HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME TROISIÈME

 

LOUIS XIII.

 

 

Héritier du trône, Louis XIII n'était âgé que de neuf ans. Au moment d'aller se mettre à la tête de son armée contre l'Autriche. Henri IV avait laissé à la reine la régence du royaume, et l'avait fait couronner. Le pouvoir de la régente était limité et tempéré par un conseil de quinze seigneurs et magistrats. La régence, pendant la minorité du roi, était un cas différent. Henri IV ne l'avait pas prévu ; surpris par la mort, il n'avait fait aucune disposition. Marie de Médicis n'avait pas droit à la régence ; comme toutes les reines, elle se met en mesure de s'en emparer. Il est permis de douter qu'elle regretta beaucoup son mari ; ainsi, loin de perdre son temps à le pleurer, tandis que son corps sanglant, délaissé par les courtisans, est exposé aux regards du peuple, d'Épernon met des troupes en mouvement, prend des positions, cerne l'hôtel de ville, le Palais, et assemble le parlement. Sur ses instances, la cour déclare la reine, mère du roi, régente en France, pour avoir l'administration du royaume pendant le bas âge dudit seigneur son fils, avec toute puissance et autorité. Le parlement est en usurpation flagrante ; jamais il n'eut le droit de décerner la régence, jamais il ne l'avait décernée. Le lendemain, la reine mène son fils au Palais, pour y tenir son lit de justice. Elle prend la parole, trouve des larmes, le recommande à la cour. Le roi enfant répète un petit discours qu'on lui a appris. Sa mère et lui flattent le parlement, et promettent de gouverner d'après ses conseils et ses avis. Le chancelier représente l'urgente nécessité de pourvoir à la régence, et n'hésite pas à dire que, peu de jours avant sa mort, le feu roi avait déclaré son intention qu'elle fût donnée à la reine. Après un discours louangeur du premier président, la cour confirme son arrêt de la veille qui défère la régence à la reine. C'est ce même parlement dont le président Lemaitre disait au duc de Mayenne, lieutenant général du royaume (1593), que le gouvernement des reines régentes avait toujours été funeste et excité des séditions et des guerres civiles.

Étrangère, contraire à la grande politique nationale du feu roi, Marie de Médicis ne promet pas d'heureux jours. Un conseil de régence est composé des princes du sang, des ducs d'Épernon, de Guise, de Mayenne et des ministres de Henri. Mais la reine est gouvernée par une camarilla italico-espagnole, Concini, la Galigaï, sa femme, le jésuite Cotton, confesseur du feu roi, et l'ambassadeur d'Espagne.

La grande affaire de la régence et la formation du conseil sont bâclées en l'absence des princes et grands seigneurs, ou sans qu'ils aient été convoqués. Ils arrivent à la cour, ils sont et se montrent mécontents. Henri IV, qu'ils avaient abreuvé de contrariétés et de chagrins, qui avait eu tant de peine à les satisfaire et à les contenir, n'est plus là. Le roi est un enfant, une femme règne. Ils boudent, ils se plaignent, ils intriguent les uns contre les autres, ils forment de petites factions ou coteries. Que veulent-ils ? rien de grand, de généreux, de national. Ils veulent satisfaire de mesquines rivalités, des vanités puériles, de basses vengeances ; ils veulent de l'argent, des places ; ils sont à vendre, le prince de Condé en tête ; la régente les achète avec les trésors laissés par le feu roi à la Bastille, et assoit son pouvoir sur la lâcheté et la corruption. Cette base immorale est peu solide ; l'avidité des grands est insatiable. Le gouvernement, le royaume sont continuellement agités, tourmentés par leurs brouilleries, leurs disputes, leurs cabales leurs prétentions, leur insubordination, leur insolence.

Dans cette confusion, le désordre gagne nécessairement l'administration. A la tête des finances, il y a un homme qui les a rétablies. Sa sévérité gêne, importune. Sully était l'ami du feu roi ; il est calviniste, on s'en débarrasse. Lui-même ne résiste pas à la contagion et fait chèrement payer sa retraite.

Bien que la cour ait confirmé l'édit de Nantes, le parti calviniste sent que le feu roi lui fait faute ; il craint une réaction, s'alarme, tient une grande assemblée à Saumur, demande de nouvelles places de sûreté, d'autres concessions, et réclame contre la disgrâce de Sully et les projets d'alliance avec l'Espagne. Le duc de Rohan souffle le feu. On lui prête le projet de partager la France protestante en départements et de faire une république. La régente s'inquiète ; elle parlemente, négocie, gagne quelques seigneurs du parti, envoie des commissaires dans les provinces pour maintenir l'exécution de l'édit, et conjure cet orage. Il n'était pas très-menaçant. Le gros des calvinistes, moyennant qu'on leur laissât la liberté de leur culte, n'était pas disposé à se soulever pour l'ambition de quelques seigneurs.

A l'extérieur, la régente a pris le contre-pied de la politique de Henri IV. C'était peut-être un poids trop lourd pour un roi mineur et une femme. Mais, au lieu de prendre quelque temps pour aviser, plus entraînée par ses affections qu'effrayée des difficultés de sa position, la régente fait tout à coup volte-face, abandonne les alliés de la France, désarme et signe secrètement un traité d'alliance avec l'Espagne, qui stipule le mariage de Louis XIII avec l'infante Anne d'Autriche, et de la sœur du roi, Élisabeth, avec le fils de Philippe III.

Cependant la discorde continue parmi les grands. Elle n'a pour objet que des rivalités ambitieuses et cupides, et la fortune prodigieuse de Concini, devenu marquis d'Ancre, gouverneur d'Amiens, de Péronne, de Dieppe, et bientôt maréchal de France. C'est à qui le supplantera pour prendre sa place. La France s'émeut faiblement de cette agitation. Pour l'intéresser à leur cause, les seigneurs prennent le masque du patriotisme, et se posent comme les défenseurs du bien public. Une demi-douzaine de princes, de ducs, ayant pour chef le prince de Condé, se coalisent, rompent en visière avec la cour, la quittent, se retirent dans leurs gouvernements, et demandent la réforme des abus dont le gouvernement de l'État est infesté et la convocation des états généraux. Sur le terrain des abus, les prétextes ne manquent pas. De part et d'autre on publie des manifestes, on recrute, on arme, on se prépare à la guerre. Quoique tout ce grand bruit n'ait rien de bien sérieux, la régente n'ose pas courir les risques d'une collision armée ; elle négocie. Le traité de Sainte-Menehould est conclu (15 mai 1614). Il donne à tous ces seigneurs que dévore l'amour du bien public de l'argent, des pensions, des emplois, et jusqu'à 450.000 livres pour payer les frais de leur prise d'armes. On leur promet la convocation des états généraux, et que les mariages avec l'Espagne ne seront pas faits sans leur consentement. En effet, les états sont convoqués à Sens pour le 10 septembre.

A cette époque, le roi ne sera pas majeur. La régente craint que les états n'attaquent son administration, ne demandent l'éloignement des ministres, surtout du maréchal d'Ancre, et qu'ils n'empêchent le roi, devenu majeur pendant leur session, de laisser à sa mère le pouvoir qu'elle a eu pendant sa minorité. Une levée de boucliers du duc de Vendôme en Bretagne, et du prince de Condé en Poitou, fournissent à la régente un prétexte pour mener le roi dans ces deux provinces, et pour ajourner jusqu'à son retour l'assemblée des états. Il revient à Paris étant entré dans sa quatorzième année et ayant atteint sa majorité. La régente s'empresse de le mener au parlement tenir son lit de justice. Elle dit qu'elle a remis l'administration de l'État entre les mains de son fils. Il la remercie de ses soins et déclare qu'il ne prétend gouverner que par les avis de sa bonne mère. Le chancelier prononce l'arrêt qui déclare le roi majeur. L'assemblée des états est transférée à Paris pour le 10 octobre.

Les lettres patentes pour leur convocation sont, dans la forme et le fond, à peu près les mêmes que pour les états de 1588. Elles indiquent de plus un objet spécial. Arrivé à sa majorité, le roi désire faire connaître ce qui s'est passé pendant sa minorité. Il vante le repos dont on a joui, et la bonne conduite des affaires dans l'intérieur et à l'extérieur. Le 13, par une déclaration, il ordonne aux députés de s'assembler le 14 dans la salle des Augustins, pour conférer, ensuite se réunir par ordre, le clergé dans ce couvent, la noblesse aux Cordeliers, le tiers état à l'hôtel de ville, afin d'examiner leurs cahiers et de les réduire en un seul. Ensuite ils se rassembleront de nouveau aux Augustins pour choisir celui d'entre eux qui devra porter la parole pour tous. Les états sont ainsi composés : clergé, cent quarante membres, dont cinq cardinaux, sept archevêques, et quarante-sept évêques ; noblesse, cent trente-deux ; tiers état, cent quatre-vingt-deux, la plupart officiers de justice et de finance : total, quatre cent cinquante-quatre.

Pourquoi a-t-on isolé les ordres dans trois locaux éloignés l'un de l'autre ? Ce n'est pas pour la facilité des communications et leur commodité. Le couvent des Augustins a des emplacements suffisants pour les trois chambres. La noblesse et le tiers état demandent à y tenir leurs séances, comme le clergé. C'est presque une affaire d'État. Le roi daigne l'accorder comme une faveur.

L'ordre dans lequel les députés seront appelés et siégeront, l'organisation du bureau, la vérification des pouvoirs, sont les premières opérations des chambres. Dans celle du tiers état, quelques-uns proposent qu'on se place sans distinction. L'esprit provincial prévaut. Il est décidé que les députés seront appelé, et siégeront par bailliages dans l'ordre suivi aux états de 1588. La noblesse se range par provinces, le clergé par diocèses.

Les députés du tiers état de Paris affectent toujours une suprématie. Le prévôt des marchands se regarde comme président né. Les députés des provinces repoussent cette prétention ; ils se divisent ; pour la formation du bureau seulement on vote par bailliages. Le prévôt Robert Miron escamote, pour ainsi dire, la présidence. La chambre proteste qu'il n'en résultera pas de privilège en faveur de Paris. Le clergé nomme président le cardinal de Joyeuse et la noblesse le baron de Sennecey. On vote, on opine par gouvernements.

Les trois ordres se font, par députations, des visites et compliments. En apparence, rien de plus simple. Mais l'étiquette a ses lois ; elle est chatouilleuse, exigeante. A l'égard l'un de l'autre, le clergé, la noblesse se mettent sur le pied de l'égalité ; s'ils disputent, ce n'est que de courtoisie. Il n'en est pas ainsi du tiers état, il représente les vilains ; il faut lui faire sentir son infériorité. Le clergé n'abuse pas trop de sa position et s'humanise. La noblesse se cramponne fièrement à la sienne. Une députation du tiers état lui est annoncée ; elle est de douze membres, un par gouvernement. Le clergé envoie prier la noblesse de la recevoir comme il l'a lui-même reçue, pour ne pas commencer à semer la division entre les trois ordres. Cette recommandation n'aboutit qu'à faire donner une chaise à l'orateur du tiers état. Du reste, ses douze députés sont reçus à la porte de la chambre par deux de ses membres et conduits sur un banc placé d'une manière peu décente. Le président invite les députés du tiers état à se couvrir. Ce n'est pas ainsi que la noblesse et le clergé se traitent, ni que le tiers état reçoit les députations de la noblesse ; il envoie au-devant d'elles, hors de sa salle, et les place au-dessus de son président. Le tiers état est sensible à la différence de ces procédés. Cela n'empêche pas qu'on ne se fasse des compliments, mais ou y remarque un ton aigre-doux. Ces puériles prétentions de la noblesse ne tardent pas à produire des discussions sérieuses.

L'évêque de Paris ordonne un jeûne de trois jours et une procession générale. Le tiers état arrête qu'il y assistera, vêtu de drap noir, en bonnet carré, cierge en main. Comme prévôt des marchands, Miron prétend y aller vêtu des couleurs de la ville. De Mesme, lieutenant civil, oppose que Miron figurera là comme député et non comme prévôt ; que tous les titres, même celui de membre de cour souveraine, disparaissent devant celui de député.

La chambre adopte cet avis. 31iron promet de s'y conformer.

Le 26, le roi, la cour, les députés des trois ordres, vont processionnellement des Augustins à Notre-Dame. Les députés du tiers état sont vêtus, ceux qui appartiennent à la justice, de la robe noire, cornette et bonnet carré, ceux de finance ou de robe courte, avec le court manteau ouvert par les côtés pour passer les bras, et avec-la toque. La noblesse se distingue par la richesse de ses habits et l'épée ; le clergé, par les costumes ecclésiastiques de tout rang.

Le 27, les députés des trois ordres se rendent à midi à la porte de la grande salle de Bourbon au Louvre. Un héraut d'armes les appelle avec une telle confusion, qu'ils ne peuvent reconnaître si c'est par bailliages ou gouvernements ; ils entrent en foule et comme ils peuvent. Il y a à droite et à gauche une grande quantité de bancs garnis de tapis verts. Le clergé se place en avant, la noblesse ensuite, le tiers état par derrière. Toutes les loges, tant hautes que basses, sont remplies d'hommes et de femmes, ainsi que tout le pourtour de la salle, comme s'il ne s'agissait que d'un spectacle ou d'une comédie. Mécontents du désordre avec lequel ils ont été introduits et placés, la plupart des députés disent que la France est incapable d'ordre.

Le roi et sa cour sont introduits. Il s'assied sous un grand dais de velours violet parsemé de fleurs de lis d'or ; à sa droite, la reine mère' assise dans une chaise à dossier ; près d'elle, Élisabeth de France, fiancée au prince d'Espagne, et la reine Marguerite. A la gauche du roi, son frère Monsieur, et Christine, deuxième fille de France. La famille royale est entourée et flanquée dans tous les sens de princes, ducs, cardinaux, grands officiers, maréchaux, ministres, conseillers, capitaines des gardes.

Messieurs, dit le roi, j'ai désiré de vous cette grande et notable assemblée au commencement de ma majorité, pour vous faire entendre l'état présent des affaires, pour établir un bon ordre par le moyen duquel Dieu soit servi et honoré, mon pauvre peuple soulagé, et que chacun puisse être maintenu et conservé en ce qui lui appartient sous ma protection et autorité. Je vous prie tous et vous conjure de vous employer comme vous devez pour une si bonne œuvre ; je vous promets saintement de faire observer et exécuter tout ce qui sera résolu et avisé en cette assemblée. Vous entendrez plus amplement ma volonté par ce que vous dira M. le chancelier.

Le chancelier Sillery, couvert de son bonnet carré noir, harangue pendant une heure, mais d'une voix si faible, qu'on ne peut l'entendre. En parlant au clergé et à la noblesse, il se découvre ; en parlant au tiers état, il reste couvert. Après avoir pris les ordres du roi, il termine en disant aux députés que sa majesté leur permet de s'assembler, de dresser leurs cahiers, et que lorsqu'ils seront prêts, il leur donnera une réponse favorable.

L'archevêque de Lyon harangue pour le clergé fort succinctement. Le baron du Pont-Saint-Pierre, pour la noblesse ; il est long, se perd en citations historiques, et est obligé de s'arrêter court. Il lance une insulte au tiers état. Le roi reconnaîtra, dit-il, la différence qu'il y a entre la noblesse et ceux qui, étant inférieurs, s'en font pourtant accroire par-dessus elle sous la couleur de quelques honneurs et dignités qu'ils ont obtenus. Le prévôt Miron parle pour le tiers état.

Les orateurs des deux premiers ordres avaient parlé debout ; celui du tiers état se met à genoux, et on l'y laisse.

Sur la proposition du clergé, les députés entendent messe et sermon, et communient dans l'église des Augustins. Dans cette cérémonie, la noblesse veut encore humilier le tiers état. On avait placé près de l'autel, vingt-quatre chaises pour un pareil nombre de membres distingués des deux premiers ordres. Le clergé désire qu'on en mette aussi pour le tiers état à la suite de la noblesse ; elle ne le veut pas, disant que le tiers état n'a droit à aucune distinction. Le clergé insiste, parce que le tiers état est membre du corps universel de la France, qu'il ne faut pas le mettre si bas, comme s'il n'était composé que de la lie du peuple ; qu'il s'y trouve beaucoup de nobles qui font profession de rendre justice au clergé et à la noblesse ; partant qu'il doit participer aux honneurs. La noblesse aime mieux renoncer à ses sièges que de voir le tiers état partager cette distinction.

Le corps municipal de Paris essaye encore de faire insérer dans les procès-verbaux une protestation en faveur de la prétention du prévôt des marchands, d'être président-né du tiers état. L'assemblée se soulève, et décide de nouveau qu'elle a le droit de choisir pour président le député qu'elle voudra.

On continue la vérification des pouvoirs ; les décisions de chaque ordre à cet égard sont exécutées provisoirement ; le conseil du roi juge définitivement. Pendant cette opération surgissent une foule de prétentions entre les villes et les bailliages concernant les rangs et séances. On les termine en décidant que l'ordre suivi aux derniers états sera maintenu, sans préjudice des droits des parties.

Les députés prêtent serment de bien et saintement exercer leurs charges, d'y servir le public religieusement, le roi fidèlement, et de tenir secret tout ce qui se passera dans leur assemblée.

Le roi renvoie au tiers état une requête de l'université de Paris qui demande à avoir rang et séance aux états dans le gouvernement de l'Ile-de-France et à présenter son cahier, ainsi qu'elle avait fait aux états de 1412, sous Charles VI. Le tiers état répond que des arrêts du parlement ayant jugé que l'université était un corps ecclésiastique, il n'avait aucun intérêt dans la question, et que l'université devait se pourvoir devant le clergé. Elle ne fut pas admise.

Un député du Mans demande son congé au roi qui renvoie sa requête au tiers état. La chambre refuse d'y statuer par le motif que les états n'ont pas le pouvoir de congédier des députés convoqués par le roi, et qu'à lui seul il appartient de le faire.

Lorsqu'un député meurt pendant la session, on lui fait des obsèques solennelles, les trois ordres y assistent.

Voici un trait qui donne une idée de la faveur dont jouissaient les particuliers dans leurs communications avec les états.

On n'avait point de vaisseaux armés et équipés sur les côtes de l'Océan pour s'opposer aux excursions de corsaires ; depuis deux ans les sujets du roi avaient fait des pertes pour plus de 2 millions d'or. La noblesse lui représenta qu'il n'y avait si petit État qui n'eût suffisamment de vaisseaux pour se conserver, que la France seule négligeait la marine quoiqu'elle eût tout ce qu'il fallait, les cordages et les bois. Le vice-amiral Boutteville de Montmorency vint prier le tiers état d'en dire quelque chose dans son cahier.

Un nommé la Barillière avait de grands projets pour remonter la marine, il fut reçu en audience par le tiers état. Il se permit de dire que François lei, au lieu de penser à construire des vaisseaux pour se rendre le dominateur des mers, avait fait bâtir aux portes de Paris le modèle de sa prison, à sa honte et de toute la France, et à l'honneur de l'étranger. A ces mots, la chambre se soulève d'indignation ; ou crie à la Barillière qu'il est un insolent et un malavisé de blâmer la mémoire de l'un des plus grands rois qu'ait jamais eus la France, et on lui ordonne de sortir. Le lieutenant civil le suit et le fait arrêter par deux huissiers. La chambre trouve ce procédé très-mauvais, le lieutenant civil étant là non comme magistrat, mais comme député ; c'était blesser l'autorité des états qu'un particulier constituât prisonnier un homme qui était venu sur la foi elle sauf-conduit des états. Le lieutenant civil s'excuse sur ce qu'entendant parler indiscrètement de la mémoire d'un grand roi, père des armes et des lettres, il avait été saisi et touché de douleur, et s'en remet à la chambre pour faire ce qu'elle jugera à propos. Elle approuve la conduite du lieutenant civil, comme s'il eût agi par ordre de la chambre, et décide que la Barillière y sera ramené pour être blâmé et mis ensuite à la disposition du chancelier. Celui-ci ne jugeant pas que cela fût suffisant pour punir l'audacieux qui avait eu l'insolence de dire une vérité sur un roi mort, se proposait de le livrer au grand prévôt de l'hôtel. Des députés, se fondant sur la liberté qui devait exister au sein des états, demandèrent et obtinrent le pardon du faiseur de projets.

La rédaction des cahiers de remontrances est le travail principal des étals ; en général, les procès-verbaux ne rapportent pas les débats auxquels ce travail a donné lieu ; mais ils contiennent les discussions qui se sont élevées sur les objets étrangers aux cahiers et dont les états ont pris l'initiative dans le cours de leur session. Ces discussions, renfermées dans chaque chambre et secrètes, sont étranglées par les greffiers et, traduites en style de greffe, perdent leur originalité. Avant d'en venir aux cahiers, nous rapportons les matières diverses traitées par les états.

Finances. Malgré les motifs de bien public et de réformation pour lesquels, d'après les lettres royales, les états généraux sont convoqués, les finances sont le vrai motif de leur convocation. Pour le gouvernement comme pour la nation, c'est la plus grande et la première affaire. Les dilapidations des financiers sont si scandaleuses, que dans toutes leurs sessions les états ont proposé de faire rendre gorge à ces sangsues. Les états actuels imitent leurs devanciers. La noblesse des mande l'établissement d'une chambre de justice, prise dans le corps des états, pour réprimer et châtier les abus et malversations des gens de finance. Le clergé et le tiers état y adhèrent. Un gentilhomme se fait fort de procurer la rentrée de 12 millions dans les coffres du roi, et offre de se constituer prisonnier. On désire connaître ses moyens ; il ne veut pas les déduire de peur que la découverte de son secret ne soit préjudiciable au service du roi, et parce que les financiers sont alliés aux meilleures et plus notables familles de Paris. La création d'une chambre de justice n'est pas bien accueillie par le roi, qui la renvoie aux cahiers. La noblesse y met une grande obstination et députe au tiers état. L'orateur de la députation, Murinais, fait un discours à perte de vue. Les rois, dit-il, ressemblent aux divinités ; ils veulent être importunés avec fréquentes prières et instantes requêtes. La justice même nous y fraye le chemin ; car nous ferons Noir qu'en 1588 l'écu revenait aux coffres du roi, toutes charges déduites, à-quatorze sols, et maintenant pas seulement à huit. C'est la cause de la surcharge et oppression du peuple, pour le soulagement duquel la noblesse emploie son épée, sa vie, son honneur. Les exemples ne nous manquent pas. En 1588 les états demandèrent la même chose. Sous Charles le Sage, régent pendant la prison du roi Jean, les états généraux obtinrent que les douze intendants des finances fussent destitués, et que les deniers provenant de la recherche de leurs concussions et larcins fussent employés à la rançon du roi. On retourne donc chez le roi, qui, pour toute réponse, l'envoie de nouveau l'affaire aux cahiers. La noblesse persiste, et décide qu'elle ne travaillera point au cahier général, tant que le roi n'établira pas pas la chambre de justice.

A la cour c'est un parti pris ; on ne reconnaît pas aux états la faculté de délibérer et de provoquer sa décision, en dehors des cahiers, à moins qu'elle-même ne le demande. La raison en est simple ; le renvoi aux cahiers est un moyen d'évasion. Lorsqu'ils sont présentés, les députés sont congédiés, et le gouvernement prend son temps pour répondre ; on ne répond pas. Les députés ne l'ignorent point ; aussi ne se laissent-ils pas arrêter par le refus du roi, et continuent-ils de délibérer en dehors des cahiers sur divers objets importants.

Le roi vient de créer de nouveaux offices. Les partisans vexent et tourmentent le peuple par des commissions, levées et recherches de deniers. Les états réclament un sursis à toutes ces mesures. En ce qui concerne les offices, la reine commence par demander une exception pour ceux de commis des trésoriers de l'épargne, et cela par un motif curieux : c'est une affaire de ménage. Le feu roi a créé ces offices au profit de sa femme. Elle dit qu'ils lui produiront 600.000 livres. On oppose que, par l'érection de ces offices, on confirme des pensions immenses, dont on demande la suppression dans les cahiers. Des députés, gagnés par la reine, répondent que l'État lui a des obligations pour son bon gouvernement ; que si on accorde sa demande, cela l'engagera à intercéder auprès du roi pour qu'il décharge le peuple d'une foule d'oppressions dont il est accablé. Ces motifs l'emportent. La reine répond qu'elle n'a pas douté de la bienveillance des députés ; qu'elle fera, de son côté, ce qui lui sera possible pour le soulagement du peuple et le contentement d'un chacun.

Le tiers état n'en reste pas là. Le lieutenant général de Saintes propose de supplier le roi de surseoir : 1° à l'envoi de la commission de la taille, ou au moins de la réduire au taux de 1576 ; 2° au recouvrement de la paulette, droit annuel, moyennant lequel les titulaires des offices en étaient propriétaires ; 3° au payement des pensions. L'orateur développe ses motifs dans un discours très-pathétique. La taille : le fardeau en était insupportable au peuple, il en était accablé. La paillette : comme ce droit donna lieu, dans cette session, à des intrigues et à des dissensions entre les trois ordres, il faut dire en quoi il consistait. Les offices de judicature et de finance pouvaient se résigner, mais il fallait que le résignant vécût quarante jours après sa démission, sinon le roi nommait. Pour procurer un revenu à Henri IV, Sully imagina d'assurer les offices à la veuve et aux héritiers du titulaire, moyennant que ceux qui en seraient pourvus payassent tous les ans le soixantième denier de la finance à laquelle les offices étaient évalués, faute de quoi ils retournaient à la disposition du roi. Ce droit fut appelé officiellement droit annuel, et par le public la paulette, du nom de Paulet, qui en fut le traitant. Par ce moyen on rétablissait l'hérédité et la vénalité des offices, contre lesquelles, depuis plus de trois siècles, les états généraux et la nation avaient constamment réclamé. Les états actuels ne restèrent pas en arrière ; la paulette fut vivement attaquée, et le premier cri partit de la noblesse. On pense que ce fut à l'instigation de la cour qui cherchait à paralyser les états en semant la dissension parmi les ordres. La question de la !mulette intéressait le tiers état, dont Fa plupart des députés possédaient des offices. D'un autre côté, la cour poussait le tiers état à réclamer contre la prodigalité des pensions dont jouissait la noblesse. Après cet éclaircissement, nous reprenons le discours du lieutenant général de Saintes.

La paulette, dit-il, fomentait l'ignorance et fermait la porte des offices à la science et à la vertu. Le tiers état montrait d'autant plus en cela son dévouement au bien public et son désintéressement, qu'il possédait les charges les plus élevées et les plus honorables. Les pensions : Serait-il donc dit désormais que le roi ne serait servi que par ses pensionnaires, et que ceux qui ne le seraient pas lui dénieraient tout devoir ? Ah ! lâcheté française ! Ah ! Français, auxquels il ne reste que le nom français, vous servez votre roi comme mercenaires, puisque vous le servez pour l'argent ! Si vous aviez l'humilité et l'obéissance empreintes dans vos cœurs, vous le serviriez parce qu'il est votre roi légitime, et que la loi de Dieu, de la nature et du royaume vous l'a donné pour commander. Il n'est pas messéant de recevoir des libéralités de son prince, mais il faut les avoir méritées ; et cependant tel ne les a méritées ni par vertus, ni par actions héroïques, qui demande des gratifications de son prince avec le plus d'importunité, sans avoir la discrétion de penser si les affaires du royaume peuvent supporter l'immensité de tels dons, qui seraient suffisants pour soulager le peuple des surcharges dont il est opprimé.

On fait des objections au plan du député de Saintes. Le produit de la taille est indispensable au service public. La paulette produit 1.500.000 livres par an. On énerve le royaume, on lui ôte ses forces. La question des pensions, juste au fond, est intempestive à cause du bas âge du roi. Il ne faut plus considérer la France selon son ancienne franchise, puisqu'on est venu à ce point que les rois ne sont servis qu'à force d'argent, et ne sont obéis qu'à mesure qu'ils sont libéraux ; suivis et aimés, que lorsqu'ils ont les mains pleines de dons et de largesses pour les répandre profusément à l'appétit et convoitise de leurs sujets. D'ailleurs on indisposera la noblesse et les plus puissants du royaume, qui ne souffriront pas la suppression des pensions, et on amènera peut-être la rupture des états.

Ces considérations peu honorables pour la royauté n'arrêtent pas le tiers état. Il adopte les propositions du député de Saintes, et arrête qu'elles seront mises en tête de la réclamation contre les commissions relatives aux levées de deniers, dont on a décidé de demander la surséance au roi, et qui sont au nombre de quatre-vingts ; que, pour observer la bienséance et maintenir l'union des trois ordres, on communiquera cette résolution au clergé et à la noblesse.

Cependant, les partisans de la paulette proposent et obtiennent une modification à ce qui vient d'être décidé ; on demandera que les offices ne soient plus vénaux, et que l'édit des quarante jours nécessaires aux résignants, après leur résignation admise, ne soit plus observé, comme n'ayant point été vérifié en parlement, mais introduit directement après la prison de François Ier, contre les officiers qui n'avaient pas voulu servir le roi pour le payement de sa rançon. Le but de ceux qui proposent cette modification n'est que de compliquer l'affaire, et d'exagérer les demandes pour que le roi n'y fasse pas droit.

Les deux autres ordres, dont le tiers état veut avoir le concours, dans une circonstance aussi grave, trouvent les propositions très-justes ; mais ils pensent qu'on ne peut pas espérer de les emporter toutes à la fois, attendu qu'elles priveraient le roi d'une grande partie de ses ressources qu'il faut demander seulement ce qu'on peut raisonnablement espérer, par exemple, la révocation de la commission de la cour des aides pour le sel, de toutes les commissions extraordinaires pour impôts, la surséance à l'envoi des quittances du droit annuel, et renvoyer à la rédaction des cahiers l'affaire des tailles et des pensions.

Le tiers état ne juge pas à propos de disjoindre ses propositions, et charge Savaron, président à Clermont, d'aller développer ses motifs aux deux autres ordres. Il se plaint d'avoir été mal reçu par la noblesse, qui ne lui a rendu aucun honneur, et l'a maltraité en paroles. Le clergé revient à la charge. Il y a plusieurs conférences et force discours. Savaron tient tête aux orateurs les plus distingués, l'archevêque d'Aix, l'évêque de Beauvais, le cardinal Duperron. Dans une des conférences avec les deux premiers ordres, il dit : Rentrez, messieurs, dans le mérite de vos prédécesseurs, et puis les portes vous seront ouvertes aux honneurs et charges. L'histoire nous apprend que les Romains mirent tant d'impositions sur les Français, qu'enfin ils secouèrent le joug de leur obéissance, et par là jetèrent les premiers fondements de la monarchie française. Le peuple est si chargé de tailles, qu'il est à craindre qu'il n'en arrive la même chose. Dieu veuille que je sois mauvais prophète !

Le tiers état persiste dans sa résolution ; il voit clairement que le clergé et la noblesse s'entendent pour ruiner les officiers, pour le maintien des charges qui pèsent sur le peuple et pour la conservation des pensions. Il y a donc scission entre les trois ordres. Chacun d'eux s'adresse directement au roi. L'évêque d'Avranches parle au nom du clergé et de la noblesse. Il se félicite de communiquer face à face avec le roi. C'est quelque chose de la vision et béatitude céleste, puisque sa majesté est la vraie image de Dieu en terre. Le roi peut dissiper toutes sortes de maux par un seul regard, surtout étant joint à la reine sa mère. Car le soleil entrant en conjonction avec la lune, avait sur les corps inférieurs des influences et dominations beaucoup plus fortes... Après cette pitoyable comparaison, le prélat traite de la vénalité des offices. Pour prouver qu'ils doivent être donnés au mérite et à la vertu, et non à l'or et à l'argent, il cite les Grecs et les Romains, qui faisaient plus d'état des couronnes de fleurs, de chêne, de laurier et d'herbes vertes que de celles d'or, tant estimées par d'autres peuples. Donc la noblesse, qui avait l'honneur pour élément, et pour aliment la gloire, désirait qu'à l'avenir la voie fût libre et ouverte à toutes personnes dignes, capables et recommandables par leurs vertus, leurs services et leur naissance, pour parvenir aux honneurs, dignités et offices, et qu'ils ne fussent plus héréditaires ni affectés à certaines familles, qui s'attribuaient l'autorité ; qui roulaient, en un État purement monarchique, établir une espèce d'aristocratie, par la grande supériorité qu'ils s'acquéraient dans les trilles, faisant la loi à tout le reste des sujets, ne pensant plus tenir du roi ce qui leur était acquis et assuré sans lui, et qui ne relevait que de la grandeur de leur bourse. L'orateur conclut à l'abolition du droit annuel, autrement dit paulette, et provisoirement à la suspension du payement.

ll demande ensuite la cessation de la commission décernée par la cour des aides pour le sel qui rend les ecclésiastiques et les nobles de pire condition que ceux qui payent la taille, et renverse toutes tes immunités qui sont acquises aux uns par droit divin et humain, et aux autres comme prix de leur sang et des grands services qu'eux et leurs prédécesseurs ont rendus à l'État.

