François de Valois est sacré sous le nom de François Ier ; il joint au titre de roi de France celui de duc de Milan. La guerre d'Italie dévore la France. Si Louis XII, parvenu au trône, mûri par les années et l'expérience, a nourri ce fléau jusqu'à son dernier jour, comment François Ier en délivrerait-il son pays, lui, à la fleur de l'âge, vain de ses qualités physiques, présomptueux, d'humeur chevaleresque, gâté par les femmes et les courtisans ! Il se jette donc avec amour, à corps perdu, dans la guerre ; au nord, au midi, dans les deux péninsules, avec l'empire, l'Espagne, l'Angleterre la guerre remplit les dix premières années de son règne. Encore plus malheureux que ses deux prédécesseurs, il trouve partout devant lui un rival dangereux, Charles-Quint. Pour rendre le pape favorable à ses projets de conquête, le roi défait l'œuvre de la sagesse de ses prédécesseurs (18 août 1516), il abolit la pragmatique sanction et fait le concordat. Le pape lui concède le droit de nommer aux évêchés et abbayes. Le roi accorde au pape les annates de ces grands bénéfices sur le pied du revenu courant. Cette transaction est confirmée par le concile de Latran. Le clergé de France, les universités, les parlements, font en vain des plaintes, des remontrances, des protestations, et en appellent au futur concile. Au bout de deux ans, le parlement finit par enregistrer le concordat (1518). Le conseiller de tous ces actes antinationaux et impopulaires est le chancelier Duprat, le Richelieu de son temps, dit un écrivain, à la grandeur et à la dignité près. Cette époque est signalée par l'apparition de l'empereur Charles-Quint, du grand réformateur religieux Luther, et d'Ignace Loyola, fondateur des jésuites ; par la défection du connétable de Bourbon, les fautes du favori Bonnivet, la mort de Bayard, la conquête de Rhodes par Soliman. Depuis dix ans qu'il fait la guerre en Italie, François Ier n'est pas plus avancé que le premier jour. La bataille de Pavie renouvelle les désastres de Poitiers, les fautes et les malheurs du roi Jean. La défaite est complète ; l'armée française perd ses bagages, ses canons, huit mille hommes tués, un grand nombre de prisonniers, la fleur de la noblesse, ses meilleurs capitaines, un grand nombre de soldats. Le roi rend son épée. Il écrit à sa mère : J'ai tout perdu excepté l'honneur et la vie sauve, que la flatterie a traduit par ces mots : Tout est perdu fors l'honneur. De la citadelle de Pizzighitone, il écrit lâchement à Charles-Quint : S'il vous plaît avoir cette honnête pitié, et moyenner la sûreté que mérite la prison d'un roi de France, lequel on veut rendre ami et non désespéré, vous pouvez faire un acquêt, au lieu d'un prisonnier inutile, de rendre à jamais un roi votre esclave. Avant le départ du roi pour l'Italie, la reine mère avait été déclarée régente. Paris et le parlement, très-mal disposés pour elle, veulent déférer la régence à Charles de Bourbon, duc de Vendôme. Il ne se sent pas le courage de la disputer et de supporter ce fardeau. La reine n'hésite pas à la prendre, et fait confirmer son titre à Lyon, où elle se trouvait, par une assemblée de notables. Elle prend des mesures pour faire rentrer en France les débris de l'armée d'Italie ; elle cherche à calmer les inquiétudes de la nation, à exciter son zèle et à négocier avec l'Espagne. Pour prix de sa victoire et de la liberté du roi, l'empereur exige sa renonciation au royaume de Naples et au duché de Milan ; la restitution de la Bourgogne, patrimoine de ses ancêtres ; la donation de la Provence, du Dauphiné et du Lyonnais au connétable de Bourbon, pour, avec ses domaines, en faire un royaume indépendant ; de satisfaire aux demandes des Anglais. François Ier — dont la femme était morte — offre de prendre en mariage Éléonore, sœur de l'empereur ; de tenir la Bourgogne en dot et héréditaire pour les enfants qui naîtront de ce mariage ; de rendre au connétable de Bourbon toutes ses terres, et de lui donner sa sœur Marguerite, veuve du duc d'Alençon ; de satisfaire l'Anglais en argent ; de payer la même rançon que le roi Jean ; de prêter à l'empereur une armée de terre et de mer lorsqu'il irait en Italie prendre la couronne impériale. Pour le moment on ne peut s'entendre ; rien n'est décidé. François Ier était resté détenu en Italie. Malgré la modestie affectée par l'empereur après la victoire, sa vanité est flattée de tenir dans sa capitale un roi prisonnier. On craint d'ailleurs qu'il ne soit délivré par quelque parti ennemi de Charles-Quint. Amener le roi à Madrid, en apparence rien de plus simple. Mais on ne veut pas avoir l'air de lui imposer une prison, on désire qu'il la choisisse lui-même. Le général Lannoy lui persuade que, s'il s'abouche avec l'empereur, ils s'arrangeront facilement, et que, s'ils ne s'entendent pas, on le ramènera en Italie. Le roi donne dans le piège. Quelle route prendre ? On craint que le pape et les Vénitiens n'entreprennent de l'enlever. Le roi ordonne lui-même à ses galères qui croisaient en mer de le laisser passer. On le déparque en Espagne, on le conduit à Madrid, on le loge dans le château, loin de la mer et de la frontière ; il sort pour se promener quand il veut, monté seulement sur une mule et entouré de gardes. Pour l'entrevue dont on l'avait flatté, l'empereur l'ajourne jusqu'à ce qu'on ait négocié et qu'on soit tombé d'accord. Il permet au maréchal de Montmorency de retourner en France, et à Marguerite, reine de Navarre, sœur du roi, de venir le trouver à Madrid. Sa médiation n'a pas de succès. L'empereur croit qu'elle a gagné des conseillers et des gardes du roi, et qu'elle a dans ses mains l'abdication du roi en faveur du dauphin ; il hésite à retenir la reine ; elle revient en toute hâte en France, laissant trois négociateurs. François Ier est plus gêné dans sa prison, et tombe gravement malade. Ayant un grand intérêt à le conserver, l'empereur va enfin lui faire visite, et lui donne l'espoir de sa prochaine délivrance : sa santé se rétablit. La situation de la France, privée de son roi, aurait exigé la convocation des états généraux. La cour n'a pas oublié ceux qui s'assemblèrent pendant la captivité du roi Jean. Elle redoute les plaintes et les récriminations de la nation. Le parlement s'agite, il demande à la régente des réformes, et l'autorisation de poursuivre à feu et à sang les hérétiques. Il se brouille avec le chancelier Duprat pour l'évocation au conseil d'un procès relatif à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire. Ordre à l'avocat général Liset de poursuivre le chancelier, refus de ce magistrat. La cour invite