HISTOIRE DES GAULOIS

 

Introduction.

 

 

IL ne faut s’attendre à trouver ici ni l’intérêt philosophique qu’inspire le développement progressif d’un seul fait grand et fécond, ni l’intérêt pittoresque qui s’attache aux destinées successives d’un seul et même territoire, immobile théâtre de mille scènes mobiles et variées les faits de cette histoire sont nombreux et divers, leur théâtre est l’ancien monde tout entier; mais pourtant une forte unité y domine; c’est une biographie qui a pour héros un de ces personnages collectifs appelés peuples, dont se compose la grande famille humaine. L’auteur a choisi le peuple gaulois comme le plus important et le plus curieux de tous ceux que les Grecs et les Romains désignaient sous le nom de barbares, et parce que son histoire mal connue, pour ne pas dire inconnue, laissait un vide immense dans les premiers temps de notre occident. Un autre sentiment encore, un sentiment de justice et presque de piété l’a déterminé et soutenu dans cette longue tâche ; Français, il a voulu connaître et faire connaître une race de laquelle descendent les dix-neuf vingtièmes d’entre nous, Français ; c’est avec un soin religieux qu’il a recueilli ces vieilles reliques dispersées, qu’il a été puiser, dans les annales de vingt peuples, les titres d’une famille qui est la nôtre.

L’ouvrage que je présente au public a donc été composé dans un but spécial ; dans celui de mettre l’histoire narrative des Gaulois en harmonie avec les progrès récents de la critique historique, et de restituer, autant que possible, dans la peinture des événements, à la race prise en masse sa cou-leur générale, aux subdivisions de la race leurs nuances propres et leur caractère distinctif : vaste tableau dont le plan n’embrasse pas moins de dix-sept cents ans. Mais à mesure que ma tâche s’avançait, j’éprouvais une préoccupation philosophique de plus en plus forte ; il me semblait voir quelque chose d’individuel, de constant, d’immuable sortir du milieu de tant d’aventures si diversifiées, passées en tant de lieux, se rattachant à tant de situations sociales si différentes ; ainsi que dans l’histoire d’un seul homme, à travers tous les incidents de la vie la plus romanesque, on voit se dessiner en traits invariables, le caractère du héros.

Les masses ont-elles donc aussi un caractère, type moral, que l’éducation peut bien modifier, mais qu’elle n’efface point ? En d’autres termes, existe-t-il dans l’espèce humaine des familles et des races, comme il existe des individus dans ces races ? Ce problème, dont la position ne répugne en rien aux théories philosophiques de notre temps, comme j’achevais ce long ouvrage, me parut résolu par le fait. Jamais encore les événements humains n’avaient été examinés sur une aussi vaste échelle, avec autant de motifs de certitude, puisqu’ils sont pris dans l’histoire d’un seul peuple, antérieurement à tout mélange de sang étranger, du moins à tout mélange connu, et que ce peuple est conduit par sa fortune vagabonde au milieu de dix autres familles humaines, comme pour contraster avec elles. En occident, il touche aux Ibères, aux Germains, aux Italiens ; en orient, ses relations sont multipliées avec les Grecs, les Carthaginois, les Asiatiques, etc. De plus, les faits compris dans ces dix-sept siècles n’appartiennent pas à une série unique de faits, mais à deux âges de la vie sociale bien différents, à l’âge nomade, à l’âge sédentaire. Or, la race gauloise s’y montre constamment identique à elle-même.

Lorsqu’on veut faire avec fruit un tel travail d’observation sur les peuples, c’est à l’état nomade principalement qu’il faut les étudier ; dans cette période de leur existence, où l’ordre social se réduit presque à la subordination militaire, où la civilisation est, si je puis ainsi parler, à son minimum. Une horde est sans patrie comme sans lendemain ; chaque jour, à chaque combat, elle joue sa propriété, son existence même ; cette préoccupation du présent, cette instabilité de fortune, ce besoin de confiance de chaque individu en sa force personnelle neutralisent presque totalement entre autres influences celle des idées religieuses, la plus puissante de toutes sur le caractère humain. Alors les penchants innés se déploient librement avec une vigueur toute sauvage. Qu’on ouvre l’histoire ancienne, qu’on suive dans leurs brigandages deux hordes, l’une de Gaulois, l’autre de Germains : la situation est la même, des deux côtés ignorance, brutalité, barbarie égales ; mais comme on sent néanmoins que la nature n’a pas jeté ces hommes-là dans le même moule ! A l’étude d’un peuple pendant sa vie nomade il en succède une autre non moins importante pour le but dont nous nous occupons, l’étude de ce même peuple durant le premier travail de la vie sédentaire, dans cette époque de transition où la liberté humaine se débat encore violemment contre les lois nécessaires des sociétés et le développement progressif des idées et des besoins sociaux.

Les traits saillants de la famille gauloise, ceux qui la différencient le plus, à mon avis, des autres familles humaines, peuvent se résumer ainsi : une bravoure personnelle que rien n’égale chez les peuples anciens ; un esprit franc, impétueux, ouvert à toutes les impressions, éminemment intelligent ; mais à côté de cela une mobilité extrême, point de constance, une répugnance marquée aux idées de discipline et d’ordre si puissantes chez les races germaniques, beaucoup d’ostentation, enfin une désunion perpétuelle, fruit de l’excessive vanité. Si l’on voulait comparer sommairement la famille gauloise à cette famille germanique, que nous venons de nommer, on pourrait dire que le sentiment personnel, le moi individuel est trop développé chez la première, et que, chez l’autre, il ne l’est pas assez ; aussi trouvons-nous à chaque page de l’histoire des Gaulois des personnages originaux, qui excitent vivement et concentrent sur eux notre sympathie, en nous faisant oublier les masses ; tandis que, dans l’histoire des Germains, c’est ordinairement des masses que ressort tout l’effet.

Tel est le caractère général des peuples de sang gaulois ; mais, dans ce caractère même, l’observation des faits conduit à reconnaître deux nuances distinctes, correspondant à deux branches distinctes de la famille, à deux races, pour me servir de l’expression consacrée en histoire. L’une de ces races, celle que je désigne sous le nom de Galls, présente, de la manière la plus prononcée, toutes les dispositions naturelles, tous les défauts et toutes les vertus de la famille ; les types gaulois individuels les plus purs lui appartiennent : l’autre, celle des Kimris, moins active, moins spirituelle peut-être, possède en retour plus d’aplomb et de stabilité : c’est dans son sein principalement qu’on remarque les institutions de classement et d’ordre ; c’est là que persévérèrent le plus longtemps les idées de théocratie et de monarchie.

L’histoire des Gaulois, telle que je l’ai conçue, se divise naturellement en quatre grandes périodes ; bien que les nécessités de la chronologie ne m’aient pas toujours permis de m’astreindre, dans le récit, à une classification aussi rigoureuse.

La première période renferme les aventures des nations gauloises à l’état nomade. Aucune des races de notre occident n’a accompli une carrière plus agitée et plus brillante. Les courses de celle-ci embrassent l’Europe, l’Asie et l’Afrique ; son nom est inscrit avec terreur dans les annales de presque tous les peuples. Elle brûle Rome ; elle enlève la Macédoine aux vieilles phalanges d’Alexandre, force les Thermopyles et pille Delphes ; puis elle va planter ses tentes sur les ruines de l’ancienne Troie, dans les places publiques de Milet, aux bords du Sangarius et à ceux du Nil ; elle assiège Carthage, menace Memphis, compte parmi ses tributaires les plus puissants monarques de l’Orient ; à deux reprises elle fonde dans la haute Italie un grand empire, et elle élève au fond de la Phrygie cet autre empire des Galates qui domina longtemps toute l’Asie mineure.

Dans la seconde, période, celle de l’état sédentaire, on voit se développer, partout où cette race s’est fixée à demeure, les institutions sociales, religieuses et politiques conformes à son caractère particulier ; institutions originales, civilisation pleine de mouvement et de vie, dont la Gaule transalpine offre le modèle le plus pur et le plus complet. On dirait, à suivre les scènes animées de ce tableau, que la théocratie de l’Inde, la féodalité de notre Moyen-Âge et la démocratie athénienne se sont donné rendez-vous sur le même sol pour s’y combattre et y régner tour à tour. Bientôt cette civilisation se mélange et s’altère ; des éléments étrangers s’y introduisent, importés par le commerce, par les relations de voisinage, par la réaction des populations subjuguées. De là des combinaisons multiples et souvent bizarres ; en Italie, c’est l’influence romaine qui se fait sentir dans les mœurs des Cisalpins ; dans le midi de la Transalpine, c’est l’influence des Grecs de Massalie (l’ancienne Marseille), et il se forme en Galatie le composé le plus singulier de civilisation gauloise, grecque et phrygienne.

Vient ensuite la période des luttes nationales et de la conquête. Par un hasard digne de remarque, c’est toujours sous l’épée des Romains que tombe la puissance des nations gauloises ; à mesure que la domination romaine s’étend, la domination gauloise, jusque-là assurée, recule et décline ; on dirait que les vainqueurs et les vaincus d’Allia se suivent sur tous les points de la terre pour y vider la vieille querelle du Capitole. En Italie, les Cisalpins sont subjugués, mais seulement au bout de deux siècles d’une résistance acharnée ; quand le reste de l’Asie a accepté le joug, les Galates défendent encore contre Rome l’indépendance de l’Orient ; la Gaule succombe, mais d’épuisement ; après un siècle de guerres partielles, et neuf ans de guerre générale sous César ; enfin les noms de Caractacus et de Galgacus illustrent les derniers et infructueux efforts de la liberté bretonne. C’est partout le combat inégal de l’esprit militaire, ardent, héroïque, mais simple et grossier, contre le même esprit discipliné et persévérant.

Peu de nations montreraient dans leurs annales une aussi belle page que cette dernière guerre des Gaules, écrite pourtant par un ennemi. Tout ce que l’amour de la patrie et de la liberté enfanta jamais d’héroïsme et de prodiges, s’y déploie malgré mille passions contraires et funestes : discordes entre les cités, discordes dans les cités, entreprises des nobles contre le peuple, excès de la démocratie, inimitiés héréditaires des races. Quels hommes que ces Bituriges qui incendient en un seul jour vingt de leurs villes ! que cette population Carnute, fugitive, poursuivie par l’épée, par la famine, par l’hiver et que rien ne peut abattre ! Quelle variété de caractères dans les chefs, depuis le druide Divitiac, enthousiaste bon et honnête de la civilisation romaine, jusqu’au sauvage Ambiorix, rusé, vindicatif, implacable, qui ne conçoit et n’imite que la rudesse des Germains ; depuis Dumnorix, brouillon ambitieux mais fier, qui veut se faire du conquérant des Gaules un instrument, non pas un maître, jusqu’à ce Vercingétorix, si pur, si éloquent, si brave, si magnanime dans le malheur, et à qui il n’a manqué pour prendre place parmi les plus grands hommes, que d’avoir eu un autre ennemi, surtout un autre historien que César !

La quatrième période comprend l’organisation de la Gaule en province romaine et l’assimilation lente et successive des mœurs transalpines aux mœurs et aux institutions de l’Italie ; travail commencé par Auguste, continué et achevé par Claude. Ce passage d’une civilisation à l’autre ne se fait point sans violence et sans secousses : de nombreuses révoltes sont comprimées par Auguste, une grande insurrection échoue, sous Tibère. Les déchirements et la ruine imminente de Rome pendant les guerres civiles de Galba, d’Othon, de Vitellius, de Vespasien donnent lieu à une subite explosion de l’esprit d’indépendance au nord des Alpes ; les peuples gaulois reprennent les armes, les sénats se reforment, les Druides proscrits reparaissent, les légions romaines cantonnées sur le Rhin sont vaincues ou gagnées, un Empire gaulois est construit à la hâte ; mais bientôt la Gaule s’aperçoit qu’elle est déjà au fond toute romaine, et qu’un retour à l’ancien ordre de choses n’est plus ni désirable pour son bonheur, ni même possible ; elle se résigne donc à sa destinée irrévocable, et rentre sans murmure clans la communauté de l’empire romain.

