HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME DEUXIÈME

 

HENRI III.

 

 

Charles IX meurt de la maladie dont il est atteint depuis plusieurs mois (30 mai 1571). La reine mère agit avec décision et promptitude. Le même jour, des lettres patentes sont expédiées ; on y fait dire au roi, notoirement en proie à d'horribles douleurs et hors de sens, qu'il remet le gouvernement à sa mère jusqu'à l'arrivée du roi de Pologne, successeur au trône sous le nom de Henri III. Cela se fait en présence et avec l'assentiment du duc d'Alençon et du roi de Navarre. Les lettres patentes sont enregistrées au parlement. La reine écrit en même temps comme régente aux gouverneurs des provinces, et se fait appuyer par des lettres des deux princes confirmatives de son titre. Henri III approuve tout ce qu'a fait sa mère.

Condé lève des troupes en Allemagne et publie un manifeste. Damville, destitué de son gouvernement, s'allie pour sa sûreté avec les calvinistes, qui lui défèrent le commandement en attendant le retour de Condé.

Craignant d'être retenu par les Polonais, assez mal avisés pour s'accommoder de leur pauvre roi, Henri III donne la mesure de son caractère en quittant nuitamment sou trône. Il s'enfuit et gagne à la hâte les frontières. En Autriche, il respire, et voyage lentement au milieu des plaisirs et des fêtes. Il ne touche la terre de France qu'au bout de trois mois ; il n'en passe encore pas moins de quatre dans le midi avant de venir prendre la couronne.

Dès son arrivée à Lyon, où sa mère et la cour se sont rendues, la question religieuse est agitée dans le conseil. Il est divisé. Les uns veulent poursuivre à outrance les calvinistes, c'est l'avis du roi ; les autres, qu'on traite et qu'on fasse une paix solide. Le parti de la guerre l'emporte. Par ménagement pour le parti modéré, il est décidé qu'on écoutera les représentations des calvinistes s'ils se présentent. Des ordres sont expédiés aux armées pour pousser vivement les hostilités. La guerre se rallume de toutes parts.

Dans ces graves circonstances, Henri III se rend à Avignon. C'était dans l'avent, les pénitents faisaient des processions. Le roi de France se revêt de leur déguisement, et assiste à ces mascarades avec les seigneurs de sa cour. Le cardinal de Lorraine est saisi par le froid, tombe malade et meurt, odieux à tous les partis et peu regretté de la cour. On ne croit pas à la mort naturelle d'un grand personnage. On répand que le cardinal a été empoisonné.

Les catholiques dits politiques concluent à Milhaud leur union avec les calvinistes, représentés par Damville (10 février 1575). Le traité établit une espèce de république, séparée du reste de l'État qui a ses lois pour la religion, le gouvernement, la justice, l'armée, le commerce, l'impôt et l'administration des finances. Ainsi l'état de dégradation et d'impuissance où les crimes et les fautes de la cour ont plongé la royauté, donne naissance à des plans destructifs de la monarchie et de l'unité du royaume ; c'est ce que dit de Thou. Pour l'unité, il a raison. Dans le traité il y a du fédéralisme oligarchique ou féodal, rien de plus. Les nobles calvinistes réagissent contre l'accroissement du pouvoir royal, et l'évent le rétablissement de leur puissance féodale. Il n'y a rien là pour la démocratie. Les confédérés conviennent de ne pas faire la paix sans la convocation des états généraux et la liberté de conscience. Le roi ne veut entendre à aucune concession.

Lors de la conjuration d'Amboise, nous avons déjà examiné les projets divers qu'on a prêtés au parti calviniste. Nous croyons utile d'y revenir. Le parti a fait la guerre, livré des batailles, remporté des victoires, éprouvé des revers, survécu aux persécutions, aux échafauds, à la Saint-Barthélemy. Il est donc bien nombreux, bien puissant' ? Non, il est en minorité, la grande majorité de la France est catholique. On ne peut pas dire que la réforme religieuse ait été populaire. Elle a eu, elle a toujours à sa tête des princes, des seigneurs, et parmi ses adhérents, beaucoup de gentilshommes. La noblesse de province, le peuple calviniste, bourgeois et paysans, combattent pour leur culte avec l'ardeur et le dévouement qu'inspirent la conviction et la conscience ; comme pour toute croyance nouvelle la persécution double leur force. Les nobles chefs calvinistes combattent pour les honneurs, le pouvoir ; c'est la queue du vieux parti féodal, imprégnée d'idées de souveraineté locale et indépendante ; mais cette aristocratie respecte lé principe monarchique, et ambitionne seulement de brider la royauté et surtout de gouverner en son nom. C'est donc à tort qu'on a loué ou accusé la réforme d'avoir aspiré à établir le gouvernement démocratique. Cette idée n'est jamais entrée dans la tête des chefs. Ses apôtres, Luther et Carin, avaient formellement prêché le respect du pouvoir. La réforme s'est accommodée avec toutes les espèces de gouvernement. Il est vrai que le droit d'examen en matières religieuses s'est étendu aux matières politiques. Opprimé par le pouvoir, l'homme est naturellement porté à réfléchir sur sa nature, ses droits et ses devoirs. Et encore, dans le parti calviniste, qui fait ces réflexions ? Ce ne sont pas les chefs, les nobles conducteurs et maîtres du peuple, ce sont des bourgeois, hommes d'étude, de science, de talent, tels qu'Étienne de la Boaie et François Hotmann. Ils discutent avec une grande liberté les droits des peuples et ceux de la royauté. La polémique, cette arme que les calvinistes manient avec un grand avantage, ébranle sans doute les bases de l'autorité ; mais il y a loin de là à un complot menaçant contre la royauté. La réforme n'arbore pas le drapeau et la démocratie, et ne l'a pas inventée. Elle est aussi ancienne que le monde. Ce n'est pas elle qui la première a opposé la souveraineté du peuple à celle du roi. C'est un vieux conflit qui remonte à la plus haute antiquité. Aux états de 1483, Philippe de Pot, seigneur de la Roche, et très-royaliste, dit : Le peuple souverain créa des rois par son suffrage. L'assemblée, non moins royaliste que l'orateur, ne le rappelle pas à l'ordre. D'autres l'avaient dit avant lui.

Dans leurs écrits, les calvinistes déchirent le voile dont la cour et le parti catholique couvrent leurs desseins. Ils publient dans ce moment le résultat d'un conseil tenu à Blois, il y a deux ans, sur les moyens proposés très-sérieusement par un chevalier, Poncet, d'établir en France, comme le plus parfait des gouvernements, le pouvoir despotique tel qu'il existe en Turquie.

Henri III va se faire sacrer à Reims. Ou y célèbre en grande pompe ses noces avec une petite princesse de Lorraine. Il fait enfin son entrée à Paris (1575).

Le duc d'Alençon, héritier présomptif de la couronne, s'évade de la cour et va trouver les calvinistes. Ils le reconnaissent pour chef. Il publie un manifeste. Plein de respect pour l'autorité royale, il n'en veut qu'aux favoris, qui en abusent. Il fait les plus belles promesses, il se flatte d'étouffer les querelles religieuses, il en appelle à l'assemblée des états. Son manifeste est appuyé par trois armées.

Le duc de Guise, gouverneur de Champagne, marche au-devant ale Thoré, qui amène des troupes d'Allemagne et les met en déroute.

Blessé à la joue dans ce combat, Guise reçoit le surnom de Balafré. La coalition a des forces imposantes. La reine mère croit plus facile de la dissoudre que de les battre. Elle court après le duc d'Alençon, négocie, et obtient une trêve peu honorable de six mois.

Le roi a besoin d'argent, 100.000 écus d'or comptants et 450.000 autres lorsque les troupes étrangères qu'il a enrôlées pareront sur la frontière. Il convoque une assemblée générale à l'hôtel de ville de Paris, et lui fait demander 200.000 livres à emprunter. Cette proposition révolte tous les esprits, déjà indignés des conditions de la trêve. On délibère, on fait de beaux discours ; tout ce bruit se termine par de vives remontrances des cours souveraines, du clergé et de la bourgeoisie sur la dilapidation des finances, les prodigalités de la cour et les désordres de toute espèce qui affligent le royaume. La trêve n'est pas exécutée. Les troupes, n'étant pas payées, dévorent le pays.

Un nouveau chef arrive aux calvinistes. Le roi de Navarre profite d'une partie de chasse pour s'enfuir de la cour, et se rend dans son gouvernement de Guienne (février 1576).

Le prince de Condé et le palatin viennent dans le Bourbonnais. Le prince remet le commandement au duc d'Alençon ; il est salué généralissime du parti. Tous les chefs et des députés protestants se réunissent à Moulins, et rédigent une requête au roi contenant à peu près les mêmes demandes qu'ils avaient faites l'année précédente. Plusieurs articles regardent personnellement le roi de Navarre. Des députés de l'assemblée vont présenter cette requête au roi. Il les accueille gracieusement. On établit des conférences ; on ne peut convenir de rien. Tout est subordonné au départ de la reine mère, qui Na trouver le duc d'Alençon avec de pleins pouvoirs. Elle se rend avec une cour nombreuse au camp du duc, près de Loches, où est fait le cinquième édit de pacification, dit de Monsieur[1]. Le roi le fait enregistrer au parlement. C'est le traité le plus avantageux qu'aient encore obtenu les calvinistes.

La religion prétendue réformée, ainsi qu'on la nomme, se trouve à peu près 'sur le pied de l'égalité avec la catholique. Les chefs ne s'oublient pas. L'apanage du duc d'Alençon, désormais duc d'Anjou, est augmenté de l'Anjou, du Berri, de la Touraine. On donne au roi de Navarre le gouvernement de Guienne, à Condé celui de Picardie. La reine mère déclare qu'elle n'a eu aucune part à la Saint-Barthélemy, et qu'elle a été mortifiée au dernier point de ce malheureux accident. La mémoire de Coligny est réhabilitée. Le maréchal de Montmorency, mis en liberté, est, par une déclaration du roi, enregistrée au parlement, déclaré innocent de toute inculpation, ainsi que son illustre famille.

Par l'édit de pacification, le roi s'engage à convoquer les états généraux-. Malgré une triste expérience, ils sont toujours considérés comme une panacée applicable aux maux de l'État. Quel est le but de cette convocation ? qui l'a provoquée ? est-elle spontanée de la part du roi ? à qui doit-elle profiter ? aux calvinistes ? Ils sont bien aveugles s'ils s'en flattent. Au roi ? A moins que ce ne soit pour avoir de l'argent, et remettre en question tout ce qui a été décidé par l'édit de pacification. Ce ne peut être le dernier mot de la cour ; elle n'a pas donné la paix, elle l'a subie. Le parti catholique en est indigné. Il lui faut une occasion d'en appeler à la nation ; les états la lui fournissent. Le roi espère les diriger ; il n'en sera pas le maître. Les partis n'ont aucune confiance en lui, et le méprisent. Incapable de leur dicter la loi, il se traînera misérablement à leur suite.

L'association des calvinistes et des politiques à une organisation indépendante du gouvernement. Le parti catholique prétend que les rois ne peuvent plus sauver la religion, le protéger et procurer sûreté aux biens et aux personnes. Il cherche donc en lui-même son salut, et établit une vaste association. Il en trouve les éléments dans celles qui se sont formées sous Charles IX, et les réunit en un seul corps sous le nom de ligue ou de sainte union. La Ligue acquiert bientôt une telle consistance qu'elle est en état de faire trembler jusqu'au roi. Paris donne le signal aux provinces.

Le but de la Ligue est le maintien de la seule religion catholique, et l'extirpation radicale de la religion réformée par tous les moyens, même l'extermination de ceux qui la professent. Les ligués se dévouent corps et biens à l'accomplissement de cette œuvre. Comme les sociétés secrètes du moyen âge, ils se lient par serment ; la ligue s'attribue une juridiction, et décrète un code pénal. Un des premiers moyens qu'elle emploie est de déchaîner le peuple contre les réformés pour les troubler dans l'exercice de leur culte. Les Guise sont à la tête de la ligue ; le roi permet qu'elle s'autorise de son approbation. On la propage avec le plus d'éclat en Picardie, afin de fermer à Condé l'accès de Péronne que l'édit de pacification lui avait assigné pour résidence. Louis de la Trémouille, duc de Thouars, signe la ligue à la tête de plus de quatre-vingts gentilshommes du Poitou.

Depuis la pacification, les calvinistes se sont dispersés dans les provinces ; ils sont partout menacés, troublés, insultés, maltraités. Alors ils prennent leurs mesures. Le roi de Navarre et Condé ne sont pas allés à la cour. Le roi, qui vient de faire sa profession publique de calvinisme, se rend à la Rochelle. Les conditions de la paix ne sont pas remplies. Les calvinistes se plaignent ; on ne les écoute pas. Les esprits fermentent et s'inquiètent ; on s'agite. Un capitaine royaliste commet des hostilités en Languedoc. En un instant, dans le midi et dans l'ouest, les calvinistes reprennent les armes.

Cependant le roi convoque les états généraux à Blois.

jusqu'ici on a eu des données assez précises sur la tenue des états, c'est-à-dire l'ouverture de l'assemblée, le cérémonial, la forme et les objets de ses délibérations, ses communications avec le roi, la clôture de sa session, les résultats de ses travaux sur la législation et les affaires d'État et de gouvernement ; mais, à défaut de documents authentiques, on n'a que des notions incertaines et incomplètes sur toutes les opérations qui précédaient la réunion des députés, telles que la convocation des états par le roi, la tenue des diverses assemblées préparatoires, les éléments dont elles se composaient, les élections, les territoires et les citoyens qui avaient le droit de suffrage, les conditions auxquelles le droit était soumis, les pouvoirs des députés.

On ne peut pas admettre qu'avant 1576, à la fin du seizième siècle, lorsque la France tenait, par sa civilisation, le premier rang parmi les nations, toutes les opérations que nous venons d'énumérer n'aient pas été constatées par des procès-verbaux et autres documents authentiques. Que sont-ils devenus ? Quel écrivain aurait pu les retrouver, lorsque, plus de deux siècles après, en 1788, on voit le gouvernement avouer, dans un édit solennel (7 juillet), qu'il n'a pas ces documents ? Il a ordonné, dit-il, des recherches ; il s'en est fait rendre compte. Les anciens procès-verbaux des états présentent assez de détails sur leur police, leurs séances, leurs fonctions ; mais il n'en est pas ainsi sur Is formés qui doivent précéder et accompagner leur convocation ; rien ne constate d'une manière positive la forme des élections, non plus que le nombre et la qualité des électeurs et des élus. En conséquence, le roi, Louis XVI, ordonne aux autorités administratives et judiciaires de faire de nouvelles recherches dans tous les dépôts, et invite les savants à adresser au gouvernement des renseignements et des mémoires sur cet objet. Excités par le patriotisme qui animait tous les Français, des hommes laborieux fouillèrent dans les archives, et publièrent leurs découvertes. Bien qu'incomplètes, elles fournissent assez de lumières pour dissiper l'obscurité dont la matière était enveloppée. Il ne faut pas s'attendre à trouver un code électoral, des ordonnances spéciales, des règlements précis. La royauté a de l'antipathie pour les états généraux, peut-être le pressentiment qu'ils lui seront funestes. Elle ne leur donne pas une organisation, elle laisse ce qui les concerne dans le vague et régi par d'anciens usages qui prêtent à toutes sortes d'interprétations. C'est à l'aide de ces usages consacrés par des documents que l'on peut formuler un système. On en a déjà des traces aux états de 1560 ; il remonte probablement à des états antérieurs, mais il a présidé sans aucun doute aux états de 1576.

De l'avis de son conseil, ou de son propre mouvement, le roi arrête la convocation des états généraux, et manifeste son intention par des lettres circulaires, appelées lettres patentes, lettres de cachet, mandements, commissions.

Les lettres sont adressées aux baillis et sénéchaux, ou à leur lieutenant ; quelquefois aux gouverneurs pour les faire remettre à ces officiers, très-rarement à des villes.

Elles ordonnent aux baillis de faire assembler, dans la principale ville de leur ressort, le clergé, la noblesse et le tiers état, pour élire des députés, et dresser les cahiers de leurs doléances et remontrances.

Elles contiennent les motifs de la convocation des états généraux, tels que la réformation du royaume et le soulagement des peuples, le soutien de la religion et l'extirpation de l'hérésie, les troubles qui affligent l'intérieur du royaume, le remède à apporter aux maux causés par les guerres étrangères, les abus à réformer dans l'administration de la justice, de la police et des finances ; les subsides nécessaires aux besoins de l'État. Elles indiquent enfin le nombre des députés à élire, et le lieu et jour où se réunira l'assemblée.

Le nombre des députés est au moins d'un pour chaque ordre ou état ; il varie à chaque élection. Le nombre est presque laissé à l'arbitraire des assemblées de bailliage ; elles nomment parfois depuis un jusqu'à six et sept députés du même ordre. Les lettres royales donnent une grande latitude, et se réfèrent à ce qui a été accoutumé, à ce qui a été ci-devant observé.

Elles mandent que les députés viennent à l'assemblée avec d'amples instructions et des pouvoirs suffisants pour, selon les bonnes, anciennes et louables coutumes du royaume, faire entendre au roi, de la part de ses sujets, toutes leurs plaintes, doléances et remontrances conférer ensemble de leur contenu ; proposer franchement et librement toutes autres choses intéressant l'ordre public du royaume, le repos, la tranquillité et le soulagement des sujets ; enfin de faire, aviser et accorder tout ce qui leur paraîtra convenable pour maintenir ou rétablir l'harmonie dans toutes les parties de l'État, tant par de bonnes lois, qu'avec le secours des subsides.

Le roi assure que, de sa part, les députés trouveront toute bonne volonté et affection d'exécuter entièrement et faire observer ce qui aura été avisé et résolu aux états : que jamais il ne s'en départira, ni ne s'en dispensera en aucun point, afin que chacun, en son endroit, puisse recevoir et sentir les fruits qu'on peut et on doit attendre et espérer d'une telle et si notable assemblée.

A la réception des lettres du roi, le bailli, sénéchal, ou son lieutenant général, rend, sur les conclusions du procureur du roi, une sentence ou ordonnance qui ordonne la lecture à l'audience et l'enregistrement des lettres, leur publication à son de trompe et cri public, leur impression et affiche.

La sentence enjoint aux trois ordres du ressort, ecclésiastiques, nobles et gens du tiers état, savoir, aux deux premiers de se rendre, et au troisième d'envoyer des députés au bailliage pour l'assemblée qui doit s'y tenir au jour marqué.

Elle enjoint également aux habitants de chaque paroisse de la ville même, siège du bailliage et des faubourgs, de s'assembler pour nommer des députés, dresser leurs cahiers de remontrances, et les envoyer à l'assemblée générale du bailliage.

Elle recommande à ces députés de venir à cette assemblée, munis de pouvoirs suffisants des habitants, pour y présenter leurs cahiers, et pour contribuer à la nomination d'un ou de plusieurs députés du tiers état à envoyer pour tout le bailliage aux états généraux.

Elle indique le jour et le lieu où doit se tenir l'assemblée du bailliage, où chacun des trois ordres élira des députés pour se rendre aux états généraux, et y porter les cahiers de plaintes et doléances.

Elle menace de donner défaut contre ceux des trois ordres qui, sans excuses ou exoines valables, ne se rendront point à l'assemblée, et ne satisferont pas en tout, tant aux lettres du roi qu'à la sentence, sous peine, pour les ecclésiastiques, de la saisie de leur temporel, et pour les nobles et gens du tiers, d'être poursuivis suivant la rigueur des édits ou ordonnances royaux.

Elle ordonne l'envoi des lettres du roi et de la sentence aux sièges particuliers, aux comtés, baronnies et châtellenies du ressort, pour que les juges de ces tribunaux les fassent aussi lire, publier et enregistrer ; qu'ils enjoignent à tous les ecclésiastiques et nobles de leur ressort de se rendre et trouver, au jour indiqué, à l'assemblée du bailliage ; qu'ils envoient les lettres du roi et la sentence aux procureurs, syndics et fabriciens des paroisses de leur ressort, pour les faire publier aux prônes des messes paroissiales ; qu'ils enjoignent aux habitants de ces paroisses de députer deux d'entre eux, des plus notables, pour assister à l'assemblée du bailliage, et y apporter les cahiers de leurs plaintes, doléances et remontrances. Ils certifient de leurs diligences, et envoient des procès-verbaux de ce qui a été fait par eux pour l'exécution des lettres et sentence.

Il semblerait qu'il n'y a rien à ajouter à ces mesures, que tout a été sagement prévu par la sentence du bailli, et qu'il n'y a plus qu'à en attendre l'exécution. Cependant, par surcroît de précaution, le bailli adresse des commissions à des sergents ou huissiers, pour assigner les gens des trois ordres à comparaître, au jour et lieu indiqués, à l'assemblée générale du bailliage, et à s'y occuper des opérations déjà mentionnées. Comme c'est le bénéfice qui fait l'ecclésiastique, et le fief qui fait le noble, ces assignations, ne se donnant pas à la personne, sont portées, pour les ecclésiastiques, ordinairement à la maison principale du bénéfice, quelquefois à l'évêque, avec commandement de prévenir tous les bénéficiers de son diocèse ; pour les nobles, dans leurs maisons seigneuriales, ou à leurs procureurs fiscaux ; pour le tiers état, à la personne des procureurs, syndics et fabriciens des paroisses. Les sergents signifient aussi aux juges subalternes d'avoir à exécuter toutes les opérations prescrites par la sentence du bailli. Les frais de ces significations sont payés par les maires et fabriciens. Les sergents doivent rapporter des certificats de leurs diligences.

En vertu de cette série d'actes, tous les habitants ont été avertis ; ils ont eu le temps de se préparer aux opérations qui les concernent. Elles sont fort simples pour les ecclésiastiques et les nobles ; assignés individuellement à l'assemblée générale du bailliage, ils s'y rendent directement au jour indiqué ; les chapitres et communautés y envoient un député. En ce qui concerne le tiers état, les opérations sont compliquées ; le tiers état, c'est le peuple ; il ne peut venir à l'assemblée générale que par représentation, et en se réduisant par degrés depuis le village jusqu'au chef-lieu du bailliage.

Pour le clergé et la noblesse, l'exercice des droits politiques est inhérent aux bénéfices et aux fiefs ; pour le tiers état, à la qualité de Français domicilié. En général, il y a trois degrés de juridiction, et par conséquent trois degrés d'assemblées. Nous commençons par le plus bas.

Première assemblée, communes et villages. Ici se présente une grande innovation, un immense progrès. Depuis Philippe le Bel, pendant près de trois siècles, il paraît que le tiers état n'est représenté aux états généraux que par des députés des villes. C'est dans leur sein qu'est concentré pour la roture le droit de remontrances et d'élection, en un mot l'exercice des droits politiques. Le plat pays en est complètement privé. Maintenant les communes et villages prennent part aux opérations préliminaires ; la France a des assemblées primaires sur tout son territoire.

Au jour fixé, tous les habitants composant le tiers état, nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris an rôle des impositions, sont convoqués par le son de la cloche. Le juge, s'il y en a un, préside ; s'il n'y en a pas, le notaire ou un notable.

L'assemblée nomme quelques-uns de ses membres pour dresser le cahier de doléances ; elle en entend la lecture et l'arrête. Elle choisit deux délégués pour le porter à l'assemblée du bailliage dont le village ressort immédiatement, pour y être fondu avec ceux des autres villages ; elle donne à ces délégués des pouvoirs généraux ou spéciaux ; elle promet de les rembourser de leurs vacations et frais raisonnables.

Deuxième assemblée, bailliage du deuxième ordre. Elle est formée des délégués du chef-lieu, de ceux des communes de son ressort direct, et des communes des juridictions du troisième ordre. Elle est présidée par le bailli ou juge du deuxième ordre. Le greffier fait la liste des membres. On forme un comité pour examiner les divers cahiers et les réunir en un seul. Il est lu et arrêté. On nomme des délégués pour porter ce cahier à l'assemblée du bailliage principal, et y élire des députés aux états généraux.

La ville chef-lieu de bailliage et sénéchaussée tient son assemblée particulière. Elle est composée en général du tiers état de la ville et des faubourgs, sous le nom de manants et habitants, et en particulier de quatre classes : 1° des officiers municipaux, maire, échevins et conseillers de ville ; 2° des délégués de chacune des paroisses de la ville, nommés dans la forme des assemblées de village ; 3° des délégués des différents corps de la ville, notaires, procureurs, médecins, chirurgiens, tabellions, sergents et autres ; 4° des délégués des communautés d'arts et métiers ; en un mot de tout ce qui forme corps et association légale. Ces délégués sont nommés dans des assemblées particulières de ces classes qui leur donnent leurs remontrances et leurs pouvoirs.

L'assemblée de ville procède comme celle du bailliage du deuxième ordre. Il est établi à l'hôtel de ville un coffre ou tronc, fermé à clef, à tout habitant est invité à déposer ses plaintes et remontrances.

Troisième assemblée, bailliage principal. Le bailli ou sénéchal la préside. Elle se compose des trois ordres, les ecclésiastiques, les nobles et le tiers état. Après l'ouverture, les trois ordres se séparent pour rédiger leurs cahiers et nommer leurs députés aux états généraux.

Les ordres sont ainsi composés : le clergé, des députés des différentes communautés ecclésiastiques, chapitres, abbayes régulières et séculières, et de tous les curés du ressort du bailliage ;

La noblesse, de tous les possédants nefs et biens nobles du même ressort ;

Le tiers état, des délégués nommés par les assemblées de bailliages de deuxième ordre et par l'assemblée de la ville chef-lieu.

Chaque ordre s'organise et commence par rédiger son cahier. Celui du tiers état se compose de la compilation de tous les cahiers dressés dans les assemblées des premier et deuxième degrés. Le cahier arrêté, chaque ordre procède à la nomination de ses députés aux états généraux, et leur donne des pouvoirs et instructions. Pour être électeur ou éligible, on n'exige pas d'autres conditions que pour voter dans les assemblées primaires : Les choix sont libres, on prend la capacité là où on croit la trouver. Toutes les élections se font par appel nominal, à haute voix et à la pluralité. Les trois ordres rapportent à l'assemblée générale le résultat de leurs assemblées particulières ; il est dressé des procès-verbaux de toutes ces opérations.

A Paris, le système éprouve dans les formes quelques modifications motivées sur les circonstances particulières à cette capitale, mais qui n'altèrent en rien le droit commun suivi dans tout le royaume.

Dans les provinces connues sous le nom de pays d'états, telles que la Bretagne, le Dauphiné, la Provence, les formes sont plus simples. Ces provinces ayant un corps de représentants permanent, c'est dans le sein de ce corps que sont choisis les députés aux états généraux, et que leurs cahiers de remontrances sont rédigés, cependant d'après les mémoires et instructions envoyés de toutes les parties de la province.

Le système dont on vient de donner l'analyse, sans être parfait, avait de grands avantages. Depuis le plus petit village jusqu'à la capitale, tous les manants et habitants, de quelque état et condition qu'ils fussent, participaient à l'exercice des droits politiques. Ils avaient le droit de concourir directement à la rédaction des cahiers de doléances et remontrances, c'est-à-dire d'exposer leurs vues et leurs opinions sur toutes les affaires d'État. Ils concouraient directement ou indirectement à l'élection des représentants de la nation. C'était le suffrage libre et universel avec plusieurs degrés. On était électeur, éligible, sans aucune condition de propriété, de cens, de capacité, en payant une contribution quelconque comme pour être citoyen actif. Point de scrutin secret ; toutes les élections se faisaient à haute voix. L'indemnité attribuée aux députés agrandissait le cercle des candidats. En acceptant leur mission, les députés s'obligeaient à présenter les cahiers de leurs commettants. Les pouvoirs mêmes, ou mandats impératifs, malgré leur inconvénient, témoignaient de la puissance du peuple et de sa liberté.

Maintenant, en comparant ce système au régime électoral constitutionnel, on peut juger si nous sommes en arrière ou en avant de nos aïeux.

Les députés aux états généraux étant nommés, ils se rendent dans la ville indiquée par les lettres de convocation. Le roi s'y trouve avec toute sa cour. Une ordonnance royale est publiée ; elle prévient les députés huit ou dix jours d'avance du lieu et du jour où il entend faire l'ouverture des états ; elle leur ordonne de se réunir pour conférer, et de se séparer ensuite par ordre, pour procéder à des opérations préparatoires. Des locaux leur sont assignés par l'ordonnance. Jusqu'ici les ordres ont procédé tantôt séparés, tantôt réunis. C'est le tiers état qui répugne le plus à la réunion, probablement pour rester plus indépendant dans la manifestation de ses griefs qui affectent les deux autres ordres.

Chaque ordre nomme provisoirement et par acclamation un président et un secrétaire ou greffier ; le greffier fait par gouvernements et bailliages l'appel des députés, et les enregistre. Ils se partagent par gouvernements pour faire la vérification des pouvoirs. Cette opération est rapportée à l'assemblée générale de l'ordre. Elle statue ensuite sur la manière dont elle opinera : si ce sera par bailliages ou par gouvernements. La noblesse et le tiers état votent par bailliages pour leurs élections, et par gouvernements sur toute autre matière. Le clergé vote en tout par provinces ecclésiastiques. Le vote par gouvernements ou par bailliages ne donne pas la vraie majorité. Tous les gouvernements n'ont pas un nombre égal de bailliages ; tous les bailliages ne nomment pas un nombre égal de députés. Le vote par tête est le plus sûr et le plus simple, on n'y pense pas ; l'esprit provincial l'emporte sur le principe de l'unité.

L'assemblée de chaque ordre, que nous appellerons chambre, se constitue définitivement. Elle élit un président et un vice-président. Le président remercie la chambre ; debout et tête nue, il fait serment de bien et fidèlement s'acquitter de cette charge et de tenir secrètes les délibérations. La chambre élit un secrétaire ou greffier, et deux assesseurs sous le nom d'évangélistes. Ils remercient et prêtent serment. Le clergé élit en outre un promoteur il fait les réquisitoires. Ces élections se font librement et de vive voix. Ensuite tous les membres de la chambre prêtent serment d'exercer saintement leur charge de député, de servir le public religieusement, le roi fidèlement, et de garder le secret : ce secret, du reste très-mal observé, ne peut s'expliquer que par l'antagonisme des trois ordres et leur défiance des intrigues de la cour.

Les chambres, s'étant ainsi constituées, s'en préviennent et se visitant et complimentant mutuellement par des députations. Dans ces démarches on observe rigoureusement les lois de préséance et d'étiquette.

La chambre élit son orateur. C'est lui qui est chargé de haranguer le roi dans la séance d'ouverture des états et de porter la parole au nom de la chambre.

Elle s'occupe des contestations qui se sont élevées sur la validité des pouvoirs et sur les rangs et séances. A cet égard la jurisprudence varie. Ces questions ont été jugées tantôt par la chambre tantôt par le roi en son conseil. Chacune de ces deux autorités a tour à tour reconnu ou contesté ce droit à l'autre. La raison et les principes l'attribuent à la d'ambre, ou peut-être aux trois chambres réunies.

Alors viennent les cérémonies religieuses, jeûne général, prières publiques, messe solennelle, communion, procession, où figurent le roi, sa cour et les députés.

L'ouverture des états est faite par le roi.

La veille, le grand maître des cérémonies prévient les députés de l'heure et du lieu. Ils s'y rendent et se réunissent par ordres. Un héraut d'armes, placé à une fenêtre au-dessus de la porte de la salle, appelle, en commençant par le clergé, les députés de chaque bailliage suivant le rang des bailliages que le roi a arrêté. Un autre héraut reçoit le député appelé, l'introduit dans la salle, le remet à un maître des cérémonies qui le conduit à la place qui lui est assignée. Cette formalité fort longue, terminée, on va chercher le roi.

Il entre avec sa famille et sa cour. Les députés se lèvent, et restent debout et découverts, jusqu'à ce que le roi leur ordonne de s'asseoir. Tout ce qui l'accompagne attend le même ordre pour prendre place.

La séance est publique, c'est-à-dire que les très-petites parties de la salle qui ne sont pas occupées par l'assemblée le sont par des spectateurs qui n'y entrent que par billets.

Au signal donné par le chancelier, les hérauts d'armes ordonnent de par le roi de faire silence.

Le roi prononce un discours pour exposer les motifs de la convocation des états. Le chancelier les explique ensuite avec plus d'étendue.

L'orateur de chaque ordre répond par des remercîments et des louanges, plus ou moins longuement délayés. Il s'avance vers une espèce de prie-Dieu en face du roi. L'orateur du clergé et celui de la noblesse s'agenouillent ; le roi leur ordonne de se lever ; ils parlent debout et découverts ; les membres des deux ordres s'assoient par ordre du roi. L'orateur du tiers état parle à genoux, tous les membres debout. En 1560, le tiers état avait été traité comme les autres ordres.

Après ces discours, le chancelier prend les ordres du roi et dit aux députés qu'ils peuvent s'assembler pour dresser leurs cahiers, les présenter, et les assure que l'intention du roi est de les répondre promptement, bénignement et à leur satisfaction.

La séance est levée ; les états ont ce qu'on appelle os apertum.

Le premier et le plus essentiel de leurs travaux est la rédaction du cahier dans chaque chambre. Elle se divise en gouvernements. Chaque gouvernement, opinant par bailliages, nomme un président et un secrétaire. Elle choisit le cahier d'un bailliage pour servir de base à la compilation et réduction à un seul des cahiers des autres bailliages. Les opinions se prennent par bailliages. Chaque gouvernement, ayant ainsi arrêté son cahier, l'apporte dans l'assemblée générale de la chambre. Là on procède, comme on l'a pratiqué dans l'assemblée particulière de chaque gouvernement, à la compilation et réduction en un seul cahier des cahiers des gouvernements. Ainsi se forme le cahier général de chaque ordre. Quelquefois les trois ordres se concertent par commissaires sur des articles. Les propositions viennent ordinairement du clergé, la noblesse ne s'y refuse guère ; le tiers état s'y prèle difficilement, par la raison que ces deux ordres ont la majorité dans les conférences. Chaque ordre nomme son orateur pour faire le discours qui accompagne la présentation de son cahier, lui trace les points principaux de ce discours, ou en exige la communication avant la rédaction définitive ou avant qu'il soit prononcé.

Pendant le travail des cahiers, chaque chambre, en assemblée générale, soit de son propre mouvement, soit saisie par des pétitions ou par le roi, s'occupe de toutes sortes de matières, discute et délibère. Les chambres communiquent entre elles par des députations semblables pour la forme et le cérémonial à celles qu'elles s'envoient pour se complimenter.

Des communications respectives ont lieu entre le roi et les chambres. Le roi leur envoie des commissaires, même son chancelier ; ou bien il mande des membres des chambres pour leur faire connaitre lui-même ses intentions. Ces communications sont le plus souvent orales.

En toutes matières, dans les chambres on opine par gouvernements, dans la même forme que pour la compilation des cahiers.

Soit que les états demandent au roi à lui présenter les cahiers, ou ' bien qu'il en provoque la présentation, il leur assigne un jour. Cela se passe ordinairement dans la salle d'assemblée des états généraux avec la même solennité qu'à la séance d'ouverture. Les orateurs prononcent leurs harangues, et présentent les cahiers au roi qui les remet au chancelier. Le roi répond en peu de mots, remercie les états, promet de faire examiner les cahiers et de les répondre promptement et favorablement. Ainsi est close la session des états.

Cependant tout n'est pas fini. La réponse aux cahiers est le complément nécessaire des travaux des états. C'est la loi formée par leur concours et celui du pouvoir royal. Ils ne regardent pas leur mission terminée tant que la réponse n'a pas été faite. Il n'y a pas à cet égard de règle fixe. C'est une source de conflits, de questions, de difficultés. Tantôt du consentement, même par ordre du roi, les états restent à leur poste. Le conseil royal fait des réponses aux cahiers. Les états délèguent ou refusent des commissaires pour assister à ce travail. Parfois les députés sont congédiés avant les réponses et laissent quelques-uns d'entre eux pour les recevoir. Si les réponses sont promptes, elles sont brèves, sommaires, provisoires, sauf rédaction. Souvent les cahiers restent oubliés. En général, les ordonnances rendues sur les cahiers se font longtemps attendre. Le vice de ce procédé est évident. Mais la-royauté, malgré ses promesses de consacrer les délibérations des états, se prétend l'unique source de la loi.

Avant de retourner dans leurs provinces, les ordres se complimentent réciproquement, comme à leur arrivée, pour prendre congé, Ils le prennent aussi du roi. Ils règlent diverses petites dépenses faites pour leur service intérieur. Ils demandent au roi d'aviser à la taxe d'indemnité des députés.

Dans ses lettres du 6 août 1576, le roi donne les motifs de la convocation des états généraux. Depuis son avènement, il n'a rien tant désiré que d'apaiser les troubles, et de mettre fin aux désordres, suites des guerres civiles, de rétablir toutes choses dans leur première splendeur, de soulager ses sujets. Il a toujours pensé qu'il ne pouvait mieux : atteindre ce but que par la convocation des états. 'Maintenant qu'il est parvenu à pacifier le royaume, son intention est de tenir les états libres et généraux des trois ordres au 15 novembre, à Blois. Il ordonne de convoquer dans la principale ville du ressort tous ceux des trois états, ainsi qu'il est accoutumé faire et que ci-devant s'est observé en semblable cas, pour conférer ensemble de leurs remontrances, plaintes et doléances, des moyens et avis qu'ils auront à proposer, et ensuite élire un d'entre eux de chaque ordre, avec amples instructions et pouvoirs suffisants. Il assure les états qu'ils trouveront de son côté toute bonne volonté et affection d'exécuter entièrement ce qui aura été avisé et résolu avec eux, pour que chacun reçoive les fruits qu'on peut et doit attendre et espérer de l'issue d'une telle et si notable assemblée.