Duprat, d'une manière assez fière, à venir se justifier, et se dispose à le décréter ; ce qui est plus grave, oubliant la limite de ses attributions qu'avait naguère posées le président La Vacquerie, elle projette de demander les états généraux, et, pour cela, elle écrit aux princes et aux pairs de se rendre à l'assemblée de la Saint-Martin. La régente mande à Lyon une grande députation du parlement. Quelques-uns d'entre vous, dit-elle aux députés, ont proposé d'assembler les états généraux, d'autres se sont permis des propos insolents sur mon compte. Qu'ils rendent grâce au ciel de ce que je suis trop élevée pour m'abaisser jusqu'à eux. Si j'étais moins puissante, je serais déjà vengée. Cette fierté intimide les députés. Ils répondent que, loin de rien contester à la mère du roi, le parlement emploiera toute son autorité à la faire respecter et obéir ; que, s'il a été question d'assembler les états, ce n'a été que sous son bon plaisir, et dans le cas que la prison du roi se prolongeât. Une grande ligue s'étant formée en Italie contre l'empereur, il se décide à faire la paix avec la France. Le traité est conclu à Madrid (13 février 1516) aux conditions suivantes : Le roi épousera Éléonore avec une dot de 200.000 écus d'or, et fera épouser la fille de cette princesse au dauphin quand elle sera en âge. Le roi sera conduit à Fontarabie et mis en liberté le 10 mars ; ses deux fils, ou au moins l'aîné, et au lieu du second, douze seigneurs entreront en otage pour sûreté de ce qu'il promet. C'est de payer à l'empereur deux millions d'écus d'or de rançon pour sa personne, de lui céder en toute souveraineté le duché de Bourgogne, avec les villes de Noyers et Châtel-Chinon, le comté de Charolais, la vicomté d'Auxonne, la prévôté de Saint-Laurent ; de plus l'hommage des comtés d'Artois et de Flandre, et ses prétentions sur les États de Naples, sur Milan, Gênes, Ast, Tournai, Lille et Hesdin ; de porter Henri d'Albret à renoncer au royaume de Navarre, et, s'il ne l'y peut obliger, de ne pas l'assister ; de rétablir dans quarante jours le duc de Bourbon et tous ceux qui l'avaient suivi, dans leurs terres ; de remettre Philibert de Châlon en liberté et dans sa principauté d'Orange, et Michel-Antoine dans le marquisat de Saluces ; de ne donner aucune assistance au duc de Gueldre, et de procurer que ses villes, quand il serait mort, retournent à l'empereur ; de payer les arrérages de la pension de l'Anglais, qui montaient à 500.000 écus ; de prêter à l'empereur, quand il irait prendre la couronne impériale en Italie, douze galères et quatre vaisseaux, et de lui payer 200.000 écus, au lieu de l'armée de terre qu'il lui a promise. Si le traité n'est pas exécuté dans le délai de quatre mois, le roi se remettra volontairement en prison. Les conditions du traité sont si rigoureuses, que le chancelier espagnol Gatinare refuse de le signer. L'opinion des hommes d'État en Espagne, excepté les négociateurs, est qu'il ne sera point exécuté, et que l'empereur n'en recueillera que l'odieux. Alors les deux monarques se rapprochent, se visitent, mangent, se .montrent ensemble en public, comme s'ils étaient les meilleurs amis. François est fiancé avec Éléonore. Ce ne sont que des démonstrations hypocrites : l'inimitié reste au fond des cœurs. Le 18 mars, Lannoy et Alarcon, avec une escorte espagnole, amènent le roi sur la Bidassoa, près de Fontarabie, et lui donnent la liberté. On leur remet en otage ses deux fils, dont l'aîné n'a pas huit ans. Aussitôt que le roi a touché le sol de la France, il enfourche un cheval turc, et, comme s'il eût été poursuivi par la prison, il court à toute bride jusqu'à Saint-Jean-de-Luz. Il y trouve sa sœur et sa mère, qui lui a amené pour ses plaisirs la belle Anne de Pisseleu, qu'il fait ensuite duchesse d'Étampes. Dès que François Ier est en liberté, adieu promesses, foi, signature. Il ne tarit point sur l'inhumanité de l'empereur. Les promesses faites par un prisonnier sont nulles. Un vassal qui force son seigneur à lui prêter serment est criminel ; les lois du royaume ne permettent pas à un roi de France d'en démembrer une partie. Ainsi s'exhale François Ier envers les ambassadeurs étrangers ; ainsi il en écrit au pape, au roi d'Angleterre et aux Vénitiens. Non, le traité de Madrid n'est pas nul parce que le roi était prisonnier ; il est aussi valable qu'un traité imposé par le vainqueur au vaincu en pleine liberté. François Ier a été libre de ne pas signer, on ne lui e pas arraché de force sa signature. Tous les raisonnements ne feront pas que le chevalier français modèle n'ait engagé sa foi et ne la viole sans pudeur, qu'il n'ait livré ses fils en otage, et qu'il ne les abandonne aux vengeances de l'empereur. La meilleure raison à donner, c'est que dans les cours la morale est subordonnée à la politique. Ce n'était pas l'exemple que lui avait donné le roi Jean. Son fils, duc d'Anjou, un des otages pour l'exécution du traité de Brétigny, s'étant évadé d'Angleterre, le roi, qui avait subi quatre ans de captivité, alla s'y reconstituer prisonnier, et y mourut. En ce qui concerne la nation, c'est différent. Elle n'est pas obligée de ratifier un traité honteux et ruineux, consenti par son roi pour se racheter de ses lourdes bévues et de sa captivité. Elle avait refusé de ratifier le traité de Londres, dût le roi Jean pourrir dans les prisons d'Angleterre ; elle eût refusé de ratifier le traité de Brétigny, si les signataires n'eussent pas été trop lâches pour la consulter. Pourquoi ratifierait-elle le traité de Madrid ? Parce que, d'après son refus, son roi devrait reprendre ses fers, et que ses fils resteraient à la discrétion de Charles-Quint ? Oh ! ce serait payer un peu trop cher la libération de ces princes ; elle sait bien qu'ils finiront par s'arranger : on n'est plus au temps où les rois s'égorgeaient. C'est une de ces grandes occasions où, accoutumés à gouverner seuls, les rois se croient obligés de recourir à la nation. L'idée en était venue pendant la captivité de François Ier. On a vu comment la régente avait traité le parlement pour avoir parlé d'états généraux. Maintenant qu'il a repris les rênes du gouvernement, et qu'il impose par sa présence et son autorité, François Ier convoque une assemblée à Cognac. On n'est pas d'accord sur sa composition. On y appelle les députés des trois états de la Bourgogne ; mais il parait que pour le reste de la France, le clergé et la noblesse y furent seuls représentés, d'où l'on a conclu que ce n'était qu'une assemblée de notables. Le roi en fait l'ouverture. Lannoy et Alarcon, qui l'avaient ramené de Madrid, y