuve cependant fut franchi à son embouchure par un détachement de la tribu kimrique des Boïes, qui s'établit dans les landes dont l'Océan est bordé de ce côté. Généralement et en masse, on peut représenter la limite commune des deux populations, après la conquête, par une ligne oblique et sinueuse, qui suivrait la chaîne des Vosges et son appendice, celle des monts Éduens, la moyenne Loire, la Vienne, et tournerait le plateau des Arvernes pour se terminer à la Garonne, divisant ainsi la Gaule en deux portions à peu près égales, l'une montagneuse, étroite au nord, large au midi, et comprenant la contrée orientale dans toute sa longueur ; l'autre, formée de plaines, large au nord, étroite au midi, et renfermant toute la côte de l'Océan depuis l'embouchure du Rhin jusqu'à celle de la Garonne. Celle-ci fut au pouvoir de la race conquérante ; celle-là servit de boulevard à la race envahie[114].

Mais ce partage ne s'opéra point instantanément et avec régularité ; la Gaule fut le théâtre d'un long désordre, de croisements et de chocs multipliés entre toutes ces peuplades errantes, sédentaires, envahissantes, envahies, victorieuses, vaincues ; il fallut presque un siècle pour que chacune d'elles pût se conserver ou se trouver une place, et se rasseoir en paix. Une partie de la population gallique, appartenant au territoire envahi, s'y maintint mêlée à la population conquérante ; quelques tribus même, qui appartenaient au territoire non envahi, se trouvèrent amenées au milieu des possessions kimriques. Ainsi, tandis que le mouvement régulier de l'invasion poussait de l'ouest à l'est la plus grande partie des Galls cénomans, aulerkes, Carnutes, armorikes, sur les Bituriges, les Édues, les Arvernes, une tribu de Bituriges, entraînée par une impulsion contraire, vint d'orient en occident s'établir au-dessus des Boïes, entre la Gironde et l'Océan.

Le refoulement de la population gallique vers le centre et l'est de la Gaule nécessita bientôt des émigrations considérables. Les tribus accumulées, au nord-est, dans la Séquanie et l'Helvétie, envoyèrent au dehors une horde de guerriers, de femmes et d'enfants, sous la conduite d'un chef nommé Sigovèse ; elle sortit de la Gaule par la forêt Hercynie[115], et se fixa sur la rive droite du Danube et dans les Alpes illyriennes[116], où elle forma par la suite un grand peuple. Une seconde horde s'organisa en même temps parmi les nations du centre, les Bituriges, les Édues, les Arvernes, les Ambarres, et se mit en marche vers l'Italie ; elle avait pour chef le Biturige Bellovèse[117]. La force des deux hordes réunies montait, dit-on, à trois cent mille âmes[118]. Ces migrations simultanées donnèrent naissance à la fable si connue d'un Ambigat, roi des Bituriges, qui, trouvant son royaume trop peuplé, envoya ses deux neveux fonder au loin deux colonies sous la direction du vol des oiseaux[119]. Une autre fable commune aux annales primitives de presque tous les peuples attribuait l'arrivée des Galls en Italie à la vengeance d'un mari outragé. C'était, disait-on, le Lucumon étrusque, Arûns, qui, voyant sa femme séduite et enlevée par un homme puissant de Clusium, et ne pouvant obtenir justice, avait passé les Alpes, muni d'une abondante provision de vin, et, au moyen de cet appât irrésistible, avait attiré les Gaulois sur sa patrie[120]. Les écrivains de l'histoire romaine rapportent sérieusement ces traditions futiles et contradictoires[121] ; un seul, dont les assertions méritent généralement confiance pour tout ce qui regarde la Gaule, en fait justice en les méprisant. Ce furent, dit-il, des bouleversements intérieurs qui poussèrent les Galls hors de leur pays[122].

L'hiver durait encore lorsque Bellovèse et sa horde arrivèrent au pied des Alpes ; ils y firent halte, en attendant que leurs guides eussent examiné l'état des chemins[123], et dressèrent leurs tentes sur les bords de la Durance et du Rhône. Ils y étaient campés depuis plusieurs jours, quand ils virent arriver à eux des étrangers qui imploraient leur assistance ; c'étaient des députés de la ville de Massalie, alors assiégée par les Ligures et réduite à toute extrémité. Les Galls écoutèrent avec intérêt la prière des Phocéens, et le récit de leur émigration, de leurs combats, de leurs revers ; ils crurent voir dans l'histoire de ce petit peuple une image de leur propre histoire, dans sa destinée un présage du sort qui les attendait eux-mêmes[124] ; et ils résolurent de le faire triompher de ses ennemis. Conduits par les députés, ils attaquèrent à l'improviste l'armée ligurienne, la battirent, aidèrent les Massaliotes à reconquérir les terres qui leur avaient été enlevées et leur en livrèrent de nouvelles[125].