Avec cette dernière période finit l’histoire de la race gauloise en tant que nation, c’est-à-dire en tant que corps de peuples libres, soumis à des institutions propres, à la loi de leur développement spontané : là commence un autre série de faits, l’histoire de cette même race devenue membre d’un corps politique étranger, et modifiée par des institutions civiles, politiques, religieuses qui ne sont point les siennes. Quelque intérêt que mérite, sous le point de vue de la philosophie comme sous celui de l’histoire, cette Gaule romaine qui joue dans le monde romain un rôle si grand et si original, je n’ai point dû m’en occuper dans cet ouvrage : les destinées du territoire gaulois, depuis les temps de Vespasien jusqu’à la conquête des Francs, forment un épisode complet, il est vrai, de l’histoire de Rome, mais un épisode qui ne saurait être isolé tout à fait de l’ensemble sous peine de n’être plus compris.

J’ai raisonné jusqu’à présent dans l’hypothèse de l’existence d’une famille gauloise qui différerait des autres familles humaines de l’occident, et se diviserait en deux branches ou races bien distinctes : je dois avant tout à mes lecteurs la démonstration de ces deux faits fondamentaux, sur lesquels repose tout mon récit. Persuadé que l’histoire n’est point un champ clos où les systèmes puissent venir se défier et se prendre corps à corps, j’ai éliminé avec soin du cours de ma narration toute digression scientifique, toute discussion de mes conjectures et de celles d’autrui. Pourtant comme la nouveauté de plusieurs opinions émises en ce livre me font un devoir d’exposer au public les preuves sur lesquelles je les appuie, et, en quelque sorte, ce que vaut ma conviction personnelle ; j’ai résumé dans les pages qui suivent mes principales autorités et mes principaux arguments de critique historique. Ce travail que j’avais fait pour mon propre compte, pour me guider moi-même dans la recherche de la vérité, et, d’après lequel j’ai cru pouvoir adopter mon parti, je le soumets ici avec confiance à l’examen ; je prie toutefois mes lecteurs qu’avant d’en condamner ou d’en admettre les bases absolument, ils veuillent bien parcourir le détail du récit, car je n’attache pas moins d’importance aux inductions générales qui ressortent des grandes masses de faits, qu’aux témoignages historiques individuels, si nombreux et si unanimes qu’ils soient.

La question à examiner est celle-ci : a-t-il existé une famille gauloise distincte des autres familles humaines de l’occident, et était-elle partagée en deux races ? Les preuves que je donne comme affirmatives sont de trois sortes : 1° philologiques, tirées de l’examen des langues primitives de l’occident de l’Europe ; 2° historiques, puisées dans les écrivains grecs et romains ; 3° historiques, puisées dans les traditions nationales des Gaulois.

 

SECTION 1 — PREUVES TIRÉES DE L’EXAMEN DES LANGUES.

Dans les contrées de l’Europe appelées par les anciens Gaule transalpine et île de Bretagne, embrassant la France actuelle, la Suisse, les Pays-Bas, et les îles Britanniques, il se parle de nos jours une multitude de langues qui se rattachent généralement à deux grands systèmes : l’un, celui des langues du midi, tire sa source de la langue latine, et comprend tous les dialectes romans et français ; l’autre, celui des langues du nord, dérive de l’ancien teuton ou germain, et règne dans une partie de la Suisse et des Pays-Bas, en Angleterre et dans la Basse Écosse. Or, nous savons historiquement que la langue latine a été introduite en Gaule par les conquêtes des Romains ; nous savons aussi que les langues teutoniques parlées dans la Gaule et l’île de Bretagne sont dues pareillement à des conquêtes de peuples tentons ou germains : ces deux systèmes de langues, importés du dehors, sont donc étrangers à la population primitive, c’est-à-dire, à la population qui occupait le pays antérieurement à ces conquêtes.

Mais, au milieu de tant de dialectes néo-latins et néo-teutoniques, on trouve dans quelques cantons de la France et de l’Angleterre les restes de langues originales, isolées complètement des deux grands systèmes que nous venons de signaler comme étrangers. La France en renferme deux, le basque, parlé dans les Pyrénées occidentales, et le bas-breton, plus étendu naguère, resserré maintenant à l’extrémité de l’ancienne Armorike ; l’Angleterre deux également, le gallois, parlé dans la principauté de Galles, appelé welsh par les Anglo-Saxons, par les Gallois eux-mêmes, kymraig ; et le gaëlic, usité dans la haute Écosse et l’Irlande. Ces langues, originales parmi toutes les autres, l’histoire ne nous apprend point qu’elles aient été importées dans le pays où on les parle, postérieurement aux conquêtes romaine et germaine ; elle ne montre point non plus par qui et comment elles auraient pu y être introduites : nous sommes donc fondés à les regarder comme antérieures à ces conquêtes, et par conséquent comme appartenant à la population primitive.

La question d’antiquité ainsi établie, deux autres questions se présentent : 1° Ces langues ont-elles appartenu au même peuple ou à des peuples différents ? 2° Existe-t-il des preuves historiques qu’elles aient été parlées antérieurement à l’établissement des Romains, par conséquent des Germains ; et dans quelles portions de territoire ? Nous essaierons de résoudre ces deux questions, en examinant successivement chacune des langues ; et d’abord nous remarquerons que, le bas breton se rattachant d’une manière très étroite au gallois ou kymraig, les idiomes originaux, dont nous parlons, se réduisent réellement à trois, 1° le basque, 2° le kymraig ou kymric, 3° le gaëlic ou gallic.

I — De la langue basque.

Cette langue, appelée euscara[1] par le peuple qui la parle, est en usage dans quelques cantons du sud-ouest de la France et du nord-ouest de l’Espagne, des deux côtés des Pyrénées : la singularité de ses radicaux et celle de sa grammaire ne la distinguent pas moins des langues kymrique et gallique que des dérivées du latin et du teuton. Son antiquité ne saurait faire doute quand on voit qu’elle a fourni les plus vieilles dénominations des fleuves, des montagnes, des villes, des tribus de l’ancienne Espagne. Sa grande extension n’est pas moins certaine : de savants travaux[2] ont constaté son empreinte dans la nomenclature géographique de presque toute l’Espagne, surtout des provinces orientale et méridionale. En Gaule, la province appelée par les Romains Aquitaine, et comprise entre les Pyrénées et le cours de la Garonne, présente aussi dans sa plus vieille géographie des traces nombreuses de cette langue qui s’y parle encore aujourd’hui. De pareilles traces se retrouvent, plus altérées et plus rares, il est vrai, le long de la Méditerranée, entre les Pyrénées orientales, et l’Arno, dans cette lisière étroite qui portait chez les anciens les noms de Ligurie, Celto-Ligurie et Ibéro-Ligurie[3]. Un grand nombre de noms d’hommes, de dignités, d’institutions relatés dans l’histoire comme appartenant soit aux Ibères, soit aux Aquitains, s’expliquent et sans effort à l’aide de la langue basque. De plus, le mot Ligure (Li-gor, peuple d’en haut) est basque.

Il résulte la présomption légitime : 1° que le basque est un reste de l’ancienne langue espagnole ou ibérienne, et la population parlant basque aujourd’hui, un débris de la race des Ibères ; 2° que cette race, par le langage du moins, n’avait rien de commun avec les nations parlant les langues gallique et kymrique ; 3° qu’elle occupait dans la Gaule deux grands cantons, l’Aquitaine et la Ligurie gauloise.

II — De la langue gallique.

Le gaëlic ou gallic, conformément à la prononciation, est parlé dans la haute Écosse, l’Irlande, les Hébrides et l’île de Man. Il n’existe pas de trace qu’un autre idiome ait été en usage plus anciennement dans ces contrées, puisque les dénominations les plus antiques de lieux, de peuples, d’individus, appartiennent exclusivement à cette langue. Si l’on veut suivre ses vestiges par le moyen des nomenclatures géographique et historique, on trouve qu’elle a régné dans toute la basse Écosse, et dans l’Angleterre, d’où elle paraît avoir été expulsée par la langue kymrique ; on la reconnaît encore dans une portion du midi et dans tout l’est de la Gaule, dans la haute Italie, dans l’Illyrie, dans le centre et l’ouest de l’Espagne.

Mais, sur le continent, ce sont surtout les provinces orientales et méridionales de la Gaule qui portent l’empreinte manifeste du passage de cette langue ; ce n’est qu’à l’aide du glossaire gallique qu’on peut découvrir la signification des noms géographiques, ou de dignités, d’institutions, d’individus, appartenant à la population primitive de ce pays. De plus, nos patois actuels de l’est et du midi fourmillent de mots étrangers au latin et qu’on reconnaît être des mots de la langue gallique.

On peut induire de ces faits :

1° Que la race parlant le gallic a occupé, dans des temps reculés, les îles Britanniques et la Gaule, et de ce foyer s’est répandue dans plusieurs cantons de l’Italie, de l’Espagne et de l’Illyrie.

2° Qu’elle a précédé dans l’île de Bretagne la race parlant le kymric.

Mais ce nom de Gall n’était rien moins qu’inconnu à l’antiquité ; sous la forme latine de Gallas, sous la forme grecque de Galatès[4] il est inscrit dans les annales de tous les peuples anciens ; il y désigne génériquement les habitants de la Gaule d’où partirent à différentes fois des émigrations nombreuses en Italie, en Illyrie, en Espagne. D’après ces rapprochements, il serait difficile de ne pas reconnaître l’identité des deux noms, et par conséquent des deux peuples ; et de ne pas regarder la race des Galls, parlant aujourd’hui la langue gallique, comme un reste de l’une des races dont se composait l’ancienne population gauloise.

III — De la langue kymrique.

La province de l’île de Bretagne, appelée pays ou principauté de Galles, est habitée, comme on sait, par un peuple qui porte dans sa langue maternelle le nom de Cynmri[5] ou Kymri, et depuis les temps les plus reculés, n’en a jamais reconnu d’autre. Des monuments littéraires authentiques attestent que cette langue, le cynmraig ou kymric, était cultivée avec un grand éclat dès le sixième siècle de notre ère, non seulement dans les limites actuelles de la principauté de Galles, mais tout le long de la côte occidentale de l’Angleterre, tandis que les Anglo-Saxons, population germanique, occupaient par conquête le centre et l’est. L’examen des nomenclatures géographique et historique de la Bretagne antérieures à l’arrivée des Germains prouve aussi qu’avant cette époque le kymric régnait dans tout le midi de l’île, où il avait succédé au gallic relégué dans le nord.

J’ai dit tout à l’heure que le bas-breton ou armoricain, parlé dans une partie de la Bretagne française, était un dialecte kymrique. Le mélange d’un grand nombre de mots latins et français a altéré, il est vrai, ce dialecte ; mais les témoignages historiques font foi qu’au cinquième siècle, il était presque identiquement le même que celui de l’île de Bretagne, puisque les insulaires, réfugiés dans l’Armorike, pour échapper à l’invasion des Angles, y trouvèrent, disent les contemporains, des peuples de leur langage[6]. Les noms tirés de la géographie et de l’histoire démontrent en outre que le même idiome avait été bien parlé antérieurement au cinquième siècle dans tout l’ouest et le nord de la Gaule. Ce pays ainsi que le midi de l’île de Bretagne auraient donc été peuplés anciennement par la race parlant le kymric. Mais quel est le nom générique de cette race ? est-ce Armorike ? est-ce Breton ? Armorike, qui signifie maritime, est une dénomination locale et non générique ; Breton, paraît n’être qu’un nom particulier de tribu[7] ; nous adopterons donc provisoirement comme le vrai nom de cette race celui de Kymri, qui, dès le sixième siècle, la désignait déjà dans l’île de Bretagne.

