HISTOIRE GÉNÉRALE DE NAPOLÉON BONAPARTE

GUERRE D'ÉGYPTE. - TOME PREMIER

 

CHAPITRE VII.

 

 

Soumission des provinces de la Basse-Égypte. — Vial occupe Mansourah et Damiette. — Fugières part de Menouf pour Mehalleh-Kébir. — Combat de Remerieh. — Marche de Dugua sur Mansourah. — Fugières occupe Mehalleh-Kébir. — Zayonschek remplacé par Lanusse. — Situation de Reynier dans le Charqyeh. — Village d'Alqam brûle. — Soulèvement des Arabes dans les provinces de Mansourah et de Damiette. — Combat de Choarah. — Mission d'Andréossy sur le lac Menzaleh. — Administration de Kléber dans les provinces d'Alexandrie et de Bahyreh. — Administration de Menou à Rosette. — Révolte du Kaire.

 

On a vu qu'après son entrée au Kaire, Bonaparte avait envoyé dans les provinces de la Basse-Égypte des généraux et des agents administratifs. Les généraux devaient prendre possession du pays, vaincre les résistances, se fortifier et protéger l'administration.

Animés par un sentiment inhérent à tout peuple dont l'étranger veut faire la conquête, fanatisé par la différence de mœurs et de religion qui leur rendait odieux le joug des chrétiens, irrités par l'exigence d'une armée qui, obligée de vivre dans le pays, surtout dans les premiers moments, enlevait de force les contributions en argent et en nature, les habitants, au fond, d'un bon naturel, loin de recevoir à bras ouverts les Français, se soulevèrent sur beaucoup de points, pour les empêcher d'établir leur domination. C'étaient surtout les Arabes qui, par leur exemple et leurs menaces, excitaient les soulèvements. Occupés ordinairement à se défendre de leur pillage, les habitants se réunissaient alors contre l'ennemi commun à ces hordes errantes avec lesquelles ils avaient des points de contact sous le rapport des mœurs, de la religion et de la barbarie.

Les commandants des provinces eurent donc d'abord à combattre un grand nombre d'obstacles, les hommes, la faim et le sol même sur lequel les communications furent entravées par l'inondation du Nil. N'ayant que des poignées de troupes à opposer à de nombreuses peuplades, ils en triomphèrent cependant par leur courage, la patience et l'intrépidité du soldat, et par la rectitude et l'énergie que le général en chef sut imprimer à leurs mouvements.

Le général Vial alla prendre possession des provinces de Mansourah et de Damiette. Il arriva, le 17 thermidor, dans la ville de Mansourah, nomma un divan, y laissa l'intendant cophte, l'agent français, Go dragons, une compagnie d'infanterie, et partit le 18 pour Damiette.

Il indiquait au général en chef la ville de Mit-Gamar sur le Nil, dans la province de Mansourah, comme un point favorable pour établir, s'il était nécessaire, un poste militaire à moitié chemin de Damiette au Kaire, en rasant quelques misérables maisons, et en élevant sur une vieille maçonnerie qui s'y trouvait, une batterie fermée dont le feu pût prendre le prolongement du haut et du bas Nil.

Il envoya le plan des environs de Damiette, et pensait qu'avec 1.200 hommes et une dépense de Cent louis, on pouvait rendre la presqu'île inabordable entre le village d'Adly et le lac de Menzaleh ou de Tennys.

Il trouva la bouche de Damiette défendue par deux vieilles tours, l'une sur la rive gauche, dans les sables, et l'autre sur la rive droite, isolée au milieu des eaux de la mer, mais en mauvais état et mal armées. Vial fit réparer la tour de la rive gauche, et établir une batterie sur la rive droite[1].

Il trouva à Damiette le gouverneur de la ville et le commandant en second, tous deux Mamlouks, et leur permit de rester en leur retirant seulement leurs armes. Ces deux hommes lui étaient utiles ; le gouverneur était en même temps douanier, et le commandant donnait ses soins aux besoins de la troupe.

Il y avait sur le chantier un fort beau chebek en construction pour Mourad-Bey. Il y restait peu de chose à faire. On avait en magasin le bois nécessaire à sa mâture et les cordages pour ses agrès. On trouva dans la rade un chebek portant douze canons de petit calibre ; Vial s'en empara ; mais ayant appris qu'il appartenait à Djezzar-Pacha, et craignant que les habitants du pays ne conclussent de cette démarche que les Français étaient en guerre avec lui, Vial le fit restituer au capitaine, ce qui produisit un bon effet sur les négociants.

Il entama des négociations avec des chefs d'Arabes, l''un du village de Choarah, situé sur l'isthme formé par le Nil et le lac Menzaleh ; l'autre le fameux Hassan-Thoubar[2].

Cet homme dirigeait tous les mouvements insurrectionnels dans cette contrée ; il était cheyk de Menzaleh, un des plus riches propriétaires de l'Égypte, et peut-être le seul qui eût osé accumuler des biens-fonds aussi considérables. Il comptait dans sa famille cinq ou six générations de cheyks. Fondée sur ses richesses, son crédit, sa nombreuse parenté, la grande quantité de salariés qui dépendaient de lui, l'appui des Arabes auxquels ils donnaient des terres à cultiver, et dont il comblait les chefs de présents, l'autorité d'Hassan-Thoubar était immense. Il régnait sur le lac Menzaleh, dont il avait la pêche moyennant une redevance qu'il payait aux beys. Il en était respecté, et il avait bravé la jalousie et la puissance de Mourad. Depuis l'arrivée des Français, il avait envoyé à Damas ses richesses, sa femme, sa famille, et déclaré qu'il s'opposerait à leur établissement dans son canton, et que s'il ne pouvait l'empêcher, il se réfugierait aussi à Damas.

Les Arabes attaquèrent, à Mansourah, un avant-poste ; tandis qu'il se repliait, un dragon fut tué d'un coup de pierre jeté par une fenêtre. Le divan se conduisit fort bien ; on n'eut pas à se plaindre des habitants ; il y en eut cependant quelques-uns arrêtés. Ce petit événement, joint à la lenteur qu'on apportait à la levée des chevaux requis, décida Vial à embarquer, le 22, sur deux djermes 50 hommes d'infanterie pour se rendre à Mansourah ; ils étaient à moitié chemin lorsque des Arabes à cheval parurent sur la rive droite du Nil, et firent feu sur les djermes qui se jetèrent sur la rive gauche. Les Arabes s'embarquèrent dans des bateaux, passèrent l'eau au-dessous du détachement français qui débarqua aussitôt sur le Delta. Il y fut bientôt attaqué par les habitants de deux ou trois villages, armés de fusils, de lances et de fourches ; après avoir résisté quelque temps et épuisé toutes ses cartouches, il se retira sur Damiette, ayant eu un homme tué et cinq blessés.

Pour réprimer ces mouvements, Vial attendait l'arrivée du détachement qu'il avait laissé à Mansourah, lorsqu'il apprit que ce détachement avait lui-même été forcé d'évacuer cette ville. En effet, le 28, 60 ou 80 Arabes à cheval se présentèrent à Mansourah ; les femmes montèrent sur leurs terrasses poussant des hurlements affreux ; une partie des habitants se réunit aux Arabes ; ils attaquèrent le détachement français retranché dans une maison. Après avoir perdu quelques hommes et tué une centaine d'assiégeants, celui-ci sortit la baïonnette en avant, et se retira sur la route du Kaire.

Le divan rapporta au général Vial que les Arabes, au nombre de plusieurs mille, s'étaient portés sur Mansourah, étaient tombés sur les Français, dont quelques-uns avaient été tués, et sur les habitants dont 118 avaient péri.

Vial serait parti de suite avec toutes ses forces ; mais quand il apprit cet événement, il y avait déjà 36 heures qu'il s'était passé, et il ne pouvait plus espérer de rejoindre son détachement qui avait pris la route du Kaire. D'ailleurs il ne crut pas prudent de quitter Damiette. Il feignit de croire au rapport du divan, et ajourna la vengeance jusqu'à ce que sa position dans le pays se fût un peu plus raffermie[3]. Bonaparte le blâma d'avoir laissé un aussi faible détachement à Mansourah, car c'était évidemment le compromettre, et lui recommanda de tenir toujours ses troupes réunies, et de laisser libre le commerce avec la Syrie. Écrivez à Djezzar-Pacha et au pacha de Tripoli, mandait-il[4], que je vous ai chargé de leur annoncer que nous ne leur en voulons pas, encore moins aux musulmans et vrais croyants ; qu'ils peuvent se tranquilliser et vivre en repos, et que j'espère qu'ils protégeront le commerce d'Égypte en Syrie, comme mon intention est de le protéger de mon côté.

Le général Fugières étant parti pour aller commander dans le Garbyeh, s'arrêta quelques jours à Menouf, où il seconda, dans diverses opérations, le général Zayonschek qui y commandait.

Le 25 thermidor, il partit de cette ville. Arrivé près du village de Remerieh, il en aperçut les habitants armés de fusils, et bordant le revêtement de terrasse dont il était entouré ; toutes les portes étaient fermées. Voyant cette contenance hostile, Fugières demanda à parler au cheyk et aux principaux habitants. On lui répondit qu'ils ne voulaient ni lui parler, ni le voir. Il les somma d'ouvrir leurs portes ; ils refusèrent, disant qu'ils étaient les maîtres chez eux, et qu'on n'y entrerait pas. Il les somma de mettre bas les armes ; cette sommation ne fut pas mieux reçue. Il fit fermer et garder par des pelotons de distance en distance les issues du village, en attendant l'arrivée du général Zayonschek, qu'il avait envoyé prévenir. Pendant ce temps là, les habitants d'un village contigu appelé Tétar, se réunirent à ceux de Remerieh ; on fit feu sur le bataillon de la 19e. Zayonschek arriva avec un renfort. Il conseilla à Fugières de faire une fausse attaque, tandis que lui tenterait l'assaut avec ses grenadiers.

Le chef de brigade Lefebvre se mit à leur tête, fit enfoncer une des portes par les sapeurs et pénétra dans le village, mais il y trouva la plus vigoureuse résistance. Hommes et femmes, tous les habitants, armés de piques et de fusils, se battaient avec un acharnement qui tenait de la rage. De tous côtés, la troupe entra dans le village, et l'on se battit toujours avec la même fureur. Il fallut forcer partout les habitants, et les passer par les armes. Des femmes se jetaient à la gorge des soldats pour les étrangler ; on fut forcé d'en tuer quelques-unes ; 4 à 500 habitants furent tués, le reste prit la fuite, on emmena 30 prisonniers. Il ne fallut pas moins que le nombre et la résolution des troupes pour les réduire. Les Français eurent un sapeur tué et une douzaine de blessés.

Fugières ayant épuisé toutes ses munitions, ne jugea pas prudent de s'engager dans un pays insoumis et très-peuplé ; il rétrograda sur Menouf, et écrivit au général en chef pour en obtenir de nouvelles munitions, un bataillon de renfort et deux pièces d'artillerie[5].

Soupçonnant que le divan de Menouf et Georgio, intendant cophte de la province, avaient suscité cette affaire, Zayonschek les destitua, les fit arrêter, les remplaça ; et, douze heures après, n'ayant pas de preuves contre eux, les mit en liberté. Du reste, il était persuadé que tous les villages avaient à peu près le même esprit, et que, pour en être maître, il fallait pouvoir les désarmer, enlever leurs portes et abattre leurs murs d'enceinte[6].

Je n'ai pas vu avec plaisir, lui répondit Bonaparte[7], la manière dont vous vous êtes conduit envers le cophte : mon intention est qu'on ménage ces gens-là, et qu'on ait des égards pour eux. Articulez les sujets de plainte que vous avez contre lui, je le ferai remplacer. Je n'approuve pas non plus que vous ayez fait arrêter le divan sans avoir approfondi s'il était coupable ou non ; il a fallu le relâcher douze heures après : ce n'est pas le moyen de se concilier un parti. Étudiez les peuples chez lesquels vous êtes ; distinguez ceux qui sont le plus susceptibles d'être employés ; faites quelquefois des exemples justes et sévères, mais jamais rien qui approche du caprice et de la légèreté. Je sens que votre position est souvent embarrassante, et je suis plein de confiance dans votre bonne volonté et votre connaissance du cœur humain ; croyez que je vous rends la justice qui vous est due.

