HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME DEUXIÈME

 

HENRI II.

 

 

Si François Ier a fait, au lit de la mort, des représentations à son fils, il n'en profite guère. Il n'a pas les qualités de son père, il exagère ses faiblesses, ses défauts et ses vices. Deux femmes règnent absolument sur Henri II, Catherine de Médicis, son épouse, et Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, sa maîtresse, qui pourrait être sa mère. On frappe une médaille qui la représente en chasseresse, foulant aux pieds l'Amour, avec cette légende : Omnium victorem vinci. A sa cour, Henri fait d'abord maison nette. Favoris, ministres, conseillers, généraux, la plupart sont changés. Il rappelle le connétable de Montmorency, personnage peu capable, dur, orgueilleux, que François Ier avait écarté des affaires ; Henri l'appelle son père, son ami. Il accorde sa faveur au maréchal Saint-André, aux Guise et les admet dans son conseil. Les courtisans se disputent, se partagent les dignités, les pensions, les faveurs de tout genre. Un trésor de 400.000 d'écus d'or, que François Ier avait amassé pour la guerre d'Allemagne, est dissipé en quelques jours. Les prodigalités sont scandaleuses.

Il n'y a plus de grands vassaux, possesseurs de grands fiefs, levant des armées, affrontant la puissance royale ; ils ont été abattus, les grands fiefs ont été réunis à la couronne. Mais il existe toujours de grandes familles, des noms historiques, des princes, des seigneurs, des nobles, riches propriétaires, une aristocratie ambitieuse, qui se dispute les emplois, les dignités, les faveurs, l'influence sur le monarque et l'exercice de son pouvoir. Cette aristocratie fera le tourment de la France, jusqu'à ce que, décimée, subjuguée, corrompue par la royauté, elle soit anéantie par une grande révolution. Parmi ces familles, au premier rang, s'élève celle des princes lorrains, des Guise. Pour la France, ils ne datent pas de loin. Claude, comte de Guise, ayant hérité des domaines que sa maison y possédait, est le premier qui s'y est établi sous Louis XII. François Ier l'a nommé duc et pair et gouverneur de Champagne. Pour appui de son crédit naissant, il a six fils et une fille. Celle-ci est mariée à Jacques, roi d'Écosse, mère de Marie Stuart. Les fils sont : François, dit le Grand, duc de Guise ; Claude, duc d'Aumale ; le marquis d'Elbeuf ; Charles, cardinal de Lorraine ; le cardinal de Guise ; le grand prieur d e France. Cette famille prétend descendre de Charlemagne, avoir plus de droits à la couronne de France que la race des Capets, et les regarde comme des usurpateurs. Dans la grande question de la réforme religieuse, par conviction ou par politique, les Guise restent fermement attachés à la foi antique, à l'Église, au Saint-Siège ; ils se placent à la tète du parti catholique. Leur chef, Claude, a fait ses preuves dans son gouvernement de Champagne. Il a détruit, au nombre de trente mille, les débris de la grande armée de paysans que le luthérien Muncer avait réunie en Allemagne. C'est un assez beau début. Claude a ouvert la carrière à ses fils, et tracé leur marche dans le sang des réformés ; ils ne resteront pas en arrière. Les Guise ont tout ce qu'il faut pour jouer un grand rôle : origine, illustration, ambition, capacité, talents. A cette époque. où l'immoralité dégrade la cour et les rois, ils ont de plus l'avantage de dehors graves et de l'apparence au moins de la vertu.