Le roi répond par la bouche de la reine qu'il donnera satisfaction sur la paulette et le sel.

L'attaque du clergé et de la noblesse porte sur tout le corps de la magistrature, sur le tiers état. Il n'a pas la possession exclusive des offices. Puisqu'ils sont vénaux, la noblesse peut en acheter. Mais elle les a dédaignés parce que l'administration de la justice exigeait des études, et que l'épée aurait cru déroger en faisant son droit et en revêtant la toge. Il sied bien aux nobles d'attaquer l'aristocratie judiciaire, eux qui ont toutes sortes de privilèges, et celui des emplois et dignités militaires.

Le tiers état se rend à son tour auprès du roi, et Savaron le harangue. Après avoir retracé les devoirs de la royauté... Qui avait, dit-il, appris à votre majesté, à l'âge de quatre ans, de trouver mauvais qu'un jeune seigneur, en votre présence, foulât aux pieds par plaisir des insectes et petits vermisseaux, sinon une justice naturelle qui vous suggérait de la pitié et de la compassion en voyant ainsi cruellement traiter de faibles créatures ? Sire, ce ne sont point des insectes et des vermisseaux qui réclament de vous justice et miséricorde ; c'est votre pauvre peuple ; ce sont des créatures raisonnables ; ce sont des enfants dont vous êtes le père, le tuteur, le protecteur. Prêtez-leur une main favorable pour les relever de l'oppression sous le poids de laquelle ils succombent. Que diriez-vous, sire, si vous aviez vu dans vos pays de Guienne et d'Auvergne les hommes paître l'herbe à la manière des bêtes ? Cette nouveauté, cette misère, inouïes en votre État, ne produiraient-elles pas dans votre âme royale le désir de subvenir à une si grande calamité ? et cependant cela est tellement vrai, que je confisque à votre majesté mon bien et mes offices, si je suis convaincu de mensonge.

L'orateur propose ensuite les moyens de soulager le peuple. 1° La révocation de toutes les commissions extraordinaires et nouveaux offices contenus dans un état et de tous les autres portés dans la déclaration de juillet 1610, qui rongent et sucent les provinces jusqu'aux os, à l'insu du roi ; qui n'accroissent pas les deniers de son épargne, mais qui engraissent une quantité de partisans qui dévorent la substance de ses sujets. 2° La surséance du quart de la taille et des crues y incorporées, afin de leur donner le loisir de respirer sous le faix de tant de misères. 3° Les officiers du roi, secondant en quelque sorte l'intention du clergé et de la noblesse, s'étaient portés à demander la surséance de la paulette qui avait élevé à un prix si excessif les offices, qu'on y parvenait bien plus par la richesse que par le mérite, la suffisance et la capacité. Mais cette proposition, quoique plausible, semblait avoir été imaginée plus pour .nuire aux officiers, que dans des vues de bien public. Car à quoi bon l'abolition de la paillette, si on ne supprimait entièrement la vénalité des offices. C'était ce monstre hideux qu'il fallait attaquer. Il fallait arracher la racine si l'on voulait faire mourir la plante... Ce n'était pas à cause de la paulette que la noblesse s'était éloignée des honneurs de la judicature. C'était l'opinion où elle était depuis longues années que la science et l'étude affaiblissaient le courage, et rendaient la générosité lâche et poltronne. La vénalité avait cimenté et entretenu cette opinion. La noblesse avait mieux aimé renoncer à cet honneur que de l'acquérir par l'argent.

On vous demande, sire, d'abolir la paillette et de retrancher de vos coffres 1.500.000 livres que vos officiers vous payent tous les ans ; et l'on ne vous parle point de supprimer l'excès des pensions, tellement effrénées, qu'il y a de grands et puissants royaumes qui n'ont pas autant de revenu que celui que vous donnez à vos sujets pour acheter leur fidélité. N'est-ce pas ignorer et mépriser la loi de Dieu, de nature et du royaume, que de servir son roi à prix d'argent, et qu'il soit dit que votre majesté ne soit servie que par des pensionnaires ? Les rois qui constituent des pensions aux uns, désobligent les autres à qui ils ne donnent rien, et perdent par ce moyen plus de serviteurs qu'ils n'en acquièrent. Quelle pitié qu'il faille que votre majesté fournisse par an 5.660.000 livres à quoi se monte l'état des pensions qui sortent de vos coffres ! Si cette somme était employée au soulagement de vos peuples, n'auraient-ils pas de quoi bénir vos royales vertus ? Cependant on ne parle de rien moins que de cela ; on le renvoie aux cahiers, et on veut que dès ce moment votre majesté sursoie à la paulette. Le tiers état accorde l'un et demande très-instamment l'autre.

Le roi dit sèchement que le tiers état donnât ses cahiers, et la reine ajouta qu'elle promettait de les répondre favorablement. Ainsi, comme il était facile de le prévoir, le tiers état vient échouer contre la résistance des deux premiers ordres et leur coalition avec le trône.

Il n'en est pas quitte pour cet échec. La noblesse est furieuse des libertés que Savaron s'est permises dans ses discours aux chambres et au roi. Il a insulté, outragé la noblesse. Elle en veut tirer vengeance ; elle exige une réparation, et décide qu'elle portera ses plaintes au roi. Elle invite le clergé à se joindre à elle. Il répond qu'il regarde l'injure comme lui étant commune, mais qu'avant de se réunir à la noblesse, il désire s'expliquer avec le tiers état.

L'évêque de Luçon, devenu depuis célèbre sous le nom de cardinal de Richelieu, vient avec une députation dans la chambre du tiers état. Il est envoyé, dit-il, pour rétablir la paix et l'union entre les trois ordres ; elles semblent menacées par la défiance que le tiers état a conçue du clergé, et par les paroles injurieuses que Savaron a prononcées en présence de leurs majestés contre l'honneur de la noblesse. Elle s'en est tellement scandalisée, que le clergé a jugé nécessaire d'être éclairci de l'intention du tiers état, afin d'éteindre le feu de la discorde qui consumerait en moins de rien le fruit que toute la France espérait des états. Quant au clergé, il remet toute l'offense qui lui a été faite, et n'en a aucun ressentiment. Seulement il prie le tiers état de faire entendre à la noblesse par Savaron lui-même, ou par tout autre, que ce qui a été dit est à bonne intention et non pour offenser personne. En rendant cette satisfaction à la noblesse, tout ira pour le mieux.

Le président remercie le clergé de sa bonne volonté, et dit que Savaron a depuis trop longtemps donné des preuves de sa suffisance, pour qu'il lui ait échappé aucune parole injurieuse à la noblesse, comme il le fera facilement comprendre, s'il plaît à M. de Luçon de dire les paroles dont la noblesse se trouvait blessée. L'évêque les rappelle, c'est que la noblesse s'est retirée d'elle-même de l'honneur, et qu'elle sert le roi à prix d'argent.

Savaron s'explique. De fait, de volonté, de paroles, il n'a point offensé la noblesse, et ne lui doit aucune réparation. Depuis vingt-cinq ans, il a l'honneur d'être officier du roi, et l'a servi dans une cour souveraine avant qu'il fût appelé par sa majesté à la charge dans laquelle il lui a plu de le constituer. Cinq ans auparavant il avait porté les armes, de manière qu'il a le moyen de répondre à tout le monde en l'une et l'autre profession. Ce qu'il a dit est entièrement à l'avantage de la noblesse que la vénalité des offices a décidée à se retirer des honneurs. Il y a deux sortes d'honneur, l'un faux, l'autre vrai. Le faux s'achète à prix d'argent par les idiots et incapables ; le vrai s'acquiert par la vertu. Il n'a point entendu parler de ce dernier honneur. Il sait bien qu'il y a beaucoup de nobles, compris dans le tiers état, qui cultivent l'honneur, et qui ennoblissent leurs charges par le mérite de leurs personnes. S'il a dit que par les pensions il semblait que le roi achetât la fidélité de ses sujets, il a parlé généralement, sans spécifier personne, noblesse, clergé, tiers état. Il y a des pensionnaires dans les trois ordres.

Mais il est notoire que la noblesse a la plus grande partie des pensions. L'injure, si injure il y a, tombe donc sur elle. Cependant ces' explications paraissent satisfaisantes à la députation du clergé. Le tiers état et la noblesse consentent à le prendre pour juge. Il propose une formule de satisfaction à donner par le tiers état. Un nouvel incident faillit encore tout brouiller. On rapporte au tiers état qu'un gentilhomme, Clermont d'Entragues, s'est permis de dire qu'il fallait abandonner Savaron aux pages et aux laquais. Les têtes s'échauffent, on veut avoir raison de cette injure. On prie le clergé de s'informer si la noblesse avoue ou désavoue les paroles insolentes d'un de ses membres. Cela donne lieu à beaucoup d'allées et venues, de conférences, de débats très-animés, dans lesquels le clergé montre de la partialité pour la noblesse. Enfin une députation du tiers état, présidée par le lieutenant civil, avec une députation du clergé, médiateur, se rend dans la chambre de la noblesse.

Les ordres sont trois frères, dit l'orateur du tiers état, enfants de leur mère commune, la France. Au premier, le clergé, est arrivée la bénédiction de Jacob et de Rebecca, ayant obtenu le droit d'aînesse ; au second, la noblesse, sont échus les fiefs, comtés et autres dignités ; au cadet ou troisième, le tiers état, sont arrivées les charges de judicature. Le tiers état a toujours reconnu la noblesse élevée de quelque degré au-dessus de lui, lui a porté respect, et ne l'a jamais blessée de fait ni de volonté, comme il est prêt à le reconnaître. Mais aussi la noblesse doit reconnaître le tiers état comme son frère, et ne pas le mépriser au point de le compter pour rien. Il est composé de plusieurs personnes remarquables qui ont des charges et dignités, à qui la noblesse a bien souvent affaire ; elle ne dédaignerait pas de les exercer ; de fait plusieurs nobles en exercent. Ils ne dédaignent pas non plus de prendre alliance dans le tiers état, ainsi que le tiers état en prend chez eux. Si la noblesse donne la paix à la France, ceux du tiers état, qui ont le caractère de juges, la donnent aux familles. Du reste, il arrive bien souvent dans les familles particulières que les aînés ravalent les maisons, et que les cadets les relèvent et les couvrent de gloire.

L'orateur termine en disant que le tiers état trouve bon ce qui a été proposé par le clergé, et que respectivement il faut oublier les choses qui se sont passées.

Sennecey, président, répond : La noblesse s'est portée volontiers à oublier le déplaisir que lui ont causé les discours du sieur Savaron : elle ne peut conserver de l'aigreur que contre ceux de qui elle peut, se satisfaire par les armes généreuses. Elle croirait avoir commis une action trop honteuse à sa réputation et à celle de ses prédécesseurs, si la grande et disproportionnée différence qui est entre l'ordre du tiers état et celui de la noblesse l'avait pu rendre offensée. Les paroles du sieur Savaron n'ont pu que donner du regret de ce qu'il s'était dispensé des respectueux devoirs dus par son ordre à celui de la noblesse, non comme étant les cadets, cette qualité présupposant même sang et même vertu, mais comme relevant et devant tenir à grande vanité et bonne fortune d'être soumis, après Dieu et le roi, à l'honneur que leur apporte celui qu'ils doivent à la noblesse.

Le président avait éludé de s'expliquer sur les paroles injurieuses de Clermont d'Entragues. Le lieutenant civil en fait l'observation à l'archevêque d'Aix ; il en parle à Sennecey ; celui-ci ajoute que la noblesse a trouvé si peu de goût aux paroles indiscrètes dont se plaint le tiers état, qu'elle ne veut nullement les avouer, et que d'ailleurs elles n'ont pas été prononcées dans l'assemblée de la noblesse.

Dès que la députation du tiers état est sortie, un grand tumulte éclate dans la chambre. La réparation que vient de faire le lieutenant civil est regardée comme une aggravation de l'offense. On reproche au président de l'avoir soufferte. On se plaint à la députation du clergé de ce que sous son aveu et sauvegarde le tiers état ait renouvelé l'injure. La chambre députe à celle du clergé pour l'inviter à aller ensemble porter leurs plaintes au roi. Le clergé déclare partager le ressentiment de la noblesse, mais en se réunissant à elle il se rendrait partie ; pour la mieux servir, il ira de son côté chez le roi, et donnera son témoignage sur ce qui s'est passé. De son côté, le tiers état avoue le discours de son orateur, et en ordonne l'enregistrement.

Le chancelier prend parti pour la noblesse. Des nobles lui disent qu'il ne peut y avoir aucune fraternité entre eux et le tiers état ; qu'ils ne veulent pas que des fils de cordonniers et de savetiers les appellent leurs frères ; qu'il y a entre eux et le tiers état autant de différence qu'entre le maître et le valet.

Une députation de la noblesse se rend au Louvre ; le roi la reçoit. Le président Sennecey porte la parole. Il commence par rappeler ce que de tout temps la naissance a donné de prééminence à la noblesse avec une telle différence de ce qui est de tout le reste du peuple, qu'elle n'en a jamais pu souffrir aucune sorte de comparaison. Ensuite il établit le rang des trois ordres. Le clergé a le premier, la noblesse le second. Il décrit ses services, ses hauts faits ; c'est par ses peines et ses travaux que le tiers état jouit des commodités que la paix lui apporte. Cet ordre, qui tient le dernier rang dans l'assemblée des états, est composé du peuple des villes et des campagnes, ces derniers quasi tous hommagés et justiciables des deux premiers ordres, ceux des villes, bourgeois, marchands, artisans et quelques officiers. Ce sont ceux-ci qui méconnaissent leur condition, et oubliant toute sorte de devoirs, sans aveu de ceux qu'ils représentent, se veulent comparer à nous. J'ai honte, sire, de vous dire les termes qui de nouveau nous ont offensés. Ils comparent votre État à une famille composée de trois frères. Ils disent l'ordre ecclésiastique être l'aîné, le nôtre le puîné et eux les cadets, et qu'il advient souvent que les maisons, ruinées par les aînés, sont relevées par les cadets. En quelle misérable condition sommes-nous tombés si cette parole est véritable ? Eh quoi ! tant d'honneurs et de dignités transmis héréditairement à la noblesse et mérités par ses labeurs et sa fidélité, l'auraient-ils, au lieu de l'élever, tellement rabaissée, qu'elle fût avec le vulgaire en la plus étroite sorte de société qui soit parmi les hommes, qui est la fraternité ! et non contents de se dire nos frères, ils s'attribuent la restauration de l'État, à laquelle, comme la France le sait assez, ils n'ont aucunement participé. Aussi chacun connaît qu'ils ne peuvent en aucune façon se comparer à nous ; une entreprise aussi mal fondée serait insupportable. Le président termine sa harangue en priant le roi de rappeler le tiers état à son devoir par une déclaration solennelle.

La prétention du tiers état à la fraternité n'était ni trop ambitieuse, ni nouvelle. Aux états de 1593, le député Barbier fut vivement réprimandé pour avoir accordé de la supériorité au clergé. La chambre déclara qu'elle ne reconnaissait messieurs du clergé que comme frères et nullement comme supérieurs.

Le clergé intervient encore auprès du tiers état ; il répète que son intention n'a pas été d'offenser la noblesse en général à laquelle il portera toujours respect et honneur, et rendra service en toutes occasions. Il prie le clergé de le faire entendre lui-même à la noblesse, à laquelle le tiers état ne veut pas faire d'autre satisfaction, désirant qu'on le laisse en paix travailler aux cahiers et à des affaires plus importantes que ces misérables débats.

Mais la noblesse et le clergé ne veulent pas en avoir le démenti, et pressent le roi de prononcer ; il dit au président du tiers état qu'il veut qu'on apaise cette brouillerie, et qu'on envoie une députation à la noblesse pour la satisfaire. C'est aussi l'avis du président ; il lit à sa chambre un écrit contenant ce qu'il croit convenable de dire. Le lieutenant civil témoigne sa surprise de ce commandement du roi. Il prie ses collègues de le désavouer plutôt que de se soumettre h une semblable réparation ; il proteste que si on la fait, jamais il ne se trouvera avec la noblesse. Il dit qu'il ne faut pas qu'elle se relève si haut au-dessus du tiers état : il démontrera qu'un quart de la noblesse en sort et qu'un quart du tiers état sort de la noblesse.

On députe encore vers le clergé pour lui porter une déclaration écrite contenant toujours la même protestation que le tiers état n'a jamais eu l'intention d'offenser la noblesse, avec prière de le lui faire entendre. Le clergé insiste pour qu'une députation du tiers état aille elle-même porter cette déclaration à la noblesse. Le tiers état s'en tient à sa dernière délibération.

Depuis quelques jours, pendant ces débats, le gouvernement avait ouvert des conférences avec le tiers état sur les demandes qu'il avait présentées. Le clergé et la noblesse y étaient intervenus et avaient appuyé une partie de ces demandes. Le chancelier en prend occasion pour inviter, au nom du roi et de la reine, le tiers état à aller remercier le clergé et la noblesse de ce qu'ils avaient favorisé ses demandes, et de saisir cette circonstance pour faire quelque compliment à la noblesse. Le tiers état adopte la proposition, et décide qu'on adressera à la noblesse des paroles douces, sans néanmoins ravaler la dignité de la compagnie. Lorsque la députation du tiers état se présente à la chambre de la noblesse, elle est reçue par six gentilshommes avec grands compliments et courtoisies ; elle entre, toute la noblesse se découvre et se lève ; ensuite tout le monde s'assied et se couvre. Le lieutenant général d'Angers parle au nom du tiers état ; Sennecey lui répond au nom de la noblesse. Elle envoie une députation au tiers état pour lui exprimer sa satisfaction. Ainsi se termine ce différend. Le tiers état est forcé, par l'insistance du clergé et de la cour, à faire, sinon une réparation à la noblesse, du moins un acte de déférence. Mais le trait, que le frère cadet avait décoché à son frère aîné, est resté dans la blessure.

Un nouvel incident prouva que la noblesse gardait rancune. Aux paroles outrageantes succéda une voie de fait. Les députés sortaient des Augustins pour s'en aller chez eux ; de Bonneval, gentilhomme, député du haut Limousin, apostropha Chavailles, sieur de Fougières, lieutenant général à Uzerches, député du tiers état. Petit galant, lui dit-il, vous passez devant moi sans me saluer, je vous apprendrai votre devoir ; et lorsque vous parlerez de moi, je vous ferai connaître la façon dont vous devez parler d'un homme de ma sorte. Chavailles voulut s'approcher de lui pour lui dire que ceux qui lui avaient fait de mauvais rapports avaient menti. Bonneval lui appliqua des coups de bâton sur la tête, avec une telle violence, qu'il se rompit, et il se disposait à tirer son épée, lorsqu'il en fut empêché par des collègues de Chavailles qui vinrent à son secours. Bonneval, en se retirant, lui dit : Souviens-toi que nous sommes voisins d'une demi-lieue, et que tu me le paieras. La chambre regardant cette voie de fait, commise à vingt pas du lieu de ses séances, comme une insulte faite à elle-même et une violation de la liberté des états, alla tout entière au Louvre demander justice au roi. Il reçut le tiers état dans son petit cabinet, assis sur une chaise de velours, couvert d'un chapeau gris, la reine mère assise à côté de lui, le chancelier et plusieurs seigneurs de marque debout. Une partie seulement des députés entrèrent dans le cabinet, trop petit pour les contenir tous. Le président Miron se prosterna devant leurs majestés, et supplia le roi de donner audience dans un lien où tous les députés pussent entrer. Le chancelier dit qu'on ne pouvait faire sortir le roi du cabinet, et ordonna que ceux qui n'étaient pas députés sortissent. On introduit l'offensé, député d'Uzerches, qui n'avait pu trouver place. Toute la chambre se met à genoux, et son président prend la parole. Il démontre facilement que l'injure était faite au tiers état, aux trois ordres, au corps des états, au roi lui-même et à toute la France. Que fera, dit-il ensuite, la noblesse parmi les champs ? De quelle façon traitera-t-elle ailleurs vos sujets et vos officiers, puisqu'à la vue du Louvre, du parlement, des états, un gentilhomme a osé traiter à coups de bâton un lieutenant de province, un député qui est sous votre protection ? Que deviendra cet officier, de retour dans sa maison, si au milieu de votre grande ville, capitale de votre royaume, que vous avez choisie comme la plus sûre et la plus libre pour la tenue de Nos états, il a été indignement traité et outragé à la façon de la plus abjecte et vile personne ? Il cite l'exemple de Louis XII qui, pour des excès commis par un grand envers un sergent, se présenta au parlement le bras en écharpe, disant qu'il avait été mutilé et grandement blessé, et demanda justice. Il la réclama si exemplaire, que la postérité la signala comme un acte de la justice royale. Pour témoigner le grand ressentiment que le tiers état avait de cette plaie, Miron supplie le roi de trouver bon que le tiers état suspende ses fonctions jusqu'à ce que, justice soit faite.

Le roi répond qu'il a un grand mécontentement de cet attentat duquel il veut que justice soit faite, et qu'il le renvoie à son parlement ; cependant il ordonne au tiers état de travailler à son cahier sans discontinuer. Une commission royale est envoyée au parlement pour procéder à l'instruction et au jugement. La chambre nomme un député de chaque gouvernement pour solliciter vivement la poursuite.

La noblesse prétend que le parlement n'a aucune juridiction sur les états ; le souffrir, ce serait ravaler leur honneur et leur splendeur. Le tiers état a fait deux choses contre la noblesse, demander le renvoi au parlement, et d'une injure particulière au nommé Chavailles en faire une générale. Il est facile de voir qu'il saisit cette occasion pour éluder le dessein qu'a la noblesse d'éteindre le droit annuel et la vénalité des offices. Elle invite donc le clergé à prendre avec elle fait et cause pour Bonneval, et à aller demander au roi qu'il renvoie l'affaire aux états, ou qu'il en retienne le jugement. Le clergé déclare qu'il est prêt à se joindre à la noblesse, que néanmoins, faisant profession de paix, il veut essayer d'amener le tiers état à terminer le différend à l'amiable. Le tiers état répond qu'il a les mains liées par le renvoi que le roi cri a fait au parlement, et que les états n'ont point de juridiction. Il est dans les vraies règles de la justice auxquelles il répugne qu'en cas d'offense faite à un corps, il soit juge et partie. Bonneval est contumace, le parlement le condamne par défaut à avoir la tête tranchée en place de Grève, en 2000 livres d'intérêts civils, cinq cents livres d'amende, à la confiscation de ses biens et met Chavailles sous la protection et sauvegarde du roi. L'arrêt est exécuté eu effigie. Pendant la nuit la noblesse fait enlever la potence, on la jette dans la rivière. Il y a lieu de croire que le parlement ne fut pas fâché, dans cette occasion, de prendre sa revanche des attaques de la noblesse contre la magistrature.

L'institution des états généraux se ressent nécessairement du vice radical qui affecte l'organisation politique de la France, la division en trois ordres, deux faibles de nombre, mais puissants par leurs privilèges, unis d'intérêts, ayant dans les assemblées deux voix sur trois, sinon pour faire la loi au tiers état, du moins pour annuler ses votes ; celui-ci représentant plus des dix-neuf vingtièmes de la population, déshéritée de beaucoup des avantages de l'état social. On a vu comment ce régime s'était établi, a fonctionné, s'est altéré, corrompu, affaibli par la marche naturelle du temps et par le travail lent et progressif qui se faisait au profit du tiers état. A mesure qu'il acquérait tous les genres de forces, on a vu les deux premiers ordres lutter pour la conservation de leurs privilèges ; on a vu naître et grandir entre les trois ordres un antagonisme qui devait aboutir à un combat. On se rappelle qu'aux états de 1483 le connétable de Bourbon conseilla d'accabler d'impôts les vilains pour les tenir dans la dépendance ; que Philippe de Poitiers, voulant que le peuple payât l'indemnité des députés de la noblesse, osa dire : Nous, donner de l'argent ! nous n'avons appris qu'à donner des coups de lance. Et cependant dans ces états on ne se sépara pas par ordres, ils délibérèrent en commun. La collision, qui vient d'éclater entre la noblesse et le tiers état, a un caractère très-grave ; c'est un symptôme significatif et remarquable. Jamais le tiers état n'avait aussi hautement articulé la prétention à la fraternité, jamais la noblesse ne l'avait repoussée avec autant de dureté et d'insolence, ni osé professer qu'entre elle et lui la différence était de maître au valet. C'était rétrograder en pleine féodalité, ou remonter à l'invasion des Francs, et cela se passait au commencement du dix-septième siècle. Ce n'était pas précisément le peuple qu'insultait la noblesse, elle attaquait, sous le nom de tiers état, la magistrature qui en effet en faisait la plus notable partie. Parlant au roi pour les deux premiers ordres, l'évêque d'Avranches a signalé cette magistrature comme une aristocratie faisant la loi à tous les sujets, et indépendante du roi lui-même par la vénalité des offices. Dans ce reproche il y a du vrai ; mais cette aristocratie n'a pas surgi tout à coup, elle date de loin, elle a jeté de profondes racines, elle est forte et puissante, elle s'appuie sur le peuple. Désormais il y a lutte entre elle et les deux premiers ordres. Par ses accès de colère, la noblesse montre qu'elle a le sentiment de sa décadence et de sa faiblesse.

Quelques grands seigneurs se permettaient d'odieuses facéties contre les officiers du roi et son autorité. Jean de Vertaut, trésorier de France au bureau des finances de Châlons-sur-Marne, présenta une pétition aux états. Il avait voulu s'opposer à une levée de deniers qui se faisait dans le Réthelois, sans commission du roi, contre les formes et au préjudice de son autorité. Le duc de Nevers, par l'ordre duquel on levait les deniers, lit saisir et traduire Vertaut à Châlons. Il fut retenu pendant trois jours en prison à la merci de coupe-jarrets. Ils lui avaient fait le poil et la barbe à moitié, l'avaient couvert d'un coqueluchon jaune et vert, et mené en cet équipage dans toutes les villes du Réthelois et à Charleville appartenant en souveraineté au duc de Nevers. Les officiers du duc l'avaient jugé criminel de lèse-majesté et digne de mort, mais par grâce ordonné qu'il serait mené par la ville, la marotte en main et le coqueluchon en tête, pour faire connaître sa folie, avec défense de récidiver sous peine de la hart. Vertaut demandait l'intercession des états pour obtenir justice du roi. Cette pétition excita une vive indignation ; mais la puissance des grands seigneurs était encore si imposante, que les états, sentant probablement qu'on n'atteindrait pas le coupable, ne donnèrent pas suite à cette affaire.

Dès les premiers jours de décembre, des conférences sont ouvertes chez le chancelier avec des députés du tiers état sur le mémoire qu'il a présenté au roi. Le clergé et la noblesse y prennent part. Le conseil du roi fait connaître ses décisions. La vénalité des offices, il est à désirer qu'elle soit abolie, le roi y pourvoira en répondant aux cahiers. La paulette ou droit annuel, il y a été sursis. Les pensions, le quart en a été retranché pour l'année courante ; l'année prochaine on en retranchera encore un autre quart, et on supprimera les pensions les plus inutiles. La taille, on ne peut pas la réduire, autrement le roi n'aurait pas le moyen de supporter les charges de son royaume, ni de vivre. La révocation des quarante jours, le roi y pourvoira. Néanmoins il entend qu'après cette année révolue, si un officier député décède pendant la tenue des états, son office soit conservé à sa veuve et à ses enfants. Les commissions extraordinaires pour levées de deniers, elles sont la plupart révoquées.

Ces résultats ayant été rapportés au tiers état, on s'écrie que la révocation de ces commissions n'est qu'une bagatelle au prix d'un quartier de la taille dont on a demandé au roi la remise, qu'il faut insister là-dessus, et, le chancelier ne donnant que de vaines paroles, aller directement au roi, et lui déclarer que si l'on n'obtient pas la remise, les députés sont prêts à s'en retourner chez eux, puisqu'ils ne servent à rien qu'à occasionner de la dépense au peuple. Avant d'en venir à cette extrémité, il est déci lé qu'on demandera l'état des recettes et dépenses pour juger de ce qu'on pourra justement réclamer du roi, sans nuire aux besoins de l'État.

Au conseil, en présence de députés des trois ordres, le président Jeannin se plaint de quelques paroles licencieuses par lesquelles on a voulu blâmer l'administration des finances depuis que Sully en était sorti. Suivant lui, elles avaient été aussi innocemment gouvernées que jamais depuis le mois de février 1611. Il montre un état des grandes dépenses que pendant sa régence la reine a été obligée de faire pour maintenir l'état de paix. Trois millions de livres tirés de la Bastille ont été employés au couronnement de la reine, à l'enterrement du feu roi et au sacre du roi régnant. Il montre un autre état de recette et dépense pour l'année 1615 ; la recette est de 17 millions, la dépense excède cette somme. Il est bon que les trois ordres députent quelques-uns de leurs membres pour examiner sur le tapis ces états, afin de savoir si le roi peut faire une réduction de l'impôt. Il ne faut pas penser à la remise du quart de la taille dont le roi a besoin.

Le tiers état ne se décourage pas, il décide de poursuivre directement auprès du roi la remise du quart de la taille, de le supplier de passer en forme d'édit les décisions rendues sur plusieurs articles contenus dans le mémoire, et de prier le clergé et la noblesse de se joindre au tiers état, quoiqu'ils ne s'y soient pas montrés disposés. Le roi et la reine reçoivent la députation, entendent ses remontrances, et font une réponse évasive. Le tiers état délibère de revenir à la charge.

Le président Miron montre à la chambre les deux états de recettes et de dépenses que lui a confiés le président Jeannin, seulement pour en faire lecture. Ce mode de communication était tout à fait illusoire. On refuse donc cette lecture, et on exprime le vœu qu'il soit fait des copies de ces états pour être délivrées aux gouvernements et mûrement examinées.

La noblesse annonce qu'elle se joindra au tiers état pour demander au roi, en termes généraux, de soulager le peuple autant que les affaires le permettront. Le tiers état la remercie, en lui remontrant qu'elle y a un grand intérêt, en considération de ses hommes et justiciables qui sont opprimés par l'impôt.

Le clergé veut bien appuyer le tiers état pour la réduction du quart de la taille, quoiqu'il soit persuadé qu'on ne l'obtiendra pas ; il conseille même de chercher un autre moyen de soulager le peuple.

L'évêque du Bellay vient entretenir le tiers état des états de recette et de dépense qui ont été communiqués aux trois ordres. Il vante ce procédé d'un grand roi et sa déférence pour ses sujets. Aussi le clergé ne veut pas en abuser, et a arrêté de faire examiner ces états par un député de chaque gouvernement, afin de ne pas divulguer le secret du prince. Pour prouver que les finances doivent être tenues secrètes, l'évêque fait des comparaisons et des raisonnements très-ridicules, tirés de l'ancienne loi, du Sancta sanctorum, de l'arche d'alliance. Le président du tiers état lui répond : Dans l'ancienne loi la vérité n'était que figurée et voilée. Dans la loi évangélique tous les secrets de l'Ancien Testament ont été dévoilés. Le tiers état, vivant suivant cette loi nouvelle, a cru devoir exiger des éclaircissements sur les recettes et dépenses et les soumettre à un mûr examen. Cela s'est fait dans les précédents états. Le tiers état se propose donc de demander au roi que les états soient enregistrés dans les chambres pour être examinés lorsqu'on en viendra dans les cahiers, au chapitre des finances, et qu'il ne trouve pas mauvais si la chambre n'a pas voulu se contenter d'une simple lecture de ces états. Le clergé se rend à ces raisons.