Après le combat de Salhieh, le général Dugua était parti pour aller prendre possession de la province de Mansourah, dans le chef-lieu de laquelle Vial avait, comme on l'a vu, laissé en passant un faible détachement de troupes. Dugua marcha, pendant douze heures, et arriva, le 27 thermidor au soir, au bord du canal Saffra, près du village d'El-Lebaïdeh. C'était précisément le moment où l'inondation commençait. A la droite de la division Dugua s'étendait la vaste plaine de Daqhelieh, couverte par l'inondation pendant huit à neuf mois de l'année, et qui avait l'aspect d'un grand lac. Le canal Saffra, rempli depuis huit jours, avait neuf pieds de profondeur et dix-huit toises de large. N'y trouvant point de bateaux, Dugua fit construire un radeau avec quelques poutres et des portes prises dans le village. Il était extrêmement inquiet sur ses subsistances, et ne découvrait point de légumes ; les habitants avaient fui et emmené leurs bestiaux ; il faisait son possible pour les rassurer, afin d'avoir des vivres le soir, ne pouvant espérer d'arriver à Mansourah que le lendemain[8].

Ayant peu d'espoir d'exécuter son passage avec le radeau, Dugua envoya, en amont du canal, un détachement qui lui amena, de deux lieues, avec beaucoup de peine, une barque capable de passer trente hommes à la fois. Il l'eut le 28 à midi, et le 29 a la même heure, toute sa division fut de l'autre côté du canal.

Le 3e bataillon de la 75e qui était passé le 28, se porta de suite en avant, vers le canal d'Arnout pour y préparer les moyens de passage. On fit construire par les paysans six ou sept radeaux qui ne pouvaient porter chacun que deux ou trois hommes à la fois. Le bataillon mit sept heures pour passer. Il en aurait fallu plus de 60 pour toute la division. Heureusement le hasard fit découvrir une communication d'un canal à l'autre par laquelle on fit venir la barque en huit heures. Le 30, à midi, toute la division était sur la rive droite du canal d'Arnout. On fit passer un obusier et les pièces de canon à la prolonge, sur leurs affûts leur servant de radeau.

Mais de nouveaux canaux se remplissaient avec une promptitude effrayante. On arriva sur le bord d'un canal aussi large que celui de Saffra ; le général Dugua le traversa sur-le-champ à la tête des grenadiers, ayant de l'eau jusqu'à la poitrine ; les canonniers passèrent leurs pièces à bras. Dans la crainte que les chameaux chargés de provisions ne s'abattissent dans la vase et dans l'eau, les canonniers ouvrirent les caisses, formèrent la chaîne, et passèrent les munitions de main en main, de manière que rien ne fut avarié. Cette opération dura trois heures.

Enfin, après avoir constamment traversé des champs et des canaux, où l'on voyait à chaque instant croître l'eau, Dugua et sa division arrivèrent le 1er fructidor, à cinq heures du matin, à Mansourah.

On ne peut se faire une idée des cruelles inquiétudes que lui avait fait éprouver le débordement des eaux et le manque de subsistance. Vingt-quatre heures plus tard, il lui eût été impossible d'emmener du pays qu'il avait traversé, ni artillerie, ni chevaux, ni chameaux, ni munitions d'aucune espèce ; trop heureux s'il en avait retiré les hommes[9] !

Dugua apprit à Mansourah l'attaque faite le 23 thermidor contre le détachement que le général Vial y avait laissé, et sa retraite sur le Kaire. Il était dans une situation très-embarrassante. Il n'y trouva ni l'intendant cophte, ni l'agent français. La plupart des habitants s'étaient sauvés sur la rive opposée du Nil. Les boutiques et les maisons étaient fermées. Il fit proclamer que les Français accordaient protection aux propriétés et aux individus ; quelques habitants rentrèrent ; les marchands commencèrent à vendre. Il était obligé de faire vivre sa troupe par réquisition. Cerné par le débordement du Nil, il ne pouvait pas faire hors de la ville dix pas à pied sec, ni communiquer avec le général Reynier, ayant laissé en arrière 20 canaux pleins d'eau, et 15 ou 20 à sec qui devaient commencer à se remplir. Il lui aurait fallu une marine et 10 barques armées pour la communication de ses troupes avec celles qui étaient dans l'intérieur du Delta.

La ville de Mansourah pouvait être gardée par un bataillon. Si on y en laissait deux, il y en avait toujours un disponible pour le haut ou le bas Delta. Si le général Reynier avait besoin de secours, il était plus facile et plus prompt de lui en envoyer du Kaire que de Mansourah.

Dugua fit construire des fours ; mais on n'avait pas d'autre combustible dans le pays que de la fiente d'animaux ou des ronces séchées au soleil, et il n'y en avait pas de provisions pour fournir aux besoins journaliers du soldat. Il était très-difficile de l'empêcher de commettre des actes de violence pour se procurer du bois[10].

D'après les ordres du général en chef, Dugua passa le Nil et se rendit à Mehalleh-Kébir pour soumettre la province de Garbyeh, de concert avec le général Fugières qui avait ordre de s'y rendre de Menouf, où il était resté depuis le com. bat de Remerieh[11].

Bonaparte ordonna au général Vial de mettre 30 djermes à la disposition de Dugua, attendu que les terres étant couvertes par l'inondation, les mouvements de troupes ne pouvaient se faire que par les canaux. Il autorisa ce général à donner une amnistie à la ville de Mansourah, à prendre tous les moyens de faire renaître la confiance chez les habitants, et de leur faire reprendra leur commerce, à écrire aux trois ou quatre villages qui s'étaient le plus mal comportés dans l'affaire du 23, de revenir à l'obéissance, et à faire sentir aux députés qu'ils devaient livrer les individus les plus coupables, s'ils ne voulaient pas voir brûler leurs villages. Dugua devait profiter du moment où les circonstances permettaient de laisser sa division à Mansourah, pour soumettre définitivement toute la province, prendre des otages des sept ou huit villages qui s étaient mal conduits, et livrer aux flammes celui qui s'était le plus mal comporté, de manière qu'il n'y restât pas une maison ; cet exemple étant nécessaire pour les empêcher de recommencer dès que la division serait partie[12].

Le général Zayonschek fut dénoncé au général en chef pour s'être attribué 2.000 talaris de contribution. Berthier lui en donna avis. Fier de la droiture de sa conduite, Zayonschek s'indigna de cette accusation d'autant plus mal fondée, qu'à cause de l'inondation, il n'avait encore été perçu sur le pays que 60 talaris. Bonaparte lui répondit : Je suis fort aise d'apprendre par votre lettre que la dénonciation que l'on m'avait faite est fausse.

Des villages qui avaient tiré sur les troupes françaises, lors de leur marche sur le Kaire, redoutant maintenant la vengeance, offrirent à Zayonschek de racheter leur faute par une contribution. Bonaparte décida qu'on ne leur pardonnerait qu'à condition qu'ils rendraient leurs armes, qu'ils donneraient un certain nombre de chevaux et de mulets, et qu'ils remettraient chacun deux otages.

Zayonschek ayant demandé à rentrer au Kaire, le général en chef l'autorisa à y revenir avec la plus grande partie de ses troupes, et le remplaça dans le commandement du Menoufyeh par le général Lanusse[13].

A Salhieh, la troupe de Reynier était dans une situation misérable. Elle n'avait point de viande. A trois lieues à la ronde, les paysans avaient déserté les villages et emmené leurs bestiaux, et n'osaient rentrer, malgré les invitations du général.

En attendant qu'on pût commencer les travaux de fortification ordonnés par le général en chef, il fit retrancher la mosquée où était l'hôpital y construire des fours, et établir provisoirement des magasins[14].

Reynier rendit compte au général en chef des difficultés qu'il avait trouvées dans la reconnaissance qu'il avait faite pour communiquer avec la mer. Des canaux desséchés qui lui parurent être des vestiges de l'ancienne branche pélusiaque, n'y apportaient plus d'eau, parce qu'ils étaient barrés à l'entrée du désert. Ils étaient navigables pendant l'inondation. La branche de Mechera était navigable toute l'année ; mais son embouchure n'était praticable que lors des crues du Nil. Du reste, n'ayant point de bateaux, il n'avait pas encore pu correspondre avec Damiette.

Il n'avait ni matériaux ni outils pour commencer ses travaux défensifs. Il manquait et de pain et de viande. Les paysans ne voulant pas rentrer avec leurs bestiaux, le soldat était forcé d'aller marauder pour vivre. Il accélérait autant que ses moyens le lui permettaient les travaux à la mosquée pour en faire un bon poste susceptible d'être défendu par trois ou quatre cents hommes, afin de retirer le reste des troupes vers Belbeis, où il serait possible de les nourrir sans vexer le pays, si, comme il le pensait, le général en chef ne faisait commencer les grands travaux qu'après l'inondation. Par ce moyen, il pourrait organiser le pays et faire rentrer les habitants, ce qui serait impossible tant qu'il serait à Salhieh[15].

Quand les travaux provisoires furent terminés, il laissa clans cette place une garnison commandée par le général de brigade Lagrange, et revint avec sa division à Belbeis, chef-lieu de sa province.

Nous avons dit que Julien, aide-de-camp du général en chef, qu'il avait envoyé le 14 thermidor au général Menou, fut assassiné en route dans le village d'Alqam, avec son escorte : la vengeance n'avait été qu'ajournée. Bonaparte ordonna au général Lanusse de partir pour ce village avec 500 hommes et un aviso ; de confisquer et d'embarquer tous les bestiaux et les grains qui pourraient s'y trouver ; de le livrer au pillage et de le brûler, de manière à ce qu'il n'y restât pas une maison entière ; s'il pouvait parvenir à arrêter les cheyks, de les amener en otage au Kaire ; de faire connaître par une proclamation qu'il répandrait dans les villages voisins, qu'Alqam avait été brûlé parce qu'on y avait assassiné des Français qui naviguaient sur le Nil[16]. Cet ordre fut ponctuellement exécuté.

Les Arabes de Darne, habitant le village de Sonbat, dans la province de Garbyeh, étaient les plus insoumis et les plus audacieux. Ils assassinèrent un détachement composé moitié de la 13e demi-brigade et moitié du 18e de dragons. Le général en chef fit marcher contre eux les généraux Dugua et Fugières. Il donna en même temps l'ordre à Murat de poursuivre d'autres Arabes qui avaient des intelligences avec ceux de Sonbat. On voit par la correspondance de Bonaparte combien il attachait d'importance à leur destruction.

Il écrivit à Dugua : J'espère que vous aurez mis à la raison les maudits Arabes du village de Sonbat. Faites un exemple terrible ; brûlez ce village, et ne permettez plus aux Arabes de venir l'habita à moins qu'ils n'aient livré dix des principaux pour otages, que vous m'enverrez pour les tenir à la citadelle du Kaire[17].

A Fugières : J'espère qu'à l'heure qu'il est, vous aurez, de concert avec le général Dugua, soumis le village de Sonbat et exterminé ces coquins d'Arabes[18].

De son côté, Murat en avait attaqué d'autres. Bonaparte lui écrivit : Si ce sont ceux qui ont attaqué nos gens à Mansourah, mon intention est de les détruire. Faites-moi connaître les forces qui vous seraient nécessaires, et étudiez la position qu'ils occupent, afin de pouvoir les envelopper, les attaquer, et donner un exemple terrible au pays. J'imagine que si vous avez fait provisoirement la paix avec eux, vous aurez exigé des otages, des chevaux et des armes[19]. Je vous répète que mon intention est de détruire ces Arabes ; c'est le fléau des provinces de Mansourah, de Garbyeh, de Qélioubeh. Le général Dugua doit, de concert avec le général Fugières, avoir attaqué la partie de ces Arabes qui se trouve au village de Sonbat ; envoyez reconnaître où se trouvent ceux que vous avez combattus ! Faites-moi connaître les forces dont vous aurez besoin et l'endroit d'où vous pourrez partir pour agir avec succès, en tuer une partie et prendre des otages pour s'assurer de leur fidélité[20].