Le pouvoir royal s'incline humblement devant celui de la représentation nationale. Les paroles du roi sont on ne peut pas plus bienveillantes et libérales. Style habituel de chancellerie ! Mais elles sont d'un vague qui ne permet pas d'apercevoir les desseins de la cour.

On va procéder aux élections. Le parti calviniste ne s'en mêle pas, il n'a aucune chance ; il se réserve de contester la légalité des états. Les élections ne peuvent être disputées qu'entre la cour et la ligue. Elles veulent toutes les deux de bons catholiques ; mais la ligue, les catholiques exclusifs et les plus exagérés. Des instructions secrètes sont envoyées aux gouverneurs et aux lieutenants généraux des provinces. On y répand même, dit-on, de l'argent pour acheter les suffrages. Il est fourni par les maltôtiers italiens qu'on menace de rechercher pour leurs malversations. On dit hautement partout qu'on ne doit garder aucune foi aux calvinistes, ni observer l'édit de pacification qu'ils ont extorqué par la force.

La cour invite le roi de Navarre, le prince de Condé et le maréchal Damville à se rendre aux états. Ils protestent contre tout ce qui s'y fera, attendu qu'ils ne sont pas convoqués légalement.

Après avoir mis ordre aux affaires dans la capitale, le roi, la reine mire, avec leur cour, se rendent à Blois vers la mi-novembre. La plupart des députés n'y étaient pas encore. Le bruit se répand que les états ne s'assembleront pas. La cour envoie des courriers pour le démentir et presser les députés, surtout les princes du sang, d'arriver. Les premiers jours se passent en visites et en compliments. Les états se constituent et s'organisent, chacun d'eux séparément. Le clergé nomme pour président et orateur Pierre Despinac, archevêque de Lyon ; il passe pour un homme très-digne et très-capable, tant pour sa grande doctrine que pour être d'une bonne et sainte vie, ce qui lui donne une merveilleuse hardiesse pour parler librement, et ne pas craindre de remontrer franchement au roi ce que l'Église est appelée à dire. En outre, il n'est pas, comme beaucoup d'autres, du conseil privé et courtisan ; il n'aspire point à ces honneurs, et aux faveurs des princes. Ces considérations déterminent le choix de la chambre. La noblesse élit pour président Claude de Beaufremont Senecey, fils du grand prévôt de l'hôtel ; le tiers état, Claude Lhuillier, prévôt des marchands de Paris ; et pour orateur, l'avocat Versoris.

Comme aux états de 1560, on arrête dans chaque état de voter par gouvernement. Le clergé veut voter par métropole, mais il finit par se ranger à la décision des deux autres ordres. La délibération de chaque état se forme à la majorité des votes des douze gouvernements.

Suivant l'usage, on fait la vérification des pouvoirs dans chaque gouvernement, après la nomination des présidents et greffiers.

Le clergé tend toujours à se faire le centre commun des trois états, à les diriger, à se rendre leur organe. Il propose de ne faire qu'un cahier général qu'il présentera au roi, comme cela s'est fait aux états de Tours, sous Charles VIII. La noblesse, sympathisant avec le clergé, accepte volontiers sa suprématie ; mais le tiers état, tout en professant respect et déférence pour ses pères spirituels, est jaloux de son indépendance. Il consent à ce qu'on s'entende en général pour un seul cahier, mais il se réserve de faire un cahier à part pour des objets particuliers. Ce concert n'eut pas lieu.

Sur la proposition du clergé et de la noblesse, il est arrêté que chaque état nommera douze députés qui se réuniront pour traiter des objets communs, et en feront rapport à leurs compagnies pour en délibérer.

L'usage est d'implorer la bénédiction du ciel avant de commencer les travaux. Impie, dissolue et hypocrite, la cour met un grand empressement à remplir ce pieux devoir. Elle ordonne un jeûne de trois jours, et une procession générale terminée par la messe ; elle y assiste avec les états. L'évêque d'Angers prêche, et fait la leçon à chacun des trois états. L'archevêque de Lyon avait déjà dit dans la chambre du clergé qu'il était non-seulement agité et travaillé par les hérésies et autres injures du temps, mais aussi difforme en lui-même de son ancienne splendeur et intégrité. Suivant l'évêque d'Angers, les prélats pourvoient mal à leurs troupeaux ; ils donnent les bénéfices à leurs serviteurs et amis : plusieurs cures restent saris curé ni prêtre ; il reproche au roi de donner les bénéfices à des gens incapables. La noblesse prend les dîmes des curés ; elle a commencé par demander la paille, maintenant elle prend le blé et le vin ; elle tourmente de telle manière les pauvres curés, qu'ils sont obligés de déguerpir et d'aller mendier. Il combat vivement l'usage du duel et le point d'honneur. Quant au tiers état, il lui reproche particulièrement l'usure. Le clergé arrête que tous ses membres recevront la communion. Il est question d'inviter la noblesse et le tiers état à s'approcher aussi de la sainte table. On veut par là mettre dans l'embarras et signaler les députés suspects de calvinisme. Quelques ecclésiastiques, animés de l'esprit de tolérance et de charité, s'y opposent. On se borne à prévenir les deux états de l'acte religieux que se proposait d'accomplir le clergé. Le roi, les reines, les princes, et environ deux cents députés communient.

La question religieuse est la première qui se présente aux esprits, et qui les préoccupe. Des historiens doutent que Henri III voulût extirper le calvinisme, et lui supposent des sentiments modérés. Les faits vont répondre. Le 2 décembre ; il tient un conseil intime auquel assistent sa femme, sa mère, son frère, le cardinal de Bourbon, le duc de Montpensier, le chancelier, quelques ministres. Il y est décidé que, si l'unité de religion est demandée par les états, on en fera une loi expresse. Ainsi le roi les laissera faire. C'est de concert avec lui que d'Humières, commandant à Péronne, a formé la ligue de Picardie, en opposition à Condé, et que des actes d'adhésion circulent partout. Dans ce moment même, le roi confie au duc de Nevers qu'il fonde les plus grandes espérances sur la ligue.

Dans chacun des trois états, la question religieuse est agitée. Juge et partie intéressée, le clergé n'hésite pas. La noblesse suit l'impulsion du clergé. Le tiers état est divisé. La discussion est animée, et la lutte violente. Les deux champions opposés sont Versoris, orateur du tiers état et député de Paris, dont le cahier demande la seule religion catholique, et Jean Bodin, député du Vermandois, dont le cahier veut le maintien de l'édit de pacification. Versoris est un fanatique et l'hm damnée des jésuites ; Bodin, auteur de la République, est pour la tolérance, le maintien des traités, et la réformation du royaume ; il est considéré pour sa haute raison, sa science, son incorruptibilité. La cour a pour lui toutes sortes d'égards et de soins ; le roi le fait manger à sa table afin de discourir avec lui des affaires publiques[2]. Un tiers parti vote pour la religion catholique exclusive, pourvu que cela ne rallume pas la guerre civile ce qui n'est guère possible. Rien n'est décidé : la question est réservée.

Dans la prochaine solennité de l'ouverture des états généraux, on s'occupe fort peu de placer convenablement le tiers état ; il envoie une députation au roi pour le prier de lui faire assigner dans ta salle une place où il ne soit pas derrière les deux autres états, et d'où il puisse commodément voir la face et entendre les paroles royales.

Le 6 décembre, on publie à son de trompe que le roi fera ce jour-là l'ouverture des états, et que les députés aient à se trouver dans la cour du château de dix à onze heures. A midi, des hérauts appellent les députés des trois ordres par gouvernement, Paris, Bourgogne, Normandie, etc. Un maître des cérémonies les reçoit au pied de l'escalier conduisant à la grande salle, les y introduit, et les place sur des bancs, savoir le clergé à droite du trône, la noblesse à gauche, le tiers état derrière ces deux états. Cette opération dure plus d'une heure et demie. Ou va chercher le roi ; il est précédé par les membres du conseil privé, les secrétaires d'État, les grands officiers de la couronne, les pairs, les cardinaux qui se placent sur un échafaud élevé de trois pieds au-dessus du sol. Le roi s'assied sur sa chaise, ayant à sa gauche la reine sa femme, à sa droite la reine mère et Monsieur, derrière lui ses deux cents gentilshommes armés. La salle est magnifiquement décorée. On y a ajouté une vaste galerie pour les dames de la cour et de la ville. Une porte qui répond dans la basse-cour reste ouverte pour introduire le peuple derrière une barrière.

Lorsque le roi entre, toute l'assemblée se lève et se découvre ; les députés du tiers état mettent un genou en terre jusqu'à ce que le roi et les reines se 'soient assis. Le roi fait ordonner à l'assemblée de s'asseoir. Elle est ainsi composée : députés du clergé cent quatre, dont quatre archevêques et dix-sept évêques ; de la noblesse, soixante et quinze ; du tiers état, cent cinquante ; il s'y trouve pour la première fois trois députés qualifiés laboureurs ou marchands ; total, trois cent vingt-six. Ce nombre s'augmente de plusieurs députés qui n'arrivent qu'après la séance d'ouverture. Le roi lève son bonnet, salue l'assemblée, et prononce une harangue. Il compte sur cette réunion de tant de gens de bien, d'honneur et d'expérience, pour trouver les remèdes aux maux dont l'État est affligé. Lorsqu'il compare au présent les temps des rois son père et son aïeul, il reconnaît combien leur condition était heureuse, et la sienne dure et difficile ; il n'ignore pas que le vulgaire, peu clairvoyant, s'en prend à son prince de toutes les calamités publiques et privées, l'en accuse et lui en demande compte, comme s'il était en son pouvoir d'y obvier, et d'y remédier aussi promptement qu'on le voudrait ; il se justifie d'avoir été la cause des troubles qui ont produit tant de misères ; il en décharge aussi la reine mère qui, d'une main habile et ferme, a tenu le gouvernail pour sauver le royaume battu par la tempête ; il expose les services qu'au péril de sa vie il a rendus au feu roi son frère dans la guerre, les peines qu'il s'est données pour pacifier le royaume avant son départ pour la Pologne, l'état de confusion dans lequel il l'a trouvé à son retour, ses vains efforts pour concilier les esprits et rétablir l'ordre, son regret d'avoir été obligé de recourir aux armes, enfin la jouissance qu'il a éprouvée en éteignant le flambeau de la discorde ; il n'ignore pas qu'un si long, un si vaste incendie laissait après lui des restes qui pourraient facilement le rallumer, si on ne les détruisait pas ; il veut y travailler, et assurer une bonne paix ; il espère y réussir avec le concours des états, s'ils sont unis et animés du même esprit que lui ; il promet, parole de roi, de faire inviolablement garder tous les règlements et ordonnances qui seront faits par lui dans cette assemblée.

Le roi ayant fini de parler, toute l'assemblée se lève pour le saluer. Le respect ne permettant pas sans doute d'applaudir et de crier, on se borne à exhaler des soupirs, et à verser des larmes d'attendrissement, de plaisir ; du moins, des contemporains l'ont écrit. Henri III, assure-t-on, avait la parole ferme, haute, diserte, attrayante. Mais cette belle harangue avait été composée par Jean de Monvilliers, évêque d'Orléans ; elle ne contient pas une idée, une vue, une proposition. L'orateur royal se renferme dans de vagues généralités, et ne laisse rien percer de ses projets.

Le chancelier de Birague prend ensuite la parole. Autant la harangue du roi fut trouvée éloquente, autant, disent les historiens, celle de Birague fut ennuyeuse et ridicule. Après s'être excusé sur sa vieillesse, sur son ignorance des affaires de la France, parce qu'il était étranger, il débite un long discours de la puissance et des mérites du roi, et fatigue tout le monde des louanges de la reine mère. Il passe en revue les trois étals, fait des remontrances assez douces au clergé, est aigre pour la noblesse, et lui reproche d'être irréligieuse, indévote, de ne plus porter à l'église les heures et les chapelets, de n'être plus aussi prompte aux armes pour le service de Dieu et du roi, et d'user de beaucoup de violences et de concussions envers ses sujets et les pauvres laboureurs. Quant au tiers état, le chancelier veut bien reconnaître qu'il est aussi utile et nécessaire à la république que les deux autres états ; il le compare aux nerfs et veines du corps, il le divise en justice, marchandise, arts mécaniques, gendarmerie à pied et labourage, et fait à chacun sa leçon, excepté les laboureurs, qui avaient plus besoin de commisération que de recevoir des morales. Quant au roi, comme de raison, il n'y a aucun reproche à lui faire ; bien qu'il n'ait que vingt-cinq ans, il a plus de prudence, d'expérience, de bonté, de magnanimité, que ne le comporte son âge, et que beaucoup d'autres rois dans leur extrême vieillesse. Pour la reine mère, que l'opinion accuse, sans elle, ses peines continuelles, sa prudence, sa laborieuse industrie, tout était perdu, le royaume en proie à la guerre civile, l'Église ruinée, la couronne et la succession paternelle enlevées à ses enfants, et la monarchie dans une déplorable combustion. Le chancelier arrive au ménage du roi, qui est eu piteux état et d'une insigne pauvreté ; il conclut par demander de l'argent, et promet de donner des états de situation des finances. Le roi, ajoute-t-il, entend que chacun propose ses doléances librement et franchement, ainsi qu'il le jugera nécessaire et à propos, avec la modestie, le respect et la discrétion convenables à des personnages vertueux et prudents... Vous savez tous que le roi n'a à rendre raison à autre qu'à Dieu. Du reste, aucune initiative précise de réforme et d'amélioration.

Ayant encore pris les ordres du roi, le chancelier, assis, annonce aux députés, debout et tête découverte, que sa majesté leur permet de s'assembler pour aviser à ce qu'ils auront à remontrer et à requérir, et qu'elle sera prête à les entendre quand ils voudront.

Alors l'archevêque de Lyon pour le clergé, Rochefort pour la noblesse, et Lhuillier pour le tiers état, adressent de courtes allocutions de remercîment au roi ; les deux premiers états faisant une grande révérence jusqu'à donner d'un genou en terre, le tiers état restant sur un genou. La séance est levée.

Les jours suivants, les états s'assemblent séparément pour arrêter leurs cahiers et les fondre dans un cahier général.

Le 8 décembre, on ne fait que prier Dieu, c'était la conception de Notre Dame. Après la messe, le roi touche environ trois cents pauvres malades des écrouelles, qu'on a apparemment rassemblés de loin. Pourquoi pas des nobles, des bourgeois et des riches ? Les écrouelles .n'étalent pas seulement un mal du peuple. Combien sont guéris ? on ne le dit pas.

Le 11, on propose une requête au roi pour demander trois choses : que tout ce qui sera unanimement arrêté par les états soit approuvé par le roi, et devienne une loi irrévocable et inviolable ; que pour les points sur lesquels les trois états ne seront pas d'accord, le roi leur donne une liste de son conseil privé, dans laquelle ils éliront des juges non suspects ; que chacun des états nomme douze députés qui assisteront ces juges. Cette prétention est une atteinte extrêmement grave aux droits de la royauté ; il est remarquable que c'est le clergé qui l'élève. Elle donne lieu à une discussion sérieuse. Sur le premier point, on oppose qu'il préjudicie à la souveraineté du roi, qui ne lui permet pas de se soumettre à la volonté de ses sujets ; il dira, avec raison, que, dans l'ignorance de ce qu'on lui proposera, il ne peut pas s'engager d'avance à l'approuver. On répond : Le roi ne se fait aucun tort ; ses sujets ne lai demanderont que des choses concernant le bien de son service, l'honneur de Dieu et le bien du royaume ; la monarchie s'élève et se fortifie lorsque les lois sont faites par le consentement des trois états ; ai le roi retient le pouvoir d'accepter ou de rejeter ce que lui proposeront les états, il est inutile de les assembler ; s'il ne s'agit que de lui adresser des doléances, pour qu'il en juge suivant sa volonté, il suffit d'envoyer un procureur ou messager pour les présenter sans tant de peine et de frais. Le tiers état a un autre motif pour s'opposer à ce que chaque état nomme douze députés pour assister à l'examen des cahiers par le conseil, c'est que les délégués du clergé et de la noblesse seraient vingt-quatre contre douze.

Sur les deux autres points, on dit : Si les états s'arrogent le droit de mettre dans le conseil privé et d'en exclure qui ils voudront, le roi ne sera plus que le valet des états, du moins il ne sera plus ni roi, ni chef, il dérogera à sa souveraineté. Les réponses abondent : il est évident que les malheurs de la France proviennent de la mauvaise composition du conseil du roi. Ce sont les mauvais conseillers qui ont conseillé l'édit de janvier, la vente du bien de l'Église, l'augmentation des tailles et subsides, le maintien de la gendarmerie et tant d'autres choses qui ont mis le royaume en combustion. Est-il raisonnable d'attendre de ces conseillers qu'ils veuillent travailler à une réformation ? Ils défendront leur ouvrage, ils seront juges et parties. Il est naturel d'admettre dans le conseil des membres des états ; ils sont convoqués pour présenter leurs plaintes ; le roi, dans sa harangue, les a déclarés ses conseillers. Il est bien séant qu'ils assistent et donnent leurs avis dans un lieu où il s'agit du bien général et du repos de ceux qui les ont députés.

La proposition de la requête est appuyée par la noblesse ; elle répugne au tiers état. Ce sont les deux états privilégiés, qui, soutiens naturels du trône, veulent limiter à ce point l'autorité royale ou plutôt la dénaturer. Dans cette circonstance, le clergé est poussé par son intérêt personnel. Il reproche au conseil du roi l'édit de janvier et la vente de biens de l'Église. Ces réformateurs, organes de la ligue, sont beaucoup plus hardis que les calvinistes, et plus avancés que les politiques de nos jours, car ils ne laissent pas même au pouvoir royal le veto sur les délibérations des états.

Les trente-six délégués des trois états qui discutent ce projet, ne pouvant pas s'accorder, l'évêque de Paris les tire d'embarras par un terme moyen, qui ne change que la forme et ne touche pas le fond. Puisqu'on est effrayé d'une requête écrite qui resterait et exigerait une décision royale, il propose qu'on se borne à faire verbalement la demande au roi, ce qui se passera en conversation et ne laissera pas de trace. Cet avis est suivi.

Les délégués des états se rendent chez le roi. Il les reçoit, assisté de la reine mère, de son frère, Monsieur, du cardinal de Bourbon, de MM. de Montpensier, de Guise, de Morvilliers, de Limoges et autres. L'archevêque de Lyon porte la parole, et proteste que les états ne veulent en rien toucher à la souveraineté du monarque. Dans sa réponse, le roi montre qu'il a été bien informé de la délibération des états, et qu'il s'est préparé. Il ne veut, dit-il, se lier par aucune promesse, ni déroger à son autorité pour la transporter aux états. Le bien de son service, l'honneur de Dieu et le repos public, tout cela, est bien vague ; il ne sait pas ce que, sous ces prétextes, les états pourront lui demander. Il estime, parmi eux, de bons et loyaux sujets, il n'a jamais douté de leur fidélité ; ils doivent être assurés qu'il-leur sera toujours bon roi, prêt à recevoir leurs bons conseils et avis, et à y satisfaire en tout ce qui lui sera possible. Quoiqu'il n'ait dans son conseil et près de sa personne que des gens de bien et d'honneur, il donnera volontiers la liste aux états, afin qu'ils en choisissent un certain nombre pour traiter de leurs affaires, et qu'ils lui fassent connaître leurs soupçons contre les autres, qu'il estime gens de bien jusqu'à ce qu'on lui ait prouvé le contraire. Il accorde que les trente-six députés soient admis dans son conseil pour traiter, répondre, répliquer et résoudre les affaires des états, bien qu'il n'y soit pas tenu, et que ce soit une chose inaccoutumée, mais pour leur montrer qu'il ne veut en rien se départir de la bonté naturelle que doit avoir un prince humain et généreux envers ses sujets. Dès ce moment, le roi reconnaît que la ligue prétend lui faire la loi.

Tout se réunit pour le lui prouver. Le procureur général la Guesle apporte au clergé, de la part du roi, un plan de réformation qu'il avait fait rédiger avant son départ pour la Pologne. C'est à peu près une répétition de ce qui est contenu dans les cahiers du clergé excepté l'élection aux bénéfices qu'il réclame, et que le roi n'est pas disposé à accorder. On remercie assez froidement le procureur général de sa communication, en lui faisant observer qu'en matière de réformation la cour, et non le clergé, a toujours été en arrière. Comme c'est un bruit répandu dans les états, que le roi ne tiendra aucun compte de leurs délibérations, ce magistrat dit que sa majesté eut avoir une puissance souveraine, mais que, dans les choses bien ordonnées, elle veut bien lâcher la bride, et que son pouvoir soit limité. Ainsi la royauté s'engage imprudemment dans la voie des concessions, et trahit sa faiblesse.

La cour s'inquiète fort peu de réformer les abus et de rétablir dans l'administration, la justice et les finances, l'ordre que réclamaient en vain tous les états généraux. Elle n'a que deux buts principaux, anéantir la religion réformée, maintenir exclusivement la religion catholique, obtenir de l'argent pour faire la guerre aux calvinistes et continuer ses prodigalités ruineuses. Les intrigues, les séductions, les promesses, les menaces, on n'épargne rien pour gagner les députés. Peu disposés à donner de l'argent, ils se montrent plus faciles pour la religion. Le vote du clergé est connu d'avance. Le parti catholique et ligueur ayant dominé dans les élections, la majorité des députés de la noblesse et du tiers état lui semble acquise. Cependant il y a une minorité d'hommes politiques, impartiaux. La majorité elle-même répugne à la violence : le roi pourrait en tirer parti, s'il penchait vers la modération, ou du moins attendre, comme il y avait paru disposé, le vote des états. Mais il le prévient, lève le masque et se prononce dans un conseil. Il ne veut plus, dit-il, deux religions, il ne peut agir contre le serment qu'il a prêté à son sacre ; il n'a rendu le dernier édit que dans l'espoir de la paix, pour renvoyer les troupes étrangères et arracher son frère, Monsieur, à ses liaisons avec les hérétiques. N'ayant pas obtenu la pacification, il revient à son premier serment. Par ce moyen, il ferme la porte à toutes capitulations dans l'intérieur et à tous traités avec l'étranger.

Lorsque la question est agitée dans l'assemblée du tiers état, fort de l'assentiment du clergé, de la noblesse, et du cahier de l'Ile-de-France, Versoris dit que le roi veut et entend qu'il n'y ait qu'une seule religion. Bodin répond que c'est la guerre, et insiste pour le maintien de l'édit de pacification. Sept gouvernements, l'Ile-de-France, Normandie, Champagne, Languedoc, Orléans, Picardie et Provence, décident que le roi sera supplié de réunir tousses sujets à la religion catholique et romaine par les meilleurs moyens et les plus saintes voies que faire se pourra ; de supprimer tout exercice de religion prétendue réformée tant en public qu'en particulier ; de contraindre les ministres, dogmatisants, diacres, surveillants, à vider le royaume ; de prendre en sa protection les autres sujets de ladite religion, en attendant qu'ils se convertissent à la religion catholique. Cinq gouvernements, Bourgogne, Bretagne, Guienne, Lyonnais, Dauphiné, demandent qu'on ajoute que la réunion des sujets à la religion catholique se fasse par des voies douces, pacifiques et sans guerre. Cette addition contrarie les plans de la cour et de la ligue, elle est rejetée. Les cinq gouvernements réclament, s'emportent, et soutiennent qu'ils forment la majorité ; car la Guienne a dix-sept députés, et la Provence n'en a que deux. Mais c'est la majorité des gouvernements qui fait la loi, et non celle des députés. Ceux de l'Auvergne requièrent en vain qu'on leur donne acte de leur vote pour leur décharge envers leur province ; les sept gouvernements ne veulent rien entendre. Ici se montre le vice de ce mode de délibération.

Ce résultat répond victorieusement aux historiens qui prétendent que la ligue avait la grande majorité dans le royaume. Les députés, les représentants de la France, tous catholiques, voulaient l'unité de religion, et non l'extermination des dissidents. L'opinion modérée n'est pas à jamais battue, elle se reproduira encore dans le cours de la session.

Le parti de la ligue, quoiqu'il l'ait emporté, tient rancune à Bodin qui a chaudement combattu le système de violence. Des protestations arrivent de Soissons et de Reims contre son élection et l'opinion qu'il a émise ; elles n'ont aucun effet.

Comme à toutes les assemblées d'états, le clergé, principalement les évêques, demande la réception du concile de Trente. La majorité de la noblesse et du tiers état l'appuie. Les députés des cathédrales et collégiales s'y opposent, parce que le concile, auquel ils n'ont pas été appelés, est contrevenu à leurs privilèges et exemptions. Il s'élève une altercation très-vive entre l'évêque de Saintes et celui de Langres, ils se disent de gros mots, et sont près d'en venir aux mains. On lève la séance. La question est reprise ; une discussion violente occupe plusieurs séances. L'archevêque de Vienne, grave, docte et vénérable vieillard, apaise l'orage, en proposant la publication du concile avec la réserve des libertés de l'église gallicane et de prier le pape de les confirmer. Le clergé se range à cet avis.

En revanche les adversaires du concile réclament les élections aux bénéfices. Le bas clergé les désire, les évêques n'y tiennent pas. Il s'élève à ce sujet une discussion très-aigre entre l'évêque d'Évreux et le prévôt de l'église de Toulouse. Elle dégénère en personnalités. Le Saint-Esprit présidait encore moins aux délibérations du clergé qu'à celles des autres états. On oppose au rétablissement des élections que le roi n'y consentira pas et qu'on l'indisposera inutilement. Le doyen de l'église de Troyes, Taix, dit que la race de Charlemagne, ayant voulu nommer aux bénéfices, avait eu peu de durée ; qu'au contraire, celle de Hugues Capet, ayant laissé les élections aux églises, prospérait et florissait depuis trois cents ans. La majorité décide qu'on demandera dans le cahier la restitution des élections.

Alors que l'instruction était peu répandue, les universités avaient envoyé des députés aux états généraux, et ils y avaient une grande influence. Elles perdirent ce privilège à mesure que les lumières se propagèrent. Des députés de l'université de Poitiers demandent à prendre séance dans l'état du clergé, et que leur cahier soit employé dans le cahier général. On leur répond que n'étant pas députés d'un bailliage ou d'une sénéchaussée, on ne peut pas les admettre.

Proscrire le calvinisme par un vote, c'était aisé, il est moins facile d'exécuter ce vote. Rien n'est prêt, ni armée, ni argent. Cette levée de boucliers imprudente donne l'éveil aux calvinistes, et leur fait un devoir de prendre leurs précautions et do pourvoir à leur défense. Ils dressent une contre-ligue, dont le prince de Condé se déclare le lieutenant sous l'autorité du roi de Navarre. Il publie un manifeste virulent. Bien que satisfait de la décision des états, le roi n'est pas disposé à en poursuivre l'exécution, et en apprécie les difficultés. Pressé entre les calvinistes et la ligue, il craint également leur domination. Il veut les contenir ou les détruire l'un par l'autre, et régner sur leurs ruines. Il dissimule, et paraît fermement résolu à en finir avec les calvinistes. Dans tous les cas il juge convenable de demander aux princes de sa famille et aux principaux membres de son conseil leur avis par écrit sur la marche à suivre pour atteindre son but apparent. C'est l'objet de mémoires plus ou moins longs et détaillés, qui lui sont remis par la reine mère, le duc d'Anjou, le cardinal de Bourbon, le due de Montpensier, le dauphin, tous les Guise, ses ministres et les principaux personnages de sa cour. Tous leurs bavardages sont plus propres à embrouiller les idées du roi qu'à les éclaircir. A part la variété des raisonnements et des moyens, ils se résument tous dans cette conclusion : Employer la voie des négociations, les menaces, les séductions, les promesses pour diviser les chefs des calvinistes, et les amener à se soumettre et à rentrer dans le giron de l'Église. Comme il est à craindre qu'on ne réussisse pas, prendre en même temps toutes les mesures nécessaires pour les contraindre, c'est-à-dire faire la guerre. Dans la prévision de sa durée, renforcer les armées, traiter avec les puissances étrangères pour en obtenir de la sécurité et des troupes, stimuler le zèle des associations catholiques dans l'intérieur, enfin, se procurer de l'argent que tous les donneurs d'avis appellent le nerf de la guerre, et sans lequel ils déclarent qu'on ne peut la faire que misérablement. Chacun donne aussi son plan de campagne, même la reine mère.

Le parti calviniste a quatre chefs principaux, le roi de Navarre, le prince de Condé, le maréchal d'Amville, le vicomte de Turenne. Le maréchal est celui que la cour redoute le plus, comme ayant plus d'entendement, d'expérience et de suite. Ils se sont bien gardés de venir aux états se jeter au milieu de leurs ennemis. Ils dominent dans la Guienne, le Languedoc, le Dauphiné. Ils y occupent des placés, des châteaux, des villes. Apprenant que les états ne veulent plus tolérer leur culte, et instruits de ce qui se trame contre eux à Paris, ils ne restent pas inactifs et prennent leurs sûretés.

Des députés du roi de Navarre et du prince de Condé viennent à Blois pour faire connaître leurs intentions, et réfuter les bruits injurieux répandus sur leur compte, disent ces princes, jusque par les pages et les laquais. Le roi les renvoie aux états pour s'expliquer. Les députés refusent de comparaître devant cette assemblée, dont ils contestent la légalité et les pouvoirs, et protestent contre ses décisions par un écrit public.

Malgré la résolution que montre la cour contre les calvinistes, elle craint, en rompant entièrement avec eux, de les pousser aux dernières extrémités et de tomber sous la domination des Guise. Comme tout pouvoir faible, le roi se traîne dans le système des contrepoids. Il se décide à ouvrir des négociations. Mais, abdiquant sa prérogative, il veut qu'elles se fassent par les états, et que chacun des trois ordres envoie deux députés aux chefs des huguenots. Le roi promet de fournir coches, carrosses, chevaux, tout ce qui est nécessaire au voyage.

Il s'élève dans les états, tant au fond que dans la forme, de vives discussions sur les instructions à donner à ces ambassadeurs. Le clergé les a rédigées en termes durs et offensants. On y menace de la guerre, on y contracte l'engagement de faire les fonds pour en payer les frais. Le tiers état n'approuve pas la rédaction, la modifie, et l'adoucit. Le roi et le clergé résistent aux corrections, le tiers état persiste, elles sont adoptées. Les instructions et les pouvoirs sont signés par les greffiers de chaque état.

Soit que le roi n'ait pas les moyens de pourvoir, ainsi qu'il l'a offert, aux frais de ces ambassades, soit qu'il ne le veuille plus, le clergé et la noblesse prétendent les mettre à la charge du tiers état. Dans toutes les occasions c'est la bête de somme. Il se regimbe, et déclare qu'il ne payera rien, attendu que ce n'est pas lui qui a provoqué ces missions.

Le roi de Navarre est le chef le plus important, le gagner ce serait un coup de partie. Les envoyés des états doivent donc faire tous leurs efforts pour y parvenir. Leurs instructions n'en offrent guère les moyens. Lui représenter les dangers de deux cultes, les calamités que les divisions religieuses ont attirées sur la France, l'autorité royale menacée jusque dans ses fondements, l'intérêt qu'il a à son maintien, comme le plus proche héritier du trône. Lui expliquer comment l'édit de pacification et tous les serments que le roi a pu faire de l'observer, ne peuvent prévaloir sur le serment fait à son sacre de maintenir les droits de l'antique religion plus fondamentale que la loi salique ; et que le pouvoir royal, quelle que soit son étendue, reconnaît cependant celui des états généraux et des parlements également prononcés pour la seule religion catholique. Inviter, supplier, presser le roi de Navarre de s'unir au roi et aux états, de se rendre dans leur sein, de voter avec eux, comme eux. Lui offrir toute garantie. Lui promettre que, lorsque la religion catholique sera seule rétablie, ni lui, ni ses adhérents ne seront inquiétés, que les états et le roi le jureront solennellement ; il n'y a rien dans tout cela qui soit capable d'ébranler le roi de Navarre, ni de lui inspirer la moindre confiance. Il connaît trop bien le caractère faux et cauteleux de la cour, et la composition des états généraux.

Limitée aux termes des instructions, l'intervention des états ne peut être d'aucun poids auprès du roi de Navarre. Henri III lui envoie en même temps comme négociateurs officieux les ducs de Montpensier et de Biron.

Les prétentions qu'à la suggestion du clergé les états avaient manifestées au roi, le 11 décembre, élevaient pour ainsi dire leur puissance au niveau, au-dessus même de la sienne. Était-ce l'effet d'un sentiment exalté de leur dignité, ou bien cachaient-elles un complot pour affaiblir l'autorité royale, s'emparer du pouvoir, renverser la dynastie ? Il est clair que le clergé, le parti catholique, n'ont pas de confiance dans la fidélité du roi, ni dans celle de la reine mère, se jouant des partis et fondant son empire sur leurs divisions. Le roi a la preuve qu'il ne tient pas dans sa main le parti catholique, encore moins la ligue ; qu'il ne peut pas compter sur leur entière soumission et leur dévouement à sa personne. Ces considérations suffisent sans aucun doute pour lui causer de vives alarmes, lui inspirer de sérieuses réflexions, et l'engager à prendre les moyens de sortir d'une situation aussi critique.

Voilà que les calvinistes publient un mémoire des chefs de la ligue adressé au pape ; il a été rédigé et porté à Rome par un avocat David. Ils demandent au Saint-Père son intervention pour détrôner la maison régnante, et lui substituer celle de Lorraine qu'ils font descendre de Charlemagne.

Les princes de cette illustre maison, dit le mémoire, constamment soumis au Saint-Siège, sont encore aujourd'hui couverts des bénédictions que le pape Étienne II versa sur Pepin, lorsqu'il plaça sur son front la couronne de Clovis. Mais les descendants de Hugues portaient manifestement le sceau de leur réprobation. Les uns, privés de sentiment et de bon sens, semblaient avoir été frappés d'aveuglement, tandis que les autres, proscrits et séparés de la communion des fidèles, s'étaient rendus par leur obstination dans l'erreur indignes de l'estime de Dieu et des hommes. Enfin une preuve évidente de la malédiction qu'ils avaient attirée sur leur tête, c'est qu'on les avait vus la plupart sans santé et sans force, mourir à la fleur de leur âge et sans laisser de successeurs. Il n'y avait guère d'apparence qu'on pût obtenir rien de mieux de ceux qui restaient, et si, semblables aux autres, ils mouraient sans enfants, la couronne tomberait nécessairement entre les mains des hérétiques. C'était ce qui devait animer tous les bons catholiques à ne pas laisser échapper une occasion si favorable, que Dieu lui-même semblait leur avoir ménagée, pour rétablir la postérité de Charlemagne sur un trône sanctifié pour elle par la bénédiction apostolique. Tous les princes ses descendants étaient également sains d'esprit et de corps, capables de tout entreprendre et de tout exécuter. Par la dernière paix, ils se voyaient enfin en état de remonter sur le trône de leurs ancêtres, d'où ils avaient été honteusement chassés, et où ils étaient heureusement rappelés par les vœux de toute la France.

Le mémoire expose longuement les moyens d'exécution dont une partie s'est déjà réalisée. On se servira, y est-il dit, du ministère des prédicateurs pour soulever le peuple des différentes villes, afin d'ôter par là aux hérétiques la liberté de s'assembler qui leur avait été accordée par le dernier édit. Cependant on suppliait sa majesté de fermer les yeux à ces mouvements, et de laisser au duc de Guise toute la conduite de cette affaire. Ce prince, devenu plus hardi, après avoir ainsi décidé sa majesté à dissimuler, travaillerait à engager dans la ligue la noblesse et les villes du royaume, et il se ferait prêter serment par tous les unis qui jureraient de ne reconnaître que lui pour chef. Il aurait l'œil à ce que les curés des villes et de la campagne tinssent un registre exact de ceux qui seraient, dans leurs paroisses, en état de porter les armes. De son côté il aurait soin de leur envoyer secrètement des officiers pour les commander, et dans le secret de la confession on ne manquerait pas de les instruire des armes dont ils devaient se fournir, et de ce qu'ils auraient à faire, en leur donnant toujours à entendre qu'on ne les employait que pour les intérêts de la religion[3].

Un conseil secret fut, dit-on, tenu à Rome, et le plan de la ligue y fut adopté. Il parait si atroce, que le roi n'y ajoute aucune foi ; ou lui persuade que c'est une invention des calvinistes. Mais ayant reçu de son ambassadeur en Espagne une copie de ce mémoire qui avait été communiqué à la cour de Madrid, le roi en est vivement frappé, et ne doute plus du complot. Sévir rapidement contre ses chefs, abattre la tête du duc de Guise, et dissoudre la ligue, le roi et sa mère n'ont pas la force de le vouloir, encore moins celle de l'exécuter. Quel triomphe d'ailleurs pour les calvinistes ! Le roi et la reine contiennent leur ressentiment, dissimulent et prennent la résolution la plus fausse, la plus dangereuse. La voix publique reconnaît le duc de Guise pour chef de la ligue. Eh bien, Henri III essaye de le supplanter. On rédige un acte d'association pour extirper la religion prétendue réformée, et une instruction sur les moyens de lui faire la guerre. On les communique aux députés de chaque gouvernement pour obtenir leur adhésion ; le roi signe la ligue, la fait signer à tous les grands ; elle est expédiée aux gouverneurs des provinces pour la faire signer par les gentilshommes et les villes. On dépêche quelques députés dévoués des états, pour aller dans leurs localités faire de la propagande. Descendant de la haute région où sa dignité le place, Henri III, de roi qu'il est, se fait chef d'une faction.

Cette détermination n'a pas l'assentiment de tous les catholiques.