assistent comme envoyés de l'empereur. On donne lecture du traité de Madrid ; il contient plus d'une dure condition. La plus honteuse est la cession de la Bourgogne ; elle intéresse plus particulièrement les députés de cette province, ils sont entendus les premiers. S'étant donnés à la France sous le fils de Clovis, ils ont, disent-ils, depuis constamment formé la première pairie du royaume. Quelque puissant que soit le roi, il n'a pas le droit de les aliéner sans leur aveu ; le serment qui unit les sujets au souverain, lie le souverain à ses sujets, et ne peut être détruit que par un consentement réciproque. Ce lien unit les Bourguignons non-seulement au roi, mais à tous les autres membres de la monarchie qui ont le droit de s'opposer à un engagement contraire aux lois et destructif de toute liberté. Les Bourguignons défendent à la fois leur portion de nationalité et la dignité humaine, en ne voulant pas être traités comme des esclaves ou comme un vil bétail. Mais le fait a depuis longtemps prévalu sur le droit, et les peuples sont pour les princes une propriété, un objet de commerce. Il n'est donc pas étonnant que le roi élude le point de droit. Mais, au lieu de remercier les Bourguignons et de leur tendre les bras, il s'excuse sur la dure nécessité où il s'est trouvé de les sacrifier pour sauver le reste de son royaume. Il leur représente qu'ils seraient traités avec douceur par leur nouveau maître, qui leur conserverait tous leurs privilèges. Il prie l'assemblée de le mettre à même d'accomplir son serment. Les Bourguignons s'indignent. Ce serment, s'écrient-ils, est nul ; il est contraire à un premier serment que vous prêtâtes à la nation à votre sacre ; il est contraire aux libertés de votre peuple et aux lois fondamentales de la monarchie ; il a été fait par un prisonnier et arraché par la violence. Si toutefois vous persistez à rejeter de fidèles sujets ; si les états généraux du royaume nous retranchent de leur association, il ne vous appartient plus de disposer de nous : rendus à nous-mêmes, nous adopterons telle forme de gouvernement qu'il nous plaira ; nous déclarons d'avance que nous n'obéirons jamais à des maîtres qui ne seraient point de notre choix. C'est parler en hommes libres. Ce langage enflamme d'une sainte indignation les députés des autres provinces ; ils joignent leurs représentations à celles des Bourguignons, et supplient le roi de ne plus leur demander un consentement qu'ils ne peuvent lui accorder. Pour l'honneur du roi, il faut croire qu'il a d'avance excité l'opposition des états, et que s'il essaye de la combattre, c'est par ménagement pour l'empereur, présent à la séance par ses envoyés. Le roi les charge d'en rendre compte à leur maître, et de lui offrir 2.000.000 d'écus d'or en échange de la Bourgogne. Il ajoute que, bien qu'on le sollicite de recommencer la guerre, et qu'on lui ait déjà fait les offres les plus avantageuses, il préfère toujours de remplir ses engagements, tant qu'on ne lui demandera que des choses qui seront eu son pouvoir. Il congédie l'assemblée. La conduite de François Ier avait été prédite à Charles-Quint par ses conseillers. Son chancelier, Gatinare, avait obstinément refusé de mettre sa signature au traité de Madrid. En apprenant le résultat de l'assemblée de Cognac, l'empereur ne dissimule pas son dépit et sa honte, et prend la résolution de continuer la guerre en Italie. Il y expédie le connétable de Bourbon, et flatte son ambition par les promesses les plus brillantes. Il envoie au pape Hugues de Moncade, et le charge de passer par la France, avec l'ordre de ne pas aller plus loin, si François Ier consent enfin à lui remettre la Bourgogne. Depuis le traité de Madrid, il y avait eu sur le tapis un projet de ligue entre le roi, l'Anglais et les princes d'Italie, tantôt abandonné, tantôt repris. En apprenant que l'empereur tient absolument à la cession de la Bourgogne, le roi s'empresse de négocier la ligue avec le pape, les Vénitiens, les Florentins et. Sforce, pour procurer la délivrance des fils du roi, revendiquer le royaume de Naples au Saint-Siège, et maintenir Sforce dans le duché de Milan, le roi ne se réservant en Italie que la ville de Gènes. Il reçoit à Cognac le légat du pape, qui lui envoie l'absolution de ses serments et la nouvelle de la conclusion de la ligue ; elle est publiée. Lannoy, qui suivait toujours le roi, le quitte, après l'avoir sommé de se remettre en prison, suivant la parole qu'il en avait donnée. François Ier revient à Paris. Son premier soin est d'infliger une correction au parlement pour sa conduite envers la régente. Il mande à Saint-Germain le procureur général et deux conseillers, qui avaient suscité le conflit au sujet de l'abbaye de Saint-Benoît. Sans leur permettre de se justifier, il les suspend de leurs fonctions et leur interdit l'entrée du palais pour un temps illimité. Il va tenir au parlement son lit de justice ; il y fait enregistrer un édit qui défend à cette cour de se mêler des affaires d'État, lui ôte et retient à son conseil toutes les contestations relatives aux évêchés et abbayes, et soustrait pour toujours le chancelier de France à la juridiction des tribunaux. H déclare nul tout ce qui s'est fait, pendant son absence, pour restreindre les pouvoirs de la régente, ainsi que les procédures faites contre le chancelier. Il enjoint au parlement de lui apporter ses registres pouf y annuler et rayer tout ce qui y avait été transcrit contre ses ordres. Tout est exécuté comme le roi l'a prescrit. Philippe le Bel avait le premier rendu ses ordonnances de sa pleine puissance royale ; François Ier ajoute : Tel est notre bon plaisir, et complète ainsi la proclamation du pouvoir absolu. La guerre reprend toute son activité en Italie. François Ier y prodigue inutilement l'argent et le sang de la France. L'empereur insiste toujours sur l'exécution du traité de Madrid. La situation s'est tellement envenimée, que le roi se croit obligé de demander l'appui de la nation. Mais, au lieu d'appeler les états généraux, il ne convoque qu'une assemblée de notables dans la grande salle du palais à Paris (16 novembre 1527). François Ier prend séance sur son siège royal. L'assemblée est ainsi composée : sept princes, trois cardinaux, trois archevêques, plusieurs évêques, les quatre présidents du parlement de Paris, les premiers présidents de cinq parlements de province, quatre grands officiers de la couronne, six maîtres des requêtes, les conseillers du parlement de Paris, deux ou trois conseillers de chacun des autres parlements, le prévôt des marchands et les échevins, les