Le 27 fructidor, à trois heures après-midi les Arabes de Sonbat furent attaqués par un corps de troupes de la division Dugua, commandé par le général Verdier. Après un combat assez léger, le village fut forcé et brûlé ; plus de 50 Arabes restèrent sur le champ de bataille ; une grande partie se noya ; on leur prit leurs chameaux et plus de 6.000 moutons.

Murat attaqua un autre corps d'Arabes près de Mit-Gamar, leur tua 40 hommes, prit une partie de leurs bestiaux et les força à évacuer le pays[21]. Malgré l'avantage qu'obtenaient les troupes dans toutes ces affaires partielles, les Arabes revenaient à la charge. Ils remplaçaient leurs bestiaux et leurs chameaux, rentraient dans leurs camps et dans les villages, attaquaient journellement les barques françaises sur le Nil, les pillaient, assassinaient les faibles escortes. C'est ce qui arriva à une barque transportant 4 canons à Damiette et 25 hommes à bord. Une autre barque partie de cette ville, portant 15 hommes, le 1er jour complémentaire, eut le même sort à Mit-el-Kouli. Les habitants de cinq villages environnants s'étaient réunis pour faire ce coup. Ils avaient trois ou quatre mauvaises pièces de canon, et avaient fait quelques retranchements.

Dans la nuit du 29 au 30 fructidor, un corps considérable d'Arabes de Darne, du Charqyeh et du lac Menzaleh, commandé, à ce qu'on crut, par Hassan-Thoubar, vint attaquer Damiette, défendu par une faible garnison. Elle prit les armes, sortit, attaqua l'ennemi, le repoussa et le mit en déroute. Un nommé Joukr, convaincu de s'être mis à la tête des assiégeants avec un tambourin, fut condamné à mort par un conseil de guerre, et exécuté.

Dugua envoya le général Damas avec un bataillon de la 75e reconnaître le canal d'Achmoûn, et soumettre les villages qui refusaient obéissance. Au village de Gémélieh, un parti d'Arabes réuni aux fellahs, attaqua les troupes. Les dispositions furent bientôt faites, les Arabes dispersés et deux villages brûlés.

Hassan-Thoubar osa écrire au général Dugua ; il se plaignit de ce qu'on lui témoignait peu de confiance ; dit que si on l'avait consulté sur l'expédition du général Damas, on n'aurait point à se reprocher la perte de deux villages qui n'étaient coupables d'aucune hostilité ; que c'étaient de faux rapports ou une erreur bien malheureuse qui avaient pu décider à commettre de semblables excès ; que si on l'avait averti, il aurait marché lui-même avec tous le pays contre les Arabes qui avaient attaqué Damiette, et qu'eux seuls étaient coupables ; que tous les villages de son canton étaient prêts à payer les impôts et les contributions ; mais qu'ils ne voulaient pas recevoir des troupes françaises, dont ils craignaient les dévastations.

Cette crainte n'était pas tout-à-fait dénuée de fondement ; car Bonaparte avait mandé à Dugua : On se plaint du pillage de vos troupes à Mansourah ; c'est le seul point de l'armée sur lequel j'aye en ce moment des plaintes ; on se plaint même des vexations que commettent plusieurs officiers d'état-major[22].

Le 30, le village de Choarah, situé à une portée de canon de Damiette, se révolta ; les Arabes s'y réunirent et en firent leur quartier-général. Les premier et deuxième jours complémentaires, ils reçurent beaucoup de renforts par le lac de Menzaleh. La garnison de Damiette fut aussi renforcée par un bataillon de la 25c. Le général Vial se décida le quatrième jour complémentaire, à la pointe du jour, à attaquer Choarah. Le général Andréossy prit le commandement de la flottille, et vint débarquer au-delà du village. L'ennemi, au nombre de 10.000 hommes, était sur une seule ligne occupant tout l'espace depuis le lac de Menzaleh jusqu'au Nil. Le général Vial envoya une compagnie de grenadiers de la 25e pour attaquer la droite des ennemis, et leur couper la retraite par le lac Menzaleh ; dans le temps qu'il les attaquait de front, au pas de charge, ils furent culbutés dans l'inondation du Nil et dans le lac. Le village de Choarah fut emporté et livré aux flammes. Il y eut plus de 1.500 hommes tués ou noyés. On leur prit deux belles pièces de canon de quatre, en bronze, et trois drapeaux. Les Français n'eurent qu'un homme tué et quatre blessés.

L'intention de Bonaparte était qu'on mît enfin tout en usage pour s'assurer des deux provinces de Mansourah et de Damiette ; il paraissait croire que, pour y parvenir, on n'avait encore rien fait. Telles furent, en conséquence, les instructions et les ordres qu'il donna à Dugua. Se rendre à Damiette, demander des otages dans tous les villages qui s'étaient mal conduits, tenir sur le lac Menzaleh des djermes armées avec des pièces de trois et de cinq, y faire même entrer une chaloupe canonnière, si elle pouvait y naviguer ; s'emparer de toutes les îles du lac, y prendre des otages, s'en rendre entièrement maître, se mettre en correspondance avec le général Lagrange qui commandait à Salhieh ; ne point se disséminer ; faire une proclamation aux gens du pays, leur représenter qu'ils étaient dupes des propos insensés d'Ibrahim-Bey, qui les exposait à être massacrés, tandis qu'il restait tranquille à Gaza ; tâcher d'avoir les chefs dans ses mains en feignant de ne pas les connaître ; désarmer le plus possible, surtout les villages situés près de la mer et qui pouvaient avoir une influence sur l'embouchure du Nil ; s'ils disaient qu'on les exposait aux incursions des Arabes, ne point les écouter, tous ces gens-là étant d'intelligence ; faire partir sur-le-champ deux fortes colonnes, l'une pour occuper la ville de Menzaleh, soit par terre, soit par le canal ; l'autre pour accompagner le général Andréossy. Dussiez-vous, ajoutait Bonaparte[23], faire marcher toute votre division, il faut que ce général arrive à Péluse. Il faut des exemples sévères, le désarmement, des otages et des têtes coupées. Réunissez la quantité de bateaux nécessaire pour vous porter rapidement à Damiette, à Salhieh, à Mansourah ; essayez de prendre, par la ruse, Hassan-Thoubar, et, si jamais vous le tenez, envoyez-le-moi au Kaire.

Le général en chef avait chargé le général Andréossy, officier aussi distingué par la science que par la bravoure, de faire la reconnaissance du lac Menzaleh. Les instructions qui lui furent remises, et le secours d'aider intelligents qu'on lui donna, le mirent dans le cas de donner à ses opérations plus d'étendue et de précision que ne peuvent en avoir ordinairement les reconnaissances militaires. Il pénétra dans le lac Menzaleh le 12 vendémiaire.

Des sept branches qui, au rapport des anciens, conduisaient les eaux du Nil à la mer, il n'en restait plus que deux, la branche Tanitique, débouchant à Omfàreg, et la branche Mendésienne, débouchant à Dîbeh. On ne voyait de la branche Pélusiaque que son extrémité réduite presqu'entièrement à un grand canal de fange.

Les îles de Matarieh, les seules du lac qui fussent habitées, contenaient une population de 1.100 hommes occupés à la pêche et à la chasse des oiseaux, cupides et si ignorants, qu'ils ne connaissaient point la division du temps en heures, et ne savaient pas, comme les Arabes du désert, l'apprécier par la mesure de leur ombre. La ville de Menzaleh renfermait 2.000 habitants. On y trouvait des manufactures de soie, de toiles à voiles, des teintureries et quelques autres fabriques de peu d'importance.

Il y avait, dans le lac Menzaleh, des îles anciennement habitées, couvertes de décombres. Les presqu'îles de Damiette et de Menzaleh étaient couvertes de belles rizières et de terres à blé, et alimentées par des canaux d'irrigation ayant dans leur voisinage des canaux d'écoulement. Le bassin du lac Menzaleh était un terrain d'alluvion, formé par les branches du Nil et non par le mouvement des eaux de la mer, et susceptible de desséchement.

Cette contrée présentait, comme toutes les autres parties de l'Égypte, l'aspect d'une grande dépopulation et les ruines de villes autrefois considérables, telles que Tennys, Tounêh, Faramah et Peluse, encore couvertes de fragments et de débris de monuments. A Tounêh, un heureux hasard offrit à Andréossy, à la surface du terrain, un camée antique sur agate, de 36 sur 29 millimètres, représentant une tête d'homme ; le profil avait beaucoup de caractère. Un œil perçant, un air froid, une lèvre dédaigneuse, et d'autres indices faisaient penser qu'on avait voulu faire la tête de cet Auguste qui sut résister aux charmes de Cléopâtre et surmonter tous les obstacles qui le séparaient du pouvoir[24].

Dans la carte du lac Menzaleh et de ses environs, on rectifia des omissions ou des erreurs qui se trouvaient dans celle de Danville. Andréossy rendit compte de son travail à l'Institut. En m'aidant, dit-il, sur quelques faits géologiques, de l'autorité des premiers écrivains, je ne les adopterai point exclusivement ; mais je consulterai la nature qui était plus ancienne que ces auteurs et qui est en même temps notre contemporaine.

Les Arabes de Darne occupaient le village de Doundeh ; environnés de tous côtés par l'inondation, ils se croyaient inexpugnables, et infestaient le Nil par leurs pirateries et leurs brigandages. Les généraux Murat et Lanusse reçurent l'ordre d'y marcher, et y arrivèrent le 7 vendémiaire. Après une légère fusillade, les Arabes furent dispersés. Les troupes les suivirent pendant cinq lieues, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, et s'emparèrent de leurs troupeaux, de leurs chameaux et de leurs effets. Il y en eut plus de 200 de tués ou de noyés.

En rendant compte de cette affaire au Directoire, Bonaparte lui fit ce portrait des Arabes[25] : Ils sont à l'Égypte ce que les Barbets sont au comté de Nice ; avec cette grande différence qu'au lieu de vivre dans les montagnes, ils sont à cheval et vivent au milieu des déserts. Ils pillent également Turcs, Égyptiens, Européens. Leur férocité est égale à la vie misérable qu'ils mènent. Exposés des jours entiers dans des sables brûlants, à l'aspect du soleil, sans eau pour s'abreuver, ils sont sans pitié et sans foi. C'est le spectacle de l'homme sauvage le plus hideux qu'il soit possible de se figurer.

Ce portrait n'était pas flatté. On voit qu'il était tracé, à quelques égards, sous l'influence du mécontentement et des contrariétés que causaient, a Bonaparte, l'insoumission et les coups de main des Arabes.

Il ordonna à Reynier de se tenir concentré à Salhieh et à Belbeis, de punir les tribus d'Arabes qui s'étaient révoltées, de tâcher d'en obtenir des chevaux et des otages, de presser les travaux de Belbeis, afin qu'on pût y placer bientôt quelques pièces de canon, d'approvisionner le plus possible Salhieh. La meilleure manière, ajoutait-il[26], de punir les villages qui se sont révoltés, c'est de prendre leur cheyk El-Beled et de lui faire couper le cou, car c'est de lui que tout dépend.

La province de Charqyeh était la plus arriérée pour la rentrée des contributions et la levée des chevaux ; le général en chef pensait que les villages qui n'avaient pas vu les troupes ne se regarderaient pas comme soumis ; il désirait donc que Reynier envoyât cinq ou six colonnes mobiles dans les différents points de son commandement, et qu'il fit ensuite occuper Qatieh, où son intention était de faire construire un fort[27].

Le général en chef écrivit à Fugières[28] : Il est nécessaire que vous portiez le plus grand respect à la ville de Tantah, qui est un objet de vénération pour les Mahométans. Il faut surtout éviter de rien faire qui puisse leur donner lieu de se plaindre que nous ne respectons pas leur religion et leurs mœurs.