Pour terminer l'affaire des quatre-vingts commissions extraordinaires, dont on demandait la révocation, des députations des trois ordres viennent au conseil, où, par parenthèse, les députés du tiers état sont découverts, tandis que ceux des deux ordres sont couverts. Le chancelier se met en colère et apostrophe avec la plus grande véhémence le président du tiers état. Cet ordre ne s'est pas, dit-il, conduit avec la modestie, l'honneur et le respect qu'il devait à sa majesté, en dédaignant d'entendre la lecture des états de finances ; il a manqué à la bienséance dont avaient usé le clergé et la noblesse. Il a abusé de la douceur du roi, qui a bien voulu faire reconnaître les forces de sa maison. Cela était inexcusable. Le chancelier reproche au député Savaron d'avoir dit dans le conseil que le tiers état n'y était pas venu en qualité de suppliant ; s'il eût été présent, il aurait relevé Savaron, et lui aurait appris le respect qu'il devait à son maître, auquel il était d'autant plus obligé, qu'il était constitué en charge honorable. On est d'autant plus surpris et blessé de ce procédé du chancelier, qu'il est généralement reconnu pour un homme plein de modération et de mesure. Le tiers état en conclut qu'on veut le maltraiter, l'affaiblir, l'avilir. Il arrête d'envoyer une députation au chancelier. Elle est chargée de relever la dignité de l'ordre avec lequel on devait traiter, et négocier comme avec un corps représentant le tiers état de toute la France ; glisser quelques excuses sur le sujet pour lequel le chancelier s'était ému ; parler avec une telle discrétion que ni l'ordre, ni le chancelier ne puissent éprouver de mécontentement. Ce mandat pusillanime est ponctuellement observé. Le chancelier dit qu'il n'a pas désiré traiter le tiers état avec aigreur ; que, du reste, on lui enverrait l'état des finances pour le lire et le voir, non-seulement une fois, mais deux, trois et quatre fois, autant qu'il le voudra, cependant qu'il était périlleux de divulguer rationes imperii. Il assure de la bonne volonté du roi, disposé au soulagement de ses sujets.

Le président Jeannin, Maupeou, Arnaud et Dolé, directeurs et intendants des finances, viennent faire une communication aux trois ordres de la part du roi et de la reine. Jeannin porte la parole : Leurs majestés, dit-il, sont dans les meilleures dispositions de soulager leurs sujets. Les états généraux sont convoqués à deux fins : 1° pour que les sujets puissent déduire à leur prince les plaintes, les désordres, oppressions et calamités qui, par le temps, se glissent dans les états et les corrompent, afin que, le mal étant connu, le prince puisse, de son autorité souveraine, y remédier, et retrancher de bonne heure la pourriture qui gangrènerait tout le corps ; 2° pour que les sujets entendent les nécessités de leur prince, le secondent et l'assistent des moyens nécessaires et convenables pour supporter et maintenir le pesant fardeau de l'État. Toutes les fois que les états ont été assemblés en temps calme et paisible, ils ont toujours eu une heureuse issue. Les sujets se sont étudiés à donner de grandes preuves de fidélité et d'obéissance à leur prince. Les rois, de leur côté, abaissant les rênes de leur autorité et puissance, ont traité les sujets comme les pères font à leurs enfants, et condescendu avec une grande humanité à leurs prières et requêtes. C'est cette harmonie que le président désire voir établie, donnant à entendre que cela dépend des états. Après ce préambule il aborde les affaires.

Les finances : La reine désirant faire connaître la sincérité de son administration, et lever les soupçons que le peuple concevait ordinairement contre les directeurs des finances, en avait fait dresser un état, pendant sa régence, pour être lu et vu dans l'assemblée des états. Le tiers état avait refusé cette communication, et avait demandé des copies de l'état pour l'examiner et le discuter. Il se fondait sur les exemples du passé. Cependant, dans les états de 1560 et de 1576, et même dans les assemblées des notables de 1566 et 1596, on s'était borné à la forme qu'il exhortait à suivre. L'état des finances avait été examiné et discuté dans le conseil, en présence de quatre ou cinq députés de chaque ordre pour en faire leur rapport à l'assemblée. Les états de 1588 ne pouvaient servir d'exemple, on savait qu'il n'y avait régné aucune liberté. Il iris Rait donc chacun des trois ordres à députer quatre ou cinq de ses membres pour traiter, avec le conseil, l'affaire des finances.

Chambre de justice : La composer de députés des trois ordres, cela n'était pas raisonnable. Il salait mieux y appeler des juges tirés des cours souveraines, qui eussent la connaissance des finances. Le roi, désirant condescendre à la supplication des états, les engageait à choisir un certain nombre de députés expérimentés pour établir la chambre lorsque les cahiers auraient été présentés.

Le président s'attache à détruire le bruit répandu par des esprits malicieux, que l'intention du roi est de ne tenir aucun compte des cahiers, et proteste qu'il y sera répondu favorablement avant que les états soient congédiés. Il se doute bien qu'il y a encore dans l'État des âmes ulcérées qui ne cherchent que l'occasion d'exciter de nouveaux mouvements pour profiter du désordre. La reine, par ses judicieux conseils, a imprimé dans le cœur du jeune roi cette belle leçon, que la souveraine loi de son royaume est le salut du peuple, au bien et soulagement duquel il est entièrement porté. De leur côté, les états doivent apporter de la circonspection et de la prudence dans leurs demandes, et les mesurer à la situation de l'État. Il est difficile dans un grand royaume d'accorder tout ce qui semble être juste.

Le président Miron répond : La chambre étant composée des premiers et principaux officiers des provinces, de magistrats, chefs et Aines des villes, ils porteront toujours respect, fidélité et obéissance au roi, leur souverain, et, par leur exemple, ils maintiendront le peuple dans les mêmes sentiments. Ils espèrent en revanche, de la bonté du roi et de la reine, que désormais le peuple respirera sous le joug d'une douce et bénigne domination, et sera relevé des misères et calamités sous lesquelles il ployait continuellement. En ce qui concerne les finances, Miron justifie les exigences de la chambre, auxquelles elle ne pourrait renoncer sans porter atteinte à l'autorité des états. Le président Jeannin dit qu'il est prêt à donner l'état des finances pour être examiné.

Il remet, en effet, au président Miron un état de l'administration des finances pendant la régence de la reine, à compter du mois de février 1611 jusqu'à présent, et l'état de la recette et de la dépense du royaume pour 1614, pour le. faire voir, lire, et le communiquer à l'assemblée qui le retiendra aussi longtemps qu'elle le voudra. Mais la volonté du roi est qu'on n'enregistre pas ces états, et qu'on n'en tire pas des copies. On se borne donc à en donner lecture. Ces états ne contenaient aucun détail et n'étaient pas appuyés de pièces justificatives. On y avançait des faits entièrement faux. On s'y attachait surtout à justifier l'administration de la régente, incriminée violemment, disait-on, par la malveillance. On y portait le trésor, laissé à la Bastille par Henri IV, à 5 millions, tandis qu'il était de 17 millions, sans compter des recouvrements à faire, plus considérables encore, suivant les comptes rendus par Sully. On y portait à 2 millions une diminution sur le revenu des gabelles, et le bail avait été continué au même prix. Les pensions, qu'on y disait avoir été, à la mort de Henri IV, de 3 millions, ne s'étaient élevées qu'à 2, et avaient depuis été portées jusqu'à 6 millions. Les dépenses annuelles étaient augmentées de plus de 9 millions, et pour quatre ans de piaf, de 36 millions. Les états produits par Jeannin se terminaient par une invitation aux états généraux d'aviser aux moyens de faire face à la dépense, qui excédait la recette de 9 millions, de rembourser un emprunt de 600.000 livres, et de fournir 2.300.000 liv. pour remplacer pareille somme, prise à la Bastille.

Il est évident que la cour ne veut pas que les états prennent une connaissance approfondie de la situation des finances. Elle élude même de faire expédier, en forme exécutoire, les réponses favorables qu'elle a faites à des réclamations adressées par les états dès le commencement de leur session. C'est d'un mauvais augure pour celles que contiendra le cahier général. Les esprits s'échauffent. On arrête de députer au roi pour lui faire comprendre les conséquences de ce procédé déloyal, et le prier de changer les conseillers chargés de statuer sur ces réclamations, lesquels étaient intéressés à la continuation des abus. Quelques membres proposent même de demander au roi la permission, pour les états, des'en aller sans présenter de cahiers, puisqu'on ne prend aucun moyen de soulager le peuple. Le chancelier promet de donner une prompte satisfaction. La députation n'a pas lieu.

Le député Goujon, chargé d'examiner les états de finances avec les intendants et le président Jeannin, rapporte qu'ils ont refusé de lui donner des éclaircissements, et qu'ils ne veulent permettre aucune investigation. Il paraît qu'il n'y eut plus de conférences entre le gouvernement et les états ; du moins on n'en trouve plus de traces. Cela se conçoit ; le gouvernement demandait une augmentation d'impôts ; les états voulaient qu'ils fussent réduits au taux de 1576, et proposaient une foule de réductions des dépenses, ainsi qu'on le voit dans les cahiers. On ne pouvait donc pas s'entendre. Le gouvernement se passa du concours des états, et continua à régler à son gré les finances.

Des arrêts du conseil ayant été rendus pour surseoir aux commissions extraordinaires et nouveaux offices, les huissiers du conseil et archers du grand prévôt ne laissent pas d'emprisonner les procureurs des élections pour payer les taxes. Cela se fait à la face du roi et au mépris des états. On députe au roi pour qu'il permette aux juges ordinaires de se saisir des personnes qui contreviennent aussi ouvertement aux arrêts du conseil, et leur faire leur procès. Le chancelier, ayant pris l'avis du roi, répond que sa majesté en fera justice par les voies ordinaires. Amusement de cour dont le tiers état est peu satisfait. En effet, ces procureurs des élections avaient été créés par Henri IV en faveur de sa femme, et, sur sa demande, les états avaient décidé qu'on ne toucherait pas aux gratifications faites à la reine. Mais ils prétendaient que leur décision n'embrassait que les offices des trésoriers des pensions et commis de l'épargne.

Le parlement veut intervenir dans les affaires d'État. Le prétexte est la paulette. Les enquêtes demandent l'assemblée des chambres. Le premier président refuse de les convoquer, la volonté du roi étant de ne pas permettre cette assemblée avant d'en connaître l'objet. Les enquêtes répondent : Jamais le parlement n'a attendu d'autorisation pour s'assembler, il en a le droit, constitué qu'il est non-seulement pour rendre la justice, mais pour avoir l'œil à la conservation du royaume. D'ailleurs on ne peut reconnaître un ordre verbal du roi au premier président. En le recevant il a rabaissé sa dignité et méprisé celle du parlement, à qui les ordres du roi sont portés par des princes et des personnes relevées. On passe donc outre. Les conseillers se rendent dans la grande chambre, disant au premier président qu'ils vont s'occuper non-seulement de la paulette, mais du royaume, qui et régi et gouverné à la volonté de deux ou trois ministres d'État, qui bouleversent les règles et les lois de la monarchie. Le premier président veut qu'on lui donne le temps d'aller prendre les ordres du roi, protestant qu'il périra plutôt que de souffrir l'assemblée des chambres pour s'occuper de choses si importantes. La séance est très-orageuse. La majorité veut qu'on délibère sur les désordres qui se sont glissés dans l'État depuis la mort de Henri IV ; les autres membres veulent que préalablement le parlement fasse connaître ses intentions au roi. On ne prend point de délibération.

Monsieur le prince, qui n'est pas étranger à cette levée de boucliers, reçoit du roi la défense de se rendre au parlement. Il s'assemble le 10 mars ; mais la cour ne s'est pas endormie, la ruse italienne s'est agitée. La cour ne met aucun obstacle à l'assemblée. Le parlement est embarrassé de sa liberté. Tout ce qu'il a paru faire pour l'intérêt public s'en va pour le moment en fumée. Il ne s'occupe que de la paulette et pour s'opposer à sa suppression. Il arrête de faire à ce sujet des remontrances au roi. Quant aux affaires d'État, il surseoit à s'en occuper jusqu'à ce que la réponse du roi sur les cahiers des états soit envoyée au parlement pour y être vérifiée.

La vénalité et l'hérédité des offices donnèrent lieu comme toujours à de superbes discours très-moraux, mais sans résultat ; car l'abus avait aussi des partisans. Loin de le rabaisser simplement à une question fiscale, ils le défendaient comme une institution très-utile. Suivant eux la vénalité remontait jusqu'à la première race. Elle assurait les offices aux riches qui avaient en général une meilleure éducation, plus de dignité et de désintéressement ; elle garantissait la fidélité au prince de la part des titulaires, intéressés au maintien de l'ordre public. Elle diminuait le nombre des prétendants, et restreignait dans une juste proportion celui des individus qui vivent aux dépens des autres sans rien produire. Enfin la vénalité était la source d'un impôt qui ne portait pas sur le peuple. Ces considérations n'étaient d'aucun poids sur l'opinion publique. Mais il y avait une grande difficulté dans la suppression de la vénalité ; il fallait rembourser aux titulaires leur finance ; elle était évaluée à 200 millions. Des compagnies de traitants présentèrent des projets de remboursement ; le tiers état les rejeta comme onéreux, estimant d'ailleurs qu'unie semblable opération ne devait être faite que par le gouvernement.

Après la présentation des cahiers, la question se renouvela. Le gouvernement, voulant paraître disposé à satisfaire les états, se proposa de remplacer le produit de la paulette par un impôt de 30 sons par minot de sel dans les pays de gabelle, et de 450.000 livres dans les provinces de franc salé. Le remède était pire que le mal. Les députés du tiers état se révoltèrent contre ce projet. Au nombre de quarante-cinq, ils rédigèrent une requête au roi pour s'y opposer, demandèrent que ce fonds fût remplacé par une réduction des pensions excessives, et que leur opposition fût enregistrée au greffe du conseil. Ils allèrent d'abord en conférer avec le président Jeannin. Ils lui représentèrent que si les trois ordres avaient demandé la suppression de la vénalité des offices et de la paulette, ce n'était pas pour augmenter les charges dont le peuple était accablé ; que, confiant dans les promesses d'un soulagement que le roi leur avait répétées, ils l'avaient annoncé dans leurs provinces ; qu'en manquant à cet engagement, on les exposait à leur retour aux reproches, aux insultes, à la fureur d'un peuple justement irrité. Ils indiquèrent, pour remplacer la paulette, l'augmentation de la recette, la diminution de la dépense, la veule des bois, la réduction des pensions, la gendarmerie, etc. Le président Jeannin exalta la suppression de la vénalité des offices comme un grand bienfait qui n'était pas trop cher payé. L'état des finances ne permettait pas au roi de sacrifier 1.500.000 livres, produit annuel de la paulette. Il n'y avait rien à tirer des ressources indiquées, les recettes étaient portées au maximum, et les dépenses au plus strict nécessaire, encore y avait-il un déficit de 800.000 livres. On avait été obligé de le prendre sur les pensions, qu'on avait réduites d'un quartier en 1614, et qu'on réduirait encore.

Il fallait opérer ces réductions peu à peu pour ne pas donner lieu à de nouveaux mouvements excités par des âmes ulcérées. Le dernier mouvement-avait coûté millions, outre la ruine et la désolation de quelques provinces qui en avaient été le plus travaillées. Cependant ce ne serait rien, eu égard à ce qui pourrait arriver, si les plus puissants n'étaient retenus par ces gratifications qui les obligeaient à demeurer près du roi et à lui rendre fidélité. Il conseilla aux députés de présenter au roi des moyens convenables de remplacement, et promit de leur faire avoir une audience favorable. C'est tout ce que les députés obtinrent de leur démarche. Ils n'espéraient pas être plus heureux auprès du roi, jeune marotte dont disposait son conseil. Ils allèrent cependant au Louvre pour lui présenter leur requête. Réunis dans la cour, ils envoyèrent dire au chancelier qu'ils étaient là pour avoir une audience du roi. Il demanda en quelle qualité, de particuliers ou de députés ? Si c'était comme députés, ils ne pouvaient être entendus, leurs pouvoirs étaient expirés par la présentation de leurs cahiers ; ils ne pouvaient s'assembler sans la permission du roi. Indignés du manque de foi du chancelier qui leur avait promis l'audience royale, les députés délibéraient d'aller se jeter aux pieds du roi, lorsque le chancelier, en carrosse, entra dans la cour ; ils le suivirent jusque dans la salle du grand cabinet de la reine. Après avoir parlé quelque temps assez bas avec le député Ribier, qui était chargé de porter la parole : Vous êtes, lui dit tout haut le chancelier, lieutenant général à Blois et officier du roi ; avisez bien ce que vous direz, et prenez garde à vous. Voulez-vous parler en qualité de député ? Vous ne l'êtes plus ; votre pouvoir est expiré par la présentation de votre cahier. Si c'est comme particulier, parlez pour votre bailliage et les autres pour le leur. Le roi n'a pas pour agréable vos assemblées qui sont illicites sans sa permission.

Comment, monseigneur, lui répondit le député Rapine, nous ne sommes plus députés ! Le roi a témoigné le contraire par des lettres qu'il a envoyées aux provinces pour leur mander qu'il nous avait retenus jusqu'à la réponse des cahiers ; ce ne peut pas être dans une autre qualité que celle de députés. Nous ne croyons pas avoir changé de condition depuis le jour où il plut au roi de nous assembler dans la salle de Bourbon. Je veux bien que nous ne puissions faire corps, mais nous ne laissons pas d'être députés des provinces de France. Moi qui vous parle, je suis député du bailliage de Saint-Pierre-le-Moustier ; tous ceux que vous voyez ici ont la même qualité. C'est à ce titre que nous avons chargé M. le lieutenant général de Blois de porter la parole pour tous. Si vous ne voulez pas qu'il soit entendit en cette qualité, il faut que nous soyons tous entendus les uns après les autres, comme députés des provinces particulières de France.

Qui êtes-vous ? lui demanda le chancelier.

Ce que je suis ? répliqua Rapine, je vous l'ai déjà dit ; je suis député d'un bailliage qui fait partie de la France. Vos actions et vos paroles sont bien éloignées des promesses que vous nous aviez si solennellement faites. Tous les députés sont fondés à se plaindre de votre procédé, du peu d'envie que vous avez de procurer le soulagement des peuples en éludant la réponse des cahiers.

Le chancelier, en colère, entra dans la chambre de la reine, laissant les députés très-scandalisés de ses paroles. Ils engagèrent leur orateur Ribier à ne pas mollir, étant là pour le garantir, pour approuver et avouer tout ce qu'il aurait le courage de dire pour le bien et le service du roi et le soulagement du public.

On fit enfin entrer les députés dans le cabinet où le roi et la reine étaient assis ; autour d'eux étaient debout le chancelier, MM. de Nevers, de Guise, d'Épernon, de Brissac, d'Ancre, de Saint-Gérand, le cardinal de Sourdis, l'évêque d'Angers, et plusieurs autres seigneurs de marque. Ribier, après avoir mis un genou en terre, se releva, et dit beaucoup de choses hardies et généreuses, propres à faire impression sur les esprits. Mais c'était peine perdue et comme s'il eût parlé à des sourds. Le parti était pris d'avance de ne rien accorder. Les députés ne reçurent qu'une réponse équivoque et ambiguë. Ils s'en allèrent sans espoir de tirer aucun fruit d'une convocation d'états si solennelle, et d'une si laborieuse et pénible députation.

Le gouvernement put dire, et c'était tout ce qu'il voulait, que si la vénalité des offices n'était pas supprimée, c'était la faute du tiers état. Il n'y eut donc rien de fait. Pour trancher cette grande question, agitée pendant des siècles, il ne fallait pas moins qu'une révolution, suivie de l'expropriation du clergé et d'un papier-monnaie, ce qui arriva en 1789[1].

Le cahier de Paris, qui servait de point de départ pour la composition des cahiers du tiers état, contenait, au chapitre des lois fondamentales, un article, le premier, ainsi conçu :

Pour arrêter le cours de la pernicieuse doctrine qui s'introduit depuis quelques années contre les rois et puissances souveraines établies de Dieu, par des esprits séditieux qui ne tendent qu'à les troubler et subvertir, le roi sera supplié de faire arrêter dans l'assemblée de ses états, pour loi fondamentale du royaume, qu'il soit inviolable et notoire à tous, que comme il est reconnu souverain en son État, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n'y a puissance sur la terre, quelle qu'elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume, pour en priver les personnes sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et obéissance qu'ils lui doivent, pour quelque cause ou prétexte que ce soit. fous les sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, tiendront cette loi pour sainte et véritable, comme conforme à la parole de Dieu, sans distinction équivoque, ou limitation quelconque ; laquelle sera jurée et signée par tous les députés des états, et dorénavant par tous les bénéficiers et officiers du royaume, avant que d'entrer en possession de leurs bénéfices, et d'être reçus en leurs offices ; tous précepteurs, régents, docteurs et prédicateurs, seront tenus de l'enseigner et publier. L'opinion contraire, même qu'il soit loisible de tuer ou déposer nos rois, de s'élever et rebeller contre eux, de secouer le joug de leur obéissance, pour quelque occasion que ce soit, est impie, détestable, contre toute vérité, et contre l'établissement de l'État de la France, qui ne dépend immédiatement que de Dieu. Tous livres qui enseignent telle fausse et perverse opinion seront tenus pour séditieux et damnables ; tous étrangers qui l'écriront et publieront, pour ennemis jurés de la couronne ; tous sujets de sa majesté qui y adhéreront, de quelque qualité et condition qu'ils soient, pour rebelles, infracteurs des lois fondamentales du royaume, et criminels de lèse-majesté au premier chef. S'il se trouve aucun livre ou discours écrit par quelque étranger ecclésiastique ou d'autre qualité qui contienne proposition contraire à ladite loi, directement ou indirectement, seront les ecclésiastiques de même ordre, établis en France, obligés d'y répondre, les impugner et contredire incessamment, sans respect, ambiguïté ni équivocation, sous peine d'être punis de la même peine que dessus, comme fauteurs des ennemis de cet État ; et sera, ce premier article, lu chaque année, tant aux cours souveraines qu'aux bailliages et sénéchaussées du royaume, à l'ouverture des audiences, pour être gardé et observé avec toute sévérité et rigueur.

Cet article, contrepoison de la doctrine prêchée par la ligue, était certes plus suffisamment motivé par l'assassinat des deux derniers rois, qu'on imputait, non sans quelque fondement, aux doctrines des jésuites et d'écrivains dévoués à la cour de Rome. C'était en outre l'expression du vieil esprit français qui luttait sans cesse contre les entreprises des papes sur le pouvoir et la personne des rois. Le principe était consigné dans plusieurs cahiers provinciaux ; l'article fut adopté par le tiers état. Le clergé, très-scandalisé, ne l'attaqua pas de front, et prit un détour. L'archevêque d'Aix vint dire que le clergé, lorsque dans la confection de son cahier il se présenterait des articles qui intéresseraient le tiers état, se proposait de les lui communiquer, et demanda en retour que le tiers état communiquât au clergé ceux qui le concerneraient, car on ne pouvait pas sans lui remuer les autels, ni toucher aux fondements de l'Église. Cela fut assaisonné de phrases mielleuses sur la piété et la justice. Après des remercîments, le président répondit que jusqu'ici il ne s'était présenté aucun article qui concernât en particulier la foi et la doctrine de l'Église, et que s'il s'en rencontrait on ne manquerait pas d'en faire part. Il demanda à l'archevêque s'il entendait que l'on conférât avec le clergé des articles concernant les mœurs des ecclésiastiques ; le priant de considérer que cela prolongerait singulièrement la tenue des états. L'archevêque répliqua qu'il valait mieux prolonger les états que de traiter précipitamment les affaires, et s'en alla. Il fut arrêté de répondre au clergé que le tiers état n'avait rien mis dans son cahier concernant la doctrine de l'Église ; que si cela se fût présenté, on le lui aurait communiqué ; que pour la police de l'Église, il en avait été touché quelque chose, qu'on ne le lui communiquerait pas pour éviter les longueurs, et que le roi y répondrait comme il le voudrait. Pierre Marmiesse, avocat à Toulouse, et capitan de cette ville, fut chargé de savoir de la noblesse ce qu'elle avait l'intention de faire sur la proposition du clergé. Elle répondit qu'elle y avait adhéré. Marmiesse alla porter la délibération de son ordre au clergé, et la justifia dans un très-long discours, où, suivant la mode du temps, l'orateur faisait assaut d'érudition, et noyait la question la plus simple dans un déluge de citations et de comparaisons étrangères au sujet. Le cardinal de Sourdis lui répondit qu'il ne fallait pas séparer la doctrine de la police ; que, dans l'un et l'autre cas, le tiers état devait en référer au clergé, parce que l'Église était revêtue d'une robe de plusieurs couleurs, amicta varietate, et qu'eux, supérieurs dans l'Église, avaient la connaissance de la police et discipline aussi bien que de la doctrine.

Jusqu'à présent on avait tourné tout autour de l'article en discussion, sans l'aborder et sans le nommer. Fenouillet, évêque de Montpellier, vint en demander communication. Il rendit justice à Marmiesse, dont l'éloquence avait, suivant ce prélat, fendu le cœur et excité l'admiration des ses collègues. Il précisa ensuite le point controversé. On ne pouvait séparer la discipline du corps de la religion, il y allait de l'autorité de l'Église et de son chef ; c'était semer le schisme dans l'assemblée qui n'était réunie que pour procurer la paix. On avait constitué le clergé en état de suspicion en ne lui communiquant pas un article sur la conservation du roi. Il avait en horreur les atteintes portées à l'inviolabilité et à la majesté royale. Mais il y avait deux puissances, l'une temporelle, l'autre spirituelle ; on voulait les mettre aux prises. L'article, tel qu'il était conçu, était fait pour opérer un schisme, peut-être pour allumer la guerre non-seulement en France, mais dans toute la chrétienté.

Les paroles du prélat, prononcées, dit-on, avec une action et une grâce attrayantes, firent une vive impression. Lorsqu'il se fut retiré, la discussion fut très-animée et confuse. Les provinces délibérèrent ; la majorité décida que l'article serait communiqué sans en développer les motifs ; et qu'après avoir entendu les objections du clergé, on les apprécierait, mais qu'on ne lui abandonnerait pas la rédaction de l'article ; que pour les autres articles relatifs à la discipline et aux mœurs des ecclésiastiques, ils ne seraient communiqués qu'après la confection du cahier. Ce fut encore Marmiesse qui alla porter la parole. On lui reprocha de ne s'être pas assez rigoureusement renfermé dans les limites qui lui avaient été tracées. On crut devoir aussi communiquer l'article à la noblesse.

Le cardinal du Perron, avec vingt-cinq ou trente, tant évêques que capitulants, alla dans la chambre de la noblesse, où il prononça un grand et docte discours. Il commença par flatter ses nobles auditeurs, et ne vanta pas moins son ordre qui avait si souvent exposé son sang et sa vie pour le soutien de cette église que l'on voulait maintenant abattre par la proposition d'un article, le plus dangereux et le plus pernicieux qui fut jamais. Ceux qui l'avaient rédigé avaient eu l'intention de faire adorer de faux dieux dans la statue du prince. En proposant la puissance souveraine du roi qui était indubitable, et le salut de sa personne qui devait être très-chère, ils y cachaient une hérésie et un schisme, voulant juger une question qui avait été problématique, et qui ne pouvait être décidée que par un concile général. Une partie de l'Église ne pouvant décider ce que tout le reste devait croire, c'était vouloir se séparer entièrement de l'Église et s'attaquer à son chef. A l'égard de la France, cette doctrine était problématique, quoiqu'elle ne le fût pas pour les autres nations, comme l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la Pologne, la Suède, où l'on tenait l'affirmative. Le cardinal cita les personnages les plus éminents, saint Bernard, Gerson, etc., qui avaient tenu cette doctrine, les exemples nombreux de princes et de rois qui avaient été obligés de se soumettre à l'autorité des papes et de l'Église. Messieurs du tiers état avaient proposé cet article à bonne intention, mais ils n'en étaient pas les auteurs. Il savait d'où il venait. Il y avait plus de trois ans qu'il avait été fabriqué à Saumur et en Angleterre, et qu'il avait été distribué pour réduire la France à l'état déplorable de cette pauvre et misérable Angleterre, et contraindre les ecclésiastiques par un serment injuste : en le faisant, à les rendre schismatiques, ou à se séparer de tout le reste de l'Église ; en ne le faisant pas, criminels de lèse-majesté, à cause de ce qui concernait le salut et l'autorité du roi. Dans cet article, il y avait véritablement quelque chose de bon, mais il y avait aussi du schisme et de l'hérésie qu'il fallait retrancher. Pour ceux du clergé, ils étaient résolus d'aller tous au martyre, et de souffrir qu'on leur coupât les poings, plutôt que de faire ce serment. Il croyait messieurs du tiers état très-capables, et de grands personnages ; mais il fallait distinguer les matières. L'administration de la justice leur avait été commise ; ils devaient s'en tenir là, et laisser au clergé ce qui concernait la religion et la foi, sans vouloir se mêler de les leur prescrire. Que les rois ne relevaient que de Dieu pour le temporel, c'était indubitable, ils le croiraient, le jureraient, le prêcheraient. Mais le serment proposé qui renversait l'union de l'Église, ils étaient tous prêts à le sceller de leur sang, et lui le premier. Il le disait au nom des archevêques et évêques, de deux mille prêtres, et de tous les bons catholiques de France qui abandonneraient plutôt le royaume que d'y souscrire. Cet article, ni les tourments, ni les supplices n'arrêteraient point les esprits malins qui, en abattant celui qu'ils se figuraient un tyran, étaient chatouillés par cette folle opinion qu'ils se rendaient recommandables à la postérité, et qu'ils faisaient une action méritoire devant Dieu. On avait vu ce maudit et malheureux Ravaillac aller en riant au supplice, après son exécrable parricide. Si ces malheureux, Ravaillac, Jean Châtel, Jacques Clément et autres semblables monstres avaient cru, en faisant ce qu'ils faisaient, être excommuniés et damnés à tous les diables, ils ne l'auraient pas entrepris. Les tourments corporels ne suffisaient donc pas pour les retenir, il fallait en venir aux spirituels et à ceux qui touchaient l'âme. C'était à un concile général à le faire. Celui de Constance s'était exprimé à cet égard avec clarté et précision en déclarant qu'aucun tyran, sous quelque prétexte que ce soit, ne pouvait être tué, et que quiconque le faisait, était excommunié et soumis aux peines des excommuniés. Jurer l'article proposé, ce serait exposer davantage la vie du roi, parce qu'on se séparerait du pape, et que tous les étrangers, et même beaucoup de Français, conspireraient contre lui. Le président de la noblesse adressa au cardinal les plus sincères compliments et exprima toute la satisfaction de la chambre : elle déclara qu'elle s'en remettait au jugement du clergé pour corriger l'article ou le supprimer.

Le parlement, qui venait de donner la régence, ne resta pas tranquille spectateur du débat. L'occasion se présentait pour lui de se mêler de la politique, il la saisit, et s'assembla, toutes les chambres réunies, Sur le réquisitoire de Louis Servien, Cardin de Bret et Matthieu Molé, il ordonna le maintien et l'exécution de neuf arrêts conformes à la doctrine du tiers état.