Je dois consacrer quelques lignes aux rapports mutuels des deux idiomes kymrique et gallique, considérés toujours sous le point de vue de l’histoire. Ne pouvant présenter ici que des résultats généraux et très sommaires, je dirai, sans m’engager dans aucun examen de détail, que le fond de tous deux est le même, qu’ils dérivent sans nul doute d’une langue mère commune ; mais qu’à côté de cette similitude frappante dans les racines et dans le système général de la composition des mots on remarque de grandes différences dans le système grammatical, différences essentielles qui constituent deux langues bien séparées, bien distinctes quoique sœurs, et non pas seulement deux dialectes de la même langue.

Il me reste à ajouter que le gallic et le kymric appartiennent à cette grande famille de langues dont les philologues placent la source dans le sanscrit, idiome sacré de l’Inde.

Les inductions historiques qui découlent de cet examen des langues peuvent se résumer ainsi :

1° Une population ibérienne distincte de la population gauloise habitait plusieurs cantons du midi de la Gaule, sous les noms d’Aquitains et de Ligures.

2° La population gauloise proprement dite se subdivisait en Galls et en Kymri.

3° Les Galls avaient précédé les Kymri sur le sol de l’île de Bretagne et probablement aussi sur celui de la Gaule.

4’ Les Galls et les Kymri formaient deux races appartenant à une seule et même famille humaine.

 

SECTION II — PREUVES TIRÉES DES HISTORIENS GRECS ET ROMAINS.

I — Peuples gaulois transalpins.

César reconnaît dans toute l’étendue de la Gaule, non compris la province narbonnaise, trois peuples divers de langue, d’institutions et de lois[8], savoir : les Aquitains (Aquitani) qui habitent entre les Pyrénées et la Garonne ; les Belges (Belgæ) qui occupent le nord depuis le Rhin jusqu’à la Marne et à la Seine ; et les Galls (Galli) appelés aussi Celtes (Celtæ) établis dans le pays intermédiaire. Il donne à ces trois peuples pris en masse la dénomination collective de Galli, qui, dans ce cas, n’est plus qu’un nom géographique et de territoire, correspondant au mot français Gaulois.

Strabon adopte la division de César, mais avec un changement important. Au lieu de limiter comme lui la Belgique au cours de la Seine, il y ajoute sous le nom de Belges parocéanites[9], ou maritimes, toutes les tribus établies entre l’embouchure de ce fleuve et celle de la Loire et désignées dans la géographie gauloise par le nom d’armorikes, qui signifie pareillement maritimes et dont parocéanites parait n’être que la traduction grecque. Le sentiment de Strabon sur ces matières mérite une attention sérieuse ; car ce grand géographe ne connaissait pas seulement les auteurs romains qui avaient écrit sur la Gaule, mais il puisait encore dans les voyages de Posidonius, et dans les travaux des savants de Massalie (l’ancienne Marseille). Au reste ces deux opinions sur les peuples appelés Belges, peuvent très bien se concilier, comme nous nous réservons de le démontrer plus tard.

Les géographes des temps postérieurs, Méla, Pline, Ptolémée, etc., se conforment aux divisions soit ethnographique donnée par César, soit administrative tracée par Auguste après la réduction de la Gaule en province romaine.

Dans tout ceci la Narbonnaise n’est point comprise or nous trouvons dans les écrivains anciens qu’elle contenait, outre des Celtes ou Galls, des Ligures, étrangers aux Gaulois[10], et des Grecs phocéens composant la population de Massalie, et de ses établissements.

Il existait donc dans la population indigène de la Gaule (car les Massaliotes ne doivent point trouver place ici) quatre branches différentes, 1° les Aquitains, 2° les Ligures, 3° les Galls ou Celtes, 4° les Belges. Nous allons passer en revue chacun d’eux successivement.

1° Aquitains.

Les Aquitains, dit Strabon, diffèrent essentiellement de la race gauloise, non seulement par le langage, mais par la constitution physique ; ils ressemblent plus aux Ibères qu’aux Gaulois[11]. Il ajoute que le contraste de deux peuplades gauloises enclavées dans l’Aquitaine faisait ressortir d’autant plus vivement la différence tranchée des races. Suivant César, les Aquitains avaient, outre un idiome particulier, des institutions particulières, or, les faits historiques nous montrent que ces institutions avaient, pour la plupart, le caractère ibérien ; que le vêtement national était ibérien ; qu’il y avait des liens plus étroits d’amitié et d’alliance entre les tribus aquitaniques et les Ibères qu’entre ces tribus et les Gaulois, dont la Garonne seule les séparait ; enfin que leurs vertus et leurs vices rentrent tout à fait dans cette mesure de bonnes et de mauvaises dispositions naturelles qui paraît constituer le type moral ibérien[12].

Nous trouvons donc une première concordance entre les preuves historiques et les preuves tirées de l’examen des langues : les Aquitains étaient, sans aucun doute, une population ibérienne.

2° Ligures.

Les Ligures, que les Grecs nommaient Ligyes, sont signalés par Strabon comme étrangers à la Gaule. Sextus Aviénus, qui travaillait sur les documents scientifiques laissés par les Carthaginois et devait avoir par conséquent de grandes lumières touchant l’ancienne histoire de l’Ibérie, place le séjour primitif des Ligures dans le sud-ouest de l’Espagne, d’où les avait chassés, après de longs combats, l’invasion de Celtes conquérants[13]. Étienne de Byzance place aussi dans le sud-ouest de l’Espagne, près de Tartesse, une ville des Ligures qu’il appelle Ligystiné. Thucydide nous montre ensuite les Ligures, expulsés du sud-ouest de la Péninsule, arrivant au bord de la Sègre, sur la côte orientale, et chassant à leur tour les Sicanes[14] : il ne donne pas ceci comme une simple tradition, mais comme un fait incontestable ; Éphore et Philiste de Syracuse tenaient le même langage dans leurs écrits, et Strabon croit à l’origine ibérienne des Sicanes. Les Sicanes, chassés de leur pays, franchissent les passages orientaux des Pyrénées, traversent le littoral gaulois de la Méditerranée, et entrent en Italie. Il faut bien que les Ligures les aient suivis, puisqu’ils se trouvent presque aussitôt répandus à demeure sur toute la côte gauloise et italienne depuis les Pyrénées jusqu’à l’Arno, et probablement plus bas encore.

Nous savions par le témoignage unanime des écrivains anciens, que l’ouest et le centre de l’Espagne avaient été conquis par les Celtes ou Galls ; mais nous ignorions l’époque et la marche de cette conquête. Les mouvements des Sicanes et des Ligures nous révèlent que l’invasion se fit par les passages occidentaux des Pyrénées, et que les peuples ibériens refoulés sur la côte orientale débordèrent de leur côté en Gaule et jusqu’en Italie. Ils nous fournissent aussi la date approximative de l’événement : les Sicanes, expulsés de l’Italie comme ils l’avaient été de l’Espagne, s’emparèrent de la Sicile vers l’an 1400[15], ce qui place l’irruption des Celtes en Ibérie vers le seizième siècle avant notre ère.

Bien que l’origine ibérienne des Ligures, d’après ce qui précède, soit, ce me semble, mise hors de doute, il faut avouer qu’ils ne portent pas dans leurs mœurs le caractère ibérien aussi fortement empreint que les Aquitains : c’est qu’ils ne sont point restés aussi purs. L’histoire nous parle de puissantes tribus celtiques mêlées parmi eux dans la Celto-Ligurie, entre les Alpes et le Rhône ; plus tard même Ibéro-Ligurie, entre le Rhône et l’Espagne, fut subjuguée presque tout entière par un peuple étranger aux Ligures, et portant le nom de Volkes.

La date de cette invasion des Volkes dans l’Ibéro-Ligurie (aujourd’hui le Languedoc), ne saurait être fixée avec précision. Les plus anciens récits soit mythologiques, soit historiques, et les périples jusqu’à celui de Scyllax, qui parait avoir été écrit vers l’an 350 avant notre ère, ne font mention que de Ligures Élésykes, Bébrykes et Sordes dans tout ce canton ; les Élésykes sont même représentés comme une nation puissante, dont la capitale Narbo ou Narbonne florissait par le commerce et les armes. Vers l’année 281, les Volkes Tectosages, habitant le haut Languedoc, sont signalés tout à coup et pour la première fois, à propos d’une expédition qu’ils envoient en Grèce[16] ; vers l’année 218, lors du passage d’Annibal, les Volkes Arécomikes, habitant le bas Languedoc, sont cités[17] aussi comme un peuple nombreux qui faisait la loi dans tout le pays : c’est donc entre 340 et 281 qu’il convient de placer l’arrivée des Volkes et la conquête de l’Ibéro-Ligurie.

Les manuscrits de César portent indifféremment Volcœ ou Volgœ en parlant de ces Volkes ; Ausone énonce que le nom primitif des Tectosages était Bolgæ[18], et Cicéron les appelle Belgæ[19]. Dans leur expédition en Grèce, ils avaient un chef nommé par les historiens tantôt Belgius, tantôt Bolgius. Saint Jérôme rapporte que l’idiome de leurs colons établis dans l’Asie-Mineure, en Galatie[20], était encore de son temps le même que celui de Trèves, capitale des Belges, et saint Jérôme avait voyagé dans les Gaules et dans l’Orient. D’après cela, il n’est guère permis de douter que les Volkes ne fussent Belges ou plutôt que les deux noms n’en fissent qu’un ; et le détail de leur histoire, car ils jouèrent un grand rôle dans les affaires de la Gaule, fournit nombre de preuves à l’appui de leur origine belgique. Il faut donc retrancher ce peuple de la population ligurienne avec laquelle il n’a rien de commun.

En résumé, les Ligures sont des Ibères; seconde concordance de l’histoire avec les inductions philologiques.

Ainsi il ne reste donc, comme contenant les éléments de la population gauloise proprement dite, que les Galls ou Celtes, et les Belges.

3° Celtes.

Je n’ai pas besoin de démontrer l’identité des Celtes et des Galls, elle est donnée comme telle par tous les écrivains anciens ; mais j’ai à rechercher quelle est la signification du mot Celte, sa véritable acception, ainsi que l’origine de sa synonymie prétendue avec le nom générique des peuples galliques.

D’abord, César nous apprend qu’il est tiré de la langue des Galls[21] : et en effet, il appartient à l’idiome gallique actuel, dans lequel ceilt et ceiltach veulent dire un habitant des forêts[22]. Cette signification fait présumer que ce nom était local, et s’appliquait soit à une tribu, soit à une confédération de tribus occupant certains cantons ; qu’il avait par conséquent un sens spécial et restreint : en effet les noms des grandes confédérations galliques étaient pour la plupart locaux, et appartenaient à un système général de nomenclature que nous développerons tout à l’heure.

