HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME DEUXIÈME

 

FRANÇOIS II.

 

 

Sous le règne de Henri II, quelques grandes familles rivales avaient formé des partis, mais l'autorité royale les avait contenues, le peuple était soumis. François II, roi de moins de seize ans, faible de corps et d'esprit, ne promet pas un long règne. On a la triste et fatale perspective d'une série de rois enfants. On est à une époque de renaissance ; elle ne se borne pas aux arts, aux lettres, aux sciences. L'esprit humain a éprouvé une grande secousse par le progrès du temps, l'imprimerie et la réforme religieuse. D'habiles capitaines se sont formés par la guerre, des hommes d'État par l'étude et les affaires. Quelle circonstance plus favorable aux ambitieux ! Les partis se donnent libre carrière et s'élèvent à l'état de factions. Il y en a deux ; la religion leur sert de drapeau. La division est dans la cour et jusque dans la famille royale.

Sous le drapeau de la réforme se rallient deux Bourbons, Antoine, roi de Navarre, Louis, prince de Condé, son frère, les trois frères Châtillon, l'amiral Coligny, Dandelot, colonel d'infanterie, le cardinal, neveux du connétable, et d'autres familles nobles.

Sous le drapeau catholique sont aussi deux Bourbons, le duc de Montpensier, le prince de la Roche-sur-Yon, puis le maréchal Saint-André, le connétable de Montmorency, enfin les Guise, cinq frères, une phalange menée par le duc François, dit le Grand, et le cardinal de Lorraine.

Pour réduire, ou au moins dominer ces partis, jamais un pouvoir fort et capable ne fut plus nécessaire. Le roi, ce n'est rien ; la reine mère, Catherine de Médicis, étrangère, Italienne, sans élévation d'âme, fertile et habile en intrigue, est tout. Sa maxime, celle de la faiblesse et de la ruse, est de diviser pour régner. Nécessairement catholique, elle élève ou abaisse les partis au gré des variations de sa politique. Auprès du jeune roi, le premier rang appartient au roi de Navarre, la reine l'écarte en se prononçant pour le parti catholique. Il est divisé entre les Guise et le connétable de Montmorency ; la reine a également des griefs coutre eux, il lui faut choisir. Elle opte pour les Guise, moins par goût que par nécessité. Le connétable a bien pressé le roi de Navarre de venir prendre le pouvoir ; ce prince, faible et irrésolu, ne se Mie pas, arrive trop tard, et s'en retourne comme il est venu. Le roi, c'est-à-dire sa mère, appelle les Guise au gouvernement ; le duc a l'intendance de la guerre, le cardinal celle des finances ; ils sont les maîtres. Ils ôtent, ils donnent les dignités et les places, ils éloignent de la cour tout ce qui les importune, et jusqu'au connétable. Ils font révoquer par un édit les aliénations du domaine royal, et le distribuent pour se gagner des partisans. Dans le même but ils prodiguent l'ordre de Saint-Michel qu'on appelle le collier à toutes bêtes ; ils interdisent le cumul des places, mais pour ôter à l'amiral Coligny le gouvernement de Picardie, et au connétable la place de grand maître de la maison du roi, que le duc de Guise s'attribue.

Philippe II s'est posé en Europe comme le champion du catholicisme. Dès leur arrivée au pouvoir, les Guise entrent en correspondance avec lui, l'assurant de leur ardeur pour l'entretenement de la foi, le remerciant du soin qu'il prend pour la conservation de la France. Le roi d'Espagne leur répond, les assure de son zèle à les défendre eux, le roi et la reine mère, dût-il y perdre la vie et quarante mille hommes qu'il avait tout prêts. De leur côté les calvinistes correspondent avec les princes réformés d'Allemagne, Élisabeth d'Angleterre, les Suisses, Genève. Les deux partis n'ont pas de reproche à se faire, ils appellent également l'étranger à leur secours.

