Le duc d'Orléans succède à Charles VIII. Ce roi est âgé de trente-six ans, et a de l'expérience. Premier prince du sang, il a, sous le règne qui vient de finir, pris une grande part aux affaires. Il se fait sacrer à Reims et couronner à Saint-Denis sous le nom de Louis XII (27 mai 1498). A son titre de roi de France, il ajoute ceux de roi des Deux-Siciles et de duc de Milan. Charles VIII ne possédait plus ces deux souverainetés. Il n'était, dit un historien, demeuré aux Français, de leur conquête si glorieuse et si prompte, qu'une vilaine maladie qu'on ne peut honnêtement nommer. Les titres étrangers dont se décore Louis XII, prouvent qu'il n'est point guéri de l'ardeur guerrière de son prédécesseur, et qu'il est décidé à poursuivre ses prétendus droits sur le Milanais et le royaume de Naples. Avant de porter ses armes en Italie, Louis XII veut consolider la réunion de la Bretagne. Pour cela il a besoin du pape. Il lui demande des juges pour rompre son mariage avec Jeanne, fille de Louis XI, prétendant qu'on la lui a fait épouser par force. Le pape Alexandre VI envoie des juges en France (1499) ; ils déclarent le mariage nul. Le roi épouse Anne de Bretagne, veuve de son prédécesseur. Pour prix de ce bon service, il donne le duché de Valentinois à Borgia, bâtard du pape, qui, de son côté, récompense George d'Amboise, premier ministre, avec le chapeau de cardinal. La guerre d'Italie, les combats, les négociations, les traités qui en furent la suite, ainsi que nous l'avons dit pour le règne de Charles VIII, sont étrangers à notre plan. Enfin, dégoûté de cette guerre désastreuse, Louis XII se décide à rendre la paix à la France. Une trêve est conclue avec les Espagnols, une négociation est ouverte. Fatigué de leurs artifices, Louis XII, sur son trône, en présence de sa cour, fait comparaître les ambassadeurs d'Espagne, se plaint des procédés leur maître, et les congédie. Il se retourne du côté de l'Autriche ; Maximilien et l'archiduc Charles envoient des ambassadeurs ; on négocie paix et alliance ; elles sont conclues à Blois. Par le traité on confirme le mariage de Claude, fille aimée de France, avec l'archiduc. Elle lui apporte en dot, seulement après la mort du roi, les duchés de Milan, de Bretagne, Gènes, Asti, Blois, et en outre la Bourgogne, s'il meurt sans enfants mâles. Le traité est signé par François de Valois, héritier présomptif de la couronne, d'autres princes du sang et grands du royaume. L'empereur donne au roi l'investiture du duché de Milan, moyennant 120.000 florins, une paire d'éperons d'or tous les ans et un secours de cinq cents lances quand l'empereur voudra aller à Rome prendre la couronne impériale (1504). Disputer à l'Autriche le sceptre des Césars, mettre un frein à l'insolente ambition des papes, établir solidement l'influence française en Italie, y fonder quelque chose de grand et d'utile au pays, t'eût été un but digne des sacrifices par lesquels, depuis douze ans, on épuisait la France. Mais prodiguer ses trésors et le sang de ses enfants pour finir par se reconnaître vassal et tributaire de l'Autriche et la conduire à Rome sur le trône impérial c'était une insigne et criminelle folie. Ce n'était pas tout. Le mariage d'une fille de France avec l'archiduc offrait en perspective à l'Autriche le duché de Milan et la possession de plusieurs riches provinces ; c'était un scandaleux démembrement du royaume. La France était-elle tombée si bas qu'elle dût subir cette honte ? Quels motifs avait eus son roi pour la lui infliger ? Abattre la puissance des Vénitiens et leur reprendre ce qu'ils avaient enlevé de l'ancien domaine du duché de Milan ? Les conditions du traité étaient si étranges qu'on crut généralement que le roi n'avait jamais eu l'intention de l'exécuter ; mais la tache restait. Du chagrin d'avoir conclu ce traité ou d'autres choses, Louis XII éprouve une grave maladie. Les médecins croient qu'il n'en reviendra pas. Il fait de sérieuses réflexions, et prend des mesures pour rompre le fatal mariage de sa fille avec l'archiduc, et l'assurer avec François de Valois, héritier de la