Le règne de Henri II commence sous de funestes auspices, le duel de Jarnac et de la Châtaigneraie, il finira par une catastrophe. Après une longue guerre, où la gloire des armes n'a pas compensé les revers et les sacrifices de la France, François Ier l'a pourtant laissée en paix. Henri pouvait-il la conserver ? On crut d'abord qu'il le voulait ; mais, lui aussi, il est bientôt transporté d'une ardeur guerrière. Les Guise l'excitent pour augmenter leur influence. Il suit la politique de son père, lutte contre Charles-Quint, et envoie des armées en Allemagne et en Italie. L'étoile de l'empereur pâlit ; il fait la paix de Passau, et tourne tous ses efforts contre la France. Avec une armée de soixante mille hommes, il investit Metz ; elle est défendue par François, duc de Guise. Après avoir consumé le tiers de son armée, l'empereur lève le siège. Les Français ne profitent pas de leurs avantages. Tandis que Henri II et sa cour s'amusent, pour venger l'affront de Metz, l'empereur fait assiéger Térouanne. La place est emportée ; presque tout est passé au fil de l'épée. Devant Renti, le duc de Guise défait les impériaux. Le maréchal Strozzi, commandant les Français en Toscane, est battu à Marciano.

Charles-Quint abdique toutes ses couronnes en faveur de son fils, Philippe II, et ensevelit avec lui, dans un cloître, la grandeur de l'Espagne.

Ayant à soutenir à ses portes la guerre contre les forces de l'Espagne, de l'Allemagne et des Pays-Bas, Henri II s'engage imprudemment dans une guerre lointaine ; il s'agit encore de la fatale conquête de Naples ; il s'allie avec le pape, qui, pour satisfaire ses passions, conseille cette expédition. Elle est embrassée avec chaleur par les Guise comme une occasion d'augmenter leur puissance, déjà si prépondérante ; ils ont même des prétentions au royaume de Naples, du chef du duc de Calabre, fils du roi René d'Anjou. Le cardinal de Lorraine a négocié et conclu l'alliance à Rome ; le duc de Guise a le commandement de l'armée. Le connétable de Montmorency pousse aussi à cette entreprise pour éloigner des rivaux, et en laisser peser sur eux les périls et la honte. Une trêve de cinq ans est à peine conclue, entre Henri et l'empereur, que le duc de Guise entre en campagne ; il traverse Rome, entre dans le royaume de Naples, échoue à Civitella, et revient au secours de Rome, investie par le duc d'Albe.

L'armée de Philippe s'avance des Pays-Bas ; commandée par le duc de Savoie, elle arrive devant Saint-Quentin. L'amiral Coligny se jette dans la place. Le connétable, à la tête de l'armée, vient à son secours, y fait entrer cinq cents hommes avec Dandelot, et se retire. L'ennemi l'attaque brusquement, la bataille s'engage. L'armée française est battue, mise en déroute et massacrée (10 août 1556). Le connétable est fait prisonnier avec quantité de princes, seigneurs, gentilshommes. Cette journée est aussi désastreuse que celles de Crécy et de Poitiers. Saint-Quentin tombe quelques jours après ; Coligny est prisonnier.

L'épouvante et la consternation sont à Paris ; l'ennemi y est attendu, rien ne peut l'arrêter ; les débris de l'armée, réunis à Laon, n'offrent qu'une barrière impuissante. Philippe s'arrête de lui-même par des motifs politiques, et s'amuse à prendre des places. On travaille à la hâte à fortifier Paris. Le roi appelle vingt mille Suisses et Allemands, convoque à Laon tous les anciens militaires, et ordonne au duc de Guise de ramener l'armée d'Italie. Il arrive à Paris. Sa présence ranime les esprits abattus ; on le regarde comme un sauveur. On propose de le nommer vice-roi. Il se contente du titre de lieutenant général des armées du roi dans et hors du royaume. Ce titre est vérifié dans tous les parlements. Il triomphe du malheur de la France et de l'abaissement de ses rivaux. Il va à Compiègne pour y réunir l'armée.

La France est fatiguée de la guerre ; le trésor est à sec, le commerce ruiné. On a épuisé toutes les ressources, la création d'offices, de soixante présidiaux, les emprunts forcés, l'aliénation des domaines. Il faut de l'argent. On en demande d'abord aux villes. Paris offre 300.000 livres, quelques autres à proportion. Quant à la noblesse, cinquante seigneurs de marque offrent de garder à leurs frais cinquante places. Ces sacrifices partiels ne suffisent pas. Henri II convoque une assemblée.