La ville de Tantah, dans la province de Garbyeh, et que les voyageurs européens avaient peu visitée avant l'expédition française, était la plus commerçante de l'intérieur du Delta. Outre qu'elle est située dans un territoire extrêmement fertile, et que ses habitants exercent leur industrie sur le lin qui y croît en abondance, elle est encore le siège de foires annuelles très-renommées : ces foires, comme la plupart de celles qui se tiennent en Orient, doivent leur origine à la dévotion superstitieuse des Musulmans. Le tombeau d'un santon célèbre, appelé Seyd-Ahmedel-Bedaouy, était, dans la principale mosquée de Tantah, l'objet d'une grande vénération. La mosquée possédait de grands revenus, et recevait beaucoup d'ex voto. On y allait en pèlerinage à deux époques différentes de l'année, à l'équinoxe du printemps et au solstice d'été. Le jour de la fête était annoncé à toute l'Égypte par des courriers porteurs d'un firman du pacha. Les 10 ou 12 okels destinés à plusieurs villes de l'Égypte et à différentes nations mahométanes, étaient alors remplis ; les marchands forains occupaient des log es établies dans les rues, et la campagne autour de la ville était couverte de tentes.

Fugières fit une expédition dans cette ville ; quoique les troupes se conduisissent bien, les habitants ameutèrent tous les villages voisins et les Arabes, et accueillirent à coups de fusil et de canon le détachement qui se retira en combattant pour sa défense et usa d'une grande modération.

J'ai appris avec peine, écrivit Bonaparte à Fugières[29], ce qui est arrivé à Tantah. Je désire qu'on respecte cette ville, et je regarderais comme le plus grand malheur qui pût arriver que de voir ravager ce lieu saint aux yeux de tout l'Orient. J'écris aux habitants de Tantah et je vais faire écrire par le divan général. Je désire que tout se termine par négociation.

Fugières répondit que personne n'avait eu plus de respect que lui pour les mœurs et la religion des Musulmans depuis qu'il était en Égypte, et que la conduite qu'avaient tenue les troupes à Tantah en était une preuve.

Pour compléter le tableau de la situation des provinces, il nous reste encore à retracer à part, à cause de l'abondance des matières, l'état de celle d'Alexandrie, où commandait Kléber, et celle de Rosette, dont Menou était gouverneur.

 

ALEXANDRIE ET BAHYREH. — KLÉBER.

 

La correspondance de Kléber avec le général en chef n'était remplie que de jérémiades, ainsi que le général lui-même appelait ses doléances. Les Anglais avaient réuni 26 voiles ; il les voyait déjà bombarder les ports d'Alexandrie, et entrer sans hésiter dans ces passes que la marine française avait trouvées dangereuses et impraticables. Dans l'impossibilité de correspondre par mer, il trouvait instant d'établir une communication sûre par terre, ainsi que pour protéger l'arrivage des eaux du Nil. La colonne insignifiante du général Dumuy était insuffisante pour remplir cet objet. Afin de pourvoir au service, il vendait du riz ; il avait recours à tous les expédients pour se procurer des fonds. Il ne savait quel parti prendre relativement à l'embargo mis sur la caravelle, sur les bâtiments neutres réduits à un état affreux de misère, ni sur les réquisitions qu'on leur avait faites sans en payer la valeur. Il leur avait donné du riz pour la moitié de la somme qui leur était due. Depuis 35 jours, il était sans nouvelles de l'armée ; il courait de mauvais bruits ; Kléber avait sur la santé du général en chef des inquiétudes que beaucoup de personnes partageaient. Il lui avait envoyé son aide-de-camp Loyer dans l'espérance qu'il se rendrait à Alexandrie. Enfin, on était menacé de la guerre avec la Porte[30].

Quoiqu'il lui restât encore à détruire Mourad-Bey qui occupait la Haute-Égypte et à soumettre l'intérieur du Delta où des partisans des beys avaient les armes à la main, Bonaparte, prévoyant les besoins des provinces de Bahyreh et d'Alexandrie, envoya l'adjudant-général Brives avec un bataillon à Rahmanieh, et le mit aux ordres de Kléber, parce que si les Anglais laissaient des forces dans les parages d'Alexandrie et interceptaient les communications avec Rosette, il devenait indispensable d'occuper le village d'Abouqyr, afin de pouvoir communiquer avec cette ville par terre.

Le général en chef envoya aussi a Alexandrie le général d'artillerie Manscour, pour l'armement des côtes, et pour prendre des renseignements sur le pays, afin de pouvoir remplacer Kléber lorsque les circonstances lui permettraient de rejoindre l'armée.

Il lui ordonna de faire démolir la maison du Musulman qui avait assassiné un canonnier français.

Il lui annonça qu'il ferait filer des troupes sur Rosette dès que cela serait possible ; mais qu'il devait n'y pas compter d'ici à plusieurs jours, et tirer parti de ses propres forces. Quant à l'argent, il ne doutait pas que la contribution extraordinaire ne fût rentrée, et il avait fait des fonds pour la marine. Dans ce pays, lui mandait-il[31], les choses ne sont pas encore assises ; chaque jour y porte une amélioration considérable. Je suis fondé à penser que dans quelques jours nous commencerons à être maîtres. L'expédition que nous avons entreprise exige du courage de plus d'un genre.

A la réception de la lettre de Kléber, du 23 thermidor, Bonaparte donna au général Marmont une mission dont le but était de former une colonne mobile propre à observer les mouvement de l'escadre anglaise, et à assurer la bouche du Nil de la branche de Rosette, d'empêcher toute communication entre les Anglais et les Arabes par Abouqyr, de faciliter la communication de ce village avec Rosette, d'offrir une réserve pour dissiper les rassemblements qui se formeraient dans la province de Bahyreh, de punir la ville de Damanhour, enfin de protéger l'écoulement des eaux dans le canal qui en procurait à Alexandrie.

Renfermée par les eaux de la Méditerranée et par deux lacs d'eau salée qui en forment une presqu'île, cette ville ne tient à l'Égypte que par une bande étroite de terre qui s'étend sur la côte au sud-ouest jusqu'à la tour des Arabes. Privée absolument d'eau douce, elle n'en reçoit que par un canal de plus de neuf myriamètres de longueur[32], qui, dérivé du Nil, près de Rahmanieh, passe entre les lacs Madieh et Maréotis, contourne au sud d'Alexandrie, où, après avoir rempli les citernes par quatre aqueducs souterrains, il entre dans l'enceinte de la ville, et, sous la forme d'une aiguade, se perd à la mer, dans le Port-Vieux.

Lorsque les eaux arrivaient dans le canal, le kachef du bey, commandant du Bahyreh, se mettait en tournée sur les bords du canal, pour leur procurer un libre cours et empêcher qu'elles ne fussent détournées. L'infraction à ses ordonnances de police étaient punies de mort.

Dès que les citernes et réservoirs étaient remplis, le kachef se rendait par le canal dans la ville ; le qady, les cheyks et les ulémas rassemblés lui remettaient un vase rempli de l'eau nouvelle, scellé et cacheté, avec un procès-verbal constatant que la ville était suffisamment approvisionnée ; cet officier, après l'avoir envoyé au cheyk El-Beled du Kaire, faisait publier dans la province que les villages pouvaient ouvrir les digues de leurs canaux d'irrigation pour arroser et remplir leurs citernes.

Pour que l'eau parvînt de l'embouchure du canal dans la ville d'Alexandrie, il fallait, terme moyen, de 25 à 30 jours.

En passant à Rahmanieh, Marmont devait s'aboucher avec l'adjudant-général Brives, pour avoir des nouvelles d'Alexandrie et de Damanhour ; et si l'expédition que le général en chef avait ordonnée n'avait pas réussi, débarquer à Rahmanieh, et prendre le commandement de toutes les colonnes mobiles ; dissiper les attroupements de toute la province, et punir les habitants de Damanhour pour la manière dont ils s'étaient conduits envers le général Dumuy.

S'il n'y avait rien de nouveau dans cette province, Marmont continuait sa route pour aller remplir sa mission.

Arrivé à Rosette, il devait visiter la barre du Nil et s'assurer si l'on y avait placé les batteries et les chaloupes canonnières nécessaires pour mettre le fleuve à l'abri des corsaires et des chaloupes anglaises.

Marmont se trouvait sous les ordres de Menou pour les opérations que ce général jugerait utiles à la sûreté de Rosette et des villages environnants.

Il allait ensuite à Abouqyr voir. s'il y avait quelque chose à faire pour perfectionner les retranchements du fort, et rendre plus commode la route de Rosette.

Il se rendait à Alexandrie, où il était sous les ordres de Kléber pour ce qu'il croirait convenable d'entreprendre.

L'intention du général en chef était que Marmont retournât ensuite à Rosette, et y restât jusqu'à ce que l'escadre anglaise eût disparu, et que la communication par mer fût à peu près rétablie ; parce que de cette ville il pouvait, au besoin, se porter entre les deux branches du Nil, et s'opposer aux incursions que feraient les Anglais pour tenter de s'approvisionner.

Enfin, il lui était recommandé d'écrire dans le plus grand détail sur la situation des Anglais, et la manière dont l'escadre française s'était comportée à la bataille d'Abouqyr ; de dire, en parlant aux généraux et aux marins, tout ce qui pourrait relever leur courage ; surtout de conférer avec Gantheaume, de lui témoigner l'estime que le général en chef avait pour lui, et le plaisir qu'il avait eu en apprenant qu'il était sauvé[33].

Il chargea aussi le général Dommartin de se rendre à Rosette et à Alexandrie pour inspecter et mettre en état les fortifications et les batteries. Votre présence sera d'ailleurs utile, lui écrivit le général en chef[34], pour détruire beaucoup de faux bruits qu'on fait courir sur l'armée et sa position, et pour ranimer autant que possible les espérances et le courage de ceux qui en auront besoin.

Bonaparte répondit à Kléber[35] :

Je vous remercie de votre sollicitude sur ma santé ; jamais, je vous assure, elle n'a été meilleure. Les affaires ici vont parfaitement bien, et le pays commence à se soumettre.

J'ai appris la nouvelle de l'escadre onze jours après l'événement ; dès lors ma présence ne pouvait plus rien à Alexandrie.

J'ai envoyé le général Marmont avec la 4e demi-brigade d'infanterie légère et deux pièces de canon pour soumettre la province de Bahyreh, maintenir libre la communication de Rosette à Alexandrie, et rester sur la côte pour empêcher la communication des Anglais avec la terre.

Je n'ai jamais eu la moindre inquiétude sur Alexandrie ; il n'y aurait personne, les Anglais n'y entreraient pas. Ils ont bien assez à faire de garder leurs vaisseaux, et sont trop empressés à profiter de la bonne saison pour gagner Gibraltar.

Avec six pièces de 24 à boulets rouges et deux mortiers, toutes les escadres de la terre n'approcheraient pas. Il faut, dans ce cas, recommander qu'on tire lentement et très-peu ; il faut avoir quelques gargousses de parchemin, bien faites. Il faut le plus promptement possible mettre en état le fort d'Abouqyr, l'occuper avec un poste et quelques pièces de canon, ainsi que la tour du Marabou où nous sommes descendus. Avec 6 pièces de 24, deux grils à boulets rouges et 40 canonniers, j'ai lutté pendant quatre jours contre l'escadre anglo-espagnole au siège de Toulon, et après lui avoir brûlé une frégate et plusieurs bombardes, je l'ai forcée à prendre le large. Si le génie de l'armée voulait que les Anglais tentassent de se frotter à notre port, ils pourraient, par ce qui leur arriverait, nous consoler un peu du désastre de notre flotte. J'imagine qu'à l'heure qu'il est la masse de l'escadre anglaise sera partie.

Le Turc Passwan-Oglou est plus fort que jamais, et les Turcs y penseront à deux fois avant de faire un mouvement contre nous : au reste, ils trouveront à s'en repentir. Tous les mois, tous les jours, notre position s'améliore par les établissements propres à nourrir l'armée, par les fortifications que nous établissons sur plusieurs points ; et dès que nos approvisionnements de campagne qui sont à Alexandrie, seront en état d'être transportés au Kaire, je vous assure que je ne crains pas cent mille Turcs. Quant à leurs bâtiments de guerre, il faut nous tenir dans la position où nous sommes jusqu'aux nouvelles de Constantinople, afin qu'aux premières hostilités du capitan-pacha, nous puissions nous en emparer ; ils équivaudront toujours dans nos mains à une de leurs caravelles.