Les rigueurs marchent de front avec les faveurs. On veut extirper la réforme. On se met chaudement à l'œuvre. Les délations, les condamnations, les supplices se multiplient. Pour aller plus vite, on crée dans les parlements des chambres ardentes. Dans le principe qu'ont opposé les calvinistes à la persécution ? Ils se sont plaints, ils ont réclamé la liberté de conscience. La persécution ne s'est pas arrêtée. Alors, dans un manifeste, ils critiquent l'organisation du gouvernement, et attaquent les Guise. Les rois, disent-ils, ne doivent pas être censés majeurs plutôt que les autres hommes. Il leur faut un conseil, c'est aux états généraux à le leur donner. Les princes du sang doivent y tenir le premier rang. Les lois de l'État n'y admettent ni les femmes,  ni les étrangers. Les Guise ne sont point naturalisés Français. D'ailleurs ils ont des prétentions sur l'Anjou et la Provence, même sur tout le royaume, comme issus de Charlemagne. Leur confier le gouvernement, c'est compromettre l'État. L'administration des cardinaux a toujours été nuisible à la France. Les Vénitiens excluent tous les ecclésiastiques des affaires.

Les Guise payent des plumes pour réfuter ce manifeste. Ils ont d'autres armes que la polémique, et s'en servent. Les plaignants et les pétitionnaires affluent à Paris ; beaucoup de militaires demandent leur payement et des récompenses. Les Guise sont effrayés ; alors, comme on l'a vu de nos jours, ils ordonnent à tous ces capitaines, étrangers à Paris, de retourner chez eux. Au lieu de menacer les contrevenants de les faire conduire par la gendarmerie, ils sont avertis qu'ils seront pendus, et le gibet est dressé sur la place publique. La poursuite des calvinistes devient plus acharnée. Les conseillers au parlement, arrêtés par ordre de Henri II,  sont jugés et condamnés. Anne Dubourg est brillé en place de Grève. Les prisons sont encombrées, on les vide en condamnant les détenus à la mort ou au bannissement (décembre 1559).

Que feront les calvinistes ? se laisseront-ils exterminer impunément ? Le plus misérable insecte se redresse contre celui qui l'écrase, et des hommes, des Français ne se révolteraient pas contre leurs oppresseurs ? Non, cela n'est pas dans la nature. Pour les calvinistes, c'est une question de vie ou de mort. Ils se constituent et s'organisent. Ils arrêtent leur profession de foi, règlent leurs réunions consistoriales, l'élection de leurs ministres, la levée des subsides. Les huguenots, ainsi que l'on commence à nommer les calvinistes, ne se bornent pas à s'organiser pour la défensive. C'est en effet une triste ressource pour un parti, une situation précaire et sans garantie. Soit calcul, soit désespoir, ils se décident à attaquer leurs adversaires, leurs ennemis. La conspiration d'Amboise éclate le 15 mars 1560. Vaste, mais mal combinée, et trahie par des indiscrétions, elle échoue contre la résolution des Guise et leurs mesures vigoureuses. Elle coûte au parti calviniste douze cents hommes, des hommes d'action, la plupart égorgés après leur défaite par leurs ennemis victorieux.

Que se proposaient les conjurés d'Amboise ? Sans contredit, de se défaire des Guise, de prendre leur place dans le gouvernement, et d'assurer la liberté de leur culte. Une fois les maîtres, auraient-ils eu la prétention de le rendre dominant, exclusif, d'abolir le catholicisme ? On ne peut dire où aurait conduit, où se serait arrêté l'esprit de prosélytisme. Mais on a prêté aux conjurés des projets politiques audacieux. C'est l'état populaire, la république démocratique ; une aristocratie fédérale, l'indépendance féodale des seigneurs ; un changement de dynastie, la substitution des Bourbons aux Valois, l'élévation du prince de Condé au trône. Dans des écrits et des discours du parti calviniste on trouve tous les éléments propres à motiver ces diverses suppositions. La démocratie y était en minorité et n'avait pas de chances. L'aristocratie y était en majorité, mais la puissance royale avait fait de trop grands progrès, et l'unité du royaume s'était trop bien affermie, pour que la noblesse pût le faire rétrograder vers le moyen âge, et se passer de royauté. L'élément monarchique dominait dans le parti de la réforme en France, comme en Europe ; il était royaliste. Les conspirateurs contre la couronne, les ambitieux qui osaient y aspirer, et il y en avait aussi dans le parti catholique, ne pensaient pas à la briser. La conjuration d'Amboise vaincue, qu'écrivent les Guise dans les provinces ? Ils la dénoncent comme tendant à l'entière subversion de l'État, et faite contre l'autorité royale, qui devait être rabaissée à la merci des sujets. Rien de plus, c'est bien vague. Ils annoncent aussi le danger qu'a couru le roi, et le signalé service qu'a rendu le duc de Guise. Le parlement lui décerne le nom de conservateur de la patrie.