Sitôt que cette expédition fut terminée, Bellovèse entra dans les Alpes, déboucha par le mont Genèvre sur les terres des Ligures Taurins[126], qui habitaient entre le Pô et la Doria, et marcha vers la frontière de la Nouvelle-Étrurie. Les Étrusques accoururent lui disputer le passage du Tésin, mais ils furent défaits et mis en déroute[127], laissant au pouvoir de la horde victorieuse tout le pays compris entre le Tésin, le Pô et la rivière Humatia, aujourd'hui le Sério. Un canton de ce territoire renfermait, ainsi que nous l'avons raconté plus haut, quelques tribus galliques, restes de l'antique nation ombrienne, qui se maintenaient, depuis trois cents ans, libres du joug des Étrusques; et ce canton portait encore le nom d'Isombrie. On peut présumer, quoique l'histoire ne l'énonce pas positivement, que les descendants des Ambra reçurent, comme des frères et des libérateurs, les Galls qui leur arrivaient d'au-delà des Alpes, et qu'ils ne restèrent point étrangers au succès de la journée du Tésin. Quant à la horde de Bellovèse, ce fut pour elle un événement de favorable augure que de rencontrer, sur un sol ennemi, des hommes parlant la même langue et issus des mêmes aïeux qu'elle, une Isombrie enfin dont le nom rappelait aux Édues et aux Ambarres l'Isombrie des bords de la Saône et leur terre natale[128]. Frappés de cette coïncidence, et la regardant comme un présage heureux, tous, Édues, Arvernes, Bituriges, adoptèrent pour leur nom national celui d'Isombres ou d'Insubres, suivant l'orthographe romaine. Bellovèse jeta les fondements d'une bourgade qui dut servir de chef-lieu à sa horde devenue sédentaire ; il la plaça dans une plaine à six lieues du Tésin, et à six de l'Adda ; et la nomma Mediolanum ; elle forma depuis une grande et illustre ville qui aujourd'hui même a conservé la trace de son ancien nom[129].

C'étaient les nations de l'orient et du centre de la Gaule, qui, refoulées par les nations galliques de l'occident, avaient déchargé leur population de l'autre côté des Alpes ; ce fut bientôt le tour de celles-ci. Des Aulerkes, des Carnutes, surtout des Cénomans, se formèrent en horde, sous un chef nommé l'Ouragan, en langue gallique Éle-Dov[130] (Elitovius) ; et, après avoir erré quelque temps sur les bords du Rhône[131], passèrent en Italie, où, avec le secours des Insubres[132], ils chassèrent les Étrusques de tout le reste de la Transpadane, jusqu'à la frontière des Vénètes. Les principales bourgades qu'ils fondèrent, avec les débris des cités étrusques, furent Brixia[133] près du Mela, et Vérone[134] sur l'Adige.

A quelque temps de la, une troisième émigration partit encore de la Gaule pour se diriger vers l'Italie. Elle était moins nombreuse que les premières, et se composait de tribus liguriennes (Salies, Læves, Lebekes ) que les Galls avaient déplacées dans leurs courses ; elle passa les Alpes maritimes, et s'établit à l'occident des Insubres, dont elle ne fut séparée que par le Tésin[135].

Mais, au sein de la Gaule, le mouvement de la conquête emportait les conquérants eux-mêmes. L'avant-garde des Kimris, poussée par la masse des envahisseurs qui se pressaient derrière elle, se vit contrainte de suivre la route tracée par les vaincus, et d'émigrer à son tour. Une grande horde, composée de Boïes, d'Anamans et de Lingons (ceux-ci s'étaient emparés du territoire situé autour des sources de la Seine), traversa l'Helvétie, et franchit les Alpes pennines. Trouvant la Transpadane entièrement occupée par les émigrations précédentes, les nouveaux venus passèrent[136] sur des- radeaux le fleuve sans fond (c'est ainsi qu'ils surnommèrent le Pô[137]), et chassèrent les Étrusques de toute la rive droite. Voici comment ils firent entre eux le partage du pays.