gentilshommes de la maison du roi et un grand nombre de sénéchaux ou baillis. La mère du roi est dans une tribune avec une suite nombreuse de dames. Lorsque tout le monde a pris place, le cardinal chancelier dit : Levez la main, et jurez de ne rien révéler de ce que vous allez entendre. On ne voit pas pourquoi ce secret. Le roi prend la parole, et tient un long discours. L'affaire pour laquelle on est réuni lui a paru d'une si grande importance, que, malgré l'avis de ses conseillers qu'elle est purement du ressort de l'autorité, il a voulu la communiquer à l'assemblée et la soumettre à sa délibération. Il pense faire honneur à ses sujets en leur montrant cette condescendance. Il s'agit de prononcer sur le sort du roi, sur la fortune de tous les membres de la monarchie. Il va exposer sa conduite, ses malheurs, ses fautes peut-être. Il invite l'élite des trois ordres de l'État à songer à ce qu'ils doivent à la patrie, à lui donner le conseil qu'ils jugeront, dans leur conscience, le plus expédient pour le salut commun. Après cet exorde, il entre en matière, et commence par le récit des guerres d'Italie, qu'il termine ainsi : Il est aisé de blâmer les malheureux. Tout ce que je puis dire, c'est que si mes sujets ont eu du mal, j'en ai eu avec eux. On ne me reprochera pas de m'être soustrait au danger. Ne pouvant pas, par mes efforts, arrêter la victoire, j'ai sauvé l'honneur ; et personne du moins ne se glorifiera d'avoir vu fuir le roi des Français. Prisonnier en Italie, il attendait ce que sur son sort il plairait au vainqueur d'ordonner. On lui apporta des conditions si déshonorantes et si préjudiciables, qu'il les rejeta avec indignation. Il considéra qu'il n'était qu'un faible mortel, sujet à tous les accidents de la nature, et qu'il ne convenait pas que l'État, qui ne meurt jamais, que des millions d'hommes fussent immolés à son avantage personnel. Il résolut le consumer plutôt le reste de ses jours dans une prison. On l'entraîna en Espagne, par l'espoir qu'une entrevue avec l'empereur terminerait à l'amiable tous les débats et ramènerait la paix. Il ne tarda pas à être désabusé ; il y trouva une prison plus dure que la première. Accablé de cet excès de mauvaise foi, voyant la négociation dans un état déplorable, il succomba sous le poids du malheur ; ses forces l'abandonnèrent, et il vit, sans effroi, la mort s'approcher. Rendu à la vie contre toute espérance, il ne reçut ce don du ciel que pour en faire le sacrifice à son peuple : ne pouvant plus lui être utile, il ne voulut pas lui nuire. Il abdiqua la couronne. L'acte fut apporté en France et devait encore se retrouver. A ces mots, l'amiral Chabot, se levant de sa place, tire un papier de sa poche et le montre. Le grand maître, Anne de Montmorency, l'archevêque de Bourges et le premier président de Selves ajoutent leur témoignage. L'effet de cet acte, qui fut notifié à l'empereur, continue le roi, fut de rendre sa prison plus dure. Cependant sa mère, qui gouvernait en son absence, lui mandait que sa présence devenait de jour en jour plus nécessaire ; qu'il rie fit aucune difficulté de signer toutes les conditions qu'on lui présenterait, parce que les engagements d'un prisonnier n'étaient pas obligatoires. Le traité de Madrid fut rédigé. Convaincu que la prison annulait tous les serments, le roi se défendit encore de le jurer et de le signer, et ne se rendit enfin qu'après avoir fait rédiger un acte de protestation. Depuis, le ciel, qui avait éprouvé la France par de longues disgrâces, s'était adouci ; les puissances d'Italie avaient épousé sa querelle ; le roi d'Angleterre s'était lié avec lui. De deux ennemis qui lui restaient encore, le plus implacable de connétable de Bourbon, avait péri sous les murs de Rome[1] ; l'autre — l'empereur —, après bien des tergiversations, paraissait enfin disposé à se contenter d'un dédommagement en argent pour ses prétentions sur la Bourgogne. Les rois d'Angleterre et de France lui envoyaient de nouveaux ambassadeurs pour lui porter leurs dernières propositions. S'il les acceptait, il fallait tenir prête la somme dont on conviendrait ; s'il les rejetait, il fallait pousser vigoureusement la guerre en Italie et la porter dans les Pays-Bas. Le roi avait fait calculer la recette et la dépense des deniers publics. La seule guerre d'Italie coûtait 350.000 livres par mois et emportait la moitié du revenu de l'État. Il fallait entretenir des garnisons aux frontières, une flotte dans la Méditerranée, des ambassadeurs dans toutes les cours, payer les gages de tous les fonctionnaires publics. Les revenus ordinaires ne suffisaient plus pour ces dépenses et ne pouvaient être d'aucune ressource pour la guerre des Pays-Bas. Il fallait donc trouver deux millions d'écus d'or, soit pour satisfaire l'empereur, soit pour les frais de la guerre. Si l'assemblée jugeait que l'État ne pût subvenir à cette dépense, il fallait ou rendre la Bourgogne, ou trouver bon que le roi retournât se constituer prisonnier à Madrid. Car, de croire que les choses pussent rester dans l'état où elles étaient, et que le roi achetât sa liberté au prix de celle de ses enfants, qui étaient ceux de la chose publique, ce serait lui faire outrage. D'ailleurs, quel serait le fruit de cette barbare politique ? Il pouvait mourir demain, et au lieu d'un roi la France en aurait deux à racheter. Si, par les arrangements qui pouvaient être pris, sa présence cessait d'être nécessaire, il partait pour Madrid. Écartez de vos délibérations, dit le roi en finissant, tout ce qui me touche personnellement, et ne consultez que l'intérêt de notre commune patrie, à qui nous devons tous également, lorsque ses besoins l'exigent, le sacrifice de notre liberté et de notre vie. Ordinairement, soit qu'ils n'en fussent pas capables, soit qu'ils crussent déroger à leur dignité, les rois ne prenaient pas la peine d'exposer eux-mêmes les affaires aux assemblées. Tout au plus, disaient-ils : Messieurs, je vous ai réunis pour tel ou tel objet, mon chancelier vous dira le reste. Le plus souvent le chancelier, avant de parler, en demandait la permission au roi qui la donnait par un signe. François Ier tenait à justifier son titre de père et restaurateur des bonnes lettres et des arts libéraux, et ne manquait pas d'éloquence. Son discours était-il écrit ou parla-t-il d'abondance ? Quoi qu'il en soit, il n'est pas douteux que tout avait été concerté d'avance, les demandes et les réponses. Dans une assemblée d'états généraux, il est probable qu'en venant au secours du roi, on aurait aussi stipulé, ainsi que cela s'était presque toujours fait, la réforme de