Le témoignage formel de Strabon vient confirmer cette hypothèse. Il dit que les Gaulois de la province narbonnaise étaient appelés autrefois Celtes ; et que les Grecs, principalement les Massaliotes, étant entrés en relation avec eux avant de connaître les autres peuples de la Gaule, prirent par erreur leur nom pour le nom commun de tous les Gaulois[23]. Quelques-uns même, Éphore entre autres, l’étendant hors des limites de la Gaule, en firent une dénomination géographique qui comprenait toutes les races de l’occident[24]. Malgré ces fausses idées qui jettent beaucoup d’obscurité dans les récits des Grecs, plusieurs écrivains de cette nation parlent des Celtes dans le sens restreint et spécial qui concorde avec l’opinion de Strabon. Polybe les place autour de Narbonne[25] ; Diodore de Sicile au-dessus de Massalie, dans l’intérieur du pays, entre les Alpes et les Pyrénées[26] ; Aristote au-dessus de l’Ibérie[27] ; Denys le Périégète par-delà les sources du Pô[28]. Enfin, un savant commentateur grec de Denys, Eustathe relève l’erreur vulgaire qui attribuait à toute la Gaule le nom d’un seul canton. Toutes vagues qu’elles sont, ces désignations paraissent bien spécifier le pays situé entre la frontière ligurienne à l’est, la Garonne au midi, le plateau des monts Arvernes à l’ouest et au nord l’Océan ; tout ce pays et la côte même de la Méditerranée, si aride aujourd’hui, frirent longtemps encombrés d’épaisses forêts[29]. Plutarque place en outre entre les Alpes et les Pyrénées, dans les siècles les plus reculés, un peuple appelé Celtorii[30], dont il n’est plus parlé par la suite. Ce peuple aurait donc fait partie de la ligue des Celtes ; or, tor signifie élevé et montagne, et Celt-tor, habitant des montagnes boisées. Il paraîtrait de là que la confédération celtique, au temps de sa puissance, se subdivisait en Celtes de la plaine et Celtes de la montagne. Cette faculté de modifier en composition la valeur du mot Celte serait une nouvelle preuve que c’était une dénomination locale et nullement générique.

Les historiens nous disent unanimement que ce furent les Celtes qui conquirent l’ouest et le centre de l’Espagne ; et en effet leur nom se trouve attaché à de grandes masses de population gallo-ibérienne, telles que les Celt-Ibères[31], mélange de Celtes et d’Ibères qui occupaient le centre de la Péninsule, et les Celtici[32] qui s’étaient emparés de l’extrémité sud-ouest. Il était tout simple que l’invasion commençât par les peuples gaulois les plus voisins des Pyrénées ; mais la confédération celtique n’accomplit pas seule cette conquête, et d’autres tribus galliques l’accompagnèrent ou la suivirent, témoin le peuple appelé Gallæc ou Gallic établi dans l’angle nord-ouest de la presqu’île, et qui, comme on sait, appartenait aux races gauloises[33]. Voilà ce qu’on remarque en Espagne. Pour la haute Italie, quoique inondée deux fois par les peuples transalpins, elle ne présente aucune trace du nom de Celte ; aucune tribu, aucun territoire, aucun fleuve, ne le rappelle : c’est toujours et partout le nom de Galls. Le mot Celtœ ne fut connu des Romains que très tard, et encore rejetèrent-ils l’acception exagérée que lui donnaient généralement les écrivains grecs.

Quant à l’assertion de César que les Galls s’appelaient Celtes dans leur propre langue, il est possible que le conquérant qui s’occupait beaucoup plus de battre les Gaulois que de les étudier, trouvant qu’en effet le mot Celte était gallique, et reconnu des Galls pour une de leurs dénominations nationales, sans plus chercher, ait conclu à la synonymie complète des deux noms. Il se peut encore que les Galls de l’est et du centre eussent adopté dans leurs rapports de commerce et de politique avec les Grecs un nom sous lequel ceux-ci avaient l’habitude de les désigner ; ainsi que nous voyons de nos jours les tribus indigènes de l’Amérique et de l’Afrique accepter, en de semblables circonstances, des noms inexacts, ou qui leur sont même tout à fait étrangers.

Il me semble résulter de ce qui précède: 1° que le mot Celte avait chez les Galls une acception bornée et locale ; 2° que la confédération des tribus dites celtique habitait en partie parmi les Ligures, en partie entre les Cévennes et la Garonne, le plateau Arverne et l’Océan ; 3° que c’est à tort, mais par une erreur facile à comprendre, que ce mot est devenu chez les Grecs synonyme de gaulois et d’occidental ; chez les Romains synonyme de Gall ; 4° que la confédération celtique paraît s’être épuisée dans la conquête de l’Espagne, ne jouant plus aucun règle dans deux invasions successives de l’Italie.

J’ai avancé plus haut que le mot Celtes, signifiant hommes ou tribus des forêts, et appliqué à une confédération de tribus galliques, n’avait rien d’étrange, si on le compare aux dénominations des autres ligues de la même race ; et j’ai parlé d’un système général de nomenclature suivi à cet égard par les Galls ; je dois à mes lecteurs quelques explications.

Les Germains, comme tout le monde sait, prenaient pour base de leurs divisions de territoire les grandes divisions célestes : partout où ils se fixaient à demeure, ils établissaient soit des ligues soit des royaumes de l’est, de l’ouest, du nord, du sud-est, etc. Les Galls au contraire se réglaient sur les divisions physiques du sol, la mer, les montagnes, les plaines, les forêts déterminaient leurs provinces et entraient dans les dénominations de leurs ligues. Partout où cette race voyageuse a porté ses pas, les mots d’Alpes, hautes montagnes, d’Albanie, région des montagnes, de penn et apenn, pics, cenn, sommets, tor, élevé, etc., et les noms d’habitation en dunn qui indique une hauteur, mag qui indique une plaine, dur et av qui indiquent de l’eau, y révèlent son passage. En voici des exemples.

L’Écosse était divisée dès la plus haute antiquité en Albanie, région des montagnes, Maïatie (Mag-aite), région des plaines, et Calédonie ou plutôt Celtique[34], région des forêts, et trois ligues de tribus portaient des noms correspondants. La même division subsiste encore aujourd’hui, mais les immenses forêts Grampiennes ayant disparu en grande partie, il ne reste plus que l’Albainn et le Mag-thir.

La haute Italie fut conquise une première fois par les Galls sous le nom militaire d’Ombres ; et nous trouvons dans l’ancienne géographie de la presqu’île ces trois divisions de l’Ombrie : Oll-Ombrie, haute Ombrie, Is-Ombrie, basse Ombrie, et Vil-Ombrie, Ombrie littorale.

La Gaule offre une multitude exemples de ces divisions et de leurs noms donnés à des ligues de peuples : devant y revenir souvent dans le cours de mon ouvrage, je ne citerai ici que quelques-uns des principaux.

Les nations du littoral de l’Océan forment une ligue sous le nom d’Armorikes, maritimes : ar, sur ; muir, moir, la mer.

Le grand plateau de l’Auvergne, l’Arvernie ou la haute habitation (Ar, all, haut ; fearann, verann, pays habité), renferme la ligue célèbre des tribus Arvernes.

La ligue nombreuse des peuples des Alpes, comprend, sous la dénomination collective de nations Alpines, les subdivisions suivantes : 1° tribus Pennines ou des pics, habitant le grand Saint-Bernard et les vallées environnantes ; 2° tribus Craighes ou des rocs (Craig, roc) ; on sait que le petit Saint-Bernard et les monts voisins portaient autrefois le nom d’Alpes Graïæ, ou Græcœ ; 3° Allobroges ou tribus des hauts villages (all, haut ; bruig, village ; bru et bro, lieu), etc.

Il ne serait donc point étonnant que les Cévennes et les fertiles campagnes du haut Languedoc et de la Guyenne eussent été le séjour d’une confédération de tribus des forêts, se subdivisant suivant la localité en Celtes de la plaine et en Celtors ou Celtes de la montagne.

4° Belges.

César affirme que les Belges différaient des Galls par leur langue, leurs mœurs et leurs institutions[35] ; Strabon le répète après lui[36]. César ajoute que plusieurs des tribus belges étaient issues des Germains, et en effet, de son temps, les invasions germaniques en Gaule avaient déjà commencé : ces tribus, il les nomme ; elles sont peu nombreuses, restreintes à quelques cantons riverains du Rhin, et comprises sous la dénomination collective de Germains cis-rhénans[37] ; mais cette exception, même prouve que la masse des peuples belges était étrangère à la race teutonique.

Les Belges sont reconnus unanimement par les écrivains anciens, comme Gaulois, formant avec les Galls, improprement appelés Celtes, la population de sang gaulois.

Le mot de Belges appartient à l’idiome Kymrique, où sous la forme Belgiaidd, dont le radical est Belg, il signifie belliqueux : il paraît donc n’être point un nom générique, mais un titre d’expédition militaire, de confédération armée. Il est étranger[38] à l’idiome des Galls, mais non à leurs traditions nationales encore subsistantes où les Bolg ou Fir-Bolg jouent un rôle important, comme conquérants venus des embouchures du Rhin dans l’ancienne Irlande. Nous ferons remarquer en passant que la forme Bolg et son aspirée Bholg, rappellent cette colonie belge fixée parmi les Galls du Rhône et des Cévennes, sous les noms de Bolgœ, et Volcœ.

Le nom de Belges était inconnu aux anciens auteurs grecs ; il paraît récent en Gaule ; du moins si on le compare aux noms de Galls, de Celtes, de Ligures, etc.

Des Belges s’établirent, comme on sait, sur la côte méridionale de l’île de Bretagne, au milieu de peuples bretons qui n’étaient point Galls, car la race gallique était alors refoulée à l’extrémité septentrionale, par-delà le golfe du Forth. Ni César ni Tacite n’ont remarqué aucune différence d’origine ou de langage entre ces Bretons et les Belges ; les noms personnels et locaux dans les cantons habités par les uns et par les autres appartiennent d’ailleurs à la même langue, qui est le kymric.

En Gaule, César a donné pour limite méridionale aux Belges la Seine et la Marne. Strabon ajoute à cette première Belgique une seconde qu’il nomme Parocéanite ou Maritime, et qui comprend les peuples situés à l’ouest, entre l’embouchure de la Seine et celle de la Loire, c’est-à-dire les peuples que César et les autres écrivains romains appellent Armorikes, d’un nom gaulois qui signifie pareillement Maritimes[39]. Sans doute, le témoignage de César n’est pas aisément contestable dans ce qui regarde la Gaule. D’un autre côté Strabon connaissait les ouvrages des Massaliotes, il avait médité les récits de Posidonius, ce Grec célèbre qui avait parcouru la Gaule, du temps de Marius, en érudit et en philosophe[40]. Il fallait qu’il y eût entre les Armorikes et les Belges un grand nombre de ressemblances pour que Posidonius et Strabon déclarassent y voir une même race ; il fallait aussi qu’il y eût des différences bien marquées pour que César en fit deux peuples. L’examen des faits de l’histoire nous montre les Armorikes établis en confédération politique indépendante, mais, dans le cas de guerres et d’alliances générales, se rattachant bien plus volontiers à la confédération des Belges qu’à celle des Galls. L’examen des faits philologiques nous montre que la même langue était parlée dans la Belgique de César et dans celle de Strabon. On peut donc conclure hardiment que les Armorikes et les Belges étaient deux peuples ou confédérations de la même race, arrivés en Gaule à deux époques différentes ; et en thèse plus générale :

1° Que le nord et l’ouest de la Gaule et le midi de l’île de Bretagne jusqu’au Forth étaient peuplés par une seule et même race formant la seconde branche de la population gauloise proprement dite.

2° Que la langue de cette race était celle dont les débris se conservent dans deux cantons de l’ancienne Armorike et de l’île de Bretagne.

3° Que le nom générique de la race nous est encore inconnu historiquement, à ce point de nos recherches ; mais que la philologie nous révèle que ce nom doit être celui de Kymri.

II — Peuples gaulois d’Italie.

Les plus accrédités des érudits romains qui travaillèrent sur les origines italiques, reconnurent deux conquêtes bien distinctes de la haute Italie par des peuples sortis de la Gaule. Ils faisaient remonter la plus ancienne aux époques les plus reculées de l’Occident, et désignèrent ces premiers conquérants transalpins sous le nom de vieux Gaulois, veteres Galli, afin de les distinguer des transalpins de la seconde conquête. Celle-ci, plus récente, est mieux connue ; on en a les dates bien précises : on sait qu’elle commença l’an 587 avant notre ère, sous la conduite du Biturige Bellovèse, et qu’elle continua par l’invasion successive de quatre autres bandes, dans un espace de soixante-six ans.