couronne (1505). La reine tient ferme à l'archiduc ; pour obtenir son consentement, il ne faut pas moins que les exhortations du cardinal d'Amboise et les prières d'un mari expirant ; encore se fait-elle violence. Son opposition au mariage de sa fille avec l'héritier du trône n'a pour motif qu'une misérable rivalité de femmes, la haine qu'elle a toujours eue pour Louise de Savoie, mère de François de Valois. Pendant la maladie du roi, le deuil est général en France ; ce n'est partout que processions, jeûnes publics, prières solennelles. Les, vœux des sujets sont secondés par la nature, le roi est sauvé, il se rétablit. Des événements favorables à l'agrandissement de la maison d'Autriche, ses desseins ambitieux, frappent Louis XII, lui ouvrent les yeux sur les dangers dont la France est menacée, et changent sa politique. Les mesures qu'il a prises pendant sa maladie pour le mariage de sa fille sont secrètes, et n'ont été communiquées qu'à trois ou quatre capitaines des gardes. Ses engagements envers l'Autriche sont authentiques, solennels et publics. Il faut se prémunir coutre la reine, qui ne se croit pas liée par un consentement qui lui a arraché un mari aux portes du tombeau. Elle est souveraine, elle a des gardes, des revenus considérables, une cour nombreuse ; avec de pareilles ressources, il ne lui serait pas difficile, arrivant la mort de Louis, d'enlever sa fille. Déjà lorsqu'il était malade, le croyant perdu, elle avait envoyé ses équipages en Bretagne, et allait s'y retirer. Il faut surtout sauver la réputation du roi, très-compromise, et lui fournir des moyens de répondre aux plaintes inévitables de la maison d'Autriche. Il s'agit de réparer une lâcheté, et d'effacer la tache imprimée à l'honneur. On est sûr de l'assentiment national ; on a donc recours au remède appliqué aux grandes plaies de l'État, une convocation des états généraux. Cette détermination n'était pas encore connue ; tout à coup un mouvement éclate dans la plupart des villes. Les habitants s'assemblent, représentent au roi les funestes conséquences du traité de Blois, et le supplient de les prévenir en le rompant, et de convoquer les états pour délibérer sur ce grave sujet. Ce mouvement fut-il spontané ou provoqué par des instructions secrètes du gouvernement ? A cet égard les historiens sont divisés. Le doute n'est pas permis. Les villes avaient une certaine autorité et quelque indépendance pour leurs intérêts locaux. Aucune institution ne les autorisait à se mêler des intérêts généraux, à intervenir dans la politique, ni ne leur permettait, nous ne disons pas un contrôle des actes du gouvernement, mais de s'assembler d'elles-mêmes pour émettre un simple vœu sur les matières d'État. Des cités, le peuple se levant spontanément, et demandant une assemblée nationale pour déchirer un traité ruineux et déshonorant, signé et juré par le roi, t'eût été sans contredit très-beau ; mais avait-on jamais vu l'élément démocratique ou bourgeois prendre de ces libertés envers la royauté, et la royauté le souffrir ? Louis XII provoqua les villes à prendre l'initiative, afin de paraître aux yeux de l'étranger avoir, pour ainsi dire, la main forcée par le cri de la France. Les villes ne se bornent pas à demander l'assemblée des états, elles nomment tout de suite leurs députés. Le roi les convoque à Tours, au 10 mai 1506. Il écrit aux princes et seigneurs de son sang, et à la plus grande partie des prélats, seigneurs et barons du royaume de s'y rendre. Les choses ne se passent pas suivant l'usage ordinairement observé ; les trois états ne se réunissent pas, on continue de laisser l'initiative aux députés des villes. Ils confèrent pendant trois jours, et choisissent pour orateur Thomas Bricot, chanoine de Notre-Dame, premier député de Paris, fameux par son éloquence. Le 14 mai, le roi sur son trône, environné, à droite, du cardinal d'Amboise, légat du cardinal de Narbonne, du chancelier Guy de Rochefort, des archevêques et évêques ; à gauche, du duc de Valois, des princes du sang, des seigneurs et barons, du premier président du parlement et de