certains abus et un peu de soulagement pour le peuple. On aurait entendu du moins quelques voix libres et indépendantes. Mais cette assemblée n'était composée que de l'élite des classes privilégiées, de grands officiers de la couronne, de gens de cour, de présidents, de conseillers de parlements et de tribunaux, tous dépendants du pouvoir par leurs dignités et places, tous choisis et appelés par le roi. Le tiers état n'y avait point de députés, la seule ville de Paris y était représentée par son prévôt des marchands et ses échevins. Lorsque le roi a cessé de parler, trois personnages, se donnant comme représentants des trois ordres, savoir : le cardinal de Bourbon, du clergé ; le duc de Vendôme, de la noblesse ; le président de Selves, du tiers état, remercient le roi de l'amour qu'il porte à son peuple, et de l'honneur qu'il leur fait en leur communiquant avec tant de franchise ses desseins, l'état de ses affaires et les secrets les plus importants du gouvernement. Ils lui demandent si son plaisir est qu'ils délibèrent en commun ou qu'ils se retirent dans des chambres particulières. Il est plus à propos, répond le roi, que, conformément à ce qui se pratique dans les assemblées d'états — ce qui n'était pas exact —, chaque ordre délibère en particulier. Mais, avant tout, il exige que chaque membre de l'assemblée prenne lecture de sou acte d'abdication qu'on leur a seulement montré. C'était le seul moyen qu'il eût imaginé de sortir d'embarras : si quelqu'un en trouvait un meilleur, qu'il le proposât. L'assemblée se partage en quatre bureaux, savoir : les gens d'église, les princes et nobles, la justice, la ville de Paris. Après quelques jours de délibération, l'assemblée se reforme en présence du roi. Les trois orateurs déjà nommés prennent la parole ; d'abord le cardinal de Bourbon. Il ne dissimule pas qu'il n'y a dans l'assemblée qu'une faible portion de l'église gallicane. Mais, vu l'urgence et comme il s'agit du salut de l'État, elle prend sur elle-même, et sans attendre la permission du Saint-Siège, de déposer aux pieds du roi une partie des biens qu'elle tient de la libéralité de ses glorieux prédécesseurs. Elle lui offre, à titre de don gratuit, la somme de 1.300.000 livres, dont elle le prie humblement de vouloir bien se contenter. Mais le clergé n'est pas dans l'usage de donner pour rien. Plein de confiance dans les bontés du roi, il ose lui demander trois choses : de prendre en considération le père commun des fidèles — assiégé dans le château Saint-Ange après le sac de Rome —, et, comme fils aîné de l'Église, de vouloir bien l'arracher des mains de ses barbares persécuteurs ; d'exterminer une secte impie — les luthériens — qui, du fond de l'Allemagne où elle a pris naissance, commence à se répandre en France, et menace l'Église et l'État d'une entière subversion ; maintenir, à l'exemple de ses glorieux prédécesseurs, les droits et privilèges de l'église gallicane. Le duc de Vendôme dit pour la noblesse : Je parle au nom d'un ordre qui sait mieux agir que
discourir. Sire, nous vous offrons la moitié de nos biens ; si la moitié ne
suffit pas, la totalité, et par-dessus nos épées et jusqu'à la dernière
goutte de notre sang. Mais, moins hardi que le clergé dont une
minorité stipulait pour le corps entier, je n'engage,
ajouta-t-il, que ceux qui sont ici, les autres ne
peuvent être engagés que par leur consentement libre. Envoyez dans les
provinces des hommes accrédités, ou donnez commission aux baillis d'assembler
la noblesse de leur district ; qu'ils lui exposent ce que vous nous avez fait
entendre, et soyez assuré qu'il ne se trouvera pas un gentilhomme en France
qui pense autrement que nous. Les orateurs des deux premiers ordres avaient parlé debout, les présidents et conseillers des parlements, prétendus représentants du tiers état, mettent un genou en terre. Le roi leur ordonne de se lever le premier président de Selves exalte l'acte de l'abdication du roi et l'élève bien au-dessus du dévouement des Codrus, des Decius, etc. Mais le roi a excédé son pouvoir, il appartient à ses sujets comme ils -lui appartiennent, et il n'a point eu le droit de disposer de lui sans leur aveu. Ils lui déclarent qu'ils jugent sa présence nécessaire au maintien de l'ordre public qu'ils veulent le posséder au milieu d'eux, et qu'ils s'opposeront de toute leur force à son éloignement ! Pour la cession de Bourgogne, personne ne révoque en doute que -des promesses arrachées par la force, les menaces et la violence, ne soient de leur nature invalides et nulles. Quant aux prétendus droits réclamés par l'empereur sur ce duché, l'orateur les bat en ruine par une simple exposition des faits. Il représente le danger qu'il y aurait à introduire dans le cœur de l'État et aux portes de la capitale une puissance rivale, continuellement occupée à tendre- des pièges à la France et à l'asservir. Il n'y avait pas de Français qui ne frémît de colère à une pareille proposition, et qui voulût survivre à un tel déshonneur. Il ne restait plus qu'à examiner le projet d'obliger
l'empereur à accepter 2.000.000 d'écus d'or pour la rançon des fils de France. Ce nom
seul, dit l'orateur, indique assez nos
obligations. Ils sont la portion la plus précieuse de notre héritage, le gage
de la félicité publique, l'espérance et l'appui de la patrie. C'est de cette
mère commune que nous tenons notre existence, nos biens, notre rang, nos
privilèges ; elle s'en est réservé la propriété, et elle a le droit d'en
dépouiller les enfants ingrats qui la négligeraient dans ses besoins. Les
membres de votre parlement de Paris, sire, les députés des cours souveraines
du royaume détesteraient toute distinction qui les exempterait de contribuer
à une dette sacrée. Ils demandent d'être taxés comme le reste des citoyens,