Au milieu de ce tracas, je vois avec plaisir que votre santé se rétablit, que votre blessure est guérie. Vous Sentez que votre présence est encore nécessaire dans le poste ou vous êtes ; vous voyez que la blessure que vous avez reçue a tourné à bien pour l'armée.

 

Avant que cette lettre lui fût parvenue, Kléber continuait d'adresser à Bonaparte l'expression de ses sollicitudes et de ses plaintes.

L'interruption des communications par terre et par mer apportait la plus grande stagnation dans les affaires. La douane, l'unique ressource, ne produisait rien. Il fallait 300.000 livres par mois pour satisfaire à la solde et aux divers services, car tout était à faire et rien ne se faisait qu'avec de l'argent. Les Arabes pacifiques avaient cependant repris confiance, et amenaient presque journellement des troupeaux à Alexandrie. Quatre-vingt-douze personnes attachées à la commission des sciences et des arts, qui ne se nourrissaient pas d'esprit, demandaient à grands cris et avec justice qu'il leur fût payé au moins un mois d'appointement.

Malgré toutes ces jérémiades qu'il est de mon devoir de vous faire, ajoutait Kléber, il est bon que vous sachiez que tout le monde est plein de courage et de bonne volonté ; la journée du 14 thermidor n'a produit Sur la troupe aucune espèce d'abattement, mais bien le sentiment de l'indignation et un désir ardent de vengeance.

Les Anglais avaient pris une djerme sur laquelle étaient divers individus français, dont l'un, le citoyen Delille, employé aux transports militaires, autorisé à rentrer en France, avait deux caisses d'argenterie marquée de différentes armoiries. Les Anglais avaient d'abord voulu le faire pendre ; et il avait si bien plaide sa cause, qu'ils lui avaient non-seulement laissé la vie, mais encore la vaisselle.

La flotte anglaise était prête à mettre à la voile. On craignait un bombardement, on se croyait assez en mesure d'y répondre.

Quand les Anglais seraient partis et que le moment critique d'Alexandrie serait passé, Kléber demandait à rejoindre sa division. J'ai besoin, écrivait-il[36], de voir la verdure des bords du Nil, pour dissiper les tableaux affligeants que j'ai eus devant les yeux depuis quelque temps.

L'instruction donnée aux généraux Marmont et Dommartin de relever à Alexandrie le courage des troupes de terre et de mer, et de ceux qui en auraient besoin, et quelques termes assez significatifs des lettres de Bonaparte à Kléber, lui firent aisément comprendre que le général en chef le soupçonnait de découragement, et n'était pas très-satisfait de son administration.

Vous seriez injuste, écrivit-il à Bonaparte[37], si vous preniez pour une marque de faiblesse ou de découragement la véhémence avec laquelle je vous ai exposé nos besoins. Je vous l'ai déjà mandé, l'événement du 14 thermidor n'a produit chez les soldats qu'indignation et désir de vengeance. Quant à moi, il m'importe peu où je dois vivre, où je dois mourir, pourvu que je vive pour la gloire de nos armes et que je meure ainsi que j'ai vécu. Comptez donc sur moi dans tout concours de circonstances, ainsi que sur ceux à qui vous ordonnerez de m'obéir.

Voila, dit Napoléon en relisant ces nobles paroles[38], comme pensait le brave Kléber. Il se laissa plus tard égarer par l'intrigue ; mais il avait le cœur français ; il n'eût jamais pactisé avec l'émigration, ni répudié nos aigles.

Tandis que Kléber craignait un bombardement des Anglais, ils négociaient avec quelques-uns des principaux habitants d'Alexandrie, notamment le cheyk El-Messiri, pour se faire livrer le Port-Vieux. Il vint révéler au général ces propositions, et le projet échoua. Les Anglais en partie quittèrent le mouillage d'Abouqyr. Kléber demandait au général en chef, pour se faire bénir par les Musulmans, d'organiser la justice, de salarier l'aga et les membres du divan, de promettre le remboursement des 100.000 livres qu'on avait exigées à titre de contribution militaire, de renoncer aux impositions directes qui répugnaient beaucoup, et de s'en tenir aux impôts indirects auxquels on était façonné. Il conjurait le général en chef de lui envoyer 500.000 livres pour les dépenses. Il avait fait arrêter le négociant Abdel-Bachi qui avait été avec les Mamlouks.

Les marins échappés au désastre du 14 furent employés à compléter les équipages du reste de l'escadre, la 69e demi-brigade, l'artillerie et le génie ; le reste fut réuni en un corps particulier sous le commandement du capitaine de frégate Martinet, pour être employé aux opérations nautiques ; c'était, suivant Kléber, le seul moyen de ramener à la discipline des hommes accoutumés à vivre dans le désordre et familiarisés avec tous les vices.

Si les circonstances l'exigeaient, ce corps pourrait être rendu à la marine, par laquelle ce général se plaignait de n'avoir été secondé qu'avec infiniment de mollesse[39].

Le général en chef écrivit au cheyk El-Messiri[40] : Le général Kléber me rend compte de votre conduite, et j'en suis satisfait. Vous savez l'estime particulière que j'ai conçue pour vous au premier moment que je vous ai connu. J'espère que le moment ne tardera pas où je pourrai réunir tous les hommes sages et instruits du pays, et établir un régime uniforme, fondé-sur les principes de l'Alcoran, qui sont les seuls vrais, et qui peuvent seuls faire le bonheur des hommes. Comptez en tout temps sur mon estime et mon appui.

Je connaissais votre défense de Toulon, écrivit Kléber à Bonaparte[41] ; elle eût été pour moi un bel exemple. Je laisse pourtant au général Dammartin le soin de vous faire observer que difficilement Alexandrie pourrait être à l'abri d'insulte avec 6 pièces de 24 et 2 mortiers.

Kléber pensa que l'ordre du général en chef, sur la démolition de la maison de l'assassin du canonnier, produirait un mauvais effet, et ne l'exécuta pas.

Les réquisitions de denrées, bonnes dans le Delta où les vivres étaient en grande abondance, ne lui paraissaient propres qu'à jeter l'alarme et l'épouvante dans une ville où tout devait arriver du dehors par la confiance et l'appât du gain.

Il demandait à Bonaparte la permission de se conduire un peu d'après les circonstances et les localités.

Il désespérait de pouvoir lever l'emprunt de 300.000 francs que le général en chef lui avait mandé de faire[42].

Bonaparte approuva l'arrestation du négociant Abdel-Bachi ; ordonna à Kléber de confisquer en général les biens de tous les habitants qui se trouvaient avec les Mamlouks, et en particulier d'un des factotum de Mourad-Bey, et qui était alors auprès de lui.

Il traita de plate bêtise les lettres que les Anglais avaient fait porter au cheyk El-Messiri, ajoutant : Cependant, j'aurais assez aimé que vous eussiez fait couper le cou au reis de la djerme.

Il annonça un règlement prochain sur le traitement des membres du divan, et la solde de l'aga et de la compagnie des janissaires.

Il recommanda de bien ménager les armes dont on avait un grand besoin, comptant peu sur l'arrivée du second convoi.

Il envoyait 100.000 francs à l'ordonnateur Leroy ; 50.000 devaient partir le lendemain. Nous ne sommes pas ici, mandait-il, comme vous pourriez l'imaginer, au milieu des trésors, et jusqu'à la perception nous éprouverons toujours une certaine pénurie.

Il espérait donc que les choses pourraient marcher avec les fonds qu'il expédiait et avec le produit de toutes les ressources locales qu'il avait indiquées ou crées ; que le général Kléber cesserait de vendre du riz qu'on aurait tant de peine à remplacer à Alexandrie, où la prudence voulait qu'on en eût pour toute l'armée pendant un an ou deux. Que si le citoyen Delille était encore à Alexandrie, Kléber aurait fait mettre la main dessus et surtout prendre sa vaisselle. Je suis, ajoutait-il[43], ici dans l'embarras de trouver de l'argent et dans un bois de fripons. Quant à l'administration de la justice, c'est une affaire très-embrouillée chez les Musulmans ; il faut encore attendre que nous soyons un peu plus mêlés avec eux. Laissez faire au divan à peu près ce qu'il veut.

La somme de 100.000 francs mise a la disposition de l'ordonnateur Leroy, arriva dans un moment où il n'y avait pas un sou dans la caisse du payeur, où la solde et tous les services étaient suspendus, où plusieurs députations de tribus d'Arabes allaient venir pour traiter d'une pacification générale, dans la province de Bahyreh, et où Kléber trouvait très-impolitique de parler d'emprunt ou de réquisition. Il mit donc cette somme à là disposition du payeur et promit à l'ordonnateur de la lui remplacer lorsque l'emprunt serait levé, ou que le général en chef aurait fait passer d'autres fonds.

L'émir Ibrahim, chef des insurgés de Damanhour, négocia la pacification de son pays avec le général Kléber. Il fut convenu que les tribus fourniraient des otages.

Les Anglais envoyèrent un parlementaire pour une chose assez frivole. Leurs vaisseaux s'approchèrent à portée du canon, et furent salués par les batteries. Onze canots, protégés par deux avisos, se présentèrent devant la digue d'Abouqyr, comme s'ils avaient voulu tenter une descente, la marche de 150 hommes et quelques coups de canon suffirent pour leur faire reprendre le large.

Les artistes et savants qui étaient à Alexandrie partirent en caravane pour le Kaire. Norry, géographe ; Quesnot, astronome, et Pouzlier, antiquaire, tous malades de corps et d'esprit, demandèrent à retourner en France, ainsi que Dubois, chirurgien, resté à Alexandrie pour traiter Kléber de sa blessure, souffrant lui-même d'une maladie grave, et songeant sans cesse à quatre enfants qui n'avaient plus de mère.

Jaloux de conserver un homme aussi habile, Bonaparte lui écrivit : Vos talents nous sont utiles ici ; je vous prie de partir le plus tôt possible pour vous y rendre. L'air du Nil vous sera favorable. Les circonstances d'ailleurs ne rendent pas le passage assez sûr pour que j'expose un homme aussi utile. Vous serez content de voir de près cette grande ville du Kaire ; vous trouverez à l'institut un logement passable et une société d'amis[44].

Ces offres engageantes et aimables ne purent retenir Dubois, décidé, avait écrit Kléber, à ne céder à aucune considération.

Il ne restait plus à Alexandrie que les ingénieurs géographes, occupés à lever le plan général de la rade, des deux ports, de l'enceinte fortifiée et des dehors où il convenait d'occuper les hauteurs qui commandent la ville. Avant d'en partir, Bonaparte avait ordonné ce grand travail. Les opérations de sondes, de topographie et de nivellement furent faites simultanément ; les positions respectives des principaux points, liées entre elles par une suite de triangles, furent rattachées à celle du phare, déterminée par des observations astronomiques. On eut aussi le, plan souterrain de la ville, au moyen duquel on connut l'emplacement des nombreuses citernes, leur état et leur capacité, celui des aqueducs, des grands réservoirs et des égouts.

Le général en chef se résumant sur diverses questions que Kléber lui avait soumises, l'autorisa à lever l'embargo sur les bâtiments neutres et de commerce turcs, et à les laisser sortir malgré la 'présence de l'ennemi, pourvu qu'ils ne portassent point de vivres et spécialement du riz. Cette disposition ne s'étendait pas à la caravelle ni aux bâtiments de guerre turcs auxquels il fallait donner de belles paroles, et attendre des renseignements ultérieurs pour prendre une décision. Quant aux réquisitions faites aux bâtiments neutres, les patrons n'avaient qu'à s'assembler et à envoyer des fondés de pouvoir et des états d'évaluation au Kaire où ils seraient payés. Les bâtiments neutres, faisant partie du convoi, ne pouvaient pas sortir jusqu'à nouvel ordre. Pour prendre un parti à leur égard, le général en chef attendait aussi un état de leur nombre et de ce qui leur était dû. Les esclaves Mamlouks devaient être regardés comme une marchandise ordinaire, sortir d'Alexandrie et se rendre au Kaire ; avant d'en payer la valeur aux marchands, il fallait vérifier si les beys ne les avaient pas déjà payés. Les officiers de marine, rendus sur parole par les Anglais, pouvaient partir, puisqu'ils avaient juré de ne pas servir pendant cette guerre, excepté quatre ou cinq qui pourraient être utiles sur le Nil[45].