Première conquête. — Ces vieux Gaulois, suivant les auteurs dont nous parlons, étaient les ancêtres du peuple des Ombres qui habitait, comme on sait, au temps de la puissance des Romains, les deux revers de l’Apennin, entre le Picenum et l’Étrurie ; et le fait était donné comme positif. Cornélius Bocchus, affranchi lettré de Sylla, est cité par Solin comme l’ayant soutenu et prouvé[41]. C’était aussi l’opinion du fameux M. Antonius Gnipho[42], précepteur de Jules César, et qui, né dans la Gaule Cisalpine, avait probablement apporté un soin particulier à ce qui concernait sa nation ; Isidore l’adopta dans son ouvrage sur les Origines[43] ; ainsi firent Solin et Servius. L’érudition hellénique s’en empara aussi, malgré une étymologie fort populaire en Grèce bien qu’absurde, laquelle faisait dériver le mot Ombre du grec ombros, plaie, parce que, disait-on, la nation ombrienne avait échappé à un déluge.

Les Ombres étaient regardés comme un des plus anciens peuples de l’Italie[44] : ils chassèrent, après de longs et sanglants combats, les Sicules des plaines circumpadanes ; or les Sicules étant passés en Sicile vers l’an 1364, l’invasion ombrienne a dû avoir lieu dans le cours du quinzième siècle. Ils devinrent très puissants, car leur empire s’étendit d’une mer à l’autre, jusqu’aux embouchures du Tibre et du Trento. L’arrivée des Étrusques mit fin à leur vaste domination.

Les mots Umbri, Ombri, Ombriki, par lesquels les Romains et les Grecs désignaient ce peuple, paraissent bien n’avoir été autres que le mot gallique Ambra ou Amhra, qui signifie vaillant, noble, et aurait été tout à fait approprié comme titre militaire à une expédition envahissante. On trouve encore le nom d’Ambres ou Ambrons (Ambro, onis ; Αμβρων, Αμβρωνος) appliqué à des tribus qui se rattachent à la souche ombrienne.

La division géographique établie par les Ombres dans leur empire n’est pas seulement conforme aux coutumes des nations galliques, elle appartient à leur langue. L’Ombrie était partagée en trois provinces : l’Oll-Ombrie, ou haute Ombrie, qui comprenait le pays montagneux situé entre l’Apennin et la mer Ionienne ; l’Is-Ombrie, ou basse Ombrie, que formaient les plaines circumpadanes ; enfin la Vil-Ombrie, ou Ombrie littorale : ce fut plus tard l’Étrurie.

Quoique l’influence étrusque changeât rapidement la langue, la religion, l’ordre social des Ombres, il se conserva pourtant parmi les montagnards de l’Oll-Ombrie des restes marquants du caractère et des coutumes des Galls ; par exemple le gais, arme d’invention et de nom galliques, fut toujours l’arme nationale du paysan ombrien.

Les Ombres, dispersés par les conquérants étrusques furent accueillis comme des frères devaient l’être sur les bords de la Saône, et parmi les tribus helvétiennes, où ils perpétuèrent leur nom d’Isombres[45]. D’autres trouvèrent l’hospitalité parmi les Ligures des Alpes maritimes[46], et y portèrent aussi leur nom d’Ambres ou Ambrons. Ce fait peut seul expliquer un autre fait important qui a beaucoup tourmenté les historiens, et donné lieu à vingt systèmes contradictoires, savoir : qu’une tribu des Alpes Liguriennes et une tribu de l’Helvétie, se faisant la guerre sous les drapeaux opposés de Rome et des Cimbres, se trouvèrent avoir le même nom et le même cri de guerre, et en furent très étonnées[47].

De ce qui précède me parait résulter le fait que l’Italie supérieure fut conquise dans le quinzième siècle avant notre ère par une confédération de tribus galliques portant le nom d’Ambra.

Deuxième conquête. — Tandis que la première invasion s’était opérée en masse, avec ordre, par une seule confédération, la seconde fut successive et tumultueuse : durant soixante-six années, la Gaule versa sa population sur l’Italie, par les Alpes maritimes, par les Alpes Graïes, par les Alpes Pennines. Si l’on fait attention, en outre, qu’à la même époque (587) une émigration non moins considérable avait lieu de Gaule en Illyrie, sous la conduite de Sigovèse, on n’hésitera pas à croire que de si grands mouvements tenaient à des causes plus sérieuses que cette fantaisie du roi Ambigat dont nous parle Tite-Live. La Gaule en effet présente dans toute cette période de temps les symptômes d’un pays qu’une violente invasion bouleverse.

Mais de quels éléments se composaient ces bandes descendues des Alpes pour envahir la haute Italie ?

Tite-Live fait partir de la Celtique, c’est-à-dire des domaines des Galls, les troupes conduites par Bellovèse et par Elitovius ; et l’énumération des tribus, telle que la donnent lui et Polybe, prouve en effet que le premier flot dut appartenir à la population gallique. Voilà ce que nous savons pour la Transpadane.

Il n’est personne qui n’ait entendu parler de ce combat fameux livré par T. Manlius Torquatus à un géant gaulois sur le pont de l’Anio. Vrai ou faux, le fait était très populaire à Rome ; la peinture ne manqua pas de s’en emparer, et la tête du Gaulois tirant la langue et faisant d’horribles grimaces, figura sur l’enseigne d’une boutique de banque située au forum ; l’enseigne, arrondie en forme de bouclier, portait le nom de Scutum cimbricum. Elle existait au-dessus de cette boutique dans l’année 586 de Rome, 167ème avant notre ère, ainsi qu’en fait foi une inscription des Fastes Capitolins, où il est dit : que le banquier de la maison à l’enseigne de l’Écu-cimbrique, Q. Aufidius, a fait banqueroute le 3 des calendes d’avril, et s’est enfui ; que, rattrapé dans sa fuite, il a plaidé devant le préteur P. Fontéius Balbus, qui l’a acquitté[48].

Ici le mot Cimbricum est employé comme synonyme de Gallicum ; il est appliqué aux Boïes, aux Sénons, aux Lingons, qui faisaient la guerre aux Romains à l’époque où dut se passer le duel vrai ou prétendu ; ces nations, établies en deçà du Pô, étaient donc connues populairement en Italie sous le nom de Cimbri ou Kimbri (en se conformant à la prononciation latine), quoique les historiens ne les désignent que par la dénomination géographique et classique de Galli, Gaulois, attendu qu’ils sortaient de la Gaule.

Lorsque, soixante-six ans après la date de l’inscription citée plus haut, et deux cent soixante après le combat de l’Anio auquel elle fait allusion, l’invasion de Cimbri venus du nord renouvela en Italie la terreur de ce nom et fournit à Marius deux triomphes célèbres ; le général vainqueur s’empara de l’écu cimbrique comme d’un emblème de circonstance, et se fit peindre un bouclier sur ce modèle populaire. Le bouclier cimbrique de Marius représentait, au rapport de Cicéron, un Gaulois[49] les joues pendantes, et la langue tirée. Le mot Cimbri désignait donc une des branches de la population gauloise, et cette branche avait des colonies dans la Cispadane ; mais nous avons déjà reconnu antérieurement l’existence de colonies galliques dans la Transpadane ; la population gauloise d’Italie était donc partagée en deux branches distinctes, les Galls et, les Cimbri ou Kimbri.

III — Gaulois transrhénans.

Première branche.

Nous avons parlé plus haut d’une double série d’émigrations commencées l’an 587 avant notre ère, sous la conduite de Bellovèse et de Sigovèse. Tite-Live nous apprend que l’expédition de Sigovèse partit de la Celtique, et que son chef était neveu du Biturige Ambigat, qui régnait sur tout ce pays, ce qui signifie que Sigovèse et ses compagnons étaient des Galls. Le même historien ajoute qu’ils se dirigèrent vers la forêt Hercynienne[50] : cette désignation est très vague, mais nous savons par Trogue-Pompée qui, né en Gaule, puisait à des traditions plus exactes et plus précises, que ces Galls s’établirent dans l’Illyrie et la Pannonie[51]. Les historiens et les géographes nous montrent en effet une multitude de peuplades ou galliques ou gallo-illyriennes répandues entre le Danube, la mer Adriatique et les frontières de l’Épire, de la Macédoine et de la Thrace. De ce nombre sont les Carnes[52], habitants des Alpes Carnikes, à l’orient de la grande chaîne alpine (Carn rocher) ; les Tauriskes (Taur ou Tor, élevé, montagne), nation gallique pure[53], et les Iapodes[54], nation gallo-illyrienne qui occupait les vallées de la Carinthie et de la Styrie ; les Scordiskes, qui tenaient les alentours du mont Scordus, et dont la puissance fut redoutable même aux Romains. Des terminaisons fréquentes en dunn, mag, dur, etc., des montagnes nommées Alpius et Albius, la contrée appelée Albanie, enfin un grand nombre de mots galliques dans l’albanais actuel, sont autant de preuves de plus du séjour des Galls dans ce pays.

On trouvait en outre en deçà du Danube les Boïes du Norique, ancêtres des Bavarois ; ils n’avaient rien de commun avec les colonies galliques ; on sait qu’ils venaient de l’Italie cispadane, et étaient un malheureux reste des Boïes-Kimbri accablés et chassés par les armes des Romains.

Seconde branche.

Des témoignages historiques qui remontent aux temps d’Alexandre le Grand attestent l’existence d’un peuple appelé Kimmerii ou Kimbri sur les bords de l’océan septentrional dans la presqu’île qui porta plus tard la dénomination de Jutland. Et d’abord les critiques reconnaissent l’identité des noms Kimmerii et Kimbri, conformes l’un et l’autre au génie différent des langues grecque et latine. Les Grecs, dit Strabon d’après Posidonias, appelaient Kimrnerii ceux que maintenant on nomme Kimbri[55]. Plutarque ajoute que ce changement n’a rien qui surprenne[56] ; Diodore de Sicile l’attribue au temps[57], et adopte sur ce point l’opinion générale des érudits grecs.

Le plus ancien écrivain qui fasse mention de ces Kimbri est Philémon, contemporain d’Aristote : suivant lui, ils appelaient leur océan Mori-Marusa, c’est-à-dire Mer-Morte, jusqu’au promontoire Rubéas ; au-delà ils le nommaient Cronium[58]. Ces deux mots s’expliquent sans difficulté par la langue kymrique : mór y signifie mer, marw, mourir, marwsis, mort ; et crwnn, coagulé, gelé ; en gallic, cronn a la même valeur ; Murchroinn la mer glaciale[59].

Ephore, qui vivait à la même époque, connaissait les Kimbri et leur donne le nom de Celtes ; mais dans son système géographique, cette dénomination très vague désigne tout à la fois un Gaulois et un habitant de l’Europe occidentale[60].

Lorsque, entre les années 113 et 101 avant notre ère, un déluge de Kimbri ou Cimbres vint désoler la Gaule, l’Espagne et l’Italie, la croyance générale fut qu’ils sortaient des extrémités de l’occident, des plages glacées de l’océan du Nord, de la Chersonèse kimbrique, des bords de la Thétis kimbrique[61].

Du temps d’Auguste, des Kimbri occupaient au-dessus de l’Elbe une portion du Jutland ; et ils se reconnaissaient pour les descendants de ceux qui, un siècle auparavant, avaient commis tant de ravages. Effrayés des conquêtes des Romains au-delà du Rhin, et leur supposant des projets de vengeance contre eux, ils adressèrent à l’empereur une ambassade pour obtenir leur pardon[62].