Le clergé et la noblesse, faisant cause commune, voulaient à toute force convertir le tiers état. En conséquence le cardinal du Perron, accompagné de plusieurs archevêques, évêques et abbés, et d'une députation de la noblesse, composée de soixante gentilshommes, vint dans la chambre du tiers état ; c'était comme une assemblée des trois ordres. Le cardinal, quoique infirme, puisqu'on l'apporta dans une chaise, parla pendant trois heures. Son discours ne fut qu'une répétition, mais plus étendue, de celui qu'il avait prononcé dans la chambre de la noblesse. Il cita Périclès, Aristote, Minos, Melchisédech, Annibal, les Gaulois, les Francs. Après toutes ces excursions dans la fable et le paganisme, il aborda la question. Le domaine du tiers état était l'administration de la justice ; quant à la foi et à la discipline de l'Église, cela appartenait à l'ordre ecclésiastique. Il combattit la distinction entre la doctrine et la discipline, et rapporta les exemples des empereurs et des rois qui n'avaient voulu se mêler de l'une ni de l'autre, et qui s'étaient bornés à faire exécuter les décisions de l'Église. Les rois devaient lécher la poudre des pieds de l'Église, se soumettre à elle dans la personne du pape qui, comme le duc de Venise, recevait les honneurs au nom de la république. L'Église étant reconnue pour avoir le premier rang dans l'État, elle avait aussi le principal intérêt à la conservation des rois. Car elle tenait d'eux et gratuitement ses bénéfices ; tandis que les magistrats tenaient leurs offices à titre très-onéreux. Le cardinal se citait comme exemple, rappelait qu'il devait au feu roi tout ce qu'il était, et non au pape. Ainsi les ecclésiastiques et lui en particulier ne voudraient en aucune façon diminuer la dignité temporelle des rois. Leurs personnes étaient sacrées, il n'y avait nul doute sur ce qui concernait leur vie et leur sûreté. Mais si parmi ces maximes on joignait des questions qui étaient douteuses touchant la déposition des rois et la dispense du serment de fidélité, cela était capable de ruiner l'État, d'apporter un schisme dans l'Église, de renverser le repos public. C'était mettre la vie du roi en plus grand danger. Le seul moyen de pourvoir à la sûreté des rois était par les lois ecclésiastiques. Le quatrième concile de Tolède et celui de Constance y avaient pourvu.

Quant à la déposition des rois, le cardinal en parlerait hardiment, quoiqu'à regret. Il dirait ce qui était de la croyance de l'Église, que ce point était problématique et l'avait toujours été en théologie, qui ne pouvait être comprise sous les lois politiques, et qu'il fallait distinguer d'avec l'État et la police temporelle. En France, cette question avait toujours été tenue pour problématique, c'est-à-dire qu'il n'y avait ni pour ni contre aucune décision de l'Écriture, de l'Église, ni anathème. Si on tenait pour la négative en France, on tenait pour l'affirmative dans les quatre parties de la chrétienté. Le cardinal rapporta les autorités. Cependant il laissait la question dans son état de problème. Si on voulait la décider, les ecclésiastiques iraient au martyre, et se laisseraient traîner au supplice la corde au cou, plutôt que de laisser ruiner l'autorité spirituelle des papes. Tant que la France avait été mal avec le pape, elle n'avait eu que malheur et désolation. L'article avait été dressé et proposé par de mauvaises gens, ennemis de la religion et de l'État, pour introduire Calvin et sa doctrine. Il n'était pas conforme à la doctrine des docteurs de Sorbonne, entre autres de leur coryphée Gerson. Le cardinal lut plusieurs passages du livre de ce docteur desquels il résultait qu'on pouvait tuer les rois. Il cita plusieurs autres écrivains, et se livra à beaucoup de commentaires, pour établir l'autorité exclusive de l'Église sur ces matières. Il conclut à ce que l'article fût entièrement laissé à la discrétion du clergé, et à ce que le tiers état trouvât bon qu'il fût ôté de son cahier.

Le président Miron répondit tout de suite au cardinal par un discours improvisé, étonnant d'érudition et fort de raisonnement. C'était contre son avis qu'on avait communiqué l'article qu'il avait prévu devoir exciter des troubles non-seulement entre les ordres, mais aussi dans le clergé. Le tiers état, représentant tous les officiers de France, avait voulu le présenter en secret au roi ; c'était à eux à veiller à la conservation de son autorité, et à ce qu'elle ne fût pas entamée par une doctrine nouvelle et étrangère. La mort du roi avait été précédée et suivie de certains écrits scandaleux et désastreux pour la France, dont le but était de la subordonner temporellement aux puissances purement spirituelles. Voilà pourquoi les députés de Paris dans une assemblée de plus de trois cents personnes tirées de toutes les communautés ecclésiastiques, compagnies souveraines et des bourgeois de chaque quartier, avaient adopté l'article, sans que personne de la religion prétendue réformée eût approché de l'assemblée, et n'en eût rien su.

Dans cet article on n'avait pas eu d'autre intention que de garantir les rois de ces furies infernales, en faisant détester les parricides condamnés par les conciles généraux, réveillés néanmoins par des écrits de religieux, qui, au lieu de prier Dieu pour les rois, s'amusaient à sonner le tocsin contre leur sacrée personne, et à allumer le feu pour embraser l'État, se rendant insolemment juges et arbitres de leur sceptre, et attribuant au pape, qui n'y pensait pas, le droit d'en disposer. Ce n'était pas là matière de foi, ni un problème. S'il était problématique en la foi de tenir les rois indéposables de leur trône, pour quelque sujet que ce fût, le clergé, qui confessait hautement avoir reçu tant de bien d'eux, serait-il assez ingrat pour tenir leur couronne flottante et transmissible à la volonté du grand sicaire de celui qui avait renoncé à cette prétention ? Il tenait la personne du roi sujette au pape pour les choses spirituelles, mais nullement sa dignité et l'État. L'intention de l'article n'avait pas été de toucher à la foi, mais seulement d'arrêter le cours de ces écrits qui scandalisent les rois et leurs officiers, et de garantir l'autorité royale de la déposition. En la terre du roi ce ne pouvait pas être un problème, ce n'en pouvait pas être un pour ses officiers. C'était la jurisprudence constante des parlements. L'article était une loi de police et d'État. Le tiers état n'avait et n'aurait jamais l'intention de blesser l'Église par cet article dont il ne pouvait se départir, ni de toucher au Saint-Siège, ni de disputer sur la puissance spirituelle du pape. L'intention du tiers état avait été de maintenir l'indépendance de la couronne des rois qui ne pouvait leur être arrachée de droit par aucune puissance. Sa sainteté n'avait point ce pouvoir, l'Église ne l'avait jamais prétendu. Cependant s'il y avait dans l'article quelques mots qui troublassent le clergé, on était disposé à déférer à ses désirs, sans altérer néanmoins l'essence de l'article.

Le cardinal lit une courte réplique et persista dans ses conclusions.

En vertu de la compétence exclusive qu'il s'attribuait sur la matière, le clergé adopta un article par lequel, sous le bon plaisir du roi, il ordonnait la publication du décret du concile de Constance qui déclarait abominables, hérétiques et condamnés aux peines éternelles ceux qui, sous quelque prétexte que ce fût, tenaient qu'il était permis d'attenter à la personne sacrée des rois et même des tyrans. Dinet, évêque de Mâcon, apporta cet article au tiers état, essaya encore d'établir la subordination du pouvoir temporel au pouvoir spirituel, et demanda que le tiers état se joignît au clergé pour se plaindre au roi de l'arrêt rendu par le parlement qui était attentatoire à la dignité des états. L'article du clergé ne fit pas fortune, on n'y donna aucune suite. On refusa de se joindre au clergé contre le parlement qui n'avait rien entrepris sur les états.

Le gouvernement, n'ayant pas été saisi de la question, n'avait pris aucun parti. Le clergé et la noblesse étant allés faire des remontrances au roi, il intervint un arrêt du conseil qui évoqua le différend, sursit à tous arrêts et délibérations, fit défense aux états et au parlement de s'en occuper davantage.

Le clergé, mécontent, envoya au roi une grande députation, l'évêque d'Angers porta la parole. Il remontra que le parlement avait tranché le différend, quoiqu'il dépendît d'un point de religion qui ne pouvait être décidé que par l'autorité ecclésiastique ; que par ce motif le clergé récusait tous ceux de la religion prétendue réformée.

M. de Bouillon répondit qu'il voyait bien que cela s'adressait à lui ; il avoua qu'il avait assisté au conseil, qu'il y avait dit son opinion sur la souveraineté et temporalité du roi, et non sur le point de la religion, dent il ne voudrait pour rien au monde opiner, étant de profession contraire à celle du sieur évêque.

Le cardinal de Sourdis soutint que ce qui avait été décidé en parlement et au conseil était un point de religion.

Le cardinal du Perron ajouta : C'était vraiment un point de doctrine sur lequel il avait dit, ces jours passés, que la puissance du pape était pleine, plénissime, directe au spirituel, indirecte au temporel. Ceux qui voudraient soutenir le contraire étaient schismatiques et hérétiques, même ceux du parlement, qui avaient sucé le lait de tous. Si le roi ne cassait promptement l'arrêt du parlement, et ne faisait tirer les conclusions des gens du roi hors du registre, il avait charge du clergé de dire qu'ils sortiraient des états ; et, qu'étant ici comme en concile national, ils excommunieraient tous ceux qui seraient d'opinion contraire à la proposition affirmative que le pape peut déposer le roi. Quand le roi ne voudrait pas souffrir qu'ils procédassent par censures ecclésiastiques, ils le feraient, dussent-ils souffrir le martyre ; déclarant au surplus que, sur cette question, ils récusaient M. le prince.

Sur quoi le roi dit qu'enfin ils le récuseraient lui-même.

M. le prince dit au cardinal de Sourdis : Vous avez la tête bien légère. Le cardinal lui répondit : Je n'irai pas chercher du plomb dans la vôtre. — Si je faisais mon devoir, répliqua M. le prince, je vous apprendrais à parler si indiscrètement à une personne de ma qualité !

Le roi ordonna au tiers état de lui apporter l'article. On mit en délibération si on l'ôterait du cahier pour le lui porter, ou si on lui en porterait une copie, qu'on intitulerait : Extrait des registres de la chambre du tiers état ; on s'arrêta à ce dernier parti. La reine dit à la députation que le roi remerciait de bon cœur de l'article, qu'il le tenait pour présenté et reçu, et protestait de décider à la satisfaction du tiers état ; mais que, d'après l'évocation, il enjoignait expressément que l'article ne fût plus employé au cahier, et qu'il désirait une réponse le jour même.

Le rapport de la députation à la chambre y causa de bruyants murmures. On mit en délibération si on opinerait de suite, ou si on renverrait au lendemain. Le renvoi fut adopté. Le lendemain, la discussion fut très-orageuse ; on opina par province. La majorité paraissait pencher pour la radiation de l'article, ce que voyant les députés qui étaient pour son maintien, ils demandèrent qu'on opinât par bailliages, parce que les provinces n'avaient pas le même nombre de députés, et que celles qui n'en avaient que trois ou quatre auraient autant de voix que celles qui avaient trente ou quarante bailliages. Le président persista à faire opiner par provinces ; la majorité vota la radiation, cependant sous la réserve de protestation ou de remontrances au roi. Alors cent vingt membres se levèrent, attaquèrent la délibération comme prise par la minorité, déclarèrent y former opposition, et se portèrent au bureau pour y inscrire leurs noms. La séance fut levée au milieu du tumulte.

Le président porta la délibération au roi. Le lendemain il se disposait à rapporter sa réponse h la chambre, il fut interrompu par les cent vingt députés qui demandaient acte de leur opposition. Ils avaient à leur tête Savaron et le lieutenant civil. Savaron voulut parler, on ne le lui permit pas. Le président eut beaucoup de peine à se faire entendre. Le tumulte s'étant apaisé, il rapporta la réponse que le roi avait faite de son propre mouvement, sans truchement ni ministère de personne qui la lui dictât : il remerciait la chambre du soin qu'elle avait de la conservation de sa personne. Il était très-aise de ce qu'elle avait obéi à son commandement. Il avait pris en bonne part l'intention de la chambre. Il avait évoqué l'article, non pour le supprimer, mais pour en décider. Il promettait d'y répondre si favorablement, que tout le monde en serait satisfait et content. Il s'y étudierait d'autant plus que l'affaire le touchait particulièrement.

Cette réponse ne satisfit pas les opposants, ils crièrent de plus fort pour qu'on leur donnât acte de leur opposition. Le président persista à écarter leur réclamation. Le lieutenant général d'Angers proposa un expédient qui mit tout le monde d'accord ; c'était d'insérer dans le cahier, à la place de l'article, ces mots : Le premier article n'a été ici employé, pour en avoir été tiré, par l'exprès commandement de sa majesté, qui a promis d'y répondre favorablement et au plus tôt.

La modération avec laquelle le clergé avait entamé cette discussion n'était que de l'hypocrisie. Il sortit des bornes, et se montra à découvert, lorsqu'il vit que le tiers état avait pénétré son but, et n'avait pas donné dans le piège. Il avait eu l'audace et l'insolence de dire, par l'organe du cardinal du Perron, que les rois devaient lécher la poudre des pieds de l'Église ; qu'il excommunierait tous ceux qui seraient d'opinion contraire à la proposition affirmative que le pape pouvait déposer le roi. La noblesse s'était réunie au clergé, mais lorsqu'il prétendait seulement que l'article du tiers état était de la compétence ecclésiastique, et avant que le clergé eut osé proclamer ses hérésies politiques. La cour de Rome en tressaillit de joie. Par des brefs, adressés aux deux premiers ordres, le pape leur témoigna ses remercîments, et les encouragea à continuer leur résistance. Lecture en fut faite dans la chambre du clergé sans communication préalable au gouvernement. La noblesse présenta le bref au roi avant d'en entendre la lecture.

Lorsque dans la chambre du tiers état on se disposait à signer le cahier général, il s'éleva encore un débat sur le fameux article. Les uns voulaient qu'il fût inséré dans la minute, les autres disaient qu'il suffisait qu'il fût dans le procès-verbal du secrétaire. Après une longue discussion, il fut décidé qu'il serait inséré dans la minute, avec ces mots en marge : Cet article n'est pas inséré dans la grosse du cahier général présenté au roi, sa majesté l'ayant évoqué d'avance à sa personne et ayant promis d'y répondre favorablement, ce qu'elle e4 supplié de faire. Il fut aussi arrêté que dans la grosse, après le titre de Lois fondamentales, il serait mis : Le premier article extrait du cahier général ne se trouve ici rapporté, ayant été tiré par exprès commandement du roi, qui a promis d'y faire réponse.

Avec les travaux que nous venons de rapporter, les états ont mené de front celui de leurs cahiers. Pour éviter la confusion nous l'avons laissé de côté ; maintenant nous le reprenons.

Pour leur confection, une députation du clergé, présidée par l'évêque de Beauvais, vient demander au tiers état son adhésion à cet ordre de travail : Extraire des cahiers les articles qui ne concerneraient pas les intérêts particuliers des trois ordres, mais l'intérêt,. général, les leur soumettre, transmettre leurs délibérations au roi, avec invitation d'y répondre promptement, afin que les députés pussent avoir la satisfaction d'emporter les décisions dans leurs provinces. Cette mesure était fondée sur l'expérience des états précédents, qui étaient restés tout à fait infructueux. Lorsque les cahiers étaient arrêtés et remis au roi, on congédiait les députés sans y avoir répondu, et si on y répondait, ce n'était que longtemps après, ainsi qu'on l'avait vu pour les états de 1576 et 1588. Du reste, cet ordre de travail n'empêcherait pas que les gouvernements ne s'occupassent des autres articles des cahiers. La proposition soulève un débat très-bruyant dans la chambre du tiers état. Les uns veulent qu'on l'adopte ; les autres soupçonnent qu'elle cache un piège tendu par le conseil, qui, lorsque les états auraient résolu quelques points concernant les intérêts-du roi, congédierait les députés. On ne peut s'entendre ; le président, en colère, lève la séance.

Le roi mande les présidents des trois ordres avec quatre de leurs collègues. Avant cette audience, les députés du tiers état étant allés chez le procureur général Bellièvre, il leur dit qu'ils sont mandés pour l'ouverture faite par le clergé, qu'il trouve très-dangereuse et condamnable. Elle est, dit-il, nouvelle, et n'a jamais été pratiquée dans les états précédents ; elle ne tend qu'à éprouver la volonté du roi, dont on semble se défier ; elle est inventée à dessein de créer quelque sujet de mécontentement. Les articles que le clergé veut être expédiés les premiers, pourraient être tellement déraisonnables et contraires au service du roi et au bien de l'État, qu'il lui serait impossible de les approuver. On prendrait occasion de ce refus pour rompre, et aller semer du mécontentement dans les provinces. De fait, on disait que le premier article que le clergé mettrait en avant, était l'observation du concile de Trente et l'établissement de l'inquisition en France, où le pape envoyait un nonce.

Les députés ayant été introduits chez le roi, la proposition du clergé, leur dit la reine, tend à faire soupçonner que le roi ne répondra aux cahiers que longtemps après qu'ils lui seront remis. Ce n'est pas son intention ; au contraire, elle leur promet qu'il sera répondu aux cahiers si favorablement avant le départ des députés, que chacun aura sujet d'être content ; ils doivent en être assurés. Lc roi confirme le dire de sa mère. Les députés témoignent leur satisfaction et leur joie. La proposition du clergé n'a donc aucune suite.

Chaque ordre travaille à la rédaction de son cahier et y procède à peu près de la même manière. A peine cette opération est commencée dans la chambre du tiers état, qu'on y juge convenable de nommer l'orateur chargé de présenter le cahier au roi et de le remercier à la clôture des états, afin qu'il ait le temps de se préparer. Deux concurrents briguent cet honneur, le président du tiers état Miron, et le lieutenant civil de Mesme. Celui-ci est d'une grande capacité, ferme, courageux, homme de cœur, et jaloux de popularité. L'autre n'est pas sans mérite, mais il est faible de constitution et de caractère, on craint qu'il ne se laisse entrainer par le vent de la cour et des grands. Aussi, la reine l'appuie-t-elle chaudement ; elle ordonne même au lieutenant civil de se désister de ses poursuites. La recommandation de la reine n'est pas sans effet ; les suffrages se balancent un instant, mais Miron l'emporte. Pour ne pas lui laisser une trop grande liberté, on lui impose l'obligation de soumettre à la chambre, quinze jours d'avance, les points principaux et substantiels de sa harangue dont on n'entend lui laisser que l'ornement.

Pour la rédaction de son cahier, le tiers état décide que chaque président de gouvernement tiendra son cahier provincial pendant qu'on fera lecture de celui de Paris, pour voir la conformité ou la différence, discuter et décider. Bien entendu que cela n'établira pas un droit en faveur de cette ville. En effet, les députés de Paris affectent sans cesse une suprématie sur ceux des provinces. Ainsi, en l'absence du président Miron et du lieutenant civil vice-président, le député de Paris qui les suit s'avise de vouloir présider. La chambre nomme un second vice-président, Mouchet, avocat de Dijon. Les députés de Paris se retirent emportant leur cahier. Le corps municipal s'assemble et porte plainte au roi qui prend parti pour Paris. Miron, à la fois prévôt des marchands et président du tiers état, concède que la présidence est élective et n'appartient pas de droit à sa ville, mais il prétend qu'en son absence et celle du lieutenant civil, un député de Paris doit présider. La chambre persiste. Elle engage les Parisiens à ne pas contrevenir à ses décisions, et à ne pas les déférer au conseil du roi. Elle prie Miron de considérer qu'il est officier de la chambre et non de la maison de ville ; qu'il doit conserver la liberté des états sans avoir égard à l'intérêt de la ville de Paris, qui n'a aucune puissance sur les autres villes du royaume. Au milieu du bruit qu'excite cette discussion, des députés crient que, si le président ne veut pas rester exclusivement l'homme de la chambre, il faut le remplacer, sinon qu'ils s'en iront et ne reviendront plus. Les Parisiens se soumettent.

Les états sont assemblés depuis plus de trois mois. Sur le but principal de leur convocation, les finances, la cour voit qu'elle n'en peut tirer aucun parti. Ils veulent porter la lumière dans le gouffre s'engloutissent les revenus de l'État, réduire les dépenses et diminuer les charges publiques. La cour résiste à toute investigation et ne veut aucune réforme. Une aristocratie, jalouse et turbulente, s'agite, conspire, menace. La présence des états entretient l'agitation ; la reine, la camarilla italienne, se hâtent de se débarrasser de ce contrôle plus incommode que dangereux.

Le 23 janvier, le duc de Ventadour vient de la part du roi demander aux chambres qu'elles aient à terminer leurs cahiers pour les lui présenter le 3 février. On a vu, dit-il, assembler les états pour tirer des deniers, ou pour quelque autre sujet qui pressait les rois ; mais l'intention du roi est de bien faire à tous et de ne nuire à personne. Il promet de répondre aux cahiers avant que les états se séparent. Le délai est prorogé au 6 février, et il sera donné défaut contre les ordres qui n'auront pas achevé leur cahier.

On n'est pas dupe de ces belles paroles royales et de l'empressement de la cour à obtenir les cahiers ; c'est sonner l'agonie des états ; ils profitent de leurs derniers moments, pour empêcher qu'après la présentation de leur travail, il ne soit voué à l'oubli. Il s'agit de demander formellement que les cahiers soient répondus avant la séparation des états, et qu'un certain nombre de députés assiste au conseil, lorsqu'on s'y occupera de ces réponses. C'est une invention du clergé et de la noblesse. La cour redouble ses intrigues pour étouffer ce projet, diviser les trois ordres et éviter qu'ils ne prennent une décision commune. Elle réussit auprès du clergé et en partie auprès de la noblesse, qui se borne à demander que douze des plus anciens conseillers du roi, désignés par les états, soient appelés à répondre aux cahiers avec la reine, les princes et les officiers de la couronne. Consulté par la noblesse sur ce projet, le tiers état refuse d'y adhérer. Il lui trouve deux inconvénients, d'abord de forcer le roi à concéder aux états la désignation de gens de son conseil, ensuite l'avantage qu'auraient dans cette désignation le clergé et la noblesse, portés de longue main à la ruine et à la désolation du tiers état. Le tiers état demande seulement, pour les états, la faculté de récuser, sans en donner de motifs, les juges des cahiers qui seront nommés par le roi.

Aucun de ces tempéraments ne convient à la cour ; d'ailleurs elle entend dicter la loi et non la recevoir. Voici ce qu'elle avise et ce que le duc de Ventadour vient annoncer aux chambres ; le roi voulant, comme il l'a promis, répondre tout de suite aux cahiers, désirs qu'elles chargent chacune douze députés d'assister à la réponse, afin d'animer de vive voix et de donner les motifs des articles ; il entend que les états ne se séparent pas, qu'ils restent jusqu'après la réponse, et que leur indemnité soit continuée. C'est une manière indirecte d'obtenir une adhésion des états sans voix délibérative aux décisions du conseil. A cet égard, le tiers état a une tradition, la doctrine professée par Bodin aux états de 1576, savoir que les états ne devaient pas s'immiscer dans la réponse aux cahiers qui était un droit et un devoir de la couronne. Le tiers état refuse donc de nommer des commissaires ; le clergé et la noblesse n'en nomment pas non plus.

Dans les préambules des cahiers, les trois ordres avouaient en termes exprès tout ce qui s'était fait pendant l'administration de la reine, et on y glissait plusieurs points contraires à ce qui avait été résolu. Dans le tiers état, il s'élève des réclamations ; approuver l'administration de la régence, c'est en contradiction avec la demande d'une chambre de justice pour rechercher et punir les malversations des gens de finance. Le clergé remerciait aussi la reine de ce qu'elle avait procuré des alliances avec l'Espagne. On trouve de l'inconvénient à en parler, attendu qu'il n'a été fait à cet égard aucune communication aux états, et que le résultat de ces mariages était incertain. L'esprit de courtisanerie l'emporte, et les préambules restent tels qu'ils ont été rédigés.

La présentation des cahiers prorogée jusqu'au 23 février 1615, et la clôture des états, se font ce jour-là avec encore plus de désordre et de confusion qu'à leur ouverture. Tandis que les trois ordres attendent à la porte de la salle, elle est envahie par plus de deux mille courtisans, muguets et muguettes, et une infinité de toutes sortes de gens qui occupent les meilleures places. Les cardinaux. les évêques, les prélats, la noblesse, le tiers état, pressés et poussés au milieu de piques et de hallebardes, se placent comme ils peuvent. Le roi, la reine, assis sur une estrade, sous un dais parsemé de fleurs de lis d'or, sont entourés des princesses du sang, du comte de Soissons, des ducs de Mayenne, de Montbazon et de Retz. Le chancelier est à côté du roi, les conseillers d'État sont près du chancelier.

L'évêque de Luçon, Richelieu, parle pour le' clergé. Son discours roule sur la suppression de l'hérédité et de la vénalité des offices ; la réduction des gratifications et pensions excessives ; la restitution à l'Église de ses biens possédés par les réformés, l'accomplissement du double mariage avec l'Espagne ; les bénéfices donnés comme des récompenses à des nobles laïques ; la part que les ecclésiastiques doivent prendre aux affaires d'État. Il termine par l'éloge de la reine et par exhorter le roi à lui laisser le gouvernement.

Le baron de Sennecey, au nom de la noblesse, harangue à peu près dans les mêmes termes.

Les présidents du clergé et de la noblesse ont parlé debout. Le président du tiers état, Miron, se met à genoux sur un carreau de velours, près d'un petit banc couvert d'un drap d'or à fleurs de lis, et prend la parole. Son discours est un document très-instructif sur l'état de la France. Il loue le roi d'avoir, par la convocation des états généraux, remis en vigueur une institution aussi ancienne que la monarchie, et qui aurait conservé l'État dans son lustre, si elle n'avait pas été altérée. Il s'excuse de la liberté avec laquelle il allait, pour l'acquit de sa charge, exposer les maux du pays, leurs causes, et proteste de son intention de ne blesser personne en particulier, ni aucun ordre en général.

Deux points principaux avaient toujours été la base et l'appui de l'État, la piété et la justice. Elles avaient été violées et flétries par une infinité de mauvaises actions de plusieurs ecclésiastiques, et officiers de justice, police, finance et autres de toutes professions. Il ne restait plus que l'ombre et le nom de ces vertus. Telle était la source et l'origine du mal.

La piété s'était éloigne par défaut de prélats ; plusieurs évêchés sans évêque, plusieurs troupeaux sans pasteurs ; cependant le revenu touché par des nommés ou par des économes. Les titulaires fuyant la résidence. Les cures abandonnées parce qu'elles étaient si pauvres, qu'un homme de médiocre savoir serait honteux d'y être appelé. Pour celles qui étaient bien dotées, les ecclésiastiques les plus élevés en dignité ne dédaignaient pas d'en prendre le titre et les revenus, mais en laissaient l'exercice à des vicaires pauvres et ignorants, auxquels ils donnaient de petits gages au-dessous de ceux des moindres domestiques, et ils portaient l'impudeur, le mépris des lois et de leur propre honneur, jusqu'à passer de ces arrangements acte devant notaire. Dans la moitié des abbayes, il n'y avait pas d'abbés qui eussent un titre canonique ; la plupart étaient possédées par des économes, ou occupées ouvertement par des gentilshommes et toutes sortes de laïques. La multiplicité des bénéfices dans une seule personne ; la simonie ouverte et déguisée par des pensions réductibles ; la confidence si ordinaire qu'il n'y avait pas trois bénéfices à la campagne, même des cures, qui fussent possédés par de vrais titulaires, et qui ne fussent tenus au profit de personnes laïques et de tout sexe.

Quant à la noblesse, il s'y était glissé tant d'excès ! Mépris de la justice et des juges, contraventions aux ordonnances, soit par les duels, les rencontres feintes et simulées, oppression des pauvres, détention injuste de bénéfices, violences contre !es faibles, et autres désordres. Quelques nobles, par leurs mauvaises meurs, donnaient tout sujet de ne plus les reconnaître dans ce degré où la vertu de leurs ancêtres les avait élevés. Les grands privilèges dont jouissaient les nobles et les grands fiefs qu'ils possédaient leur avaient été octroyés pour leur servir d'aiguillon à la vertu, afin qu'ils fussent comme des victimes dévouées au salut et au repos de l'État, et des digues puissantes contre les efforts et violences des étrangers. Aujourd'hui leurs principales actions se consumaient en jeux excessifs, en débauche, en dépenses superflues, en violences publiques et particulières, monstres et prodiges de ce siècle, qui obscurcissaient le lustre et l'éclat anciens de cet ordre respectable et redouté par tout le monde.

Quant à la justice, longueurs, fuites et subterfuges pour éterniser les procès. Les fils ensevelis dans les ruines des instances intentées par leurs pères. Il y avait peu de procès, civils ou criminels, si quelque grand ou riche y était intéressé, qui ne passassent par toutes les juridictions ; à la fin le demandeur et le défendeur étaient entièrement ruinés. De là tant de querelles, de duels, de meurtres, d'assassinats, et de mépris des juges. On était travaillé par une hydropisie de pratique. Elle était passée jusqu'aux gens de village ; ils employaient leurs meilleures journées aux plaidoiries. Cette maladie était excitée et entretenue chez eux dans l'intention de provigner les procès, qui étaient une autre espèce de taille et un autre ravage approchant des ruines que leur causaient les gens de guerre.

A ce sujet, l'orateur, à l'imitation des orateurs du tiers état dans les assemblées précédentes, faisait un tableau lamentable des souffrances et de la misère du pauvre peuple des campagnes, de ce peuple qui nourrissait par ses pénibles labeurs les trois ordres de l'État, et qui fournissait au roi les moyens d'entretenir sa dignité royale, et d'acquitter les dépenses de l'État. Ce pauvre peuple donnait les moyens de payer les gens de guerre, et ils n'étaient pas sitôt sur pied, qu'ils l'écorchaient et le traitaient de telle façon, qu'il n'y avait pas de termes pour exprimer leurs cruautés. La gendarmerie étant en grande partie composée de noblesse, le reproche tombait sur elle. L'orateur, après avoir dit qu'on ne devait pas cependant lui imputer en général ces inhumanités, ajoutait : Si elle ne faisait pas le mal, elle l'empêcherait si elle le voulait bien. Elle était exempte de ces oppressions. Combien de gentilshommes envoyaient les gens d'armes chez leurs voisins, et quelquefois dans leurs propres villages, pour se venger de corvées non faites, de contributions non payées ! Si le roi n'y pourvoyait, il était à craindre que le désespoir ne fit connaître au peuple que le soldat n'était autre chose qu'un paysan portant les armes ; que lorsque le vigneron aurait pris l'arquebuse, d'enclume qu'il était il ne devînt marteau. Ainsi tout le monde serait soldat, il n'y aurait plus de laboureur ; les villes, la noblesse, l'Église, les princes et les plus grands mourraient de faim.

Ce pauvre peuple, qui 'l'avait pour partage que le labeur de la terre, le travail de ses bras et la sueur de son front, accablé de tailles, d'impôt du sel, doublement retaillé par les recherches impitoyables et barbares de mille partisans, à la suite de trois années stériles, avait été vu manger l'herbe au milieu des prés, avec les bêtes brutes ; d'autres, plus impatients, étaient allés par milliers en pays étranger, détestant leur terre natale, etc.

L'orateur, après avoir révélé les abus existants dans les diverses branches de l'établissement public, expose sommairement les remèdes que proposait le tiers état dans son cahier.