À Paris, le premier président de Thou lui est contraire ; il ne signe l'Union qu'avec des restrictions. Son exemple trouve des imitateurs. Le roi lui envoie demander les motifs de sa répugnance. Déjà, répond le président, le royaume entier retentit du bruit de la ligue ; déjà presque toutes les villes et les provinces se sont fait un devoir d'entrer dans cette monstrueuse association. J'ai averti plusieurs fois sa majesté de se mettre en garde contre les assemblées qui se tenaient dans cette ville Paris —, et contre les desseins séditieux qu'on y formait..... conseils peu écoutés, soins inutiles, qui n'ont été payés que par une froide indifférence du côté de la cour, et par la haine de presque tout Paris... Qu'il me soit permis de le dire, le roi, en se déclarant chef de la ligue, s'est dépouillé de la majesté royale ; il a renoncé au droit de n'avoir point d'égal ; il s'est démis lui-même de cette autorité suprême que Dieu et sa naissance lui avaient donnée sur tous ses sujets. Quel peut être le but de ces levées de soldats qui se font dans les provinces au nom de l'Union, sinon de montrer aux Français qu'il peut y avoir une autorité distincte de celle du roi, et assez puissante pour former impunément, dans le sein du royaume, un nouvel État ?... Je laisse à sa majesté à comprendre les suites malheureuses que peut avoir un dessein si hardi... J'ajouterai seulement qu'on doit regarder ces commencements comme un prélude par lequel les ennemis du trône veulent éprouver jusqu'où ira la patience du roi, et ce qu'ils peuvent se promettre pour l'avenir.

La ligue n'est pas reçue partout saris opposition. Le gouverneur du Poitou remet la délibération et l'acte d'association au lieutenant général à Poitiers, pour le faire signer. Une assemblée de députés de tous les corps laïques et ecclésiastiques est convoquée. L'avocat du roi forme opposition à l'association, attendu qu'on ne justifie pas d'ordre exprès de sa majesté. Les députés déclarent qu'ils trouvent très-extraordinaire que le roi leur propose un acte de confédération à signer, cette précaution annonçant une défiance dont on ne lui avait pas donné sujet. Le roi n'avait pas besoin de leurs signatures pour être assuré de leur obéissance et fidélité. Il est arrêté qu'on fera des remontrances, et qu'on se conformera à ce qui sera décidé par les parlements. Une députation est nommée pour porter ces remontrances au roi. Les ligueurs écrivent en cour. Le roi envoie de suite à Poitiers Puygaillard ; il assemble les notables, et leur dit que le roi a été averti qu'il y avait division dans la ville au sujet de la sainte ligue ; que les habitants refusaient de compatir avec les gentilshommes du Poitou qui voulaient entrer dans ladite ligue ; que sa majesté lui -avait commandé de venir avec lettres de créance pour faire entendre sa volonté sur le fait de la ligue, qui ne tendait qu'à bonne fin pour le repos et la tranquillité du royaume. On lui répond que ses propositions paraissent si étranges, que les habitants ne peuvent les adopter sans savoir par eux-mêmes si telle est la volonté du roi ; qu'on a envoyé des remontrances et des députés. La ligue ne fut reçue à Poitiers que sur leur rapport et les ordres formels du roi.

De cet exemple, qui n'est pas le seul, et donné par une ville importante et éminemment catholique, il résulte que la ligue, si le roi ne l'avait pas encouragée, même suscitée, et ne s'était pas mis à sa tête, aurait été bien moins puissante et dangereuse pour lui ; qu'elle était soutenue par les gentilshommes, que les autorités et la bourgeoisie y répugnaient, et que Henri III se mit imprudemment une torde au cou.

Le roi a obtenu du pape l'autorisation de vendre des biens de l'Église pour 50.000 écus de rente, dont le produit est destiné à payer les reîtres du duc Casimir. Le clergé n'a pas été consulté, et ne voit qu'avec douleur entamer son domaine ; il fait tous ses efforts pour s'y opposer. C'est la première affaire dont s'occupent ses députés ; ils la poursuivent avec ténacité ; ils demandent un sursis à la vente, elle leur est refusée. Ils attaquent vivement l'évêque de Paris et la Saussaye, syndic du clergé, envoyé à Rome par le roi, et qui ont brassé cette opération avec le pape ; ils inculpent les cardinaux de Bourbon, de Guise et d'Este, et le nonce du pape, commis à la vente par sa sainteté et le roi. Ils disent que le clergé ne peut y consentir sans être traître envers lui-même. Les prélats inculpés s'indignent de ce qu'on suspecte leur probité. La division est dans l'Église. Ses députés exposent ses griefs dans une requête au roi. La bulle qui autorise la vente, portant qu'elle se fera inconsultis clericis, est contraire aux libertés gallicanes. On a excédé de 2.000 écus l'autorisation du pape ; on a établi pour la vente des commissaires séculiers, et même de la religion réformée, etc. Le roi fait à la requête une réponse dérisoire ; le clergé en est très-scandalisé. D'un autre côté, la reine mère se plaint de ce que, dans la chambre, on a tenu des propos contre elle et son autorité. Ou fait encore une députation pour insister auprès du roi, et pour avoir une explication avec la reine mère. Le roi cherche moins à justifier la vente qu'à représenter la nécessité où il est de la maintenir.

Pour obvier, à l'avenir, à de semblables aliénations, les députés du clergé jurent par serment solennel que jamais ils n'y consentiront, tacite vel expresse, directe vel indirecte, neque per se, neque per alium, quelque mandement qu'ils reçoivent du roi ou du pape. L'évêque de Rennes, homme docte et vertueux, âgé seulement de trente-cinq ans, fait là-dessus une belle remontrance, et dit, presque la larme à l'œil, aux évêques qu'ils sont cause de toutes les aliénations précédentes, par leur trop grande connivence avec la cour, et leur faiblesse. Il confesse que lui-même, ayant été appelé pour cela au conseil, n'en a pas dit ce que sa conscience et son devoir d'évêque lui commandaient : Non sumus autores, s'écrie-t-il, scelus et commisimus ipsi. Saint Thomas de Cantorbéry et Thomas Morus ne nous ont pas enseigné à agir ainsi. Si le roi voulait nous contraindre à l'aire encore de telles choses, je quitterais mon évêché, voire la vie, plutôt que d'y consentir. Cet évêque, nommé Aymar Hennequin, était de la grande race des Hennequin de Paris.

Il était impossible d'établir la seule religion catholique sans faire la guerre ; c'était le dessein de la cour. Il fallait des troupes et de l'argent. Les états ne se pressaient pas de délier les cordons de la bourse ; c'était le tiers état qui les tenait. La majorité des gouvernements avait voté en faveur du culte catholique, mais la majorité des députés ne voulait pas la guerre. Au moment où le roi allait tendre la main, il expédiait dans les provinces des édits ordonnant de nouvelles levées de deniers sur le tiers état, et des créations d'offices. On les exécutait avec rigueur. Les états très-mécontents réclamaient auprès du roi.

Nicolaï, premier président de la chambre des comptes, vient exposer la misère du roi. Elle est si grande, qu'il est contraint de recourir aux états, les vrais médecins qui peuvent guérir ses maux. Les causes de cette triste situation remontaient à Henri II : les troubles et les guerres, commencés en 1567, avaient occasionné une infinité de dettes dont le roi désirait être délivré. Le président invite les trois états à nommer chacun douze députés pour prendre connaissance de la situation des finances, s'édifier sur leur gestion, et venir au secours du roi.

Les états de situation donnés par les financiers sont sommaires, fautifs et embrouillés. Ce qu'on n'y voit que trop clairement, c'est une dette énorme de 100 millions exigible, 7 millions de rentes constituées pour un capital qui n'a pas été fourni, et sur un revenu porté à 12.600.000 livres, et évalué in petto à 16 millions, un déficit annuel de 11 millions. La pénurie du roi est telle, que le plus souvent, dit-on, il n'a pas de quoi faire sa cuisine ; qu'il n'a ni bois, ni chandelle, ni moyen de subvenir à ses autres menus besoins. On propose aux états de trouver des ressources pour acquitter la dette et couvrir le déficit. Ensuite le roi pourra vivre à son aise sans fouler le peuple ni l'Église. Ce n'est pas une Miche facile ; les états en sont justement effrayés.

En attendant, la cour demande qu'ils pourvoient au plus pressé, aux moyens de faire la guerre aux calvinistes. La noblesse en prend l'initiative, et veut porter l'armée à neuf mille hommes de cavalerie et vingt mille d'infanterie. Elle demande que les chefs soient, non des enfants, mais des gens de trente ans, vaillants, expérimentés et nobles ; que les deniers qui seront levés pour la solde ne soient pas distraits de leur destination ; que provisoirement on affecte le premier quartier des tailles de l'année à cette dépense, à l'acquittement de laquelle seront préposés quelques notables bourgeois dans chaque ville. Le clergé approuve ce projet, et déclare ne pouvoir l'appuyer de parole, attendu qu'il ne doit pas parler de l'état militaire. Le tiers état s'oppose à ce que les tailles soient distraites de leur destination, le payement de dépenses civiles. C'est à la noblesse à faire les frais de la guerre ; c'est pour cela qu'elle a fiefs, prérogatives, privilèges, exemptions. La noblesse insiste, le prend sur un haut ton, et reproche au tiers état de paralyser par sa lenteur l'expédition des affaires communes. Celle-ci est urgente ; les rebelles sont en état d'hostilité, et si ou ne les arrête, ils courront sur le pauvre peuple et le plat pays. Le tiers état n'est point ébranlé, et, en ce qui le concerne, renvoie à son cahier l'organisation et la dépense de l'armée. Le roi envoie dire par Villequier qu'il veut et entend que le tiers état avise tout de suite aux moyens de payer la dette, et de faire la guerre aux huguenots qui prennent les villes et les places.

L'occasion est excellente pour les traitants, ils se mettent en campagne ; ils ont l'esprit inventif, et sont fertiles en expédients. Ils offrent de l'argent, et ne demandent pour prix de leur dévouement que quelques monopoles, par exemple du blé, du vin, ou du commerce de toute autre denrée. La cour, pourvu qu'on lui donne de l'argent, n'y regarde pas de très-près et envoie tous leurs plans aux états. Ils sont discutés et accueillis avec peu de faveur. Cependant il faut sortir d'embarras. On indique une ressource, elle est inépuisable, ce sont les biens ecclésiastiques. Le clergé se récrie, ils sont bien diminués, on le réduit à la besace.

Le député Bigot, avocat du roi à Rouen, homme fort docte et de bon sens, dit que cependant les apôtres étaient bien loin d'en avoir autant. Et saint Yves[4], lui répond l'archevêque de Lyon, n'en avait pas autant que vous. Le rire qu'excite cette petite scène, tempère un peu l'aigreur de la discussion. Le roi demande des secours, et tous les cahiers chargent les députés de réclamer l'abolition ou au moins la réduction des impôts dont le peuple est accablé.

On propose successivement l'impôt sur le sel, les épiceries, les rentes constituées, les ventes de blés et vins. Lorsque la noblesse est d'un avis, le tiers état est d'un autre. Tant qu'il ne s'agit pas de lui, le clergé écoute et ne se prononce pas. S'attaque-t-on particulièrement à lui, il se défend avec vigueur et amertume. Ainsi la cour lui demande 200.000 livres par mois, pendant six mois, pour les frais de la guerre aux huguenots. Que répond-il ? Depuis 1560, il a beaucoup aidé le roi moyennant des conditions et des promesses qu'il n'a pas tenues. S'il est raisonnable de secourir le roi, il est aussi plus que nécessaire d'empêcher que les deniers ne soient misérablement dissipés et perdus comme par le passé, en découvrant les autels pour couvrir les dames de la cour. Si l'on ne prévient pas les abus, on sera fondé à dire que les états sont assemblés plutôt pour autoriser les impôts excessifs levés sur l'Église depuis 1560, que pour aviser à rétablir le bon ordre. Le clergé demande le temps de délibérer.

L'évêque d'Embrun ne se contente pas de cet ajournement, il est du conseil royal et commissaire ; il insiste, il presse. Messieurs, dit-il, décidez donc. Donnez au roi les moyens de mettre aux champs une bonne et forte armée pour rembarrer ceux qui ont levé l'étendard. Si vous étiez, comme nos pauvres frères du Dauphiné, livrés à la boucherie, vous voudriez bien qu'on eût pitié de vous ; ayez donc pitié des autres. On a coupé la gorge à tous ceux de Gap ; tous les chanoines et antres gens d'Église, tous les bons catholiques ont été passés au fil de l'épée. Des vingt-cinq villes du Dauphiné, il n'y en a plus que six qui tiennent bon pour l'Église et le service du roi ; si elles étaient perdues, comme elles en sont menacées, l'ennemi s'emparerait de Lyon, et puis de la Bourgogne, et dominerait dans tous ces pays.

Les députés, le clergé même paraissent peu touchés de ces malheurs. On ne fera d'offre au roi qu'à la charge par lui d'approuver les articles des cahiers ; car on est prévenu que, les subsides accordés, il s'en ira et renverra les états. Alors les provinces seront mécontentes. Des prélats dévoués, l'évêque d'Embrun, l'évêque de Paris, repoussent, comme une injure non méritée, l'inculpation dirigée contre la majesté royale, et garantissent sur leur responsabilité que le roi ne partira pas sans répondre aux cahiers. On consent à un nouvel impôt sur les épiceries, excepté le sucre, sur les draps d'argent et de soie, les blés et les vins exportés. Ce n'est pas de l'argent comptant ; le roi en demande. Les disputes recommencent. Le tiers état est plus froid que jamais, la noblesse encore plus. Au lieu d'argent elle offre son corps. L'évêque d'Embrun propose d'emprunter 500.000 livres aux financiers, à rembourser s'ils sont gens de bien, à précompter s'ils sont reliquataires ; comme avance de confiscation, s'ils sont voleurs. A quoi bon ces expédients, si l'on ne fait pas d'économies ? On prétend que, si le roi le voulait, les revenus suffiraient largement aux dépenses. Loin de consentir à leur réduction, il s'impatiente et témoigne son mécontentement. Il attribue la conduite des états à l'influence de quelques malintentionnés. Il reproche au tiers état de ne se livrer qu'à des disputes frivoles. Il mande des députés commissaires et leur remet un mémoire. Le clergé et la noblesse se montrent favorables aux vues du roi. Le tiers état voit clairement que, suivant leur habitude, ils se déchargent sur lui, et renvoie aux cahiers l'affaire des finances.

Depuis l'ouverture de la session, pendant quarante jours chaque état travaille séparément à la rédaction de son cahier. Le projet du clergé d'en faire un seul pour les trois états et qu'il aurait présenté, échoue ; la noblesse a eu avec lui plusieurs conférences, mais le tiers état les élude sous différents prétextes. Le travail n'était pas terminé lorsque le roi leur fait dire de l'expédier en toute diligence, son intention étant de tenir incessamment une séance, et que si les cahiers n'étaient pas prêts, il les recevrait plus tard. Les orateurs préparent leurs harangues et les soumettent aux chambres. Versons lit les points principaux de la sienne au tiers état, ils sont approuvés par onze gouvernements. La chambre le charge de présenter ces additions importantes : Demander au roi 1° la réunion de tous ses sujets dans la seule religion catholique, pourvu que ce soit par les plus doux moyens que faire se pourra, sans permettre qu'on recommence la guerre dont les calamités ruinent le pays, et dont le tiers état a le plus souffert à cause des impôts qu'on a mis sur lui pour en payer les frais ; il est formellement recommandé à l'orateur de ne pas oublier les mots sans guerre, et d'insister pour la paix ; 2° l'élection, sans exception, pour tous les bénéfices ; 3° la recherche exacte des abus en finances, dons, pensions, et dépenses de la maison du roi ; 4° ne faire aucune offre particulière de fonds ; se borner à des offres générales de dévouement.

Le 17 janvier 1577, le roi tient l'assemblée des états généraux dans la même forme et avec la même solennité qu'à la séance d'ouverture. Il est richement vêtu, non du grand manteau royal, mais d'un petit manteau de drap d'or et passementé si richement de passement d'or, que sur le manteau, le pourpoint et les chausses de même, il y en avait quatre mille aunes.

Appelé par ordre du roi, l'orateur du clergé se met à genoux devant un pupitre ; tous les députés se lèvent et se découvrent ; il commence sa harangue ; le roi lui commande de se lever. Le chancelier invite les députés à s'asseoir et à se couvrir ; l'orateur parle pendant une heure et demie. A chaque fois qu'il supplie le roi, il fait une grande révérence, les gens du clergé se lèvent, se découvrent et fléchissent la tête, comme au sermon lorsque le prédicateur nomme Jésus-Christ. En parlant de la France, l'orateur emploie plus souvent le mot république que celui de royaume. Il commence par un éloge outré du roi et de la reine mère, et leur annonce qu'il leur dira la vérité, mais avec respect. Trois choses importaient à la conservation de l'État, la religion, la police civile et militaire, les finances. La religion était indispensable, son maintien dans sa pureté originelle nécessaire. Il était dangereux d'y faire la moindre innovation, c'est ce qu'avaient compris tous les rois depuis Clovis, de glorieuse mémoire. Le roi avait juré à son sacre le maintien de la religion catholique. C'était une obligation qu'il avait contractée envers ses sujets et la condition à laquelle il régnait. Il avait sans aucun doute le droit de contraindre tous ses sujets à ne pratiquer que cette seule religion. L'Église avait besoin d'une réformation ; pour l'accomplir, il suffisait de recevoir et publier le concile de Trente, et de rétablir l'antique élection aux bénéfices. Alors cesserait le scandale de la simonie et de leur possession par les laïques. Alors on aurait de bons pasteurs et ils feraient de bons catholiques.

La police avait pour objet d'assurer aux sujets la tranquillité, le repos. Ici l'orateur fait le tableau des malheurs qu'avaient attirés sur les peuples les divisions et les guerres civiles. Il puise ses exemples dans l'antiquité et dans les temps modernes. Il s'élève avec force contre l'appel des étrangers dans les dissensions intestines. Il conseille de faire des lois sévères pour détruire et comprimer les factions, les ligues et associations intérieures et extérieures, et ensuite de publier une amnistie. Quant au caractère de ces lois, il vante les institutions et la législation anciennes de la France qui avaient rendu sa puissance et sa renommée si recommandables par toute la terre. Ces lois étaient appropriées aux mœurs et aux besoins, et avaient établi leur empire plus par la persuasion que par autorité. Il était dangereux d'innover et de multiplier les lois. Il ne suffisait pas d'en avoir de bonnes, il fallait tenir fermement à leur exécution, et les faire observer également sans acception de personnes. Il fallait de bons magistrats. Malheureusement la magistrature était déchue de son ancienne splendeur. Moyennant la vénalité des offices, c'était l'argent qui menait aux emplois et aux honneurs. On admettait les étrangers dans les charges. Elles ne devaient être conférées que par l'élection et qu'à des indigènes. La justice appelait une réformation.

Les causes de l'état déplorable des finances étaient les prodigalités et dons immenses et sans bornes, la mauvaise administration, la multitude des officiers dont les gages absorbaient la plus grande partie des recettes, les emprunts usuraires, les traités ruineux.

L'orateur avait commencé sa harangue par la religion, il la termina par l'Église. Ses privilèges, immunités, exemptions devaient être maintenus. Malheur à ceux qui osaient porter la main à l'arche sainte ! Ses biens étaient inviolables. Ceux qui ne les avaient pas respectés avaient été frappés de punitions exemplaires. L'Église ne disait point qu'elle ne dût pas aider l'État dans ses besoins, elle avait fait assez de sacrifices, mais ce devait être modérément et par des vois légitimes. Que le roi conservât donc les immunités de l'Église, alors elle ne cesserait de le secourir avec les armes qui lui étaient les plus propres, les prières et les oraisons.

L'orateur de la noblesse, avec le même cérémonial que celui de l'Église, ne parle qu'un quart d'heure. Les traits les plus saillants de son discours sont l'éloge du roi et de la reine, qu'il élève bien au-dessus de la reine Blanche, mère de Louis IX, et l'éloge de la noblesse.

L'orateur du tiers état se met à genoux et parle, dans cette posture, pendant près d'une demi-heure, jusqu'à ce que le héraut lui dise, par ordre du roi, de se lever. Sa harangue dure environ deux heures, pendant lesquelles le tiers état est laissé toujours debout et tête nue. On l'en avait prévenu à son entrée dans la salle. Ce n'était pas ainsi qu'on avait agi aux états d'Orléans ; le tiers état y avait été traité comme les deux autres états. Plusieurs députés ne se soumettent pas à cette humiliante distinction, et prennent la liberté de s'asseoir et de se couvrir, comme messieurs du clergé et de la noblesse.

La réponse du roi est brève, ce sont des remercîments, des promesses. Il défend aux députés de partir jusqu'à ce qu'il ait statué sur les cahiers, afin qu'ils puissent en emporter le résultat dans leurs provinces.

Dans cette séance les honneurs du bien dire sont, dit-on, pour fora-tour du clergé. Celui du tiers état, l'avocat Versoris, d'une énorme corpulence, est décousu, long, lourd et fatigant. Il fait de plus une mauvaise action. Il omet, dans sa harangue, les points essentiels que le tiers état l'a chargé d'ajouter, entre autres le vœu formel que la réduction à la religion catholique ne s'opère que par des moyens pacifiques et sans guerre. Ce vœu est d'autant plus important qu'il modifie la délibération du 26 décembre. C'est réellement celui de la majorité du tiers état. Le 26 février, il renouvelle sa prière au roi. Pour sa trahison, Versoris est réprimandé, désavoué par cinq gouvernements, menacé et bafoué par ses collègues.

Pourquoi cette séance royale, qui ressemble tout à fait à une séance de clôture, et qui est en effet la dernière réunion des trois états ? C'est que la cour est pressée, et ne l'a pas dissimulé, de se débarrasser le plus tôt possible de l'assemblée. On en a obtenu un vote favorable à la religion catholique, on n'en attend plus que des moyens de finances. Quant aux réformes, c'est pour la cour le moindre des soucis. Bien que les députés ne puissent s'en aller sans recevoir leur congé, non de l'assemblée, mais du roi ; bien que, dans son discours, il leur ait défendu de partir avant qu'il ait statué sur leurs cahiers, en est qui successivement abandonnent leur poste, surtout après qu'ils ont terminé et présenté ces cahiers, ce qui n'a lieu que le 9 février. Depuis cette époque, et pendant près d'un mois que la cour continue ses relations avec les trois états, ils ne sont plus qu'un simulacre d'états généraux, une assemblée incomplète, on peut dire sans pouvoir. C'est le résultat de l'organisation vicieuse de cette institution, produit de circonstances fortuites et nullement raisonnée.

On reprend l'affaire des finances. Les conférences continuent entre les trente-six délégués des états. Le tiers état sur la défensive lutte contre le clergé, la noblesse et le roi. Il demande d'abord 7 ou 8 millions pour choses urgentes, il se réduit ensuite à 2 millions. Le tiers état propose qu'on les lève sur les traitants, les financiers, ceux qui ont reçu du roi des dons au-dessus de 2.000 livres. La noblesse est de cet avis. Mais c'est toucher à l'arche sainte ; les courtisans, les favoris sont de moitié avec les maltôtiers. Enfin, poussé dans ses derniers retranchements, le tiers état déclare qu'il n'a pas de pouvoirs pour consentir une imposition ; qu'il faut consulter les provinces, il ne doute pas qu'elles ne viennent, comme toujours, au secours du roi.

Le roi réunit chez lui un conseil solennel. Qu'on ne parle plus d'impôts, dit le duc de Nevers ; que la noblesse imite ses ancêtres, et marche contre les huguenots comme ils marchèrent contre les infidèles. Qu'on ne donne pas un seul liard au roi ! qu'on fasse une offrande à Dieu ! qu'on établisse des troncs dans les églises, où la noblesse ira offrir son tribut au saint sacrement de l'autel, pour être employé au payement de la gendarmerie. Le duc offre d'avance toute sa fortune. Tout cela est bon pour le discours. On n'est plus au temps des croisades. Il faut des ressources plus sûres que le produit d'offrandes patriotiques. Des ressources de cette espèce la noblesse n'en fournit pas, le tiers état non plus. Reste le clergé, on revient sur lui. Il se décide enfin à offrir au roi d'entretenir et soudoyer pendant six mois quatre mille hommes de pied et mille chevau-légers, qui seront payés par les commis du clergé et non par d'autres. En conséquence, il s'impose à un décime et demi, à condition qu'aucune levée de deniers ne pourra se faire sur lui que de son consentement, dans une assemblée générale, et que le roi répondra aux cahiers. Le roi accepte l'offre et toutes les conditions.

Les négociations entamées avec les chefs calvinistes ont peu de succès. Les gouverneurs des provinces sont chargés d'annoncer par des publications que le roi, conformément au vœu des états, est dans l'intention de prohiber l'exercice de toute autre religion que la catholique, et non de saisir les biens des calvinistes, ni de les exterminer, s'ils se soumettent. En conséquence, les gouverneurs les manderont, et leur feront jurer que, confiants dans les promesses royales, ils ne prendront pas les armes et resteront tranquilles. C'était se rendre à discrétion. Ces publications produisent donc un effet tout contraire à celui qu'on s'était promis.

Les états, ayant renoncé à faire un cahier général, étaient convenus que chaque état rédigerait le sien. Ils sont enfin présentés au roi par leurs trente-six commissaires ; ils lui remettent aussi leur requête pour que son conseil privé soit réduit à dix-huit ou vingt-quatre membres, dont un de chaque gouvernement, non suspects d'hérésie, et qui n'auront pas adhéré aux personnages qui .se sont soulevés contre sa majesté. Le roi agrée cette requête, promet de répondre bientôt aux cahiers, et prie les députés de ne pas partir avant le retour des ambassadeurs envoyés aux princes. Les trois cahiers contiennent près de douze cents articles. Il n'y a pas seize ans que les états généraux se sont assemblés à Orléans, et qu'ils ont aussi, dans des cahiers volumineux, proposé une réformation générale du royaume, consacrée, en grande partie, par trois ordonnances royales. Cette réformation a-t-elle donc fait son temps ? En faut-il une nous elle tous les quinze ans ? Non certes. Mais, ainsi que l'expose le tiers état, le travail fait par les états d'Orléans est en pure perte par l'insouciance de ceux qui y ont intérêt, parce que le gouvernement a dédaigné d'admettre des députés des états à l'examen des articles des cahiers, et que les ministres de la justice et les officiers royaux n'ont pas tenu la main à l'exécution de ce qui a été ordonné. Du reste, ce reproche est applicable à presque tous les états généraux. Le but principal de leur convocation est fiscal. Quant aux réformes et aux améliorations, la cour les élude ou ne les adopte que de mauvaise grâce, ne les fait pas exécuter, et croupit dans les abus et le désordre. A chacune de leurs sessions, les états généraux se répètent ; depuis plus de deux cents ans, ce sont toujours les mêmes doléances, le même combat, le même résultat. Voilà comment les états présentent un si gros volume de cahiers. On ne pourrait les dépouiller intégralement sans tomber dans des répétitions fatigantes. On se bornera donc à en extraire les points les plus importants ; ils sont confondus dans les cahiers ; on les e classés par ordre de matières[5].

ÉGLISE.

C. Révoquer tous les édits en faveur de la religion prétendue réformée ; bannir tous ses ministres ; interdire toute autre religion que la catholique romaine ; déclarer tous mariages de prêtres nuls, leurs enfants bâtards, etc. — Défendre à tout imprimeur, libraire, etc., d'imprimer et vendre des livres hérétiques, et des livres concernant la religion, sans approbation de l'évêque diocésain ; permettre aux évêques ou à leurs délégués de faire des visites chez les imprimeurs et libraires. — Publier le concile de Trente. Conciles provinciaux de trois eu trois ans.

T. — Rendre à l'église l'élection aux bénéfices.

C. — Une foule de dispositions pour le maintien et la garantie des privilèges, biens, juridiction du clergé, etc. — N'élire aux fonctions municipales que de bons et anciens citoyens catholiques, non factieux ni suspects ; admettre aux élections un certain nombre d'ecclésiastiques.—Faculté aux évêques d'établir des écoles ecclésiastiques dans les bourgs et villages, aux frais des paroissiens, des séminaires, des collèges. — Déclarer les biens de l'Église inaliénables, sans qu'ils puissent être vendus par quelque puissance que ce soit ; restituer à l'église, sans remboursement de prix, les biens acquis par les hérétiques. — Défendre aux cours souveraines et aux juges royaux de rien entreprendre sur la juridiction ecclésiastique. — Décharger le clergé de toutes charges et impositions, en considération de ses immunités et du service que le roi en a reçu, s'élevant, depuis 1561, à 94.481.257 livres, sans compter les contributions communes aux autres étals. — Défendre d'enlever les récoltes sans avoir prévenu les ecclésiastiques de venir prendre la dîme, qui sera conduite chez eux par les propriétaires.

N. — Le maintien de la seule religion catholique. Loi d'oubli pour le passé. Ministres bannis.

T. — Cumul des bénéfices défendu. — Maintien de la seule religion catholique par les meilleures et plus saintes voies et moyens. Ministres bannis. — Abolir le concordat de François Ier avec le pape. Léon. — Interdire aux ecclésiastiques, sous peine de perdre leurs bénéfices, d'être chanceliers, surintendants des affaires ou finances des princes, seigneurs ou dames ; de faire les recettes et autres affaires des grandes maisons ; d'être fermiers, marchands, associés, solliciteurs de procès, à moins qu'ils ne soient chapelains ou aumôniers des princes, princesses, ducs, marquis, comtes, barons. — Défendre de porter de l'argent à Rome, sous prétexte d'annate, vacance ou toute autre expédition.

NOBLESSE.

N. — Toute la force et le principal appui de la couronne dépendant, après Dieu, de la noblesse, et son affaiblissement affaiblissant l'État, la maintenir en ses anciens droits, honneurs, prééminences, franchises, immunités, exemptions de toutes impositions quelconques. — Pour que les vrais gentilshommes soient distingués de ceux qui s'attribuent faussement le titre de noble, qu'il soit, dans chaque bailliage, élu par la noblesse un syndic qui tiendra registre de tous les gentilshommes du ressort, du blason de leurs armes, des honneurs et antiquités de leurs races, et qu'il n'y soit porté que des nobles de quatre races. — Afin que les gentilshommes soient remarqués et connus parmi le peuple, que les roturiers et le peuple ne puissent se vêtir de semblables habits, et leurs femmes porter des chaperons de velours, ni usurper les titres et noms de nobles et écuyers, avoir des armoiries ; ni mettre des panonceaux sur leurs maisons, les clore et fortifier de tours, guérites, mâchicoulis, créneaux et autres défenses ; ni avoir, sans permission des seigneurs, des colombiers, volières, garennes ; ni chasser à quelque chasse que ce soit. — Faire une bonne réformation sur la superfluité des habits, tant des hommes que des femmes, pour séparer et distinguer le gentilhomme du roturier plébéien. — Que nul office ne puisse anoblir la postérité des roturiers qui en seront pourvus ; qu'il ne soit donné de privilège de noblesse que pour récompense de longs et remarquables services rendus à la guerre ; et que ceux qui, depuis trente ans, ont été anoblis par argent ou offices, retournent dans leur condition de roture, et soient taillables comme auparavant. — Que les roturiers et plèbes qui achètent des fiefs ne soient pour cela anoblis ; qu'ils contribuent à l'arrière-ban pour ces fiefs, et à la taille pour leurs personnes. — Tout port d'armes généralement défendu, sous peine de la vie, à autre qu'aux nobles. — Diverses dispositions sur les places et emplois à la cour, dans l'état militaire, sur les biens et droits féodaux, l'arrière-ban, l'organisation et la force de l'armée. — Renvoyer promptement de la cour les dames et les demoiselles qui n'y sont que pour leur plaisir. Quant à celles qui sont au service des reines et princesses, ne pas leur faire de don valant plus de 1.000 écus, pour cause de mariage ou autre cause. — Si les filles de nobles maisons paillardent et méfont en leur honneur, les priver de tontes successions, et les confiner en prison perpétuelle. — Les maréchaux des logis, tant des compagnies des gons de- guerre que de la cour, ne pourront marquer des logements dans les maisons et métairies des gentilshommes, sous peine de la vie. — Tous larrons de bois, garennes, rivières, étangs, viviers, galibiers et colombiers, punis de mort.

C. — Exclure les gentilshommes étrangers de tous offices et charges affectés à la noblesse. — Interdire le cumul des places. — Régler et limiter la puissance des gouverneurs menaçant les libertés et les anciens privilèges des villes.—Défendre aux gentilshommes, sous peine de punition corporelle, de se quereller dans l'église pour les préséances, prérogatives et honneurs, et d'y porter ou faire porter d'autres armes que leur épée, telles qu'arquebuses, pistolets, hallebardes, dont il est résulté des meurtres et profanations des lieux saints et sacrés. — Défendre les duels ; les corps de ceux qui seront tués, traînés à la voirie, et privés de sépulture ecclésiastique ; ceux qui resteront en vie, pour suivis comme criminels de lèse-majesté divine et humaine. — Tous princes, seigneurs, gentilshommes et autres qui ont des châteaux et places fortes, tenus de les faire soigneusement garder, pour que le plat pays n'en soit aucunement incommodé, sous peine de répondre des pertes ou dommages avenus aux habitants. — Défendre aux roturiers de bâtir aux champs des maisons fortes et de défense de guerre qui puissent empêcher l'exécution de la justice ; démolir celles qui auraient été construites. — Le clergé rappelle l'origine et la haute destination de la noblesse, ayant après lui le premier rang ; il exprime sa sollicitude pour le maintien des privilèges des nobles, mais en même temps pour qu'ils n'en abusent pas.

T. — Le tiers état débute aussi par un éloge de la noblesse, et porte le respect pour elle et le désintéressement pour lui jusqu'à s'élever contre les anoblissements de roturiers à prix d'argent, et à demander qu'ils soient annulés. Il est vrai que c'était un moyen de s'exempter de la taille. Il entre dans de grands détails sur l'organisation de l'armée, et sur l'oppression du peuple par les gens de guerre. C'est en vain que, depuis qu'il y a des troupes régulières, le peuple paye des contributions pour les solder et pourvoir à tous leurs besoins, il n'en est pas moins pillé, foulé, maltraité. Tous les états généraux ont fait le tableau le plus vrai, le plus déplorable de ce fléau des édits et ordonnances ont été rendus pour y mettre un terme ; le fléau a continué ses ravages. C'est la faute du gouvernement et de la cour qui consomment les recettes de l'État en prodigalités et en dépenses scandaleuses ; c'est la faute de la noblesse elle-même, dont les pensions obèrent le trésor public ; de la noblesse qui a tous les commandements dans l'armée, qui n'y maintient pas la discipline, qui méprise le peuple, et qui donne au soldat l'exemple des exigences illégales et des exactions. Ainsi, dit le tiers état pour la vingtième fois, les paysans sont tellement appauvris, que les uns sont morts de nécessité, les autres mendient, ou végètent sans espoir de se relever ; la plupart des maisons sont désertes, les terres délaissées et incultes ; le pays est dépeuplé. Il n'y a pas un tiers des terres en culture ; plus de bétail. Il demande que l'homme d'armes, ses gens, l'a soldat et sa suite, le courtisan, vivent et logent sur leur bourse, à peine de la vie, et qu'il Se permis aux paysans de leur courir sus, les prendre.et amener en justice, et à cet effet de sonner le tocsin pour assembler les populations. Exécuter les règlements faits sur la gendarmerie. — Faire les montres en présence des maires et échevins qui en signeront les rôles et en seront dépositaires. — Défendre aux seigneurs et gentilshommes d'avoir dans leurs maisons des canons, des couleuvrines ; les contraindre à les remettre dans la ville principale du bailliage dont ils ressortissent.

C. — Permettre aux officiers du roi d'assembler les communautés des villes et du plat pays pour courir sus aux gens de guerre qui par leurs incursions causent la ruine des pauvres sujets, les appréhender et leur faire leur procès.

T. — Défendre aux habitants des villes de vendre aux compagnies qui passeront près d'elles, sans la permission du magistrat municipal, des armes et marchandises, et de rien acheter desdits gens de guerre. —Abolir toutes les gardes accordées aux gouverneurs et à tous antres ; réduire celle du roi au même nombre que sous Henri II. Ordonner que les gardes et autres personnes suivant la cour payeront les logements aux taux ordinaires. Ne permettre qu'à la suite de la cour de loger par fourriers. — Pour décharger le peuple de la solde de capitaines et garnisons, supprimer et démolir les citadelles nouvellement bâties depuis les états d'Orléans. — Réduction des officiers de la maison du roi et des reines, des gouverneurs des villes. — Obliger ceux qui ont plusieurs charges, excepté les princes, à s'en défaire, et à défaut les déclarer vacantes.

C. — Faire rechercher et punir les seigneurs qui ont indûment exigé de leurs sujets deniers, grains, corvées et autres choses. Ne plus vendre les gouvernements et capitaineries.

T. — Obliger les seigneurs à représenter à la justice leurs serviteurs, domestiques ou avoués, sous peine d'en répondre. — Obliger ceux qui perçoivent des péages, à réparer les chemins, ponts et passages. — Révoquer tous anoblissements faits par argent ou à des personnes sans mérite (pour se soustraire à la taille). — Défendre aux seigneurs de se mêler de la cotisation des tailles ; d'établir leurs domestiques pour juges, greffiers, procureurs, notaires, sergents, fermiers des amendes de leurs justices. —Priver des privilèges de noblesse, de leurs fiefs et juridiction les gentilshommes, âgés de vingt à cinquante ans, qui en temps de guerre ne s'emploieront pas au service du roi, soit aux armées ou ailleurs par ses commandements ou ceux de ses gouverneurs.