Strabon, qui nous rapporte ce fait, et Méla après lui, placent les Kimbri au nord de l’Elbe[63] ; Tacite les y retrouve de son temps : Aujourd’hui, dit-il, ils sont petits par le nombre, quoique grands par la renommée ; mais des camps et de vastes enceintes sur les deux rives font foi de leur ancienne puissance et de la masse énorme de leurs armées[64].

Pline donne une bien plus grande extension à ce mot de Kimbri ; il semble en faire un nom générique : non seulement il reconnaît des Kimbri dans la presqu’île jutlandaise, mais il place encore des Kimbri méditerranées[65] dans le voisinage du Rhin, comprenant sous cette appellation commune des tribus qui portent dans les autres géographes des noms particuliers très divers.

Ces Kimbri habitants du Jutland et des pays voisins étaient regardés généralement comme Gaulois, c’est-à-dire comme appartenant à l’une des deux races qui occupaient alors la Gaule ; Cicéron, parlant de la grande invasion des Kimbri que nous nommons Cimbres, dit à plusieurs reprises, que Marius a vaincu des Gaulois[66] ; Salluste énonce que le consul Q. Cæpion, défait par les Cimbres, le fût par des Gaulois[67] ; la plupart des écrivains postérieurs tiennent le même langage[68] ; enfin le bouclier cimbrique de Marius portait la figure d’un Gaulois. Il faut ajouter que Céso-rix, Boïo-rix, Clôd[69], etc., noms des chefs de l’armée cimbrique, ont toute l’apparence de noms gaulois.

Quand on lit les détails de cette terrible invasion, on est frappé de la promptitude et de la facilité avec laquelle les Cimbres et les Belges s’entendent et se ménagent, tandis que toutes les calamités se concentrent sur la Gaule centrale et méridionale. César rapporte que les Belges soutinrent vigoureusement le premier choc, et arrêtèrent ce torrent sur leur frontière ; cela se peut, mais on les voit tout aussitôt pactiser ; ils cèdent aux envahisseurs une de leurs forteresses, Aduat, pour y déposer leurs bagages ; les Cimbres ne laissent à la garde de ces bagages, qui composaient toute leur richesse, qu’une garnison de six mille hommes, et continuent leurs courses ; ils étaient donc bien sûrs de la fidélité des Belges. Après leur extermination en Italie, la garnison cimbre d’Aduat n’en reste pas moins en possession de la forteresse et de son territoire et devient une tribu belgique. Lorsque les Cimbres vont attaquer la province Narbonnaise, ils font alliance tout aussitôt avec les Volkes-Tectosages, colonie des Belges, tandis que leurs propositions sont encore repoussées avec horreur par les autres peuples gaulois. Ces faits et beaucoup d’autres prouvent que s’il y avait communauté d’origine et de langage entre les Kimbri et l’une des races de la Gaule, c’était plutôt la race dont les Belges faisaient partie, que celle des Galls. Un mot de Tacite jette sur la question une nouvelle lumière. Il affirme que les Æstii, peuplade limitrophe des Kimbri, sur les bords de la Baltique, et suivant toute probabilité appartenant elle-même à la race kimbrique, parlaient un idiome très-rapproché du breton insulaire[70] : or nous avons vu que la langue des Bretons était aussi celle des Belges et des Armorikes.

Mais les cantons voisins de l’Elbe et du Rhin ne renfermaient pas tous les peuples transrhénans portant la dénomination générique de Kimbri. Les fertiles terres de la Bohême étaient habitées par la nation gauloise[71] des Boïes, dont le nom, d’après l’orthographe grecque et latine, prend les formes de Boïi, Boghi, Boghii et Boci ; or Bwg et Bug, en langue kymrique, signifient terrible, et leur radical est Bw, la peur. De plus, nous avons signalé tout à l’heure en Italie un peuple des Boïes, prenant le nom générique de Kimbri et paraissant être une colonie de ces Boïes transrhénans. On peut donc hardiment voir, dans les Boïes de la Bohême une des confédérations de la race kimbrique.

Tous les historiens attribuent à une armée gauloise l’invasion de la Grèce, dans les années 273 et 280 : Appien nomme ces Gaulois Kimbri[72] ; or, nous savons que leur armée se composait d’abord de Volkes Tectosages, puis en grande partie de Gaulois du nord du Danube.

Les nations gauloises, pures ou mélangées de Sarmates et de Germains, étaient nombreuses sur la rive septentrionale du bas Danube et dans le voisinage ; la plus fameuse de toutes, celle des Bastarnes[73], mêlée probablement de Sarmates, habitait entre la mer Noire et les monts Carpathes. Mithridate, voulant former une ligue puissante contre Rome, s’adressa à ces peuples redoutés, il envoya, dit Justin, des ambassadeurs aux Bastarnes, aux Kimbri[74] et aux Sarmates. Il est évident qu’il ne faut pas entendre ici les Kimbri du Jutland, éloignés du roi de Pont de toute la largeur du continent de l’Europe, mais bien des Kimbri voisins des Bastarnes et des Sarmates, et sur lesquels avait rejailli la gloire acquise par leurs frères en Gaule et en Norique. L’existence de nations kimbriques échelonnées de distance en distance, depuis le bas Danube jusqu’à l’Elbe, établit, ce me semble, que tout le pays entre l’Océan et le Pont-Euxin, en suivant le cours des fleuves, dut être possédé par la race des Kimbri, antérieurement au grand accroissement de la race germanique.

Mais sur ces mêmes rives du Pont-Euxin, entre le Danube et le Tanaïs, avait habité autrefois un grand peuple connu des Grecs, sous le nom de Kimmerii, dont nous avons fait Cimmériens. Outre les rivages occidentaux de la mer Noire et du Palus-Méotide, il occupait la presqu’île appelée à cause de lui Kimmérienne, et aujourd’hui encore Krimin ou Crimée : son nom est empreint dans toute l’ancienne géographie de ces contrées, ainsi que dans l’histoire et les plus vieilles fables de l’Asie mineure, où il promena longtemps ses ravages. Plusieurs coutumes de ces Kimmerii présentent une singulière conformité avec celles des Kimbri de la Baltique et des Gaulois. Les Kimmerii cherchaient à lire les secrets de l’avenir dans les entrailles de victimes humaines ; leurs horribles sacrifices dans la Tauride ont reçu des poètes grecs assez de célébrité ; ils plantaient sur des poteaux, à la porte de leurs maisons, les têtes de leurs ennemis tués en guerre. Ceux d’entre eux qui habitaient les montagnes de la Chersonèse, portaient le nom de Taures, qui appartient à la fois aux deux idiomes kymrique et gallique, et signifie, comme on sait, montagnards. Les tribus du bas pays, au rapport d’Éphore, se creusaient des demeures souterraines, qu’elles appelaient argil[75] ou argel, mot de pur kymric, et dont la signification est lieu couvert ou profond[76].

Jusqu’au septième siècle avant notre ère, l’histoire des Kimmerii du Pont-Euxin reste enveloppée dans la fabuleuse obscurité des traditions ioniennes ; elle ne commence, avec quelque certitude, qu’en l’année 631. Cette époque fut féconde en bouleversements dans l’occident de l’Asie et l’orient de l’Europe. Les Scythes, chassés par les Massagètes des steppes de la haute Asie, vinrent fondre comme une tempête sur les bords du Palus-Méotide et de l’Euxin : ils avaient déjà passé l’Araxe (le Volga), lorsque les Kimmerii furent avertis du péril ; ils convoquèrent toutes leurs tribus près du fleure Tyras (le Dniester), où se trouvait, à ce qu’il parait, le siège principal de la nation, et y tinrent conseil. Les avis furent partagés : la no-blesse et les rois demandaient qu’on fît face aux Scythes, et qu’on leur disputât le sol ; le peuple voulait la retraite ; la querelle s’échauffa ; on prit les armes ; les nobles et leurs partisans furent battus ; libre alors d’exécuter son projet, tout le peuple sortit du pays[77]. Mais où alla-t-il ? Ici commence la difficulté. Les anciens nous ont laissé deux conjectures pour la résoudre, nous allons les examiner l’une après l’autre.

La première appartient à Hérodote. Trouvant, vers la même époque (631), quelques bandes kimmériennes qui erraient dans l’Asie mineure sous la conduite de Lygdamis, il rapprocha les deux faits : et il lui parut que les Kimmerii, revenant sur leurs pas, avaient traversé la Chersonèse, puis le Bosphore, et s’étaient jetés sur l’Asie. Mais c’était aller à la rencontre même de l’ennemi qu’il s’agissait de fuir ; d’ailleurs, la route était longue et pleine d’obstacles : il fallait franchir le Borysthène et l’Hypanis qui ne sont point guéables, ensuite le Bosphore kimmérien, et courir après tout cela la chance de rencontrer les Scythes sur l’autre bord[78] ; tandis qu’un pays vaste et ouvert offrait, au nord et au nord-ouest du Tyras, la retraite la plus facile et la plus sûre.

Les érudits grecs qui examinèrent plus tard la question, furent frappés des invraisemblances de la supposition d’Hérodote. Cette bande de Lygdamis qui après quelques pillages disparut entièrement de l’Asie, ne pouvait être l’immense nation dont les hordes occupaient depuis le Tanaïs jusqu’au Danube, c’étaient tout au plus quelques tribus[79] de la Chersonèse qui probablement n’avaient point assisté à la diète tumultueuse du Tyras. Le corps de la nation avait dû se retirer en remontant le Dniester ou le Danube dans l’intérieur d’un pays qu’elle connaissait de longue main par ses courses ; et comme elle marchait avec une suite embarrassante, elle dut mettre plusieurs années à traverser le continent de l’Europe, campant l’hiver dans ses chariots, reprenant sa route l’été, déposant çà et là des colonies qui se multiplièrent[80]. A l’avantage de mieux s’accorder au fait particulier, cette hypothèse en joignait un autre : elle rendait raison de l’existence de Kimmerii dans le nord et le centre de toute cette zone de l’Europe, et expliquait les rapports de mœurs et de langage que tous ces peuples homonymes présentaient entre eux.

Posidonius s’en empara, et lui donna l’autorité de son nom justement célèbre. Le philosophe stoïcien avait voyagé dans la Gaule, et conversé avec les Gaulois ; il avait vu à Rome des prisonniers Cimbres ; Plutarque nous apprend qu’il avait eu quelques conférences avec Marius, et il pouvait en avoir appris beaucoup de choses touchant la question qui l’agitait, le rapport des Cimbres et des Cimmériens. Nul autre ne s’était trouvé plus à même que lui d’étudier à fond cette question, nul n’était plus capable de la résoudre ; les précieux fragments qui nous restent de son voyage en Gaule font foi de sa sagacité comme observateur ; sa science profonde est du reste assez connue.

L’opinion de Posidonius prit cours dans la science ; des écrivains que Plutarque cite sans les nommer la développèrent[81] ; elle parut à Strabon juste et bonne[82] ; Diodore de Sicile la rattacha à ses idées générales sur les Gaulois : ses paroles sont remarquables et méritent d’être méditées attentivement. Les peuples gaulois les plus reculés vers le nord et voisins de la Scythie sont si féroces, dit-il, qu’ils dévorent les hommes ; ce qu’on raconte aussi des Bretons qui habitent l’île d’Irin (l’Irlande). Leur renommée de bravoure et de barbarie s’établit de bonne heure ; car, sous le nom de Kimmerii, ils dévastèrent autrefois l’Asie. De toute antiquité, ils exercent le brigandage sur les terres d’autrui ; ils méprisent tous les autres peuples. Ce sont eux qui ont pris Rome, qui ont pillé le temple de Delphes, qui ont rendu tributaire une grande partie de l’Europe et de l’Asie, et, en Asie, s’emparant des terres des vaincus ont formé la nation mixte des Gallo-Grecs ; ce sont eux enfin qui ont anéanti de grandes et nombreuses armées romaines[83]. Ce passage nous montre réunis dans une seule et même famille les Cimmériens, les Cimbres, et les Gaulois d’en deçà et d’au-delà des Alpes.