Le prince de Condé et l'amiral Coligny trempèrent-ils dans la conjuration ? On ne peut pas admettre qu'ils y furent tout à fait étrangers. Leur complicité n'est pas douteuse pour les Guise. Le prince de Condé est en route pour la cour, le duc propose de l'arrêter. La reine mère veut le ménager comme un contrepoids à l'autorité des Guise. Il vient au conseil et se justifie avec hauteur. On a l'air de croire à son innocence. Le duc même prend sa défense.

Le chancelier Olivier meurt du chagrin, dit-on, que lui causent la conjuration et le sang répandu. Il est remplacé par Michel l'Hôpital. Ce choix est dicté par la reine.

La cour n'a plus de confiance dans les parlements. Le cardinal de Lorraine leur fait enlever la connaissance du crime d'hérésie. Par l'édit de Romorantin elle est attribuée aux évêques, juges et parties (1560).

En paix en dehors, le royaume est dans l'intérieur déchiré par dissensions religieuses. Les calvinistes sont écrasés par le gouvernement et par une majorité qu'il déchaîne contre eux. Dans cette situation, l'agriculture et le commerce languissent, les sources du revenu public se tarissent ; il ne suffit pas à la dépense des armements faits par les Guise à l'étranger pour imposer à leurs ennemis. En exigeant au nom seul du roi de nouveaux impôts, ils craignent d'exciter un soulèvement général. Ils sentent le besoin de donner un appui au pouvoir royal. Où le chercher, où le prendre ? Dans les états généraux ? Mais, outre la répugnance qu'a le gouvernement pour ces assemblées, il craint que le deux partis en présence ne s'y livrent à leurs ressentiments, et ne soutiennent avec acharnement des prétentions qu'ils regardent comme des droits. Et sis les partis, suspendant leurs querelles, s'accordaient pour sonder les plaies de l'État, demander une diminution des charges, attaquer la déprédation des finances, et sous prétexte de réformer les abus, attenter à l'autorité royale ? Que ferait le gouvernement ? Il est donc résolu de ne convoquer à Fontainebleau qu'un conseil extraordinaire composé des princes du sang, des grands officiers de la couronne, des conseillers d'État, des chevaliers de l'ordre et des maîtres des requêtes. Les Guise s'attendant à ce que les princes, sous prétexte de leur sûreté, y viendront avec de fortes escortes dont ils pourraient abuser, distribuent des troupes dans les environs de Fontainebleau, et ne mettent qu'un intervalle de dix jours entre la convocation et l'ouverture de l'assemblée ; elle est fixée au 20 août. Cette mesure convient parfaitement à la reine mère, elle désire connaître les desseins des grands, et que les princes, qui s'étaient éloignés de la cour, y reviennent pour balancer le crédit des Guise. Elle commence même à se montrer favorable aux calvinistes et à leurs écrits.

L'assemblée se tient dans la chambre de la reine mère ; elle est ainsi composée : le roi, sa mère, la reine sa femme, les princes ses frères, le cardinal de Bourbon, le cardinal de Lorraine, les ducs de Guise et d'Aumale, le connétable de Montmorency, le chancelier, l'amiral Coligny, les maréchaux de France, six conseillers du conseil privé assis, les chevaliers de l'ordre, les maîtres des requêtes, secrétaires d'État et des finances et trésoriers généraux, debout. Le connétable, l'amiral et Dandelot ont une suite de huit ou neuf cents gentilshommes.