Anciennement et jusqu'à François Ier les seigneurs ne suivaient le roi qu'à la guerre, ou lorsqu'il les mandait. Les grandes dames n'allaient jamais à la cour que pour des grandes solennités. Ainsi il y avait dans les provinces des grands seigneurs qui contenaient le pays, empêchaient les troubles et conspirations, et rendaient compte au roi. Les grandes dames avaient leurs maisons réglées en toute discipline où tes filles de la noblesse du pays étaient nourries en toute vertu. A présent la noblesse, tant grande que petite, veut être à la suite du toi et à la suite des grands seigneurs qui sont autour de lui ; au moyen de quoi la cour est si grande et remplie de tant de gens, qu'elle est insupportable, et il n'y a pas de pays qui aussitôt ne soit opprimé dès qu'elle y séjourne. Il y a une infinité de courtisans qui ne sont à la suite du roi que pour pratiquer des dons, confiscations, nominations de bénéfices et offices, ce qui en définitive tourne au détriment de l'État, et retombe sur le pauvre peuple. Le roi est supplié de prendre des, moyens pour éloigner de sa suite ce grand nombre, surtout les femmes dont la dépense est incroyable ; de ne leur rien donner, car les choses en sont venues au point qu'il n'y a si petit courtisan, jusqu'au simple archer de la garde, qui n'ait sa femme avec lui, et qui ne s'assure que pendant son quartier il aura quelque don du roi. Rétablir la suite de la cour à un nombre d'officiers raisonnable, comme du temps de Louis XII ; supprimer les nouvelles gardes établies sous Charles IX et le présent règne. Ordonner que nul ne sera logé par fourrier que le roi, les reines, son frère, les princes et princesses.

Différentes dispositions pour astreindre les nobles à remplir les devoirs de leur condition, et pour réprimer les exactions des seigneurs envers les sujets et toutes sortes d'abus d'autorité ; par exemple de le$.contraindre à marier leurs filles ayant quelque bien à des serviteurs, de chasser en tout temps avec chiens et chevaux à travers les blés et les vignes, de lever les péages sans réparer les chemins, d'empêcher les sergents royaux d'exploiter sans leur permission, de ne pas faire tenir exactement leurs plaids, de contraindre les paysans à les cautionner, à accepter des compromis, de s'emparer des propriétés communales, d'envoyer des gens d'armes pour contraindre les sujets, de rançonner les villages pour les sauver des gens d'armes en temps de troubles et de guerre, etc., etc.

TIERS ÉTAT.

C. — Tout ce que le peuple fait, tout ce qu'il laboure, tout ce qu'il travaille, c'est pour la nourriture, le bien et le repos des autres états. Le pauvre laboureur des champs laboure, sème et moissonne, travaille jour et nuit, soir et matin, à la chaleur, au froid, par la pluie et le beau temps, à la sueur de son corps, vivant sobrement et pauvrement de gros pain et d'eau, presque nu et mal vêtu, pour faire vivre les grands splendidement et à leur aise, bien servis, vêtus et entretenus de tous les besoins de la v ie. C'est pour les autres états et non pas pour lui qu'il travaille, tout son labeur revient à la commodité des plus grands et des plus aisés. Avec lui et non sans lui tous les autres états, même le roi, toute sa cour et sa suite, ne pourraient vivre.

D'où il suit que les peines et tourments qu'on fait au laboureur, le bien qu'on lui prend, vole et dérobe, est pris, pillé et dérobé au roi, à l'Église, à la noblesse, et généralement à tous ceux qui, sans reconnaître et sentir son mal, ont depuis quinze ou vingt ans regardé et souffert sans miséricorde qu'il ait été ainsi misérablement molesté et travaillé.

Le clergé demande des mesures contre les gens de guerre, principaux auteurs du mal, et contre ceux qui les commandent, ce qui tombe sur la noblesse. Il s'élève avec force contre la charge toujours croissante des impôts, inventés par des gens qui profitent de la misère publique, et bien moins dirigés par le bien du service du roi que par leur intérêt particulier. Il demande que nul impôt ne puisse être établi que du consentement unanime des trois états.

T. — Les impositions, tailles et subsides ordinaires et extraordinaires tombent sur le tiers état. Les tailles ne sont point dues au roi de droit ordinaire, elles ne lui ont été accordées que pour des nécessités du moment. Cependant on a continué de les lever. Il y a donc lieu de les abolir, pour ne les rétablir que lorsque les états les jugeront nécessaires. En conséquence, les réduire au même état que sous Louis XII. Rechercher les financiers, trésoriers, receveurs. Réviser les dons et pensions.

Bien que le tiers état soit le dernier des ordres, cependant au corps humain la tête ne peut subsister sans le corps et les membres principaux, ni le corps sans la tête. Ainsi la conservation du tiers état est aussi nécessaire que celle des autres parties. Lorsque dans le corps humain la nature veut se décharger de quelque chose, c'est ordinairement sur la partie la plus faible et qui a le moins de moyens de résister. C'est ce qui est arrivé dans les derniers troubles et guerres. Tous les états ont souffert, mais le tiers état plus que les autres. On a levé de grands deniers sur l'Église et vendu de son patrimoine ; mais, grâce à Dieu, il lui en reste encore beaucoup que l'on n'envie pas. Les ecclésiastiques vivent, et quand ils meurent, tout le monde est mort pour eux. Il y a de la noblesse vertueuse qui a beaucoup souffert ; des femmes ont perdu leurs maris, des enfants leurs pères ; quelques-uns sont restés estropiés ; toutefois les honneurs et les biens leur restent. Mais le pauvre marchand qui a continuée son commerce, a été volé, pillé, meurtri et assassiné impunément ; sa marchandise a été volée autant par les amis que par les ennemis. S'il a cessé son commerce, il n'a rien gagné, il a mangé le peu qu'il avait ; chargé de femme et enfants, sans moyens de leur aider, il est mort, ou il languit de besoin.

Les pauvres gens de village ont été tués et massacrés, les uns précipités, les autres à coups de pistolet. Il y en a eu un de livré à des porcs ; on en a vu de brûlés à petit feu, morts, raccourcis de moitié. Ceux qui n'ont pas été tués ont été battus, meurtris, outragés ; on leur a chauffé les pieds pour leur faire dire où était leur argent, quoiqu'ils n'en eussent pas. Ils ont vu violer leurs femmes et leurs filles en leur présence, brûler leurs maisons, emmener leurs chevaux, charrettes et bétail. Les uns sont morts de misère, les autres mendient. Le tiers état, qui a tant souffert, espère donc la décharge des impositions.

POLICE, COMMERCE.

C. — Renouveler l'ordonnance pour la plantation d'ormeaux près des chemins ; prescrire la plantation de noyers, qui sont d'un grand revenu pour le peuple ; établir de grandes peines contre ceux qui les couperont ; défendre qu'on ne coupe un arbre sans en planter d'abord six autres.

T. — Restituer aux gens de la campagne les communaux qu'on leur a enlevés. Permettre au laboureur d'enlever ses récoltes à sa commodité, en laissant la gerbe de la dîme au champ sans fraude.

C. N. T. — Suppression en faveur du commerce des péages, indument établis par des seigneurs ; réduction de ceux qui avaient été arbitrairement augmentés ; réparation des chemins pour l'entretien desquels ils étaient perçus ; liberté de tenir des coches et chariots pour les transports. — Diverses dispositions relatives aux étrangers, à l'importation et à l'exportation des denrées, matières premières, marchandises fabriquées, au commerce en gros et en détail, aux monnaies, aux maîtrises, à la navigation ; dispositions en général peu conformes aux principes de l'économie politique. — L'unité des poids et mesures. — La suppression du roi des barbiers, du roi des apothicaires, du roi des merciers, du visiteur des moulins, etc., qui ne font que regratter et manger le pauvre peuple. — La liberté du commerce du sel, à la charge d'acquitter les droits ; la réduction de ces droits. — Renouveler les ordonnances pour la taxe des livres dans les hôtelleries.

N. — Tous les états, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, sont adonnés au luxe et à la somptuosité. Le simple gentilhomme veut être habillé et vivre en roi et en prince ; le justicier, financier et marchand, comme les plus grands seigneurs ; le manouvrier, comme le riche marchand ; le serviteur veut être vêtu et tenir train de maître. Une infinité de gens se ruinent, beaucoup d'hommes sont voleurs et larrons, les femmes paillardes pour entretenir ce train. Pour y remédier, déterminer pour chacun, selon son rang, sa profession, la forme de l'étoffe de l'habit, s'il est possible de laine ou de soie manufacturée en France. Les teinturiers faisant infiniment enchérir les draps, les gens de labeur, vignerons et autres gens de villages ne porteront aucun habit de couleur, que gris sans teinture, comme il vient sur les bêtes. Nul artisan ne sera vêtu de noir, d'écarlate ni de pourpre, et ne portera de soie, à peine de confiscation et d'amende. Renouveler les ordonnances relatives aux pierreries, perles, orfèvreries, passements d'or et d'argent, les lois somptuaires pour les fêles et banquets. Obliger les grands seigneurs à s'y soumettre pour que leur exemple influe sur les autres classes. Ne permettre qu'aux princes et princesses de porter à leurs habits, draps, toiles, passements et cannetilles d'or et d'argent à peine de 10.000 livres d'amende ; pierreries ou perles, dorures, carcans, liens de tête, ceintures, bracelets ou chaînes, à peine de 1.000 écus ; sauf que les gentilshommes et demoiselles pourront porter des pierreries et des bagues au cou et aux doigts.

C. — Défendre la dorure des cabinets, livres et autres meubles, excepté pour le service et l'ornement de l'église.

FINANCES.

C. — Après un tableau des charges imposées à l'Église, telles qu'on ne peut dire si elle n'a pas plus souffert par ceux qui se disent ses défenseurs que par les hérétiques, le clergé, reconnaissant que ses malheurs sont en grande partie la suite des guerres civiles, les attribue aussi au débordement des dépenses inutiles et voluptuaires, des donations immenses, des bâtiments et des bombances de la cour. Il propose ses vues sur les moyens de remédier au désordre, autant que le lui permet la communication incomplète qui lui a été faite de documents sur les finances. D'abord le prince doit avoir son domaine propre et particulier pour entretenir sa maison et pourvoir aux dépenses publiques, afin de ne pas grever son peuple d'exactions et d'impôts. Les rois ont aliéné partie de leur domaine. Dès 1561, le clergé s'était engagé à le racheter, ainsi que les aides et gabelles, et à libérer le roi. Le clergé a fourni les fonds, et trois fois plus ; le roi n'a point été acquitté ; l'argent a été détourné de sa destination et employé à un autre usage. Il faut donc rechercher un autre moyen de racheter le domaine. Après l'avoir indiqué, le clergé propose un plan de finances, l'amélioration des recettes et la réduction des dépenses. On y voit que les dons ou récompenses, d'après les états incomplets produits, se sont élevés, depuis 1560, à 20 millions ou environ 1,500.000 livres par an. Ce serait bien assez de 200.000 annuellement. Les bons princes ont été remarqués par bien peu donner et n'ôter rien. Les tyrans font le contraire, ils appauvrissent le grand nombre pour en enrichir un petit. Réduire aussi les pensions à 600.000 livres par an. Vient ensuite un projet de réduction des dépenses dans toutes les branches du service public, l'état militaire, la maison du roi, la cour. Le roi devait donner l'exemple et retrancher les excessives bombances, précieux vêtements, pierreries, affiquets et autres dépenses extraordinaires, tant en habits qu'en bouquets, que l'ou voyait tant à sa cour que dans les bonnes villes et dans les maisons des gentilshommes. Rechercher les malversations des financiers, des munitionnaires, en attendant mettre sur eux un bon et gros emprunt. Renouveler l'ordonnance de Philippe de Valois, confirmée par Charles VII, portant que nul impôt ne peut être établi sans le consentement des sujets.

N. — Réduire les impôts au même état que sous Louis XII ; punir de mort tous inventeurs de nouvelles angaries et subsides, comme ennemis de la couronne et du repos public. — Réduire les gabelles al même taux que sous François le Grand (Ier), et pour quatre ans ; ensuite les abolir entièrement ; rendre libre le commerce du sel.

JUSTICE.

Le chapitre de la justice est le plus volumineux, surtout dans le cahier du tiers état, composé pour la plus grande partie de magistrats. On y traite de la législation civile et criminelle, de la procédure, de l'organisation des cours souveraines, et des tribunaux royaux et seigneuriaux, des juges, des officiers ministériels, des notaires. On y révèle des abus monstrueux, on y propose des réformes salutaires. Presque toutes les ordonnances célèbres ne sont que la consécration des propositions faites par les états. Mais ceux à qui profitent ces abus sont si nombreux et si puissants qu'ils empêchent l'exécution de ces ordonnances.

C. N. T. — Réduire les offices au nombre ancien sous Louis XII, ne plus les vendre, les donner gratuitement ; en laisser la nomination aux gens des cours souveraines et tribunaux, en adjoignant à ces derniers un certain nombre de gens des trois états. Suit un projet de réduction qui embrasse tout l'ordre judiciaire, les finances et la maison du roi. — Ne pas établir de commissions particulières et extraordinaires pour le jugement des procès civils ou criminels. — Interdire lei évocations et distractions de juges. — Pour remédier à la multiplicité et confusion des lois, faire compiler un volume de celles qui se trouveront nécessaires et utiles, et abroger toutes les autres. Ensuite que tous les juges soient tenus de fonder leurs jugements sur tes lois, sans pouvoir s'en dispenser sous prétexte d'équité et autrement. — Laisser aux cours de parlement la liberté d'opiner et délibérer sur la vérification des édits et patentes, sans qu'elles puissent être contraintes d'y procéder par injonction de la puissance absolue du roi, qui ne doit vouloir que ce qui est juste et raisonnable. N'expédier aucune lettre de jussion avant que les motifs et remontrances des cours n'aient été, par le roi en personne, entendus dans son conseil privé. — Le roi confirmera les lois et coutumes des provinces ; il ne pourra les changer, ni en faire de nouvelles sans le consentement des habitants desdites provinces. Il révoquera tous les édits faits au préjudice desdites lois et coutumes. — Dispositions sur le chancelier et les abus commis à la chancellerie. — En cas de vacance, nommer chancelier un naturel Français et gentilhomme ; de même pour les secrétaires d'État. — Supprimer le grand conseil, comme superflu et d'incomparable dépense ; interdire au conseil privé de juger. — Réduire les parlements au même nombre de membres que sous Louis XII. Composer les chambres, de deux présidents, dont pour le moins un gentilhomme de race, et de douze conseillers, dont le tiers de vrais ecclésiastiques, le tiers de gentilshommes de robe courte, portant épée, le tiers de robe longue. — Abolir la vénalité et le détestable trafic des offices ; déclarer infâmes et punir corporellement ceux qui en achèteront et les juges qui les recevront. — Les juges à la nomination du roi sur la présentation de trois candidats par les cours et tribunaux. — Supprimer les épices et donner aux juges des gages suffisants. — Abolir les élus comme une peste et calamité publique ; attribuer leurs fonctions à un syndic de chacun des trois ordres, ou aux baillis, sénéchaux, assistés des échevins et consuls.

INSTITUTIONS POLITIQUES.

T. — L'antiquité n'avait pas trouvé de meilleur moyen pour maintenir et réformer l'état universel du royaume que l'assemblée des états. Elle était autrefois si fréquente, que chaque année, le Ier mai, le roi se présentait à ses états, écoutait les plaintes et conférait avec eux de ses principales affaires. La milice du temps et la dépravation des mœurs rendaient ce remède plus nécessaire que jamais. Le tiers état demandait donc que les états fussent convoqués de dix en dix ans, tant pour maintenir ce qui serait actuellement ordonné, que pour mettre ordre aux inconvénients que le progrès du temps pourrait apporter ; cependant que pour cette fois, et afin de tenir plus tôt la main à l'exécution de ce qui serait décidé dans les présents états, ils fussent convoqués dans cinq ans, et que le roi déclarât le lieu et l'époque où ils s'assembleraient.

C. — Pour obvier à ce que le royaume ne tombât à l'avenir dans la misère et la désolation où il était, le clergé demandait que les états fussent convoqués dans deux ans, et ensuite de cinq en cinq ans, à Blois, le 15 novembre, sans autre publication ni mandement.

N. — La noblesse de cinq en cinq ans.

C. N. T. — Que les édits et ordonnances faits par le roi avec l'avis des états soient inviolables et ne puissent être révoqués que par une assemblée des états généraux. Que cet engagement soit juré par le roi, sa famille, son conseil et les parlements ; que personne n'ait égard à tout mandement contraire ; qu'il soit permis aux sujets de résister à tous ceux qui contreviendront, de quelque qualité et condition qu'ils soient, et que spécialement ils soient relevés de toute fidélité et devoir envers leurs seigneurs contrevenants.

T. — Nomination par les états de commissaires pour être entendus sur les articles des cahiers, lorsque le conseil s'occupera d'y répondre.

C. — Communiquer aux états les édits que le roi fera dresser sur leurs cahiers, afin qu'ils puissent faire des remontrances avant leur publication.

C. T. — Afin que les cours et tribunaux ne fassent pas de difficulté pour publier les décisions prises par le roi sur les cahiers des états, ordonner qu'elles auront toute force et vertu par la seule publication qui en sera faite en l'assemblée des états, et que les parlements les feront tout de suite publier et enregistrer purement et simplement.

C. — La multitude des grandes et importantes affaires ne permettant pas au roi d'y vaquer à toute heure, il était nécessaire qu'il se fit assister par des gens notables. En conséquence réduire le conseil privé à dix-huit ou vingt-quatre membres, outre les princes et officiers de la couronne, un tiers d'ecclésiastiques, un tiers de gentilshommes de robe courte, un tiers de robe longue laïques. Le roi était invité d'assister le plus souvent qu'il pourrait à son conseil, pour s'habituer de plus en plus à bien gouverner.

N. — La noblesse demandait le renvoi de tous les membres du conseil privé, et que le roi choisît pour ses conseillers douze gentilshommes d'honneur et six de robe longue, de sorte qu'il y en eût de chaque province ; que les membres des cours souveraines et autres officiers n'y fussent admis, afin qu'ils ne fussent pas distraits de l'exercice de leurs charges, et du service qu'ils devaient au roi et au public. Le tiers état vote pour cette dernière disposition et que le conseil soit rétabli comme sous Louis XII.

C. T. — Défendre aux sujets les associations, confédérations, pratiques et intelligences avec les étrangers. — Entretenir les alliances avec les rois et princes voisins ; ne leur faire la guerre que pour juste cause et par l'avis des états généraux, qui aviseront aux moyens d'en payer les frais, et de maintenir la grandeur de l'État. — Permettre à toutes les provinces de tenir des états provinciaux.

T. — La liberté dans les élections des magistrats municipaux, et pour ceux-ci, suivant l'ancienne coutume, de faire leurs assemblées générales et particulières sans être tenus de demander l'autorisation aux officiers royaux.

Le 11 décembre, les états avaient demandé que trente-six députés ou commissaires fussent admis au conseil royal lorsqu'il statuerait sur les cahiers. Le roi y avait consenti à condition qu'ils n'y auraient pas voix délibérative. Ainsi limitée, cette mesure répugne au tiers état. Maintenant le clergé et la noblesse lui proposent de nommer ses douze commissaires. Il n'est plus de cet avis, et Bodin est chargé d'aller en donner les motifs aux deux autres états. Il n'y a rien, leur dit-il, de plus dangereux en matière d'État que de rester ferme et arrêté dans ses résolutions ; il faut changer pour en adopter de plus saines. La mesure dont on demande l'exécution avait été adoptée sans en peser la conséquence. On a réfléchi. Le roi ne doit prendre personne pour assister au jugement des cahiers. Les états n'ont pas reçu de leurs commettants le pouvoir d'y prendre part. S'ils l'avaient reçu, ils ne pourraient pas les déléguer. Dans tous les cas, ils ne devraient pas en faire usage. Ce serait un grand préjudice pour le peuple français, réduit à quatre cents députés par forme d'états, si on les réduisait encore à deux ou trois douzaines ; cc serait des états à un trop petit pied. Quelle que pût être l'incorruptibilité des députés, il était à redouter qu'en présence de tant de princes et seigneurs la crainte ne les fit varier. Louis XI, avec dix-huit personnes qu'il convoquait comme états, disposait de tout à son gré, et de cette façon mit les rois hors de page. Ce serait de plus, en ôtant aux états leur forme légitime, un moyen de les perpétuer et de les rendre ambulatoires. Quand même les commissaires seraient incorruptibles et invariables, ils seraient toujours vaincus par la pluralité des voix. S'il arrivait qu'ils fussent en majorité avec des membres du conseil pour le bien public, le jugement ne demeurerait pas moins au roi, devant qui s'effaçait toute la puissance du conseil et de tous les magistrats et officiers du royaume. D'ailleurs le conseil privé n'avait aucun pouvoir en l'absence ou en la présence du roi, attendu qu'il n'était pas érigé pour juger.

L'archevêque de Lyon dit que les députés entreraient au conseil pour conférer, et non pour juger. Bodin réplique : Ce serait encore plus dangereux. Les commissaires, n'ayant pas voix délibérative, seraient toujours à la merci du conseil, qui ne ferait que le bon plaisir du roi, et cependant on dirait les députés ouïs et appelés en conférence ; de sorte qu'il n'y aurait plus de ressource. Quant au cahier du tiers état, il était si clair et bien raisonné, qu'il était impossible d'y rien ajouter ; le papier ne rougissait point. Si on était débouté, on aurait toujours recours au roi et à la voie de requête. Si le conseil privé trouvait des difficultés sur les articles, le roi pourrait mander quelques députés pour recevoir des communications ; ils en feraient rapport à l'assemblée qui répondrait au roi.

Ces raisons touchent fort peu les principaux archevêques et évêques qui aspirent à entrer au conseil privé. Bodin les prie de ne pas trouver mauvais que le tiers état s'y oppose. L'archevêque de Lyon lui objecte l'accord existant entre le clergé et la noblesse. Bodin répond : Le tiers état a plusieurs plaintes à porter contre les autres états ; il est contre tout droit divin et humain qu'ils soient juges et parties. La coutume ancienne du royaume, gardée dans tous les pays de la chrétienté, est que deux états ne peuvent rien arrêter au préjudice du troisième.

Le tiers état décide de supplier le roi de l'excuser s'il n'envoyait pas de députés à l'examen des cahiers, et de ne pas y admettre ceux du clergé et de la noblesse. Il arrête aussi qu'aucun des députés du tiers état, à compter de ce jour, ne pourra plus agir au nom des états. Aucun des trois états ne prend donc part à la réponse des cahiers. Le roi est très-mécontent. Dès ce moment, Bodin perd de sa faveur.

Les ambassadeurs envoyés au prince de Condé revinrent les premiers, et firent leur rapport. Il n'avait pas voulu les recevoir ni les entendre comme membres des états, qu'il ne reconnaissait pas dans une assemblée pour la formation de laquelle toutes les formes avaient été violées ; il n'y voyait que des députés pratiqués, corrompus, gagnés, sollicités même par les ennemis de la couronne, qui avaient voté l'abolition de l'édit de pacification, et travaillé à la ruine et à la subversion du royaume. Par devoir envers la couronne dont il avait l'honneur d'être si proche, et pour le salut de sa patrie, il emploierait tous les moyens que Dieu lui avait donnés jusqu'à son dernier soupir. Il était assuré d'être suivi par la plus grande partie de la noblesse et des Français qui désiraient conserver l'ancienne monarchie, si misérablement affligée depuis dix-huit ans. Si les états avaient été librement tenus, il s'y serait rendu pour l'affection qu'il portait au service du roi et au repos de sa patrie ; il savait de bonne part qu'on avait envoyé dans les provinces pratiquer les élections. Des députés s'étaient prostitués au point de prévariquer et de changer leurs cahiers. Il aimerait mieux être à cent pieds sous terre que de voir jouer de si piteuses tragédies. Pour épargner le sang des hommes et de la brave noblesse, il souhaitait que la guerre pût se décider entre les chefs et les principaux fauteurs ; il s'estimerait heureux de sacrifier sa vie pour retirer sa patrie du misérable joug de servitude sous lequel on voulait réduire la liberté ; il était assuré que le roi n'était point cause d'un si prochain et évident naufrage. C'était le pernicieux conseil de ceux qui se réjouissaient de voir répandre le sang des naturels français ; il en demandait vengeance à Dieu. Il avait toujours connu le roi très-débonnaire, naturellement éloigné de tous désordres, désireux de maintenir son peuple en bonne et loyale concorde, ce qui était le meilleur moyen de conserver sa couronne. Les envoyés essayèrent en vain de faire revenir le prince de la mauvaise opinion qu'il avait des élections, de la composition des états, de l'esprit qui les animait. Les faits parlaient trop haut. Il n'aurait consenti à les entendre que s'ils avaient eu quelque chose à lui proposer de la part du roi. Les conférences se terminèrent par des compliments réciproques.

Les envoyés expédiés au roi de Navarre firent aussi leur rapport. Il quitta le siège de Marmande pour venir les trouver à Agen. Plus politique ou dissimulé que le prince de Condé, il n'hésita pas à les recevoir ; il écouta leurs propositions ; les exhortations de l'archevêque de Vienne l'attendrirent, dit-on, jusqu'aux larmes. Le Béarnais joua la comédie. Il répondit par écrit aux états, et dans les termes les plus conciliants. Mais, sur le point capital, celui de la religion, persuadé que le parti qui avait été pris par les états ne pouvait ramener la paix, il les invitait à vouloir bien y penser et y repenser comme à la chose la plus hasardeuse et la plus importante dont on eût jamais délibéré en France. Quant à lui, si sa religion était la bonne, comme il le croyait, il voulait la professer librement ; si elle était mauvaise, il ne demandait pas mieux que d'être éclairé. Les états décidèrent qu'ayant remis leurs cahiers, ils avaient rempli leur charge, et qu'ils n'avaient plus de pouvoirs pour délibérer sur l'affaire du roi de Navarre.

Les états demandent au roi la permission de se retirer ; il répond qu'il va s'occuper des cahiers tous les jours sans interruption, depuis une heure après midi jusqu'à trois. Il désire que les députés restent jusqu'à la fin pour remporter dans leurs provinces quelques bonnes résolutions. Comme leur séjour serait trop onéreux, il se contentera qu'un député de chaque ordre assiste au travail sur les cahiers pour connaître les motifs des décisions. Les états ne consentent point à cette mesure, et persistent à demander leur congé. Plusieurs députés le prennent d'eux-mêmes. C'est surtout le tiers état qui est pressé de partir, et que la cour veut retenir ; il est mandé au château. Le roi, assisté des deux reines, des cardinaux de Bourbon, de Guise et d'Este, des ducs du Maine et de Nevers, et d'autres seigneurs, exprime de nouveau son désir qu'un certain nombre de députés assistent au jugement des cahiers. C'est une faveur dont il veut les gratifier, et qu'aucun de ses prédécesseurs n'a accordée. D'ailleurs, la présence des états est encore nécessaire jusqu'au retour des députés par eux envoyés au maréchal Damville, et du sieur de Montpensier, envoyé au roi de Navarre. Il peut survenir des circonstances où l'on aurait besoin du concours des états, ou au moins de six ou douze députés de chaque ordre qui représenteraient le corps. Il leur remet, pour en délibérer, les propositions suivantes : Demeurer en attendant la décision sur les cahiers ; nommer par chaque état six députés pour y assister ; venir à son secours en consentant à une subvention de 2 millions, et à une aliénation à perpétuité de biens de son domaine jusqu'à concurrence d'abord de 300.000 livres de rente, puis de 300.000.

Pour des subsides et l'assistance de députés au jugement des cahiers, le tiers état persiste dans ses précédentes résolutions, absolument négatives. Bien qu'on ne lui ait fourni qu'un état incomplet de recette et dépense, par son cahier, il a indiqué les moyens justes et raisonnables de décharger le domaine du roi, d'acquitter ses dettes, de libérer le fonds du revenu ancien de la couronne. Le roi peut en outre faire saisir les revenus des gros bénéfices vacants, même de ceux dont jouissent les laïques. Quant à l'aliénation de biens du domaine, elle excite une grande rumeur. Le clergé y consent. La cour cherche à corrompre des députés. On cite Bigot, avocat du roi à Rouen, et Hémart, président du parlement de Bordeaux, auquel on venait de donner mainlevée de ses gages arrêtés et une pension de 1.200 livres. Bodin est un des plus chauds opposants. On le pratique de toutes les manières pour le rendre favorable à l'aliénation. Ce député, qui mange à la table du roi, ne lui prête que son estomac et garde sa conscience ; il est inébranlable, parle avec une liberté gauloise, et entraîne la grande majorité de ses collègues par ces raisonnements :

Le domaine a été établi pour l'entretien de la royauté ; s'il y a de l'excédant, il doit être employé aux affaires de la république. Le roi n'en est que simple usager. Le peuple en est propriétaire ; seul, il peut en consentir l'aliénation. Il faudrait que les provinces eussent donné une procuration expresse. Elles ne l'ont pas fait ; il n'est pas de leur intérêt de le faire. En dépouillant le roi de son domaine, le peuple s'obligerait, et toute la postérité, à nourrir et entretenir le roi et le royaume ; il donnerait inévitablement ouverture à mille impositions. Non-seulement les états n'ont aucun pouvoir, niais ils ne sont pas au complet ; plusieurs députés sont retournés dans leurs foyers.

Pompone de Bellièvre revient à la charge ; il oppose à ces principes les grands mots de salut public devant lequel tout devait céder. Cette nécessité est contestée. Au grand déplaisir du roi, le tiers état rejette l'aliénation du domaine, et indique d'autres ressources, si les affaires du roi sont si urgentes : ce sont la moitié des rentes constituées sur les villes et communautés, excepté celles dues aux veuves et aux pupilles ; un emprunt sur les financiers ; une vente de domaines de l'Église.

Le clergé, invoquant ses immunités et privilèges, rédige une protestation signée de tous ses membres contre toute entreprise qui serait faite sur ses biens par vente, imposition, ou toute autre forme quelconque, menaçant des foudres de l'Église, sauf à lui à venir au secours de l'État par don volontaire, lorsqu'il y aura lieu.

Pendant tous ces débats, le roi prend sur lui, en présence des états, et sans leur concours, d'ordonner une imposition de 1.200.000 livres, à répartir sur les villes et gros bourgs par les maires et échevins.

Les députés conviennent de rester encore jusqu'au retour des ambassadeurs envoyés au maréchal Damville par les états, et au roi de Navarre par Henri III.

Trois jours après, les premiers arrivent. Ils avaient trouvé le maréchal à Montpellier ; il avait exigé que l'objet et les termes de leur mission fussent rendus publics ; il avait bien reçu les députés, et répondu par écrit à l'assemblée de Blois, à laquelle il déniait le titre d'états. Appartenant à une des premières familles du royaume, dont les ancêtres avaient mérité le titre glorieux de premiers chrétiens, il était prêt à vivre et mourir dans la religion catholique ; mais, loin d'approuver les violences exercées contre les calvinistes, il croyait qu'il fallait maintenir les édits, et permettre l'exercice des deux religions. Du reste, il ne pouvait rien résoudre sans avoir consulté le roi de Navarre et le prince de Condé.

Les trois états se réunissent pour délibérer sur ce rapport. Des députés du tiers état proposent d'insister auprès du roi pour la paix. Des députés du clergé et de la noblesse soutiennent que ce serait contrevenir directement à l'article des cahiers sur la religion. L'assemblée e sépare sans résultat, et s'ajourne au lendemain. Plusieurs députés du tiers état s'assemblent tout de suite secrètement pour empêcher que leur ordre ne demande la paix. Bodin, qui, depuis le départ des députés de Paris, remplit les fonctions de président, représente l'inconvenance et l'irrégularité de cette réunion anticipée et clandestine, s'y oppose et fait retirer le greffier. Les députés déclarent qu'ils n'entendent rien changer aux cahiers, ni demander la paix ; qu'il n'y a plus d'états, que leurs pouvoirs sont expirés ; ils protestent de la nullité de tout ce qui serait résolu dans l'assemblée du lendemain. Bodin leur réplique ; s'ils n'ont plus de pouvoirs, ils sont coupables d'un crime capital en s'assemblant sans mandement du roi, et en traitant de la paix ou de la guerre, cas réservés à la souveraineté. Il était d'un sentiment contraire ; les états pouvaient faire des remontrances tant que le roi ne les avait pas congédiés. Une fraction de députés ne formant pas un corps constitué, et n'ayant pas de greffier pouvait encore moins protester. Bodin les invite à se séparer ; ils refusent, il se retire. Ils rédigent leur protestation, et signent une requête pour supplier le roi de prononcer sur les cahiers, déclarant ne vouloir rien y ajouter ni en retrancher.

Le 28 février, les trois états reçoivent chacun séparément communication du rapport du sieur de Montpensier, que Henri III, de son côté, avait aussi envoyé au roi de Navarre. Ce prince avait tant de mécontentement et de défiance, que l'envoyé s'était vu plusieurs fois sur le point de revenir comme il était parti. Il avait pourtant fini par laisser le roi dans la meilleure volonté de contribuer au rétablissement de la paix. Après avoir fait le tableau de l'état déplorable où les guerres avaient réduit la France, sans avoir avancé les affaires de la religion, Montpensier, bon royaliste et catholique, conclut à ce que les états reviennent sur leur délibération, prient Henri III d'employer les voies de la conciliation, et de négocier avec le roi de Navarre en prenant pour base l'édit de pacification. Enfin le tiers état profite de cette ouverture pour rétablir dans une requête au roi l'addition que Versoris avait méchamment omise dans son discours du 17 janvier, savoir que le roi était supplié de réunir ses sujets en la religion catholique par tous moyens saints et légitimes et sans guerre. Le roi s'en occupe tout de suite dans son conseil, assemblé pour répondre aux cahiers dont le premier article est la religion. Le projet de réunion dans une seule religion est approuvé sans difficulté. Mais procédera-t-on tout de suite à son exécution, et comment ? Le roi exige que chacun donne son opinion. Les ducs de Guise, du Maine, de Nevers, et le cardinal de Guise sont d'avis d'une prompte exécution. et par la guerre. La reine mère, Biron, le maréchal de Cossé, Montpensier, Morvilliers, Bellièvre, tiennent pour la paix, non par esprit de tolérance, mais par prudence, parce qu'on n'a pas les moyens de faire la guerre. La reine mère et le roi font des révélations curieuses. Elle rappelle à son fils qu'elle a, une des premières, conseillé de ne permettre qu'une seule religion, et de se servir pour cela des états. Vous savez, dit-elle, quelles pratiques, quelles menées j'ai faites avec les députés, même avec monsieur de Lyon qui n'y voulait pas mordre, comme aussi avec beaucoup d'autres des trois états, auxquels j'ai parlé par votre commandement, et que j'ai amenés à cette résolution. Pour dire la vérité, ils ne s'y seraient jamais fourrés sans votre ordre, alléguant la plupart qu'ils n'avaient pas par leurs cahiers le pouvoir de le faire. La reine avoue toutes ces manœuvres pour qu'on n'élève pas de doute sur ses sentiments ; elle pense qu'il faut permettre l'exercice de la religion réformée au moins dans les lieux où l'on ne peut pas l'empêcher ; que le meilleur moyen de conserver la religion catholique est avant tout de conserver le royaume. Le roi, protestant comme sa mère de ses sentiments orthodoxes, rappelle aussi tout ce qu'il a fait pour qu'il n'y dit qu'une seule religion, jusqu'à briguer les gens des trois états, qui n'allaient que d'une fesse — c'est son expression —, pour les pousser à en faire la demande. Mais ils ne lui avaient pas fourni les moyens d'exécuter cette sainte résolution. Content d'avoir connu les sentiments de ses principaux officiers, il préfère le parti de la paix.

Ensuite il parle fortement aux députés des états. Il leur reproche leurs cabales secrètes, leurs engagements avec les étrangers et les factieux, et leur refus absolu de lui fournir de l'argent ; il leur déclare qu'il ne s'engagera pas, pour satisfaire leur caprice, dans une guerre qui lui serait honteuse et dommageable. Néanmoins, il veut faire le bien pour le mal. Au lieu de les abandonner à la fureur des hérétiques, il les prendra sous sa protection, à cause de la religion dont ils se disent faussement les défenseurs ; pour ne pas envelopper dans la ruine d'un petit nombre de séditieux et de méchants une multitude innombrable d'innocents et de vrais catholiques, il fera une paix avantageuse et durable. Là-dessus il congédie les états. Une paix durable ! ce n'est qu'une menace faite à la ligue. Le roi et sa mère se sont trop avancés pour reculer devant la guerre, ils l'ont voulue, ils la veulent. Mais ils n'ont pas d'argent, et le prince Casimir va joindre ses forces à celles des calvinistes. Le roi envoie Biron au roi de Navarre pour obtenir quelques restrictions aux concessions faites par l'édit de pacification.

Si le roi et la reine avaient employé pour la tolérance et la paix la plus petite partie de leurs manœuvres contre les calvinistes, étaient seulement restés impartiaux, nul doute qu'ils auraient trouvé un appui dans les états pour un système de modération ; car malgré les pratiques de la cour pour influencer les élections et corrompre les députés, le tiers état se montra ennemi de la violence, et il était entièrement composé de catholiques. Mais Henri III et sa mère même, laquelle on prête pins de caractère et de vues politiques, n'osaient pas prendre résolument un parti. Le roi venait de se déclarer chef de la ligue, et il accuse en face les députés ligueurs d'être des séditieux, des méchants, des complices de l'étranger ; il leur reproche de lui refuser de l'argent pour le triomphe de la religion, dont ils se disent faussement les défenseurs. La ligue n'oubliera pas ces injures, et Henri III les payera cher.