La concordance des dates donnera, j’espère, à ce système un dernier degré d’évidence. C’est en 631 que les hordes Kimmériennes sont chassées par les Scythes et refoulées dans l’intérieur de la Germanie, vers le Danube et le Rhin ; en 587 nous voyons la Gaule en proie au bouleversement le plus violent, et une partie de la population gallique obligée de chercher un refuge soit en Italie soit dans les Alpes illyriennes ; entre 587 et 521 , des peuples du nom de Kimbri, qui est le même que Kimmerii, franchissent les Alpes pennines, et un de ces peuples porte le none fédératif de Boïe, que nous retrouvons parmi les Kimbri transrhénans.

De tout ce qui précède résulte, ce me semble, l’identité des peuples appelés Kimmerii, Kimbri, Kymri ; et la division de la famille gauloise en deux branches, ou races, dont l’une porte le nom de Kymri et l’autre celui de Galls.

 

SECTION III — PREUVES TIRÉES DES TRADITIONS NATIONALES.

I. Il n’est presque personne aujourd’hui qui n’ait entendu parler de ces curieux monuments tant en prose qu’en vers dont se compose la littérature des Gallois ou Kymri, et qui remontent, presque sans interruption, du seizième au sixième siècle de notre ère : littérature non moins digne de remarque à cause de l’originalité de ses formes, que par les révélations qu’elle renferme sur l’ancienne histoire des Kymri. Contestée d’abord avec acharnement par une critique dédaigneuse et superficielle, ou même sottement passionnée, l’authenticité de ces vieux monuments n’est plus maintenant l’objet d’aucun doute ; convaincu pour ma part, je renverrai mes lecteurs aux nombreuses discussions qui ont eu lieu sur la matière, en Angleterre principalement[84]. J’ai donc fait usage des traditions gauloises avec confiance, mais avec une extrême réserve, réserve qui m’était commandée par le plan de mon ouvrage construit d’après les données grecques et romaines ; d’ailleurs l’époque que j’ai traitée est antérieure à celle où se rapportent les plus développées et les plus nombreuses de ces traditions. Les faits qui peuvent en être tirés, relativement à la question que j’examine, se réduisent à trois.

1° La dualité des races est reconnue par les Triades : les Gwyddelad (Galls) qui habitent l’Alben y sont traités de peuple étranger et ennemi[85].

2° L’identité des Belges-Armorikes avec les Kymri-Bretons y est pareillement reconnue ; les tribus armoricaines y sont désignées comme tirant leur origine de la race primitive des Kymri, et communiquant avec elle à l’aide de la même langue[86].

3° Les Triades font sortir la race des Kymri de cette partie du pays de Haf (le pays de l’été ou du midi), qui se nomme Deffrobani, et où est à présent Constantinople[87] ; ils arrivèrent, y est-il dit, à la mer brumeuse (la mer d’Allemagne), et de là dans l’île de Bretagne et dans le pays de Lydau (l’Armorike) où ils se fixèrent[88]. Le barde Taliesin dit simplement que les Kymri sortaient de l’Asie[89].

Les Triades et les Bardes s’accordent sur plusieurs détails de l’établissement des Kymri lors de leur arrivée dans l’occident de l’Europe. C’était Hu-le-puissant qui les conduisait : prêtre, guerrier, législateur et dieu après sa mort, il réunit tous les caractères d’un chef de théocratie : or, on sait qu’une partie des nations gauloises fut soumise longtemps à un gouvernement théocratique, celui des Druides. Ce nom même de Hu n’était point inconnu des Grecs et des Romains, qui appellent Heus et Hesus un des dieux du druidisme. Un des fameux bas-reliefs trouvés sous le chœur de Notre-Dame de Paris représente le dieu Esus, le corps ceint d’un tablier de bûcheron, une serpe à la main, coupant un chêne. Or, les traditions galloises attribuent à Hu-le-Puissant de grands travaux de défrichement et l’enseignement de l’agriculture à la race des Kymri[90].

II. Les Irlandais ont aussi leurs traditions nationales, mais si confuses et si évidemment fabuleuses, que je n’ai point osé m’en servir. Il s’y trouve un seul fait applicable à l’objet de ces recherches, le fait de l’existence d’un peuple appelé Bolg (Fir-Bolg), venu du voisinage du Rhin pour conquérir le midi de l’Irlande ; on reconnaît aisément dans ces étrangers une colonie de Belges-Kymri ; mais rien de probable n’est raconté ni sur leur origine ni sur l’histoire de leur établissement : ce ne sont que contes puérils et jeux d’esprit sur ce mot de Bolg qui signifie en langue gallique un sac.

III. Ammien Marcellin, ou plutôt Timagène qu’il paraît citer, avait recueilli une antique tradition des Druides de la Gaule sur l’origine des nations gauloises. Cette tradition portait que la population de la Gaule était en partie indigène (ce qu’il faut expliquer par antérieure), en partie venue d’îles lointaines et des régions trans-rhénanes, d’où elle avait été chassée, soit par des guerres fréquentes, soit par les débordements de l’océan[91].

Nous trouvons donc dans l’histoire traditionnelle des Gaulois, comme dans les témoignages historiques étrangers, comme dans le caractère des langues, le fait bien établi d’une division de la famille gauloise en deux branches ou races.

 

CONCLUSION.

De la concordance de ces différents ordres de preuves résultent incontestablement les faits suivants :

1° Les Aquitains et les Ligures, quoique habitants de la Gaule, ne sont point de sang gaulois ; ils appartiennent aux nations de sang ibérien.

2° Les nations de sang gaulois se partagent en deux branches, les Galls et les Kymri, que j’appellerai désormais Kimris, pour me conformer et à la prononciation ancienne et aux formes grammaticales de notre langue. La parenté des Galls et des Kimris, donnée par l’histoire, est confirmée par le rapport de leurs idiomes, et de leurs caractères moraux ; elle paraît surtout évidente quand on les compare aux autres familles humaines près desquelles ils vivent : aux Ibères, aux Italiens, aux Germains. Mais il existe assez de diversité dans leurs habitudes, leurs idiomes, et les nuances de leur caractère moral, pour tracer entre eux une ligne de démarcation, que leurs propres traditions reconnaissent, et dont l’histoire fait foi.

3° Leur origine n’appartient point à l’Occident : leurs langues, leurs traditions, l’histoire enfin, la reportent en Asie. Si la cause qui sépara jadis les deux grandes branches de la famille gallo-kimrique se perd dans l’obscurité des premiers temps du monde, la catastrophe qui les rapprocha au fond de l’Occident, lorsque déjà elles étaient devenues étrangères l’une à l’autre, nous est du moins connue dans ses détails, et la date en peut être fixée historiquement.

Aux arguments sur lesquels j’ai appuyé dans cette Introduction le fait important, fondamental de la division de la famille gauloise en deux races se joint un troisième ordre de preuves non moins concluantes, dont mon livre est l’exposition. C’est dans le récit circonstancié des événements, dans les inductions qui ressortent des faits généraux qu’éclate surtout cette dualité des nations gauloises ; ce fait seul peut porter la lumière dans l’histoire intérieure de la Gaule transalpine, si obscure sans cela et jusqu’à présent si peu comprise ; lui seul rend raison de la variété des mœurs, des grands mouvements d’émigration, de l’équilibre des ligues politiques, des groupements divers des tribus, de leurs affections, de leurs inimitiés, de leur désunion vis-à-vis de l’étranger.

Mon opinion sur la permanence d’un type moral dans les familles de peuples a été exposée plus haut ; je crois non moins fermement à la durée des nuances qui différencient les grandes divisions de ces familles. Pour la Gaule, ces nuances ressortent clairement de la masse des faits, lesquels portent un caractère différent suivant qu’ils appartiennent aux tribus de l’ouest et du nord ou aux tribus de l’est et du midi, c’est-à-dire aux Kimris en aux Galls. Les annales des temps modernes témoigneraient au besoin qu’elle a existé naguère, qu’elle existe encore de nos jours entre nos provinces occidentales, non mélangées de Germains, et nos provinces du sud-est ; on l’observerait surtout dans toute sa pureté aux Iles Britanniques, entre les Galls de l’Irlande et les Kimris du pays de Galles.

Des travaux d’une toute autre nature que les miens sont venus inopinément appuyer ma conviction et ajouter une nouvelle évidence au résultat de mes recherches. Un homme dont le nom est connu de toute l’Europe savante, M. le docteur Edwards, à qui la science physiologique doit tant de découvertes ingénieuses, tant d’idées neuves et fécondes, avait conçu, il y a déjà longtemps, le plan d’une histoire naturelle des races humaines ; et commençant par l’occident de l’Europe, il étudiait depuis plusieurs années la population de la France, de l’Angleterre et de l’Italie. Après de longs voyages et de nombreuses observations faites avec toute la rigueur de méthode qu’exigent les sciences physiques, avec toute la sagacité qui distingue particulièrement l’esprit de M. Edwards, le savant naturaliste est arrivé à des conséquences identiques à celles de cette histoire. Il a constaté dans les populations issues de sang gaulois deux types physiques différents l’un de l’antre, et l’un et l’autre bien distincts des caractères empreints aux familles étrangères; types qui se rapportent historiquement aux Galls et aux Kimris. Bien qu’il ait trouvé sur le territoire de l’ancienne Gaule les deux races généralement mélangées entre elles (abstraction faite des autres familles qui s’y sont combinées çà et là), il a néanmoins observé que chacune d’elles existait plus pure et plus nombreuse dans certaines provinces où l’histoire nous les montre en effet agglomérées et séparées l’une de l’autre.

Tel est d’une manière nécessairement sommaire et vague le résultat des investigations de M. Edwards ; je dois à son ancienne amitié et à notre nouvelle et singulière confraternité scientifique d’en pouvoir faire ici pressentir la haute importance. Lui-même s’occupe en ce moment d’exposer avec détail, dans une Lettre qu’il me fait l’honneur de m’adresser, la nature, l’enchaînement, les conséquences de ses observations en ce qui regarde la famille gauloise particulièrement, et les races humaines en général : ce travail, qui nous intéresse à tant de titres, doit être, publié sous peu de jours[92].

Si véritablement, malgré toutes les diversités de temps, de lieux, de mélanges, les caractères physiques des races persévèrent et se conservent plus ou moins purs, suivant des lois que les sciences naturelles peuvent déterminer ; si pareillement les caractères moraux de ces races, résistant aux plus violentes révolutions sociales, se laissent bien modifier, mais jamais effacer ni par la puissance des institutions, ni par le développement progressif de l’intelligence ; si en un mot il existe une individualité permanente dans les grandes masses de l’espèce humaine, on conçoit quel rôle elle doit jouer dans les événements de ce monde, quelle base nouvelle et solide son étude vient fournir aux travaux de l’archéologie, quelle immense carrière elle ouvre à la philosophie de l’histoire.

 

FIN DE L’INTRODUCTION.

 

 

 



[1] Eusk, Ausk ou Ask parait avoir été le véritable nom générique de la race parlant le basque : Bask, Vask et Gask, d’où dérivent Vascons et Gascons, ne sont évidemment que des formes aspirées de ce radical.

[2] Particulièrement l’ouvrage de M. Guillaume de Humboldt intitulé : Pruejung der Untersuchungen weber die Urbewohner Hispaniens, remittelst der Vaskischen Sprache. Berlin, 1821.

[3] Entre autres noms liguriens qui appartiennent à la langue basque on peut citer : Illiberis (Illi - berri), Ville-Neuve ; Iria chez les Ligures Taurins (Pline, l. I, c. 150) ; Vasio chez les Ligures Voconces (Basoa, bois) ; Asta sur les bords du Tanaro (Roches), etc. Humboldt, page 94. - Cf. pour la Ligurie et l’Aquitaine ci-après partie II. c. I.