et ils vous offrent, dès ce moment, leurs biens, leurs corps et leurs vies. Le prévôt et les échevins de Paris se mettent à genoux ; le roi ne leur ordonne pas de se lever. Le prévôt ajoute que les fils de France leur appartenaient à un titre plus spécial qu'à tout le reste du royaume, puisqu'ils étaient enfants de Paris ; que ses fidèles bourgeois voulaient contribuer à leur rançon dans une proportion plus forte que les autres villes du royaume ; qu'ils suppliaient sa majesté de disposer absolument de leurs biens et de leurs vies, et d'avoir toujours pour recommandée sa bonne ville de Paris. Magnanimes Français ! s'écrie le roi, comment pourrai-je jamais payer dignement tant d'amour ? C'était à moi à vous prier de m'assister dans mes besoins ; c'est vous qui me conjurez d'accepter et de prendre. Messieurs du clergé, je reçois votre don, et je conserverai vos privilèges avec autant et plus de soin qu'aucun de mes prédécesseurs. C'est principalement pour tirer le Saint-Père des mains de ses, persécuteurs, que j'ai fait passer une nouvelle armée en Italie ; je travaillerai, de concert avec vous, à conserver dans toute sa pureté le dépôt sacré de la religion, et à préserver mes sujets du poison de l'hérésie luthérienne, comme m'y oblige mon titre de roi très-chrétien. Princes et seigneurs, vos privilèges sont les miens et ceux de mes enfants, car je suis né gentilhomme et non pas roi, et mes enfants n'ont pas de plus beau titre que celui de chef de la noblesse. Messieurs de la justice, et vous tous mes fidèles sujets, j'aurais fait avec joie le sacrifice de ma liberté à mon peuple et à l'intérêt de notre commune patrie ; mais, puisque vous jugez ma présence nécessaire, je vivrai au milieu de vous. Car n'ayant point été prisonnier sur ma parole, et n'ayant pas donné ma foi, les engagements qu'on m'a arrachés sont nuls, et je puis les rompre sans donner la moindre atteinte à mon honneur, le seul de tous les biens qu'il ne serait pas en mon pouvoir de vous sacrifier. Quant à la cession de la Bourgogne, si l'on me demandait mon avis, je répondrais comme gentilhomme qu'il faudrait me passer cent fois surie ventre avant que d'obtenir mon consentement. Jugez de ce que j'en dois penser comme roi, puisque votre généreuse amitié el passé mon attente, et qu'il ne me reste plus qu'à entendre ce que Wb puis faire, tant pour votre satisfaction particulière que pour l'utilité générale du royaume. Quelque envie que j'aie de mériter votre amour et votre estime dans une administration aussi étendue, bien que des choses échappent à mes regards, ne craignez point de me donner des avertissements, et soyez sûrs que je les prendrai toujours en bonne part. On ne peut dans cette réunion voir des états généraux. C'est une assemblée de notables dont on prétend faire des états. Le roi l'appelle une élite des trois ordres, et les fait délibérer séparément. Les parlementaires auraient donc représenté le tiers état ; mais ils n'acceptent pas un rôle qu'ils regardent comme inférieur à leur rang et à leurs privilèges. Ils aspirent à compter parmi la noblesse, ou à. former un ordre à part. Le cardinal de Bourbon et le duc de Vendôme parlent au nom du clergé et de la noblesse ; le président de Selves parle au nom des cours souveraines. Le roi autorise en quelque sorte la prétention des parlementaires en les appelant messieurs de la justice ; mais ils ne parvinrent jamais à former un ordre distinct. Le magistrat noble put être élu par la noblesse aux états généraux ; le magistrat roturier ne put y arriver que par le choix du tiers état. L'assemblée fut plus généreuse que le roi ne le demandait ; le clergé limita son don ; la noblesse, les parlements et la ville de Paris offrirent leurs biens et leur vie. Le roi ne manque pas de profiter d'une si imprudente abnégation pour lever des contributions dans la mesure dont il est seul juge. Leur produit s'élevait à 15,730.000 livres, le double de ce qu'il était sous le règne précédent. -Au lieu de l'employer aux besoins de l'État, le roi en consacre une grande partie en dépenses frivoles et pour ses plaisirs. On négociait la paix à Burgos sans succès. Les ambassadeurs de France, d'Angleterre et de puissances d'Italie, demandent leur congé à l'empereur, et des hérauts lui dénoncent la guerre. Il fait arrêter les ambassadeurs. François Ier use de représailles envers celui d'Espagne, Granvelle. L'empereur répond au héraut de François Ier à Madrid, après la conclusion du traité, il dit au roi qu'il le tiendrait pour lâche et méchant, s'il manquait à la foi par lui promise ; à Grenade, il dit à Calvimont, ambassadeur de France, que le roi, ayant manqué à sa foi, avait fait lâchement et méchamment, et que, s'il voulait dire le contraire, l'empereur le soutiendrait de sa personne à celle du roi. Il aurait même ajouté qu'il était plus expédient que les deux souverains vidassent leurs différends par un combat singulier, que de troubler toute la chrétienté et de répandre le sang de tant d'innocents qui n'avaient que faire de leurs querelles. Calvimont prétend ne pas se souvenir du propos tenu à Grenade, et demande à l'empereur de le lui rappeler par écrit pour qu'il en rende compte au roi. L'empereur lui écrit une lettre dont il fait hautement donner lecture à sa cour. L'offense est sanglante. François Ier la sent vivement ; il veut se justifier publiquement du reproche de perfidie et de lâcheté, et en demander raison. Accompagné des princes, des ducs, des ambassadeurs étrangers, de tous les officiers de sa maison, il se rend dans la grande salle du palais, et y mande Granvelle à qui il a rendu la liberté, de même que l'empereur aux ambassadeurs français (28 mars 1528). Le roi lui exprime tous ses regrets d'avoir été forcé d'user envers lui de représailles pour les mauvais traitements exercés envers les ambassadeurs français par un prince qui foulait aux pieds le droit des gens ; il rend témoignage à l'intégrité, aux vertus de l'ambassadeur, et l'engage à se charger d'un écrit, pour le remettre en mains propres à l'empereur. Granvelle, qui sait ou qui soupçonne le contenu de cet écrit, s'excuse sur ce qu'ayant reçu ses lettres de rappel, il n'a plus de caractère public. Du moins, reprend le roi, ne me refuserez-vous pas d'en entendre la lecture, et d'obtenir de votre maître un sauf-conduit pour un héraut qui vous accompagnera à votre retour, et qui lui remettra l'écrit. C'est un cartel. Si l'empereur lui impute d'avoir fait une chose qu'un gentilhomme aimant son honneur ne devait faire, François lui dit qu'il a menti, étant déterminé à défendre son honneur jusqu'au bout de sa vie. Il proteste que si, après cette déclaration, l'empereur persiste, la honte du délai du combat retombera sur lui, vu que le combat est la fin de toutes les écritures. Monsieur l'ambassadeur, ajoute le roi, votre maître m'a contraint d'user de ces expressions. Dites-lui, je vous prie, qu'après ce qui s'est passé entre nous, je m'attends qu'il répondra en gentilhomme et non en praticien. S'il continue de faire des écritures, il faudra bien que j'oppose à son chancelier un homme de sa profession et plus homme de bien que lui. Le sauf-conduit de l'empereur étant arrivé, Guyenne, le héraut, part avec Granvelle, et, dans une assemblée de grands, remet à l'empereur le cartel avec une lettre du roi qui le prie d'assigner le champ et l'heure du combat. Selon ses instructions, Guyenne garde un silence