Les Boïes eurent pour frontière à l'est la petite rivière d'Utens, aujourd'hui le Montone, à l'ouest le Taro, au nord le Pô, au midi l'Apennin ligurien. Cette tribu était la plus puissante des trois, et joua toujours le principal rôle dans leur confédération. Les Lingons habitèrent le triangle compris entre le lit du Pô, sa branche la plus méridionale, nommée Padusa, et la mer. Les Anamans se placèrent à l'occident des Boïes, entre le Taro et la petite rivière Varusa, aujourd'hui la Versa. Les Boïes établirent leur chef-lieu sur les ruines de la cité de Felsina, capitale de toute la Circumpadane pendant la domination étrusque ; ils changèrent son nom en celui de Bononia[138].

Les Étrusques étaient ainsi repoussés au-delà de l'Apennin, et la contrée circumpadane envahie tout entière, lorsqu'une nouvelle bande d'émigrés Kimris arriva ; c'étaient des Sénons[139], partis des frontières Bituriges et éduennes, où leur nation s'était fixée. N'ayant pas de place sur les bords du Pô, ils chassèrent les ombres du littoral de la mer supérieure, depuis l'Utens jusqu'au fleuve Æsis[140], et, non loin de ce dernier fleuve, ils fondèrent leur chef-lieu d'habitation, qui porta leur nom national, et fût appelé Séna[141]. La date de cet événement, qui termina la série des migrations gallo-kimriques en Italie, peut être fixée à l'année 521 [142], soixante-sixième après l'expédition de Bellovèse, cent dixième après le départ des grandes hordes kimriques pour l'occident de l'Europe. Le repos des populations transalpines, à partir de cette époque, semble annoncer que la Gaule se constitue, et que les désordres de la conquête sont à peu près calmés.

Si maintenant nous portons successivement nos regards sur toutes les contrées où les deux races se trouvent en présence, nous pourrons nous représenter comme il suit leur situation relative dans la première moitié du sixième siècle.

En Italie, la ligne de démarcation est nettement tracée par le cours du Pô ; les Galls occupent la Transpadane ; les Kimris la Cispadane.

En Gaule, la région montagneuse, orientale et méridionale appartient aux Galls ; le reste du pays jusqu'à la Garonne est au pouvoir de la race kimrique, plus ou moins mélangée de Galls vers le midi et le centre, pure dans le nord.

Dans l'île d'Albion que les Kimris ont envahie en même temps que le continent gaulois, et à laquelle un de leurs chefs a imposé le nouveau nom de Prydain[143] ou Bretagne, le golfe du Solway et le cours de la Tweed servent de communes limites aux deux populations ; la race kimrique habite toute la partie située au midi ; les Galls se maintiennent libres dans la partie sauvage et montagneuse du nord. Ils y sont divisés en trois nations : les tribus des hautes terres ou Albans[144] ; celles des basses terres ou Maïates[145] ; et celles qui, habitant l'épaisse forêt située au pied des monts Grampiens, portaient dans leur idiome le nom de Celtes, et celui de Celyddon[146] (Calédoniens), dans le dialecte des Kimris.

Au nord du Rhin, la race gallique occupe la rive droite du Danube et les vallées des Alpes illyriennes, où, par sa multiplication et ses conquêtes, elle forme déjà des peuplades considérables, tant de pur sang gallique que de sang gallique et illyrien mélangés ; telles que les Carnes, les Tauriskes, les Japodes. La race kimrique possède la rive gauche du fleuve et le littoral de l'Océan ; elle se divise en trois grandes hordes ou confédérations.

1° Le noyau de la race, portant spécialement le nom national, et habitant la presqu'île Kimrique ou Cimbrique[147] et la côte circonvoisine.

2° La confédération des Boïes ou Bogs, c'est-à-dire des hommes terribles[148] ; ayant pour séjour le fertile bassin qu'entourent les monts Sudètes et la forêt Hercynie[149]. Plusieurs tribus boïennes avaient pris part à la conquête de la Gaule ; mais, comme nous l'avons dit plus haut, une seule d'entre elles s'y fixa, dans un petit canton du territoire aquitain, à l'embouchure de la Garonne ; les autres passèrent en Italie.

3° La confédération des Belgs ou Belges, dont le nom parait signifier guerriers[150] : errante dans les forêts qui bordent la rive droite du Rhin, elle menace la Gaule, où nous la verrons bientôt jouer à son tour le rôle de conquérante.