[4] Gaidheal, Gael, (Gall), Gallus et le nom du pays Gallia, Gaule. Les Grecs ont procédé autrement que les Latins. Du nom du pays, Gaidhealtachd ou Gaeltachd (Galttachd), terre des Galls, ils ont fait Galatia, GalatÛa, et de ce mot ils ont formé le nom générique Galatés, Gal‹thw.

[5] La voyelle y dans le mot kymri se prononce d’une manière sourde à peu près comme l’u anglais dans but.

[6] Consulter le Mithridate d’Adelung et de Vater, t. II, p. 157.

[7] Les Triades galloises font dériver ce nom de Prydain fils d’Aodd. Ynis Prydain, l’île de Prydain. Cf. ci-après t. I.

[8] Hi omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt — César, de Bello Gall., l. I, c. I.

[9] Strabon, IV.

[10] Strabon, II.

[11] Strabon, IV.

[12] Voir pour les détails la première partie de cet ouvrage, c. I.

[13] Fest. Avien. v. 132 et seq.

[14] Thucydide, VI, c. 2. — Serv. Æn., VII. - Eph. ap. Strab., VI. — Philist. ap. Diodore, V.

[15] J’ai suivi le calcul de Fréret. Œuvres complètes, t. IV, p. 200.

[16] Justin, XXIV, c. 4. — Strabon, IV.

[17] Tite-Live, XXI, c. 26.

[18] Tectosagos primævo nomine Bolgas. Ausone, Clar. urb. Narb.

[19] Pro Man. Fonteïo. Dom. Bouq. Rec. des Hist. etc. p. 656.

[20] Hieronym., II, comment. epist, ad Galat., c. 3.

[21] Ipsorum lingua Celtae appellantur — César, de Bello Gall., I, c. I.

[22] Ceil, cacher ; Coille, forêt ; Ceiltach, qui vit dans les bois. Armstrong’s gaëlic, diction.

[23] Strabon, IV.

[24] Strabon, I.

[25] Polybe, III.

[26] Diodore, V.

[27] Aristote, gener. anim., II, c. 8.

[28] Dionys. Perieg. v. 280.

[29] Tite-Live, V, c. 34.

[30] Plutarque, in Camill.

[31] Diodore de  Sicile, V. – Appian, bell. Hisp. – Lucan, Phars., IV, v. 9.

[32] Hérodote, II, IV. — Polyb, ap. Strab. III. — Varro, ap. Plin. III, c. 3.

[33] Le pays était nommé Gallœcia, Gallaicia, aujourd’hui Galice. Pline, IV. — Méla, III, c. 1. — Strabon, loc. cit. — V. ci-après, part. 1, c. 1.

[34] Le mot Caledonia, sous lequel les Romains désignaient la région des forêts Grampiennes, est emprunté au kymric Calyddon, forêt, qui correspond au gallic Ceilte et Geltean. Les Bretons insulaires, au milieu desquels vivaient les Romains, étant de race kymrique, traduisaient de cette manière le nom géographique Ceilte et les Romains le prirent d’eux ainsi altéré.

[35] César, de Bello Gall., I, c. I

[36] Strabon, IV.

[37] César, de Bello Gall., II, c. 4. — VI, c. 38.

[38] Étranger est peut-être inexact : bolg en gallic signifie sac ; mais quel singulier nom c’eût été pour un peuple !

[39] Armoricæ, Aremoricœ gentes, civitates. Ce mot appartient à la fois aux deux langues kymrique et gallique : ar et air (gaél.), ar (cymr. corn.), oar (armor.) sur ; muir, moir (gaél.), mor (cymr. armor.), mer.

[40] On voit en lisant Strabon qu’il s’appuyait beaucoup des idées et des travaux de Posidonius, malgré l’affectation avec laquelle il le critique en plusieurs endroits. Les fragments de Posidonius, recueillis par Athénée et dont nous retrouvons des passages entiers soit dans Strabon lui-même, soit dans Diodore de Sicile, sont certainement ce que nous possédons de plus curieux sur la Gaule, exception faite des Commentaires de César.

[41] Bocchus absolvit Gallorum veterum propaginem Umbros esse. Solin, Poly. hist., c. 8.

[42] Sanè Umbros Gallorum veterum propaginem esse M. Antonius refert. Serv. in l. XII, Æo. ad fin.

[43] Umbri, Italiæ genus est, sed Gallorum veterum propago. Isidore, Orig., IX, c. 2.

[44] Umbrorum gens antiquissima... Pline, II, c. 14. — Flor., I, c. 17.

[45] Insubres, pagus Æduorum. Tite-Live, V, c. 23.

[46] Insubrium exules. Pline, III, c. 17-20.

[47] Plutarque, Vie de Marius, XX.

[48] Voici dans ton entier cette curieuse inscription. (Reinesius, p. 342.)

III. K. APRILEIS.

FASCES. PENES. ÆMILIUM.

LAPIDIBUS. PLUIT. IN. VEIENTI.

POSTUMIUS. TRIB. PL. VIATOREM. MISIT. AD. COS.

QUOD. IS. EO. DIR. SENATUM. NOLUISSET. COGERE.

INTERCESSIONE. P. DECIMI. TRIB. PLEB. RES. EST. SUBLATA.

Q. AUPIDIUS. MENSARIUS. TABEBNÆ. ARGENTARIÆ. AD SCUTUM.

CIMBRICUM. CUM. MAGNA. VI. ÆRIS. ALIENI. CESSIT. FORO. RETRACTUS.

EX. ITINERE. CAUSSAM. DIXIT. APUD. P. FONTRIUM. BALBUM. PRÆT.

ET. CUM. LIQUIDUM. FACTUM. ESSET. EUM. NULLA. FECISSE.

DETRIMENTA. JUS. EST. IN. SOLIDUM. ÆS. TOTUM.

[49] Pictum Gallum in Mariano scuto Cimbrico, ejectà linguà, etc. Cicéron, de Orator, II, c. 66.

[50] Sortibus dati Hercynii saltus. Tite-Live, V, c. 34.

[51] Illyricos sinus penetravit... in Pannonià consedit. Domitis Pannoniis. Justin... XXIV, c. 4.

[52] De Galleis Carneis. Inscript. è Fast. ap. Cluvier. Ital. antiq., I, p. 169.

[53] Strabon, VII. — Polybe, II.

[54] Strabon, VII ; IV. — Étienne de Byzance.

[55] Strabon, VII.

[56] Plutarque, Vie de Marius.

[57] Diodore de Sicile, V.

[58] Philemon morirarusam à Cimbris vocari, hoc est, mortuum mare, usque ad promontorium Rubeas, ultrà deindè Cronium. Pline, IV, c. 13.

[59] Adelung’s Ælteste Geschichte der Deutschen, p. 48. — Toland’s Several pieces, p. 1, p. 150.

[60] Strabon, VII.

[61] Flor., III, c. 3. — Polyæn. VIII, c. 10. — Quintil. Declam. in pro milite Marii. — Ammian, 31, c. 5. — Cimbrica Thetis, Claudian. bell. Get. v. 638. — Plutarque, Vie de Marius.

[62] Strabon, VII.

[63] Strabon, loc. cit. — Méla, III, c. 3.

[64] Manent, utraque ripa castra ac spatia, quorum ambitu nunc quoque metiaris molem manusque gentis et tam magni exitus fidem — Tacite, Mœurs de Germains, c. 37.

[65] Alterum genus Ingœvones quorum pars Cimbri, Teutoni ac Cauchorum gentes. Proximè autem Rheno Istævones quorum pars Cimbri mediterranei, IV, c. 3.

[66] Cicéron, de Provinc. consular. — Pro. Man. Font.

[67] Salluste, Guerre de Jugurtha, c. 114.

[68] Diodore, XLIV. — Sext. Ruf. hist. C. 6, etc.

[69] Clôd (kymr.), louange, renommée.

[70] Linguæ britannicæ propior. Tacite, Mœurs des Germains, c. 45. — Cf. Strabon, I.

[71] Boïi, gallica gens... manet adhuc Boiemi nomen, significatque loci veterem memoriam, quamvis mutatis cultoribus. Tacite, Mœurs des Germains, c. 28. — Strabon, VII.

[72] Appian, bell. Illyr.

[73] Tacite, Mœurs des Germains, c. 46. — Pline, IV, — 12. – Tite-Live,  XXXIV, c. 26 ; XXX, c. 50-57; XXXI, c. 19-23. — Polybe, excerpt. leg. LXII.

[74] Mithridates, intelligens quantum bellum suscitaret, legatos ad Cimbros, alios ad Sarmatas, Bastarnasque auxilium petitum misit. Justin, XXXVIII, c. 3.

[75] Strabon, V.

[76] Taliesin. W. Archœl. t. I, p. 80. — Myrddhin Afallenau. Ib. p. 152.

[77] Hérodote, IV, c. 21.

[78] Consulter là-dessus une excellente dissertation de Fréret, dans laquelle ce savant judicieux n’hésite pas à adopter l’identité des Cimmériens et des Cimbres. Œuvres complètes, t. V.

[79] Plutarque, Vie de Marius.

[80] Plutarque, loc. cit. — Strabon, VII.

[81] Plutarque, Vie de Marius.

[82] Strabon, VII.

[83] Diodore de Sicile, V.

[84] La collection la plus complète des documents littéraires des Gallois a été publiée à Londres sous le titre anglo-gallois de Myvyrian Archaiology of Wales, que l’on pourrait rendre en français par celui d’Archéologie intellectuelle des gallois : le premier volume est consacré aux bardes ou poètes, en tête desquels figurent Aneurin, Taliesin, Lywarch Hen et Myrddin, appelé vulgairement Merlin, personnages célèbres de l’île de Bretagne au sixième siècle ; le second contient des souvenirs historiques nationaux, classés trois par trois, en raison, non pas de leur liaison ou de leur dépendance chronologique, mais de quelque analogie naturelle ou de quelque ressemblance frappante entre eux, et appelés à cause de cette forme, Triades historiques. M. Sharon Turner, dans un excellent ouvrage, intitulé Défense de l’authenticité des anciens poèmes bretons (London, 1803), a résolu la question relative à Taliesin, Ancurin, Myrddin et Lywarch Hen de la manière la plus décisive pour tout esprit juste et impartial. Nombre d’érudits Gallois, entre autres M. William Owen, se sont occupés aussi avec succès de la question plus épineuse des Triades. Mais je dois recommander surtout à mes lecteurs français un morceau publié dans le troisième volume des Archives philosophiques, politiques et littéraires (Paris, 1818), modèle d’une critique fine et élégante, et où l’on reconnaît aisément la main du savant éditeur des Chants populaires de la Grèce moderne. Je saisis vivement cette occasion de témoigner à M. Fauriel toute ma reconnaissance pour les secours qu’il m’a permis de puiser dans son érudition si variée et pourtant si profonde.

[85] Trioeddynys Prydain. N. 41. Archaiol. of Wales. t. II.

[86] Trioed. 5.

[87] Où est à présent Constantinople parait être une addition de quelque copiste postérieur, une espèce de glose pour interpréter le mot inconnu de Deffrobani. Cependant cette intercalation n’est pas sans importance, parce qu’elle se fonde sur les traditions du pays.

[88] Trioedd. n. 4.

[89] Taliesin. Welsh Archaiol. t. X, p. 76.

[90] Trioedd. n. 4, 5, 56, 92. — Bardes gallois, passim.

[91] Drysidæ memorant reverà fuisse populi partem indigenam : sed alios quoque ab insulis extimis confluxisse et tractibus transrhenanis, crebritate bellorum et alluvione fervidi maris sedibus suis expulsos. Ammien Marcellin, XV, c. 9.

[92] Chez Sautelet et Cie, libraires, rue de Richelieu, n. 14.