plusieurs conseillers, donne audience aux députés des villes. On commande le silence. Ils se mettent nu-tête et à genoux. L'orateur obtient la permission de parler. Il commence par un éloge pompeux du roi. A son avènement, sa sagesse a dissipé les orages toujours inséparables d'un nouveau règne. Image de Dieu sur la terre, il n'a vengé ses injures que par ses bienfaits. Il a battu les ennemis et les a forcés à la paix. Il a soulagé le peuple et diminué d'un tiers les tailles. Des lois sages ont assuré la fortune des citoyens. Les abus introduits dans le sanctuaire de la justice ont été supprimés. Le laboureur n'a plus tremblé à l'aspect du guerrier ; et, pour se servir de l'expression du prophète, le mouton bondissait au milieu des loups, le chevreau jouait parmi les tigres. Quelles actions de grâces pouvaient lui rendre des sujets qu'il avait protégés et enrichis ! Comment s'acquitteraient-ils de leurs obligations ? Daignez, sire, dit l'orateur, accepter le titre de Père du peuple, qu'ils vous défèrent aujourd'hui par ma voix. A ces mots un doux murmure s'élève dans l'assemblée ; il est suivi de signes de joie et d'applaudissements. L'orateur, interrompu un moment, poursuit : Vos bienfaits, sire, ont passé notre attente ; mais ne nous auriez-vous comblé de biens que pour nous plonger dans des regrets plus amers ? Votre amour gour la patrie doit-il finir avec votre vie ? N'auriez-vous pris tant de peine en faveur de vos sujets que pour les livrer vous-même à la merci des étrangers, et leur faire perdre en un instant le fruit de tant de sang et de travaux ? Que ne puis-je retracer aux yeux de votre majesté la douleur profonde, la consternation, auxquelles la nation entière s'abandonna dans ces moments terribles où nous tremblâmes pour vos jours ! Prosternés au pied des autels, effrayés du seul danger qui nous menaçait, sans aucun retour sur nous-mêmes, nous ne demandions au ciel que la conservation d'une tète si chère. Lorsqu'un rayon d'espérance eut dissipé cette terreur profonde, nous vîmes avec effroi le péril qu'avait couru l'État ; toutes les suites d'un trop funeste engagement se présentèrent à notre imagination. Cependant nous gardions le silence ; la faveur que le ciel venait de nous accorder comblait nos désirs. Nous ne doutâmes plus qu'un roi si sage n'ouvrît les yeux sur le danger qui nous menaçait ; la crainte de lui déplaire par une démarche précipitée nous arrêta longtemps, et même depuis que nous sommes ici assemblés, nous avons encore délibéré s'il n'était pas à propos de garder le silence, et d'attendre en paix ce qu'il vous plairait d'ordonner. Votre bonté, sire, a pu seule nous inspirer de la confiance. Nous nous sommes rappelé que dans les cruels instants où vous paraissiez toucher à votre dernière heure, vous déclarâtes que vous ne regrettiez la vie que parce que vous n'aviez pas encore assuré le repos de votre peuple. Ce sont ces paroles à jamais mémorables qui nous enhardissent à déposer aux pieds de votre majesté notre très-humble requête. A ces mots l'assemblée tombe à genoux, les bras levés vers
le trône. L'orateur, dans la même attitude, continue d'une voix basse et
tremblante : Puisse le suprême arbitre des destinées
prolonger la durée de votre règne ! Puisse-t-il, propice à nos vœux, vous
donner pour successeur un fils qui vous ressemble ! Mais si ses décrets
éternels s'opposent à nos vœux, s'il ne nous juge pas dignes d'une si grande
faveur, adorons sa justice, et ne songeons qu'à faire usage des dons qu'il
nous a faits. Sire, vous voyez devant vous un précieux rejeton du sang des
Valois ; fils d'un père vertueux, élevé sous les yeux d'une mère vigilante,
formé par vos conseils et par votre exemple, il promet d'égaler la gloire de
ses aïeux. Qu'il soit l'heureux époux de votre fille, et puisse-t-il retracer