Toutes les fois que, dans le cours de cette histoire, les deux races se trouveront en opposition ; nous continuerons à les distinguer l'une de l'autre par leurs noms génériques de Galls et de Kimris. Mais lorsque, abstraction faite de la diversité d'origine, nous les montrerons en contact avec des peuples appartenant à d'autres familles humaines, la dénomination vulgairement reçue de Gaulois nous servira pour désigner, soit les deux races en commun, soit l'une d'elles séparément; quelquefois même ce mot sera, pris dans une acception toute géographique, et signifiera collectivement les habitants de la Gaule, de quelques aïeux qu'ils descendent, Galls, Kimris, Aquitains ou Ligures. Nous adopterons aussi, pour nous conformer à l'usage, la division du territoire gaulois contigu aux Alpes, en deux Gaules : l'une transalpine, et l'autre cisalpine, et la subdivision de celle-ci en transpadane et cispadane, conservant à ces noms la signification qu'ils avaient chez les Romains, et que l'histoire a consacrée.

 

 

 



[1] Alb signifie à la fois élevé et blanc ; inn, contracté de innis, île. Albion, insula, sic dicta ab albis rupibus quas mare alluit. Pline LXIV, c. 16.

[2] Eir, ou Jar, l'Occident.

[3] Gaeltachd, et plus correctement Gaidhealtachd, est encore aujourd'hui le nom du haut pays d'Écosse. De ce mot les Grecs firent Galatia, et de Galatia le nom générique Galatœ. Les Romains procédèrent à l'inverse ; c'est du nom générique Gaili qu'ils tirèrent la dénomination géographique Gallia.

[4] Strabon, IV. Aquitani, clans les écrivains latins ; Àxουϊτανοí, chez les Grecs.

[5] César, Bell. gall., l. V, cap. 24. — Mel., l. III, c. 6 — Pline, l. XXII, c. 2. — Herodian, l. III, p. 83. — Claudian, Bell. get.

[6] On trouve fréquemment de ces armes en pierre, soit dans les tombeaux, soit dans les cavernes qui paraissent avoir servi d'habitation à la race gallique. Les armes en métal ne les remplacèrent que petit à petit ; et, après leur introduction, les Gaulois continuèrent encore longtemps à se servir des premières : aussi rencontre-t-on assez souvent les deux espèces réunies sous les mêmes tombelles.

[7] En latin gæsum ; en grec Γαισόν et Γαισòς. Le mot Gais n'est plus usité aujourd'hui dans la langue gallique, mais un grand nombre de dérivés lui ont survécu : tels sont gaisde, armé ; gaisg, bravoure ; gas, force, etc.

[8] Cateïa, jaculum rervefactum, clava ambusta. Virgil. Æn. — Cæsar, Bell. gall., l. V, c. 43. – Ammien Marcellin., l. XXXI. – Isidore, Origin., l. XVIII, c. 7. En langue gallique gath-teth (prononcer ga-tè) signifie dard brûlant. Armstr. Gael. dict.

[9] Solin, XXIII. — Fest Avien. Ora maritima.

[10] Coille, coillte ; bois, forêt. V. l'introduction. Les tribus celtiques qui habitaient la montagne ajoutaient au nom collectif Celte le mot tor, qui signifie élevé : Celtorii, Κελτóριοι, Celtes d'en haut. Les historiens n'indiquent que très vaguement la position de ces Celtes de la montagne ; ils habitaient, disent-ils, entre les Pyrénées et les Alpes. Plutarque, in Camil., p. 135.

[11] Armhuirich et Armhoirik, voisin de la mer ; (Lhuyd, archæol. britann.) Armorici, Aremorici.

[12] Ar, all, haut ; veran (Fearann), terre, contrée. Arvernia, Alvernia, Auvergne.

[13] All, haut ; brog, lieu habité, village.

[14] Elva (Ealbha) ou Selva, bétail ; ait, èt, lieu, contrée. Elvétie ou Helvétie, contrée des troupeaux.

[15] Seach, qui tourne, qui dévie, sinueux ; an, eau, rivière, contracté de avainn. — Σηxóανος ποταμòς, άφ´ ού τò έθνιxòν Σηxóανοι. Artemidor. ap. Stephan. Bysant. V. Σηxóανος. Les Séquanes furent repoussés plus tard au-delà des Vosges et de la Saône.

[16] En latin hedui, et plus communément Aedui. Ædh, mouton ; Ed, troupeau de petit bétail.

[17] Diodore de Sicile, l. V. - App., Bell. hisp.