absolu. Le roi refusant d'entrer en explication, on en conclut qu'outre l'engagement public contenu dans le traité de Madrid, il en a contracté un particulier qui touche de plus près l'honneur, et qui l'embarrasse. A l'assemblée de Cognac, ne s'était-il pas montré résigné à livrer la Bourgogne ? n'avait-il pas demandé qu'on le mit à même de remplir son serment ? Dans l'assemblée de novembre 1527, n'avait-il pas posé cette alternative, qu'on lui accordât de l'argent, ou que l'on trouvât bon qu'il allât se reconstituer prisonnier à Madrid ? En le quittant, Lannoy ne l'avait-il pas sommé de se remettre en prison suivant la parole qu'il avait donnée ? L'empereur, qui n'est nullement disposé aux aventures chevaleresques, insiste au contraire sur des éclaircissements pour embarrasser le roi, et faire planer des doutes sur sa réputation de chevalier sans peur et sans reproche. Il dit donc à Guyenne qu'il fera porter sa réponse par un héraut. Bourgogne, c'est son nom, demande au gouverneur de Bayonne un sauf-conduit. Il répond qu'il ne le donnera que si le héraut apporte l'assurance du champ, sans autre explication, le roi ne voulant plus recevoir d'écritures. Le héraut donne cette assurance, on l'emmène à Paris. Le 10 septembre, François Ier reçoit avec solennité dans la grande salle du palais. Là se trouvent autour du roi les princes, les plus grands seigneurs, les cardinaux, les archevêques et évêques, les ambassadeurs étrangers, les grands officiers de la couronne, les maréchaux, les lieutenants généraux, les officiers des maisons civile et militaire du roi, des gentilshommes par centaines, les présidents et conseillers du parlement et du grand conseil, à leur suite plusieurs gens de lettres ; au bas de la salle, dont les portes sont ouvertes, un nombre infini de gens de diverses nations. Le roi fait un long exposé des faits, et soutient que la foi par lui promise dans sa captivité, n'ayant pas été renouvelée depuis qu'il est libre, ne l'engage nullement ; que par conséquent l'empereur l'a calomnié et insulté, et qu'il a dû exiger une réparation. Le roi annonce qu'il n'a consenti à recevoir le héraut de l'empereur que sur l'assurance qu'il apporte seulement la désignation du champ du combat. Le héraut introduit dans l'assemblée, le roi lui dit : Héraut, portes-tu la sûreté du champ, telle qu'un
assailleur comme est ton maitre doit bailler à un défendeur tel comme je suis
? Le héraut, demande, avant de remettre la patente du champ, à
communiquer ce que l'empereur l'a chargé de dire. Le roi refuse obstinément
de l'entendre. Le héraut demande son congé et un sauf-conduit pour s'en
retourner ; le roi les lui accorde. Ainsi se termine cette pompeuse parade.
Il paraît qu'avant de répondre au défi du roi, l'empereur voulait exiger
qu'il dégageât sa parole et ses fils. Il faut donc guerroyer en Italie. L'armée française se fond par les combats et les maladies ; les armées de l'empereur sont victorieuses. Les princes confédérés demandent la paix et la font séparément. Abandonné par ses alliés, François Ier la demande aussi. Elle est négociée et conclue à Cambrai, le 5 août 1529, à peu près aux mêmes conditions que le traité de Madrid, excepté la Bourgogne sur laquelle l'empereur se réserve ses droits pour les poursuivre par les voies de douceur. Le roi révoque la condamnation du connétable de Bourbon, et rend à ses héritiers tous ses biens. Il payera à l'empereur 2.000.000 d'écus d'or de rançon ou à sa décharge, pour retirer ses deux fils. Il était temps que la paix vint soulager la France ; si l'on en croit les historiens, elle était en proie à tous les fléaux qui peuvent affliger l'humanité. La misère et la mortalité y étaient à leur comble. Il fallut presque un an pour exécuter le traité de Cambrai, c'est-à-dire pour trouver l'argent de la rançon. Les fils du roi reviennent en France. L'empereur y envoie Éléonore, sa sœur ; François Ier l'épouse (1530). La paix n'est pas de longue durée. Pendant dix ans la guerre embrase l'Europe, et n'est interrompue que par de courtes trêves. Tous les princes y sont engagés, et viennent se grouper autour des deux principaux chefs de la lutte, la France et l'Autriche. Les alliances se font et se défont suivant les chances variées des combats, et les besoins accidentels de la politique : car, au fond, celle des deux grandes puissances est invariable ; elles se disputent la prépondérance. Si les forces militaires, les succès et les revers se balancent entre Charles-Quint et François Ier, la partie n'est pourtant pas égale. Celui-ci, à part son désaveu du traité de Madrid, entraîné par son caractère étourdi, vaniteux et chevaleresque, est souvent dupe de son adversaire ; trop occupé de ses plaisirs, gouverné par les femmes, distrait par son goût des arts et des lettres, jaloux de donner de l'éclat à sa cour, il ne met pas assez de suite dans ses desseins, commet de grandes fautes, et ne justifie que trop bien cette prédiction de Louis XII : Vous verrez que ce gros garçon gâtera tout. Charles-Quint est l'antipode de François Ier ; il a toutes les qualités, tous les vices de l'ambitieux qui ne voit que le but, et qui emploie tous les moyens qui peuvent l'y conduire. Deux traits le caractérisent : s'agit-il d'aller châtier les Gantois révoltés, il choisit la route la plus périlleuse, il se livre à son ennemi le plus puissant, et traverse la France. Parvenu au sommet de la puissance, fondateur du plus grand empire de sou époque, il abdique, et va s'enterrer dans un cloître. La paix se fait à Crépy avec l'empereur, le 18 septembre 1544. Que retire la France de tant de sang et de trésors prodigués dans la guerre ? Bien. Quelle stipulation du traité flatte au moins la vanité de son roi ? De ce duché de Milan pour lequel il a si longtemps combattu, il n'obtient que la possession éventuelle en faveur de son fils le duc d'Orléans. Il renonce à toutes ses autres prétentions, il restitue ses conquêtes. Ce traité soulève des mécontentements ; le dauphin proteste contre en présence de princes de la famille et de seigneurs. La paix conclue avec l'Angleterre (1546) n'est ni plus glorieuse, ni plus profitable. François Ier fait délibérer par les états de Bretagne la réunion de cette province. Son fils aîné en est couronné duc, il en portera les armes avec celles de France et de Dauphiné. Des transactions irrévocables avaient déjà décidé du sort de la Bretagne. La délibération des états, quoique de pure forme, est un hommage aux droits du peuple breton. La France, pour son territoire, se trouve à peu près dans le même état où Louis XII l'avait laissée. Les frais