Une indemnité est allouée aux députés. Le clergé et la noblesse renouvellent la prétention de se la faire payer par le tiers état ; il se soulève. Il est convenu que chaque état payera ses députés. L'indemnité est ainsi fixée pour le clergé : par jour, archevêque, 25 francs ; évêque, 20 ; abbé chef d'ordre ou béni, 15 ; abbé commendataire, 12 ; doyen, archidiacre, 10 ; au-dessous, 9 ou 8. Quant aux menues dépenses, telles que meubles, huissier, gratification aux couvents occupés pour les réunions particulières, les députés de chaque état se cotisent pour les acquitter[6].

L'Huillier, prévôt des marchands de Paris, avait quitté Blois pour aller, par ordre du roi, faire signer l'Union par les habitants de la capitale. Elle est présentée au premier président de Thou ; il ne la signe qu'avec des restrictions. Son opinion peut devenir contagieuse, on s'en plaint au roi ; il expédie de Blois un maître des requêtes au président pour lui demander les motifs de sa conduite. Ce sont les mêmes qu'il avait exposés personnellement au roi lorsqu'il venait de se déclarer chef de la ligue ; le temps a justifié en partie les fatales prévisions du magistrat. Frappé de sa réponse, le roi mène de front la guerre et la pacification. Ses armées marchent sous le commandement des ducs d'Anjou, de Guise et de Mayenne. Il expédie au roi de Navarre, Montpensier, Biron, Villeroy. Dégoûté de sa situation, gagné par le marquisat de Saluces, et un magnifique commandement, Damville abandonne les calvinistes et tourne ses armes contre eux. Ils sont en proie à des divisions, leurs affaires ne paraissent pas en bon état. Cependant la cour ne croit pas pouvoir les réduire par la force, et semble condescendre à la dernière délibération pacifique des états. Les calvinistes déclarent qu'ils ne combattent que pour le maintien de leurs droits consacrés par les édits, à la différence de leurs ennemis qui, s'ils étaient une fois maîtres, tourneraient leurs armes contre le roi même. Enfin le cinquième traité de pacification conclu à Bergerac entre le roi de Navarre et le due de Montpensier est signé par Henri III à Poitiers, où il était allé pour activer le siège de la Rochelle (octobre 1577), et vérifié au parlement. Il restreint les concessions faites par le dernier édit ; les parties contractantes n'ont pas l'intention de l'exécuter.

Délivrée momentanément des soucis et des embarras de la guerre, la cour agrandit les plaies de l'État au lieu de chercher à les guérir. Le roi et la reine mère se livrent à des dépenses excessives et scandaleuses. Ils insultent à la misère publique et aux mœurs par tout ce que suggèrent à leur imagination les dérèglements les plus honteux. Pour se procurer de l'argent, ils ont recours à des expédients désastreux. La famille royale et la cour sont en proie aux divisions et aux intrigues. Il y a inimitié déclarée entre Henri III, le duc d'Anjou, et le duc de Guise qui marche leur égal. On se passionne pour des favoris. On voit un roi, le roi d'une grande nation, couvrir de baisers les cadavres de ses mignons, couper et serrer amoureusement leurs cheveux, leur faire élever des mausolées dans une église, et ériger des statues. Faut-il s'étonner si ce roi est tombé dans l'aversion et le mépris du peuple, des calvinistes et de la ligue.

Les affaires des Pays-Bas, où le duc d'Anjou est appelé à jouer un rôle, débarrassent quelque temps Henri III de son frère. Tandis qu'il languit dans la plus molle oisiveté, la reine mère en personne va conférer avec le roi de Navarre pour éclaircir des points qui depuis l'édit de pacification étaient restés obscurs et indécis. Elle voyage dans le midi, nattant les mécontents pour les rendre favorables à ses projets éventuels. La cour du roi de Navarre, quoique moins immorale que celle de Henri III, n'est pourtant pas sans reproche. Les femmes y jouent un grand rôle. Digne fille de sa mère, et encore plus dissolue, la reine Marguerite se sert des dames de sa suite pour corrompre les hommes et les entraîner dans des intrigues (1578).

Bien qu'aux états de 1576 Henri III se fût déclaré chef de la ligue, et qu'il l'eût propagée dans les provinces, les ligueurs n'étaient pas contents de lui. L'édit de pacification les irrita au dernier point et les jeta hors des bornes. Ils attaquèrent le roi sans ménagements. Le clergé surtout, dans ses prédications, lui porta les plus rudes coups. Il n'avait pas de peine à ruiner dans l'opinion des peuples un roi qui les accablait d'impôts, qui ne remplissait aucun des devoirs du trône, et qui se déshonorait par ses momeries religieuses et ses mœurs scandaleuses. Le débordement des édits bursaux fabriqués pour alimenter les profusions de la cour et les brigandages des favoris, excite la sollicitude du parlement. Le roi, dans ce qu'on appelle son lit de justice, fait violence à la magistrature. Dans les provinces on murmure, on s'agite ; les états de Bourgogne s'assemblent et font de très-vives remontrances. Le roi, effrayé, s'empresse, pour les apaiser, de transiger avec eux sur les impositions.

Mais ce n'est pas tout, ils demandent que les délibérations des états de Blois aient force de loi. Depuis plus de trois ans, le roi a toujours éludé de statuer sur les cahiers sous le prétexte des troubles qui existaient dans les provinces. Au mois de mai 1579 est enfin rendue la célèbre ordonnance de Blois en trois cent soixante-trois articles.

Elle sanctionne et convertit en loi les articles des cahiers non-seulement des derniers états généraux, mais de ceux qui les ont précédés ; elle renouvelle même des dispositions déjà contenues dans des ordonnances précédentes rendues aussi sur des cahiers d'états. Ce n'est pas la science législative, ni la connaissance des besoins de la société, ni les lois qui font défaut. On en fait de bonnes et sages pour le temps. Ce qui manque, c'est dans le gouvernement la volonté et le pouvoir de les faire exécuter ; c'est dans les rois, les princes, les grands, les conseillers de la couronne, le sentiment de leur destination et de leurs devoirs, l'intelligence de l'ordre social, des droits, des besoins des peuples et le respect de la dignité humaine. L'ordonnance de Blois consacre des réformes depuis longtemps réclamées dans l'Église, l'ordre judiciaire, la législation civile et criminelle, les universités, l'état militaire, l'ordre de la noblesse, l'état de la maison du roi et de la famille royale, l'administration des finances, la police, etc. Dans quelques-unes de ses dispositions, l'ordonnance met certaines gênes ou limites à l'exercice de l'autorité royale, par exemple pour la création d'offices et la nomination aux emplois publics. Mais en général les réformes sont purement civiles. En matière politique ou de gouvernement, les états de Blois, à l'imitation de leurs prédécesseurs, avaient proposé des institutions favorables aux libertés nationales, par exemple des états provinciaux, la périodicité des états généraux. Mais tout concours de la nation à la gestion de ses affaires épouvante la royauté. Elle provoque, elle entend, quand cela lui convient, des plaintes, des remontrances, y a tel égard qu'il lui plaît, et jalouse de son omnipotence, repousse avec dédain tout ce qui lui opposerait la moindre limite. Henri III, moins qu'aucun autre roi, est en état de comprendre ce qu'une représentation nationale donnerait de véritable force au pouvoir royal et au royaume.

Voici quelques dispositions principales de l'ordonnance de Blois : Les devins et astrologues punis corporellement. L'impression et la vente des almanachs sans permission défendues. Les confréries de gens de métier et artisans supprimées ; tous banquets défendus. Le rapt de séduction puni de mort. Toute ligue offensive et défensive, tant au dedans qu'au dehors, défendue. Ceux qui se loueront à prix d'argent ou autrement pour assassiner ou maltraiter, punis de mort. Il sera fait un recueil des seules lois qui sont usitées, et il sera commis mi certain nombre de jurisconsultes éclairés à la réformation des coutumes de chaque province. Confirmation des ordonnances d'Orléans, de Roussillon, de Moulins et d'Amboise. Envoi chaque année au parlement, par les tribunaux inférieurs, de mémoires sur les lois mal observées et les causes de cette inobservation. Défendre aux seigneurs de contraindre leurs vassaux à donner leurs filles, nièces ou pupilles à leurs serviteurs ou à d'autres, Les offices municipaux éligibles.

Les états avaient renouvelé la demande, déjà faite par des états précédents, que les ordonnances rendues sur leurs cahiers eussent force et vertu par la publication qui en serait faite dans l'assemblée des états, et qu'elles fussent enregistrées purement et simplement par les parlements. C'est, pour ainsi dire, une disposition constitutionnelle qui semble fondée en droit et raison. Car, s'il y a des motifs pour que les parlements vérifient les ordonnances rendues par le roi seul ou en son conseil, ces motifs n'ont plus le même poids pour les ordonnances rendues avec le concours des députés de la nation. Mais la royauté, d'ordinaire si humble et si souple à l'ouverture des états, dès qu'ils sont partis, ne veut pas les reconnaître comme copartageants de la puissance législative. Elle préfère avoir affaire aux parlements, dont la résistance finit toujours par céder aux lettres de jussion, d'exprès commandement, aux lits de justice. C'est ce qui arrive pour l'ordonnance de Blois. Le parlement fait des remontrances. Le roi le mande, se fâche, menace. Cela dure huit mois ; le 25 janvier 1580, le parlement enregistre.

Parmi les calvinistes, le peuple et les ministres sont sincèrement attachés à la religion réformée ; pour les grands elle n'est qu'un prétexte, un drapeau. Des difficultés étant survenues pour la remise des places réclamées par Henri III, le roi de Navarre recommence lu guerre, c'est la septième ; elle n'est pas heureuse. Le prince de Condé va solliciter des secours chez les- princes protestants. La crainte de voir encore les reîtres ravager la France, le mauvais état des affaires du roi de Navarre, le désir qu'a le duc d'Anjou de conduire dans les Pays-Bas les forces des deux partis, les décident à terminer les hostilités et à faire à Fleix une paix confirmative de celle de Bergerac (janvier 1581). Le nouvel édit est assez bien observé. La cour change de politique envers les calvinistes ; elle cesse les persécutions, cherche à les gagner par la douceur et par l'appât des dignités et des emplois devenus le prix des conversions. La mollesse, les voluptés, l'infirme favoritisme déshonorent de plus en plus Henri III et sa cour. Arques et Lavalette sont élevés à la plus haute fortune sous les titres de due de Joyeuse et de duc d'Épernon. Joyeuse épouse une sœur de la reine ; les noces coûtent près de 4 millions. Il est pourvu à ces folles prodigalités par des édits bursaux, pour créations d'offices, nouveaux impôts, taxes arbitraires. Les trésors et les hommes vont aussi s'engloutir dans les Pays-Bas afin de satisfaire l'ambition du duc d'Anjou, et dans des armements ruineux pour la reine mère, qui rêve la souveraineté du Portugal. Henri met le comble à l'avilissement de sa dignité d'homme et de roi en se traînant alternativement dans la fange des voluptés et des dévotions stupides et bizarres, retraites dans les cloîtres, confréries, mascarades, processions où figurent avec lui les premiers personnages de l'État. Joyeuse, d'Épernon, le duc d'Anjou, les Guise se détestent entre eux. La reine mère hait mortellement les Guise et les mignons, et se sert des uns contre les autres. 'fous ces scandales excitent l'indignation publique ; la ligue l'entretient et l'excite par des écrits et des sermons. Les prédicateurs, chargés dans le plan de l'avocat David de faire la guerre aux calvinistes et aux Valois, attaquent corps à corps Henri III comme un hypocrite, un faux catholique qui pactise avec les hérétiques. Il n'a pas d'enfants on lui prête la criminelle pensée de partager le royaume entre ses deux favoris.

La déprédation des finances et la pénurie du trésor continuent. Souvent l'argent manque pour la table du roi. De sa propre autorité il ordonne une levée de 1.500.000 écus. Il envoie dans les provinces des commissaires (août 1582), avec mission apparente de s'informer des abus et de recevoir les plaintes, mais, chargés réellement d'exposer sa misère, d'émouvoir les peuples et de faire payer cet impôt extraordinaire. Les cœurs sont peu touchés de la pénurie royale. Les magistrats des villes réclament les états généraux, déroulent le tableau des prodigalités, des dilapidations, de la misère des peuples. Ils reprochent au gouvernement de n'avoir tenu aucune des promesses faites aux états de 1576. D'après les adieux amers que le roi leur avait faits, il n'était pas disposé à se soumettre de nouveau à ce contrôle incommode.

Injures, vérités, calomnies, disette d'argent, Henri III supporte tout avec une stoïque insouciance. Il est un moment tiré de son apathie par la découverte de la conspiration, dite de la Salcède, ourdie par Philippe II, qui devait passer les Pyrénées avec une armée, pendant que les Guise auraient renfermé Henri III dans un cloître. Il se borne à faire écarteler la Salcède ; la ligue lui décerne la palme du martyre.

Peu confiant dans les états généraux, le roi convoque une assemblée de notables à Saint-Germain-en-Laye (novembre 1583). Ce sont les princes, des seigneurs, des ministres, des magistrats du parlement, des gouverneurs de provinces, des trésoriers de France et des secrétaires du roi.

L'assemblée est divisée en trois chambres, présidées chacune par un prince du sang. Sous la forme interrogative, on leur distribue les matières pour avoir leur avis. Elles embrassent la réformation du clergé, de la noblesse, de la justice, de l'administration, de la police, des finances. Les abus sont exposés par le gouvernement, et les remèdes proposés par l'assemblée avec une candeur qui semble promettre une solution favorable au rétablissement de l'ordre. Mais depuis nombre d'années, toutes les assemblées de notables et d'états généraux offrent le même spectacle. On met à nu les plaies de l'État, la triste condition du peuple, toutes les misères publiques. On fait de beaux, d'éloquents discours ; on prodigue les grands mots de justice, de morale, de religion ; tous les ordres de l'État et la couronne semblent concourir avec ardeur au triomphe des bons principes ; on rend de célèbres ordonnances qui ont immortalisé leurs auteurs et leur époque. Mais plus on multiplie les remèdes législatifs, plus on multiplie les abus. Les ordonnances ne sont point exécutées. Le pouvoir, dès qu'il est délivré dus assemblées, abandonné à lui-même sans contrôle, reste ou retombe dans son ornière. Les favoris, les courtisans, les gens de finances, paralysent facilement ses timides tentatives pour en sortir et les efforts de quelques hommes de bien perdus dans la corruption générale.

L'héritier présomptif du trône, le duc d'Anjou, meurt à l'âge de trente et un ans (10 juin 1584). Le roi dépense 200.000 écus à ses funérailles. Sa mort change tout à fait les intérêts et les desseins des partis. L'État se trouve dans une de ces crises qui éveille de nobles ambitions et met en jeu de basses intrigues. La médecine a décidé que Henri III n'a pas plus de trois ans à vivre. Il ne laisse pas espérer de postérité. Le roi de Navarre se regarde par sa naissance comme appelé à lui succéder ; les Guise sont accusés d'aspirer au trône. On prête à la reine mère le dessein d'y placer un enfant de sa fille et du duc de Lorraine. Si la couronne doit passer dans cette maison, le duc Henri de Guise veut que ce soit sur sa tête. Il y a un autre prétendant, le cardinal de Bourbon, d'un degré plus proche que son neveu le roi de Navarre, vain fantôme que le duc de Guise met en avant pour dissimuler ses projets. Henri III hait trop les Guise pour ne pas leur préférer le Navarrais. Sa religion est un grand obstacle, on travaille à le ramener dans le giron de l'Église ; mais il se défie de la cour, et il est retenu par son parti. Les ligueurs jettent les hauts cris contre Henri III, et l'accusent de connivence avec le roi de Navarre. Prédication, confession, libelles, ils emploient tous les moyens pour égarer les esprits, ils proclament les princes lorrains boucliers de la religion et pères du peuple. Ils font des enrôlements et des assemblées ; ils réchauffent la ligue et la renouvellent à Paris et dans les provinces. Sans l'approuver hautement, le pape la prend sous sa protection. Au fond, ce n'est qu'une querelle entre quelques ambitieux, qui s'inquiètent fort peu de sauver les âmes et de soulager le peuple. Mais le peuple est de bonne foi catholique, et il est tellement accablé, qu'il embrasse avec ardeur toutes les occasions de se soulever contre le pouvoir. Le roi fait des édits pour plus de 50 millions, il n'en entre pas deux dans le trésor ; les dons de cette année montent à 5 millions d'or. Effrayé de l'orage qui gronde sur sa tête, Henri III essaye de le conjurer, et d'apaiser le peuple par quelques soulagements ; la révocation d'édits, une diminution des tailles. Il établit une chambre royale pour faire rendre gorge aux financiers, c'est-à-dire, comme l'expérience l'a prouvé, pour partager leur butin. Enfin il cherche à se rendre populaire, en paraissant en public, affable, riant, caressant, en assistant aux confréries et grand'messes.

Ces momeries ne lui ramènent pas l'opinion. Sa politique extérieure tient la ligue en défiance. Le prince d'Orange est assassiné. Les protestants des Pays-Bas ne voient pour eux de salut qu'en livrant leur pays à la France. Henri III hésite entre les avantages de cette acquisition et le danger pour lui d'accueillir des hérétiques. En effet, Philippe II, épouvanté, remue, soulève la ligue, et conclut secrètement .an traité avec le due, de Guise et le cardinal de Bourbon. C'est une ligue offensive et défensive entre le roi d'Espagne et les princes catholiques, pour eux et leurs descendants, afin de conserver la religion catholique, tant en France que dans les Pays-Bas. A la mort de Henri III, le cardinal de Bourbon sera porté au trône ; tous les princes hérétiques relaps en sont exclus à jamais. Dans ce cas le nouveau roi renouvellera le traité de Cambrai, bannira tous les hérétiques, admettra le concile de Trente, aidera le roi d'Espagne à réduire les rebelles des Pays-Bas, Philippe payera aux princes français 50.000 écus par mois, et leur en avancera 400.000 de six mois en six mois ; dont le cardinal de Bourbon lui tiendra compte s'il parvient au trône.

Le traité a l'assentiment du pape. Il approuve aussi la ligue, certain qu'elle a l'approbation de Henri III, et estimant, dans le cas contraire, que la ligue ne doit pas moins persister dans ses plans. al accorde indulgence plénière à ceux qui aideront les princes catholiques.

La ligue se met à l'œuvre. Les ducs de Guise et de Mayenne, n'ayant pas leurs mouvements libres à Paris, et ne s'y croyant pas en sûreté, se retirent dans leurs gouvernements, rassemblent des troupes, en recrutent à l'étranger ; plusieurs villes et beaucoup de grands personnages se déclarent pour la ligue. Le cardinal de Bourbon publie un manifeste. Il se dit premier prince du sang, chef général de la sainte ligue. Il nomme lieutenants généraux du royaume le duc de Lorraine et le duc de Guise. Il rappelle les trahisons de Henri III, ses tendances hérétiques, son mauvais gouvernement. Ce royaume très-chrétien, dit-il, ne souffrira jamais le règne d'un hérétique. Nous déclarons avoir tous juré et saintement promis de tenir la main forte et armée pour que la sainte Église de Dieu soit réintégrée en sa dignité ; que la noblesse jouisse de sa franchise tout entière, et le peuple soit soulagé ; que les parlements soient remis en l'entière souveraineté de leurs jugements, et que désormais les états généraux, libres et sans aucune pratique, soient tenus de trois en trois ans (1585).

La position de Henri III est très-embarrassante ; s'il traite avec la ligue et le duc de Guise, il pactise avec la révolte, car elle est flagrante, et il subit leur domination ; s'il tente de les écraser, il n'est peut-être pas assez fort ; s'il s'allie avec le roi de Navarre, il justifie les accusations de la ligue. Incapable de prendre un parti, il tergiverse, et perd son temps à réfuter le manifeste du cardinal. Le roi de Navarre écrit aussi contre la ligue. Dans une déclaration aux parlements, prélats et villes, le duc de Guise justifie sa prise d'armes, et somme le roi d'employer les forces des catholiques à réduire les calvinistes, et au maintien de la seule religion catholique. Cette guerre de plume est suivie d'une guerre plus sérieuse. Les troupes des divers partis sont en mouvement dans les provinces. A Paris, en présence du roi, la ligue s'impatiente et menace d'éclater. Son conseil secret crée un comité révolutionnaire de seize individus, un par quartier. Ils appellent le duc de Guise, il se met en marche avec son armée. Henri III a peur. La reine mère entame des négociations avec le duc. Il exige un édit qui révoque toutes les concessions faites aux calvinistes, le commandement des armées pour l'exécuter, la remise de douze villes, des compagnies d'arquebusiers pour la garde des chefs, 100.000 écus pour bâtir une citadelle à Verdun, 600.000 pour payer les levées faites en Allemagne, une décharge des sommes prises dans les caisses publiques. Tout cela est accordé par le traité de Nemours (5 juillet 1585).

Le roi révoque par un édit les édits de pacification, va le faire enregistrer au parlement, et recouvre quelque popularité. Mais la révolte a fait la loi à la royauté. A la lecture du traité de Nemours, le roi de Navarre en est tellement affecté qu'un des côtés de sa moustache blanchit, dit-on, tout à coup. Il est impossible que Henri III ne ressente pas vivement l'outrage, et qu'il ne garde pas rancune à la ligue et au duc de Guise. En attendant, il écrit à ses gouverneurs : Ce n'est pas assez de s'être heureusement conservé des artifices de ceux de la ligue pendant ces nouveaux remuements ; il est maintenant question, puisque nous sommes tous réunis ensemble, de s'opposer aux surprises de ceux de la religion réformée. Cependant la ligue reproche au roi de procéder mollement à l'exécution du traité. On 'ni conseille de se montrer plus ardent que les plus enragés ligueurs. Les grandes résolutions ne vont pas à ce pauvre caractère. L'argent manque, il en demande au parlement, au corps municipal de Paris, au clergé. Messieurs, leur dit-il avec humeur, vous avez voulu la guerre, donnez-moi les moyens de la faire. Les ligueurs se récrient, et n'ouvrent pas leur bourse.

Jusqu'à présent le parti calviniste avait lutté avec le gouvernement. Depuis le traité de Nemours, les rôles sont changés. La ligue menace Henri III ; si elle le renverse, le parti court de grands risques, et les droits éventuels du roi de Navarre sont très-compromis. Il offre donc au roi de venir à son aide. Il exige pour condition première, que le Béarnais se convertisse et désarme. Tout de suite subitement, il ne le peut pas. Il redouble donc d'activité et frappe à toutes les portes pour augmenter ses forces. Il s'allie au maréchal Montmorency, au parti politique. Élisabeth d'Angleterre lui promet une diversion dans les Pays-Bas. On s'en remet au sort des armes. C'est la huitième guerre civile. Après des hésitations, le pape Sixte-Quint intervient dans la grande querelle, cède aux instances de la ligue, et lance les foudres de l'Église contre Henri, roi de Navarre, et Henri, prince de Condé. Il les appelle génération bâtarde et détestable de l'illustre maison de Bourbon. Henri III et le parlement ne donnent pas leur sanction à une bulle attentatoire à la souveraineté temporelle. Le roi de Navarre t'ait afficher aux portes du Vatican une protestation dans laquelle il déclare que M. Sixte, soi-disant pape, a tort et malicieusement menti ; il invite tous les rois chrétiens à s'unir à lui pour venger la majesté royale, et appelle de la bulle à un concile général.

Malgré le peu de sympathie qui subsiste entre Henri III et la ligue, les calvinistes ont sur les bras toutes les forces réunies du parti catholique ; ils suppléent ail nombre par leur courage et leur constance. Le roi de Navarre se tient sur la défensive. La guerre se traîne et n'a rien de décisif. Henri III désire la paix. La reine mère va trouver le roi de Navarre en Poitou. Une trêve est conclue ; elle est de courte durée ; les hostilités recommencent (1586). A mesure que la lutte se prolonge, Henri III se perd de plus en plus dans l'opinion. On lui reproche ses exactions fiscales, portées à un tel excès qu'il a épuisé toutes les ressources ; on l'accuse d'en employer les produits à enrichir ses favoris, à des prodigalités puériles et ruineuses ; de négocier avec, les hérétiques ; de mettre son plaisir à caresser des bichons et des épagneuls. Il en porte dans un panier à son cou. Cette manie et celle des singes et perroquets lui coûtent jusqu'à 60.000 écus par an. A la cour, les valets imitent leur maître. Lorsqu'un roi est descendu à un tel état d'avilissement et d'imbécillité, tout ne semble-t-il pas permis pour en délivrer la France ?

Les affaires intérieures pâlissent auprès des grands événements extérieurs, la guerre entre Philippe II et la reine Élisabeth, la mort de Marie Stuart qui relève les espérances de la réforme et excite la fureur des catholiques. Prompte à saisir tous les prétextes, la ligue accuse Henri III de complicité avec Élisabeth. Les Seize publient un manifeste pour la formation d'une armée de réserve prête, en cas de trahison ouverte du roi, ou à sa mort, à élire un roi catholique. Pour démentir ces calomnies, Henri III pousse vivement la guerre contre les calvinistes. Le roi de Navarre remporte une victoire signalée à Coutras (20 octobre 1587). La ligue y fait de grandes pertes. Joyeuse et quatre cents gentilshommes restent sur le champ de bataille. Son corps est transporté à Paris ; on lui rend des honneurs sur toute la route. Le roi lui fait célébrer de magnifiques funérailles ; on y dépense 100.000 écus, au grand scandale du public. Les calvinistes ne savent pas profiter de leur avantage. La division se met dans leur armée, elle se désorganise et se disperse ; ils laissent abandonnée à elle-même la grande armée allemande que leur amène le prince Casimir. Le duc de Guise marche au-devant d'elle et la détruit, en grande partie, dans les combats de Vimaury et d'Anneau ; le reste ne repasse la frontière que protégé par une convention faite avec le roi.

La campagne est glorieuse pour le duc de Guise. La ligue lui prépare un triomphe. Le roi lui défend de venir à Paris, et y fait une entrée victorieuse. Les acclamations ne sont pas pour lui. On lui reproche d'avoir, par ménagement pour le roi de Navarre, laissé retirer les Allemands qu'on pouvait exterminer. On porte aux nues le duc de Guise, grand capitaine, vainqueur des reîtres, défenseur de la foi. La faculté de théologie décrète qu'on peut ôter le gouvernement au prince qui ne remplit pas son devoir, comme l'administration à un tuteur suspect. Henri III mande les docteurs et des prédicateurs, les traite fort mal, et leur pardonne à condition qu'ils ne recommenceront plus ; ils ne tiennent pas compte de cette indulgence. La ligue ne veut pas attendre jusqu'à la mort de Henri III ; elle est impatiente d'avoir un roi de son choix. Les Guise ne sont pas moins pressés.

Les favoris, d'Épernon, comblé par le roi, son premier ministre, ne se dissimulent pas que les premiers coups porteront sur eux. Sous prétexte de pourvoir à la sûreté du roi, le duc organise, sous le commandement de Longnac, une bande de quarante-cinq hommes déterminés, capables de tous les crimes.

Le duc de Guise réunit à Nancy les princes de sa maison et des chefs de la ligue ; ils arrêtent de présenter une requête au roi pour le sommer de se joindre plus ouvertement à la sainte ligue ; d'éloigner de lui et des emplois du gouvernement les ennemis publics et les fauteurs de l'hérésie qui lui seront désignés ; de faire publier le concile de Trente ; d'établir la sainte inquisition ; de remettre à des chefs de la ligue certaines places où ils pourront bâtir des forteresses ; d'entretenir une armée sur la frontière de la Lorraine pour empêcher le retour des Allemands. Le roi paraît n'être pas très-éloigné de souscrire à la requête, et promet d'y répondre.

Les calvinistes font une grande perte. Le prince de Condé meurt empoisonné, laissant sa femme enceinte qui met au monde un fils. Une procédure est ordonnée contre elle par le roi de Navarre. Le parlement de Paris élève un conflit. On fait des réjouissances populaires dans cette ville (1588).

Impatients de la lenteur du duc de Guise, les ligueurs le pressent de s'y rendre. Leur organisation militaire est terminée ; ils ont trente mille hommes. Le duc envoie un certain nombre d'officiers pour les commander. Le projet des Seize est d'attaquer le Louvre, de faire main basse sur les gardes du roi, de s'emparer de sa personne, d'égorger le duc d'Épernon, d'autres conseillers et favoris.

Le duc de Guise s'approche de Paris, a une entrevue avec quelques meneurs ; et, apprenant que le roi fait venir de Lagny quatre mille Suisses, retourne à Soissons, où sont le cardinal de Bourbon et les autres princes ligués. A Paris, les ligueurs complotent d'enlever le roi qui va à Vincennes, accompagné seulement de cinq ou six personnes, et de l'emmener à Soissons. Averti à temps, il fait venir dé Paris de la cavalerie qui le ramène au Louvre.

Jusqu'à présent, jugeant mal le danger, ou trop faible pour y porter remède, Henri III reste sur la défensive. Mais à cette âme détrempée un peut rendre quelque velléité de courage et de vengeance. Les prédicateurs ne lui laissent pas un moment de repos. Un prêtre de Saint-Severin passe toutes les bornes ; Henri III l'envoie chercher. Le bruit se répand qu'il veut faire arrêter tous les prédicateurs. Le curé refuse de livrer le prêtre, et ameute ses paroissiens. Le fameux Boucher, curé de Saint-Benoît, fait sonner le tocsin ; Bussi le Clerc, avec sa compagnie en armes, se met en embuscade auprès de l'église ; les archers du roi sont vivement repoussés. Après cette levée de boucliers, les ligueurs appellent le duc de Guise à Paris. Le roi lui envoie Bellièvre pour lui enjoindre de ne pas venir. Le duc lui répond que l'honneur lui défend d'abandonner à leurs ennemis les sujets fidèles, les bons catholiques qui comptent sur lui, à moins qu'on ne lui donne des garanties pour eux ; que d'ailleurs il veut se justifier lui-même auprès du roi des odieuses imputations dont il est l'objet, et qu'il en demande la permission. Bellièvre l'engage à attendre pendant trois jours un sauf-conduit du roi. L'épargne est tellement à sec, qu'elle ne peut fournir 25 écus pour expédier un courrier. Le sauf-conduit est envoyé par la poste. Les trois jours expirent avant qu'il arrive. Le duc passe le Rubicon, entre dans la capitale faiblement accompagné, comme si sa personne seule devait imposer à ses ennemis autant qu'une armée ; il descend cavalièrement chez la reine mère. Elle le conduit au Louvre à travers les flots d'un peuple ivre de joie, qui salue de ses acclamations le sauveur de la religion et de la patrie. Dans ce moment, outré de tarit d'audace, le roi, entouré de ses gardes, jure la mort d'un sujet rebelle ; ses conseillers l'en détournent. Le duc entre dans le palais, sent sa résolution faiblir, fait pourtant bonne contenance, et paraît devant le roi. D'abord il s'excuse d'être venu sans ordre, désirant représenter lui-même à sa majesté la sincérité de ses actions, et se défendre contre les accusations calomnieuses de ses ennemis. Votre innocence paraîtra clairement, lui répond le roi, si votre venue ne cause pas de nouveauté et de trouble dans l'État. Le roi hésite encore à le faire arrêter. La reine mère lui représente le danger d'exciter la fureur du peuple. Guise prétexte la fatigue du voyage, salue le roi, sort, et se retire dans son hôtel où il se pourvoit d'armes et de soldats. Le lendemain, il se rend bien escorté chez la reine mère pour une entrevue avec le roi, et lui dicte ses volontés. Il faut chasser d'Épernon, les autres conseillers et favoris par qui se soutiennent les hérétiques, et procéder sérieusement à leur extermination. Le duc déclare qu'il ne souffrira jamais qu'au décès du roi, le roi de Navarre succède à la couronne, et qu'il est en cela l'organe de tous les catholiques. Henri III est réduit à l'humiliation de se justifier, lui et ses favoris, et répond qu'il ne peut faire la guerre aux hérétiques sans argent, et qu'on le lui refuse ; que l'agitation de Paris est l'ouvrage de quelques étrangers ; qu'il saura bien les chasser.

Des deux côtés on fait des préparatifs. Un édit ordonne à tout individu non domicilié d'évacuer la ville. La garde du Louvre est renforcée. Une bourgeoisie d'élite, sur laquelle compte la cour, est commandée, et placée à divers postes. Les quatre mille Suisses et deux mille gardes entrent dans Paris, occupent l'hôtel de ville, le cimetière des Saints-innocents, les ponts, les places, et coupent les communications. Ces forces bien employées suffisent pour faire la loi ; mais, au lieu de profiter pour agir de la terreur qu'elles répandent, on les laisse immobiles, et comme sur la défensive. Les ligueurs reprennent courage, éclatent à la fois dans tous les quartiers, tendent les chaînes, élèvent de toutes parts des barricades, ramassent des projectiles aux fenêtres des maisons, marchent contre les troupes royales, et, en attendant l'attaque, les tiennent bloquées.

Parmi les ligueurs sont quatre cents moines, huit cents étudiants, et à leur tête les prédicateurs furibonds, disant qu'il faut aller prendre frère Henri de Valois dans son Louvre. Que fait le duc de Guise ? Rien ; il a la partie belle ; il ne se montre pas. La cour le presse de sortir de Paris, et négocie. Barricadé dans son hôtel, il attend le dénouement de la crise. L'avantage de la position est pour les ligueurs ; les troupes royales ne peuvent plus conserver leurs postes sans s'exposer à être entièrement défaites. Alors la cour invoque le duc pour qu'il leur facilite le moyen de faire leur retraite sans s'exposer à être taillées en pièces. On ne pouvait lui confier un plus beau rôle ; il le remplit avec bonheur. Les troupes se retirent avec sécurité, excepté sur un point où soixante Suisses sont tués à coups de pierre et d'arquebuse. C'est tout le sang répandu dans cette journée. Le duc de Guise tient à son tour dans ses mains le sort du roi. Quel est son dessein ? Marchera-t-il au Louvre ? Tandis que la reine mère l'amuse par une négociation, Henri III monte à cheval, escorté par les troupes étrangères, se sauve par une barrière dérobée au milieu de quelques coups d'arquebuse des bourgeois, et se réfugie à Chartres, où il est rejoint par ses troupes et ses ministres.

Pour la ligue, c'est beaucoup de triompher dans la capitale ; la centralisation n'est pourtant pas si complète que l'opinion des provinces soit indifférente. Henri III leur écrit pour expliquer la journée des barricades, et les détourner de suivre l'exemple de Paris. Dans es dépêches, on ne reconnaît pas un roi ; il ménage encore un sujet rebelle, le duc de Guise. Il aurait pu, réprimer la sédition. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? C'était son droit et son devoir. Mais il aurait fallu verser le sang ; c'est sans doute une fâcheuse extrémité... quand l'existence du pouvoir est à ce prix ! Il ne l'a pas voulu, t'est-à-dire il ne l'a pas osé, il a eu peur pour lui ; il recommande aux peuples de rester fidèles. A qui ? à un roi infidèle à lui-même.

Le duc de Guise écrit aussi ; il affecte de la modestie et de la générosité. Il n'a pris part aux événements que pour sauver les troupes royales, prévenir des malheurs, et préserver le roi. Ce sont les favoris et les courtisans qui ont allumé l'incendie par leurs calomnies et leurs complots contre les vrais amis du trône et les défenseurs de la religion. Les ligueurs proclament la journée des barricades toute resplendissante de la protection de Dieu, et conjurent les autres villes de se joindre à eux, comme les membres au chef. En attendant, la ligue se fait remettre la Bastille et Vincennes ; elle érige la commune de Paris en une sorte de gouvernement municipal.

Malgré les humiliations dont Henri III a été abreuvé, entre lui et la ligue la rupture n'est pas si complète qu'il ne puisse y avoir un raccommodement. La reine mère est restée à Paris. Quand elle n'a pas pour elle la force, elle a recours à la négociation. Une longue pratique lui a donné de l'habileté. Elle négocie donc avec le duc de Guise. Il ne veut pas non plus fermer toute voie à un arrangement, et se déclarer en révolte ouverte. Que le roi continue de régner, pourvu que la ligue ait toutes ses sûretés, qu'il ne puisse l'empêcher d'accomplir ses desseins, et qu'il en soit même l'instrument. Une députation de la ligue en habit de pénitents, et une députation du parlement, vont trouver le roi à Chartres, lui demander pardon, et le prier de revenir à Paris. Henri III se montre assez miséricordieux. Cependant des deux côtés ou fait des conditions. On écrit, on discute. La ligue veut que le roi resserre ses liens avec elle, éloigne ses favoris, notamment d'Épernon, et qu'il convoque les états généraux. Le roi cède ; le traité est conclu. C'est l'édit de juillet 1588.

Le roi jure de vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et romaine ; d'employer tous ses moyens, sans épargner sa vie, pour extirper tous schismes et hérésies, sans faire jamais ni paix ni trêve avec les hérétiques, ni aucun édit en leur faveur. Il veut que tous ses sujets s'unissent à lui pour cette cause, et fassent le même serment ; qu'ils jurent de ne reconnaître, après sa mort, pour roi un prince quelconque hérétique ou fauteur d'hérésies ; il promet de n'employer dans les charges militaires, judiciaires, et de finance, que des catholiques ; de protéger et de défendre ses sujets qui s'uniront à lui, et ceux qui se sont ci-devant associés contre les hérétiques. Les sujets jureront d'exposer franchement leurs biens et leurs personnes pour la conservation du roi et de son autorité ; de se désister de toute association contraire à la présente union ; il déclare criminels de lèse-majesté ceux qui refuseront de la signer, et les villes désobéissantes déchues de leurs privilèges. Toute recherche est interdite au sujet des associations faites par les catholiques, attendu que ce n'a été que par zèle pour la religion. Le roi déclare éteint et comme non avenu tout ce qui s'est passé à cet égard, notamment à Paris, les 12 et 13 mai, les actes d'hostilité, prises de deniers, munitions, levées d'hommes, etc.