Ce sont, dit-il, les vœux et requêtes des gens du tiers état ou de ceux qui les représentent, en parlant pour eux, la plupart honorés de titres d'officiers du roi et des premières charges des provinces. Bien qu'ils s'abaissent, comme ils le doivent, au plus humble degré de respect, ils ne sont pourtant pas avilis et ravalés à un si bas étage, que l'humble contenance dans laquelle ils se présentent devant votre majesté, autrefois commune, en cette action, à tous les ordres, les doive rendre méprisables. Si, contre la respectueuse coutume, de toute ancienneté pratiquée par les plus grands du royaume, même par les princes et les évêques, les autres ordres ont recherché dans ces derniers siècles à être dispensés de rendre, à l'exemple du tiers état, cette exubérance de respect au prince souverain ; quant à nous, nous avons pris à honneur de nous maintenir dans la règle de cette profonde humilité devant notre maître. Ce n'est pas pour cela que nous ne sachions bien quels nous sommes, et que hors de cette action, en tant que touche vos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils puissent être, nous représentons votre majesté dans nos charges, et qui nous outrage viole votre autorité, et même commet, en certain cas, le crime de lèse-majesté. Nous avouons bien que nous sommes assistés des prières et des bénédictions de messieurs les ecclésiastiques, et que leur ministère nous est entièrement utile et nécessaire. Nous reconnaissons aussi que nous recevons parfois secours de la noblesse, avec laquelle nous joignons souvent nos personnes et nos moyens, nous exposant aux mêmes hasards et périls et aux nécessités publiques, plusieurs de nous ayant, par la naissance, l'honneur de faire partie de ce corps. L'Église et la noblesse peuvent reconnaître que dans nos fonctions nous travaillons souvent à vider leurs différends, à assurer et affermir leurs biens. Nous entrons souvent en contention d'esprit pour régler leurs débats, pour prévenir leurs querelles. Ce n'est pas pour reprocher le service que nous rendons, nous y sommes tenus ; votre majesté nous le commande. Elle s'est dépouillée de ce saint exercice, et nous en a revêtus avec toute autorité pour vaquer, de sa part, aux plus hautes affaires de l'État. Ainsi, sire, si nous nous jetons dans le tiers état pour le secourir, et vous représenter ses nécessités et misères, nous faisons ce qu'elle désire principalement de nous, d'avoir soin des plus faibles, de ceux qui sont le plus cachés à ses yeux et le plus éloignés de ses pas.

Les trois orateurs ayant remis leurs cahiers au-roi, il se découvre et prononce ces paroles : Messieurs, je vous remercie de tant de peine que vous avez prise pour moi depuis quatre mois ; je ferai voir vos cahiers et je les répondrai promptement et favorablement.

La séance est levée à huit heures du soir.

En lisant aujourd'hui le tableau de la France au commencement du dix-septième siècle, tel qu'il est tracé par Miron et dans les cahiers, on croit rêver. Quel État ! quelle société ! Le peuple opprimé, accablé, pillé, bâtonné, emprisonné, torturé, tué, broutant l'herbe, mourant de faim et se suicidant. Aux nobles, aux prêtres,

la haute bourgeoisie, c'est-à-dire à la vingtième partie de la population, la propriété, l'aisance, la richesse, le luxe, toutes les satisfactions, toutes les jouissances. La cour, le clergé, la noblesse, dégradés par la corruption la plus infâme, les mœurs les plus dégoûtantes. La royauté, le gouvernement, l'administration, se déshonorant par la mauvaise foi, le gaspillage, le vol, les prodigalités, le plus scandaleux désordre. Cette situation antisociale, impie, n'est pas une exception, elle est habituelle, elle dure depuis des siècles, elle remonte à l'origine de la monarchie. Il n'y a ni exagération, ni calomnie, dans des remontrances aux rois, tellement libres que, dans les gouvernements constitutionnels, elles ne seraient pas tolérées ; dans les harangues aux états, dont s'effaroucherait la susceptibilité parlementaire, dans une longue série de cahiers, la plaie a été exposée dans toute sa hideuse nudité, sans ménagement pour personne, sans dénégation ni contradiction de la part du trône et de ses satellites. Ces monuments de notre histoire sont trop peu connus. On a de la peine à y croire après les avoir lus. C'est une réponse péremptoire aux détracteurs de notre grande révolution. On s'étonne qu'une nation si indignement gouvernée ne se soit pas abîmée et qu'elle se soit encore élevée au premier rang. Que serait-elle donc devenue si ceux qui présidaient à ses destinées avaient eu la conscience de leur mission !

En apparence frivoles, les questions d'étiquette sont devenues très-graves. Telle est celle que Miron traite dans son discours. Les orateurs du clergé et de la noblesse ont parlé debout, celui du tiers état a parlé à genoux. Miron prétend que, de toute ancienneté, son attitude avait été commune aux trois ordres, et insinue que les deux premiers s'en sont eux-mêmes affranchis, le leur reproche, et fait au tiers état un mérite de s'être maintenu dans cette exubérance de respect pour le souverain. Il eût été plus simple d'imiter le clergé et la noblesse, et de parler debout. Que serait-il arrivé ? Certainement on n'aurait pas osé lui enjoindre de se mettre à genoux ou lever la séance. Il n'y avait point de règle fixe, l'usage avait varié. Jusqu'au treizième siècle on est dans l'obscurité. Aux premiers états généraux, sous Philippe le Bel, les députés des villes présentent, dit-on, une requête à genoux ; on ne mentionne pas l'attitude des deux premiers ordres. Jusqu'à la fin du quinzième siècle l'obscurité continue. Aux états de 1483, on vote par tête, il y a un seul orateur. Tous les députés mettent un genou en terre pour lui obtenir la permission de parler. Aux états de 1506, le tiers état seul parle, tous ses membres sont à genoux. En 1527, grande assemblée de notables, les orateurs du clergé et de la noblesse parlent debout, celui des parlements el ses collègues, mettent le genou en terre ; on leur ordonne de se lever. Le prévôt des marchands et les échevins de Paris restent à genoux. Aux états de 1560, à la séance d'ouverture, le roi ordonne à tous les députés de s'asseoir et de se couvrir. A la séance de clôture, les orateurs indistinctement se mettent à genoux, ils reçoivent l'ordre de parler debout. Aux états de 1576, le roi entre, tout le monde se lève et se découvre, le tiers état reste un genou en terre jusqu'à ce que le roi se soit assis. Les orateurs lui adressent des remercîments, ceux du clergé et de la noblesse, ainsi que tous leurs collègues, font une révérence jusqu'à donner d'un genou en terre. Celui du tiers état et ses codéputés demeurent sur un genou. A la clôture, les orateurs du clergé et de la noblesse à genoux, leurs collègues debout, commencent à parler, ils se lèvent par ordre du roi, l'assemblée s'assoit et se couvre. L'orateur du tiers état parle à genoux pendant une demi-heure, on lui ordonne de se lever, il parle pendant deux heures, ses collègues debout et tête nue. Cependant plusieurs ne se soumettent pas à cette humiliation et prennent la licence de s'asseoir et de se couvrir. En 1588, ce fut comme en 1576.

Bien que l'étiquette ne soit pas à beaucoup près invariable, on y voit l'intention constante de rabaisser le tiers état. Il semble qu'elle redouble à mesure qu'il grandit et que les ordres privilégiés déclinent. Ils font un mauvais calcul, et le temps le leur apprendra. On a beau mettre le tiers état à genoux, on n'étouffera pas en lui le sentiment de sa dignité et de sa force. Ce n'est pas pour cela, dit Miron, que nous ne sachions bien quels nous sommes. Avertissement ou menace, ces paroles sont significatives ; malheur à qui ne les comprend pas !

L'outrage est d'autant plus vivement senti qu'il frappe sur une classe qui s'imagine tenir plus de la noblesse que du peuple, et que la noblesse repousse ; sur des officiers de justice ou de finance, espèce d'aristocratie bourgeoise à qui ses fonctions donnent de l'importance, et qui a aussi sa vanité et ses prétentions. D'après son organe, Miron, il est difficile de la définir ; elle n'a ni constitution, ni rang, ni droit, ni pouvoir, et cependant elle tend à se distinguer du tiers état ; c'est que, pour elle, le tiers état est le peuple, et qu'elle croit être au-dessus de lui. Elle veut bien se jeter dans le tiers état, le représenter et exposer ses misères, donc elle ne croit pas en faire partie. Dans cette prétention il y a, pour le moment, peu de logique et beaucoup de fatuité ; c'est un germe confié au temps. Que faut-il pour que l'aristocratie bourgeoise ait raison ? que l'aristocratie nobiliaire disparaisse, et elle disparaîtra. Alors la bourgeoisie, infatuée de son triomphe, singera la noblesse en présence d'une nation démocratisée. Une nouvelle lutte commencera. Qu'en arrivera-t-il ?

Ce que nous avons dit sur les cahiers des états de 1588, répétant depuis très-longtemps à peu près les mêmes remontrances, s'applique aux cahiers des états de 1614. Il ne s'était écoulé que vingt-six ans. Les ordonnances de réformation n'étaient pas si anciennes, qu'elles tombassent de vétusté, et l'état du royaume n'avait pas tellement changé, qu'elles ne lui fussent plus applicables. On ne les exécutait pas, et même on les violait impudemment. Les cahiers forment un volume de 476 pages d'une impression très-serrée. Ce n'est en grande partie qu'une répétition des cahiers de 1560, 1576, 1588, formant eux-mêmes 1083 pages d'impression du même caractère. Nous nous bornerons donc à en rapporter les principaux articles par ordre de matières, mal observé dans les cahiers, avec le vote en marge de chaque ordre désigné par son initiale.

Les trois ordres débutent par un éloge pompeux du gouvernement de la reine, par féliciter le roi de ce que, parvenu à sa majorité, il a eu la bonne inspiration de laisser à sa mère la direction des affaires, et par l'inviter à la lui continuer. C'était un des buts principaux de la convocation des états. On voulait qu'ils approuvassent la dissipation des finances depuis la mort de Henri IV. Ils ratifièrent l'administration de la reine par servilité et contre leur conscience.

ÉGLISE.

C. N. — Publier le concile de Trente. Le tiers état est d'une opinion contraire. — Rétablir exclusivement l'exercice de la religion catholique. Défendre à tous athéistes, juifs, mahométans, adamites, anabaptistes et semblables, de résider dans le royaume, à peine de confiscation de corps et biens. Exhorter les archevêques et évêques à contraindre ceux qui ostensiblement ne professent aucune religion à exercer la religion catholique.

C. — Nombreuses réclamations réactionnaires contre les réformés tendant à leur faire retirer les concessions qui leur ont été faites, et à gêner l'exercice de leur culte.

C. N. — Les lois et peines temporelles n'étaient pas suffisantes pour arrêter le bras des meurtriers des rois, publier de nouveau le décret du concile de Constance, et inviter le pape à déclarer excommuniés et condamnés aux peines de l'enfer ceux qui voudraient attenter à la vie des rois.

T. — Le tiers état mentionne que l'article qu'il avait délibéré pour garantir la vie du roi a été, par son ordre, retiré du cahier et présenté d'avance au roi qui a promis d'y répondre.

C. — Pour maintenir la bonne intelligence, l'union et la correspondance avec le pape, toujours si profitables aux rois et au royaume, ne pas souffrir que son autorité, si sainte et si sacrée, soit attaquée, débattue et offensée dans des livres pleins d'impiété et de médisances contre sa sainteté. Défendre d'en imprimer et vendre. — Pour réprimer l'impunité d'imprimer les livres contre Dieu, contre le souverain pasteur de son église, les rois, les princes et prélats, ordonner que l'art de l'imprimerie ne s'exercera que dans quelques villes principales, par un certain nombre d'imprimeurs qui prêteront serinent de ne rien imprimer qu'avec la signature de l'auteur, l'approbation des docteurs et l'autorisation de l'évêque. Défendre aux libraires de débiter sans la même autorisation les livres venant de l'étranger.

T. — Le tiers état ne propose pas ce parcage de l'imprimerie ; il laisse la censure des livres à l'autorité ecclésiastique, et attribue l'autorisation aux juges royaux.

C. — Tableau des abus sans nombre dans la collation des bénéfices provenant de l'impossibilité où est le roi de connaître ceux qu'il nomme. Établir un conseil de six ecclésiastiques et de deux membres du conseil du roi, sur le rapport desquels seront faites les nominations. Par ce moyen, le roi se déchargera de toutes les sollicitations, rendra sa conscience pure d'un grand désordre, d'une infinie perte d'âmes.

C. T. — Annuler les réserves, pensions et confidences sur les bénéfices, et n'en plus accorder.

C. — Réclamation contre l'extension donnée au droit de régale, aux grâces expectatives et induits, et les envahissements des cours souveraines sur la juridiction ecclésiastique, c'est-à-dire pour l'extension de celle-ci aux dépens de la juridiction temporelle.

T. — Dispositions pour renfermer la juridiction ecclésiastique dans ses limites, et pour maintenir la juridiction séculière à l'égard des crimes commis par les ecclésiastiques.

C. N. T. — Établir des séminaires, plus nécessaires que jamais, pour remplir l'Église de bons prêtres et retenir le peuple dans la vraie foi.

C. — Plusieurs dispositions rigoureuses pour le payement de la dîme prétendue sur tous les fruits et grains naissant de la terre, même le pastel, safran, poix, résine, châtaignes, olives, riz, mil, sainfoin, laines et charnage, pommes et poires, mère goutte — vin non pressuré —, et des hauts bois.

T. — Que les ecclésiastiques ne puissent exiger la dîme en plus grande quantité et autre forme que celles qui de toute ancienneté sont usitées, soit par l'usage commun des lieux, les transactions ou compositions faites entre eux et les paroissiens. — Que nulle communauté ecclésiastique, et les gens de mainmorte, ne puissent acquérir d'immeubles que pour accroître l'enclos de la maison où ils demeurent. — Les comptes des fabriques rendus devant le juge du lieu, le curé et trois habitants.

N. T. — Dispositions pour maintenir dans les attributions de l'autorité civile l'administration et la comptabilité des hôpitaux, disputée constamment par l'autorité ecclésiastique.

C. — Maintenir les ecclésiastiques dans l'exemption de tous impôts quelconques, tant pour leurs bénéfices que pour leurs biens personnels. — Une foule de dispositions pour des intérêts purement temporels.

C. N. T. — Cumul des bénéfices interdit ; résidence obligée.

N. — Les bénéfices de fondation royale conférés exclusivement à des nobles, leur attribuer le tiers des places dans les églises cathédrales et collégiales.

N. T. — Supprimer le casuel. Donner les cures au concours.

T. — Plus d'abbayes et prieurés tenus en commende par des laïques. Interdire aux ecclésiastiques la chasse, le port d'armes, la sollicitation des procès, toute entremise et association de commerce, fermes et recettes.

C. N. — En considération du grand fruit et des notables services, que les pères de la société et compagnie des jésuites ont fait et font journellement à l'église catholique et particulièrement au royaume, des bonnes lettres et de la piété dont ils font profession, leur permettre d'enseigner dans leur collège de Clermont, et de faire comme ci-devant leurs fonctions ordinaires dans leurs autres maisons de Paris ; en les soumettant, ajoute la noblesse, aux lois et statuts de l'université, et qu'il leur soit, permis de bâtir des collèges dans les villes qui les demanderont.

T. — Que les jésuites soient obligés aux mêmes lois civiles et politiques que les autres religieux, qu'ils se reconnaissent sujets du roi et ne puissent avoir de provinciaux qu'originaires Français et élus par des jésuites français.

C. — Propositions sous le titre de Règlement spirituel pour rétablir la discipline ecclésiastique et réformer les mœurs du clergé. Ce sont pour la plupart des mesures précédemment proposées, adoptées et qui sont restées sans effet. Comme le clergé est chargé de leur exécution, et travaillé de l'esprit du siècle, il résiste à toute réforme. Ne rendre aucune ordonnance sur le cahier du tiers état, en ce qui concerne l'état ecclésiastique, avant de l'avoir entendu ; vu, d'ailleurs, que le concile de Trente, dont il demande la publication et l'observance, pourvoit en grande partie à tout ce que l'on peut désirer pour la réformation du clergé.

NOBLESSE.

C. N. T. — Le maintien des privilèges de la noblesse. Attribution exclusive aux nobles de race de toutes les charges de la guerre, gouvernements de provinces, ambassades, emplois dans les maisons du roi, de la reine, des princes. Abolir la vénalité de ces charges, les survivances, le cumul.

N. — Rétablir les gentilshommes de la chambre du roi, et les honorer de cette clef dorée, marque de leur fidélité inviolable. — Que le roi entretienne le plus grand nombre de pages qu'il pourra pour l'éducation de la jeune noblesse. Remettre les compagnies d'ordonnance comme sous Henri II, n'y admettre que des nobles ou des militaires qui seront capitaines en chef. — Réduire le nombre des commissaires de guerre ; ne nommer à ces emplois que des gentilshommes de race. — Dispositions pour purger l'état de la noblesse de ses usurpateurs ; dresser l'état des gentilshommes sur lequel ne seront portés que les nobles de quatre quartiers. — Préséance des nobles sur les présidents, conseillers des cours souveraines et tous autres officiers, si ce n'est lorsque les cours seront en corps. — Les gentilshommes qui se retireront dans les villes seront exempts de toutes les impositions et charges supportées par les habitants. — Que les roturiers, acquéreurs de seigneuries, ne puissent en prendre le nom et les armes. — Qu'en cas d'érection d'une terre en duché-pairie, cette dignité ne soit que personnelle.

N. T. — Que nul ne puisse prendre les titres de marquis, comte, baron, écuyer, sans être noble.

N. — Révoquer les droits prétendus par les habitants des villes de chasser dans les terres royales. Défendre aux roturiers de porter des arquebuses, des pistolets, et d'avoir des chiens de chasse qui n'aient pas les jarrets coupés.

N. C. T. — Défendre à toutes personnes qui ne sont pas de la qualité requise, de s'attribuer les titres de messire ou de chevalier, et à leurs femmes de prendre le nom de madame.

N. — Dans tous les corps de justice, donner le tiers des places à des gentilshommes ; leur donner les charges de prévôts des maréchaux, de baillis et sénéchaux, prévôts généraux, grands maîtres, et maîtres particuliers des eaux et forêts.

N. C. T. — Révoquer les anoblissements faits depuis trente ans, si ce n'est pour grands et signalés services aux armes. Le clergé ne réclame que pour l'avenir.

N. — Supprimer les pensions qui n'ont été accordées que par faveur ou importunité, et toutes celles qui ont été données aux officiers de justice et de finance et tous autres du tiers état, leurs gages étant une récompense suffisante de leurs services. — Diverses dispositions pour la garantie et l'extension des droits féodaux. — Les emplois de lieutenants généraux des provinces et gouverneurs de places à des naturels français.

N. T. — Les maîtres de camp et capitaines nommés par le roi, les lieutenants et enseignes par les capitaines. Le tiers état étend cela à beaucoup d'autres places.

N. — Permettre aux gentilshommes de rentrer pendant cinq ans dans leurs terres, vendues depuis quarante ans pour le service du roi, à condition de rembourser les prix, les loyaux coûts, etc. — Prendre dans la noblesse le premier consul ou le maire des villes. — Permettre aux nobles de faire le grand trafic sans déroger. — Les places de capitaines de vaisseaux aux nobles.

N. C. T. — Réduire les maréchaux de France à quatre.

N. — N'avoir aucun égard aux articles présentés dans le cahier du tiers état au préjudice des justices seigneuriales, attendu que la chambre s'étant trouvée composée pour la plus grande partie de lieutenants généraux et officiers de bailliages, leur principal dessein n'a été que d'accroître leur autorité et leur profit au préjudice de ce que la noblesse a si bien mérité. — Ordonner que les sénéchaux et les baillis, qui avaient toute l'autorité dans leurs provinces, soient rétablis dans les honneurs et les prérogatives qui leur furent donnés lors de leur institution, et qui leur ont été enlevés par leurs lieutenants et les officiers de leurs bailliages. — Établir pour les gentilshommes, offensés dans leur honneur et réputation, un moyen d'en recevoir réparation qu'ils n'out plus depuis l'interdiction du duel, sinon leur permettre de tirer raison de l'offense par les armes.

C. T. — La noblesse regrette le duel. Le clergé, au contraire, tempête, fulmine coutre les duellistes et les voue aux peines les plus sévères tant dans ce monde que dans l'autre. C'est pour lui une affaire de religion. Le tiers état veut aussi le maintien des lois qui défendent le duel.

C. — Exécuter les lois contre les seigneurs qui commettent des exactions envers leurs vassaux, qui marient de force les filles de leurs sujets, qui perçoivent les péages sans réparer les chemins.

T. — Supprimer la charge de connétable comme trop puissante dans l'État. —Réduire les gouverneurs de province à douze comme anciennement ; les obliger à résider. — Diverses dispositions pour réprimer les exactions, violences et abus d'autorité des gouverneurs, de leurs lieutenants, des seigneurs et gentilshommes, et des gens de guerre. — Enjoindre aux gentilshommes de signer leur nom de famille, et non celui de leurs seigneuries.

N. — Les filles de noble extraction, majeures de vingt-cinq ans, ne pourront se marier à des personnes de vile et abjecte condition, sans le consentement de quatre parents les plus proches, autres que l'héritier, à peine d'être privées, elles et leur postérité, du droit de succéder. Les procès des nobles jugés par arbitrage avant d'aller aux tribunaux. Maintenir dans les dons, libéralités, droits et privilèges à eux concédés, les pauvres gentilshommes, soldats estropiés aux guerres, qui sont les vrais pauvres de l'État.

JUSTICE, LÉGISLATION.

C. N. T. — Donner aux juges des gages suffisants et supprimer les épices.

C. — L'écriture n'était anciennement enseignée par précepte, ni art, mais seulement par imitation. Chaque main conservait quelques différences qui empêchaient les falsifications devenues très-fréquentes. L'expérience a appris qu'il est en cette matière très-dangereux de corriger la nature par l'art. Que les professeurs n'enseignent l'écriture que par imitation, et leur défendre de l'enseigner par art et principes.

C. N. T. — La paulette et la vénalité des offices surtout judiciaires à jamais abolies. Les trois ordres répètent avec une nouvelle énergie tous les motifs depuis longtemps donnés pour cette suppression. La noblesse représente qu'il en résultera un avantage particulier pour elle, désireuse de rendre au roi autant de témoignage de fidélité dans l'exercice de la justice qu'elle en a montré dans les armées. Elle demande qu'il remplisse les cours souveraines de gentilshommes de race comme anciennement, et que pour le moins le tiers des places lui soit affecté.

N. T. — L'exécution de l'ordonnance de Blois sur la réduction des offices.

N. — Taxer et modérer les salaires des avocats, procureurs, greffiers, huissiers, sergents, clercs et autres officiers de justice qui s'enrichissent du sang du peuple.

— Beaucoup de dispositions de détail et aussi pour garantir les juridictions seigneuriales.

T. — Qu'à l'exemple de saint Louis et d'autres ses prédécesseurs, le roi donne audience publique à ses sujets deux fois la semaine, pour entendre leurs plaintes et doléances et leur administrer justice ; qu'il assiste en personne au conseil et qu'il fasse ouvrir les paquets en sa présence.

C. N. T. — Le nombre infini des conseillers apporte un grand désordre dans le conseil du roi, et occasionne des frais inutiles et qui surchargent le peuple. Pour rétablir le conseil en son ancienne splendeur, les trois états en demandent la réduction, et proposent de le composer, le clergé et le tiers état, de quarante-huit conseillers, seize de l'Église, seize de la noblesse, seize de robe longue, qui serviront douze par quartier ; la noblesse, de seize conseillers, quatre ecclésiastiques, huit nobles, quatre de robe longue. Les états demandent aussi que le conseil ne puisse s'occuper d'affaires contentieuses, ni les 'enlever par évocation à la justice ordinaire.

T. — Obliger les seigneurs ecclésiastiques ou séculiers à affranchir leurs serfs et mainmortables moyennant indemnité. Sinon déclarer tous les sujets du royaume habiles à acquérir et posséder, en payant par les possesseurs l'indemnité à laquelle les seigneurs auraient droit par le moyen de l'affranchissement. — Le nombre infini des officiers est une des charges qui foule et opprime le plus les pauvres sujets, corrompt la justice, diminue, consume les finances, perd le trafic et introduit le luxe et l'ambition. Les ordonnances des états précédents n'ont pas été observées ; les officiers supprimés ont été rétablis ; on en a créé et érigé de nouveaux. En conséquence on propose les suppressions et réductions suivantes... Ici une incroyable nomenclature de ce qu'on appelle offices, dans toutes !es branches du gouvernement, de l'administration, ordre judiciaire, finances, police, etc., depuis la maison du roi, les cours souveraines, jusqu'aux francs Taupins, visiteurs de pruneaux et contrôleurs de plâtre.

N. T. — Défendre à toutes personnes quelconques de proposer et poursuivre le rétablissement de ces offices ou la création de nouveaux sous peine de la vie, de confiscation des biens, comme ennemis et perturbateurs du repos général. —La noblesse demande la réduction des offices des maisons du roi, des princes et princesses, pour la décharge de l'État et du peuple, et la suppression de tous les offices — de l'ordre judiciaire — créés depuis François Ier.

T. — Défendre aux officiers et domestiques du roi de recevoir des pensions d'aucuns princes, seigneurs ou communautés. — Mettre à l'élection toutes les charges municipales dans les villes. Les ecclésiastiques non éligibles. Défendre aux gouverneurs, capitaines, leurs lieutenants, de se trouver aux élections, ni de s'y entremettre. — Que tous usages des pays, enclaves généraux ou particuliers des provinces, soient rédigés par écrit et mis en forme de coutume. — Une foule de dispositions sur la composition des cours et tribunaux, juridictions de toute espèce, leur compétence, la procédure, les frais, l'exécution des jugements, la législation civile et criminelle, tirées des anciennes ordonnances d'Orléans, Roussillon, Amboise, Moulins et Blois.

C. — Déclarer suivant les anciennes lois que personne, de quelque dignité et condition qu'elle soit, ne peut avouer un crime et en prétendre impunité, et qu'il n'y a aucun sujet, quel qu'il puisse être, qui soit exempt de la justice du roi. — Les rois ont réglé et limité les juridictions, délégué leur justice souveraine aux parlements pour la distribuer aux peuples, et réservé à leur conseil seulement la connaissance et la conduite des affaires d'État. Cet ordre a été interverti. Ordonner qu'à l'avenir les parlements ne connaîtront des affaires d'État qu'autant qu'elles leur seront renvoyées par le roi, et que son conseil s'abstienne de juger les différends des parties dont la connaissance appartient aux cours et tribunaux.

FINANCES, DOMAINES.

C. T. — Pour le rachat du domaine aliéné et sa conservation, mêmes remontrances qu'aux états de 1588.

T. — Puisqu'il a plu au roi de décharger les ecclésiastiques du droit de francs-fiefs et nouveaux acquêts en considération des décimes qu'ils payent, bien qu'ils possèdent les plus beaux fiefs et terres du royaume, décharger 'de ce droit les biens des villes, communautés et particuliers du tiers état, en considération des impôts nombreux dont ils sont surchargés et accablés. — Dispositions sur les baux à ferme du domaine. — Les fermiers ou acquéreurs des aides pour les droits de quatrième, huitième, douzième et vingtième des vins, contraignent les particuliers à des déplacements pénibles et coûteux, ils seront tenus d'avoir dans chaque paroisse un bureau de recette.

C. T. — Pour éviter les vexations, permettre aux communautés de racheter les aides engagées à des seigneurs ou autres.

C. — Permettre aux communes de faire par elles-mêmes la levée de leurs contributions et de rendre les deniers dans le lieu qui leur sera assigné, sans passer par les mains de tant d'officiers qui en dévorent la meilleure partie, et chargent les pauvres sujets d'indues exactions.

N. T. — Diverses mesures pour réprimer les abus et vexations dans les gabelles et faciliter le commerce du sel.

C. — Réduction des droits au taux de 1588. La noblesse traite la matière avec une grande étendue. Rien n'offense plus sa liberté que les insolences des officiers des gabelles pour contraindre les nobles à prendre du sel, et qui entrent effrontément avec des armes dans les maisons et les lieux les plus secrets sans considération ni respect de leur qualité. La noblesse s'indigne contre ce servage. Elle demande à ne pas être contrainte à prendre du sel dans les greniers, et que, lorsqu'elle voudra en prendre, ce soit au prix marchand, sans aucune taxation, et à être exempte de toute recherche. Après avoir soigné ses intérêts, la noblesse s'occupe de ceux du peuple et fait le tableau le plus pathétique de toutes les indignités commises impunément par les agents des gabelles, qui sont telles, que le peuple redoute plus ces agents que la guerre, la famine et la peste. Elle demande instamment qu'on mette un terme à cette oppression qui ruine le peuple et par suite le clergé et la noblesse. Elle propose au roi de contracter avec les provinces qui offrent en corps les mêmes sommes qu'il retire des gabelles et que donnent les fermiers.

C. T. —Réduire les tailles et impositions quelconques au taux de 1576, les causes pour lesquelles on les avait augmentées ayant cessé. Pour y parvenir, décharger les finances des grands et excessifs dons, pensions et appointements, et de toutes dépenses superflues et extraordinaires.

T. — Mesures pour faire cesser les exemptions abusives de la taille, et diminuer les frais de perception qui s'élèvent souvent au même taux que la cote. — Suppression de vingt-quatre espèces de droits sur les denrées et marchandises perçus dans diverses localités ou dans tout le royaume. — Pour éviter la confusion des finances causée par la multitude et la facilité de ceux qui en ont la direction, réduire le conseil des finances à trois ou quatre membres qui ne s'occuperont pas d'autres affaires.

C. N. T. — Défendre à tous conseillers et ministres d'État, officiers de cours souveraines et tous officiers royaux de prendre présent, pension, argent, ni autre chose, directement ou indirectement, des fermiers des droits et partisans. — Les partisans sont les vraies sangsues du roi et du peuple ; leurs desseins ne tendent qu'à la ruine des finances et à corrompre les officiers du roi. Chasser les partisans et ordonner que les deniers soient levés par recettes et fermes particulières. Mesures pour l'organisation de ce système, et pour supprimer les abus existant dans l'administration de l'épargne (trésor). La noblesse se déchaîne avec violence contre les partisans, mais surtout contre ceux qui recherchent les droits de francs-fiefs et nouveaux acquêts, et qui la vexent.

T. — Les pensions ont presque doublé depuis Henri IV. Ne leur appliquer, et annuellement, que la moitié du restant de la recette, après toutes les dépenses payées, et sans que cela puisse tirer à conséquence pour les années suivante>. Révoquer toutes les pensions qui ne sont pas assignées sur l'épargne. A l'avenir, spécifier l'assignation. Le clergé demande la révocation de toutes les pensions accordées par faveur. — Réduire au taux de 1576 tous les gages et appointements des princes, seigneurs, officiers de la couronne, gens du conseil d'État et autres gentilshommes pourvus des grandes charges du royaume. — Mesures pour réformer plusieurs abus commis par la cour des comptes.

C. T. — Établir une ou plusieurs chambres de justice, composées de personnages d'intégrité et capacité reconnues, pour procéder exactement à la recherche des fautes, abus et malversations commis dans l'administration des finances, et juger souverainement les coupables. Comme le roi a accordé aux états une de ces chambres, l'organiser tout de suite, et la composer en partie de quelques députés des trois ordres.

T. — Obliger les gens de finances, lorsqu'ils entreront en charge, à faire la déclaration de leurs biens, dont il sera fait inventaire ; informer tous les cinq ans pour découvrir leurs gains illicites. — Maintenir les habitants des villes, bourgs et villages dans les privilèges à eux concédés, tels qu'exemption des tailles et impôts, droit de justice, police, chasse, chauffage, pâturage dans les forêts royales, deniers d'octroi pour subvenir à leurs nécessités. — Dispositions pour la comptabilité des revenus communaux. — Permettre les impositions saris autorisation du gouvernement pour dépenses locales, savoir : de 3.000 livres pour une sénéchaussée où diocèse, de 1.500 aux villes où il y a évêché ou présidial, de 600 aux autres villes royales, de 300 aux petites villes, de 50 aux paroisses. — Obliger les gentilshommes et les ecclésiastiques, ayant maison et domicile dans les villes, à contribuer aux charges communales. Le clergé réclame contre les exemptions abusives des laïques, mais se tait sur les siennes.

N. — Considérant la désolation du pauvre peuple des champs, sujet à tous les malheurs ordinaires, dont la misère est la ruine du clergé et de la noblesse, ordonner qu'à l'avenir il ne soit permis aux gens du tiers état de faire imposer aucuns deniers, pour quelque cause que ce soit, excepté ceux du roi, sans le consentement du clergé et de la noblesse, attendu que beaucoup d'impositions extraordinaires, pour le payement des dettes des villes, la plupart non dues ni vérifiées, sans y appeler ceux qui y ont le principal intérêt, réduisent le peuple à l'extrémité.

COMMERCE, INDUSTRIE, POLICE.