à nos yeux l'hommage de votre règne. Ce discours, la posture suppliante où il voyait ses sujets, émurent, dit-on, le cœur paternel de Louis XII, et des larmes d'attendrissement coulèrent de ses yeux. Un roi pleurer ! pleurer en public, sur son trône ! cela s'est-il jamais vu ? Si Louis XII pleura, alors la comédie prit le caractère du drame ; car c'en était une véritable que toute cette parade solennelle préparée par la cour. Le roi appela le cardinal légat, le cardinal de Narbonne, le chancelier, et conféra avec eux. Ensuite le chancelier dit à l'assemblée : Messeigneurs des états, le roi, notre souverain et naturel seigneur, ne blâme point la démarche que vous avez faite, il rend justice aux sentiments qui vous l'ont inspirée, et voit avec la plus vive satisfaction à quel point la patrie vous est chère. Il accepte le titre de Père du peuple que vous lui déférez ; vous ne pouviez lui faire un don qui lui fût plus agréable. Si les soins qu'il s'est donnés ont tourné au profit de la chose publique, il déclare qu'il faut en rendre grâce à Dieu, et qu'il s'efforcera de mieux faire à l'avenir. Quant à la requête que vous lui avez présentée, elle roule sur un objet si important, que quelque déférence qu'il ait pour les conseils de ses fidèles sujets, il ne veut rien statuer à cet égard, sans avoir pris l'avis des princes de son sang, des grands et des premiers magistrats du royaume. Retrouvez-vous donc ici dans six jours, et le roi viendra lui-même vous apprendre sa réponse. Certes, elle était d'avance toute prête et connue. Les députés des états de Bretagne n'avaient pris aucune part à ces délibérations, parce que la reine, dont ils étaient les sujets, s'opposait au mariage de sa fille avec le duc d'Angoulême ; ils arrivèrent à Tours, et présentèrent au roi une requête conforme au vœu général. Cette démarche était importante ; le mariage assurait, sans contestation, la réunion de la Bretagne à la monarchie. Louis XII assemble un conseil extraordinaire où il appelle un grand nombre de prélats, de seigneurs, et les premiers présidents des parlements de Paris, de Rouen et de Bordeaux ; il leur déclare les engagements qu'il a contractés avec la maison d'Autriche, les serments qu'il a prêtés et fait prêter par les gouverneurs de plusieurs provinces à l'archiduc et à l'empereur ; il ne dissimule point qu'il se croit obligé de les accomplir à quelque prix que cc fût, s'il ne s'agissait que de ses intérêts personnels ; i les prie de considérer que la parole des rois est sacrée, et il leur ordonne de déclarer, comme ses fidèles sujets ; sans ménagement et sans crainte, ce qu'ils croiront juste et conforme à l'équité naturelle. Les premiers présidents des parlements de Paris, de Bordeaux, et l'évêque de Paris parlent longuement, pour mieux ouvrir, dit un manuscrit, les esprits et entendements des autres. L'engagement, disent-ils, pris avec l'archiduc, était nul comme contraire aux lois fondamentales de la monarchie. Ces lois déclaraient nulle toute aliénation du domaine de la couronne, quoique faite sans fraude, et en faveur de ceux qui avaient le mieux servi l'État ; à plus forte raison proscrivaient-elles un traité captieux où l'on transporterait à l'étranger des provinces entières, des places fortes, les clefs et la sûreté du royaume. Tous les serments prêtés par le roi, soit à l'archiduc, soit à l'empereur, se trouvaient pareillement annulés par un autre serinent plus auguste, et toujours subsistant, celui qu'il avait prêté à son sacre, de procurer l'avantage de son peuple, de s'opposer de toute sa puissance à ce qui pourrait lui préjudicier. Or, que pouvait-il arriver de plus préjudiciable à l'État, que d'introduire dans son sein, sous le spécieux nom d'allié, un ennemi domestique qui ne manquerait pas d'y semer le trouble, qui chercherait à tout perdre, à tout envahir ? Ce prétendu engagement se bornait à des promesses, et n'était qu'un projet. Il n'y avait eu ni gages touchés, ni consentement des deux époux. Il n'était pas rare de voir rompre de pareils contrats entre particuliers pour des raisons beaucoup moins fortes, et souvent même par pur caprice. L'empereur et l'archiduc avaient assez montré, par la conduite qu'ils avaient tenue depuis avec la France, et par le peu d'attention qu'ils avaient apporté à observer des traités, d'ailleurs si favorables à leur maison, combien peu ils