Le 5 janvier 1558, elle se réunit au palais, dans la salle Saint-Louis, magnifiquement décorée. Là, se trouvent cinq cardinaux, quatre archevêques, vingt-sept évêques, deux abbés, six seigneurs ou chevaliers de, l'ordre du roi, des sénéchaux et baillis avec grand nombre de gentilshommes et autres nobles de la maison et suite du roi ; treize premiers présidents ou présidents de parlements, les gens du roi de celui de Paris, les lieutenants généraux de Troyes et de Poitiers, quatre conseillers au conseil privé, quatre présidents des comptes et des aides, les trésoriers et généraux de France, les secrétaires des finances et de la chambre du roi, le prévôt des marchands et les échevins de Paris et autres marchands et gens du tiers état.

La convocation de cette assemblée n'est point précédée d'assemblées provinciales pour l'élection de députés et préparer la matière au cahier de doléances. Il n'y paraît pour le clergé que des archevêques et évêques ; pour la noblesse, presque que des sénéchaux et baillis ; et pour le tiers état, que des maires et échevins, tous choisis et mandés par le roi. Il désigne et appelle aussi les principaux membres des cours souveraines ; ils s'y trouvent dans un nombre tellement imposant, que le roi les détache du tiers état pour en former un corps distinct, sous le nom d'état de la justice, qui a rang avant celui du peuple. On prétend que cette innovation est introduite pour la première fois. On en avait déjà vu une sorte d'essai dans l'assemblée de 1527, sous François Ier. Les magistrats des parlements y avaient été convoqués en force et parlèrent au nom des cours souveraines ; le roi les appela messieurs de la justice. Quant à l'assemblée de 1558, que Guy Coquille appelle des états imaginaires, on y fit, dit-il, quatre ordres, pour trouver le moyen d'augmenter la finance. Mézerai ajoute que les grandes assemblées de la nation, autrefois si nécessaires pour le maintien de l'État et de la liberté publique, ne servaient guère, depuis le roi Jean, qu'à augmenter les subsides. Du reste, ce nouvel état de la justice ne reparaît plus dans les assemblées ; les trois ordres repoussent énergiquement cette innovation comme contraire aux lois fondamentales de la monarchie française. Si, d'un côté, elle flatte l'orgueil des parlements, de l'autre, elle se concilie mal avec leur prétention d'avoir, au moyen de l'enregistrement et de la vérification des lois, une puissance supérieure à celle des états généraux.

En affichant du mépris pour le tiers état, et en essayant de s'en séparer et de s'élever au-dessus de lui, les parlements commettent la même faute que la noblesse. En prenant sous son patronage les intérêts du peuple, elle aurait pu arrêter la marche de la royauté vers le pouvoir absolu, et s'assurer une position utile et honorable dans le gouvernement. En vain le peuple s'élève et grandit, les privilégiés ne veulent pas descendre un peu vers lui, au contraire s'en éloignent et courent à leur ruine.