Le roi expose succinctement les motifs de la réunion, c'est de remédier aux troubles causés par les querelles religieuses, et de réformer les abus existants dans tous les ordres. Il s'en remet pour le développement à son chancelier, au cardinal de Lorraine, au duc de Guise, et prie les assistants de le conseiller librement, sans passion ni crainte, sur les affaires du royaume.

La reine mère les supplie bien humblement de conseiller le roi son fils de manière à ce que son sceptre soit conservé, que ses sujets soient soulagés, et les mécontents contents s'il est possible.

Le chancelier compare l'État à un malade et l'assemblée à un médecin ; il fait l'examen et la description de la maladie ; ce sont, dans la religion, dans la justice et la noblesse, le trouble, la corruption et un mécontentement général ; ce sont, dans le peuple, l'appauvrissement et un grand refroidissement du zèle et de la bonne volonté dont il était habituellement animé pour son prince. Il ne suffit pas de découvrir la maladie, il faut, et c'est là le difficile, en connaître la cause, alors le remède serait aisé. Le roi a donc convoqué l'assemblée pour avoir conseil sur ce qui est nécessaire, et l'a composée de tous les états du royaume, moins le tiers état qui n'a pas été convoqué, parce que son soulagement et son repos sont le but qu'on se propose.

Singulier motif d'exclusion !

Le duc de Guise et le cardinal de Lorraine rendent compte de l'état militaire et des finances, ou plutôt de la conduite du gouvernement, puisqu'il est tout entier dans leurs mains. Les dépenses ordinaires excèdent les recettes de 2.500.000 livres.

L'assemblée est ajournée, et se réunit le 23 pour opiner. Le roi, voulant que les membres du conseil privé commencent, ordonne à Jean de Montluc, évêque de Valence, l'un d'eux, de parler. Alors l'amiral se lève de sa chaise, va vers le roi, lui fait deux grandes révérences et lui présente deux requêtes de la part d'individus de diverses parties du royaume, se disant fidèles chrétiens ; elles ne sont pas signées. On en donne lecture à l'assemblée.

Dans la première, ils reconnaissent le roi pour le prince qui leur est donné de Dieu, et se disent ses fidèles et loyaux sujets. Ils réprouvent fortement l'attentat commis à Amboise sous prétexte de religion, non par eux, ni de leur consentement, mais par certains libertins et athéistes contre lesquels le roi a usé de grande douceur, vu l'énormité de leur crime. Bien loin d'en être complices, ils emploieront toujours leurs vies et leurs biens pour les exterminer. Si les subsides qu'ils payent ordinairement ne suffisent pas pour les chasser du royaume, on n'a qu'à leur en imposer d'autres, ils les payeront libéralement et très-volontiers, comme désirant vivre sous le joug en toute fidélité et obéissance.

Par la seconde requête, ils représentent qu'ils sont forcés de s'assembler souvent pour être instruits en la pure parole de Dieu, et de s'assembler en secret, puisqu'ils ne sont pas libres de le faire publiquement. C'est la cause d'une infinité d'imputations calomnieuses. Pour les éviter, ils supplient le roi d'ordonner qu'ils aient un temple où ils puissent publiquement prêcher la parole de Dieu et administrer les sacrements, et de charger des commissaires de faire rapport de leurs vie, mœurs et assemblées.

La lecture finie, vu les preuves qu'a le roi de sa fidélité, l'amiral le prie de vouloir prendre en bonne part la présentation qu'il fait de ces requêtes ; étant dernièrement, pour le service du roi, en Normandie, il l'a promis aux suppliants après avoir vérifié que leurs réclamations étaient fondées.