comptaient sur ces arrangements politiques et variables. Le roi, sans manquer aux règles les plus austères de l'honneur, pouvait donc comme homme, et devait comme roi, satisfaire au vœu de la nation, en rompant des nœuds si funestes et si mal assortis. Si les engagements des rois avaient été soumis aux principes du droit commun, il n'aurait pas été difficile de répondre à cette argumentation ; mais qu'ont à faire la morale et la bonne foi avec les traités ? La politique les fait et les défait au gré de ses intérêts et de ses caprices. Ici du moins elle se trouvait d'accord avec l'intérêt et l'honneur de la nation que Louis XII avait honteusement sacrifiés. Le conseil décide unanimement qu'il peut et doit, en toute sûreté de conscience et d'honneur, manquer de foi à l'Autriche. Le 19 mai, le roi vient à l'assemblée des états. Le chancelier prend la parole. Le roi a profondément pensé à la requête qu'ils lui ont présentée. Quoiqu'il ne se défiât point d'eux, il a cru devoir convoquer, pour les consulter, tous les princes de son sang, les barons et principaux conseillers de son royaume et du duché de Bretagne ; ils ont été d'avis du mariage de madame Claude de France, sa fille unique, avec M. le duc de Valois. Puisque leur avis est conforme au désir des états, il ne veut pas différer plus longtemps à leur donner une pleine satisfaction ; il les invite, pour le 21, à la cérémonie des fiançailles. C'est le seul engagement que la jeunesse des deux époux leur permette de contracter — la princesse avait quatre ans, et le prince douze —. Le mariage sera consommé lorsqu'ils seront en âge. Bien qu'il y ait eu des pourparlers pour le mariage de madame Claude avec un autre, il n'a été rien traité, il n'y a eu que des paroles. Audacieux mensonge ! Comme il n'y a rien de plus certain que la mort, ni de plus incertain que son heure, le roi veut que, s'il décède sans enfants mâles, les députés jurent et fassent jurer, par les habitants des villes et cités qui les ont élus, dans la forme qui leur sera donnée, de faire accomplir et consommer le mariage, de tenir le duc de Valois pour vrai roi, prince et souverain seigneur, et de lui obéir ; d'envoyer, avant le 22 juillet, les prestations de serment desdites villes et cités. Du reste, le roi, avec l'aide de Dieu, a l'espoir de vivre assez pour faire consommer le mariage, et voir les enfants de ses enfants. La salle retentit d'applaudissements, de cris de joie, et de vœux pour la conservation du roi. Le docteur Bricot commence à dire : Domine, magnificasti gentem, et multiplicasti lætitia... Vox populi, vox Dei, hœc dies quam fecit Dominus, et quam expectavimus et venimus in eam... et d'autres textes de l'Écriture. L'orateur et les députés se mettent à genoux. Il remercie le roi, exprime leurs vœux pour la conservation des santés de toute la famille royale, et garantit que toutes les villes et cités s'empresseront d'obéir ; car il n'y en a pas une qui n'ait un fouet à trois cordons : le premier, le cœur des sujets qui aiment parfaitement le roi ; le second, la force, ils lui sont tous dévoués corps et biens ; le troisième, les prières et oraisons qu'ils font tous les jours pour lui, disant : Vive, vive, vive le roi ! Après son règne, Dieu lui donne son royaume de paradis ! Le chancelier, ayant pris les ordres du roi, dit en souriant : Messieurs, le roi reconnaît de plus en plus l'amour et l'affection de ses bons sujets pour lui, et vous fait dire que, s'il a été bon roi, il s'efforcera de vous faire de bien en mieux, et de vous le prouver tant en général qu'en particulier. Comme le roi sait que vous, qui êtes ici présents, êtes les principaux du conseil des villes et cités qui vous ont envoyés, et que votre absence pourrait porter préjudice à la chose publique, il vous donne congé de vous en retourner, et est d'avis qu'il ne reste qu'un de vous de chaque ville, pour lui dire ses affaires, si elle en a ; le roi fera prompte expédition. Le chancelier prend un livre des saints Évangiles. Chaque député court à l'envi prêter le serment demandé par le roi, et recevoir une formule