Profugique à gente velustà

Gallorum, Celtæ miscentes nomen Iberis.

Lucien, Pharsal., l. XV, v. 9.

[18] Hérodote, II, p. 118 ; IV, p. 303, édit. Amst. 1763. — Polyb. ap. Strab., III. — Varro ap. Pline, III, c. 3.

[19] Gallæcia, Callaicia. Ils étaient divisés en quatre tribus : Artabri, Nerii, Præsamarcæ, Tamarici, Pline, IV, c. 34-35. — Pompon. Mel., III, c. 1. — Strabon, l. c.

[20] Pline, l. c. — Strabon, ibid. — Pompon. Mel., III, c. 1 et sqq. Consultez l'excellent ouvrage de M. Guillaume de Humboldt, Pruefung der Untersuchungen ueber die Urbewohner Hispaniens… Berlin, 1821.

[21] Thucydide, VI, c. 9. — Servius, ad Æneid., VII. — Ephor. ap. Strab., VI. —Philist. ap. Diodor. Sic., V.

[22] Ligor, Iligor, haute cité. (Humboldt, p. 5-6. ). De ce mot les romains tirent Ligures et les Grecs Lygies.

[23] Étienne de Byzance.

[24] ……………………… Celtarum manu

Crebrisque dudùm praeliis. ………

Ligures ... pulsi, ut sæpè fors aliquos agit,

Venêre in ista quæ per horreuteis tenent

Plerùmque dumos. ………

Fest. Avien. v. 132 et sqq.

[25] C'est ce que les géographes anciens appelaient l'Ibéro-Liburie, à cause du voisinage de l'Espagne.

[26] C'était la Celto-Ligurie.

[27] Plus correctement Amitra. De ce mot les Latins ont fait Ambro, Ambronis, plur. Ambrones ; et Umber.

[28] Italia subalpina, circumpadana.

[29] Mare Superum. Elle reçut le nom d'Adriatique après la fondation d'Adria, ou Hatria, par les Étrusques. Celle qui baigne la côte occidentale de l'Italie s'appelait mer Inférieure, mare Inferum.

[30] Fluviorum rex Eridanus……… Virgile, Georg., I.

[31] Du temps de Pline, les affluents du Pô étaient au nombre de trente (III, c. 16. — Solin., c. 8. — Martian. Capell., VI) ; on en compte aujourd'hui plus de quarante.

[32] Polybe, II, p. 103 et sqq. — Strabon, II et V.

[33] Polybe, II, p. 103. — Plutarque, in Marius, p. 411. – Tacite, Hist., II, c. 171.

[34] Plutarque, in Camille.

[35] Polybe, II, p. 103 et sqq.

[36] Pline, XVI, c. 15 ; XVII, c. 23. — Dionys., perieget., v. 292. — Marcian. Heracl. peripl. — Ovide, Metam., II.

[37] Polybe, II, l. c.

[38] Dionys. Halic., I, c. 9 ; II, c. 1. — Pline, III, c. 4.

[39] Hérodote, I-V.

[40] Dionys. Halic., I, c. 16.

[41] Dionys. Halic., ibid. — Pline III, c. 4.

[42] Philist. ap. Dionys. Halic., l. c. — Fréret, t. IV, p. 200, Œuvres complètes, Paris, 1796.

[43] Dionys., I, 20-28. — Pline, III, 14-15. — Cf. Cluver, Ital. ant., II, c. 4.

[44] Is, ios, bas, inférieur ; en latin, Insubria, Insubres.

[45] Olombria, Olombri. — Oll, all, haut, élevé : Armstrong's gaelic diction.

[46] Vilombria. — Bil, vil, bord, rivage. Arinstrong's gaelic diction.

[47] Denis d’Halicarnasse, X, c. 16.

[48] Trecenta eorum oppida Tusci debellasse reperiuntur. Pline, III, c. 14. — Il restait encore dans la Haute-Ombrie du temps de Pline quarante-six villes ; douze avaient péri.

[49] Priùs, cis Apenninum ad inferum mare... Tite-Live V, c. 99.

[50] Ce peuple ne reconnaissait pour son nom national que celui de Rhasena, en ajoutant l'article, Ta-Rhasena, d'où les Grecs, probablement, ont fait Tyrseni et Tyrrkeni. On ignore d'où dérivait celui d'Étrusques que les Latins lui donnaient.

[51] Tzetzes ad Lycophron. Alexandr. 717. — Rutil. itinerar. I.