Le roi fait de lui-même une réponse satisfaisante pour l'amiral, et ordonne de nouveau à l'évêque de Valence de prendre la parole. Il parle plus librement que ne l'auraient su faire les ennemis de l'église romaine, des abus et des vices des ecclésiastiques, particulièrement des évêques, dont il dit qu'on en a vu quarante à la fois à Paris croupissant dans l'oisiveté et les délices. Il loue la dévotion de chanter les psaumes et les hymnes en français au lieu de chansons dissolues. Il blême la rigueur des tourments qu'on exerce sur des gens qui n'ont pas d'autre crime qu'une persuasion qu'ils croient bonne. Il conclut à ce qu'on remette la décision de ces controverses à un concile national, parce qu'il n'y a plus d'espoir d'en avoir un général, et la réformation des désordres de l'État à l'assemblée des états généraux.

Marillac, archevêque de Vienne, parle sur le même ton : le royaume, dit-il, est fondé sur deux principales colonnes qu'il faut éviter d'ébranler pour que tout l'édifice ne tombe pas en ruine. Une de ces colonnes est la religion, dont l'entretien a été depuis si longtemps recommandé aux princes, que ceux même qui n'ont jamais connu le vrai Dieu ont apporté tous leurs soins à sa conservation ; plus forte raison le roi doit-il le faire, lui qui porte le nom de roi très-chrétien. Il est homme comme le moindre de ses sujets ; c'est la religion qui lui procure tant d'autorité sur tous les autres hommes, et lui met le glaive en main ; sans elle personne ne le craindrait et ne l'appuierait. Aujourd'hui la religion est si corrompue, que les chrétiens sont divisés en papistes et en évangélistes. Cette corruption vient des évêques et autres ministres de l'Église qui ne résident pas dans leurs églises et évêchés, et qui vendent les sacrements. L'orateur s'étend beaucoup sur ces abus. Il conclut à ce que le roi se serve dans son conseil d'autres gens que des ecclésiastiques ; qu'il les renvoie tous dans leurs diocèses pour prêcher, administrer les sacrements et veiller sur leur troupeau ; surtout à ce que le roi n'en dispense aucun, pour quelque cause que ce soit, sous peine d'être lui-même à l'avenir la cause du désordre.

La seconde colonne est l'amitié des sujets. Après une grande digression sur la différence d'un tyran et d'un bon prince, l'orateur conclut que le roi doit se communiquer à ses sujets, entendre leurs requêtes, et s'occuper des affaires, afin d'en acquérir une plus grande connaissance à mesure qu'il avancera en tige. Par ce moyen, non-seulement il se fera aimer de son peuple, mais il évitera à ses ministres des calomnies et la mauvaise opinion que le peuple en a, parce que lui-même ne s'occupe pas de ses affaires et ne communique pas avec ses sujets.

L'orateur mêle son discours de traits mordants contre les Guise. Il fait, ainsi que son collègue, une très-vive impression.

Le lendemain 24, l'amiral revient sur les requêtes qu'il a présentées. Il a voulu les faire signer ; mais les suppliants lui ont répondu que, s'il plaît au roi, ils les signeront en petit ou en grand nombre, et qu'ils se présenteront eux-mêmes à sa majesté, au nombre de cinquante mille pour le moins. Du reste, rien n'est plus déloyal, plus malavisé et plus dangereux que de voir un prince craindre ses sujets, et obligé à se garder contre eux, et les sujets craindre leur prince et avoir mauvaise opinion de lui. L'amiral continue son discours sur ce texte, et conclut à la convocation des états généraux.

Le duc de Guise réfute le reproche fait aux ministres du roi de l'entretenir dans la crainte de ses sujets, et de l'avoir armé contre eux. Si la garde a été renforcée, c'est seulement depuis que ses sujets ont pris les armes contre lui. Et qu'on ne vienne pas dire que ce n'est pas contre lui, mais contre quelques-uns des ministres ; car lui et son frère le cardinal n'ont jamais offensé ni mécontenté personne dans ses affaires privées. Si on a allégué quelque mécontentement, c'est à cause de l'administration des affaires du royaume. On a donc pris les armes contre le roi, sous prétexte de les prendre contre ses principaux ministres. Il ne voit aucune raison pour ôter au roi sa nouvelle garde. Quant à la religion, il s'en remet à ceux qui sont en cela plus savants que lui ; mais il proteste que tous les conciles du monde ne le feront pas dévier de l'ancienne manière de faire de ses prédécesseurs, surtout quant au saint sacrement. Pour la convocation des états, il s'en remet à sa majesté.