D'après la composition de l'assemblée du 5 janvier, on peut en prévoir facilement les résultats. Le trône qui s'appelait encore modestement la chaise du roi, celle du dauphin, les sièges des cardinaux et ducs, étaient plus ou moins décorés de velours, de draps d'or et de fleurs de lis. Accompagné du dauphin, le roi est introduit ; il a une robe de satin noir, fourrée de martre — on était dans l'hiver — ; sur sa tête, un bonnet de velours avec une plume rouge papillotée d'or ; il porte le grand collier de son ordre. Lorsque les membres de l'assemblée ont pris séance dans le rang qui leur est assigné, et que chaque ordre a nommé son orateur, le roi prend la parole et s'exprime d'un ton simple, éloigné de toute affectation. A son avènement au trône, il s'est trouvé, malgré lui, engagé dans les guerres difficiles, tant contre les Anglais qui voulaient s'approprier Boulogne, que contre l'empereur Charles-Quint, dont les pernicieux desseins tendaient à la ruine de la monarchie. Pour faire tête à ces formidables ennemis, il avait fallu entretenir des flottes sur l'Océan et de la Méditerranée, des armées de terre en Picardie, en Écosse, en Allemagne, en Piémont et jusqu'au centre de l'Italie. Il était de fait que les revenus de l'État, avec quelque économie qu'ils fussent administrés, ne pouvaient suffire à l'énormité de ces dépenses extraordinaires. Pour remplir le vide, le roi avait successivement aliéné presque tous les domaines de la couronne, et s'était, à son grand regret, trouvé forcé de hausser la taille, et d'appesantir le fardeau sur les malheureux, se flattant chaque année que la paix, ou une longue trêve, allait lui permettre de les soulager. Un moment il avait cru être enfin parvenu au comble de ses vœux ; mais il n'avait pas tardé à s'apercevoir que la trêve de cinq ans, qu'on venait de conclure, n'était qu'un nouvel artifice dont l'ennemi se servait pour masquer ses préparatifs de guerre et l'attaquer au dépourvu. Il y avait réussi en partie, puisque, malgré toutes les mesures qu'on avait prises, les Français avaient été accablés par la supériorité du nombre et à la veille d'essuyer les derniers malheurs. Dans la situation des affaires, il serait inutile de songer à la paix, à moins qu'on ne consentit à l'acheter à des conditions dures et flétrissantes ; il fallait, au contraire, se roidir contre l'adversité, et se souvenir que le sort des armes était journalier. Le roi avait déjà rassemblé une armée au moins égale à celle de l'ennemi, sans les nouveaux renforts qu'il attendait encore d'Allemagne. Ne pouvant la faire subsister, s'il n'était puissamment secouru par ses fidèles sujets, il avait pris le parti de les assembler, pour les prier de considérer qu'il s'agissait du salut de l'État, auquel toutes les fortunes particulières étaient attachées, et pour chercher avec eux les moyens les plus expéditifs de trouver de l'argent, sans surcharger les habitants des campagnes, qui, au contraire, avaient un besoin urgent d'être soulagés. Il ne désirait de pousser vivement la guerre que pour arriver plus promptement à la paix ; elle ne pouvait être éloignée, puisque son ennemi n'était pas moins endetté que lui, et ne soutiendrait pas durant deux années l'énorme dépense qu'il avait faite pendant la courte durée de l'ancienne campagne.

Allant au-devant des plaintes qui peuvent s'élever sur les abus qui infestent toutes les parties de l'administration, le roi avoue avec candeur ou impudence qu'il y a une foule d'abus. Il ne désire si ardemment la paix que pour avoir la facilité de les détruire successivement, sans causer une secousse violente à l'État. Il en prend dès ce moment l'engagement solennel. Il n'a amené le dauphin dans l'assemblée, qu'afin qu'il en demeure chargé envers la nation, s'il venait à mourir avant d'avoir rempli son engagement.

Ces abus étaient criants. Le roi avouait qu'il avait aliéné ou engagé la presque totalité du domaine de la couronne ; mais il ne parlait pas de la création des offices et des présidiaux, de la vaisselle des sujets, qu'il avait soutirée pour fabriquer des espèces ; de la levée d'un impôt de 20 livres sur chaque clocher, sur les joyaux et fabriques des églises, sans excepter les ordres mendiants ; de l'augmentation de la taille, de la gabelle qui, sous son père, avait excité l'insurrection des paysans de la Guienne, que le connétable avait traités avec un raffinement de cruauté inconnu chez des barbares.

On ne pouvait pas refuser de l'argent ; il fallait assurer l'indépendance de la France, et venger l'honneur de ses armes. Mais une assemblée vraiment nationale aurait porté son attention sur tous ces abus, sur les prodigalités et les dilapidations, sur la guerre et le système politique dont elle était la funeste conséquence. Que pouvait-on attendre d'une assemblée dont tous les membres avaient été choisis par le roi ? Une circonstance imprévue favorise d'ailleurs les exigences du gouvernement. La victoire vient adoucir l'amertume des désastres de Saint-Quentin. On apprend que le duc de Guise a pris Calais, Guines, Ham. Les Anglais sont chassés de France. Le passé est oublié ; on se livre à des transports de joie. Guise est proclamé le plus grand capitaine de l'Europe.