[52] Strabon, V. — Servius ad Virgile, Æneid, II, VII et X. - Cf. Cluver, Ital. antiq., t. I, p. 344 et sqq.

[53] Trecenta oppida Tusci debellasse reperiuntur. Pline, III, c. 14. — Strabon, V.

[54] Trans Apenninum totidem quod capita originis erant coloniis missis…… usque ad Alpes tenuêre. Tite-Live V, c. 23. — Diodore de  Sicile, XIV, p. 321.

[55] Etruria nova. Serv. Virg., Æn., XV, v. 202.

[56] Ils y furent connus sous le nom d'Ambres ; Ambro, Ambronis ; d'où nous avons fait Ambrons. Plutarque, Vie de Marius. Voyez ci-après, IIe partie, le récit de l'invasion des Cimbres.

[57] Ils continuèrent à porter le nom d'Isombres, en latin, Insubres. Insubres, pagus Æduorum, Tite-Live, V, c. 23. — Les Umbranici, qui habitaient un peu plus bas, sur la rive droite du Rhône, étaient probablement une de ces peuplades émigrées de l'Ombrie.

[58] Insubrium exules, Pline, III, c. 17-20. — Ils portaient vulgairement le nom collectif de Ligures. Caturiges Insubrium exules, undè orti Vagieni Ligures. Pline, l. c. — Plutarque, Vie de Marius. — Mais ils ne reconnaissaient point d'autre nom national que celui d'Ambre (Ambro). Plutarque, ibid. Voyez le récit de l'invasion des Cimbres, 2° Partie de cet ouvrage.

[59] Tite-Live, V, c. 23.

[60] Pline, III, c. 17.

[61] Hist. rom. passim. — Tab. Eugug. Cf. Micali et Lanzi.

[62] Nicolas de Damas ad Stob. serm. XIII.

[63] Pastorali habitu, hinis gaesis armati... Tite-Live, X dec. I.

[64] Posidon. ap. Athenæ, VI, c. 4. — Strabon, III, p. 146 ; IV, p. 190. —Aristote, Mirab. ausc. p. 1115.

[65] Theophrast. Lapid. p. 393-396. — Lugd. Bat. 1613.

[66] Curalium laudatissimum cireà Stæchades insulas... Galli gladios adernabant eo. Pline, XXXII, c. 2.

[67] Homère, Iliade, VI, 29 ; Odyssée, XV, 424. — Ezéchiel, c. 27. Cf. Heeren : Ideen ueber die Politik, den Verkehr und den Handel der vornehmsten Voelker der alten Welt.

[68] Polybe (II) nous apprend que cette route existait avant la seconde guerre punique, et que les Massaliotes y posèrent des bornes milliaires à l'usage des armées romaines qui se rendaient en Espagne. Elle n'était point l'ouvrage des Massaliotes, qui, à cette époque, n'étaient encore ni riches ni puissants dans le pays, et qui d'ailleurs ne le furent jamais assez pour une entreprise aussi colossale. (V. ci-après, part. II, c. 1). Les Romains remirent cette route à neuf, et en firent les deux voies Aurelia et Domina.

[69] Le commerce de l'étain fit donner à ces îles le nom de Cassiterides (cassiteros, étain).

[70] Amati de restitutione purpurarum. Cons. Heeren , ouv. cité.

[71] Incolæ id magis omnibus adseverant quod etiâm nos legimus in monumentis eorum incisuui, Herculem…… Ammien Marcellin, XV, c. 9.

[72] Albion, Mela, II, c. 5. — Αλεβίων, Apollod. de Diis, II. - Tzetrez in Lycophr. Alexandr. — Alb, comme nous l'avons déjà dit, signifie montagne en langue gallique. Une tribu montagnarde de cette côte portait le nom d'Albici (Cæsar, Bell. civil., I) ou d'Áλβίοιxοι (Strabon, IV).

[73] Æschyl. Prometh. solut. ap. Strabon, IV, p. 183. — Mela, II, c. 5. — Tzetzes,  l. c. — Eustath. ad Dionys. perieg.

[74] Stephan. Bysant. V° Νεμανσός.

[75] C'est le nom que porte aujourd'hui une plaine immense, couverte de cailloux, située près du Rhône, entre la ville d'Arles et la mer. Crau dérive du mot gallique craig, qui signifie pierre.

[76] Diodore de Sicile, IV, p. 226.

[77] Denis d’Halicarnasse, I, c. 41.

[78] Diodore de Sicile, IV ; — Denis d’Halicarnasse, I, c. 41.