En apprenant que Kléber avait distrait de leur destination les 100.000 francs envoyés à l'ordonnateur Leroy, Bonaparte fit éclater son mécontentement par une lettre qui donna lieu à des réponses encore plus vives, et qui faillit amener entre eux une rupture. Elle était ainsi conçue[46] :

Le citoyen Leroy me mande que toutes les dispositions que j'avais faites pour la marine sont annulées par le parti que vous avez pris d'affecter à d'autres services les 100.000 livres que je lui avais envoyées. Vous voudrez bien, après la réception du présent ordre, remettre les 100.000 livres à la marine, et ne point contrarier les dispositions que je fais et qui tiennent à des rapports que vous ne devez pas connaître, n'étant pas au centre.

L'administration d'Alexandrie a coûté le double du reste de l'armée. Les hôpitaux, quoique vous n'ayez que 3.000 hommes, coûtent, et ont coûté beaucoup plus que tous les hôpitaux de l'armée.

Je ne crois pas, dans les différents ordres que je vous ai donnés, vous avoir laissé maître de lever ou non la contribution à titre d'emprunt, sur les négociants d'Alexandrie : ainsi, si vous en avez suspendu l'exécution, je vous prie de vouloir bien prendre les mesures, sur-le-champ, pour la faire rentrer, quels que soient les inconvénients qui doivent en résulter : nous n'avons point, pour ce moment-ci, d'autre manière d'exister.

 

A ces reproches, Kléber fit la réponse suivante, où l'on trouve réunis la vigueur du style et celle du caractère :

Je reçois à l'instant, citoyen général, votre lettre du 15.

Je devais m'attendre à votre improbation relativement aux 100.000 livres affectées à la marine, et dont j'ai disposé, contre votre intention, pour faire face aux différents services de la place, quoique je me trouvasse alors dans un moment difficile qui pouvait peut-être me justifier ; mais j'étais bien loin de penser mériter aucun reproche sur l'administration des fonds. S'il est vrai, citoyen général, qu'Alexandrie ait coûté le double du reste de l'armée, abstraction faite des réquisitions frappées ailleurs, et qui n'ont jamais eu lieu ici ; abstraction faite de ce qui a sans cesse été payé au génie, à l'artillerie et à la marine, on a droit de conclure qu'il y a eu une dilapidation infâme. L'ordonnateur en chef doit en conséquence faire juger rigoureusement le commissaire de la place, et lui retirer, en attendant sa justification, toute sa confiance ; ma conduite même doit être examinée, et je vous en fais la demande formelle.

Vous avez oublié, citoyen général, lorsque vous avez écrit cette lettre, que vous teniez en main le burin de l'histoire, et que vous écriviez à Kléber. Je ne présume pourtant pas que vous ayez eu la moindre arrière-pensée, on ne vous croirait pas[47].

J'attends, citoyen général, par le retour du courrier, l'ordre de cesser mes fonctions, non-seulement dans la place d'Alexandrie, mais encore dans l'armée, jusqu'à ce que Tous soyez un peu mieux instruit de ce qui se passe et de ce qui s'est passé ici. Je ne suis point venu en Égypte pour faire fortune ; j'ai su jusqu'ici la dédaigner partout ; mais je ne laisserai jamais non plus planer sur moi aucun soupçon[48].

 

Les patrons des bâtiments neutres étaient fort gênés pour user de la permission qui leur avait été donnée de sortir du port d'Alexandrie. Les Anglais forcèrent à rentrer les premiers qui parurent en mer. Cette mesure était d'autant plus fâcheuse qu'il y avait dans la ville 2.000 pèlerins venant de la Mekke, dont Kléber voulait se débarrasser, et qui prétendaient ne pouvoir s'en retourner par terre, sans courir le risque d'être pillés et assassinés par les Arabes[49].

Bonaparte ne vit d'autre moyen d'évacuer ces pèlerins que de les faire embarquer, et de forcer les bâtiments qui en seraient chargés à sortir, ce qu'ils pouvaient faire en présence même des Anglais, puisqu'il ne faisait grand jour qu'à six heures du matin. Il pensait que les vents de l'équinoxe feraient bientôt raison du blocus qu'avait établi l'ennemi ; que le commodore Hood voulait tout bonnement se faire payer, comme cela était arrivé 50 fois sur les côtes de Provence. Je désirerais, écrivit-il[50], qu'il y eût plus de parlementaires, et que le commandant des armes et l'ordonnateur de la marine cessassent enfin d'écrire des lettres ridicules et sans but. Il importe fort peu que les Anglais gardent ou non un commissaire : ces gens-là me paraissent déjà assez orgueilleux de leur victoire, sans les enfler encore davantage. Quand les circonstances vous feront juger nécessaire d'envoyer un parlementaire, qu'il n'y ait que vous qui écriviez.

Excités par Mourad-Bey et les Anglais, des Arabes se rassemblèrent au village de Berk-el-Gitâs et firent une coupure au canal d'Alexandrie, pour empêcher les eaux d'y arriver. Le chef de brigade Barthélemy avec 600 hommes de la 69e, cerna ce village dans la nuit du 27 fructidor, le pilla, le brûla et tua plus de 200 hommes[51].

Malgré la présence des forces commandées par l'adjudant-général Brives et le général Marmont, les Arabes inquiétaient toujours les convois, et profitaient, pour faire du butin, de la moindre négligence des escortes. Bonaparte ordonna à Marmont de se rendre à Rahmanieh, d'y prendre le commandement des troupes de toute la province, formant 1.500 hommes, pour protéger la navigation du Nil, celle du canal d'Alexandrie et la campagne[52].

Bonaparte ne se pressait pas de répondre à Kléber sur la démission qu'il avait offerte en attendant que sa conduite eût été examinée. Ce général revint donc à la charge, et, dans un style tant soit peu ironique, lui écrivit[53] :

Il paraît, général, que j'ai bien peu rempli vos intentions dans l'administration civile et militaire d'Alexandrie. J'attribue toutes les gaucheries et les inadvertances que vous semblez me reprocher, à l'état de ma santé. Ma plaie est, à la vérité très-parfaitement cicatrisée ; mais les douleurs de tête ne sont point passées ; des souffrances aiguës m'obligent souvent à m'enfermer dans ma chambre. On m'a prescrit un régime, je l'observe, et mon état ne s'améliore point.

Je vous demande en conséquence la permission, citoyen général, non pas de rejoindre ma division, puisque vous ne le jugez pas convenable, mais de prendre quelque repos et de changer d'air à Rosette.

Je reprendrai le commandement d'Alexandrie dès que je me trouverai un peu mieux, ou dès que cette place sera menacée.

 

Ne recevant point encore de réponse, Kléber écrivit alors à Bonaparte pour demander à retourner en France[54] :

Vous aviez chargé le général Caffarelli, citoyen général, de me faire la proposition de vous accompagner dans une expédition lointaine ; et votre nom, et votre gloire, et la reconnaissance dont j'étais pénétré pour tout le bien que vous aviez dit de moi sans me connaître, m'y engagèrent sans hésiter un instant. Aujourd'hui que ma santé et la douleur que me causent les suites de ma blessure, ne me permettent plus de vous suivre dans votre brillante carrière, je m'adresse pareillement au général Caffarelli, pour obtenir de vous la permission de retourner en France. Veuillez, citoyen général, accueillir favorablement ce qu'il vous dira à ce sujet.

 

Bonaparte lui répondit enfin :

Le général Caffarelli, citoyen général, m'a fait connaître votre désir. Je suis extrêmement fiché de votre indisposition ; j'espère que l'air du Nil vous fera du bien, et, sortant des sables d'Alexandrie, vous trouverez peut-être notre Égypte moins mauvaise qu'on peut la croire d'abord. Croyez au désir que j'ai de vous voir promptement rétabli, et au prix que j'attache à votre estime et à votre amitié. Je crains que nous ne soyons un peu brouillés ; vous seriez injuste si vous doutiez de la peine que j'en éprouverais.

Sur le sol de l'Égypte, les nuages, lorsqu'il y en a, passent dans six heures ; de mon côté, s'il y en avait, ils seraient passés dans trois : l'estime que j'ai pour vous est au moins égale à celle que vous m'avez témoignée quelquefois.

J'espère vous voir sous peu de jours, au Kaire, comme vous le mande le général Caffarelli[55].

 

Comment résister à un langage aussi séduisant, à une réconciliation aussi aimable ! Kléber l'accepta, se rendit au Kaire, et arriva au milieu de la révolte de cette ville, le 1er brumaire.

Sur les réclamations du commandant de la caravelle, Bonaparte avait répondu qu'il fallait l'amuser par de belles paroles. Un mois s'était passé ; il écrivit à ce commandant qu'il était fâché de quelques désagréments qu'il avait éprouvés — on lui avait en effet enlevé ses munitions de guerre et les affûts de ses canons — ; qu'il se tînt prêt à partir pour l'époque à laquelle il avait coutume de quitter Alexandrie, et qu'il lui remettrait des dépêches pour la Porte[56].

 

PROVINCE, DE ROSETTE. — MENOU.

 

Le général en chef se plaignait à Menou de ce qu'il n'écrivait point, et de ce qu'il ne rendait aucun compte de ce qui se passait à Rosette et à Abouqyr, de la situation de sa garnison, des hôpitaux, des mouvements des Anglais ; enfin Rosette était le seul point de l'armée sur lequel il n avait aucune espèce de détails ; il mandait a ce général qu'il ne lui enverrait des ordres pour quitter cette ville, que lorsque la province serait organisée et que l'embouchure du Nil ne pourrait pas craindre les insultes des corsaires[57].

Bonaparte reçut enfin de ses nouvelles ; le loua d'avoir donné à dîner aux cheyks du pays ; le blâma de ce qu'il donnait du blé aux pauvres, disant qu'on n'était pas encore assez riche pour être généreux, et qu'il fallait bien se garder de les gâter ; s'étonna de ce qu'il avait 300 hommes de garde a Rosette, tandis qu'au Kaire il n'y en avait que 80. Diminuez votre service, lui écrivait-il[58] ; une garde chez vous, une de police, quelques factionnaires aux principaux magasins, et tout le reste en réserve ; cela ne fait que 25 ou 30 hommes.

S'il n'était pas très-exact à instruire le général en chef des détails de son administration, il l'était davantage à lui communiquer ses projets. Bonaparte lui écrivait : J'ai reçu toutes vos lettres que je lis avec d'autant plus d'intérêt, que j'approuve davantage vos vues[59].

Quelles étaient ces vues ? Enthousiaste de l'expédition et prêt à faire, pour contribuer à son succès, tout ce que lui ordonnerait Bonaparte, Menou, administrateur et général, croyait que l'Égypte devait, pour la France, tenir lieu des Antilles ; que le sucre, le café, le coton, l'indigo et la cochenille pourraient y remplacer toutes les autres cultures. Suivant lui, les Anglais savaient bien que la Mer-Rouge, dans laquelle seuls ils commerçaient, deviendrait nécessairement la propriété de la France ; que de là aux Indes la dis- tance n'était pas énorme ; que le commerce de la côte orientale d'Afrique, Mehedie, Mascate, Mozambique, pourraient un jour tomber entre les mains des Français ; que les ports de la côte d'Aden et ceux dépendants des pays de l'Abyssinie seraient nécessairement fréquentés par eux ; qu'ils pouvaient établir des liaisons avec l'intérieur de l'Afrique, de proche en proche, au moyen des caravanes, et peut-être faire communiquer un jour le Nil avec le Niger, au Sénégal.

Quoique tout cela fût encore éloigné, les Anglais, auxquels on ne pouvait refuser une grande intelligence, une prodigieuse activité et beaucoup d'esprit public, verraient d'un coup-d'œil tout ce qu'on pouvait faire actuellement et ce qui pourrait s'exécuter dans la suite. Sentant qu'ils ne pouvaient et ne pourraient rien contre l'armée d'Égypte directement, parce qu'elle pouvait y rester longtemps sans secours étranger, ils prendraient tous les moyens de lui nuire et de lui susciter des ennemis en Asie, à Constantinople et en Barbarie. C'était donc au général en chef à y pourvoir.