N. — La noblesse demande la permission de faire le grand trafic sans déroger.

T. — Le tiers état veut qu'on interdise à la noblesse, trafic, marchandise, banque, change, sous les peines les plus sévères. — Supprimer les maîtrises des métiers, en laisser l'exercice entièrement libre, sauf la visite des ouvrages et marchandises par des experts et prud'hommes commis par les juges de la police. — Que les marchands et artisans ne payent rien pour leur réception et ouverture de boutiques, aux officiers de justice, aux maîtres jurés et visiteurs de métiers ; qu'ils ne donnent de banquets et ne fassent aucunes dépenses quelconques. —Supprimer les offices de maîtres toiseurs et visiteurs d'ouvrages de maçonnerie, charpenterie, couverture. Permettre à chacun d'employer qui il veut pour les vérifications. — Enjoindre aux Italiens et autres étrangers, demeurant dans le royaume, fabriquant du verre, de la faïence, des tapisseries, ou d'autres métiers, de prendre pour apprentis les naturels français qui voudront apprendre à travailler ; en cas de refus, les chasser. — La supposition de lieux, noms et marques en imprimerie, filaterie et autres ouvrages fabriqués dans le royaume, punis de confiscation et amende. — Défendre à tout boucher de tenir plus d'un étal. Permettre aux bouchers de la campagne de vendre la viande dans les villes, deux fois la semaine, sauf la visite des jurés bouchers et d'un commis de la police. — Défendre d'aller au-devant des marchandises, vivres et denrées, pour les arriver ou acheter avant leur entrée dans les villes. — Enjoindre aux meuniers de tenir leurs meules au point rond et de rendre la farine au poids, le droit de mouture distrait, sans fraude ni altération, sous peine de la vie. — Les associations et compagnies entre marchands, enregistrées aux greffes des tribunaux, ainsi que leurs dissolutions. — Observation des règlements sur les fabriques et manufactures. — Pour multiplier les fabriques de soie, affranchir de tous droits l'importation de l'indigo, sans lequel on ne peut pas faire une bonne teinture de la soie ; défendre d'employer cet ingrédient à la teinture du drap.

C. T. — Bien que les droits de la traite foraine ne doivent être levés que sur les marchandises qui sortent du royaume pour l'étranger, ce qui résulte clairement du mot foraine ; cependant ces droits sont levés de province à province, au grand préjudice des sujets entre lesquels cela conserve des marques de division qu'il est nécessaire d'effacer, puisque toutes les provinces sont inséparablement unies à la couronne pour ne faire qu'un même corps. Permettre de négocier et porter librement les marchandises dans tout le royaume, comme concitoyens d'un même État, sans payer aucun droit. Ordonner que tous les bureaux de perception soient transférés aux frontières.

N. — La noblesse demande seulement que le commerce soit libre dans tout le royaume, afin que la vente des fruits qui lui appartiennent puisse se faire en tout temps et sans empêchement aux marchands étrangers, et autres qui les achèteront.

C. T. — Établir l'unité des poids et mesures. Le tiers état propose de prendre pour étalon ceux de Paris. — L'usage des soies, tant en étoffe qu'eu bas, est si excessif et si désordonné, que les seuls bas de soie, importés de l'étranger depuis la mort de Henri II, ont coûté au royaume 20 millions d'or. Ainsi le pays est épuisé de numéraire. Défendre l'importation des draps, ouvrages et passements d'or et de soie, bas de soie, perles, diamants et pierreries. Faire un édit solennel sur les lois somptuaires, et trouver les moyens de les faire rigoureusement observer. Défendre l'exportation du numéraire. Le tiers état ajoute : Défense d'importation de tous les produits des fabriques étrangères, et d'exportation de toutes les matières premières.

N. — Observation des ordonnances ou lois somptuaires. Défendre au tiers état d'usurper la qualité et les habits des damoiselles. Prescrire à chacun un tel habit que, par l'accoutrement, on puisse faire la distinction de la qualité des personnes ; ne permettre le velours et le satin qu'aux gentilshommes.

T. — En cas de nécessité et de clameur populaire sur la cherté et l'enlèvement des blés, permettre aux officiers de justice, sur l'avis des maires et échevins, et des plus notables habitants, de faire faire l'ouverture des greniers des ecclésiastiques, gentilshommes et autres, et de leur enjoindre de vendre leurs blés, et d'arrêter leur transport hors de la province. — Pour encourager l'exploitation des mines, faire remise des droits royaux, et ordonner aux juges de condamner tous coupeurs de bourses, blasphémateurs, fainéants, vagabonds, gens sans aveu à y travailler. — Qu'aucune forge ou fourneau-métal ne soit établi qu'avec la permission des juges des lieux, et après information de commodo et incommodo. — Obtenir des princes étrangers, pour les Français trafiquant dans les pays de leur obéissance, la même liberté que celle que leurs sujets ont dans le royaume.

C. T. — Traiter avec le Turc pour que les Français, trafiquant dans le Levant, puissent payer le prix des marchandises qu'ils y achèteront, les deux tiers en autres marchandises et le tiers en argent, ainsi que cela se pratique avec les Vénitiens ; pour que les prises, ventes et rançons des Français soient, sous peine de la vie, défendues dans les pays de son obéissance, et que ceux qui sont captifs soient mis en liberté.

T. —Le roi invité à exiger des princes étrangers des mesures pour faire cesser la piraterie qui s'exerce de leurs ports et de leurs côtes envers les navigateurs français, et diverses vexations auxquelles ils y sont exposés. Invité également à faire sortir du port de Marseille les galères qui y restent inactives, pour protéger la navigation. — Diverses dispositions sur les grands chemins, la navigation des rivières, contre les jeux de hasard. — Défendre aux habitants des villes, bourgades et villages, d'aller boire et manger dans les tavernes et cabarets ; aux officiers des seigneurs, de tenir des tavernes.

N. — Exécution des ordonnances sur la taxe des vivres et dépenses dans les hôtelleries.

T. —Défendre aux laquais et valets de pied de porter dans le :, vrilles des bétons, épées, dagues, ou autres ferrements. Les maîtres civilement responsables.

C. — Les gardes représentant quelque marque de souveraineté, ne permettre, surtout en temps de paix, que personne, de quelque qualité qu'il soit, ait des gardes, excepté la reine et Monsieur.

C. N. T. — Toutes pratiques, ligues et associations faites dans l'intérieur ou au dehors, toutes levées d'hommes, magasins d'armes, assemblées et conseils faits par qui que se soit sans l'autorisation du. roi, déclarés crimes de lèse-majesté. Permis de courir sus à ceux qui les feront, au son du tocsin, et de les tailler en pièces.

C. — Tous gentilshommes et autres recevant des pensions des princes étrangers, tenus pour criminels de lèse-majesté. — Accomplir au plus tôt les mariages, traités et accordés avec le roi d'Espagne, comme étant très-utiles au bien de la chrétienté, au repos et à la tranquillité des deux États.

INSTITUTIONS.

T. — Le tiers état demande que les états généraux s'assemblent tous les dix ans. Le clergé et la noblesse n'émettent aucun vœu. Pendant cent soixante et quinze ans, il n'y a plus d'états.

C. — Ordonner que tout ce qui sera décidé par le roi sur les cahiers soit inviolablement observé et enregistré dans les parlements, sans restriction, ni modification.

A la veille de la clôture des états, le tiers état envoie remercier le clergé et la noblesse de la bienveillance qu'ils lui ont témoignée, de leur bonne assistance, et leur faire protestation de les honorer, servir et respecter. Si pendant les états il s'était passé quelque chose qui, eût déplu à la noblesse, elle était priée de l'oublier. La noblesse rend le compliment. Tout cela n'est que pure politesse. Cependant le tiers état de lui-même consacre son infériorité, et demande l'oubli, lorsque c'est lui qui a été plusieurs fois offensé.

Le lendemain de la séance royale, les députés du tiers état se rendent aux Augustins pour se voir ; ils croyaient y trouver leur président, il n'y était pas ; le roi et le chancelier lui ont défendu de tenir aucune assemblée. Les députés commencent à voir clair dans la conduite de la cour, ils regrettent d'avoir usé de tant de ménagements, et s'accusent de faiblesse et de lâcheté. Dès le matin on avait enlevé de la salle des séances les bancs et les tapisseries ; la porte était fermée.

Le conseil du roi s'était divisé en divers bureaux pour procéder plus promptement à l'examen des cahiers et aux réponses. Alors ceux dont certains articles blessent les intérêts ou l'autorité, intriguent pour les faire rejeter. Ce sont surtout les titulaires d'offices, et en première ligne les membres des cours souveraines de Paris ; après avoir blâmé l'établissement du droit annuel, par lequel les offices étaient rendus héréditaires et patrimoniaux, ils ont changé d'avis.

Les députés du tiers état se réunissent tous les matins dans le cloître des augustins pour avoir des nouvelles de ce qui se passe au conseil. Ils perdent enfin patience, et font demander à leur président -Miron s'il veut venir aux Augustins pour conférer des affaires de l'ordre, ou bien qu'ils aillent chez lui. Le roi ne trouvant pas bon qu'ils s'assemblent, il répond qu'il les recevra volontiers chez lui. Ils s'y rendent, il s'excuse de ce qu'il n'est point allé aux Augustins depuis la présentation des cahiers. Le roi et le chancelier ne trouvent pas bon que les députés fassent corps, vu qu'ils n'ont plus rien à délibérer, ni à remontrer. Alors, lui répondent les députés, il est inutile de prolonger notre séjour, onéreux au peuple, et d'attendre la réponse aux cahiers, puisque nous ne pouvons pas faire la moindre observation. Ils prient Miron, accompagné d'un député de chaque province, de savoir du chancelier ses intentions définitives, et de lui faire observer que le clergé s'assemblait chez le cardinal de Sourdis. Les réunions chez le cardinal, dit le chancelier, n'ont aucun trait aux états, et ne sont que de pure courtoisie ou pour les affaires particulières du clergé. Les députés, qui- s'ennuient du séjour de Paris, obtiendront facilement leur congé du roi pour retourner dans leurs provinces. Les députés conviennent de ne pas demander de congé jusqu'à ce que le conseil ait statué sur les cahiers, attendu que si l'on prenait des décisions défavorables au peuple, on ne manquerait pas de le rejeter sur leur impatience. D'ailleurs le clergé et la noblesse, ne désemparant pas, pourraient profiter de l'absence du tiers état pour obtenir toutes sortes d'avantages.

A chaque tenue d'états il s'élevait des difficultés sur le payement de l'indemnité allouée aux députés. Que chaque ordre payât les siens, rien ne paraissait plus juste. Les deux premiers ordres, la noblesse surtout, habitués à l'exemption des charges communes, prétendaient que le tiers état payât pour tout le monde. Il y avait quelques précédents en leur faveur. Mais abus ne fait pas loi, et dans les derniers temps l'usage avait prévalu que chaque ordre indemnisât ses députés. Cependant la noblesse fit des démarches pour que son indemnité fût prise sur les taxes du sel ou du vin. Le tiers état alla chez le roi pour s'opposer à cette injuste prétention. La reine répondit qu'il y serait pourvu de manière à ce que personne n'aurait sujet d'être mécontent. A la cour, les réponses étaient comme celles des oracles, dont l'obscurité laissait le champ libre à toutes les interprétations. Le tiers état s'adressa au président Jeannin, tant pour repousser la prétention de la noblesse que pour réclamer l'indemnité. Pour éviter les jalousies et maintenir l'égalité dans la taxe, on composa la députation d'un ou deux membres de chaque condition, savoir : présidents, lieutenants généraux, avocats et procureurs du roi, trésoriers de France, avocats postulants, et marchands. Ou trouva chez le président Jeannin beaucoup de députés de la noblesse. La question fut vivement discutée. Quant à la taxe de son indemnité, le tiers état demanda qu'on prît en considération les dépenses que les députés avaient faites à Paris, la cherté des vivres, des denrées, du bois, des logements et le temps pendant lequel ils avaient été distraits de leurs affaires domestiques, et que la taxe Mt égale pour tous les députés. Le président Jeannin répondit qu'il ferait son rapport à la reine et au chancelier. Il fut décidé au conseil que rien ne serait innové et que l'indemnité de la noblesse se prendrait à la manière accoutumée sur les fiefs des gentilshommes.

Il fut question de récompenser l'huissier du tiers état pour un service de quatre mois, et les religieux augustins pour l'occupation de leur couvent. Quelques provinces disaient que cela regardait la ville de Paris, qui avait tiré avantage du séjour des états. Il fut cependant décidé que chaque député donnerait un écu pour l'huissier et un écu pour les augustins.

Le roi, la reine, les ministres avaient répété solennellement la promesse que les états ne seraient pas congédiés avant qu'on eût répondu aux cahiers ; on leur avait même intimé de lie pas se séparer. Voici comment cette promesse fut tenue. Le 24 mars, les députés des trois ordres sont mandés au Louvre. On leur déclare que les cahiers renferment un si grand nombre d'articles importants, que le roi ne peut pas y répondre aussitôt qu'il l'aurait désiré ; que cependant sa majesté voulait bien donner aux états des marques sensibles de sa bonne volonté, en répondant favorablement à leurs principales demandes ; qu'elle avait pris la résolution d'abolir la vénalité des charges, d'établir une chambre de justice pour la recherche des financiers, de réduire les pensions, et de pourvoir le plus tôt possible à tous les autres articles. La reine dit ensuite aux députés qu'un plus long séjour à Paris leur causant beaucoup de dépense, il est temps qu'ils songent à retourner chez eux. Dès qu'ils sont partis, on ne pense plus aux états généraux, ni à leurs cahiers. C'est seulement quinze ans après que par réflexion est rendue la grande ordonnance de 1629.

Le renvoi des états sans réponse à leurs cahiers excite un mécontentement général, et fournit à des seigneurs un prétexte d'attaquer la cour au nom du bien public, le prince de Condé et le maréchal de Bouillon poussent le parlement toujours prêt à se mêler des affaires d'État. Le 28 mars, il ordonne par un arrêt que les princes, ducs et pairs et les officiers de la couronne ayant séance, sont invités à venir délibérer, avec le chancelier et toutes les chambres assemblées, sur les propositions qui seront faites pour le service du roi, le soulagement de ses sujets et le bien de l'État.

Le roi défend au prince de Condé et aux seigneurs de son parti de se rendre au parlement ; et mande des députés de cette cour. Le chancelier leur fait un long discours sur l'atteinte donnée par elle à l'autorité royale. Le roi ajoute qu'il défend au parlement de passer outre. Il ne laisse pas de nommer des commissaires pour rédiger des remontrances. La reine croit calmer les esprits en publiant une déclaration qui rétablit la paulette. Le parlement n'en tient aucun compte. Les remontrances sont lues et approuvées ; il obtient une audience du roi et va les présenter.

Le parlement commence par se justifier des projets ambitieux que les ennemis du bien public lui ont prêtés. Il proteste de sa fidélité au roi et de son respect pour l'autorité royale. Il se prétend substitué au conseil des barons, qui était, dans les temps anciens, près de la personne des rois. Il revendique le droit qu'il a eu de toute ancienneté d'intervenir dans les affaires d'État par voie d'avis, de conseil, de remontrance. Il en cite une longue série d'exemples. Il en rappelle aussi beaucoup d'autres où les rois se sont fait un devoir de porter au parlement les affaires les plus importantes, tant intérieures qu'extérieures, et de ne les décider et conclure que sur l'avis de cette cour souveraine. Enfin elle insiste sur le droit qu'elle a, depuis Philippe le Bel, de vérifier les édits et les ordonnances, d'en délibérer en toute liberté, d'en examiner le mérite, d'y apporter des modifications, même pour ce qui a été délibéré par les états généraux. Entrant ensuite en matière, les remontrances portent sur les principaux points contenus dans les cahiers des états ; c'est, à vrai dire, un cahier du parlement.

Il fait la peinture la plus vive des malheurs dont on est menacé : il dévoile en détail les brigandages commis dans presque toutes les branches du gouvernement et particulièrement dans les finances. Ii cite les rabais énormes que se sont procurés pour de l'argent les fermiers des aides, des gabelles et des cinq grosses fermes. Henri IV avait moins de revenus, cependant il avait mis annuellement en réserve 2 millions, quoiqu'il dépensât environ 3 millions en bâtiments et en subsides aux étrangers, dépense qui avait cessé à sa mort. On aurait donc pu épargner annuellement 5 millions, avec lesquels on aurait racheté pour 20 millions de domaines aliénés. La dépense de 1610, quoique cette année fût chargée de dépenses extraordinaires, avait été moins forte que celle de 1611. La maison du roi manquait des choses nécessaires, quoiqu'on lui eût alloué 500.000 livres de plus. Il en était de même de toutes les autres parties, entre autres des gens d'armes, chevau-légers et autres gens de guerre auxquels on devait plusieurs montres. Les ordonnances pour voyages et autres choses, la plupart inutiles, s'étaient montées à 1,800.000 livres par an, les comptants à 1.000.000, les pensions à 6 millions, les dons à gens inconnus, la plupart sans mérite, à 1.600.000 livres. Tous les trésors laissés par le feu roi, tant à la Bastille qu'entre les mains des trésoriers de l'épargne, montant à plus de 14 millions, étaient dissipés, excepté 2.500.000 livres qui ne suffisaient pas pour payer les avances faites par les trésoriers, avec les intérêts exorbitants qui leur étaient alloués. Il avait été créé de nouveaux officiers des finances pour les engloutir. Les droits révoqués à l'avènement du roi avaient été rétablis quelque temps après au profit de quelques particuliers, sans vérification dans les cours souveraines et en vertu de simples commissions scellées. Plusieurs impôts onéreux avaient été renouvelés, entre autres le sou pour livre sur toutes les marchandises.

C'était une critique sanglante de l'administration de la reine. Bien que le parlement terminât en disant que le roi était entièrement innocent de ces désordres, et que sa mère, par une singulière prudence, avait sauvé le royaume du naufrage dont il était menacé, elle ne se méprit pas sur le coup qu'on voulait lui porter. La reine répond au parlement : La France est un État monarchique, et le roi ne doit compte de ses actions qu'à Dieu ; le roi est très-offensé de ce que le parlement prétend réformer le royaume ; il ne lui appartient pas de contrôler le gouvernement ; il doit attendre que sa majesté l'interroge. On lui fera connaître la réponse aux remontrances lorsqu'elles auront été communiquées au conseil. Sa décision ne pouvait être douteuse ; un arrêt du conseil casse celui du parlement. Il refuse de l'enregistrer, et demande une nouvelle audience du roi ; elle est refusée. Le roi persiste dans l'exécution de ses ordres, et le parlement à ne pas enregistrer.

La lutte semble engagée. Condé et ses adhérents quittent la cour, déclarant qu'ils n'y reviendront que lorsqu'on aura réformé le conseil et fait droit aux remontrances du parlement. Craignant de porter les choses à de fâcheuses extrémités et donnant un démenti à ses prétentions, cette cour recule, fait des excuses, et obtient seulement que ses remontrances ne seront pas supprimées.

Les assertions du parlement étaient incontestables en ce qui concernait sa participation aux affaires d'État, mais il en tirait de fausses conséquences, il convertissait des faits en droits, et exagérait ses attributions. D'abord simple cour judiciaire, il était devenu, par la volonté des rois et seulement dans certains cas, leur conseil extraordinaire, ils y siégeaient dans leur lit de justice ; les rois se servaient du parlement pour y proclamer leurs actes et leur donner plus de solennité. Par la suite, de simple dépositaire des édits et ordonnances, le parlement en était devenu le censeur par la tolérance des rois ; en absence de tout contrôle, c'était le seul frein au pouvoir absolu. Nais jamais il ne fut accordé que cette censure pût aller au delà de la faculté de faire des remontrances, ni s'étendre jusqu'à modifier les actes de l'autorité royale, ou à en refuser l'enregistrement. Car alors le pouvoir du parlement aurait été supérieur à celui du roi, le parlement aurait été le souverain. Sa prétention à modifier les lois rendues par le roi avec le concours des états généraux était impertinente et absurde. Aussi les états l'avaient-ils implicitement combattue dans leurs cahiers. Cela n'empêcha pas le parlement de dire, cinquante ans plus tard (1664), que les états généraux tels que Philippe le Bel les avait institués n'étaient pas un droit de la nation ; que ces états ne pouvaient faire que des doléances dont le conseil du roi jugeait arbitrairement ; que le parlement était le conseil nécessaire des rois, ne formant avec eux qu'une seule puissance pour gouverner l'État. Il est vrai que cent vingt-cinq ans après (1788), ce même parlement disait qu'il ne pouvait pas enregistrer les édits fiscaux et que le droit de consentir l'impôt n'appartenait qu'aux états généraux.

En congédiant les états, il leur avait été annoncé que le roi abolissait la vénalité des charges. Cet engagement est bientôt violé. Dans son débat avec le parlement, pour le calmer le roi déclare qu'il rétablit la poulette. On recommence à créer des offices ; on en crée trois de trésoriers des pensions au profit du maréchal d'Ancre, et qui lui rapportent un million. Tous les abus continuent. Les fa %cris du maréchal, les courtisans, les financiers insultent à la misère publique et à la pénurie du trésor par leurs déprédations et leur luxe. Des écrivains disent que dans les états de 1614 les ordres pas-serein leur temps à se disputer, que la cour en profita, qu'ils ne s'accordèrent sur rien. Ce jugement est injuste. Les trois ordres, malgré leur antagonisme, s'accordent sur des points importants. Leurs cahiers en fournissent la preuve. On y trouve des vues très-saines sur l'administration de la justice et des finances ; sur la nature et la perception de ; sur la création infinie d'offices, et leur vénalité ; sur les pensions, dons et prodigalités ; sur le commerce et l'industrie. On y propose la suppression des maîtrises, des barrières ou douanes intérieures, l'unité des poids et mesures. Enfin on y demande le retour décennal des états généraux. La plupart de Ces propositions, c'est le tiers état qui les fait ou plutôt qui les reproduit. Il a la tradition des réformes et des améliorations. Il marche avec le temps dans la voie du progrès. Ce n'est donc pas la faute des états de 1614, si leur voix comme celle de leurs prédécesseurs n'a pas été immédiatement écoutée. On ne peut en accuser que la royauté. Leur travail n'a pourtant pas été perdu. Il a servi de base à l'ordonnance de 1629, dont plusieurs dispositions ont été adoptées trois quarts de siècle plus tard par les rédacteurs du code civil. En continuant la révélation faite par les états précédents des plaies intolérables dont la nation était accablée, de ses besoins, de -ses plaintes, de ses vœux, les états de 1614 ont préparé, autant qu'il était en eux, la grande régénération du royaume.

Depuis 1614 jusqu'à 1789, les états généraux ne sont plus assemblés. Dans cette période de près de deux siècles, la royauté, parvient au sommet de l'absolutisme, et gouverne seule, ou ne réunit que des assemblées de notables, instruments dociles de ses desseins. Une seule fois encore les états généraux sont convoqués, c'est pendant la minorité de Louis XIV, mais ils ne se réunissent pas. Après avoir traversé rapidement l'espace de cent soixante et quinze ans, presque vide d'assemblées, qui se sont écoulés depuis 1614, nous terminerons notre tâche par les derniers états généraux, ceux de 1789, qui ont révolutionné la France.

Par leurs cahiers, les derniers états avaient fourni une ample matière aux réformes. Mais c'était le moindre des soucis pour les grands qui avaient désiré les états et la cour qui les avait convoqués. Ils n'avaient satisfait personne. La situation n'est en rien changée. Les rivalités, les ambitions, les haines continuent. La cour va partir pour conclure les mariages projetés avec l'Espagne. Les princes accusent la reine, par un manifeste, de trahir la France, lèvent des troupes et soulèvent les calvinistes. La reine déclare les princes criminels de lèse-majesté, marche avec une armée, se rend à Bordeaux, où elle marie le roi avec Anne d'Autriche. La guerre éclate entre Condé, chef des mécontents, et la cour ; on se dispute quelques villes châteaux. On négocie, on fait à Loudun une paix plâtrée (6 mai 1616). Par le traité, la reine mère promet de faire droit aux cahiers des états et aux remontrances du parlement. Les mécontents n'oublient pas leurs intérêts privés, ils obtiennent des places de sûreté, des dignités et 6 millions à partager entre eux. Condé et ses amis sont maîtres du gouvernement. Leur triomphe n'est pas long. La reine les attire dans un guet-apens. Condé seul est arrêté, les autres gagnent au large. C'est la queue de l'hydre féodale ; elle s'agite, et tourmente le pays, pour retarder son inévitable ruine. Un chef a-t-il disparu, sa monnaie le remplace. Après Condé restent Bouillon, Longueville, Mayenne ; Vendôme, Rohan, Luxembourg, la Trémouille, etc. Il semble, et c'est Sully qui le dit, que le temps des rois est passé, et que celui des princes et des grands est revenu. Ils luttent en vain contre leur destinée. Dans ces collisions on cherche de grands caractères, de nobles agitions, le dévouement désintéressé au bien public ; on ne trouve que ruses, intrigues, cabales, petites rivalités, trahisons, la soif du pouvoir, des places et de l'argent : voilà ce qu'on se dispute. Avec ces sordides appétits, on ne va pas loin. Tout cela est entre des mains étrangères, celles du maréchal d'Ancre et de la reine italienne. Il s'agit de le leur arracher ; à cette fin, il faut se servir du roi, flatter sa vanité, exciter sa jalousie contre sa mère. Il n'a que seize ans, il est faible de caractère ; auprès de lui est un favori qui l'effraye sur sa sûreté ; la crainte donne au roi le courage de consentir à ce qu'on le délivre de la tutelle maternelle. Albert de Luynes se met en relation avec les princes révoltés. Il fait assassiner le maréchal d'Ancre (24 avril 1617). Parodiant Henri III, après l'assassinat du duc de Guise : Je suis maintenant roi, s'écrie Louis XIII. Il exile sa mère, et annonce par une déclaration qu'il prend les rênes du gouvernement. La faction italienne est en déroute, ses ennemis la remplacent. On a assez de griefs bien fondés contre le défunt favori ; on fait un procès inique, odieux à son cadavre et à la Galigaï, sa femme, qu'on envoie comme sorcière rejoindre son mari. Leur immense fortune est confisquée. Suivant leur usage, les seigneurs se la partagent, et Luynes s'adjuge la part du lion. Que gagne la France ? un favori français au lieu d'un favori italien.

Les troubles avaient abîmé les finances déjà épuisées par les dilapidations. Les dons extraordinaires, depuis sept ans, s'élevaient, en douze articles, à 17 millions. Le maréchal d'Ancre et sa femme en avaient puisé une douzaine dans le trésor, sans compter les édits bursaux rendus en leur faveur, et diverses exactions. Les tailles, tous les impôts avaient été augmentés. Qu'importe ? il faut de l'argent, on saura bien en trouver. Seulement, pour ne pas fournir aux grands à peine rentrés dans l'ordre, un prétexte de crier, et pour donner une apparente satisfaction au pays, on convoque une assemblée. Des lettres royales sont publiées (4 octobre 1617). Le motif de la convocation n'est pas seulement la finance, c'est mieux que cela, l'entière restauration de l'État. On rappelle la grande et célèbre assemblée, c'est ainsi qu'on la nomme, des trois états de 1614, réunie pour le même objet, que les troubles empêchèrent d'accomplir sa mission, qui ne put que présenter ses cahiers. La même cause ne permit pas au roi d'y répondre. C'est donc pour remplir ce but qu'il se décide à convoquer des plus signalés et capables personnages des parlements, de l'Église, de la noblesse, de ses officiers. Eu même temps il appelle auprès de lui les princes, cardinaux, ducs et pairs et officiers de la couronne, pour entendre leur avis sur ce qui lui sera représenté et conseillé par l'assemblée. Il conjure tous ces personnages, et leur enjoint expressément de donner en conscience leurs conseils, sans respect ni considération pour personne. Il veut que tous les prélats, curés, etc., fassent faire des processions et prières publiques pour invoquer l'esprit de Dieu sur lui.

C'est donc une assemblée de notables que le roi appelle pour représenter et conseiller, et un grand conseil extraordinaire pour donner son avis sur les représentations de cette assemblée. Ces notables, c'est le roi qui les choisit. C'est dans la ville de Rouen, et le 25 novembre, qu'ils se réuniront.

Dans le même moment, les trois états de la Normandie viennent d'être convoqués pour le vote de l'impôt. Us offrent la somme de 1.803.160 livres, et demandent à être déchargés de toutes autres levées. Ils présentent un cahier de doléances, auxquelles répondent tout de suite les commissaires délégués par le roi. Les états commencent par le féliciter d'avoir, par une petite saignée, avec une prudence admirable, tari des fleuves de sang qui commençaient à courir, et par la perte d'une seule tête d'en avoir conservé un million. C'est le maréchal d'Ancre, dont ils font ainsi les honneurs. Gouverneur de cette province, il l'a opprimée, et lui est odieux ; d'ailleurs il est mort. Les doléances des états portent en partie sur des objets d'intérêt commun, traités dans des cahiers d'états généraux, et surtout sur des intérêts propres à la province, et le poids excessif des impôts. Celui du sel, depuis sa création, le plus attaqué, le plus décrié, est si onéreux que le sel, disent les états, coûte plus au peuple que le reste de sa nourriture. Le clergé requiert l'exemption de cet impôt ; c'est une violation de ses privilèges, elle diminue l'honneur dû à Dieu, et ravale l'autorité de ses ministres. La noblesse supplie aussi le roi de ne pas permettre qu'elle soit flétrie par aucunes impositions que leurs pères et aïeux n'ont jamais connues. Ce langage, au dix-septième siècle, commence à être suranné. La royauté ne s'en émeut guère, elle continue de faire des brèches aux privilèges, et étend progressivement les filets de l'impôt sur un plus grand nombre de contribuables.

Les notables et la cour sont arrivés à Rouen. Le roi nomme, pour les présider, le duc d'Anjou, son frère, et lui adjoint les cardinaux du Perron et de la Rochefoucauld, le duc de Montbason et le maréchal de Brissac. Il règle l'ordre des places, sans distinction d'ordres, attendu que ce n'est pas une assemblée d'états généraux. Il le répète à la noblesse, qui se sent blessée et réclame ; il la reconnaît pour son bras droit, et lui déclare qu'il n'entend pas préjudicier au droit qu'elle a à la seconde place dans les états généraux. D'après la solennité avec laquelle on convoque cette assemblée, et la gravité des objets dont elle doit s'occuper, on est fondé à croire qu'elle sera au moins imposante par le nombre. Il n'y a du clergé que onze membres, cinq archevêques et six évêques ; de la noblesse, treize ; des cours souveraines, vingt-quatre : total, quarante-huit. La magistrature y est dans la même proportion que les deux premiers ordres. Le tiers état n'y est pas représenté, car elle prétend qu'elle n'en fait pas partie.

Les notables se rendent, le 4 décembre, dans une salle de l'archevêché. Le roi y vient avec sa suite, princes, ministres, conseil, officiers. Les notables sont debout et découverts. Le roi, assis, ôte son chapeau, le remet à l'instant, et dit : Messieurs, j'ai commandé à M. le chancelier de vous dire ce qui est de mon intention, asseyez-vous, et vous couvrez.

Le chancelier prend la parole, et débite une espèce de sermon. Il prend pour texte ce verset de saint Matthieu, où le prophète dit : Ecce rex tuus venit tibi mansuetus, et il ajoute, et pacificus. Pendant trois quarts d'heure il discourt de la douceur et de la bonté du roi, de sa piété et de sa justice. Ensuite il déclame contre ceux qui, ignorant les raisons qui déterminent les rois et leurs conseils, blâment trop légèrement le gouvernement et l'administration. Il indique le motif pour lequel l'assemblée est réunie, et trace l'ordre du travail. Le roi prendra l'initiative ; ses propositions écrites seront apportées aux notables par son procureur général au parlement de Paris. Ils donneront leur avis par écrit, et le présenteront au roi par députation. Son intention est qu'ils terminent les affaires sans précipitation et sans longueur.

Le roi se retire, et l'assemblée se sépare.

Le lendemain elle commence à délibérer sur les propositions royales, elles sont au nombre de vingt.