écrite de ce même serment pour le faire prêter par la ville dont il est le représentant. Le 21, les fiançailles sont célébrées par le légat. Le chancelier lit certains articles du contrat de mariage. Le roi reçoit par écrit le serment des princes et barons. Viennent ensuite des fêtes, montres, joutes et tournois, auxquels le roi assiste sur un grand coursier avec l'air le plus joyeux du monde. Le roi, ayant fait dresser un procès-verbal de tout ce qui s'est passé dans l'assemblée, envoie des ambassadeurs dans toutes les cours de l'Europe, pour prévenir les reproches dont ses ennemis ne manqueront pas de l'accabler, et pour justifier sa conduite en montrant qu'il n'a pu se dispenser de déférer au désir de ses sujets. Pour les formes observées dans les élections et le nombre des députés, on n'a aucun détail. Le roi écrit à ses gouverneurs que les députés des plus grosses villes et cités de son royaume se sont hâtivement trouvés devant lui. La représentation était donc incomplète. Il parle des princes, seigneurs, grands, notables et prélats en grand nombre, terme vague, souvent employé, et qui n'apprend rien. Dans ces états, ainsi que nous l'avons dit, la forme de délibération est insolite. Les trois états ne délibèrent ni réunis, ni séparés. Les députés des villes, représentant le tiers état, viennent seuls exprimer le vœu national devant le roi, environné du clergé et de la noblesse. Ces deux états sont là comme cortège de la royauté et ornement de la cour. Le roi les admet dans son conseil pour les consulter sur le vœu des villes. Lorsque, d'après l'opinion favorable du conseil, le roi l'a accueilli par une décision solennelle, ils y adhèrent et prêtent le serment exigé. Cette assemblée se distingue de toutes les précédentes par son extrême servilité portée envers le roi jusqu'à l'idolâtrie. Il y a toujours eu un thème obligé de flatterie pour la royauté, mais ici elle passe toutes les bornes. Après la flatterie venaient du moins les plaintes, les doléances, et parfois de sévères vérités. Cette assemblée, dit Garnier, ne ressemble à aucune de celles qu'on avait eues jusqu'alors en France ; car l'orateur était ordinairement chargé de porter au roi les griefs de la nation, d'exposer à ses regards la misère publique, et de le préparer à recevoir favorablement le cahier des doléances. Bricot ne retrace au monarque que ses bienfaits, et lui paye, au nom de la nation, un tribut excessif de louanges. Bien que tous les écrivains s'accordent pour dire qu'il mérita le titre de Père du peuple qui lui fut déféré, son règne fut-il tellement l'âge d'or qu'il ne laissât rien à reprendre, rien à désirer ? son plus grand mérite n'est-il pas d'avoir succédé à Louis XI, grand politique, mais despote absolu et cruel ; à Charles VIII, roi faible et maladif, qui n'eut la force de guérir aucune des plaies qui affligeaient son pays ? On loue Louis XII d'avoir, à son avènement, diminué les tailles d'un tiers. Mais il fit un scandaleux trafic des offices, attaqué depuis Louis IX comme une funeste immoralité. Il régla de sa seule autorité tout ce qui concernait l'impôt et sans le concours des états. Engagé dans la guerre ruineuse d'Italie, ce ne fut pas certes par des économies qu'il augmenta les revenus de l'État jusqu'à 7.650.000 livres (48.000.000 d'aujourd'hui). Pendant un règne de dix-sept ans, il ne convoqua les états qu'une seule fois, par nécessité, comme un instrument de sa politique, pour réparer une grande faute, une faute inexcusable. Louis XII, estimable pour son caractère privé, ne fut rien moins qu'un grand roi. Il a eu des panégyristes : quel roi n'en a pas ? A côté de lui, l'histoire mentionne le cardinal d'Amboise comme un grand ministre. Jouissant du premier crédit auprès de son maître, il fut nécessairement complice de ses fautes. A son ambition de la papauté il sacrifia les vrais intérêts de la France ; il joua le désintéressement pour lui, et combla sa nombreuse famille de biens et d'honneurs. Parmi les ennemis de Louis XII en Italie, le plus irréconciliable était le pape Jules. Jugeant qu'il ne pouvait éviter