Cet édit, qui serait mieux nommé de proscription que d'union, est pour le passé l'amnistie, et pour le présent le triomphe de la ligue ; pour l'avenir, il porte en lui-même sa propre ruine. Ce n'est pas un pardon accordé par la clémence royale ; les sujets dictent insolemment leurs conditions. Que veut le duc de Guise ? Le voilà maire du palais. Se contentera-t-il de ce rôle ? Mais, malgré sa làclieté, Henri 111 ne se résigne pas à celui de roi fainéant ; il ressent vivement l'affront fait à sa dignité, et dissimule. A la joie qu'excite dans tout le parti catholique la publication de l'édit d'union, la cour prend une si grande part, qu'on peut croire à sa sincérité. Malheur à qui s'y Be Elle comble la ligue de ses faveurs. La reine mère amène au roi le duc de Guise à Chartres. Il se prosterne aux pieds de Henri qui le relève, lui sourit, l'embrasse et le nomme connétable ; le duc refuse ce titre, et se contente de celui de généralissime. Le roi renvoie ses ministres.

Les ordres avaient été expédiés pour convoquer, ainsi qu'il s'y était engagé, les états généraux à Blois, au 15 septembre.

Les lettres de convocation du 31 mai sont à peu près calquées sur celles du 6 août 1576, avec quelques différences motivées par l'état des choses. Le but de la convocation est de rétablir la tranquillité par l'extirpation de l'hérésie, et d'aviser à une réforme générale du royaume. Le roi est bien décidé à ne s'écarter en aucun point de ce qui aura été délibéré, conclu et arrêté dans une aussi noble assemblée. Il ordonne d'assembler les trois états dans les provinces pour rédiger leurs cahiers, et élire leurs députés, un de chaque état ; il recommande de ne nommer que des personnes bien affectionnées à la religion catholique, apostolique et romaine.

Le 15 septembre, le roi et sa cour étaient à Blois. Les députés y étaient en partie arrivés. Chaque état s'assemble séparément. Les députés sont admis par bailliage et province à présenter leurs révérences au roi, et, ce qui parait insolite, à lui baiser la main.

Il y a dans les âmes de vagues défiances, de mauvais pressentiments. Des seigneurs sont venus avec un grand train. Le duc de Guise dispose de cinq cents gentilshommes et d'un millier d'autres personnes dévouées. On répand que les calvinistes montent à cheval, et que le roi de Navarre s'approche de Blois. Les députés conçoivent des inquiétudes pour leur sûreté et la liberté des états. Ils délibèrent secrètement de faire des représentations au roi. L'archevêque de Bourges porte la parole, et dit que si les états, convoqués sous la foi du roi et en sa présence, étaient en péril, ce serait le plus grand déshonneur pour un prince souverain, et une infamie perpétuelle. Le roi répond qu'il le sait bien, puisque les états représentent tout le royaume ; qu'on peut être tranquille, qu'il ne sera pas fait le moindre mal à personne. En même temps, il fait observer que l'assemblée, n'étant pas complète, ne peut rien résoudre ; que d'ailleurs elle ne doit pas délibérer avant qu'il lui ait ouvert la bouche, à l'exemple de ce que faisait le pape aux conciles généraux, où il fallait avoir os apertum avant que le concile pût rien entreprendre.

Cependant les états procèdent à la vérification des pouvoirs. Il s'élève des difficultés sur la validité de quelques titres, ou par suite de doubles élections. L'esprit provincial, quoique en partie affaibli, suscite des rivalités et de puériles disputes de rang et de préséance. Le roi conteste aux états le droit de juger ces questions. Il leur fait communiquer par de Marte, son maître d'hôtel, et son commissaire auprès d'eux pendant toute la session, un arrêt du conseil qui évoque des contestations entre des députés et des bailliages. Les états envoient une députation au roi pour réclamer le jugement de ces différends. Il commence par chicaner sur l'admission de la députation, répétant que tant qu'il n'a pas ouvert les états, ou qu'il ne les a pas autorisés, ils ne peuvent rien résoudre. Il faut parlementer. Le roi consent enfin à recevoir les députés, mais comme particuliers, et en moindre nombre que celui qui se présentait. L'archevêque de Bourges porte la parole, et dit que la réclamation des états est fondée sur la raison et l'usage suivi dans les précédentes assemblées. Le roi répond nettement que les états n'ont aucune juridiction. Si les états précédents s'en sont attribué une, il désire qu'il en soit autrement. Il sait que les princes ont travaillé les élections. Il est de bonne foi et sans passion ; s'il veut retenir le jugement des difficultés, c'est pour éviter aux états les haines et les inimitiés des députés qui seraient exclus, et rendre une justice impartiale.

Cette réponse ne satisfait point les états. Le tiers état reprend la question avec le clergé. Il y a deux opinions ; l'une pour que les états exercent leur juridiction, sans s'arrêter aux arrêts du conseil, à l'exemple du bon pilote qui, en pleine mer, malgré les chants des sirènes, les écueils et les dangers, continue sa course ; l'autre pour que la question soit ajournée jusque après la nomination des bureaux, parce que jusque-là on ne manquerait pas d'opposer que les états n'étant pas constitués ne peuvent pas délibérer. L'archevêque de Bourges, président provisoire, ajoute qu'il convient d'exhorter tous ceux qui ont des différends à les soumettre à leur état ; ceux qui ne le feront pas ne seront pas assez imprudents pour vouloir entrer dans une compagnie sans son consentement ; d'ailleurs on les en rejetterait malgré tous les arrêts et jugements qu'ils pourraient rapporter.

Par suite du principe de la couronne, que les états ne sont rien avant que le roi leur ait ouvert la bouche, il s'oppose à ce que chaque état nomme ses officiers ; on donne aussi pour prétexte que les députés ne sont pas arrivés en assez grand nombre. Il leur est enfin permis de s'organiser. Le clergé nomme pour le présider les cardinaux de Bourbon et de Guise, et, en leur absence, l'archevêque de Bourges ; la noblesse, le comte de Brissac et le baron de Marignac ; le tiers état, Michel la Chapelle-Marteau, prévôt des marchands de Paris. Les officiers élus, présidents, secrétaires, et tous les députés, prêtent serment, à genoux, sur un crucifix, et jurent de ne rien rapporter de ce qui se passera dans leur chambre. Sur la manière d'opiner, iÎ est décidé que ce sera par gouvernement, ainsi qu'on l'a pratiqué aux derniers états de Blois.

Après l'organisation de leurs bureaux, les états jugent tous les différends qui se sont élevés sur les pouvoirs des députés. Une seule partie appelle au conseil d'une décision du tiers état. La question est agitée de nouveau entre des députés et le roi. C'est pour lui une nouvelle occasion d'attaquer le pouvoir des états. Il dit qu'ils ne parlent que comme sujets, qu'ils ne peuvent faire que des remontrances ; que dans une monarchie le sujet ne doit pas faire la loi au souverain. Les états répondent : Il y a moyen de contenter le roi, de conserver son autorité souveraine, et cependant de maintenir l'autorité des états. Il a promis, par ses lettres de convocation, de maintenir comme loi inviolable ce qui serait résolu par les états ; ils étaient jadis le seul conseil et parlement des rois ; c'était l'assemblée des plus dignes du royaume. Les particuliers députés n'y étaient pas comme sujets, mais comme conseillers, protecteurs et défenseurs du bien public, du royaume, de tout l'État. Ce qui était décidé par les trois ordres ne pouvait pas être suspect, ni être regardé comme une dérogation à la monarchie et à la puissance royale. Si l'on prétendait enlever aux états toute autorité, il ne restait plus aux députés qu'à retourner chez eux. Née d'une simple vérification de pouvoirs qu'on ne pouvait pas raisonnablement contester aux états, la question s'était singulièrement agrandie, puisqu'elle tendait à limiter l'omnipotence qu'affectait le pouvoir royal. Le tiers état arrête de supplier le roi, après l'ouverture des états et avant qu'on travaille aux cahiers, d'homologuer comme loi fondamentale ce qui sera par eux résolu ; pour le moment, cette résolution n'a aucune suite.

Le clergé ne veut pas qu'on admette aux états des personnages qui ont servi avec les calvinistes. Il s'agit des princes de Conti et de Soissons. Celui-ci a obtenu le pardon du roi et l'absolution du pape. Le clergé ne le tient pas moins pour excommunié. La noblesse est du même sentiment. La ligue empêche l'enregistrement des lettres patentes qui réhabilitent ce prince.

Il y a une grande ferveur pour les pratiques religieuses. La cour ordonne trois jours de jeûne, des messes, sermons, et une procession ; elle y assiste avec les états. Un jour est assigné pour une confession générale des députés. Le lendemain ils communient, par ordre du roi et par table de quinze, cinq de chaque état.

L'édit d'union a été enregistré au parlement et solennellement -proclamé dans toute la France comme loi fondamentale du royaume. Les ligueurs n'oublient pas qu'ils l'ont imposé au roi ; ils présument, non sans raison, que la plaie faite à sa dignité n'est pas guérie ; ils répandent même que le roi n'a pas irrévocablement rompu avec l'héré.sie. Le clergé veut donc donner à l'édit une nouvelle sanction, celle des états généraux, et le faire encore jurer par le roi au sein de l'assemblée. Il témoigne son mécontentement, et commande qu'on ne donne pas suite à cette proposition. Car l'obliger à renouveler ce qu'il niait fait si solennellement, c'est élever des doutes sur sa loyauté, et le tenir pour suspect. C'est peut-être l'intention du clergé, aussi est-il peu touché de ces raisons. Les trois états envoient une députation au roi. L'évêque d'Embrun expose le vœu de l'Église pour que l'édit d'union soit juré par le roi et les états, et tenu pour loi fondamentale. Le duc de. Brissac, pour la noblesse, remontre que, sans astreindre le roi à un nouveau serment, il suffit que l'édit soit juré par les états, niais en ce qui la concerne, sans préjudice de ses droits, immunités et privilèges. On ne voit pas le motif de cette réserve. Bernard, pour le tiers état, dit que ses collègues croient fermement que l'édit vient du ciel, et a été dicté par le Saint-Esprit à sa majesté ; ils reconnaissent que, sur sa seule parole, l'édit doit être tenu pour sacré et inviolable ; cependant ils le supplient de ne pas prendre en mauvaise part s'ils se conforment à l'avis du clergé. Le roi résiste. Le serment qu'il a prêté est, dit-il, bon ou mauvais ; s'il est mauvais, en le prêtant de nouveau, il serait impie et tromperait Dieu : si, au contraire, il est bon et franc, que faut-il de plus, à moins qu'on ne doute de sa foi et de son intégrité ? Il ne veut donc pas que les états l'invitent à le prêter, sauf à le faire de son propre mouvement, lorsqu'il statuera sur les articles des cahiers relatifs à la religion. On lui représente que les malintentionnés et les médisants diront que cet ajournement est un refus. Le roi réplique qu'il ne s'en inquiète pas, que sa conscience est en repos. A la sollicitation du clergé, les états poussent l'insistance jusqu'à délibérer d'aller en corps déclarer au roi que, s'il ne songe pas à jurer de nouveau l'édit à l'ouverture des états, ils demanderont à être congédiés. Le moment est pressant, on est à la veille de l'ouverture. Il faut à tout prix éviter un grand scandale. Le roi fait prier les états de ne lui envoyer chacun que douze députés. Il a, leur dit-il, toujours compté faire jurer l'édit par les états et renouveler son serment ; mais il veut rester maître de fixer un jour, et que cela procède de sa pure volonté. Il en prend donc l'engagement solennel, et en donne sa parole de roi. Il n'a rien tant en horreur, si Dieu le privait de lignée, que son royaume tombât entre les mains d'un hérétique ou fauteur d'hérésie ; il fera donc de son édit une loi fondamentale du royaume. Mais, de même qu'il défère au vœu des états, il veut aussi qu'ils jurent et reçoivent comme loi fondamentale l'article de l'édit portant prohibition de ligues, associations, confédérations contraires à son autorité. Les députés remercient le roi, et rapportent son discours aux chambres qui manifestent une grande joie. Il est convenu entre le roi et les états que la cérémonie de la prestation du serment aura lieu le 18 octobre.

L'ouverture des états est faite le 16, dans la grande salle du château, avec la même solennité et les mêmes formes que les états de 1576. Elle est ainsi composée : clergé, cent trente-quatre députés, dont quatre archevêques, vingt et un évêques et deux chefs d'ordre, vêtus de leurs rochets et surplis ; noblesse, cent quatre-vingts, avec la toque de velours et la cape ; tiers état, cent quatre-vingt-onze, partie gens de justice avec la robe et le bonnet carré, partie gens de commerce avec le capot et le bonnet rond. Total cinq cent cinq[7].

Lorsque tout le personnel de la cour et du gouvernement a pris les meilleures places, les députés du clergé et de la noblesse s'assoient sur des bancs, et ceux du tiers état se rangent par derrière comme ils peuvent. Alors le duc de Guise, grand maître de la maison du roi, assis sur sa chaise, habillé de satin blanc, la cape retroussée à la bizarre, perçant de ses yeux toute l'épaisseur de l'assemblée, pour reconnaître et distinguer ses serviteurs, d'un coup d'œil les fortifier dans l'espoir de l'avancement de ses desseins, de sa fortune, de sa grandeur, et leur dire, sans parler : Je vous vois, se lève, fait une grande révérence et, suivi de ses gentilshommes et capitaines des gardes, va chercher le roi. Lorsqu'il entre, tous les députés se lèvent et se découvrent ; il prend place et prononce un discours.

Il a toujours voulu une réformation générale de l'État, et il l'aurait opérée s'il avait été secondé par tous, comme il l'avait été par la reine sa mère. Il fait l'éloge de cette princesse, qui a mérité, par ses services et son dévouement, le titre de mère de l'État et du royaume. Elle l'a fortifié dans sa résolution de convoquer les états généraux ; c'est le remède pour guérir, avec les bons conseils des sujets et la sainte résolution du prince, les maladies que le long espace de temps et l'inobservation des ordonnances ont laissées s'établir dans le royaume. C'est le moyen d'affermir l'autorité légitime du souverain, plutôt que de l'ébranler ou de la diminuer, ainsi que voudraient le faire croire des gens malavisés ou malintentionnés. Sa conscience ne lui reproche point d'avoir fait des brigues ou menées, pour corrompre les suffrages, ni de n'avoir pas laissé l'entière liberté de remontrer dans les cahiers tout ce qui serait utile au bien particulier des provinces et au bien général du royaume, et même à y glisser des articles plus propres à troubler l'État qu'à le servir. Venant à la religion, ii rappelle tout ce qu'il a fait pour l'extirpation de l'hérésie, et l'oppose aux doutes que la malveillance répand sur sa bonne foi. S'il n'a pas entièrement réussi, c'est la faute de la division survenue parmi les catholiques qui a procuré au parti des hérétiques un avantage incroyable. La juste crainte que le royaume ne tombe, après sa mort, sous la domination d'un roi hérétique n'est pas plus enracinée dans les cœurs des états que dans le sien. C'est principalement pour cela qu'il a fait son édit d'union, qu'il va encore jurer avec les états, quoiqu'il l'ait solennellement juré, et consacré comme loi fondamentale. Mais en même temps il se montre très-préoccupé de la ligue. Il ne peut exister de ligue que sous son autorité ; c'est acte de roi, et en toute monarchie bien ordonnée, crime de lèse-majesté sans la permission du souverain. A cet égard, il veut bien mettre sous les pieds tout le passé ; mais, obligé, comme les états, de conserver la dignité royale, il déclare que les sujets qui ne renonceront pas aux ligues, ou qui y tremperont, sans son aveu, seront traités comme criminels de lèse-majesté. Il énumère les objets dont les états auront à s'occuper. Ce sont toujours les mêmes abus qui se propagent et augmentent de règne en règne, les mêmes promesses royales d'y mettre un terme sans cesse oubliées. Il est très-fâché de ne pouvoir maintenir sa dignité royale et les charges nécessaires du royaume sans argent. En son particulier, ce qui le passionne le moins, c'est d'en avoir, mais c'est un mal nécessaire. On ne peut faire la guerre sans finances, et puisqu'on est en si beau chemin d'extirper cette maudite hérésie, il faut de grandes sommes pour y parvenir. Il termine par exhorter les états à s'unir et à se rallier à lui pour combattre les désordres et la corruption, à mettre de côté toute autre ambition que celle d'opérer le bien public ; et les menace, s'ils font autrement, des malédictions et de l'infamie qu'ils attireront sur eux. Tout cela s'adresse aux chefs de la ligue, dont les entreprises inquiètent vivement Henri III. Le président de Thou le lui avait prédit.

Le garde des sceaux Montholon, se tournant vers le roi, lui dit que son cœur et sa bouche inspirés de Dieu et de la vérité, ayant parlé à son peuple représenté par les états, il pourrait se dispenser de prendre la parole, si ce n'était que sa majesté le lui avait commandé.

Le principal but de la convocation des états était le maintien de la religion. Ce texte est longuement commenté par l'orateur. Ensuite, pour établir la nécessité de réformer le royaume, il indique à chaque état les abus et les vices dont il est infecté.

Le clergé : les injustes provisions, l'admission aux charges ecclésiastiques, sans regarder la vie et la capacité des personnes. L'ambition et l'avarice, le cumul des bénéfices contre les canons. La non-résidence au mépris du droit divin. La corruption et la dépravation des monastères, leurs règles et disciplines presque perdues.

La noblesse : les blasphèmes et les jurements, les duels et combats privés. Tenir des bénéfices, en prendre les revenus ; retenir les fondations des hôpitaux et maladreries.

Le tiers état : sa principale destination est d'administrer la justice et la police au peuple ; dans cet état les juges sont au premier rang. Ainsi donc, dans la pensée de l'orateur, le tiers état, distingué du peuple, n'en fait pas partie, et n'est pas son représentant. La justice est mal administrée ; ici l'orateur répète tout ce qui a été dit à ce sujet dans tous les états généraux. Il représente ensuite le désordre des finances. Il termine son discours, du reste peu substantiel, par l'éloge du roi et de la reine mère.

L'archevêque de Bourges, pour le clergé, commence sa harangue par le même éloge, ou plutôt elle n'est tout entière qu'une dégoûtante flatterie, sans aucune vue de bien public.

Les orateurs de la noblesse et du tiers état se bornent à faire des remercîments au roi et à exprimer des espérances.

Blessés de plusieurs passages du discours du roi, le duc de Guise et les principaux ligueurs lui envoient l'archevêque de Lyon pour s'en plaindre, et en exiger le retranchement avant l'impression ; le roi prend le haut ton et refuse. L'archevêque le menace de la retraite de la plupart des députés. Le roi cède.

Suivant la promesse que lui ont arrachée les états, le roi ordonne par un édit que l'édit d'union sera de nouveau juré ; et pour user de représailles envers les états, qu'en même temps ils jureront aussi de garder et observer toutes les autres lois fondamentales du royaume concernant l'autorité, fidélité et obéissance dues à sa majesté. Le clergé trouve que les états ne peuvent pas jurer l'observation des autres lois fondamentales, sans connaître l'étendue de ce serment. Il délibère avec le tiers état d'ajouter telles qu'elles seront reconnues par les états. Plutôt que de se soumettre à cette addition, le roi renonce à la disposition de son édit. De son côté la noblesse ne veut lui donner son adhésion que sous réserve de ses privilèges. Douze députés de chaque état vont s'expliquer avec le roi. La discussion s'échauffe. Il reproche surtout à la noblesse, elle toujours si prodigue de son sang, de vouloir entrer en capitulation avec Dieu, son roi et les autres états. Cependant le roi est obligé de céder ; il déclare qu'il n'entend pas faire de lois fondamentales sans l'avis des états, ni déroger aux privilèges de la noblesse, non plus qu'aux lois concernant l'autorité royale et la soumission qui lui est due.

Le 18 octobre, les états généraux sont assemblés. Le roi vient leur annoncer que, quoique l'édit d'union ait été juré par la plupart d'entre eux, cependant pour qu'il demeure ferme et stable à jamais, comme fait de l'avis et commun consentement de tous les états du royaume, il vent que cet édit soit lu à haute et intelligible voix, et juré par eux en corps d'états, qu'il montrera l'exemple tout le premier, afin que sa sainte intention soit connue devant Dieu et devant les hommes. On fait lecture de l'édit et d'une déclaration du roi explicative de ses motifs et du serment qu'on allait prêter. Le roi en prononce la formule, et reçoit celui des cardinaux, des princes et des députés. L'archevêque de Bourges, dans une exhortation religieuse, lui adresse des remercîments.

Les axis et conseils des derniers états généraux, dit ensuite le roi, ont été si mal exécutés, qu'au lieu d'une réformation et de bonnes lois, tout a été mis en désordre. Il ne bougera pas qu'il n'ait fait un édit saint et inviolable pour le bien de l'État et le soulagement de son peuple. Il le jure, le veut, le promet, avec l'assurance d'aimer et traiter ses sujets comme un père doit aimer ses enfants ; il défend aux députés de quitter leur poste avant qu'il ait été statué sur les cahiers, et que ses ordonnances aient été faites pour être aussitôt publiées au parlement. Les députés répondent qu'ils le jurent. Le roi se lève, les députés le suivent et l'accompagnent aux cris de vive le roi ! jusqu'à l'église de Saint-Sauveur, où est chanté un Te Deum. Le roi, la cour, les états, le peuple se livrent à des transports de joie.

Chaque état travaille à la rédaction de son cahier. Des conférences sont établies entre des commissaires des trois états pour se concerter sur les divers articles.

Contrarié par les remontrances incessantes des états, le roi les fait prévenir qu'il n'en recevra plus de particulières, et qu'ils aient à les insérer toutes dans leurs cahiers.

Dans ce redoublement de ferveur pour l'édit d'union, les ligueurs n'entendent pas qu'il soit une lettre morte, et veulent en faire des applications qui servent d'exemple. Us s'en prennent au prince de Soissons, aux ducs de Montmorency, de Châtillon, au vicomte de Turenne et autres seigneurs. Montmorency pare le coup pour le moment, en envoyant dire aux états qu'il était prêt à servir le roi, à venir en personne jurer l'édit, et à donner son fils en otage. Quant au prince de Soissons, dans le cahier du tiers état de Paris, on demandait, conformément à une requête qui avait été présentée au parlement, qu'il Mt déclaré indigne de la couronne pour avoir aidé le roi de Navarre à combattre contre les catholiques, et assisté à la mort du duc de Joyeuse, tué de sang-froid à la bataille de Coutras. L'affaire est discutée dans l'assemblée du tiers état ; quatre gouvernements votent l'indignité ; quatre, que la question soit soumise aux deux autres ordres ; quatre, que la requête soit rejetée parce que le prince a eu l'absolution du pape, qu'il a juré l'édit d'union, qu'il est à la cour faisant le catholique. Cet avis l'emporte.

Alors on s'attaque à la plus grosse tête du parti, au roi de Navarre. Au nom des calvinistes rassemblés à la Rochelle, il fait présenter au roi une requête pour demander l'exécution de l'édit de janvier, un concile national, la restitution des biens confisqués ; que les états souscrivent à ces articles, à défaut de quoi il déclare protester de nullité contre tout ce qui s'y fera. En réponse à cette requête, le clergé arrête que le roi de Navarre, ayant les armes à la main, doit être déclaré criminel de lèse-majesté divine et humaine, relaps, avec confiscation de ses États, indigne, lui et sa postérité, de la succession et de tous droits au royaume. Cette délibération est communiquée à la noblesse et au tiers état. Le roi mande l'archevêque d'Embrun ; il désire, lui, avant de rien décider sur le roi de Navarre, qu'il soit sommé de nouveau de rentrer dans le sein de l'église catholique. Le roi sait bien que cela ne servira à rien ; mais lorsqu'on aura mis le Navarrais en demeure, la guerre paraîtra plus juste. Le clergé regarde ce préalable comme superflu et ne l'adopte pas. La noblesse et le tiers état se joignent au clergé. Les trois ordres portent leur délibération au roi. Il témoigne son regret de ce qu'on n'a pas fait une dernière sommation au roi de Navarre. L'archevêque d'Embrun dit que c'est un membre pourri, et, qu'étant excommunié, on ne peut en rien le reconnaître. Eh bien, réplique le roi, si vous craignez tant l'excommunication, le légat du pape est à ma cour pour vous absoudre. Cependant ne croyez pas que, si j'étais d'avis de sommer le roi de Navarre, ce fût pour le rendre habile à me succéder. Car lorsque Dieu ne me donnerait pas de lignée, je pourvoirai tellement au royaume, que jamais roi qui aura été hérétique ne vous gouvernera. Les trois ordres s'obstinent dans leur résolution. Le roi persiste à faire la sommation au roi de Navarre pour lui ôter tout prétexte de se plaindre, et pour détacher de lui les catholiques qui le suivaient. Il prie les états de vouloir bien ne plus l'importuner de cette affaire. Ils conviennent de faire de leur délibération le premier article de leurs cahiers.

Les ligueurs poursuivent jusqu'aux morts. Les états délibèrent que ta mémoire de feu Henri de Bourbon, prince de Condé, est éteinte, et que sa postérité est déclarée inhabile à succéder à la couronne. On propose d'ajouter : Sans préjudice des autres princes de la maison de Bourbon. Cette addition est rejetée.

Le clergé renouvelle sa demande, toujours rejetée, de la publication pure et simple du concile de Trente. Il est, dit-on, poussé par le duc de Guise. Son but est, en cas de succès, d'obtenir la reconnaissance de la cour de Rome, et, s'il ne réussit pas, d'exciter la rancune du pape et du clergé contre le roi. Il est assez disposé à la publication du concile, mais il prévoit l'opposition des parlements, grands conservateurs des libertés gallicanes, et désire que la question soit examinée à fond. On nomme des commissaires. L'assemblée est nombreuse et en grande partie composée d'ecclésiastiques. On y distingue Saint-Gelais de Lansac, ambassadeur du roi au concile, et l'archevêque de Lyon, homme violent et emporté, grand clabaudeur, qui aspire au chapeau de cardinal. Le roi et l'État n'y sont représentés que par Despeisses, avocat général, et le procureur général la Guesle. Les conférences s'ouvrent. Despeisses expose et développe avec science et talent les principes cent fois répétés qui s'opposent à la publication du concile. Le cardinal de Gondi et l'archevêque de Lyon interrompent souvent le magistrat et s'emportent contre lui en invectives. Il leur ferme la bouche par des reparties aussi justes que piquantes. Lansac fait un magnifique éloge du concile. Despeisses lui oppose les lettres qu'il écrivait de Trente à l'ambassadeur de France à Rome, et dans lesquelles il se plaignait du concile en termes très-amers et méprisants. Il y disait notamment que toutes les semaines on envoyait de Rome aux pères du concile le Saint-Esprit dans une valise. A ces mots les rieurs ne sont pas du côté de Lansac. Un murmure confus s'élève dans l'assemblée ; un cri général lui succède ; l'assemblée en désordre se sépare. Le roi regarde comme dirigé contre lui l'injure faite à ses commissaires. Les conférences ne sont pas reprises. Les états insèrent clans leurs cahiers un article pour la publication du concile, mais toujours sous la réserve des libertés gallicanes.

Le tiers état revient sur une grave question déjà agitée, et la présente sous une forme plus modérée. Il demande au clergé et à la noblesse leur avis sur l'autorité des états, et quelle attitude ils prendront en présentant leurs cahiers, si ce sera celle de suppliants ou celle de conseillers. Le clergé et la noblesse trouvent la question d'une grande importance, ne veulent pas s'expliquer jusqu'à ce que les cahiers de chaque état aient été conférés, et estiment qu'il faut attendre l'effet de la promesse faite par le roi dans son discours d'ouverture. Il n'a pas fait difficulté d'y reconnaître les états pour ses conseillers, ce qui n'était ni une grande concession, ni contestable. Il a de plus promis de respecter comme fondamentale, et inviolable même par lui, toute loi qu'il rendrait sur leur avis.

Quant aux questions qui s'élèvent sur la vérification des pouvoirs et l'admission des députés, le pouvoir royal renonce à sa prétention, et les états continuent à les décider pendant toute leur session.

Chaque état a la police de son assemblée. Un particulier d'Aix ayant, dans un mémoire présenté au tiers état, employé des expressions offensantes pour les autorités de cette ville, est appelé dans l'assemblée et réprimandé.

Les états accordent des congés aux députés, mais sous le bon plaisir du roi.

Dans toutes les assemblées, quelques hommes se font remarquer par l'influence que leur donnent leur capacité et leur caractère moral. Il y en a dans tous les ordres, et principalement dans le clergé et le tiers état. Le barreau est une riche pépinière, et au premier rang pour l'indépendance et l'art de dire.

L'avocat Bodin, député du Vermandois, a été la plus grande figure des états de 1576. Dans ceux de 1588, c'est Étienne Bernard, avocat, député de Dijon, que le tiers état nomme son orateur ; après lui, vient son ami et codéputé Bernard Cousin, de la même profession[8].

Les cahiers des provinces sont de nature à inquiéter le pouvoir royal. Dès les premiers pas des états généraux, Henri III a jugé qu'il ne les dirigera pas à sa volonté, il cherche donc à gagner les députés influents. En 1576, il avait invité Bodin à manger à sa table ; maintenant, il recherche, il caresse Bernard ; il l'invite, ainsi que Cousin, à une entrevue ; il leur fait des compliments sur leur bon esprit et sur celui de toute la Bourgogne, les en remercie, et promet de leur en témoigner sa reconnaissance en temps et en lieu ; il leur fait part de toutes ses bonnes dispositions, et du regret qu'il a d'avoir été si mal servi. Il est si bien disposé, que les états ne partiront pas sans avoir été satisfaits ; son désir le plus cher est de laisser à la postérité un bon souvenir de son amour pour son peuple ; il devise avec eux, pendant plus dune heure, de la suppression des offices, des partisans, ries dons immenses, des mauvaises dettes, de la misère des villageois, et d'une foule d'autres sujets.

Henri III avait une arrière-pensée : proscrire, frapper d'incapacité, pour cause d'hérésie, les Bourbons et surtout le roi de Navarre, héritiers légitimes et vivaces du trône, c'était en aplanir l'accès au duc de Guise, ou à ce vieux rameau sans sève de la maison de Bourbon, le cardinal, instrument du duc. Quelles auraient été pour les Français les conséquences de cette révolution dynastique ? Qui valait mieux pour eux, des Guise ou des Bourbons ? Henri III ne s'en inquiétait guère. Les Guise l'ont trop offensé, non-seulement pour qu'il leur permette de régner, mais pour qu'il leur pardonne jamais son injure.

Dans toute convocation des états généraux, les rois ont toujours eu pour motif un but particulier, spécial, quelquefois secret, qu'ils couvraient du prétexte banal de la réformation de l'État : Venez, accourez, disaient d'un ton paternel les lettres royales : exprimez en toute liberté vos besoins, vos plaintes, vos doléances ; éclairez notre religion, conseillez-nous. Soyez assurés que notre vœu le plus cher est de nous entendre avec vous pour guérir les plaies de la France et fonder sa prospérité. Les provinces le croyaient, ou avaient l'air de le croire ; elles rédigeaient des cahiers et les remettaient à leurs députés. Leur plus grande occupation, lorsque le roi leur avait permis de travailler, était de compiler tous ces documents partiels et d'en former un tout qui exprimât le vœu national. Lorsque l'on compare à ces manifestations successives ce que les rois ont fait pour les satisfaire, on voit que les cahiers, s'ils n'ont pas été entièrement inutiles, n'ont jamais amené les grands résultats que la France avait le droit d'en attendre. Mais c'est une semence qui n'est pas tombée sur un terrain stérile et qui a fini par produire ses fruits. Henri Ill fait comme ses prédécesseurs ; alléchés par ses belles paroles, les états généraux font comme leurs devanciers, ils se livrent avec ardeur à la rédaction de leurs cahiers ; chacun des trois ordres veut avoir le sien séparé. Ils communiquent entre eux par commissaires pour s'accorder sur les objets d'intérêt commun, ou pour maintenir par des égards réciproques la bonne harmonie. Aussi ne voit-on pas que dans le cours de leur session elle ait jamais été troublée.

Les finances sont, avec la religion, l'affaire la plus importante et la plus pressée. Les états généraux, venant toujours avec la mission de demander une diminution des charges publiques, ont au moins le droit d'espérer que, par pudeur et par égard pour eux, le roi n'augmentera pas les impôts en leur présence. Henri III ne se gène pas plus à cet égard de la plupart de ses prédécesseurs. Tandis que les députés arrivent, il bat monnaie en créant de nouveaux offices, il lève des deniers extraordinaires. Les états lui portent leurs plaintes ; il donne de mauvaises défaites, et promet de surseoir à l'exécution de ses édits.

Il presse les états, toute autre affaire cessante excepté celles de l'Église, d'aviser aux fonds nécessaires pour la guerre entreprise contre !es hérétiques. Le bruit se répand que, dès que les états auront accordé ces fonds, ils seront renvoyés. Le roi attribue ce bruit à la malveillance, et proteste de sa ferme résolution de pourvoir sur leurs avis aux besoins du royaume. Quatre conseillers apportent un état de h situation des finances. Ils demandent, pour 1589, neuf millions d'écus. Il en faut au moins deux pour l'entretien des armées destinées à l'extermination des hérétiques. Les conseillers communiqueront, lorsqu'il le faudra, les pièces justificatives. Après examen, l'état de la situation est trouvé incomplet, fautif, et si embrouillé qu'on n'y voit goutte. Le roi déclare que son intention est que rien ne soit caché, et qu'il envoie à Paris un de ses maîtres des comptes pour y faire les vérifications nécessaires.

L'administration des finances est détestable, et l'une des plus grandes plaies du royaume. La royauté se complaît dans le désordre et semble craindre l'ordre comme une atteinte à son pouvoir. On ne l'a pas encore vue présenter aux états ou adopter un système régulier ; de leur côté, les états n'ont rien imaginé de mieux, pour prévenir les dilapidations, que de s'emparer de l'administration des deniers comme on l'a vu sous le roi Jean, ou de demander l'établissement de chambres, dites de justice, pour faire rendre gorge aux voleurs, financiers et courtisans. S'il faut s'étonner, ce n'est pas de ce que le désordre continue depuis des siècles, mais de ce que la France ait pu y résister. Nous sommes à la fin du XVIe siècle ; la royauté, fixée dans son ornière, ne sait que demander de l'argent, et les états en sont encore à proposer une chambre de justice. Voilà pour le passé. Pour l'avenir, ils exigent une réduction des tailles ; ils insistent sur le sursis promis par le roi aux levées de nouveaux deniers. La discussion est très-animée. On se propose de requérir le roi de licencier les états s'il ne défère pas à leur vœu.

Un député de Paris, Coqueley, conseiller clerc au parlement, met le doigt sur la plaie : C'est, dit-il, des finances qu'il faut s'occuper ; c'est là qu'il faut frapper fort, sans s'arrêter à de petites réformes ; bien qu'utiles, elles ne relèveraient pas le royaume qui de tous côtés tombe en ruine. Rechercher les riches courtisans, partisans et autres vermines, presser fortement l'éponge, soulager le peuple, pour le surplus faire vingt-cinq ou trente bons articles comme règles d'État, cela suffisait en attendant un siècle plus doux.

La reine mande le président du tiers état, lui lave la tête, et lui fait entendre qu'il est au moins inutile de parler de réduction de ; tailles. On a demandé, dit-elle, la guerre pour l'extirpation de l'hérésie, et l'on ne veut rien payer pour les frais ; c'est, en propres termes, bailler d'une main et retenir de l'autre. Si l'on persiste, le roi s'indignera, se fâchera, et n'aura aucun égard aux demandes des états.

Le pauvre peuple, répond le président, est réduit à la dernière extrémité. La convocation des états lui avait donné quelque espoir de soulagement. Cependant, dans plusieurs provinces, on a reçu les commissions des tailles, elles sont très-augmentées ; du reste, quant à lui il n'y peut rien ; c'est une résolution des états. La reine insiste et charge le président de faire connaître à ses collègues le mécontentement du roi. Ces menaces sont sans effet sur les états ; ils maintiennent leur résolution, et arrêtent de la présenter au roi.

L'archevêque de Bourges porte la parole. Loin d'avoir, dit-il, délivré le peuple d'une partie des charges oppressives dont il est grevé, on les a encore augmentées depuis l'ouverture des états. Le mécontentement a éclaté dans les provinces. Pour qu'il n'amenât pas de mauvaises conséquences, les états avaient cru devoir faire au roi des remontrances sans attendre la rédaction des cahiers. Car la levée des impositions amènera une grande irritation des sujets, à cause de leur pauvreté et de leur impuissance. On ne doute pas que le roi ne s'empressât de les soulager s'il connaissait leur triste situation, mais on cachait la vérité aux princes. L'orateur fait le tableau le plus véridique des manœuvres, intrigues, malversations et dilapidations de ceux qui entourent le roi, et la peinture la plus désolante de l'état déplorable de la France. Il conclut par demander provisoirement la réduction de tous les impôts au taux où ils étaient lors des derniers états généraux, et l'établissement de la chambre pour la poursuite des gens de finances.

Quoique l'archevêque ait parlé au nom des trois états, et qu'il ait laissé peu de chose à dire, le président du tiers état croit devoir ajouter quelques mots. Il ne reste plus, dit-il, aux misérables sujets, réduits à la dernière extrémité par les charges publiques et les ravages des gens de guerre, que l'esprit et la voix, et encore bien faible. En recevant quelque allégement, comme l'avait promis le roi, le peuple pourrait réparer ses forces pour secourir sa majesté ; si les charges continuent, il demeurera accablé sous le faix sans pouvoir jamais se relever. Les états savent bien qu'avec tant d'affaires sur les bras, le roi ne peut avoir recours qu'à l'aide de son peuple. Mais on peut trouver des moyens de suppléer à son impuissance.