L'assemblée ne prend la peine ni d'examiner, ni de discuter, ni de préciser sa délibération. Séance tenante, dès que le roi a fini de parler, elle s'exécute avec une libéralité sans bornes.

Le cardinal de Lorraine exalte pendant une heure entière l'amour du roi pour ses sujets, la douceur de son gouvernement, et la droiture de ses intentions. Le cardinal est bien payé pour faire cet éloge car lui et sa maison sont élevés au comble de la puissance. Ensuite il offre, au nom du clergé dont il se dit l'organe, de contribuer de tous leurs biens et de leur vie à la défense de l'État ; c'est désormais la formule consacrée par la flatterie et la lâcheté.

Le duc de Nevers, orateur de la noblesse, dit en peu de mots que, ›e regardant comme spécialement chargée de la défense de l'État, elle lui consacrera sa fortune, son bras et son sang.

Le président Saint-André, s'étant mis à genoux, remercie le roi de la distinction flatteuse qu'il vient d'accorder à la magistrature en la constituant comme un état particulier dans l'État ; il donne des louanges à la résolution prise par le roi de pousser vivement la guerre pour parvenir plus promptement à la paix, et de rendre à l'État son ancienne forme, en supprimant toutes les pernicieuses innovations auxquelles le malheur des temps avait donné lieu ; il offre, au nom de l'état de la justice, corps et biens.

André Gaillard, sieur du Mortier, aussi à genoux, parle au nom du tiers état. C'était, dit-on, un homme d'une prud’homie antique, et qui, bien que fils d'un président du parlement de Paris, bien qu'honoré lui-même de plusieurs ambassades et du grade éminent de conseiller d'État, n'avait jamais songé à sortir de l'ordre où sa naissance l'avait placé. Il fait du moins ce que les orateurs des ordres privilégiés avaient dédaigné. En remerciant le roi, il prend acte de l'engagement, qu'il venait de contracter, de soulager les malheureux habitants des campagnes, et de remédier, le plus tôt possible, aux abus de l'administration ; mais, retombant dans la servilité obligée, il déclare que le peuple français, tout exténué qu'il est par les contributions redoublées des années précédentes, retranchera de sa propre substance, et se saignera plutôt que de ne pas fournir au roi les moyens de remplir ses glorieux desseins ; qu'il offre donc, à l'exemple des autres ordres, corps et biens.

Lorsque du Mortier a fini de parler, Jean Bertrandi, garde des sceaux, qu'on appelait le cardinal de Sens, se met à genoux au pied du trône, prend les ordres du roi, et transmet ses intentions à l'assemblée. Il agrée ses offres, et la remercie de la promptitude avec laquelle elle dent de se prêter aux besoins de la patrie. Pour accélérer l'ouvrage de la réforme qu'il a principalement à cœur, les députés des villes sont invités à remettre les articles qui intéressent le plus le bien général entre les mains de du Mortier qui en fera un rapport à sa majesté, pour y statuer suivant sa volonté. Il avertit ces députés de se trouver le lendemain à une conférence qui leur sera indiquée chez l'un des ministres, pour examiner plus à loisir ce qu'il y a de mieux à faire dans le moment présent. Ensuite on congédie l'assemblée.

L'offre de corps et biens qu'elle a faite n'est qu'une servile et vaine formule ; personne n'entend qu'elle soit prise à la lettre. On a besoin d'argent ; il faut déterminer une somme, et décider qui la payera. D'abord, il paraît que la noblesse et l'état de la justice ne contribuèrent en rien. Les députés des villes se rendent à la conférence chez le garde des sceaux. Le cardinal de Lorraine propose un plan de finances. Le roi a besoin de trois millions d'écus d'or pour les frais de la guerre ; le clergé payera un million, outre les décimes ; mille bénéficiers, dont la liste est dressée, avanceront la somme, sauf à la répartir ensuite sur tous les autres. Pour les deux autres millions, le tiers état les payera ; mais le roi ne veut que les emprunter au denier douze. Deux mille contribuables aisés en feront l'avance ; la somme sera ensuite répartie sur tous les autres contribuables du tiers. C'est tout simplement un emprunt forcé ; il n'y a point de terme fixé pour le remboursement. Moyennant ce secours, qui doit suffire pour la guerre, le roi espère que, dans un an, il se trouvera en état de faire la remise d'une partie des tailles, et de supprimer des droits d'entrée préjudiciables au commerce.