[79] Tauriseus. Ammien Marcellin, XV, c. 9. — Caton, cité par Pline (III, c. 20), place dans les Alpes une grande confédération de peuple tauriskes. — Tor, hauteur, sommet.

[80] Diodore de Sicile, IV.

[81] Ibid.

[82] Scindentem nubes, frangentemque ardua montis

Spectârunt Superi……                                Sil. Ital., III.

Virgile, Ænid., IV. — Diodore de Sicile, IV, p. 226. — Denis d’Halicarnasse, I, c. 41. — Ammien Marcellin, XV, c. 9.

[83] Pline, III, c. 4. Hieronym. Comment. epist. ad Galat., II, c. 3. — Isidore, Origin., XII, c. 21. Voyez ci-après, part. II, c. 1.

[84] Aristote, apud Athenæum, XIII, c. 5.

[85] Aristote, l. c. - Justin, XLIII, c. 3.

[86] Diodore de Sicile, IV.

[87] Gyptis, Justin, l. c. — Ηέττα, Aristote, ap. Athenæ. Ubi suprà.

[88] Elle subsiste encore aujourd'hui dans plusieurs cantons du pays basque, en France et en Espagne.

[89] Justin dit que cette boisson était de l'eau : Virgo cùm juberetur…… aquam porrigere (XLIII, c. 3.) ; Aristote, que c'était du vin mêlé d'eau : Φιάλxν xεxραμένην (ap. Athen. l. c.). Ce vin, si c'était du vin, provenait du commerce étranger, car la vigne n'était pas encore introduite en Gaule.

[90] Massilia, et par corruption dans la basse latinité, Marsilia (Cosmogr. Raven. anonym., I, 17), d'où sont venus le mot provençal Marsillo et le mot français Marseille.

[91] Fest. Avien, Or. marit. — Paneg. Eumen. in Constant., XIX. — Dionys. Perieg. — Justin, XLIII, 3. — César, Bell. civ., II, 1. — Voyez ci-après, partie II, c. 1.

[92] Tite-Live, V, c. 34.

[93] Reversi domum, referentes quæ viderant, plures sollicitavêre. Justin, XLIII, 3.

[94] Idem, ibidem.

[95] Hérodote, I.

[96] Strabon, IV. Voyez ci-après, part. II, c. 1.

[97] Justin, XLIII, c. 4.

[98] Meursii in Grœc. fer. (t. III, p. 798). Cette fête s'appelait les Anthesteria ; Justin l'a confondue avec les Floralia des Romains (XLIII, c. 4).

[99] Justin, XLIII, c. 4.

[100] Ibid.

[101] Ibid.

[102] Tite-Live, V, c. 34.

[103] Voyez l’Introduction de cet ouvrage.

[104] Hérodote, IV, c. 21, 12, 23.

[105] Posidon. ap. Plutarch. in Mario, p. 411 et sqq.

[106] Strabon (XI) appelle Kimmericum une de leurs villes ; Scymnus lui donne le nom de Kimmeris (p. 123, ed. Huds.). — Ephore, cité par Strabon (V), rapporte que plusieurs d'entre eux habitaient des caves qu'ils nommaient argil. Argel, en langue cambrienne, signifie un couvert, un abri. Taliesin. W. Archæol. p. 80. — Merddhin Afallenau. W. arch. p. 152.

[107] Strabon, I, III, XI, XII. Eusèbe, Chron. A annum MLXXVI. — Paul. Oros., I, c. 21.

[108] Strabon, III.

[109] Homère, Odyssée, XII, v. 14. — Strabon, l. c. — Gallin. ap. eumd., XIV. — Diodore de Sicile, V.

[110] Plutarque, Vie de Marius.

[111] Ibid.

[112] Hérodote, IV, c. 21, 22, 23.

[113] Voyez la 3° partie de cet ouvrage.

[114] J'ai été conduit à déterminer ainsi la limite des deux races par un grand nombre de considérations tirées : 1° de la différence des idiomes, telle qu'on peut la déduire des noms de localités, de peuples et d'individus ; 2° de la dissemblance ou de la conformité des mœurs et des institutions ; 3° et surtout de la composition des grandes confédérations politiques qui se disputèrent l'influence et la domination, quand les races eurent cessé de se disputer le sol, et qui se sont basées, sur l'antique diversité d'origine. Voyez la 2° partie de cet ouvrage, passim ; et, en particulier, le chapitre 1er, qui contient une description géographique détaillée de la Transalpine.