La convocation des états, répond le roi, n'a été faite que pour le soulagement de son peuple, et il y travaille sans cesse avec toute l'affection qu'on peut désirer. Il n'a rien de plus à cœur que d'entendre les plaintes des états, et de réparer par leurs bons avis les désordres du passé. Il ne faut pas se persuader qu'il veuille écorcher ses sujets, il a l'âme trop bonne pour devenir tyran. Pour montrer combien il désire peu de surcharger son peuple, il ne demande simplement que l'entretien de sa maison et des fonds pour les frais de la guerre nécessaire à l'exécution de l'édit d'union. Il promet de contenter les étals avant leur départ, et d'aviser à leur faire droit sur leurs requêtes.

Tandis que les députés se retirent, ceux qui restent en petit nombre forcent le président à dire au roi que, s'il ne fait pas droit aux demandes des états, il ne trouve pas mauvais qu'ils demandent leur congé. Le roi répond qu'on lui fait injure, et que les députés s'ont trop bons Français pour abandonner leur poste.

On sent bien la nécessité de fournir des fonds au roi, niais personne ne veut que ce soit par l'impôt déjà si onéreux. Ln emprunt sur les financiers est ce qui sourit le plus aux états. Le clergé et le tiers état nomment des commissaires pour recevoir les noms de tous ceux qui se sont enrichis aux dépens du peuple.

Le roi mande les députés Bernard et Cousin ; il les reçoit en présence de l'archevêque de Lyon. Il veut, dit-il, soulager le peuple, régler sa maison et la réduire au petit pied. S'il a trop de deux chapons, il n'en aura plus qu'un. Il regrette beaucoup sa manière de vivre passée. Mais le contraindre à réduire la taille aux taux de 1576, c'est impossible et vouloir tout ruiner. A la guerre contre les hérétiques il risquera sa personne ; mais lui retrancher ses moyens, ce n'est pas l'encourager. Il faut du moins faire des fonds avant de diminuer les impôts. Cousin et Bernard lui répètent ce que les présidents des trois ordres lui ont débité plus au long. Il leur réplique : Je vois bien que nous tendons tous au même but mais par des chemins différents.

Il mande aussi le président du tiers état et son collègue le président de Neuilly. Il se plaint amèrement de la résolution prise par les états pour la réduction des tailles et de leur menace de se retirer, s'il n'y est pas pourvu conformément à leur requête. Les provinces seront très-mécontentes si elles sont frustrées dans l'espoir qu'elles ont fondé sur le travail des états. Il attribue ce projet à quelques particuliers ennemis du bien public. Avant d'en venir à de semblables extrémités, il faut du moins que l'on examine l'état des finances qu'il a fait présenter, et que l'on délibère. Il ne demande point qu'on se désiste des requêtes, mais il veut que l'on confère avec ses commissaires pour s'entendre sur les fonds nécessaires. Il se contentera de trois millions d'or pour l'entretien de l'armée, et même moins, et consentira à ce que le reste demeure dans les mains de ceux que désigneront les états, sans que les trésoriers en aient le maniement.

Des commissaires du roi viennent conférer avec les états. Il surseoira au payement des tailles et subsides, pourvu qu'on lui fournisse cinq millions d'or pour sa maison et la guerre. Des affaires urgentes l'ont empêché de s'occuper de la chambre de justice. Les commissaires se retirent très-mécontents. Les états ne sont pas plus touchés de l'intervention du duc de Guise ; il leur représente en vain qu'un refus de satisfaire le roi profitera aux calvinistes ; que l'édit d'union ne sera pas exécuté.

Le roi mande encore les députés Bernard et Cousin ; il leur renouvelle ses plaintes et leur expose sa misère. Ses bonnes intentions sont. dit-il, méconnues. Il se propose de vivre autrement qu'il ne l'a fait, Il n'a pas un sou. C'est une honte que dans son conseil on tire la langue d'un pied en voyant ses besoins. Ses dépêches ne partent pas faute d'avoir cent écus pour payer ses courriers. Parler d'une réduction des impôts au taux de 1576, c'est le perdre ainsi que l'État. Quant à l'érection de la chambre, il se plaint de ce que les états veulent nommer un des présidents ; c'est balancer son autorité, il ne peut le souffrir. D'ailleurs les états seraient juges et parties. Les deux députés insistent sur l'impossibilité où est le peuple de payer les impôts, et engagent le roi, s'il ne les croit pas, à mander les présidents des provinces.

Il les appelle, et les entend l'un après l'autre, en présence de la reine mère. Il n'a pas lieu d'en être content. Le président de Normandie lui dit en propres termes que la pauvreté est si grande que les gens de la campagne se mangeront. Les états déclarent persister dans leurs requêtes, et suspendre, jusqu'à ce qu'on y ait fait droit, le travail des cahiers.

Il y a encore beaucoup d'allées et venues, de conférences, de négociations sans résultat ; de guerre lasse, les trois états se rendent chez le roi. L'archevêque de Bourges réitère leurs plaintes et remontrances. Il s'excuse de leur insistance par le mécontentement qu'excite dans le peuple le retard apporté par le roi à prononcer, et la crainte de quelque rupture ou dissolution précipitée des états. Il cite le mot de la vieille à l'empereur Adrien. Il n'avait pas, lui dit-il, le loisir de s'occuper de sa requête. Eh bien, lui répliqua-t-elle, ne régnez donc plus. L'archevêque conclut à ce que le roi diminue les impositions et établisse la chambre de justice. Henri III, après une allocution où il proteste d'un ton très-haut de l'amour qu'il porte à son peuple, dit : Je vous accorde vos requêtes. Il est interrompu par les cris de vive le roi. Dès qu'il peut se faire entendre, il ajoute : A la charge que vous me fassiez des fonds et que vous rue donniez des moyens assurés pour l'état de ma maison et les frais de ta guerre, suivant vos promesses. On le lui accorde avec joie. Le roi signe un état des décharges et remises d'impôts montant à la somme de 2.666.666 écus ou 8 millions de livres.

Les états arrêtent d'aller remercier le roi, et de veiller à ce que sa résolution soit rendue exécutoire. De Marie vient de sa part demander que les remercîments soient renvoyés au dimanche prochain, et qu'alors les états lui apportent l'état des impositions dont ils entendent que le pays soit déchargé par l'entérinement de leur requête, et des moyens de pourvoir aux dépenses de sa maison et aux frais de la guerre.

Le dimanche suivant on chante le Veni Creator et le Te Deum. Le théologal de Senlis prêche un singulier sermon. Le roi, dit-il, retient toujours ses mauvais conseillers, ses harpies, ses corrompus financiers ; il faut courageusement les chasser, sans quoi la France ne peut rien espérer. Quant aux états, on n'en tient aucun compte, ce sont des états d'oiseaux. On y envoie un merle pour chanter, et un faucon pour y donner quelques coups de bec. C'est une allusion à MM. Marie et Faucon que le roi envoie aux états pour communiquer avec eux. Les assistants se mettent à rire. Cela n'est point risible, continue le prédicateur, ce sont des oiseaux qui ne conviennent pas aux états, ils sont maudits par l'Évangile. Ce sont d'autres chanteurs qu'il leur faut, le coq qui annonce la lumière. Nouvelle allusion au député Coqueley qui avait parlé si franchement, que les gens de cour l'avaient menacé.

L'avarice et l'ambition font taire certains individus, reprend le prédicateur ; l'un pour être conseiller président, l'autre évêque ; l'archevêque veut être du conseil d'État. C'est ainsi qu'on cherche à gagner les députés. L'avarice est le plus grand artifice dont le diable se soit servi pour tenter Dieu quand il le porta sur le pinacle du temple, lui disant : Hœc omnia tibi dabo. Tant qu'on aura à la cour ces satans de d'O et Dabo, jamais la France ne se rétablira. Allusion à MM. d'O, surintendant des finances, et Dabo, financier.

A propos du conseil du roi, il parle de Roboam qui disait à ses sujets : Mon père ne vous a donné que les étrivières, je vous donnerai des écourgées et le fouet jusqu'au sang. Il ne vous a fait payer que cent écus de taille, je vous en ferai payer cent mille. C'était un conseil de jeunes gens qui l'avaient réduit à la besace. Il ne demeura roi que de la ville de Juda ; tout le reste de son royaume se révolta. Le roi Henri s'est bien gardé d'en faire autant, il a suivi le conseil des vieux. Cette remise des tailles, cette alliance avec son peuple, sont la sûreté de sa couronne et de son royaume, car le peuple vexé par les subsides extraordinaires, aurait secoué le joug ; le champ le plus fertile, bien labouré, ne porte pas tous les ans ; il fallait le laisser reposer une année, pour en tirer une moisson.

La reine mère assistait à ce sermon.

Si l'on prêche avec cette liberté en présence de la cour, que ne se permet-on pas derrière ? Depuis la journée des barricades, le clergé de Paris ne cesse pas d'insulter, d'outrager, de menacer le roi ; cet exemple est suivi dans les provinces. Il n'est pas permis d'élever la voix pour le défendre, sous peine d'encourir les violences du peuple exaspéré par les prédications.

Le nombre des trésoriers généraux avait été décuplé ; c'était une grande dépense. Les états en demandent la réduction. Les trésoriers payent d'audace. Ils se portent en masse à la chambre du tiers état ; ils y sont reçus poliment. A peine l'un d'eux, le savant Sainte-Marthe, a commencé à parler, on s'aperçoit qu'ils ont avec eux un notaire. Le président les rappelle au respect qu'ils doivent aux états, et leur dit que le greffier tiendra note exacte de ce qu'ils pourraient avoir à remontrer. Le notaire sort. Ils répondent que ce qu'ils veulent représenter est contenu dans un papier qu'ils remettent, et ils se retirent. C'est une protestation injurieuse. Les députés, y dit-on, sont pleins de passion et d'animosité ; les élections ont été faites par monopoles et brigues. Leurs avis sont remplis d'iniquités ; ils veulent mettre au désespoir beaucoup de bonnes familles, les trésoriers protestent contre tout ce que les états pourront décider. L'injure n'est pas tolérable, les trois ordres s'accordent à demander au roi, pour réparation, que les trésoriers lacèrent de leur propre main leur papier ; que chacun d'eux soit condamné à payer mille écus d'amende, et à tenir prison jusqu'à l'entier payement. Le roi les réprimande, mais de manière à montrer qu'il n'est pas fâché de l'injure faite aux états. Cette affaire n'a aucune suite.

Pour se débarrasser de l'obsession des états, le roi leur avait promis do faire droit à leurs requêtes, c'est-à-dire de réduire les tailles et de créer une chambre ardente, mais à condition qu'ils lui fourniraient des fonds ; il demandait cinq millions d'or. Par quels moyens se procurer de l'argent ? Les faiseurs d'affaires se mettent en mouvement, présentent des expédients, ou, comme les charlatans, se disent possesseurs de secrets. Des députés apportent leurs idées. Les états nomment une espèce de comité des finances pour recevoir et élaborer tous les projets. Ou est bien peu avancé, au fond et dans la forme, pour établir une situation, en embrasser l'ensemble, et concevoir un système. Intéressés à ce que leur détestable administration ne soit pas éclaircie, les partisans ne fournissent que des documents incomplets. La cour est dans leur dépendance, et aime mieux y rester que de se mettre dans celle des états. On les assemblait si rarement, que les députés, en général étrangers à l'administration, sont fort novices dans la matière. Le petit nombre de ceux qui en ont la théorie ou la pratique profitent des abus et en sont complices.

On n'allait pas vite en besogne, le roi s'impatiente et presse vivement les états. Il se dit réduit à la dernière extrémité ; son pourvoyeur ne veut plus fournir sa table ; ses chantres refusent le service. Le roi mande les députés pour les émouvoir par le récit de sa misère, et particulièrement Bernard et Cousin. Ils n'acceptent pas toujours ces entrevues et, sans se gêner, font dire au roi qu'elles peuvent les rendre suspects à ceux qui ne connaissent pasteur intégrité. Endoctrinant Bernard sur l'affaire des fonds, le roi a, dit-il, reçu le matin son Créateur, et jure sur la damnation de son âme, que jamais il n'a été si bien résolu de soulager son peuple. Il a promis de faire la guerre aux hérétiques si vivement, que lors même qu'il aurait le poignard à la gorge, il aimerait mieux mourir que de reculer. Il veut que les fonds destinés à la guerre soient employés par les états, que l'on fasse même un coffre à deux clefs, l'une dans leurs mains, l'autre dans la sienne. Il jure de ne pas imposer son peuple sans leur avis, et qu'il aimerait mieux mourir que de contrevenir à son serment. C'est le comble de l'avilissement, de l'hypocrisie, de la lâcheté. Cependant les états sont dupes de ces belles paroles ; des députés pleurent d'attendrissement lorsqu'elles leurs sont rapportées. Le tiers état vote d'enthousiasme une provision de 120.000 écus qui sera empruntée sous la responsabilité de ses membres, pour subvenir aux besoins les plus pressants du roi, savoir 90.000 pour les armées et 30.000 au roi, à la charge que cette somme sera remboursée sur les premiers et clairs deniers. Le roi v eut au contraire que ce remboursement ne soit fait que sur le fonds extraordinaire que doivent fournir les états. Sur ce fonds on n'avance à rien ; on allègue aux commissaires du roi qui viennent conférer, le mécontentement qu'ont les états de la dilapidation des finances, le peu d'espérance que le roi fera à l'avenir un meilleur emploi du fonds de trois millions d'or : on en a levé neuf cette année, et cependant tout est perdu ; c'est le fait des mauvais conseillers, ce sont eux qui retardent l'érection de la chambre contre les partisans ; tant qu'ils ne seront pas chassés, les états ne pourront rien faire d'utile ni de profitable.

Le roi propose que cette chambre soit composée de vingt ou vingt-quatre membres par lui nommés sur une liste de cent juges chois :s par les états dans les cours souveraines. Il demande quelque chose de plus que la somme de 120.000 écus qui lui a été offerte. On répond qu'on opinera sur ces propositions lorsque le roi aura fourni la liste de son conseil, pour que les états puissent désigner les membres qui leur seront suspects. Cependant l'obligation pour l'emprunt des 120.000 écus est passée.

Depuis trois mois les états et le roi sont en présence et comme deux puissances rivales. Dès le début, la vérification des pouvoirs amène un conflit. Le roi la dispute aux états. Il ne leur reconnaît ni juridiction ni autorité ; ils ne sont que des sujets, ils n'ont que la faculté de faire des remontrances. La question devient beaucoup plus grave. Les états se prétendent conseillers de la couronne, protecteurs et défenseurs du public. Elle doit homologuer leurs décisions ; elles sont lois fondamentales, elle ne peut les révoquer ; le roi lui-même s'y est engagé en convoquant les états. C'est une de ces questions pour lesquelles il n'y a ni loi ni juge ; elle reste indécise.

Les états exigent que l'édit d'union soit de nouveau juré par le roi. C'est lui montrer de la défiance ; il s'indigne, marchande, cède et récrimine. Il jurera, mais comme de son propre mouvement, et à condition que la disposition de l'édit sur toutes ligues contraires à son autorité, ou faites sans son autorisation, sera déclarée loi fondamentale. La noblesse n'y consent que sous la réserve de ses privilèges.

Les états veulent proscrire le roi de Navarre. Le roi veut qu'on le mette en demeure par une sommation. Les états refusent, et persistent.

Le clergé demande la publication du concile de Trente ; les autres états font une réserve, celle des libertés de l'église gallicane. Le clergé ne l'admet pas. Le roi n'est pas contraire à la publication. Il veut seulement que la question soit examinée, et nomme des commissaires ; le clergé les insulte, ils se retirent.

Les finances sont un vrai champ de bataille. La couronne est aux abois. Le roi n'a pas le sou. Il tend la main, il s'humilie. On veut faire la guerre aux calvinistes, on ne lui en donne pas les moyens. Les états exigent la diminution des tailles ; si le roi ne l'accorde pas, ils menacent de se retirer. L'archevêque de Bourges lui met le marché à la main. Le roi cède encore. Le théologal de Senlis, dans un sermon, le ridiculise et l'outrage. Les trésoriers de l'épargne viennent à leur tour au sein des états les insulter en face.

Décidément les états et la couronne ne peuvent s'entendre. Est-ce, de la part des états, une opposition systématique ? Ils sont d'accord avec le roi sur la plus grave de toutes les questions, et décidés, comme lui, à ne souffrir qu'une seule religion. Les députés et le roi ont juré l'édit de l'union. Sur les autres affaires, la réforme de l'État, les finances, il n'y a, dans la conduite des états, rien de nouveau ; la cour, le gouvernement, continuant les désordres et les abus, ce sont toujours les mêmes doléances. Rien de plus naturel que cette lutte ; combien de fois n'en a-t-on pas vu d'aussi vives sans que le trône en fût ébranlé ? Après une session plus ou moins agitée, on renvoyait les états, et le roi usait de son omnipotence. Pourquoi Henri III ne ferait-il pas comme ses prédécesseurs ? C'est que la situation s'est compliquée. D'après l'édit d'union, juré dans tout le royaume, toute autre association, non autorisée par le roi, était criminelle et devait cesser. Cependant la ligue, loin de se dissoudre-, s'est renforcée ; elle continue de régner à Paris, elle étend sa domination dans les provinces, elle paralyse le gouvernement royal, elle est hostile au roi. Un génie, ambitieux, ennemi de la race des Valois, est le chef de la ligue, il la dirige, l'inspire et la pousse. Le trône attend le duc de Guise ; Henri III craint que tût ou tard il ne vienne s'y asseoir. Dans l'âme du roi, la mort du sujet rebelle est depuis longtemps désirée ; en ce moment elle est résolue.

Le 23 décembre, le tiers état était assemblé pour sa séance ordinaire et par exprès commandement du roi. Un avis parvient au président ; il y a du bruit au château, les ponts sont levés et les soldats sous les armes ; en ville, les boutiques se ferment. Lafosse, député de Caen, est envoyé aux informations. Le Roy, député d'Amiens, propose de lever la séance. Ce bruit, dit Neuilly, ne mérite aucune attention, c'est probablement quelque mutinerie de laquais. D'autres députés, supposant la chose sérieuse, demandent que personne ne bouge de la salle, asile sûr pour une partie de la représentation de la France. Pendant tous ces propos, des soldats, armés de piques, de hallebardes et d'arquebuses, se présentent à la porte, Richelieu, grand prévôt de l'hôtel, à leur tête ; ils entrent en criant avec furie : Tue, tue, tire, tire ! on a voulu tuer le roi ; les conjurés sont de la compagnie. L'émotion, l'étonnement et la frayeur sont à leur comble. Le député Bernard s'avance, et dit : Le roi ne peut permettre une si grande insolence et un tel mépris des états. Richelieu invite les députés à reprendre leurs places. Je viens, dit-il, au nom du roi, et il n'y a aucune offense ; le roi a failli d'être tué par deux soldats qui ont inculpé le prévôt des marchands de Paris, président de la chambre, et le président de Neuilly, et je viens les arrêter pour les mener vers sa majesté. Ils se présentent et se livrent eux-mêmes. Richelieu tire de sa poche une liste d'autres prétendus conjurés, sur laquelle sont Compans, échevin ; Orléans, avocat ; Auroux, bourgeois, députés de Paris ; Le Roy, lieutenant civil et député d'Amiens ; Duvert, avocat, député de Troyes ; Duvergier, député de Bordeaux. Malgré les prières et les remontrances, on arrête et on emmène La Chapelle-Marteau, le président de Neuilly, Compans et Le Roy ; Auroux et Duvergier étaient absents ; Duvert se sauve. Ces violences excitent l'indignation des députés. Bernard veut qu'ils suivent tous leurs collègues, on ne leur permet pas de sortir. On vient enfin annoncer que le duc de Guise, le cardinal, son frère, et l'archevêque de Lyon, appelés par le roi au château, y ont été tués. On est consterné ; les plus sages et les plus résolus ne savent que faire. Riollé, lieutenant général de Blois, dit à son collègue Bernard : Actum est de Gallia. Les portes de la ville, le pont et la rivière sont gardés, personne ne peut sortir. Les députés en sont prévenus le soir à cri public. Réunis par petits groupes, ils passent la nuit dans les angoisses.

Les circonstances du coup porté au château sont enfin connues. Henri III a feint de vouloir expédier quelques grandes affaires avant les fêtes de Noël, et a convoqué les membres de son conseil au 23 décembre ; il s'assemblait dans une salle près de la chambre du roi. De grand matin il avait lui-même aposté des assassins de la bande de Longnac. A huit heures, le duc de Guise, le cardinal, son frère, l'archevêque de Lyon et quelques autres sont arrivés dans la salle du conseil. Le roi mande le duc dans sa chambre ; comme il s'y rendait, huit ou dix assassins se jettent sur lui et lui portent plusieurs coups de poignard. Il se défend en désespéré ; ils l'achèvent d'un coup d'épée dans les reins.

Le maréchal d'Aumont arrête le cardinal et l'archevêque dans la salle du conseil. On se saisit du vieux cardinal de Bourbon, de la duchesse de Nemours, du prince de Joinville, des dues de Nemours et d'Elbeuf, de Hautefort, Saint-Aignan, Bois-Dauphin, Brissac, La Bourdaisière et Péricard, secrétaire du duc de Guise. Pendant ce temps-lé, le grand prévôt, Richelieu, faisait son expédition dans la salle du tiers état. Le sort du cardinal de Guise et de l'archevêque de Lyon est mis en délibération devant le roi. Le cardinal est condamné à mort et de suite expédié dans la même forme que son frère ; l'archevêque a la vie sauve. Les corps des deux Guise sont brûlés et leurs cendres jetées au vent.

Aussitôt après la mort du duc de Guise, la chambre du roi avait été ouverte à toute sa cour ; il dit : Enfin je suis roi ; il le répéta à la reine mère chez laquelle il se rendit pour lui annoncer cette expédition. La reine douta que son fils sût profiter de son coup d'État.

Le duc de Guise, s'il aspirait au trône, et on ne peut guère eu douter, ne sut pas prendre les moyens de s'y asseoir. A Blois, il manqua encore de prévoyance et de résolution. Après tout ce qu'il avait osé contre son souverain, comment ne pas voir que Henri III lui eu voulait à mort, et que pour un roi qui, duc d'Anjou, avait été complice de la Saint-Barthélemy, un assassinat ne serait qu'une peccadille ? Dans l'âme du roi, la perte du duc était depuis longtemps jurée. De toutes parts on lui disait de se tenir sur ses gardes. Averti récemment par un billet qu'on devait le tuer, il avait répondu qu'on ne l'oserait pas. Il avait poussé la confiance, l'aveuglement, ou plutôt la présomption, jusqu'à se loger au château, tandis qu'il avait dans la ville une troupe considérable d'hommes dévoués. Il tomba dans le même piège où il avait attiré les calvinistes à la boucherie de la Saint-Barthélemy.

Pour le roi, le duc de Guise est sans contredit un grand criminel. Dans une déclaration royale, le seul crime dont on l'accuse est soin influence sur les états. Il avait, disait-on, fait nommer beaucoup de députés à sa convenance. Tous les jours, à heure réglée, il se tenait un conseil dans sa chambre, où l'on convenait des choses à proposer aux états, et des brigues, menées ou violences à employer pour faire adopter les propositions. Il ne s'eu cachait pas et s'en faisait gloire. Lorsqu'il fut question de la réduction des impôts, et de faire un fonds pour la maison du roi et les frais de la guerre dont les états auraient l'administration, il disait au roi de ne pas ainsi ravaler son autorité ; en même temps, il poussait les états à insister et à menacer de se retirer, pour laisser au roi l'odieux de leur retraite.

Le duc ne dirigeait pas plus les états que les états ne le dirigeaient. Ils avaient le même intérêt et les mêmes passions. Il serait plus vrai de dire que les états allaient parfois au delà de ce que voulait le duc.

Le journal du député Bernard embrasse une période de quatre mois ; il rapporte les relations des trois états entre eux, et avec la cour et les officiers du roi ; le duc de Guise y est cité une seule fois, et, ce qui donne un démenti à l'accusation royale, pour engager les états dans l'affaire des finances à donner satisfaction au roi, et à éviter une rupture qui ne profiterait qu'aux calvinistes. Justifier un assassinat est toujours difficile. Si Henri III n'avait pas eu d'autre grief contre le duc de Guise, que son influence sur les états, sa mort ne serait pas excusable. Il en avait de plus graves qui intéressaient sa sûreté et la succession au trône. Pourquoi ne les révèle-t-il pas ? Était-ce par ménagement pour la ligue ? Elle ne lui en tint aucun compte.

La sanglante expédition des Guise, l'arrestation des députés empoignés dans leur salle, devait être un coup mortel pour les états. Craignant pour leur sûreté, quelques députés désertent leur poste dès qu'ils peuvent échapper à la surveillance. Frappés de terreur, ceux qui restent seront sans doute plus dociles aux volontés du roi. Peut-être les congédiera-t-il, montera-t-il à cheval, se mettra-t-il à la tête de ses troupes, et marchera-t-il rapidement sur Orléans et Paris, pour exterminer les Seize, et rétablir son pouvoir. Les mains encore dégouttantes du sang des Guise, Henri III, comme un poltron échauffé, avait répété : Maintenant je suis roi ! Mais le pauvre homme ne le prouve guère. Amolli, corrompu, sans vigueur et sans âme, il reste tranquillement à Blois, et conserve les états. Où est donc ce parti si nombreux, si formidable, qu'y avait le duc de Guise ? Le dévouement à un chef vivant reste, il est vrai, rarement fidèle à un cadavre, mais une voix s'élèvera peut-être... Son nom n'est pas une seule fois prononcé. Pour tout le reste, les états demeurent fermes dans la ligne de conduite qu'ils avaient suivie. Ils montrent indépendance et courage. Le tiers état arrête que ce qui s'est passé le 23 décembre, dans la salle de ses séances, sera inséré au procès-verbal dans toute la vérité.

Le roi fait une communication aux états, et leur envoie M. de Rostaing et le président de Ris. Il a, disent-ils, dès le commencement, promis et protesté de demeurer à Blois jusqu'à ce qu'ils aient terminé leurs travaux, résolu de les satisfaire autant que le maintien de son autorité et sa conservation pourront le permettre. Puisqu'il reste dans la ville, il veut que tous les députés y demeurent pour que de concert on termine les affaires. Il y a quatre mois que les états travaillent sans avoir rien avancé. Ce retard a beaucoup d'inconvénients. Pendant ce temps-là les hérétiques avancent leurs affaires au détriment du public. Il faut qu'on reste en toute 'assurance de la protection qu'on peut attendre du roi, que les cahiers soient achevés le 8 janvier, et présentés le 9. Si quelques députés ont été enlevés, il ne faut pas penser que ce soit pour diminuer la liberté des états, c'est parce que ces députés ont méconnu leurs devoirs. Les états délibèrent de terminer les cahiers, et d'envoyer au roi une députation pour demander la liberté des députés arrêtés. Il refuse de la recevoir, et fait dire que, si elle vient pour le cardinal de Guise, c'est inutile, qu'il est mort. La députation insiste ; on lui ordonne de se retirer. De Marie dit que le roi détient les députés pour cause importante à sa personne, et que c'est à lui à décider ce qu'il jugera convenable.

Pour satisfaire aux exigences du roi, les états accélèrent la rédaction de leurs cahiers. Il rapproche le délai qu'il avait fixé et les demande pour le 3 janvier. Despeisses, avocat général, et de la Guesle, procureur général, apportent par son ordre, pour y être insérés, une série d'articles sur le crime de lèse-majesté ; c'est un petit code pénal qui crée des crimes et délits, et qui prodigue la peine de mut, la confiscation des biens et la dégradation de la postérité des condamnés. M. de Rostaing et le président de Ris invitent, de la part du roi, chaque état à nommer quatre commissaires pour conférer avec ceux de son conseil, principalement sur les finances et sur les autres affaires qui se présenteront concernant les cahiers.

Les trois états sont d'accord pour rejeter les deux propositions royales : les articles de lèse-majesté, parce que les dispositions des ordonnances suffisent, et que les cahiers ne doivent contenir que les plaintes et doléances ; la nomination des commissaires, parce que les états ne peuvent leur déléguer leurs pouvoirs.

Despeisses et la Guesle reviennent dans la chambre du tiers état. Le roi n'invite plus, il veut et commande que les articles de lèse-majesté soient insérés au cahier. Le refus du tiers état, disent les commissaires royaux, est d'autant moins excusable, que la plupart de ces articles se trouvent dans son cahier présenté aux derniers états de Blois. Ces articles sont conformes aux lois romaines reçues dans le royaume et à celles de Charlemagne. Rejeter ces articles, c'est encourir le soupçon de déloyauté envers le roi, et d'être mal affectionné au maintien de l'état du royaume. Le tiers état est peu touché de ces mauvaises raisons. Pour lui imposer davantage, le roi lui envoie le cardinal de Vendôme, le cardinal de Gondy, le garde des sceaux, le maréchal de Retz, Rambouillet, d'Escars, d'O, Faucon et Petremol. Ils discourent sur la constante volonté du roi de protéger la religion, de maintenir l'édit d'union, de soulager son peuple, et de respecter la sûreté et la liberté des états. Ensuite ils discutent les propositions royales. Le député Bernard leur répond : Les députés du tiers état n'ont jamais douté des bonnes intentions du roi. A plus forte raison ont-ils la confiance que les états achèveront leur mission en toute sûreté et liberté. Car, outre les promesses du roi, ils sont venus sur la foi publique, ils sont sous la garde de tout le royaume. D'après le témoignage de leurs consciences, ils sont exempts de toutes passions et affections particulières. Ils sont là pour servir le public, redresser l'État, et n'ont pas d'autre serment. Ainsi le ciel pourrait tomber, qu'ils demeureraient toujours fermes et constants. Ils déduisent donc librement les raisons pour lesquelles ils ne peuvent entrer en conférence, en présence, soit du roi, soit de ceux qu'il nommera, sur les cahiers et sur les finances. Si le roi croit, par le concours des commissaires des états, rendre ses décisions plus solides et plus agréables, d'un autre côté, ces commissaires n'emporteraient que du blâme et de la haine ; leurs collègues s'en retourneraient mécontents ; et si les décisions royales étaient contraires au contenu des cahiers, on dirait que le roi l'avait voulu ordonné, commandé. Ils ont donc pensé qu'il valait mieux que le roi reçût les cahiers, et rendît les ordonnances nécessaires, que d'établir une conférence inutile et pleine de longueurs. D'ailleurs les états ne veulent pas se soumettre à conférer avec les conseillers du conseil privé. Les états reconnaissent le roi seul pour chef, ils ne peuvent souffrir que leurs avis passent par aucune autre censure que la sienne. Autrement le lustre et la grandeur des états diminueraient beaucoup, parce qu'ils sont le premier conseil et sénat de leur prince souverain. lis supplient donc le roi de prendre en bonne part s'ils refusent la conférence dont il veut bien les honorer. Bernard termine en priant !es envoyés du roi d'intercéder auprès de lui pour les députés arrêtés. Dans cette même séance, le maréchal de Retz communique un plan de finances sur lequel nous reviendrons.

Deux jours après, deux commissaires du roi viennent encore pour convertir le tiers état. L'un d'eux, le président de Ris, dit que par sa conférence le roi honore beaucoup les états, puisqu'il veut bien communiquer avec eux, pour prendre une résolution qui dépend de lui seul. On n'est nullement touché de cette condescendance.

Le roi cherche aussi à gagner le clergé et la noblesse ; mais les trois ordres sont sur ses propositions en parfaite harmonie. Après plusieurs jours de démarches et de négociations inutiles, voyant qu'il n'a rien à espérer, et que des députés s'en vont dans leurs provinces, il assigne jour pour la présentation des cahiers. Le janvier 1589, il les reçoit dans la chambre du conseil. L'archevêque de Bourges, pour le clergé, est très-bref ; le comte de Brissac, pour la noblesse, très-prolixe. Il commence par un panégyrique ampoulé du roi, de sa mère, de sa femme. Il s'excuse, lui soldat, d'oser parler sur les affaires d'État, après MM. de Bourges et Bernard, ces deux torrents d'éloquence. II a raison, car toute sa harangue n'est qu'une diatribe haineuse et sanguinaire contre les hérétiques, et une apologie de la noblesse, de ses vertus, de ses exploits, de son excellence. Quant aux affaires, il se borne à quelques lieux communs, à des observations vagues et insignifiantes. Bernard, pour le tiers état, est extrêmement laconique. D'après la coutume et l'ancienne liberté des états, il requiert qu'il leur soit donné un jour de a semaine pour entendre en public leurs supplications, et prie le roi, après les huit jours qu'il lui a plu de prendre pour statuer sur les cahiers, de licencier les députés, afin qu'ils puissent porter dans leurs provinces de bonnes nouvelles et témoigner de ses saintes et justes intentions. Il supplie enfin le roi, en continuant ses bontés et sa clémence ordinaires, de mettre en liberté les députés détenus, et de les rendre à leur ordre avec l'intégrité de leur réputation.

Le roi répond : Il a plus que jamais la ferme volonté de soulager et aimer les états à condition qu'ils lui seront bons sujets et qu'ils vivront en son obéissance. C'est à son regret que, ces jours passés, certaines choses sont arrivées ; mais il y a été forcé contre son naturel. Il n'y a pas un de ses sujets sans passion qui, mettant la main sur sa conscience, ne dit que ce qui a été fait ne l'ait été justement, et qu'il n'a pas pu faire autrement. Il indique le 15 pour entendre les harangues, et il veut qu'on parle librement. Quant aux prisonniers, il ne peut pour le moment accorder ce qu'on demande, mais il fera toujours paraître sa bonne clémence.

Le pouvoir fait un coup d'État. Dans un guet-apens il assassine, il égorge, il triomphe. Qui oserait improuver sa victoire ? Qui ne s'empresserait, au contraire, de l'en féliciter et d'insulter à ses victimes ? Cela ne s'est vu que trop souvent. Cependant les états sont muets. Leurs orateurs gardent un silence absolu sur les événements, el n'y font pas la plus légère allusion. Le tiers état fait plus, depuis l'arrestation de plusieurs de ses membres, il ne cesse de réclamer leur délivrance. C'est une improbation de la conduite du roi. Il le sent si bien, qu'il se croit obligé de se justifier de l'assassinat des Guise ; il est si peu rassuré, qu'il n'ose pas prononcer leur nom, et qu'il déguise cet événement sous les termes vagues de certaines choses.

Une femme qui, pendant trente ans avait horriblement pesé sur la France, expire dans ce moment. A la cour, à Paris, dans les provinces, la mort de Catherine de Médicis passe presque inaperçue. Si les esprits n'avaient pas été aussi vivement préoccupés, il est probable que, de toutes parts, le peuple aurait fait éclater sa joie d'être délivré du fléau qui l'avait si longtemps affligé.

En comparant les articles des cahiers à ceux des cahiers précédents, on voit que ce sont presque toujours les mêmes remontrances. En vain il y a été satisfait par des ordonnances. Celle de Blois a statué sur les réformes proposées par les états de 1576. Douze ans à peine se sont écoulés, et les états de 1588 répètent à peu près les mêmes doléances. C'est que, suivant l'assertion du député Bernard, la France avait abondance de lois, mais on ne les exécutait pas. Nous abrégeons autant que possible l'analyse des cahiers. La lettre initiale de chaque ordre indique son vote en marge des articles.

T. — Pour qu'il n'arrive pas des états actuels comme des derniers, le roi est prié, de statuer que les ordonnances qu'il fera sur leurs remontrances soient observées par tous les sujets, même par les cours souveraines, sans qu'elles soient sujettes à vérification, mais seulement publiées et enregistrées sans aucune restriction ou modification, sous peine de nullité ; ces ordonnances prennent leur force de la publication qui en sera faite dans l'assemblée des états, le roi y séant ; il jurera de les faire à jamais observer.

Cette disposition ruine une maxime absurde du parlement, qui prétend avoir le droit de modifier ces ordonnances et usurpe ainsi la souveraineté appartenant sans contredit à l'action réunie du roi et des états généraux. En revanche, les états font une grande concession au parlement en demandant au roi de déclarer qu'il n'ira pas dans ses cours souveraines pour y faire enregistrer par exprès commandement ses édits et lettres patentes, et qu'il leur laissera toute liberté.

ÉGLISE.

C. N. — La religion catholique exclusive. — Inscrire l'édit d'union au premier article des ordonnances à faire, l'enregistrer et le déposer au trésor des chartes comme loi fondamentale. — Déclarer Henri de Bourbon, roi de Navarre, hérétique, relaps, criminel de lèse-majesté, divine et humaine, inhabile et incapable de succéder à la couronne, lui et ses hoirs, ses biens confisqués, etc. — Organisation d'une armée, et croisade contre les hérétiques. — Tout ce qu'on peut imaginer de peines, de proscriptions, d'exclusions contre eux. Une véritable mise hors la loi, leur extermination. Commémoration de la Saint-Barthélemy.

C. — Confiscation et vente des propriétés mobilières et immobilières des hérétiques qui seront désignés par les évêques ou leurs vicaires. Le prix employé aux frais de la guerre et à indemniser le clergé des pertes et dommages causés par les hérétiques.

C. N. — L'élection aux bénéfices, nonobstant le concordat de François Ier, en présence des officiers des lieux et des maires et échevins des villes. Les étrangers exclus. — Le concile de Trente publié sauf les droits de la couronne et les libertés de l'église gallicane. — Une foule de dispositions pour réformer les désordres existant dans le personnel et le matériel de l'église séculière et régulière.