Malgré leur offre unanime de corps et de biens, les députés accueillent assez froidement cette proposition. Le mode de répartition n'est pas de leur goût ; ils demandent à en délibérer. Dresser une liste de deux mille contribuables qui avanceront deux millions c'est une opération embarrassante et délicate. Les députés ne connaissent pas au vrai l'état des fortunes, et, craignant de se rendre odieux à leurs concitoyens ils rejettent donc la mesure ; ils décident que la somme de deux millions sera répartie sur tous les hôtels de ville qui en seront garants, et qui en feront ensuite l'assiette sur les bourgeois aisés.

C'est le premier usage que la royauté fait du crédit des villes. Quant au cahier de plaintes et doléances, aux réformes, aux promesses royales, on n'y pense plus dès qu'on a obtenu l'argent.

La guerre continue ; les succès de Guise augmentent la jalousie du connétable, prisonnier depuis la bataille de Saint-Quentin, et l'inimitié des deux maisons ; elles forment deux partis. Fier de sa bonne fortune, Guise triomphe aussi des revers du maréchal de Termes qui, après avoir pris Dunkerque et Bergue, est battu à Gravelines, et fait prisonnier. Ce qui met le comble à l'orgueil de Guise, c'est le mariage de la reine d'Écosse, sa nièce, avec le dauphin.

Henri et Philippe mettent en campagne les deux plus grandes armées qu'on eût encore vues pendant la guerre. Elles s'observent pendant trois mois sur l'Autie et la Somme. Charles-Quint meurt dans sa solitude de Saint-Just (1558). Il semble que la fin obscure de tant de grandeur et d'éclat éclaire son héritier et le roi de France, et les ramène à des sentiments pacifiques. Le connétable a recouvré sa liberté. Malheureux à la guerre, il aspire à la gloire de faire la paix ; tout son parti y travaille. Des négociations sont entamées. Pour que les Guise en partagent la responsabilité, il y fait admettre le cardinal de Lorraine, et d'autres négociateurs de son parti. La paix est signée à Cateau-Cambrésis entre la France et l'Espagne (1559).

Les précédents traités sont confirmés, notamment celui de Crépy. Les deux rois se rendent tout ce qu'ils se sont pris depuis huit ans. Henri rétablit le duc de Savoie dans ses possessions, sous la réserve de ses droits, pour la garantie desquels il garde cinq places. Il laisse toutes celles qu'il occupait en Toscane au duc de Florence, et en Corse aux Génois. Il donne en mariage au duc de Savoie sa sœur Marguerite avec 300.000 écus d'or, et sa fille Isabelle au roi Philippe, avec 400.000. La reine d'Angleterre n'est pas comprise dans le traité ; par une convention particulière, on lui rend Calais, ou, si on le préfère, 500.000 écus.

Par ce traité, la France fait d'énormes sacrifices : on accuse le connétable de Montmorency de les avoir imposés pour sa rançon. Le peuple, peu soucieux de la politique qui s'inquiète peu de lui, est si fatigué de la guerre, qu'il se réjouit de la paix. Les Guise, les nobles la blâment hautement, parce qu'elle leur enlève momentanément une source de pouvoir, d'honneurs et de gloire. La France reste encore l'État le plus florissant de l'Europe. Le génie et l'activité de la nation l'appellent aux plus belles destinées. Malheureusement la fin de la guerre étrangère est le commencement des guerres civiles.