[115] Tite-Live, V, c. 34.

[116] Justin, XXIV, c. 4.

[117] Tite-Live, V, c. 34.

[118] Justin, XXIV, c. 4.

[119] Tite-Live, V, c. 34.

[120] Tite-Live, l. c. – Plutarque, in Camill. p. 135, 136.

[121] Equidem baud abnuerim Gallos ab Arunte adductos, Tite-Live, l. c. — Plutarque, in Camill., ibid.

[122] Gallis causa in Italiam veniendi, sedesque novas quærendi, intestina discordia. Justin, XX, c. 5. Trogus Pompeius, dont Justin a abrégé l'ouvrage, était originaire de la Gaule, et en avait étudié particulièrement l'histoire.

[123] Quùm circumspectarent, quânam per juncta cœlo juga…… transirent. Tite-Live, V, c. 34.

[124] Id Galli fortunæ suæ omen rati…… Idem, ibidem.

[125] Adjuvere ut quem primum, in terram egressi, occupârant locum, patentibus silvis communirent. Idem, ibidem.

[126] Taurino saltu Alpes transcenderunt. Tite-Live, V, c. 34.

[127] Fusis acie Tuscis, band procul Ticino flumine. Id. ibid.

[128] Quùm in quo consederant, agrum Insubrium appellari audissent, ibi omen sequentes loci, condidêre usbem… Tite-Live, V, c. 34.

[129] Mediolanum appellarunt. Id. ibid. — C'est la ville de Milan.

[130] Elitovio duce. Tite-Live, V, c. 35. — Aile, Aede, vent ; dobh, impétueux, orageux.

[131] Auctor est Cato Cenomanos juxtà Massiliam habitasse in Volcis. Pline, III, c. 19.

[132] Favente Belloveso. Tite-Live, V v, c. 35.

[133] En langue gallique Briga signifiait une ville fortifiée.

[134] Fearann, habitation, colonie ; ce mot parait composé de fear, homme, et fonn, terre : fear-fhonn, terre partagée par têtes d'hommes. Voyez le Diction, gael. d'Armstrong, au mot Fearaan.

[135] Tite-Live, V, c. 35. — Polybe, II. — Pline, III, c. 17.

[136] Pennino deindè Boii Lingonesque transgressi…… Pado ratibus trajecto…… Tite-Live, V, c. 35. — Au sujet des Anamans, voyez Polybe, II.

[137] Polybe, II. — Bodineus, quod significat fundo carens. Pline, III, c. 16. —  D'après un étymologiste grec, l'autre nom du Pô, Padas, serait dérivé du mot gaulois Pades signifiant Sapin : Metrodorus Scepsius dicit : quoniam circà fontem arbor multa sit picea, quæ Pades gallicè vocetur, Padum hoc nomen accepisse. Pline, l. c.

[138] Felsina vocitata quùm princeps Etruriæ esset. Pline, III, c. 15.

[139] Post hos Senones recentissimi advenarum…… Tite-Live, l. c.

[140] Ab Utente flumine ad Æsim fines habuère. Tite-Live, V, c. 35.

[141] Senonum de nomine, Sena. Silius Italic, VIII, v. 455.

[142] Dans cette année (232 de Rome et 13ème du règne de Tarquin le Superbe ; correspondante à la 4ème année de la LXIVe olympiade), les Ombres dépossédés par les Senons assiégèrent la ville grecque de Cumes dans le pays des Opiques. Denis d’Halicarnasse, VII.

[143] Ynys Prydain, l’île de Prydain. Trioedd. I. Bretanis, Britannia. Camden. Britan., p. I.

[144] Albani. Les montagnards écossais se donnent encore aujourd’hui le nom d'Albannach.

[145] Maïatæ, de magh-aite : magh, plaine ; aite, contrée. - Armstrong's gael. diction.

[146] Trioedd. 6. — Camden. Britan. p. 668. Francof. 1590.

[147] Aujourd'hui le Jutland.

[148] Boii, Bogi, Boci. — Bw, la peur ; Bwg et Bug, terrible. v. Owen's Welsh diction.

[149] Aujourd'hui la Bohême, Boïo-huemum. Ce nom, qui signifie en langue germanique demeure des Boïes (Boit-hrim) lui fut donné par les Marcomans, qui s'en emparèrent après en avoir expulsé les habitants. Tacite, Mœurs des Germains, c. 28.

[150] Belgiaid, dont le radical est Bel, guerre.