1° Maniement des affaires secrètes de l'État. Les princes et grands du royaume, ayant la prétention d'entrer au conseil, il n'y a pas de secret possible. Henri IV avait laissé le maniement de ses affaires à ses ministres. Louis XIII veut bien suivre l'exemple de son père ; mais il craint de blesser les princes et les grands, ambitieux de partager l'autorité royale, et si prompts à se soulever contre elle ; il désirerait concilier l'intérêt de l'État et leurs prétentions.

L'assemblée n'hésite pas. Dans cette matière, il appartient au roi de disposer suivant sa volonté. On lui conseille donc de faire comme son père, et de confier le maniement de ses affaires secrètes à qui il voudra ;

2° Composition et compétence du conseil, ordre de travail ;

3° Finances ; 4° pensions ; 5° dons en argent ; 6° exemptions de tailles ; 7°, 8°, 9°, vénalité et réserves des charges, offices et bénéfices ; 10° commendes d'abbayes, prieurés, etc.

Sur tous ces objets, le roi propose des réformes utiles, les notables renchérissent, elles ont en général été réclamées par les états généraux et sont devenues presque triviales. Leur destinée est de rester longtemps encore en état de projet. Pour les finances, l'objet principal, aucun état de situation, ni des recettes et dépenses, pas un chiffre, la plus profonde obscurité ; des réformes, des économies, de l'ordre, de la probité en paroles, des vœux stériles ;

12° Les princes et les grands ont fait la guerre au roi ; ils se sont soumis, ils ont mis bas les armes, mais ils les ont gardées ; ils ont des arsenaux ; les remparts de leurs châteaux sont garnis de canons. Les soldats levés et licenciés par les seigneurs ont conservé des armes. Pour ôter aux grands les moyens de recommencer la guerre, le roi veut interdire les amas d'armes, parce qu'il n'appartient qu'au souverain seul d'en avoir. Il veut même un désarmement général. Il ne se sent pas assez fort pour ordonner d'autorité ces mesures ; il n'ose pas en dire le véritable motif. Il donne pour prétexte que les mauvais sujets trouvant des amas d'armes, sont les premiers armés, et font péricliter l'État, ce qui est d'autant plus à craindre que les cendres des mouvements passés sont encore chaudes, et que le royaume est encore plein de gens de guerre qui ne demandent que de l'emploi. Son intention est que les détenteurs de canons les remettent dans les arsenaux de l'État, sauf à leur en payer la valeur, et qu'on n'en puisse plus fondre sous peine d'être poursuivi comme criminel de lèse-majesté, que toutes les armes excédant la quantité nécessaire pour la garde ordinaire des places et châteaux, soient aussi portées dans les arsenaux et conservées à leurs propriétaires, pour qu'ils s'en servent quand ils seront commandés par le roi, si mieux ils n'aiment en recevoir le prix. L'assemblée reconnaît que ces propositions sont de droit royal, conformes aux ordonnances, et que leur exécution est très-nécessaire au repos public ;

13° Des mesures analogues sur les armements maritimes faits par les particuliers sans autorisation ;

14° Défense aux particuliers de communiquer avec les ambassadeurs étrangers sans l'expresse permission du roi. Procéder contre les contrevenants comme pour crime de lèse-majesté ;

15°, 16°, 17°, 18°, 19°, 20°. Réforme dans l'administration de la justice ; réduction des offices, suppression de leur vénalité, etc.

Le 26, l'assemblée termine son travail et va tout de suite remettre son procès-verbal au roi. Le 27, il assemble son grand conseil ; ou fait lecture des propositions envoyées par le roi aux notables et de leurs résolutions et réponses, pour avoir l'avis du conseil. Le chancelier invite les membres qui ont des observations à faire, à les communiquer. Personne ne prend la parole. Le 28, le roi mande les notables, leur dit de se rendre à Paris, et que là il leur fera entendre sa volonté sur leurs réponses à ses propositions ; et qu'il rendra son édit avant qu'ils partent.

Un mois après, le 29 janvier 1618, le roi mande au château de Madrid les notables, et tient comme une séance royale. Le chancelier leur dit que le roi leur permet de retourner chez eux, se loue de la diligence, affection et fidélité qu'ils ont apportées dans leurs travaux, leur donne sa parole royale qu'il enverra incessamment à ses parlements son édit sur les cahiers des états, et sur les propositions faites à l'assemblée de Rouen, et qu'il le fera observer exactement. Le cardinal du Perron remercie le roi et lui adresse toutes sortes de louanges.

Les notables s'en vont, on ne pense plus à leur travail, ni aux cahiers des états généraux de 1614. Les finances restent dans leur ornière ; on n'y apporte ni ordre, ni économie, et le gouvernement continue à vivre d'expédients ruineux pour lui et le royaume.

Le calme rétabli par la fin tragique du maréchal d'Ancre est de courte durée ; ce n'est qu'une trêve. Les causes d'agitation et de désordre existent toujours ; un roi faible qui laisse flotter les rênes du gouvernement, des grands qui se les disputent, un favori qui fait presque regretter Concini, la reine mère accoutumée au commandement et qui veut à tout prix le reprendre. Pendant sa régence, elle a fait l'expérience des cabales ambitieuses et turbulentes, elle a lutté contre les mécontents ; éloignée des affaires par son fils, elle se met à leur tête, se fait factieuse, et se révolte contre son roi. Cette femme se recommande-t-elle du moins par les grandes qualités nécessaires dans les temps d'orage pour sauver un empire ? elle a gouverné, et donné la mesure de son insuffisance. L'État a été exploité par un insolent favori. Si la reine triomphe, ne verra-t-on pas se renouveler le même scandale ? Le royaume ne retombera-t-il pas dans le même désordre ? C'est probable, c'est à craindre, à moins que la reine ne soit elle-même conseillée, dirigée, subjuguée par un homme d'une rare capacité, d'une grande fermeté de caractère, par un ambitieux qui aspire à s'emparer du pouvoir pour lui rendre toute sa force, soumettre les grands, rétablir la paix intérieure et la puissance extérieure de la France. Cet homme existe auprès de la reine ; c'est l'évêque de Luçon, Richelieu. Elle l'a fait entrer au conseil. Il a partagé sa disgrâce. Entre un fils sans caractère et une mère ambitieuse et tenace, à qui restera le pouvoir ? Pour Richelieu il n'y a pas de doute. Il s'attache donc à la fortune de la reine. Il profite avec une extrême habileté de sou ascendant sur elle pour s'élever au faîte des grandeurs. Du reste, le commandement suprême est le privilège du génie.

D'Épernon, arec une troupe de gentilshommes, court de Metz à Blois, et fait évader la reine (21 février 1619). La cour prend l'alarme, et négocie. Par l'entremise de Richelieu, la reine obtient le gouvernement d'Anjou, un établissement royal, et sa liberté. C'est un premier pas. Dès ce moment il y a deux cours. Dans celle d'Angers affluent tous les mécontents, tous les ennemis de Luynes dont l'avidité est insatiable. On arme, on fait la guerre. Les seigneurs et la reine jouent gros jeu. Le roi et son favori manquent de cœur. On conclut encore la paix (9 août 1620) ; c'est Richelieu qui l'a négociée.

Depuis l'avènement de Henri IV, la soumission de la ligue et l'édit de Nantes les discussions religieuses se sont apaisées ; mais le catholicisme n'est pas satisfait, et aspire à compléter son triomphe. Le signal de la lutte part de la Bohème, ce sont des seigneurs catholiques qui le donnent. L'Allemagne en est le théâtre ; c'est la guerre de trente ans, autant politique que religieuse. Fidèle au système de Henri IV, son fils soutiendra-t-il les protestants ? L'empereur lui remontre les dangers communs dont les princes sont menacés par les progrès de l'esprit démocratique de la réforme ; cette secte n'affectant rien tant que l'état populaire et la république. Cet appel à une coalition contre un principe est une nouveauté avec laquelle l'Autriche allumera un jour la guerre générale en Europe. L'édit de Nantes pèse à la royauté. Louis XIII a déjà manifesté son penchant pour le catholicisme, en le rétablissant dans le Béarn qu'il a réuni à la couronne. Cela ne s'est pas opéré sans plaintes, sans résistances, il les a apaisées par des promesses. Après la paix d'Angers il marche en Béarn avec une armée, et complète son œuvre par la force.

Le parti calviniste s'alarme, s'ébranle dans le midi, et convoque une assemblée extraordinaire des églises réformées à la Rochelle. Le roi la défend par des lettres patentes, et déclare criminels de lèse-majesté tous ceux qui en feraient partie. Malgré la défense, l'assemblée se réunit. Tout en protestant de son profond respect pour la personne du roi, elle fait de grands préparatifs de guerre, et délibère cette fameuse organisation de gouvernement par laquelle, sans parler de roi, ni de république, elle exerce la souveraineté (10 mai 1621). Ainsi semblait se réaliser l'accusation portée par l'empereur contre l'esprit démocratique de la réforme. Il est vrai que cette organisation n'est pas exécutée, ni exécutable. Les calvinistes ne sont pas tous agglomérés sur une partie du territoire ; répandus dans tout le royaume, ils sont mêlés avec les catholiques et le plus souvent en minorité. Il n'y a pas d'accord parfait dans le parti. Les nobles et les bourgeois s'envient et se craignent mutuellement. Les chefs, tous également ambitieux, sont divisés entre eux. Les uns blâment une résistance portée à l'extrême, les autres n'y poussent que pour se faire acheter plus chèrement. Le duc de Bouillon, nommé chef suprême, refuse. Si la goutte le lui permettait, il se traînerait aux pieds du roi, et lui demanderait pardon pour l'assemblée.

Lesdiguières refuse aussi la lieutenance générale du Languedoc, et se déclare pour la cour ; elle crée pour lui la charge de maréchal général des camps et armées du roi. Le duc de la Trémouille, nommé commandant d'un cercle, ne répond qu'en protestant de son obéissance et de sa fidélité au roi. Henri de Rohan et Benjamin de Soubise, son frère, sont les seuls qui se dévouent à la défense de la cause.

Cependant les actes de l'assemblée de la Rochelle ne sont pas tolérables. Le roi marche vers l'Aunis avec une armée formidable. A son approche, les gouverneurs de la plupart des places occupées par les calvinistes se hâtent de lui envoyer leur soumission. La Rochelle tient ferme. Rohan va prendre le commandement des calvinistes dans le midi. La guerre s'allume comme aux temps les plus déplorables du règne des Valois. Le Mercure de France annonce que, faisant divers ion aux combats, le roi a touché dans l'église de Chisay plus de quatorze cents scrofuleux. Lorsque le peuple calviniste s'est fait suffisamment tuer, les chefs défectionnent et capitulent. Lesdiguières se. convertit pour la charge de connétable, vacante par la mort de Luynes. Laforce livre Montauban pour 200.000 écus et le titre de maréchal. Châtillon, petit-fils de Coligny, se soumet au même prix. Montpellier ouvre ses portes, la paix y est conclue. L'édit de Nantes est maintenu. Montauban et la Rochelle restent aux calvinistes comme places de sûreté (1623).

La reine mère était rentrée au conseil par les manœuvres secrètes de Richelieu (avril 1621) ; il y entre à son tour à l'instigation de la reine. Dès qu'il y a mis le pied, il y est le maître. Sa politique est la guerre à l'Autriche, aux seigneurs, aux calvinistes. Le triple but de cette guerre est une grande conception. Un petit pays, la Valteline, a soulevé une question importante ; les ministres l'ont traitée légèrement ; Richelieu la reprend. Il renouvelle l'alliance avec les Grisons ; une armée française chasse les garnisons autrichiennes, s'empare des forteresses, et congédie les soldats du pape. On s'attend à une guerre générale, des troupes sont envoyées sur toutes les frontières. Richelieu cherche un appui dans l'opinion. Il n'appelle pas les états généraux. Lui, le despotisme incarné, il les regarde comme funestes à la royauté, et les a en horreur. Il convoque une assemblée de notables.

Le 29 septembre 1625, elle se réunit à Fontainebleau. Voici sa, composition : Le roi, la reine mère, Gaston, frère du roi, des dues, des maréchaux, des officiers de la couronne, des archevêques et évêques, les conseillers et secrétaires d'État, les directeurs et intendants des finances, les premiers magistrats du parlement de Paris. Le roi annonce que son chancelier va leur dire pourquoi ils sont assemblés. D'Aligre prend la parole et expose fort longuement les anciennes alliances de la couronne avec les Grisons, l'invasion de la Valteline par les Espagnols, le traité de Madrid, ce qui s'est fait ensuite ; les raisons que le roi a eues de faire prendre les forts déposés entre les mains du pape, la légation du cardinal Barberin, sa partialité pour le roi d'Espagne, son départ précipité. Le chancelier insiste particulièrement sur la prétention de la cour de Rome, d'ôter la souveraineté de la Valteline aux Grisons, et sur la doctrine du pape qu'il ne faut pas restituer à un souverain hérétique ce qui lui a été enlevé dans le but de maintenir la religion catholique.

Le cardinal de Sourdis, dévoué au pape, parle pour la suspension d'armes et la paix. Richelieu, qui se tenait à l'écart, s'approche du cardinal, témoigne son improbation, et quand le cardinal a fini, lui réplique, invoque les obligations d'un roi très-chrétien envers ses alliés, et conclut en disant que les affaires de la France étant en bon état, il faut faire savoir au légat que l'assemblée approuve la résolution déjà prise dans le conseil, de préférer la guerre à une paix désavantageuse. Richelieu a parlé, personne n'ose le contredire ; son opinion est unanimement adoptée.

Des embarras intérieurs, des intrigues de cour, de l'agitation dans le parti calviniste refroidissent l'ardeur guerrière de Richelieu. Il parait même changer de politique, et négocie avec l'Espagne. Peu scrupuleux sur l'observation du traité de Montpellier, il fait bâtir un fort près de la Rochelle. Les calvinistes, justement alarmés, réclament en vain, et prennent les armes. La guerre éclate sur terre et sur mer. Les, calvinistes éprouvent de grandes pertes. Richelieu pourrait les écraser, Mais, pressé de porter toute son attention aux affaires extérieures, il ajourne la réduction des calvinistes, et leur accorde la paix dans les termes du traité de Montpellier. Il la conclut aussi avec l'Espagne par le traité de Monçon, à la seule condition que la Valteline sera rendue aux Grisons (1626).

Un homme supérieur ne se trouve pas à la tête du gouvernement sans exciter l'envie et la haine. Les grands ne se le dissimulent pas, le pouvoir royal ne peut recouvrer sa liberté d'action qu'à leurs dépens. Ils ont des châteaux forts, le roi en poursuit la destruction ; les gouverneurs de provinces sont des proconsuls, pour ainsi dire, indépendants, il en exige des comptes, il restreint leur pouvoir ; il soustrait le trésor de l'État à la cupidité des favoris, des courtisans. Ces procédés sont intolérables. Richelieu en est l'auteur, il faut donc s'en défaire, les grands conspirent sa perte. L'occasion est belle pour frapper un grand coup ; le cardinal ne la laisse pas échapper. Il n'est pas seul menacé ; du moins il attribue aux conjurés le projet de déclarer le roi, qui n'a pas d'enfant, inhabile au mariage et au gouvernement, de le détrôner, et de donner sa couronne et sa femme à son frère Gaston. Richelieu fait arrêter le maréchal d'Ornano, les deux Vendôme, le comte de Chalais, et bannir du royaume le comte de Soissons, la duchesse de Chevreuse, le duc de La Valette et une foule d'autres personnages. La reine est blâmée par le roi, en plein conseil, pour ses liaisons avec les conspirateurs, et gardée de près. Chalais, le moins coupable peut-être, porte sa tête sur l'échafaud. Gaston, qui a eu la lâcheté de trahir ses complices, reçoit le duché d'Orléans en apanage.

Maintenant Richelieu peut marcher librement à l'accomplissement de ses vastes desseins. Cependant cet homme, si absolu dans ses volontés, sent le besoin de l'approbation publique. Il redoute les états généraux ; il convoque une assemblée de notables à Paris au 25 novembre 1626.

Ils vont faire leur révérence au roi, et à sa suite à Notre-Dame entendre messe et sermon. C'est l'évêque de Nantes qui prêche. Il exhorte le roi à la clémence, et lui indique, sans les nommer, les deux Vendôme, prisonniers à Vincennes, impliqués dans la conspiration Chalais. Le roi baisse la tête et demeure pensif.

L'étiquette, le pas, la préséance occupent les premiers moments. Ce sont des questions plus irritantes que les plus graves intérêts de l'État.

Les notables sont au nombre de cinquante-cinq ; clergé, cinq archevêques et sept évêques, douze ; noblesse, quatorze ; parlements et cours souveraines, vingt-neuf. Les deux ordres privilégiés sont en minorité ; la magistrature dédaignée par la noblesse et moins turbulente, est en force. Quant au tiers état, on travaillera sur lui et sans lui. Excepté le duc d'Orléans, frère du roi, il n'y a pas un prince : les ducs de Guise, de Nemours et de Bellegarde, convoqués, fout défaut pour une question de rang. Tous les nobles sont des conseillers d'État ou gouverneurs.

L'ouverture de l'assemblée se fait, le 2 décembre, dans la salle haute des Tuileries par le roi, assisté de sa mère, de son frère et entouré des officiers de sa maison, de ses ministres, de sa cour. La chaire destinée au duc d'Orléans était sans bras ; étant entré avant le roi, il dit tout haut qu'on la change. Après un petit colloque avec le cardinal de Richelieu, on apporte une chaire à bras.

Le roi dit en peu de mots qu'il a convoqué les notables pour remédier aux désordres et dérèglements de son État, et que le garde des sceaux leur fera entendre plus amplement sa volonté.

C'est une créature de Richelieu, Marillac, surintendant des finances, remplacé de cette charge par une autre créature, le marquis d'Effiat.

Le garde des sceaux dit que le roi a convoqué les notables pour avoir leurs avis sur les plus grandes et importantes affaires, à l'imitation des rois ses prédécesseurs, qui, dans de semblables occasions, avaient assemblé quelquefois les trois ordres du royaume, quelquefois des personnes choisies particulièrement, quelquefois aussi l'un et l'autre tout ensemble. Il cite ces exemples depuis 1558 jusqu'à 1617. Il fait ensuite un long éloge du roi, et énumère ses bonnes et grandes qualités. Il s'effraye de sa valeur qui l'entraîne, au risque de sa vie, dans les hasards des combats. Il le conjure, au nom de l'assemblée, de se garder désormais pour l'amour de son peuple, et de se souvenir que lorsqu'il expose ses précieux jours il mène tous ses sujets à la mort. Ce qui les rassure, c'est la protection que Dieu accorde évidemment au roi. Il a découvert les conjurations secrètes faites contre son État et sa personne, et les secrets des factions. Il a rétabli son autorité royale dans son royaume et aux lieux dont elle semblait être bannie. Il a renouvelé la jeunesse de l'État, il lui donne une nouvelle vigueur et l'espérance de le voir refleurir. Une autre preuve de l'assistance de Dieu ; vivre à la cour, au milieu des courtisans, avec une puissance souveraine, à son âge, dans un siècle si licencieux et débordé, préserver son âme, y vivre dans l'innocence, ce n'est pas vertu, c'est miracle. Vient ensuite le dénombrement des conquêtes dont Dieu a comblé le roi dès qu'il a monté à cheval. Nouveau Josué, par sa seule apparition il abat les bastions, les murailles. Ce que soixante ans de rébellion avaient soustrait à l'obéissance des rois, y rentre en un instant ; les villes, à centaines, se mettent à ses pieds ; qui plus est, il regagne les cœurs. Ceux qui auparavant ne trouvaient repos et sûreté que dans leurs armes, dans leurs confédérations, et dans les murailles par eux extorquées aux rois, s'en départent aujourd'hui, renoncent à toutes liaisons et intelligences, dans le royaume et au dehors, et ne cherchent aucun repos ni assurance que dans la protection et bienveillance du roi. — Toutes ces exagérations boursouflées vont à l'adresse du cardinal ministre, dont Marillac est le très-humble sen i-leur.

Le garde des sceaux ne dissimule pas les misères dont, malgré ces succès, l'État est affligé. Les finances sont dans une situation déplorable ; il effleure ce sujet, qui sera traité plus amplement par le surintendant. Parmi les moyens de les restaurer, il indique la réduction des dépenses et le rasement des places fortes.

Pour enrichir le peuple et réparer l'honneur de la France, il propose l'établissement du commerce, dont la léthargie excite la pitié ou l'indignation. Il énumère les ressources infinies qu'a la France pour se fortifier sur les mers, et qui sont telles, qu'elle peut assujettir tous ses voisins et les tenir dans la dépendance. Elle a les matelots en abondance, les meilleurs ports de l'Europe ; elle tient la clef de toutes les navigations de l'est à l'ouest et du sud au nord. La jonction ide la Saône et de la Seine, facile à faire, ôte à l'Espagne toutes les commodités du commerce ; elle ouvre le chemin du Levant à l'Océan par la France, et la rend le dépôt commun de tout le commerce de la terre. E ne parlera pas de la jonction de la Seine et de la Loire, quoique aussi facile. Il explique comment, dans l'état actuel, la France peut, par sa seule position, maîtriser le commerce de l'Espagne dans la Méditerranée et dans le Nord.

C'est la première fois que, dans les assemblées, on voit le gouvernement s'élever à cette hauteur, et annoncer des projets dont l'exécution doit contribuer à la prospérité intérieure et à la puissance extérieure de la France. Le progrès du temps et la situation relative de divers États ont sans doute éclairé le gouvernement sur ses intérêts ; mais il faut une volonté hardie et forte pour le tirer de son ornière ; c'est presque toujours le fait d'un homme. Toutes ces considérations, ajoute le garde des sceaux, que M. le cardinal de Richelieu a représentées au roi entre les grands, honorables et généreux conseils qu'il lui donne, ont fait résoudre sa majesté de mettre à hou, escient la main au commerce, et de ne pas perdre les occasions d'agrandir son État d'honneur et de puissance.

Le roi a fait dresser des règlements sur les gens de guerre, le maréchal Schomberg en rendra compte.

Si l'assemblée a des représentations à faire pour le bien de l'Église, de la justice et police, et sur d'autres objets, le roi les entendra bien volontiers ; il désire néanmoins que l'assemblée ne soit pas tirée en longueur, pour ne pas trop détourner les prélats de leurs résidences, ni les officiers de l'administration de la justice.

Il y a deux points sur lesquels, bien que les lois soient sévères, il en faut de plus rigoureuses. C'est la licence effrénée avec laquelle on 'approprie les deniers du roi ; ce sont les rébellions, soulèvements et conjurations contre l'État. Les circonstances qu'a fait découvrir la dernière conspiration (celle de Chalais) exigent des moyens plus actifs et plus rapides de répression. Dans l'aperçu qu'en donne Marillac, on reconnaît le caractère ombrageux, haineux et implacable de Richelieu. Cependant, pour cette conspiration, l'insuffisance des lois ne l'a pas embarrassé. Il livre Chalais à une prétendue chambre de justice, présidée par Marillac. Le jugement par commissions est familier au cardinal, et une tache à sa mémoire.

Le garde des sceaux termine sa harangue en prévenant les notable, qu'ils auront à donner sur ces points, et sur tous les autres qui leur seront proposés par le roi, des avis dignes de leur expérience et capacité, et de la fidélité et affection qu'ils ont à son service.

Le maréchal de Schomberg parle ensuite des affaires de la guerre. L'intention du roi est d'entretenir trente mille hommes et de les bien payer. Il communiquera à l'assemblée les moyens de fournir à cette dépense.

Le cardinal de Richelieu prend la parole avec son éloquence et sa grâce ordinaires, disent les relations. Il paye son tribut de louanges au roi en peu de mots, attendu que le garde des sceaux s'en est fort dignement acquitté. Le grand nombre de gens de guerre que le roi a été obligé d'entretenir a causé de grandes dépenses ; il n'y a personne dans l'assemblée qui ne sache avec quelle pureté elles ont été ménagées, et combien elles étaient nécessaires. La probité de ceux qui ont administré les finances justifie le premier point ; l'oppression des alliés de la couronne, les rébellions intérieures font assez connaître la vérité du second. Les affaires sont maintenant, grâce à Dieu, en bon état, mais on n'oserait se promettre qu'elles y demeurent toujours. Il faudrait n'avoir pas de jugement pour ne pas reconnaître qu'il faut les pousser plus avant. Il faut nécessairement ou laisser ce roi aulne exposé aux entreprises et aux desseins de ceux qui en méditent tous les jours l'abaissement et la ruine, ou trouver des expédients assurés pour l'en garantir. L'intention du roi est de le régler, en sorte que son règne égale et surpasse le meilleur des passés, et serve d'exemple et de règle à ceux de l'avenir. Il a sujet d'espérer l'effet de ses bons desseins, étant secondé, comme il l'est, des sages conseils de la reine sa mère et du concours de Monsieur, son frère, qu'on peut dire, avec vérité, être si étroitement attaché aux volontés de sa majesté et aux intérêts de l'État, que rien ne peut l'en séparer ; le cardinal ne voit pas lieu d'en douter.

Puisqu'il n'y a que Dieu qui fasse quelque chose de rien, il faut nécessairement ou diminuer les dépenses ordinaires de l'épargne, ou en augmenter les recettes, ou faire tous les deux ensemble. Il est impossible de toucher aux dépenses nécessaires pour la conservation de l'État ; y penser seulement serait un crime. Les retranchements porteront sur les dépenses de l'épargne ; le roi et la reine en donneront l'exemple, en ce qui les regarde personnellement. Comme ces retranchements doivent porter aussi sur les pensions des grands, le cardinal, sans le dire précisément, le fait comprendre, et dit que personne ne pourra se plaindre lorsque le roi donnera l'exemple. Les dépenses seront réglées comme au temps du feu roi. On les diminuera ainsi de 3 millions.

Reste à augmenter la recette pour l'égaler à la dépense de l'État, non par de nouvelles impositions que les peuples ne sauraient plus porter, mais par des moyens innocents qui permettent même au roi de continuer ce qu'il a commencé cette année en déchargeant ses sujets par la diminution des tailles. Le principal de ces moyens est le rachat des domaines, des greffes et autres droits engagés qui montent à plus de 20 millions. Il n'est pas question de retirer par autorité ce dont les particuliers sont en possession de bonne foi. A ce sujet, le cardinal professe un principe dont jusqu'à lui le gouvernement ne paraissait pas avoir eu l'idée. Le plus grand gain, dit-il, que puissent faire les rois et les États est de garder la foi publique, qui contient en soi un fonds inépuisable. Le cardinal énumère toutes les grandes choses qu'on pourra faire avec le revenu annuel de ce rachat. Il ne faudra plus avoir recours à des moyens extraordinaires, courtiser des partisans pour avoir de bons avis et mettre la main dans leur bourse, bien que souvent elle ne soit pleine que des deniers du roi. On ne verra plus les cours souveraines occupées à vérifier des édits nouveaux. Malgré les difficultés d'exécution de son plan, il ose dire, en présence du roi, qu'il se peut trouver des expédients par lesquels dans six ans on verra la fin et la perfection de cet ouvrage. On aime à trouver dans un homme d'État cette assurance ; mais il la pousse jusqu'au charlatanisme, en disant qu'alors on ne lèvera plus de contributions sur les peuples que ce qui sera nécessaire pour qu'ils n'oublient pas leur condition, et qu'ils ne perdent pas la coutume de contribuer aux dépenses publiques. Le cardinal sait très-bien que sa crainte est chimérique, et que jamais cet âge d'or ne se réalisera.

Le roi a convoqué les notables pour chercher les expédients dont a parlé le cardinal, les trouver, les examiner, et les résoudre avec eux ; il fera promptement et religieusement exécuter ce qu'il arrêtera sur les avis qu'ils lui donneront pour la restauration de l'État. Pour cela, il n'est pas besoin de beaucoup d'ordonnances, mais bien de réelles exécutions. Par ce moyen l'assemblée pourra finir plus promptement. Peu de paroles et beaucoup d'effets témoigneront des bonnes intentions et du jugement de ceux dont elle est composée.

La gloire, dit en terminant le cardinal, de faire renaître l'État est réservée au roi, à la vertu d'un si grand prince. Vous devez beaucoup à sa bonté de ce qu'il a daigné vous y donner part ; et je me sentirais très-particulièrement redevable à Dieu en cette occasion s'il me prenait incontinent après l'accomplissement d'un si haut, si glorieux et si saint dessein. Sublime abnégation ! mais personne n'en est dupe.

Les cardinaux étaient avec leurs grandes manches fourrées, comme ils sont au consistoire. On remarqua que le surintendant d'Effiat relevait souvent celle du cardinal de Richelieu, qui l'incommodait beaucoup pendant qu'il parlait.

De Verdun, premier président du parlement de Paris, croit devoir prendre la parole, au grand étonnement de tous les notables et de ses propres confrères. Il se lève, et tous les magistrats aussi. Il remercie le roi de ce qu'ayant le pouvoir de réformer, régler et ordonner son État, il fait l'honneur à l'assemblée de lui demander ses avis. Il le supplie qu'elle ne soit ni morte, ni muette comme les autres, et de faire exécuter les résolutions qu'il prendra sur les avis des notables ; l'exécution étant l'âme et l'esprit qui vivifiaient les édits et ordonnances, et l'inexécution des délibérations prises dans les précédentes assemblées les ayant frappées de mépris. Il parle du roi Henri le Grand, dont les précédents harangueurs avaient très-peu parlé ; félicite Louis XIII d'imiter ses vertus, et finit en priant Dieu qu'il lui donne lignée.

Le garde des sceaux dit que le roi enverra ses propositions à l'assemblée par son procureur général au parlement de Paris ; il entend qu'on Opine par professions, et qu'il n'y ait que trois voix, le clergé, la noblesse, les magistrats. La séance est levée.

Le roi nomme le duc d'Orléans président de l'assemblée, lui adjoint le cardinal La Valette, les maréchaux de la Force et de Bassompierre, et prescrit que le président fasse opiner les premiers, les gens du clergé sur les affaires ecclésiastiques, les nobles sur les choses militaires, les magistrats sur la justice, les membres des cours des comptes et des aides sur les finances ; et ensuite ceux qu'il estimera capables de donner des éclaircissements sur ces matières.

Le vote par corps et non par têtes a été obtenu par le clergé pour paralyser la majorité des parlementaires. Ils regardent ce vote comme une injure et s'en plaignent dès la première séance. Il était honteux pour eux ; on les distinguait ainsi du clergé et de la noblesse, pour les rejeter dans un tiers et plus bas ordre : c'était contraire à l'usage suivi dans les assemblées de cette espèce, et ils protestent de ne pas y consentir. Le duc d'Orléans, président, leur répond qu'il a l'ordre du roi d'en agir ainsi, et qu'ils lui fassent leurs remontrances. Ils se rendent au Louvre. Le premier président du parlement de Paris porte la parole. Il représente le préjudice et la honte que leur causerait le vote par ordres. Représentant ses cours de parlement et autres cours souveraines, composées des trois ordres, ils seraient réduits au plus bas et à représenter le tiers ordre séparé du clergé et de la noblesse qui n'avaient aucun motif de se séparer des magistrats, puisque ces deux ordres avaient toujours tenu à honneur de pouvoir être reçus opiner avec eux dans leurs compagnies. Leur vocation dans cette assemblée était différente de celle du clergé et de la noblesse ; ces ordres y étaient appelés par la volonté et la faveur particulière du roi, les premiers présidents et les procureurs généraux y étaient appelés par les lois de l'État et la volonté du roi pour y représenter toute sa justice souveraine. Le vote par têtes avait été observé dans toutes les assemblées de notables, même celle de 1617 à Rouen. Le vote par ordres présentait plus de difficultés dans la pratique.

La prétention des parlementaires est passablement insolente. Ils se défendent, comme d'une humiliation, de représenter le tiers état, et veulent être classés dans le clergé et la noblesse qui les repoussent. Ils se disent appelés dans les assemblées par les lois de l'État, ce qui est une fausseté. Si le roi, ou plutôt Richelieu, ne remet pas ces robins à leur place, c'est qu'il est sûr de leur soumission, qu'ils lui donnent la majorité, et qu'il n'est pas fâché d'humilier la noble.sse. Le roi décide qu'on opinera par tête, se réservant de faire opiner par ordres quand il le jugera convenable.