Henri II suit, à l'égard de la réforme religieuse, la même conduite que son père ; il s'allie avec les luthériens d'Allemagne. Une médaille est frappé, sur laquelle est un bonnet entre deux épées avec le mot libertas. Il persécute les calvinistes en France. Aux jeux, aux bals, aux festins de la cour, succèdent les processions, les supplices ; le roi repaît sa vue de ces tragiques spectacles. Il rend un édit pour réprimer les abus criants de la daterie, et empêcher l'exportation du numéraire à Rome, mais c'est dans un moment où il est mécontent du pape. Il abandonne aux menaces des catholiques le célèbre jurisconsulte Dumoulin ; l'auteur du livre contre les petites dates est obligé de se réfugier en Allemagne pour ne pas être brûlé comme hérétique. Henri II donne à la cour de Rome une ample satisfaction des mesures qu'il a prises pour réprimer sa cupidité. Par l'édit de Châteaubriant (1551), il ordonne la recherche et la punition des religionnaires dans tout le royaume ; il confirme une bulle du pape sur l'établissement de l'inquisition. Le parlement l'enregistre à condition que les ecclésiastiques seuls y seront soumis. D'un autre côté, par respect pour les dernières intentions de son père, le roi venge les habitants de Cabrières et de Mérindol. Un des auteurs des atrocités exercées contre eux, Guérin, avocat du roi au parlement de Provence, est seul condamné et décapité à Paris. C'est une injustice. Les autorités locales n'avaient agi que d'après les ordres de François Ier. Cette réparation n'est d'ailleurs qu'une intrigue du connétable de Montmorency qui espère compromettre le cardinal de Tournon, son ennemi capital. Au moment même où l'on était sous la triste impression de la bataille de Saint-Quentin, on en avait livré une à Paris contre les calvinistes ; on les arrête par centaines, on leur impute les crimes les plus odieux, et on les livre aux flammes. Ce n'est pas assez : on médite, on prêche dans les chaires leur entière extermination. Philippe II, tandis qu'on négocie la paix, excite Henri II à en finir avec eux par un grand coup d'État. Il n'est pas encore mûr. En attendant qu'on opère sur la masse, on les expédie en détail. Dandelot a été prisonnier de l'Espagne ; Philippe II le signale comme hérétique, Henri II le fait arrêter. Le connétable, son oncle, a beaucoup de peine pour le tirer de prison. On croit que cette persécution a été concertée entre les cardinaux de Lorraine et de Granvelle, le premier pour compromettre le connétable, le second pour brouiller deux maisons puissantes, exaspérer les religionnaires, et troubler la France.

Bien qu'en minorité dans le royaume, la réforme n'est pas vaincue par les persécutions et les supplices. Au contraire, elle s'est propagée partout, dans toutes les classes et professions ; elle n'a pour adhérents qu'une petite partie du peuple, mais elle a gagné une portion du clergé et la moitié de la noblesse. Dans quatre ans, le nombre des églises réformées s'est élevé à deux mille. Le parlement même a quelques conseillers calvinistes ; il hésite et mollit dans l'application rigoureuse des édits. On y parle de liberté de conscience, de concile. La cour est alarmée. il faut raffermir parla terreur la foi ébranlée de la cour souveraine. Un coup d'État est décidé. Le 14 juin 1559,1e roi se rend au parlement, et invite les magistrats à parler librement. Ils ne s'en font faute. Anne Dubourg et Dufaur ne se bornent pas à professer la tolérance, ils osent attaquer les désordres de la cour. Le roi donne sur-le-champ l'ordre de les arrêter. Il fait saisir trois autres conseillers dans leurs maisons. Une commission est nommée pour leur faire leur procès. Les calvinistes irrités s'assemblent et resserrent leurs liens pour résister et se défendre. Le roi redouble les rigueurs et les poursuites. La conduite de la cour forme un contraste frappant avec ce rigorisme. Elle est, les historiens l'attestent, infectée de tous les vices, les jeux de hasard, le luxe, l'impudicité, le libertinage, l'irréligion et les illusions de la magie.

La cour est en fête pour les noces de la fille du roi ; ce ne sont que tournois et carrousels. Henri II avait rompu plusieurs lances. Il veut jouter contre Montgommery ; atteint à l'œil d'un coup de tronçon, il perd la connaissance et la parole, et meurt le onzième jour. Il laisse quatre fils, François qui lui succède, Charles, Henri et un autre François.