Le cardinal de Lorraine discute les requêtes présentées. Il n'y a, dit-il, rien moins que fidèle obéissance de la part de ceux qui les font ; car, s'ils se disent obéissants, c'est à condition que le roi sera de leur opinion et de leur secte ; comme s'il était raisonnable que le roi et les gens de son conseil fussent plutôt de l'opinion de tels galants, qu'eux de l'opinion du roi et de ses conseillers. Leur donner un temple, ce serait approuver leur idolâtrie ; le roi ne le pourrait faire sans être éternellement damné. Il ne voyait pas grande raison pour convoquer un concile général ou national ; ce n'était que pour réformer les mœurs des gens d'église ; chacun pouvait le faire facilement de soi-même par le moyen des admonitions générales et particulières. Tout ce qui concernait la religion avait été si souvent arrêté et conclu, il ne fallait que l'observer. Tous les conciles du monde ne sauraient ordonner autre chose que l'observation de ce que les précédents avaient décidé. On avait dit que les suppliants des requêtes étaient au nombre de 50,000 de leur opinion et de leur secte. Eh bien, le roi en proposerait un million de la sienne. Il était facile de voir de quel zèle étaient animés ces suppliants par leurs placards et libelles diffamatoires. Il en avait vingt-deux sur sa table faits contre lui ; il les conservait très-soigneusement comme les marques du plus grand honneur qu'il pût jamais recevoir, d'avoir été blâmé par de tels méchants. Il espérait que ce serait le véritable éloge de sa vie et qui le rendrait immortel. Il concluait à ce que de tels séditieux et perturbateurs fussent grièvement punis, surtout ceux qui prenaient les armes comme ils avaient déjà fait. Quant à ceux qui, sans armes, iraient au prêche, chanteraient les psaumes, et n'iraient pas à la messe, puisque les peines n'avaient de rien servi jusqu'à présent, il était d'avis que le roi défendit de ne plus les poursuivre. Il regrettait qu'on leur eût infligé de si graves punitions. Il exposerait volontiers sa vie, si sa mort pouvait être utile à ces pauvres égarés. Les évêques devaient travailler à les gagner et corriger suivant l'Évangile. Cependant il fallait envoyer les baillis et sénéchaux à leur poste pour punir ceux qui porteraient les armes, et les évêques et curés dans leurs diocèses pour prêcher et admonester les autres ; il fallait que dans deux mois ils rendissent compte au roi des abus de l'Église, afin qu'il jugeât s'il était nécessaire d'assembler un concile général ou national. A l'égard des états généraux, il était d'avis de les convoquer, afin de montrer la bonne administration des affaires du royaume, et donner l'espérance de son amélioration.

Le 25, on continue d'émettre les opinions ; on passe à la délibération ; deux points sont décidés : la convocation des états généraux sur laquelle tous sont d'accord ; la nécessité d'un concile général pour les affaires de la religion, auquel les Guise se sont opposés. Le roi et la reine mère remercient très-affectueusement l'assemblée du bon conseil qu'elle a donné. Le roi promet de s'y conformer. Le cardinal dit qu'il fera rédiger la délibération, pour la communiquer à l'assemblée ; cependant elle est congédiée.

Les états généraux sont vivement désirés par les calvinistes et des partisans d'une réforme civile. L'évêque de Valence les a formellement demandés. La cour et les Guise ne l'accordent qu'à leur corps défendant. Ils sont convoqués à Meaux, au 10 décembre. Les motifs de la convocation sont ainsi exposés dans les lettres royales adressées aux baillis et sénéchaux :