Menou soumettait aussi à Bonaparte ses vues sur l'administration financière de l'Égypte, lui proposait des moyens pour utiliser les domaines nationaux, en prévenir la dilapidation et réprimer les malversations des agents militaires ou civils.

Général, lui disait-il[60], vous avez conquis l'Italie et l'Égypte ; c'est ici que vous devez mettre le complément à votre gloire, en fondant la plus belle des colonies qui aient jamais existé. Faire revivre et rétablir dans toute sa splendeur le pays de Sésostris, de quelques Pharaons et des Ptolémées ; fonder le plus brillant commerce du monde, détruire en grande partie celui des Anglais par nos seuls établissements en Égypte, est la plus belle. destinée qui jamais ait été réservée à un homme. Je soumets, à vous seul, toute mes réflexions ; faire le bien est ma folie, c'est peut-être le second tome de celle de l'abbé de Saint-Pierre ; mais c'est à Bonaparte que j'écris ; c'est à lui seul qu'il appartient de faire le bonheur des peuples après les avoir conquis.

Au milieu de ses rêves, et malgré quelque négligence, moins scrupuleux ou moins circonspect que d'autre généraux, au lieu de raisonner sur les obstacles, de crier misère, Menou prenait hardiment toutes les mesures qui lui étaient indiquées par sa situation, ou prescrites par le général en chef. Obligé de vivre de réquisitions, il en frappait sur sa province, y faisait des tournées pour en régulariser la répartition, et réunissait, sans trop charger les contribuables, des vivres de toutes espèces, pour une garnison de 3.000 hommes pendant trois mois, avec lesquels il se trouvait en état de secourir Alexandrie, Abouqyr et même Rahmanieh. Il avait fait payer, en cinq jours, la contribution de 100.000 francs, ordonnée par le général en chef.

Il alla parcourir sa province pour s'assurer de la soumission des villages. Plusieurs membres de la commission des arts et des sciences restés à Rosette, profitèrent de cette circonstance pour visiter un pays ou, depuis bien des siècles, aucun Européen n'avait pénétré ; c'était comme une partie de plaisir. Marmont voulut en être. Le 24 fructidor, on se mit en marche. Tant qu'on fut sur les bords du Nil, on fut bien accueilli par les habitants. Ceux de Berenbal, Métoubis et Foûéh rivalisèrent de bons traitements. Mais il en fut autrement lorsqu'à la hauteur du village de Deçoûq on s enfonça dans F intérieur des terres. Les généraux et les savanes, à cheval, suivis d'une escorte de 200 hommes d'infanterie, se trouvèrent une lieue en avant d'elle, près de Chabbas Ameïr. Un premier groupe, composé, d'un guide, de Montessuis, aide-de-camp de Marmont, de Viloteau, Varsy jeune, l'ingénieur Martin, membres de la commission, et Joly, dessinateur, arriva aux portes du village. Le guide, voyant un grand rassemblement, cria en arabe : La paix, soyez sans inquiétude ! On ne répondit que par le mot erga ! — Allez vous-en ! — et on fit en même temps une décharge de coups de fusil ; les voyageurs n'étant pas armés tournèrent bride, pour se replier sur l'escorte, au grand galop et sautant des fossés. Joly, craignant de ne pouvoir se tenir à cheval, mit pied à terre : les Arabes l'atteignirent et le massacrèrent. Aux coups de fusil, l'escorte força sa marche, arriva et repoussa les Arabes dans le village. Ils se jetèrent dans une espèce de château fort, s'y maintinrent le reste du jour malgré l'attaque des troupes, qui ne les en débusquèrent que dans la nuit. Menou eut un cheval tué sous lui, et rentra avec un certain nombre de blessés à Rosette.

Dans sa correspondance avec le général en chef, Menou insistait sur une extrême sévérité contre les voleurs, pour faire, sentir au peuple la différence qui existait entre le gouvernement français et celui des beys. Toutes les observations qu'il avait faites, le portaient à croire que les véritables habitants du pays étaient, pour la majeure partie, honnêtes gens. C'était ce que Bonaparte, devinant les hommes, lui avait dit à Alexandrie dans ses instructions, en parlant de la seconde classe des habitants, composée de véritables Musulmans. Les intrigants, les malhonnêtes gens se trouvaient parmi les étrangers ; c'étaient les Turcs de Constantinople et d'Asie, les Juifs, les Cophtes, qui, quoique indigènes, faisaient une classe à part, et ces ramas de Chrétiens de toute espèce qui ne venaient en Égypte que pour offrir aux beys leur expérience dans, Fart de piller et de vexer les peuples. C'était ainsi que Menou aimait à s'épancher avec celui qui lui avait inspiré estime et respect, et auquel il avait voué le plus inviolable attachement[61].

Marmont était toujours dans ces parages ; Bonaparte lui écrivit[62] : L'intrigant Abdalon, intendant de Mourad-Bey, est passé, il y a trois jours, à Choarah, avec 30 Arabes ; on croit qu'il se rend dans les environs d'Alexandrie : je désirerais que vous pussiez le faire prendre ; je donnerais bien mille écus de sa personne ; ce n'est pas qu'elle les vaille ; mais ce serait pour l'exemple : c'est le même qui était à bord de l'amiral anglais. Si l'on pouvait parler à des Arabes, ces gens là feraient beaucoup de choses pour mille sequins.

Une djerme allant de Rosette au Kaire et portant, hommes de la 22e demi-brigade, fut attaquée par huit bateaux remplis de fellah du village de Nakleh et d'Arabes. La résistance des sept Français dura autant que leurs munitions ; quand ils les eurent épuisées, et après avoir perdu un des leurs, ils se retirèrent sur la rive droite du fleuve, auprès du village de Gobâris : les habitants, ayant à leur tête le cheyk, Habsab-Allah, les recueillirent et leur donnèrent l'hospitalité. Les fellahs de Nakleh et les Arabes offrirent cent piastres pour se faire livrer les Français. Les habitants de Gobâris refusèrent cette offre, prirent les armes, et le cheyk les conduisit lui-même sur une djerme à Rahmanieh. Le général en chef ordonna que ce cheyk se rendrait au Kaire pour y être revêtu d'une pelisse.

 

RÉVOLTE DU KAIRE.

 

Malgré les soulèvements partiels qui se manifestaient dans plusieurs provinces, 'il n'y avait rien d'alarmant dans leur situation. Une poignée de Français, partout où ils se présentaient, suffisait pour triompher des révoltés, quel que fût leur nombre ; leurs défaites répétées, usaient l'esprit de sédition, et tout faisait présager que dans peu de temps l'Égypte, déjà conquise, serait bientôt soumise toute entière. Depuis l'occupation du Kaire, cette ville avait été parfaitement tranquille, et là, comme dans la plupart des États de l'Europe, l'exemple de la capitale avait une grande influence sur les provinces. Étonnés d'abord des mœurs égyptiennes, les Français s'y étaient bientôt accoutumés et les respectaient. Les habitants, s'ils ne montraient pas un grand empressement à se mêler avec leurs vainqueurs, semblaient du moins les voir sans répugnance. D'ailleurs comprimés par l'appareil militaire et la présence du général en chef, les hommes impatiens du joug étranger n'osaient pas le secouer et courbaient la tête. Cependant sous ce calme apparent fermentait un orage ; il éclata à l'improviste ; on ne le soupçonnait pas.

Le 30 vendémiaire (21 octobre), à la pointe du jour, des rassemblements se formèrent dans divers quartiers du Kaire. A sept heures, une populace nombreuse se porta à la maison du qady Ibrahim-Ehctem-Efendi, homme respectable par ses mœurs et son caractère. Une députation de 20 personnes les plus marquantes, entra chez lui et l'obligea à monter à cheval pour se rendre, tous ensemble, chez le général en chef, sous prétexte de lui de mander la révocation de la mesure relative aux titres des propriétés. On se mettait en marche, lorsqu'un homme de bon sens fit observer au qady que le rassemblement était trop nombreux, et trop mal composé pour des hommes qui ne voulaient que présenter une pétition. Il fut frappé de l'observation, descendit de cheval et rentra chez lui. La populace mécontente le maltraita ainsi que ses gens à coups de pierre et de bâton et ne, manqua pas cette occasion de piller sa maison[63].

Mais les attroupés se croyant alors assez forts pour attaquer les Français, se portèrent dans les différents quartiers qu'ils habitaient, et les prenant au dépourvu, en massacrèrent plusieurs. La maison du général Caffarelli fut investie et pillée ; il était sorti avec le général en chef pour visiter des travaux ; deux ingénieurs des ponts et chaussées, Duval et Thévenot qui se trouvaient chez lui, y périrent après s'être défendus avec un grand courage. Les chirurgiens de première classe, Roussel et Mongin, curent le même sort en défendant l'entrée de l'hôpital que les révoltés ne purent forcer. La maison de Kassim-Bey, habitée parles membres de la commission des arts fut assaillie ; mais aidés seulement de leurs domestiques, ils s'y défendirent et donnèrent le temps à la troupe de venir les dégager.

Le commandant de la place, Dupuis, s'était d'abord contenté d'envoyer des patrouilles ; mais la révolte prenant un caractère sérieux, il sortit accompagné de son aide-de-camp Maury, de son interprète Baudeuf, et de 15 dragons. Quoique toutes les rues fussent obstruées, il était parvenu de la place de Birket-el-Fil jusqu'au Mouski, près le quartier des Francs, et avait même dissipé quelques attroupements. Arrivé dans la rue des Vénitiens, un flot immense de peuple voulut s'opposer à son passage. Il fit entendre quelques paroles de paix, on ne l'écouta pas. Un chef de bataillon turc attaché à la police, qui venait par derrière, voyant le tumulte et l'impossibilité de le faire cesser par la douceur, tira un coup de tromblon. La populace devint furieuse. Dupuis la chargea avec son escorte, culbuta tout ce qui était devant lui, et s'ouvrit un passage ; mais un coup de lance l'atteignit au-dessous de l'aisselle gauche et lui coupa l'artère. Son aide-de-camp fut jeté à bas de son cheval ; Dupuis lui tendit la main pour le faire remonter ; ce mouvement ouvrit un large passage au sang, il perdit connaissance. On le transporta chez Junot, son ami, où il mourut. Solidaire de la gloire immortelle que s'était acquise en Italie la 32e demi-brigade, dont il avait été commandant, nommé général de brigade sur le champ de bataille des Pyramides, il était entré le premier avec moins de 200 hommes au Kaire, dans une ville de 300.000 âmes. Dans cent occasions, les hasards de la guerre l'avaient respecté. En apprenant sa mort prématurée, Bonaparte s'écria avec une douloureuse émotion : J'ai perdu un ami, l'armée un brave et la France un de ses plus généreux défenseurs[64].

Le canon d'alarme se fit entendre, la fusillade s'engagea dans toutes les rues. Les insurgés, au nombre de 15.000, se retranchèrent dans la mosquée de Jémil-Azar, pour rallier à eux la plupart des habitants, qui, encore timides, n'avaient pris aucun parti ; ils en barricadèrent les avenues. D'un autre côté, les Arabes, prévenus du mouvement, parurent et cherchèrent à entrer dans la ville pour se réunir aux insurgés.

Le général en chef, qu'on avait envoyé chercher a Gizeh, voulut rentrer en ville. Après avoir été repoussé de plusieurs portes par les insurgés, il parvint à y pénétrer par la porte de Boulaq. Il donna le commandement au général Bon. Les communications entre les différents quartiers étaient interrompues ; la populace pillait les maisons des riches. Des pièces de canon furent mises en batterie à l'entrée des principales rues.

Vers midi, un convoi venant de Salhieh, et conduisant une vingtaine de malades, fut assailli par les Arabes, l'escorte dispersée, et les malades, à peine entrés dans la ville, furent massacrés.

La nuit sembla ramener le calme ; les hostilités furent suspendues ; mais les insurgés en profitèrent pour se renforcer.

A minuit, Bonaparte envoya le général Dommartin sur le Moqattam, entre la citadelle et la Koubeh, pour y établir une batterie de quatre obusiers qui dominait la grande mosquée à 150 toises.