Cependant à la séance suivante, le duc d'Orléans, organe des deux premiers ordres, fait opiner par ordres en commençant par le clergé et la noblesse. Quand il vient aux parlementaires, ils refusent d'opiner, et protestent se fondant sur la décision du roi. Le duc répond que c'est aussi d'après l'ordre du roi qu'il en use ainsi. Les parlementaires se lèvent pour sortir ; le duc leur enjoint de rester, ils obéissent et protestent de recourir au roi. Il ordonne au duc de faire voter par tête, ce qui est enfin exécuté. Les parlementaires l'emportent.

Ils ont entre eux-mêmes des prétentions. Il s'élève un grand débat pour la préséance entre le parlement de Grenoble et celui de Bordeaux. Le parlement de Paris affecte la supériorité sur tous les autres. Le premier président exige qu'on ne le désigne que par ce titre sans ajouter de Paris. Cela est observé par le clergé, la noblesse et le duc d'Orléans ; les autres parlementaires ne manquent pas de dire : le premier président du parlement de Paris.

La grande plaie, c'est le mauvais état des finances. Dès que la convocation des notables est connue, on publie divers écrits où cette situation est révélée, et où l'on propose des remèdes qui prouvent un, progrès dans les idées sur cette matière.

Le cardinal de Richelieu, le surintem4t d'Effiat, l'intendant dit Houssay viennent à l'assemblée. Le cardinal prend Iliade entre le duc d'Orléans et le cardinal La Valette. Le surintendant fait un exposé très-remarquable surtout par sa sincérité.

Il commence par vanter le gouvernement de Henri le Grand, et le donne pour modèle, principalement pour l'administration des finances. La dépense était toujours réglée de manière qu'il y avait sur la recette un excédant de 4 millions pour faire face aux dépenses imprévues. Ce qui restait après les charges acquittées était mis en réserve. Ainsi s'était formée la somme trouvée à la Bastille après sa mort, montant à plus de 5 millions, sans compter 2 millions environ qui demeuraient entre les mains du trésorier de l'épargne „pour faire ses avances. Ces 7 millions étaient le fruit de 10 années paisibles depuis que le roi était revenu de Savoie.

Après son décès, le système changea. Ceux qui eurent la direction des finances crurent, par de louables et saintes considérations, qu'il suffisait-de conserver ce trésor, sans y ajouter, et élevèrent la dépense an niveau de la recette. N'ayant pas pourvu aux dépenses extraordinaires, il y eut à la fin de l'année un déficit de 3 à 4 millions. Pour le combler et prévenir les mouvements qui se préparaient dans l'État pendant la minorité du roi, ils furent forcés d'entamer le dépôt sacré de la Bastille qui les fit passer doucement jusqu'en 1713.

C'est en peu de mots l'histoire de l'administration de la reine régente ; on couvre d'un voile toutes ses dilapidations, toutes ses turpitudes ; on fait plus, on lui donne des éloges. Tous les voleurs sont abrités sous son manteau royal. On ne peut, on ne veut pas les atteindre. C'est un parti pris ; dans son discours le cardinal ministre a donné le ton ; il n'a pas craint d'attester la pureté, la probité de ceux qui ont administré les finances. Cependant l'exposé de d'Effiat est une accusation sanglante contre eux. Depuis seize ans, depuis la mort de Demi IV jusqu'à d'Effiat lui-même, ils forment une chaîne dont tous les anneaux sont solidaires ; on n'y touchera pas, car en détacher un, c'est les entraîner tous dans une réprobation commune.

La réserve consommée, continue le surintendant, les charges croissant toujours, les gens de finance rejetèrent une partie de la dépense d'une année sur la recette de la suivante. Ils se traînèrent avec toutes sortes d'expédients usuraires et ruineux ; avec toute leur industrie, ils ne purent jamais se remettre au courant. Pour sortir d'une année, ils engagèrent le revenu de la suivante, quelquefois de deux ans. Les comptables, les fermiers, les traitants leur firent des avances à l'intérêt de 15, 18 et 20 %, outre leurs autres remises des tailles qui se montaient à 19 millions par an ; il ne revenait à l'épargne que 6 millions qui passaient par les mains de vingt-deux mille collecteurs, cent soixante receveurs des tailles, vingt et un receveurs généraux.

La ferme générale des gabelles était de 9.400.000 livres, les frais des fermiers étaient de 2 millions ; 6.300.000 livres étaient aliénés ; le roi n'en retirait que 1.100.000.

La ferme des aides supportait une charge de 2 millions ; les charges de toutes les autres fermes absorbaient les deux tiers du revenu.

S'il y avait tant de difficultés pour porter la lumière dans la recette, comment pénétrer dans la dépense dont les ordonnateurs n'étaient plus en charge, ou disaient qu'ils ne devaient de compte qu'au roi, et pour la marine, l'artillerie et la guerre qu'à l'amiral, au grand maitre, au connétable ? C'était pour cela que le roi avait supprimé les charges de connétable et d'amiral. Maintenant il était avéré qu'avec un million on faisait plus qu'avec 6 millions lorsque ces charges subsistaient.

On avait affaire à dix trésoriers de l'épargne, à plus de cent receveur généraux, à plus de cent vingt fermiers et à autant de traitants ; ils ne rendaient de compte que lorsqu'ils le voulaient ; ils étaient si embrouillés, qu'on n'y voyait goutte.

Les dépenses, n'étant pas réglées d'après les revenus, n'avaient pas de bornes. Pour ne citer qu'un exemple, on tripla les pensions des princes : le prince de Condé eut 600.000 livres, le prince de Conti et le comte de Soissons chacun 200.000, les autres princes chacun 100.000. Les ducs, pairs et officiers de la couronne avaient leur part du festin. Il n'y avait pas de seigneur à la cour qui ne s'en ressentît. Dans les provinces les plus éloignées, les gentilshommes qualifiés y participaient. Ces prodigalités s'élevaient à environ 4 millions par an. Ces pensions, ces dons n'étaient pas la récompense de services : la royauté croyait s'attacher ainsi les nobles turbulents ou boudeurs. La fidélité qui se vendait pour de l'argent était peu solide ; la reine régente l'avait éprouvé.

Dans ce désordre, les dépenses, qui n'avaient pas encore excédé 20 millions, montèrent jusqu'à 50 millions, ce qui n'avait pu se soutenir que par l'aliénation du domaine et des créations d'offices.

Le surintendant expose la situation dans laquelle en prenant la direction des finances il les a trouvées. Rien dans le trésor, rien à recevoir sur 1626 ; le revenu de 1627 en grande partie mangé ; la dépense de 1626 à acquitter. Pour la payer, on avait fait des emprunts dont les intérêts, montant à plus d'un million, avaient consumé toutes les ressources de 1627. Pour se mettre au courant, il était nécessaire de trouver de quoi vivre et couler le reste de l'année. Quant aux moyens, le surintendant se réservait de dire librement son avis lorsqu'on entrerait dans les détails. Il indiqua seulement, comme mesure d'ordre, le système de 1608, de Henri IV, savoir, qu'on n'égalât pas la dépense à la recette, et qu'on laissât sur la recette une somme suffisante pour couvrir les non-valeurs et pourvoir aux dépenses imprévues.

Quelle idée cet exposé donne de la déplorable situation où seize années seulement de prodigalités, de voleries, de dilapidations et de mauvaise administration avaient réduit les peuples et l'État ! Tous les expédients de finances épuisés, la dépense de 40 millions, la dette de 52 millions, le revenu réduit à 16.

Voici ce que l'assemblée délibéra : abolir l'usage des comptants prohibés par les ordonnances, comme couvrant les plus grands abus. — Réduire les pensions à 2 millions, si le roi ne trouvait pas plus à propos de les supprimer tout à fait. — Régler les dépenses de sa maison sur le pied où elle était à la mort de Henri IV ; supprimer les charges surnuméraires à mesure des vacances ; donner les charges nobles à la naissance et au mérite. — Rentrer dans les domaines, aliénés pour la plupart, sur le pied du denier cinq et six ; payer aux engagistes l'intérêt au denier seize de l'argent réellement reçu en espèces. raire revivre les anciens règlements les plus propres à maintenir l'égalité et l'équité dans la répartition des tailles. Convaincu de l'inefficacité de ces règlements, un membre proposa une mesure décisive et salutaire, c'était de rendre la taille réelle sur les biens. Le cultivateur eût été véritablement soulagé ; la nuée d'élus et d'officiers qui vivaient à ses dépens devenait inutile ; les frais d'exécution étaient épargnés ; l'impôt était plus ponctuellement payé. Cette proposition ne trouva que trois partisans, y compris son auteur, Chevalier, premier président de la cour des aides. Tous les autres membres la trouvèrent dangereuse. C'étaient des ecclésiastiques, des gentilshommes, des gens de robe, tous riches propriétaires. Ils craignaient de se trouver garants de l'imposition du cultivateur ; comme si en définitive sa misère ne retombait pas sur les propriétaires, et si son aisance ne leur profitait pas.

On propose de défendre aux sujets de recevoir des pensions ni dons -des princes étrangers, de conférer ni communiquer avec eux et leurs ambassadeurs, verbalement ou par écrit, sans l'expresse permission lu roi. Le clergé demande une exception pour le nonce du pape. Le premier président du parlement de Paris rappelle que, sur une semblable proposition faite dans l'assemblée de Rouen en 1617, par feu le cardinal du Perron, l'exception fut rejetée. La majorité confirme cette décision par le motif que le nonce était envoyé par le pape, non en qualité de chef visible de l'Église, mais comme prince temporel. Le clergé exprime son mécontentement. Le duc d'Orléans lui dit : Messieurs, nous sommes aussi bons catholiques que vous, mais peut-être meilleurs Français.

Le clergé boude, et ne se trouve pas à la séance suivante. Le duc d'Orléans, apprenant qu'il s'était assemblé chez le cardinal La Valette, dit vivement : Je voudrais qu'ils se fussent assemblés chez le nonce. On met en question si l'on peut travailler malgré l'absence du clergé, s'il faut l'attendre, ou le sommer de venir. Il est décidé qu'on se passera de lui, et l'on travaille. Le roi le mande, le tance de s'être absenté de l'assemblée, et d'avoir tenu des assemblées particulières sans sa permission. Le clergé donne pour excuse de son absence que c'était la fête de saint Vincent — chômée seulement à Saint-Germain-des-Prés — et qu'il n'avait pas cru qu'il y eût séance ce jour-là. Le clergé revient à l'assemblée. On y lit seulement pour la rédaction la décision qui l'avait tant offusqué, elle est adoptée. Pendant la lecture, il fait mine de vouloir s'y opposer, mais personne ne prend la parole. L'archevêque de Sens dit seulement que M. le garde des sceaux ne trouve pas bonne la décision. Le duc d'Orléans répond : Nous n'avons tous qu'un maître qui est le roi, duquel seul dépend le jugement de nos actes.

Le clergé veut prendre sa revanche, et vote unanimement l'établissement d'une chambre de justice ambulatoire à l'instar des grands jours. Évidemment elle porte atteinte à l'autorité des parlements et même aux privilèges de ceux qui y avaient leurs causes commises. La majorité rejette cette création.

On a vu, sous le régime féodal et dans le moyen âge, des paysans, poussés au désespoir par la tyrannie des seigneurs, s'insurger, égorger des nobles, brêler des châteaux, et périr par milliers, victimes de ces mouvements éphémères. La véritable guerre aux châteaux, c'est la royauté qui l'a faite. Résolue à détruire la puissance des seigneurs, elle ne pouvait laisser subsister les créneaux sous lesquels elle s'abritait, Louis XI commença. Henri IV continua à faire démolir ces nids à rébellion, ainsi qu'il les appelait. Le plus grand démolisseur fut Richelieu. Il veut faire un abatis de châteaux, places et forteresses inutiles à la défense du royaume, repaires de tyranneaux, de mécontents, de seigneurs factieux et rebelles. Cette mesure excite de vives oppositions non-seulement de la part de la noblesse, mais encore de communes qui tiennent à honneur de conserver ces antiques créations de la féodalité. Un particulier s'oppose à la démolition d'une place, un magistrat propose à l'assemblée de supplier le roi d'accorder une indemnité à ce particulier. Le duc d'Orléans prend vivement la parole, et dit que les places fortes appartenaient au roi, et qu'il serait injuste d'obliger sa majesté à les retirer et démolir à la condition d'indemniser et par ce moyen de lui faire acheter son propre bien, que cela serait indigne de l'assemblée, de laquelle sa majesté se promettait mieux que cela. Le principe de l'indemnité est rejeté. L'assemblée vota la démolition d'une grande quantité de forteresses par le motif qu'elles ne servaient qu'à favoriser les soulèvements des grands et à entretenir des garnisons inutiles. La royauté a donné le branle, la guerre aux châteaux ne s'arrêtera pas. Par un enchaînement naturel de causes, il viendra une époque, et elle n'est pas loin, où la noblesse, dépouillée de sa puissance, de ses privilèges, de son lustre, n'ayant plus pour soutenir son luxe les faveurs de la cour, pour conserver les biens dans les familles, la loi de primogéniture, ne pourra plus entretenir ses châteaux, et sera obligée de les vendre à des bandes noires pour les démolir.

L'assemblée vote l'entretien de deux corps d'armée permanente de vingt à vingt-deux mille hommes chacun. Plusieurs règlements sont adoptés pour la discipline des troupes en marche, afin que les campagnes n'en souffrent pas de dommages.

Le principe de la libre circulation des grains et de leur exportation à l'étranger était en vigueur. L'assemblée propose des limites. Prohiber l'exportation au dehors dans les provinces menacées de disette et les provinces circonvoisines qui pouvaient les secourir. Défendre tout empêchement à la libre circulation des grains de provinces à provinces. — Enjoindre aux communautés d'acheter des blés et d'en faire provision pour trois mois au moins ; leur permettre à cet effet d'emprunter à rente ou à intérêt.

Reconnaissante de l'intention où est le roi de rendre au royaume les trésors de la mer que la nature lui a si libéralement offerts, l'assemblée le supplie de continuer une entreprise si importante par l'établissement d'une force de quarante-cinq vaisseaux de guerre, d'y destiner un fonds annuel de 1.200.000 livres, d'entretenir un nombre de galères suffisant ; d'obtenir aux négociants français, et à leur commerce dans l'étranger, les mêmes conditions dont les étrangers jouissent en France, ou de traiter les étrangers comme ses sujets sont traités dans l'étranger ; de prohiber l'entrée des produits de manufactures étrangères ; enfin, d'employer tous les moyens politiques justes et raisonnables pour rétablir le commerce.

La noblesse ne se borne pas à prendre part dans l'assemblée aux travaux d'intérêt général. Elle présente séparément, et dans son seul intérêt, une requête au roi. Elle y expose ses vues pour le rétablissement de la noblesse, comme l'appui le plus assuré de la grandeur de l'État, l'outil le plus propre à son agrandissement et à l'affermissement de la couronne. Elle laisse aux historiens à déduire les diverses sources de la noblesse, l'ancienneté de la vraie et qui procède du sang, ses dignités, ses privilèges, les services qu'elle a rendus aux rois. Si Henri IV pouvait parler, il dirait qu'après l'assistance de Dieu et de son épée, la conservation de la couronne était due à la noblesse, à sa fidélité, à sa valeur, lorsque la plupart des autres ordres s'étaient laissé emporter à la révolte. Faisant profession de mieux faire que de bien dire, elle n'emprunterait point d'artifices oratoires pour émouvoir la compassion du roi sur la décadence et la misère de la noblesse. Elle le supplie seulement de croire qu'elle est dans le plus pitoyable état où elle fut jamais, et qu'il lui serait difficile de représenter sans larmes la pauvreté qui l'accable, l'oisiveté qui la rend vicieuse, et l'oppression qui l'a presque réduite au désespoir. Elle en attribue la cause à sa mauvaise institution plutôt qu'à son inclination naturelle ; au mélange des races nobles avec les roturiers, aux insolentes et trop effrénées ambitions de quelques nobles du siècle passé. Ils avaient diminué la bienveillance des rois et les avaient portés à croire qu'il fallait abaisser la puissance de la noblesse par l'élévation du tiers état, et par l'exclusion des charges et dignités dont ils avaient peut-être abusé. Depuis, les nobles ont été privés de l'administration de la justice, des finances et des conseils du roi.

Que la noblesse fût déchue, c'était la vérité ; mais elle déduisait fort mal la cause de cet abaissement, elle exagérait sa misère, et n'était pas pauvre. La jalousie des rois ne datait pas seulement du dernier siècle, elle remontait au moins au douzième. Ce n'était pas seulement l'ambition de quelques nobles qui l'avait provoquée, c'était la rivalité des grands vassaux, les prétentions des barons, l'esprit de -toute la noblesse, ses oppositions, ses révoltes multipliées. Les nobles avaient toujours été plus redoutables aux rois que le peuple.

Quels moyens propose la noblesse pour la relever de sa chute, la préserver de la ruine qui la menace et la remettre dans son ancienne splendeur ?

Supprimer la vénalité et l'hérédité par survivance des gouvernements, des charges nobles de la maison du roi, des emplois militaires, et ne les donner qu'à des nobles.

Leur donner la préférence pour les charges les plus élevées dans l'Église et la justice, et leur affecter le tiers des canonicats et prébendes.

Ne nommer que des filles nobles dans les couvents de religieuses de fondation royale.

Réduire le nombre excessif des collèges. Au détriment de l'État, ils enlèvent au public une infinité de gens, qui abandonnent les arts, le commerce, le labourage et la guerre, sont à charge au public, et pour avoir passé leur jeunesse dans l'oisiveté des lettres, deviennent incapables de servir. En remplacement des collèges supprimés, établir dans chaque archevêché ou province des collèges militaires pour l'institution de la jeune noblesse. — Suivent les détails et moyens d'exécution ;

Adjoindre à chaque gouverneur quatre conseillers de guerre, seigneurs et capitaines dans la province, pour les affaires de la guerre et autres importantes, et pour prévenir et pacifier les différends entre gentilshommes.

Nommer à vie seulement, après examen par le chancelier, un certain nombre de gentilshommes pour entrer dans les parlements, y avoir voix délibérative sans gages ni émoluments.

Composer de nobles le tiers des conseils de finance, de direction et des parties.

Établir un conseil de la guerre composé de maréchaux, de principaux officiers de- la couronne et des plus expérimentés capitaines.

Obliger tout gentilhomme ayant au-dessus de 1,500 livres de rente à avoir un cheval de service et l'armement complet, pour être prêt à marcher en cas de pressante nécessité.

Instituer un ordre nouveau pour la pauvre noblesse sous le nom de Saint-Louis, qui consistera en chevaleries et commanderies depuis 500 livres jusqu'à 6.000, à prendre sur les bénéfices vacants.

Interdire à tout roturier d'acquérir des fiefs ou terres nobles sans la permission du roi, à peine de nullité des contrats.

Permettre aux gentilshommes de faire le commerce sans déchoir de leur privilège.

La noblesse lutte en vain contre le courant qui la mine et l'entraîne. Elle se plaint d'être exclue des fonctions civiles ; elle les a elle-même désertées, comme dégradantes pour son épée ; elle a méprisé l'instruction sans laquelle elle ne pouvait se maintenir dans l'administration et la justice. Elle a voulu rester uniquement militaire. Le système des armées permanentes et soldées lui a enlevé une partie de son caractère exclusivement guerrier. Elle se plaint de ce que pour abaisser sa puissance, on a élevé le tiers état. Pourquoi, au lieu de se dévouer corps et biens au trône et de lui rester attaché, a-t-elle lutté contre lui, l'a-t-elle menacé et fatigué de ses prétentions ? Elle a forcé les rois à chercher un point d'appui dans le peuple, à opposer un troisième ordre aux deux ordres privilégiés. Affranchi en partie du joug de la féodalité, et légalement constitué au treizième siècle, le tiers état s'est développé, a grandi, et est devenu le foyer des lumières, de la richesse industrielle et une source féconde de forces pour le trône et l'État. Les races se sont mêlées par les anoblissements, possession des fiefs, les mariages des nobles s'alliant avec la riche roture pour réparer leurs ruines et rétablir leur fortune. Les remèdes que propose la noblesse sont mesquins et pitoyables. Lui rendre ce qu'elle a perdu, remonter vers le passé, c'est impossible. Ce n'est plus une ambition chevaleresque qui l'anime, elle ne veut que des places et de l'argent. Enfin, elle veut faire le commerce. Elle a raison de renoncer à l'oisiveté. Que ce soit sans déroger, la loi le dirait en vain, le comptoir absorbe l'épée. Une seule des mesures proposées par la noblesse aurait quelque importance, c'est la réduction des collèges ouverts à la nation et la création de collèges nobles. Mais l'esprit du temps n'admet pas le privilège de l'instruction.

Par une déclaration, le roi annonce que, satisfait des travaux de l'assemblée, il se propose de rendre un édit, et qu'en attendant il veut faire connaître à tous ses sujets le bien qu'il leur procure et vers lequel il entend conduire le gouvernement de l'État, afin que chacun sache quel mal causeront ceux qui entreprendront d'en troubler le repos, et que l'on tienne et traite comme ennemis communs, dignes de la haine et indignation publiques, tous ceux qui prétendraient priver les sujets de si grands biens. Voici ce que le roi se propose :

Réunir tous ses sujets en l'unité de l'église catholique par voie de douceur, d'amour, de patience, de bons exemples. Rétablir la splendeur et la dignité de l'Église par l'exacte observation des constitutions ecclésiastiques. Maintenir les sujets de la religion prétendue réformée dans toute la liberté qui leur a été accordée, attendant qu'il plaise à Dieu d'illuminer leurs cœurs et de les ramener au giron de l'Église.

Remettre les bonnes mœurs dans toutes les parties de l'État, et le bon ordre dans toutes les fonctions publiques.

Avantager la noblesse de plusieurs grâces et privilèges pour obtenir les bénéfices, charges et offices tant de la maison du roi que de la guerre et autres, selon que les nobles s'en rendront capables. Les employer tant sur mer que sur terre dans les compagnies de cheval et de pied, avec de bons appointements bien réglés et payés. Faire instituer gratuitement les enfants des pauvres gentilshommes.

Faire fleurir la justice dans tous ses degrés, et les ordonnances dans leur première rigueur.

Rétablir le commerce, renouveler et augmenter ses privilèges, de manière que la condition du trafic soit tenue en honneur et rendue considérable entre les sujets, afin que chacun y demeure volontiers, sans porter envie aux autres conditions.

Diminuer les charges qui sont surie pauvre peuple. En conséquence, Louis XIII s'oblige en foi et parole de roi de le décharger de 5 millions de livres dans cinq ans, ce qu'il aurait fait en une seule fois, et tout de suite, s'il avait pu dans un instant augmenter son revenu, comme il entendait le faire pendant cinq ans, par le rachat du domaine et des droits aliénés sur les tailles et gabelles.

Le 24 février 9627, jour fixé pour la clôture de l'assemblée, les notables se rendent au Louvre. Le duc d'Orléans remet leur cahier au roi et le remercie. Le roi dit qu'il le fera examiner par son conseil, et congédie l'assemblée dans des termes qui témoignent sa satisfaction.

Il arrive de son cahier ce qui est arrivé de tous les cahiers précédents. Dès que les notables ont tourné le dos, le gouvernement ne tient aucun compte de leurs propositions, ou n'adopte que celles qui lui sont profitables.

Avant de poursuivre ses grands desseins en Allemagne, Richelieu veut abattre le parti calviniste. Il y parvient par la réduction de la Rochelle, après un siège fameux dont les traces, bravant les vagues Je la mer, attesteront à la postérité la plus reculée la puissance du cardinal. Pendant ce siège, les armées royales parcourent le midi, ravagent, incendient, massacrent les calvinistes ou en peuplent les galères ; ils sont forcés de se soumettre. On ne négocie plus la paix avec eux, on la leur accorde ; on leur laisse la liberté de leur culte, mais ils perdent comme parti toutes leurs garanties, et restent, ainsi que tous les antres sujets, à la discrétion du pouvoir (1628, 1629).

A peine rassuré sur l'intérieur, Richelieu s'occupe des affaires extérieures, et porte la guerre en Italie ; il quitte la pourpre, prend la cuirasse et va commander l'armée. Il s'allie avec le grand Gustave contre l'Autriche. Les intrigues intérieures se renouvellent. Jalouse de l'ascendant d'un homme qui est sa créature, la reine mère contrarie tous les plans du cardinal, conjure sa perte, forme une ligue contre lui, et, flattant la vanité du roi, le supplie de recouvrer son pouvoir usurpé par son ministre. La faiblesse de Louis XIII est effrayée du fardeau, il est à la fois subjugué par le caractère du cardinal et la grandeur de sa politique. L'intrigue échoue. Les complices de l'Italienne sont sacrifiés. Le chancelier Marillac et son frère le maréchal sont arrêtés. La jeune reine est détenue au Val-de-Grâce. C'est ce qu'on appelle la journée des dupes (1630).

La reine mère exhale sa fureur ; Gaston, frère du roi, menace, insulte le cardinal. Le roi exile sa mère. Elle tempête, refuse tous les avantages qu'on veut lui faire, correspond avec l'Espagne, s'enfuit et se réfugie à Bruxelles. Gaston se prépare à la guerre ; l'armée royale le serre de près, le poursuit en Lorraine, et le force à gagner les Pays-Bas (1631).

Richelieu ne s'arrête pas en si beau chemin. S'il laisse libre carrière à ses ennemis, il est renversé ; s'il sévit contre eux, il appelle sur lui les vengeances de leurs partisans, et l'opinion publique l'accuse de tyrannie. Sa marche est tracée ; il faut qu'il renverse tout ce qui s'y oppose. De son triomphe ou de sa défaite dépend la grandeur ou l'abaissement de la France. Un arrêt du conseil déclare criminels de lèse-majesté les ducs d'Elbeuf, de Bellegarde et autres complices de Gaston. Le parlement refuse de l'enregistrer, parce que le conseil n'était pas compétent. Le roi déchire de sa main la feuille du registre où est inscrite la délibération du parlement, et exile plusieurs conseillers. Une chambre de justice est créée pour faire le procès aux partisans de la reine et de Gaston. La proscription, la condamnation à mort, atteignent une foule de grands personnages, hommes et femmes. Le parlement fait encore de l'opposition, il est obligé de demander grâce pour lui-même. Une commission, séant à Ruel, chez le cardinal, condamne à mort le maréchal de Marillac, il est exécuté. Ces rigueurs n'imposent pas aux seigneurs mécontents ou factieux. Ils conspirent avec l'Espagne. Gaston lève l'étendard, et se porte dans le Languedoc, gouvernement héréditaire des Montmorency, et où règne le maréchal. Il se joint à Gaston, Schomberg les attaque et les défait. Montmorency, blessé, est fait prisonnier. Gaston jette ses armes, abandonne, trahit ses amis, et envoie sa soumission. Le maréchal est livré au parlement de Toulouse et condamné à mort. Le triste sort d'une victime aussi illustre excite la pitié générale ; on implore sa grâce. C'est chose injuste, répond le cardinal, que de vouloir donner exemple par la punition des petits, qui sont arbres qui ne portent pas d'ombre ; et ainsi qu'il faut bien traiter les grands faisant bien, c'est eux aussi qu'il faut plutôt tenir en discipline. Montmorency est décapité. Tous les complices de Gaston sont punis de différentes peines. Le cardinal a parlé en homme d'État. Mais sa sévérité n'épargne pas non plus les petits. Il multiplie les supplices en Languedoc, bien que les populations eussent pris peu de part à la révolte (1632).

Gaston a commis une insigne lâcheté ; ce n'est pas la dernière. Il s'est soumis, il a laissé proscrire, exécuter ses amis ; il se sauve à Bruxelles. Le cardinal tombe malade ; on croit sa fin prochaine ; ses, ennemis se mettent en mouvement. Il guérit, et les punit rudement d'avoir osé spéculer sur sa mort. Gaston s'allie avec les Lorrains et les impériaux, et s'apprête à rentrer en France avec eux. Un arrêt du parlement le déclare rebelle. Le roi n'a pas encore d'enfant ; Gaston est héritier présomptif de la couronne. Cette considération décide le cardinal à négocier. Il sait à qui il a affaire ; il sème la corruption autour du prince, et lui promet pour lui et ses amis faveurs et avantages. Gaston accepte, revient à Paris, jure d'aimer le cardinal, et va s'enterrer à Blois (1633, 1634).

Dans l'intérieur, il n'y a plus d'obstacle apparent à ce que Richelieu poursuive l'exécution de ses projets politiques à l'extérieur. Après sept années de grande guerre, l'Alsace, la Lorraine, l'Artois, la Catalogne et la Savoie sont conquises. La France n'a jamais été élevée à un si haut degré de puissance ; mais elle l'a payé cher, de son sang, de ses trésors, de ses moindres libertés. Elle est accablée sous le poids des impôts, sous le joug du despotisme. Après vingt-deux ans de stérilité, Anne d'Autriche a deux fils ; la succession au trône est assurée. Louis XIII est habituellement malade. Richelieu, dont la santé décline journellement, espère survivre au roi, et n'est plus occupé qu'à s'assurer la régence. Qui pourrait, qui oserait la lui disputer ? Il a tué, écarté, subjugué, soumis, roi, reines, princes, grands, corps, autorités ; tout a plié, tremble, est prosterné devant lui. Un seul prince, le comte de Soissons, est resté fièrement debout ; retiré à Sedan, il se tient en relation avec la reine mère et des mécontents de l'intérieur, et réunit autour de lui les exilés. Le duc de Bouillon lève une armée et s'allie avec l'Autriche. Richelieu envoie dix mille hommes. Un combat est livré à la Mariée ; les troupes royales sont mises en déroute, mais le comte de Soissons est tué. Le cardinal accorde la paix au duc de Bouillon (1641).

Cet empressement du cardinal a pour cause la découverte d'une conspiration bien plus dangereuse pour lui, celle d'Effiat de Cinq-Mars, jeune étourdi, placé près du roi par Richelieu pour le distraire et l'espionner. Éblouis par les avantages de leur position, les favoris n'en voient jamais les périls. Séduit par les exemples de Concini et de Luynes, et s'aveuglant sur la triste fin du premier, Cinq-Mars a la fatale ambition de renverser le cardinal, se confie au roi, qui ne le désapprouve pas, rallie tous les mécontents, et traite avec l'Espagne. Richelieu mourant a pénétré le complot. Louis XIII abandonne les conjurés. Cinq-Mars, de Thou sont arrêtés ; le duc de Bouillon, saisi au milieu de son armée, est renfermé dans la citadelle de Casal ; Richelieu se fait nommer lieutenant général du royaume, avec les pleins pouvoirs de la royauté. Dans un manifeste, Louis XIII a la lâcheté d'avouer qu'il a tendu un piège à Cinq-Mars. Gaston, fugitif dans les montagnes d'Auvergne, a l'infamie de révéler tout le complot. On lui fait grâce ; il est dépouillé de ses domaines, déclaré indigne d'exercer la régence, et relégué à Blois ; Bouillon rachète sa vie par la cession de sa principauté, qui est réunie à la couronne. Cinq-Mars et de Thou sont livrés à une commission, condamnés à mort et exécutés. Moins de deux mois après, Richelieu meurt à l'âge de cinquante-huit ans, emportant les malédictions des grands, nullement regretté du roi ni de la France, et la laissant cependant puissance prépondérante en Europe. Louis XIII, fantôme de roi, suit de près le grand ministre dans la tombe. Marie de Médicis les avait précédés tous les deux à l'étranger, dans l'exil et l'indigence (1642, 1643).

 

 

 



[1] Y a-t-il donc dans nos vieilles sociétés des abus dont elles ne peuvent se passer ? La restauration a rétabli indirectement la vénalité de beaucoup de charges par un motif fiscal, pour imposer de forts cautionnements. L'abus et les frais judiciaires sont plus onéreux au public qu'ils ne l'ont jamais été.