L'assemblée de Fontainebleau a proposé au roi deux points : 1° la réformation de l'Église par un bon concile général, si tant est qu'il puisse aisément s'obtenir, ou bien par une assemblée des évêques, prélats et autres membres de l'Église du royaume. 2° La convocation des trois ordres qu'on appelle les états généraux, pour, en pleine assemblée d'iceux, ouïr et examiner les plaintes de tous les affligés ; et sans acception de personnes, donner tel remède que le mal requiert, les soulager autant que les affaires de l'État le pourront porter, et y pourvoir de sorte que chacun puisse connaître le zèle qu'a le roi de leur faire sentir les fruits qu'ils attendent tant de la paix, qui est universelle en la chrétienté, que de son perpétuel amour et bénévolence envers eux. Laquelle proposition a paru au roi, non-seulement utile, mais très-honnête pour, au commencement de son règne, reconnaître la grâce que Dieu lui a faite, en lui maintenant cette volonté de procurer que tonte corruption soit déracinée de son Église ; et d'ailleurs reprendre l'ancienne forme de communiquer par le moyen des états avec tous ceux de son obéissance, et leur faire connaître combien il désire les favoriser en tout ce qui touche leur repos et soulagement, et aussi confesser ce que, selon l'exigence des nécessités du royaume, ils font pour lui.

Mais la convocation des états lui a semblé devoir précéder l'assemblée ecclésiastique, pour ne plus différer à ouïr les plaintes et doléances de ses peuples, auxquelles il désire promptement remédier, parce que les matières qui lui seront proposées pourront prendre brève résolution, et pour avoir plus de temps et loisir à procurer la célébration du concile général, selon l'espérance que le pape, l'empereur, le roi catholique et les autres princes lui en ont donnée.

Le roi notifie qu'il commencera à tenir les états, le 10 décembre, à Meaux, où il entend et désire que se trouvent aucuns des principaux et plus notables personnages de chaque province, bailliage et sénéchaussée du royaume.

Il ordonne qu'on fasse assembler en la ville principale du ressort, le plus tôt possible, tous ceux des trois états d'icelui, ainsi qu'il est accoutumé et qu'il s'est ci-devant observé en semblable cas, pour conférer ensemble tant des remontrances, plaintes et doléances qu'ils auront à proposer et à lui faire entendre en l'assemblée générale desdits états, où il entend qu'ils envoient et fassent trouver audit jour certains bons personnages d'entre eux, et pour le moins un de chaque ordre qu'ils choisiront à cette fin.

Pendant ce temps-là ses lieutenants et gouverneurs de provinces feront des tournées pour entendre par le menu, et ensuite lui rapporter les doléances du peuple ; ils aviseront aussi ce qui sera utile d'être ordonné pour le bien des provinces de leur gouvernement, en leur faisant entendre le désir qu'il a de les soulager pour l'avenir, ayant en cet endroit maintenant commencé par la réduction des tailles à l'état où ci-devant elles étaient en temps de paix, avec espérance de faire mieux, selon que ses affaires ci-après le pourront porter.

Il prévient qu'il convoquera les évêques, prélats et autres membres de l'Église au 20 janvier, pour aviser à ce qui sera à remontrer au concile général ; en attendant pour retrancher et réformer ce qui, par intermission des conciles, négligence des prélats, corruption des temps, leur en semblera digne.

Le roi recommande de ne pas manquer de tenir l'œil ouvert, et donner ordre que les esprits malins qui pourront être composés des reliques de la rébellion et tumulte d'Amboise, ou autres gens studieux de nouvelleté et d'altération d'État, soient découverts et retenus selon la sévérité des édits, afin que, par leurs machinations, ils ne corrompent ceux qui les peuvent écouter et n'altèrent la tranquillité.

Le pape, l'empereur et les princes chrétiens étant presque d'accord pour le concile général, il est décidé que les archevêques, évêques et autres prélats se trouveront, le 20 janvier 1561, à Paris, pour délibérer sur ce qui sera digne d'être représenté au concile général, s'il doit bientôt se tenir, et, à défaut, sur le concile national. Des ordres sont donnés aux archevêques et évêques, aux baillis et sénéchaux de s'en aller dans leurs résidences pour procéder conformément à l'avis du cardinal, c'est-à-dire surseoir aux poursuites pour simple fait de religion, et veiller à ce qu'il n'y ait pas d'assemblées contraires à l'ordre public.