Le 1er brumaire, dès la pointe du jour, les généraux Lannes, Vaux et Dumas sortirent du Kaire pour battre la campagne, et mirent en fuite 4 à 5.000 paysans et Arabes qui venaient au secours des insurgés. Il s'en noya beaucoup dans l'inondation. Mais le chef d'escadron Sulkowski, aide-de-camp du général en chef, fut assailli a son retour par la populace du quartier de Bab-el-Nasr, son cheval tomba, et cet officier fut assommé. Les blessures qu'il avait reçues au combat de Salhieh n'étaient pas encore cicatrisées ; c'était un militaire de la plus belle espérance[65].

A deux heures après midi, tout était tranquille hors du Kaire. Avant de faire tirer les batteries du Moqattam, Bonaparte fit offrir le pardon aux insurgés. Le divan, les principaux cheyks, les docteurs de la loi se présentèrent aux barricades du quartier de la grande mosquée ; les insurgés leur en refusèrent l'entrée, et les accueillirent même à coups de fusil. Alors il la fit cerner, et envoya l'ordre aux batteries du Moqattam et de la citadelle de la bombarder ; il était quatre heures. Le bruit du tonnerre se mêla à celui du canon. Les habitants en conclurent que le ciel se prononçait contre les insurgés, et restèrent tranquilles. Ceux-ci offrirent de se soumettre. Il n'est plus temps, répondit le général en chef, ils ont laissé passer l'heure de la clémence. Puisqu'ils, ont commencé, c'est à moi de finir. Ils cherchèrent à s'échapper, les barricades furent levées, ils tombèrent sous les baïonnettes des soldats. A huit heures du soir, Bonaparte fit cesser le carnage. Les insurgés perdirent environ 2.500 hommes. La perte des Français ne fut que de 60 tués[66] et 40 blessés[67].

Bonaparte écrivit aux généraux Reynier et Marmont[68] : Nous avons eu ici beaucoup de tapage. Mais actuellement tout est tranquille. Cela, je crois, sera une bonne leçon ; on s'en souviendra longtemps. Toutes les nuits, nous faisons couper une trentaine de têtes, et beaucoup de celles des chefs. Quatorze cheyks furent désignés comme moteurs de la révolte, cinq furent saisis et décapités sur la place de la citadelle, le 14 brumaire. Le divan fut supprime, et la ville du Kaire mise entièrement sous le régime militaire.

Le 2 brumaire, on vit affichées sur les murs deux proclamations, l'une des gens de loi aux habitants des provinces, l'autre des cheyks au peuple d'Égypte. On y cherchait par l'exemple de ce qui venait d'arriver au Kaire, à prévenir les peuples contre les insinuations des méchants ; on y vantait la clémence du général en chef ; on y appelait les Français les seuls amis des Musulmans, les ennemis des idolâtres, les fidèles alliés du sultan ; les Russes y étaient signalés comme les ennemis les plus dangereux de l'islamisme ; on y faisait espérer que Bonaparte allégerait les charges du peuple. Cessez enfin, y disait-on, de fonder vos espérances sur Ibrahim et Mourad, et mettez toute votre confiance en celui qui a créé les humains et qui dispense à son gré les empires. Le plus religieux des prophètes a dit : La sédition est endormie ; maudit soit celui qui la réveillera.

Deux jours après la révolte du Kaire, des Arabes, accourus de divers points du désert, s'étaient réunis devant Belbéis ; Reynier les attaqua, les repoussa partout ; ils disparurent et bientôt après se soumirent.

Le canon du Moqattam retentit dans toute l'Égypte, et ne contribua pas peu à contenir dans la soumission et l'obéissance ceux des habitants qui auraient été tentés de se révolter.

Quels avaient été la cause et le but de cette sédition ? Il y eut, à cet égard, même parmi les Français qui en avaient été témoins, une grande diversité d'opinions. Il ne faut donc pas s'étonner si cet événement fut ensuite mal jugé et dénaturé en Europe. Bonaparte ? dans sa lettre au Directoire, dit simplement que les chefs s'étaient annoncés pour vouloir lui présenter une pétition. On a prétendu que la révolte avait été soufflée par les imans qui regardaient comme une profanation la protection même que le général en chef accordait à la religion ; que les mesures prises pour rechercher les propriétés des Mamlouks, les contributions exigées de leurs femmes, et l'obligation imposée aux propriétaires de biens fonds, de présenter leurs titres à l'enregistrement, avaient amené l'explosion.

Certes l'insurrection d'un peuple contre le joug étranger, d'un peuple musulman contre un conquérant chrétien, s'expliquerait assez d'elle-même, sans avoir besoin de recourir à d'autres causes, et ne prouverait rien contre la conduite de l'armée et de son chef.

Bonaparte était intéressé à bien connaître la nature de cette sédition pour régler sa conduite. On fit donc des recherches pour découvrir la vérité. Tels furent les renseignements qu'on recueillit et qui furent publiés[69].

La sédition avait été préparée par des cheyks subalternes. Jaloux de leurs supérieurs, que le général en chef avait employés dans l'administration, ils travaillèrent à ruiner leur crédit auprès des habitants en les accusant d'être vendus aux Français et dévoués à leurs volontés ; de, négliger auprès du général en chef les intérêts du peuple et de ne pas représenter ses besoins.

Vingt cheyks mécontents s'étaient assembles dans la nuit et avaient décidé de faire fermer les boutiques le lendemain à la pointe du jour, et de réunir une grande populace sous le prétexte d'aller chez le général en chef lui porter leurs plaintes sur la situation du peuple.

Tout étant ainsi convenu, ils réunirent des gens à leur dévotion ; il s'y joignit bientôt un assez bon nombre de ces individus communs dans les grandes villes qui, soit espoir du pillage, soit désir du changement, soit curiosité, sont toujours disposés à augmenter les attroupements et à prendre part aux émeutes. Cette foule se dirigea sur la maison du qady, et fit fermer les boutiques dans les rues où elle passa. En très-peu de temps cet exemple fut suivi dans toute la ville par imitation ou par peur ; l'émeute se propagea à mesure que le bruit se répandit qu'elle existait.

Tous les Musulmans employés par les Français dans l'administration, la police et même comme domestiques, montrèrent une fidélité inébranlable. Les membres du divan se mirent entre les mains des Français en se réunissant chez le général en chef dès le commencement de l'émeute. Ils se prêtèrent à toutes les démarches qui furent jugées convenables, et fournirent tous les renseignements qui leur furent demandés ; la connaissance qu'ils avaient du caractère du peuple et de la manière de le conduire fut très-utile dans cette circonstance.

Quoique l'on eût combattu dans toutes les rues, la population entière n'avait pas pris part à la sédition. Les gens honnêtes et tranquilles étaient demeurés dans leurs maisons. Ainsi une portion très-considérable d'habitants avaient servi les Français ou étaient restés neutres. C'est pourquoi le général en chef ne jugea pas devoir sévir contre la ville en masse, et se borna à punir les principaux chefs de la révolte. Les Musulmans regardèrent cette justice comme une grande générosité ; car, à la place des Français, ils auraient après la victoire livré la ville au sac et au pillage.

Ajoutons que depuis un mois l'Égypte était inondée d'exemplaires d'un firman du grand-seigneur qui démentait tout ce que Bonaparte avait dit de son accord avec la Porte, et qui prêchait la guerre contre les Français. On le lisait dans les mosquées ; on excitait le peuple au massacre. Cette pièce, portant le cachet européen, était de fabrique anglaise.

 

 

 



[1] Lettre à Bonaparte, du 23 thermidor.

[2] Lettre de Vial à Bonaparte, du 24 thermidor.

[3] Lettres de Vial à Bonaparte, des 24 et 26 thermidor.

[4] Lettre du 3 fructidor.

[5] Lettre de Fugières à Bonaparte, du 26 thermidor.

[6] Lettre de Zayonschek à Bonaparte, du 26 thermidor.

[7] Lettre du 29 thermidor.

[8] Lettre de Dugua à Bonaparte, du 28 thermidor.

[9] Lettre de Dugua à Bonaparte, du 2 fructidor.

[10] Lettre de Dugua à Bonaparte, du 2 fructidor.

[11] Lettre de Bonaparte à Zayonscheck, le 29 thermidor.

[12] Lettre de Bonaparte, du 14 fructidor.

[13] Lettre du 13 fructidor.

[14] Lettre à Bonaparte, du 27 thermidor.

[15] Lettre de Reynier à Bonaparte, du 30 thermidor.

[16] Arrêté du 12 fructidor (29 août).

[17] Lettre du 20 fructidor.

[18] Lettre du 27 fructidor.

[19] Lettre du 26 fructidor.

[20] Lettre du 28 fructidor.

[21] Ordre du jour de Bonaparte, du 1er vendémiaire an VII.

[22] Lettre du 20 fructidor.

[23] Lettres des 2, 3 et 5 vendémiaire an VII.

[24] Ce camée fut donné par Bonaparte à son épouse.

[25] Lettre du 26 vendémiaire.

[26] Lettre du 6 brumaire.

[27] Lettre du 22 frimaire.

[28] Lettre du 24 vendémiaire.

[29] Lettre du 25 vendémiaire.

[30] Lettres de Kléber à Bonaparte, des 23 et 24 thermidor.

[31] Lettre du 28 thermidor.

[32] 93.530 mètres.

[33] Lettre de Bonaparte à Marmont, du 1er fructidor.

[34] Lettre du 4 fructidor.

[35] Lettre du 4 fructidor.

[36] Lettre à Bonaparte, du 29 thermidor.

[37] Lettre du 5 fructidor.

[38] Antommarchi, tome I, page 116.

[39] Lettre de Kléber à Bonaparte, du 4 fructidor.

[40] Lettre du 11 fructidor.

[41] Lettre du 9 fructidor.

[42] Lettre du 3 fructidor.

[43] Lettre du 11 fructidor (28 août).

[44] Lettre du 13 fructidor.

[45] Lettre du 13 fructidor.

[46] Lettre du 15 fructidor.

[47] On ne vous croirait pas ! dit Napoléon sur cette lettre au docteur Antommarchi. Voyez-vous la noble assurance, la fierté d'un brave ! Non certes, on ne m'aurait pas cru, et j'aurais été désespéré qu'on le fit. Je nie plaignais de défaut d'économie ; je n'imputais pas de malversations ; mais tel était Kléber, ardent, impétueux, d'impression facile. L'intrigue en profita. Antommarchi, tome I, page 171.

[48] Lettre de Kléber à Bonaparte, du 21 fructidor.

[49] Lettre de Kléber à Bonaparte, du 26 fructidor.

[50] Lettre du 2e jour complémentaire.

[51] Lettre de Bonaparte au Directoire, du 26 brumaire.

[52] Lettre du 1er jour complémentaire.

[53] Lettre du 1er jour complémentaire.

[54] Lettre du 1er vendémiaire an VII.

[55] Lettre du 13 vendémiaire.

[56] Lettre du 11 vendémiaire.

[57] Lettres des 1er et 4 fructidor.

[58] Lettre du 11 fructidor.

[59] Lettre du 13 fructidor.

[60] Lettres des 17 et 21 fructidor.

[61] Lettre du 20 vendémiaire an VII.

[62] Lettre du 26 vendémiaire.

[63] Lettre de Bonaparte au Directoire, du 6 brumaire.

[64] La ville de Toulouse, où il était né, célébra, le 20 brumaire an IX, un service funèbre en son honneur. Un arrêté des consuls ordonna qu'un monument lui serait élevé sur une place de cette ville ; il ne fut point exécuté.

[65] Lettre de Bonaparte au Directoire, du 6 brumaire.

C'était, dit Napoléon, un Polonais plein d'audace de savoir et de capacité. Il était aller porter à Kosciusko les instructions du comité de salut-public. Il connaissait le génie, parlait toutes les langues de l'Europe, aucun obstacle ne l'arrêtait. Antommarchi, tome II, page 5.

[66] Lettre de Bonaparte à Marmont, à Reynier et au Directoire, des 2 et 6 brumaire.

[67] Larrey, Relation chirurgicale de l'armée d'Orient, page 42.

[68] Lettres ci-dessus citées.

[69] Courrier d'Égypte, n° 19.