immenses de la guerre — la solde seule des troupes montait à 9.000.000 par an —, les dépenses d'une cour galante, prodigue et magnifique, la construction de châteaux, de palais, les libéralités faites aux maîtresses, aux courtisans, aux seigneurs, aux artistes, aux savants, l'acquisition d'objets d'art et de curiosité, épuisent constamment le trésor, et exigent des ressources extraordinaires et toutes sortes d'expédients. Le roi y pourvoit, sans le concours des états, de sa seule autorité. Il exploite à son gré la France comme sa propriété. Il augmente les contributions, en établit de nouvelles. Il met notamment un impôt sur les villes closes pour l'entretien de 50.000 hommes, promettant qu'il cessera avec la guerre ; il n'est révoqué que sous François II. Il aliène le domaine de la couronne. Il crée une quantité d'offices, sans utilité publique, pour les vendre ; ce sont surtout des offices de judicature, une chambre de vingt conseillers au parlement de Paris, et à proportion dans les autres. A Châtellerault le roi célèbre à grands frais les noces du duc de Clèves avec Jeanne d'Albret, fille du roi de Navarre, et pour cette dépense augmente la gabelle. Le peuple appelle cette union les noces salées. Il ne se borne pas au sarcasme. Déjà écrasés par la taille, en Poitou, en Saintonge, en Guienne, les malheureux paysans s'insurgent, tuent les collecteurs de la gabelle, s'emparent de Saintes, de Cognac et entraînent Bordeaux. Montmorency est envoyé avec une armée ; le parlement avait déjà rétabli l'ordre et puni. N'importe, le brutal connétable traite, comme s'ils avaient été pris d'assaut, la ville, les magistrats, les habitants, et signale par des cruautés son passage dans les provinces. La fin de l'administration financière de François Ier est digne de son commencement. On avait promis, à Lautrec, général en Italie, 400.000 écus ; ce fonds ne lui parvint pas ; on accusa Semblançay, surintendant des finances ; il dit que l'argent avait été diverti par la mère du roi, Louise de Savoie ; François Ier fit ou laissa prendre cet honnête vieillard qu'il appelait son père. Pendant son règne François Ier a quatre chanceliers, Duprat, Anne du Bourg, Poyet et Montholon. Deux font une mauvaise fin, du Bourg meurt d'une chute de cheval, Poyet est condamné, dégradé, dépouillé, emprisonné par vengeance de la duchesse d'Étampes. Ses ordonnances lui ont acquis la réputation d'un légiste savant et avancé. Il institue les registres de l'état ci% il, il ordonne la rédaction des actes en français, il limite la juridiction ecclésiastique. Duprat, qui aurait plus justement mérité une fin tragique, meurt comblé d'honneurs et de biens. Il fait de sa science et de sont autorité l'usage le plus funeste pour la France. Il flatte et nourrit la passion du roi pour le pouvoir absolu et lui crée un intérêt distinct de l'intérêt général. Il conseille l'abolition de la pragmatique et le concordat. Il en est récompensé par le chapeau de cardinal et l'archevêché de Sens. Il fait le plus scandaleux trafic des offices de judicature. Il n'y a ni impositions, ni charges devant lesquelles recule son génie fiscal. Il imagine cette maxime attentatoire à la franchise du sol, qu'il n'est point de terre sans seigneur. La réforme religieuse embrasse l'Allemagne, Luther y a allumé l'incendie ; il avait déjà pénétré en France, Calvin l'y propage. Il a fait des prosélytes dans la noblesse, la haute bourgeoisie, parmi les lettrés et les savants. François Ier, ne s'était pas prononcé ; quel parti prendra-t-il ? A rassemblée de 1527 il a répondu au clergé, qu'il travaillera de concert avec lui à conserver dans toute sa pureté le dépôt sacré de la religion, et à préserver ses sujets du poison de l'hérésie luthérienne, comme l'y oblige son titre de roi très-chrétien. Sa profession de foi est formelle ; il est, il reste catholique en France mais un conflit sérieux entre le catholicisme et la réforme est engagé dans plusieurs États de l'Europe ; Charles-Quint est à la tête du parti catholique ; c'est l'ennemi le plus puissant de la France. La politique conseille à François Ier de soutenir les luthériens à l'extérieur, et cette politique sera celle de ses successeurs. Il n'y a point là de contradiction. Ainsi la ligue de Smalkalde offre au roi l'occasion de se venger de son rival ; il promet des secours aux ligués ; il fait plus, il cherche à s'allier avec les Turcs. On l'accuse d'abandonner la cause catholique. Alors il commence à persécuter les réformés en France ; il les livre aux flammes en grande pompe, et assiste avec sa cour à ces exécutions comme à des parties de plaisir. Il ordonne les massacres de Cabrières et Mérindol. Depuis plus de soixante ans l'imprimerie avait été apportée à Paris ; elle avait son Robert-Estienne ; François Ier se plaisait à la lecture des livres, même des œuvres de Rabelais. Emporté par l'intolérance religieuse, il proscrit les imprimeurs, et convertit leur proscription en une défense, sous peine de mort, d'imprimer aucun livre sans la permission royale, et de posséder un livre prohibé. La postérité, qui ne sait jamais bien, et qui ne s'en inquiète guère, ce qu'ont coûté aux contemporains de sacrifices et de souffrances les monuments qu'elle admire, a décerné à François Ier le titre glorieux de père des arts et des lettres. Soyons justes, il l'a mérité. Le roi a trois fils de sa première femme : François, dauphin ; Louis, duc d'Orléans ; et Henri. On marie Henri avec Catherine de Médicis, dans la suite si fatale à la France. Le dauphin meurt à l'âge de dix-neuf ans. On le croit empoisonné par son gouverneur Montecuculli. Qui l'a poussé au crime ? On accuse l'empereur ; on accuse Catherine de Médicis ; elle a voulu, pour être reine, frayer à son mari l'accès du trône. Montecuculli est écartelé. Le corps du dauphin est ouvert, ii n'y a pas trace de poison. Louis, duc d'Orléans, meurt aussi à la fleur de son Age : on murmure encore que le poison l'a tué ; le soupçon atteint Henri son frère et Catherine. Il n'y a plus d'obstacle entre eux et la couronne. Le 31 mars 1547, François Ier meurt d'un mal invétéré, suite de ses débauches, et du chagrin qu'il éprouva, dit-on, de la mort de Henri VIII qui l'avait précédé au tombeau. A son dernier moment, il fait à son fils les recommandations accoutumées d'imiter les vertus, non les vices de son père, de diminuer les tailles qu'il avait trop élevées, les Français étant le meilleur peuple qui fût au monde, et méritant d'autant plus d'être bien traités qu'ils ne refusaient rien à leurs rois dans le besoin. En effet, il les avait rudement éprouvés. |