Les deux frères, Antoine et Louis de Bourbon, craignant pour leur sûreté, ne se sont pas rendus à l'assemblée de Fontainebleau ; retirés en Gascogne, ils préparent les moyens de résister aux Guise et de les renverser. Ceux-ci, de leur côté, travaillent activement à déjouer les manœuvres de leurs ennemis. La partie n'est pas égale : les Guise ont à leur disposition l'armée et le trésor, tous les moyens de police, de force, de séduction, et l'autorité royale sous laquelle leur ambition s'abrite. Armés de la légalité, ils ne mettent péril à rien et frappent hardiment tous ceux qui s'en écartent. Ils répriment donc des levées de bouclier partielles faites par les calvinistes sur divers points.

Les princes, bien qu'ils ne soient pas ostensiblement à la tête de ces mouvements, en sont l'âme et les favorisent. Pour prendre leur revanche des échecs de leur parti, ils mettent leur espérance dans les états généraux. Ils méditent de se rendre à la cour bien armés et en force. Les Guise déjouent ce projet, se fortifient, et leur font ordonner de venir seulement avec leur maison, et pour se justifier des imputations qui pèsent sur eux. Le piège est évident. Les avertissements ne manquent pas aux princes. Infatués de leur naissance et de leur rang, ils croient qu'on n'osera pas attenter à leurs personnes, et se mettent en route : le roi de Navarre refuse sept cents gentilshommes du Poitou qui offraient de l'accompagner.

Pour la tenue des états, le roi substitue à la ville de Meaux celle d'Orléans. Il donne pour prétexte qu'il n'y a ville plus propre, pour être au milieu du royaume et assise en pays si fertile et abondant en tontes choses, qu'une si grande assemblée y sera beaucoup mieux reçue, logée et accommodée de toutes choses. La véritable raison, c'est que la cour s'y croit mieux placée qu'à Meaux, voisine de Paris, pour exécuter le coup d'État qu'elle médite. Dès le 16 octobre, le roi, la reine mère, les Guise, toute la cour s'étaient établis à Orléans. Sous prétexte d'une nouvelle conjuration, les habitants calvinistes avaient été désarmés, et à quarante lieues à la ronde, les villes occupées par les troupes royales ; dans les provinces on arrête des suspects.

Les princes arrivent à Orléans ; dès qu'ils ont salué le roi et la reine, le prince de Condé est arrêté, le roi de Navarre tenu en surveillance. Condé est jugé par une commission et condamné à mort. Heureusement pour lui, le roi tombe dangereusement malade. Loin de reculer devant cet événement, les Guise pressent l'exécution de l'arrêt pour en rejeter l'odieux sur le roi. Mais la crainte s'empare des juges. Le chancelier, le président du Mortier, le comte de Sancerre, gagnent du temps. Les médecins annoncent la fin prochaine du roi ; les Guise proposent à la reine l'arrestation du roi de Navarre. Alors il n'y aura plus de bornes à leur domination. Conseillée par le chancelier, et constante dans sa maxime de régner par l'opposition des deux partis, la reine refuse son consentement ; elle s'empare du pouvoir sans prendre le titre de régente, nomme le roi de Navarre premier prince du sang, lieutenant général du royaume, et se fait jurer par les Guise qu'ils la serviront envers et contre tous.

François II meurt sans enfants (5 décembre 1560). Sa mort sauve les princes. A la nouvelle de cet événement, le connétable, qui ne s'était pas pressé de se rendre à Orléans, y vient en toute diligence, use du pouvoir de sa charge, et chasse les gardes qui étaient aux portes.

Maître de sa liberté, le prince de Condé, croyant embarrasser les Guise, refuse de sortir de prison avant qu'on lui ait fait connaître ses dénonciateurs. Il ne s'en présente pas ; les Guise rejettent tout sur le commandement du feu roi. Le prince paraît se contenter de cette mauvaise excuse, sort de prison, et se rend à Ham en Picardie, ayant pour escorte d'honneur ceux-là mêmes qui le gardaient.