C. — Quelques mesures pour améliorer l'administration des hôpitaux et maladreries. Leur administration attribuée aux ecclésiastiques.

N. — La noblesse demande qu'elle soit, au contraire, donnée aux laïques, que les comptes soient rendus au juge assisté d'une commission des trois états.

C. — L'administration et direction des universités au clergé, ainsi que pour l'imprimerie, la médecine et la chirurgie.

NOBLESSE.

C. T. — Réduire les officiers des maisons du roi et des reines. Supprimer une infinité de gouverneurs surnuméraires ; ne plus vendre les gouvernements et capitaineries.

T. — Rechercher et poursuivre les seigneurs qui maltraitent leurs sujets, et qui commettent envers eux des exactions. — Les obliger à représenter en justice leurs serviteurs, domestiques ou avoués.

C. T. — Révoquer les anoblissements faits par argent ou à des personnes sans mérite.

T. — Astreindre les gentilshommes à signer leur nom de famille avant le nom de leur seigneurie. — Leur défendre de se mêler de la cotisation des tailles ; de nommer, d'établir leurs domestiques pour juges, procureurs, greffiers, notaires, sergents, fermiers des amendes. — Priver des privilèges de la noblesse, de leurs fiefs et juridictions les gentilshommes âgés de vingt ans jusqu'à cinquante qui ne s'emploieront pas au service du roi, aux armées on ailleurs en temps de guerre. — Leur défendre d'avoir dans leurs maisons, des canons et des couleuvrines. — Ne pas leur permettre de plaider contre leurs parents et voisins nobles sans avoir essayé de se concilier par arbitrage. Défendre aux roturiers de tirer de l'arquebuse à peine de 500 écus d'amende, et, en cas d'insolvabilité, du fouet. — Dispositions diverses pour le maintien des privilèges de la noblesse et confie la roture ; répétition de ses derniers cahiers.

Gendarmerie. C. — Composer les compagnies de gendarmerie seulement de gentilshommes ; ne pourvoir de places de capitaine ou officier des compagnies de gens de pied, que des gentilshommes ayant suivi les armes, et fait fonction de la guerre pendant six ans au moins, ou de vieux soldats expérimentés et qui aient fait pendant longtemps profession des armes, en sorte que la valeur et l'expérience les fassent tenir au rang de gentilhomme. La plus grande partie du désordre existant dans la gendarmerie provient de ce qu'on y a placé des paysans et autres non nobles, pour les exempter de tailles et subsides et des jeunes hommes sans expérience ni autorité.

C. T. — Diverses dispositions pour l'ordre et la discipline. Renouvellement de celles qui, en cas de vexations commises par les gens de guerre, autorisaient les habitants à leur courir sus.

N. — Cet article avait déjà reçu son exécution. La noblesse, quoiqu'elle trouve très-juste de réprimer l'insolence insupportable des gens de guerre, pense qu'il serait très-périlleux d'attendre que la force du peuple prit un plus grand accroissement, que cela conduirait à la démocratie et au gouvernement populaire. Elle demande que les communes soient désarmées. — Chapitres sur l'organisation des forces de terre et de mer. — Tous soldats, après la guerre finie et étant hors de leurs compagnies, tenus de reprendre leur premier métier à peine du fouet.

OBJETS COMMUNS.

Justice : T. — Ordonner l'exécution des ordonnances d'Orléans, Moulins, Roussillon, Amboise, Blois. — Permettre aux provinces de nommer des procureurs-syndics auxquels seront communiqués, pour être préalablement entendus, tous les édits, avant d'être vérifiés par les cours souveraines. — Interdiction des évocations et distractions de juges.

C. N. T. — Abolir la vénalité des offices, rétablir l'élection comme sous Louis IX, Philippe le Bel, Charles V, et Charles VIII, et suivant l'ordonnance de Blois. Y procéder suivant l'ordonnance des Moulins avec le concours des trois ordres. Suppression de cours, de tribunaux et d'offices ; réduction des juges. Interdire le cumul des charges et emplois. — Diverses dispositions déjà consacrées par les ordonnances. — Suppression des épices.

T. — L'adultère puni de mort.

N. — Ne rien changer aux lois, coutumes et privilèges des provinces sans le consentement des habitants. Procéder à la réformation des coutumes non encore réformées. — Composer le conseil du roi de gentilshommes de chaque province. Ne pas y admettre les officiers de judicature pour qu'ils ne soient pas détournés de l'exercice de leurs charges. — Conférer à un gentilhomme, naturel français, l'office de chancelier et ceux de secrétaires d'État. — Diverses dispositions pour maintenir les droits des justices seigneuriales, réparer les atteintes qui leur ont été portées, et assurer la jouissance des droits féodaux et privilèges.

T. — Rendre aux officiers municipaux des villes et communautés la justice civile pour en jouir comme avant l'édit de Moulins, et attribuer aux villes qui ne l'ont pas la police judiciaire.

Police : N. T. — Faire observer les ordonnances pour la réformation du luxe, de la superfluité des habits, des excessives dépenses des convives ; enjoindre aux juges d'y tenir la main.

T. — Enjoindre aux juges, et à tous autres à qui appartient la police, d'établir un bureau, et tous les six mois, ou plus tôt s'il est nécessaire, d'y faire des règlements généraux, et par l'avis des principaux habitants des lieux, etc. — Pour supprimer les abus que la diversité des poids et mesures introduit dans le commerce, ordonner qu'ils soient tous réduits à un seul. — Permettre à toutes personnes pour le bien et soulagement des sujets, d'établir des coches publics. Que personne ne soit admis à habiter une ville qu'après avoir déclaré sa religion, le lieu de sa naissance, sa profession, le motif de son établissement, et avoir présenté un certificat du juge du lieu d'où il vient.

N. — Tous larrons de rivières, garennes, étangs, viviers, colombiers, punis de mort ; tous larrons de bois, gerbes, vignes et autres fruits, punis du fouet par les juges des lieux, sans appel. — Rappel des règlements sur les hôtelleries. — Les paroisses, tenues de nourrir leurs pauvres invalides. Les mendiants valides contraints à travailler.

Finances : C. T. — Remettre les tailles sur le même pied qu'elles étaient aux états de 1576, ou tel autre qui sera fixé sur l'avis des états. Y soumettre, excepté les ecclésiastiques et les nobles, beaucoup de contribuables indument exemptés.

T. — Arrêter chaque année, au mois de janvier, l'état des recettes et des dépenses par articles et chapitres sans con fusion. Assignation des dépenses sur des branches de revenu.

Domaine : C. T. — Saisir et réunir à la couronne le domaine ci-devant aliéné, sauf remboursement des détenteurs dépossédés.

T. — De même pour les greffes et tabellionages des justices royales. — Révoquer tous apanages, douaires, dons, concessions du domaine, à quelques personnes qu'elles aient été faites, excepté les reines, la duchesse d'Angoulême et le grand prieur. — Diverses dispositions pour la conservation des forêts du domaine. — Faire dresser, par les baillis et sénéchaux, un état général et détaillé du domaine, de sa consistance, de sa situation, des aliénations, usurpations, etc. Faire sur les lieux, par le ministère des juges royaux, les baux à ferme du domaine, des greniers à sel ou autres subsides et aides, les ventes ordinaires et extraordinaires des bois. — Ordonner que les aliénations ou engagements du domaine ne puissent être faits, ni rentes être constituées sur les domaines, les aides, tailles, gabelles et impositions sans le consentement des états généraux. — Diverses autres dispositions relatives au domaine.

N. T. — En attendant que l'état des affaires permette de réduire les impôts au taux de Louis XII, réduire les tailles au taux de François Ier et le taillon à celui de Henri II. A l'avenir, ne rien imposer sur le peuple, sous quelque forme, pour quelque cause que ce soit, sans le consentement des états. — Défendre aux chanceliers et gardes des sceaux de sceller aucunes lettres à ce sujet, aux cours souveraines de les vérifier ; permettre aux communautés de s'opposer aux levées, et y surseoir jusqu'à ce que l'opposition ait été vidée aux états généraux.

T. — Décharger toutes les marchandises comme cuirs, laines, pastel, plâtres, blés et vins, des droits et subsides imposés depuis l'avènement de Charles IX. — Déclarer tous les habitants des villes privilégiées contribuables aux tailles, aides, etc., quelques charges qu'ils occupent dans la justice et la finance ; et tous les habitants des villes closes, y ayant maison ou possession, de toute qualité et condition, même les magistrats municipaux, tenus de contribuer à l'entretien des fortifications et à toutes les dépenses communales. — Dans les pays où les tailles sont réelles, obliger à les payer, toutes personnes, même les ecclésiastiques et les nobles, pour les biens roturiers qu'elles possèdent. — Faire Contribuer aux frais de la guerre contre les hérétiques tous les sujets indifféremment. — Pour éviter les grands frais de transport de fonds, faire acquitter, dans chaque généralité, les dépenses ordinaires et extraordinaires. — Modérer les dons, réduire les pensions, réviser les constitutions de rentes à la charge de l'État.

C. N. T. — Établir une ou plusieurs chambres souveraines pour la recherche et la punition des partisans, et de ceux qui ont obtenu des dons immenses.

T. — Informer contre ceux qui, depuis la mort de Henri II, ont fourni des mémoires pour créer de nouveaux offices et de nouvelles impositions ; les condamner au bannissement, confisquer leurs biens, les employer à la restitution de ce qu'ils ont volé et aux frais de la guerre. — Informer de cinq ans en cinq ans sur l'administration des financiers, pour découvrir leurs profits illicites. Leur enjoindre, lorsqu'ils entreront en fonctions, de faire une déclaration de leurs biens, pour que l'on reconnaisse s'ils les ont justement ou injustement augmentés. — Confier aux habitants des villes frontières, à la charge d'en rendre compte, l'emploi des fonds accordés pour les fortifications, et d'après l'avis des gouverneurs et lieutenants généraux des provinces.

Le 2 décembre, le roi, de guerre lasse, avait consenti à une réduction des tailles, pourvu qu'on lui accordât un subside. Ce qu'il donnait d'une main, il le reprenait de l'autre. On s'était cependant réjoui ; on avait chanté un Te Deum. L'enthousiasme avait été court. Lorsqu'il fallut procéder à l'exécution de cette espèce de convention, les dissentiments, les difficultés recommencèrent. Le tiers état avança provisoirement au roi une aumône de 120.000 écus. C'était une goutte d'eau. Le roi demande aux états de satisfaire enfin à ses besoins. Chaque ordre se renvoie le fardeau. Avant tout, faire rendre gorge aux financiers, l'assemblée ne sort pas de là. Le conseil pense à tirer parti des biens des hérétiques. Le président de Ris vient, en parler au tiers état. Le roi, dit-il, aurait bien désiré battre monnaie[9] avec ces biens, et que l'on eût fait, suivant le commun dire, de la terre le fossé. Mais il ne s'était trouvé personne qui voulût avancer de l'argent avec l'assurance du remboursement sur ces biens ; d'ailleurs, il ne fallait pas promettre la peau de l'ours avant qu'il fût dans les cordes : vendre ces biens, il n'y avait aucune sûreté pour les acquéreurs. Le roi proposait de réunir et incorporer ces biens à son domaine, ce qui exigeait du temps, et, en attendant, pour subvenir aux dépenses de la guerre, de vendre une portion du domaine. Tous les états généraux avaient crié contre ces aliénations, La proposition ne fut point accueillie. Lorsque les états se séparèrent, ils laissèrent les finances dans la détestable situation où ils les avaient trouvées, et, par conséquent, à la discrétion du roi.

Par la remise des cahiers, la session peut être considérée comme finie. Les députés s'occupent du payement de leur indemnité ou taxe de leurs vacations et frais. Comme aux derniers états de Blois, la fixation en est faite par chaque gouvernement, et remise au chancelier qui peut la modérer, et qui délivre aux députés ses commissions de payement.

Le 15 janvier, le roi vient clore la session des états dans la grande salle du château.

L'archevêque de Bourges parle pour le clergé. Il ne doutait pas que le roi, s'il était instruit de la pauvreté des sujets, ne les eût déjà soulagés, et n'eût même pleuré avec eux sur leurs calamités et misères. . L'empereur Dioclétien, interrogé par ses familiers des causes qui l'avaient décidé à se décharger de la dignité impériale, allégua, entre autres motifs, la misère des empereurs, rois et princes, auxquels, excepté qu'ils fussent de bonne volonté et désireux de faire le bien de leurs sujets, tout était déguisé par ceux qui les approchaient, qui leur fascinaient et enchantaient les yeux, et tous unis et bandés ensemble, comme plusieurs têtes en un chaperon, ainsi que le dit le proverbe, faisaient que le roi ne voyait que par leurs yeux, n'oyait que par leurs oreilles, et ne parlait que par leur bouche, selon leurs passions et volontés, tellement qu'ils lui faisaient croire ce qu'il leur plaisait, et haïr ceux qu'ils haïssaient... Sa majesté ne savait pas, et ses courtisans se gardaient bien de lui dire que l'on vendait les tuiles et couvertures des maisons des pauvres qui n'avaient pas d'autres moyens de payer les tailles et impositions ; que les prisons en étaient pleines pour la contrainte des payements ; qu'on ne leur donnait pas à manger et qu'ils mouraient de faim. Une autre partie des sujets se retirait journellement à l'étranger pour y chercher une vie plus douce, et le moyen de se sustenter à la sueur de leur corps, tellement que, si l'on n'y pourvoyait promptement, le roi régnerait sur une grande et spacieuse contrée, mais sans hommes, ni sujets.

L'orateur de la noblesse, le comte de Brienne, signale l'hérésie comme une des principales calamités dont la France est travaillée. Pour y remédier, il admoneste rudement le clergé, et l'invite à faire la paix avec Dieu, en réformant les abus et les scandales dont l'Église est infestée... Le service que la noblesse avait toujours offert ne serait pas petit, si le roi se servait des moyens employés par ses prédécesseurs ; c'était la force inexpugnable de cette noblesse, réglée héréditairement, et rangée par régiments de grands-ducs et comtes, et par compagnies, sous les bannières héréditaires de plus de six cents barons, qui étaient, pourvu qu'il n'y eût privilège, exemption, ni fraude, plus de cinquante mille chevaux.

La noblesse, qui se sentait elle-même marcher à son déclin, osait demander le rétablissement des grands vassaux et la résurrection du régime féodal dans toute sa puissance !

Bernard, pour le tiers état s'avance sur l'estrade destinée aux orateurs, fait les trois révérences accoutumées, et se met à genoux pour parler ; la nuit approchait ; le roi lui fit dire par le garde des sceaux qu'il était trop tard, et qu'il le renvoyait au lendemain.

Le 16, Bernard prononce un discours remarquable par sa hardiesse. Il promet de parler avec liberté et de dire la vérité toute nue, telle qu'on doit la présenter lorsqu'on s'adressa aux rois, que c'est tout un peuple qui parle, et qu'il y va du salut commun. Il commence par vanter l'édit d'union ; c'est le thème obligé dans tous les discours, et, suivant tous les orateurs, la gloire de l'époque et l'ancre de salut. Quand le roi n'aurait pas publié cet édit par zèle pour la religion, il fallait que les politiques et les catholiques de convenance, que ne faisaient pas une petite école dans le royaume, confessassent que la nécessité des affaires du roi, et la dignité de la monarchie, exigeaient que cet édit fût publié. Cette sage et chaste maîtresse, la religion catholique, ne pouvait être bravée par l'effrontée impudence et paillardise d'une opinion nouvelle. L'union religieuse ne suffisait pas, l'union était nécessaire pour tout ce qui concernait le bien de l'État. L'ulcère de l'hérésie fermé, il fallait pourvoir aux autres infirmités du corps. Pour les Français, le blasphème était langage maternel, l'adultère un jeu, la magie subtilité d'esprit et curiosité honnête, la simonie marchandise commune ; bref, tous les vices que détestaient leurs pères suivaient et accompagnaient la France comme l'ombre suivait le corps.

Ce n'était pas seulement au clergé, bien qu'il en fût infecté, qu'il fallait reprocher cette lèpre de simonie, la noblesse et le tiers état étaient aussi atteints par la contagion, et ne se faisaient point de conscience de prendre sur l'autel et de mêler le bien ecclésiastique avec l'héritage paternel. Les remèdes au torrent de ces abus étaient l'élection pour les bénéfices et la prohibition de la pluralité. La simonie ne régnait pas seulement dans les bénéfices, elle s'était accouplée à deux de ses sœurs, non moins dommageables. Les gouvernements des villes, places et châteaux étaient un objet de commerce entre les gentilshommes, ils en traitaient à beaux deniers comptants. La sûreté de l'État, les biens, la vie des habitants, étaient livrés à des capitaines dont rien ne garantissait la fidélité et le mérite. La simonie qui opprimait le plus les sujets, c'était la multitude effrénée et monstrueuse de tant d'officiers inutiles, la vénalité des officiers de judicature où la corruption avait été si grande que les plus riches ignorants étaient parvenus aux premières dignités. Temps et siècle si misérables ! Il valait mieux être héritier de quelque riche usurier que d'avoir de l'entendement. L'entendement ! il ne venait pas des livres ni des cerveaux bien organisés, on le tirait de la bourse. On distinguait les hommes par leurs dorures, non par leur savoir et leur vertu. L'argent faisait les juges ; pour couvrir leur ignorance, ils n'avaient que la robe, et ils disposaient des biens, de la vie, de l'honneur ! Depuis longtemps les lois et ordonnances avaient interdit la vénalité ; à l'ouverture des états, le roi avait promis d'y pourvoir : on s'en remettait à sa sagesse.

La guerre n'avait pas été faite au peuple seulement par des soldats enrôlés ; d'autres ennemis l'avaient plus travaillé que les reîtres : c'étaient les partisans, c'étaient ceux qui, par importunité, immensité de dons, subtile invention du comptant, avaient épuisé les finances, et mis le roi à la besace. C'étaient les inventeurs de subsides et nouveaux édits, les exécuteurs des commissions extraordinaires, courtiers et maquignons d'offices, vermines d'hommes et couvée de harpies éclose en une nuit, qui, par leurs recherches, avaient fureté le royaume jusqu'aux cendres des foyers. Ils marchaient orgueilleux et en crédit, le sergent en croupe pour exécuter les sujets, les évocations en main pour les distraire de leurs juges. Ils avaient les pissions à leur disposition pour violenter la religion et l'autorité des cours souveraines. Plusieurs édits avaient été enregistrés avec ces mots : par commandement plusieurs fois réitéré. Aux édits justes et bons, les commandements du prince souverain n'étaient jamais nécessaires. Si du moins l'oppression inouïe de la France eût tourné au profit du roi ; mais elle ne profitait qu'à quelques particuliers, qui, au milieu de leur luxe et de leurs jeux, se riaient des plaintes et des pleurs du peuple, se réjouissaient de ses misères, et triomphaient de ses dépouilles. La gendarmerie était sans montre, le soldat sans solde, les gages des officiers retranchés, les pensions des étrangers dues, les rentes non acquittées, le domaine engagé et toutes les finances dissipées. Et l'on projetait encore de mettre de nouveaux impôts ! Sur qui ? sur un pauvre passant détroussé, nu et mis en chemise, car c'était ainsi qu'il fallait parler du peuple. Le roi avait donné l'espoir de quelque rabais et modération ; c'était le plus sûr moyen d'affermir son autorité et d'assurer l'État.

Il n'y avait pas de plus prompt remède que de répéter les deniers à ceux qui avaient-butiné tant de richesses. Il était temps de comprimer l'éponge trop remplie, et de purger la rate trop enflée en proportion des autres membres. Si dans leurs cahiers les états avaient un article pour la recherche des partisans, ce n'était pas, comme ils l'avaient publié, par animosité. L'article était juste et raisonnable ; leurs grands trésors, l'augmentation de leurs biens sans travail, leurs richesses soudaines, fondaient une accusation légitime d'après l'ancien proverbe, que jamais l'homme de bien n'est tôt devenu riche. C'était une maxime d'État très-certaine que l'administrateur de la république, officier et bon conseiller du prince, ne pouvait avec bonne renommée dignement exercer sa charge, et amasser beaucoup de bien tout ensemble. Les états espéraient donc que la chambre, nécessaire pour la punition des partisans et accordée par le roi, serait au premier jour établie.

Voilà comment des sujets bien affectionnés devaient parler à leur prince, comment des états, libres et bien composés, devaient donner leurs avis sans trahir la cause publique, ni offenser la majesté royale.

Ce langage n'était pas fait pour plaire à Henri III. Quelque indulgence qu'il eût pour lui-même, sa conscience ne pouvait pas l'absoudre entièrement des désordres et des turpitudes dont on déroulait le tableau sous ses yeux. Pour jeter un peu de baume sur les blessures que sa parole acérée avait faites à la susceptibilité du roi, l'orateur parla de ses vertus, surtout de sa clémence, et l'implora de nouveau en corps d'états pour le salut et la liberté de ses collègues détenus. Il rejeta tous les maux de la France sur les mauvais conseillers du roi, et l'engagea à en choisir de meilleurs, et à ne s'entourer que d'honnêtes gens.

Quant aux lois et ordonnances, il n'était pas bien nécessaire d'en faire de nouvelles ; il faudrait seulement que celles déjà faites fussent observées et exécutées. L'étranger louait les Français d'avoir les plus belles lois du monde ; mais il se riait de ce qu'elles étaient seulement imprimées, et de ce qu'on ne les gardait pas. Il avait raison. Sans remonter bien loin, la dernière ordonnance de Blois était à peu près inutile, parce que l'exécution en était négligée. Le cahier des états de 1576 n'avait été examiné que trois ou quatre ans après sa présentation ; des édits en avaient corrompu et perverti tout le contenu, avant que le roi n'eût publié ses ordonnances.

L'orateur jette quelques Beurs bien ternes sur la tombe de la reine mère, et termine eu exprimant le vœu des états pour que le roi les congédie et leur permette de retourner dans leurs provinces.

Le roi répond : Sur les bons et prudents avis qui lui ont été donnés par les députés des trois états pour la cessation des abus, il fera une réformation telle qu'ils auront tous occasion de l'en remercier et d'en louer Dieu. Depuis la présentation des cahiers, il y a tellement travaillé, qu'il a dû espérer que les députés en emporteraient les résultats dans leurs provinces. Mais ils demandent congé ; il se laisse vaincre par leurs importunités, prières et requêtes, elle leur accorde, en laissant douze membres par chaque État. Il continuera son travail sans interruption. Il charge le garde des sceaux de lire les décisions déjà rendues sur des articles des cahiers. Cette lecture est précédée de considérations sur l'autorité souveraine des lois et sur l'obéissance qui leur donne du poids, et par laquelle le peuple français s'est acquis un renom parmi tous les peuples.

Le roi, se levant pour sortir, dit hautement que l'orateur du tiers état lui a dit ses vérités sans l'offenser, et a parlé en homme de bien. C'est une justice que lui rend toute l'assemblée. Le lendemain, le tiers état lui exprime solennellement sa reconnaissance, et le charge d'aller demander pour la dernière fois la liberté des députés détenus.

Le roi lui répond qu'il y avisera, que c'est une affaire d'État à laquelle il veut penser de près. Bientôt après, il mit en liberté deux nobles, Brissac et Bois-Dauphin, et les quatre députés du tiers état. Les députés prennent congé les uns des autres avec beaucoup de regret des choses passées et d'appréhension de périls et troubles prochains. Plusieurs, la larme à l'œil, disent que leur séparation est le présage des divisions en France, qu'on ne verra jamais des états plus zélés pour la religion et le repos du peuple.

Toutes les provinces vont prendre congé du roi ; il les reçoit l'une après l'autre dans son cabinet. Quand vient le tour de la Bourgogne, il appelle Bernard et lui dit : Vous pouvez bien vous vanter que jamais homme de mon royaume ne m'a autant contenté que vous. Vous avez un roi qui vous aime et vous honore, je le ferai paraître bientôt. Ne partez point sans que je vous voie en particulier.

Cette entrevue a lieu deux jours après. Le roi entretient pendant près d'une heure, sur le duc de Guise, le député Bernard, lui témoigne toute son affection, l'assure qu'il ne le laissera pas en Bourgogne, et lui demande sa harangue. Il est à regretter que Bernard n'ait pas rapporté cette conversation.

Dans les états généraux le tiers état a été classé au dernier rang. Lorsqu'il reçut la vie politique, il avait depuis longtemps deux aînés, le clergé et la noblesse. Mais ils sont déjà bien vieux, et il arrive avec toute la vigueur de la jeunesse. Ils ne représentent qu'une petite partie de la nation ; il en représente plus des dix-neuf vingtièmes. Dans la lutte inévitable de l'intérêt particulier avec l'intérêt général, du privilège de caste avec les droits du peuple, il est clair que, dans la réalité, le tiers état finira par s'élever au premier rang. En effet, dans les assemblées d'états, quel est le rôle du clergé et de la noblesse ? Bien que liés par l'intérêt commun de la suprématie, ils ne sont pas toujours d'accord, souvent ils se disputent entre eux ; le prêtre et le gentilhomme ne vivent pas de la même vie. Des rivalités, des conflits, s'élèvent entre l'épée et l'encensoir. Lorsqu'ils se liguent contre le peuple, ce n'est plus pour le dépouiller. Ils ont épuisé les conquêtes, le temps en est passé. Ils travaillent à les conserver ; ils sont sur la défensive. Quand parfois le mot de réforme sort de leur bouche, c'est pour s'attaquer et non contre le peuple, c'est à eux et jamais à lui que profitent les abus. La noblesse sur tout n'épargne pas le clergé et censure amèrement ses désordres. Le grand, le vrai réformateur, c'est le tiers état. Lorsque les deux aînés se divisent et prêtent le flanc, il entre dans la lice et prend parti pour l'un d'eux, et toujours d'accord avec la noblesse pour tomber sur le clergé. Mais les réformes qui portent sur les deux premiers ordres en particulier, sur la cour, le gouvernement, l'ordre judiciaire, l'administration, l'état militaire, les finances, la législation civile et criminelle, c'est le tiers état qui en prend l'initiative. Toujours offensif, il attaque de front les abus, et revient sans cesse à la charge. Il est le foyer de la science, du patriotisme, du dévouement ; il faut nécessairement que la royauté et les deux premiers ordres l'écoutent, et entrent en composition avec lui.

Dans le principe, le tiers état n'est composé que des gens de justice ; maintenant, comme aux états de 1576, les gens de commerce en font partie. Le capot et le bonnet rond siègent à côté de la robe et du bonnet carré. C'est un notable progrès.

Devant les cadavres des Guise, Henri III se vante d'être enfin roi. L'insensé ! il est encore moins roi qu'avant leur mort. A la Saint-Barthélemy, Guise et Valois ne se sont pas bornés à tuer Coligny, quelques chefs ; ils n'ont pas épargné le sang. Cependant le parti calviniste n'a pas été anéanti, il a survécu au massacre, et y a puisé de nouvelles forces ; la ligue est un parti beaucoup plus nombreux, c'est la majorité de la France catholique. Une Saint-Barthélemy ne l'aurait pas abattue, elle était impossible. Chef nominal de la ligue, Henri III ne pouvait pas tirer sur sa troupe. Il devait craindre de retomber sous la domination du parti calviniste. En ordonnant le massacre des Guise, il n'en a pas prévu les conséquences, il n'a pris aucune mesure pour en prévenir le contre-coup. Dans cette âme énervée il n'y a ni résolution ni fermeté. Au lieu de congédier les états, et de marcher rapidement sur Paris, il reste tranquillement à Blois, et pendant un mois dispute inutilement avec eux. Il donne l'ordre d'arrêter dans tout le royaume les principaux chefs de la ligue ; les mesures sont si mal prises, qu'ils s'échappent. A la première nouvelle de l'assassinat des Guise, les Parisiens sont stupéfaits. Le roi ne les a pas accoutumés à tant d'audace, ils ne peuvent y croire. Lorsqu'il n'est plus permis de douter, l'exaspération est à son comble. La garde bourgeoise prend spontanément les armes, la municipalité se met en insurrection. Une assemblée générale se forme à l'hôtel de ville, le 25 décembre, nomme gouverneur de Paris le duc d'Aumale, crée un conseil de quarante personnes, prises dans les trois états, pour l'aider dans son administration[10]. C'est le gouvernement révolutionnaire de la Sainte-Union. Il lève des deniers pour solder le menu peuple, enrôlé comme soldat et comme ouvrier aux travaux des fortifications. Les politiques et les royalistes ne sont pas épargnés. On fait chez eux des visites domiciliaires, on les emprisonne.

Les prédicateurs traitent Henri III d'empoisonneur, d'assassin, auquel on ne doit plus rendre obéissance. Es font prêter à leurs auditeurs serment d'employer jusqu'au dernier denier de leur bourse Pt à la dernière goutte de leur sang pour venger la mort des princes lorrains. Dans les églises on fait leur apothéose. Une procession de cent mille individus parcourt les rues, en criant : Dieu, éteignez la race des Valois ! On met sur les autels des images en cire de Henri III ; pendant la messe, les prêtres les percent au cœur. Le peuple arrache ses armoiries et les foule aux pieds. Dans nombre de villes, les seigneurs se livrent aux mêmes excès (janvier 1589).

Le corps municipal demande à la Sorbonne de déclarer si l'on doit encore fidélité au roi ; elle décide que tous les Français sont déliés de leur serment. Il supplie les princes catholiques de la maison de Bourbon de venir à Paris, de délivrer et d'y amener leur oncle le cardinal, prisonnier, qu'on reconnaîtra pour roi contre la tyrannie du roi Henri, fauteur d'hérésie. Il n'est pas au pouvoir des princes de rendre la liberté au cardinal, ils ne viennent pas à Paris.

Le parlement n'approuve pas toute cette agitation, mais il n'ose pas s'y opposer et reste immobile. Cela ne suffit pas aux ligueurs, ils décident qu'il sera épuré. Bussy-le-Clerc, de procureur, devenu gouverneur de la Bastille, est chargé de l'exécution. Il se rend au palais pour s'emparer du président et de quelques magistrats. La cour tout entière veut partager leur sort, et se rend à la Bastille. Elle ne persiste pas dans cette belle résolution. Des conseillers faiblissent et offrent de continuer leur service ; on les met en liberté. Le parlement, mutilé et dominé par la terreur, se déclare pour l'Union ; à la requête de la veuve du duc de Guise, il ordonne des poursuites contre les meurtriers de son mari.

Henri III, toujours à Blois, ne veut voir dans ce grand mouvement qu'une révolte. Le savant Bodin répond que c'est une révolution[11], et autorisée par le ciel contre un roi hypocrite et tyran. Henri III se laisse tranquillement bafouer et détrôner. Il n'oppose à l'insurrection que des édits de grâce ou d'abolition, des proclamations menaçantes, des chiffons de papier. La plupart des villes suivent, l'exemple de la capitale, lèvent l'étendard, et s'organisent révolutionnairement. Comme le dit l'Estoile, Henri n'est plus que le roi de Tours, de Blois et de Beaugency.

Il n'y a pas encore de gouvernement général pour toute l'Union. Le duc de Mayenne, apprenant à Lyon la mort de ses frères, se sauve au moment où un envoyé du roi venait pour l'expédier, et se rend dans son gouvernement de Bourgogne ; il entre en relation avec les insurgés de Paris, et sur leur invitation arrive dans cette ville, accompagné du duc de Nemours qui s'est sauvé des prisons de Blois. Mayenne est reçu avec des transports de joie. Dans une assemblée présidée par les princes catholiques, on nomme définitivement un conseil de l'Union, composé d'une cinquantaine de personnes présidé par le duc de Mayenne ou l'un des princes. Il s'intitule : Le conseil général de l'Union des catholiques, établi dans la ville de Paris, en attendant l'assemblée des états du royaume. On nomme au conseil des personnages politiques non compris dans la première organisation, Hennequin, évêque de Rennes, le président Jannin et Villeroy. Le conseil fait pour maintenir l'ordre dans Paris un règlement très-sage.

Dans une déclaration, Henri III expose très-longuement ses griefs contre les Guise, pour justifier leur mort. Ces griefs sont vagues et faiblement articulés. D'ailleurs un assassinat politique ne se discute pas. Le roi prononce, contre les ducs de Mayenne et d'Aumale, une véritable mise hors la loi, et après avoir décoché ce trait impuissant, ne se croyant plus en sûreté à Blois, se réfugie à Tours.

A ces actes royaux le conseil de l'Union répond en nommant le duc de Mayenne lieutenant général de l'État royal et couronne de France, en attendant l'assemblée des états. Il est reconnu en cette qualité par le parlement. Il est décidé que les états généraux seront convoqués à Paris pour le 15 juillet. Cette décision reste sans effet.

La mort du duc de Guise et la division du parti catholique sont des événements favorables aux calvinistes. Le roi de Navarre en profite, continue la guerre et fait des progrès. Chaque parti cherche à gagner l'opinion du peuple ; le roi de Navarre adresse aussi la parole à la France dans une lettre aux états généraux bien qu'ils ne soient plus assemblés. C'est, pour ainsi dire, sa biographie, et une histoire de tous les partis. Il leur dit leurs vérités, leur fait la leçon, en vrai Gascon ne se gâte pas, et le prend même sur un haut ton. Il leur représente que leurs divisions, leurs succès, leurs revers tournent en définitive à l'abaissement et à la ruine de leur patrie commune, et leur prêche la conciliation et la paix. Il professe soumission, respect et attachement pour le roi.

La ligue est trop enorgueillie de sa position pour être touchée de ces bons sentiments. Henri III n'y serait pas plus sensible si seul il se croyait assez fort pour la soumettre. Il lui répugne de se rapprocher des hérétiques ; il hésite ; la nécessité le force à écouter les avances d'un prince qu'il a traité en ennemi ; des négociations sont entamées. Un traité est conclu par lequel il promet de servir Henri II contre ceux qui violent l'autorité de sa majesté et troublent son État. Une entrevue a lieu entre les deux rois au Plessis-lez-Tours. Les ligueurs sont sur le point d'enlever Henri III, les calvinistes viennent à son secours. Fort de son alliance, le roi de Navarre, dans un nouveau manifeste, ne garde plus de mesure envers les ligueurs, et leur déclare une guerre à outrance s'ils ne se soumettent pas au roi.

Ils avaient attiré dans leur parti les Gautiers. On appelle ainsi des paysans de Normandie. Dans les dixième et onzième siècles, leurs aïeux s'étaient insurgés contre la tyrannie féodale. Les Gantiers ont pris les armes au nombre de seize mille pour résister aux ravages exercés contre eux par les troupes royales. Des nobles ligueurs sont à leur tête. Le duc de Montpensier leur livre bataille et les défait. Il en périt trois mille ; quatre cents prisonniers sont condamnés aux travaux publics.

Furieux du rapprochement des deux rois, les ligueurs redoublent d'acharnement contre Henri III, traître, massacreur, violateur de ses serments, fauteur de l'hérésie. Les prêtres prêchent hautement son assassinat. Le pape le menace d'excommunication s'il ne met en liberté le cardinal de Bourbon et l'archevêque de Lyon, et le cite insolemment à comparaître à Rome. La ligue a sur les bras les armées réunies des deux rois ; elle a un grand avantage dans l'occupation de Paris qui donne l'impulsion aux provinces. Les armées royales manœuvrent donc pour se rapprocher de la capitale. Les dispositions sont faites pour s'en emparer. Henri III a son quartier à Saint-Cloud, le roi de Navarre a le sien à Meudon. Les parisiens sont très-ébranlés. Le moine Jacques Clément assassine Henri III, est tué sur place, et emporte son secret (1er août 1589.) Ce crime est attribué à la ligue ; il est indirectement son ouvrage. Elle en glorifie l'auteur.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] C'est ainsi qu'on commence à appeler le frère puîné du roi.

[2] Bodin avait été, au barreau de Paris, confrère de Pithou et de Pasquier. Il s'était attaché au duc d'Alençon, frère de Henri III ; il était avocat du roi au bailliage die Laon.

[3] Le mémoire était-il l'ouvrage de la ligue ou une invention des calvinistes ? Ce point a été fort controversé, sans être bien éclairci. Il est incontestable que si le mémoire est de fabrique, il contient les vrais projets de la ligue, ainsi qu'on le verra.

[4] Patron des procureurs, parce qu'il n'était entré au ciel qu'à force de chicaner avec saint Pierre.

[5] On rapportera sur chaque titre, et en marge des articles qu'il contient, les votes de chacun des trois états. Les votes du clergé seront indiqués par C., ceux de la noblesse par N., ceux du tiers état par T.

[6] Les renseignements nous manquent sur l'indemnité de la noblesse. Pour celle du tiers état, on trouve que Audiger, laboureur et marchand, député de la Ferté-Aleps, ayant demandé à retourner chez lui avant la clôture de la session, il lui fut alloué 40 sols tournois pour ses salaires, frais et vacations de chaque jour, venue, séjour et retour.

[7] Suivant les documents publiés le nombre varie depuis quatre cent onze jusqu'à cinq cent cinq.

[8] On est redevable au député Bernard du meilleur document sur les états de 1588, le journal par lui rédigé de ces états.

[9] Le mot est royal et n'a pas été inventé par les révolutionnaires de 1793.

[10] Parmi les membres du clergé sont les prédicateurs les plus furieux : Rose, évêque de Senlis, et les curés de Paris, Prévost, Boucher, Aubry, Pigenat.

[11] Deux cents ans après, même aveuglement de Louis XVI ; même réponse du duc de Liancourt, sur la prise de la Bastille. Membre des états, en 1576, Bodin avait défendu la tolérance religieuse. Il s'était jeté dans la ligue, et l'avait fait adopter à Laon, au nom de la raison et de la légalité méconnues.