de prendre les armes contre lui, le roi, au lieu d'imiter Philippe le Bel, et d'en appeler à la nation, convoqua le clergé en concile. Cette assemblée avait un but plus politique qu'ecclésiastique. C'est pourquoi nous en donnerons un récit succinct. Au mois de septembre 1510 elle se réunit dans la ville de Tours ; les plus habiles jurisconsultes y sont appelés. Le chancelier expose les procédés violents de Jules II, les démarches inutiles faites pour l'apaiser. Le roi demande à l'assemblée de lui tracer la conduite qu'il peut tenir en sûreté de conscience, pour préserver ses sujets et ses alliés d'une odieuse tyrannie. Sur huit questions proposées, l'assemblée décide que le roi peut légitimement user de sa puissance pour délivrer ses sujets de toute oppression ; dépouiller, au moins pour un temps, le pape des places fortes dont il ne se sert que pour troubler le repos de ses voisins ; se soustraire à son obéissance, non point absolument et en toutes manières, mais autant qu'il serait nécessaire pour une juste défense ; se conformer, pendant la durée de cette soustraction, à l'ancienne discipline dans tous les cas où l'usage moderne veut qu'on s'adresse au Saint-Siège ; que tout ce que le roi peut pour sa propre défense, il le peut pour celle de ses alliés, s'ils sont injustement opprimés, et si leurs intérêts sont inséparables de ceux de sa couronne ; que les censures que le pape prononcera ou aurait déjà prononcées pour des intérêts purement temporels, et sans observer les formes juridiques, seront nulles et de nul effet. L'assemblée demande au roi la permission de nommer des députés pour notifier ses décisions au pape, le prier de mettre fin à une guerre qui scandalise ses frères, d'assembler un concile général où l'on procéderait à la réformation de l'Église dans son chef et dais ses membres. Elle supplie le roi de vouloir bien, au cas que la réponse du pape ne soit pas favorable, porter l'empereur et les autres princes chrétiens à donner aux cardinaux qui se sont éloignés de la cour de Rome toute la protection dont ils auront besoin pour indiquer un concile général, à l'exemple des conciles de Pise, de Constance, de Bâle. Enfin l'assemblée convient de se réunir à Lyon le 1er mars 1511, pour statuer définitivement sur la réponse du pape. Elle défend provisoirement de s'adresser pour aucune affaire à la cour de Rome, ni d'y faire passer de l'argent. Elle accorde au roi un don de cent mille écus, sur les biens ecclésiastiques. L'ambassadeur de l'empereur Maximilien, qui ne put assister qu'aux dernières séances, adhère aux délibérations, promet qu'il assemblera l'église de Germanie, et qu'il enverra nombre de prélats à l'assemblée de Lyon. Il demande un recueil des maximes fondamentales des libertés de l'église gallicane. Maximilien les remet aux docteurs les plus célèbres de ses États, qui le proclament le libérateur de la patrie. Ils publient une liste des abus les plus criants de la cour de Rome. Le clergé de France s'était montré très-national ; malheureuse-meut il n'est pas soutenu assez énergiquement par le pouvoir temporel. Jules II brave ces velléités d'indépendance et ne pose pas les armes, Dans le cours de la guerre, Louis XII aurait pu écraser la puissance papale ; mais, cédant à ses scrupules, aux caresses, aux intrigues, aux importunités de sa femme, il n'ose pas profiter des occasions ; il finit par subir lâchement la loi insolente du concile de Latran, et promet même de comparaître pour le fait de la pragmatique. La rédaction des coutumes, ordonnée sous Charles VII, réclamée par les états de 1483, se poursuit sous Louis XII. Des magistrats du parlement, commissaires royaux, se rendent dans les provinces pour ce travail. D'après l'ordonnance de Charles VII, il devait être arrêté dans une assemblée des trois états, représentant le peuple régi par chaque coutume. Cette assemblée est composée, pour le clergé, des évêques, abbés, et députés des chapitres ; pour la noblesse, de seigneurs ; le tiers état n'y est représenté que par les principaux officiers des tribunaux royaux. Un code se ferait difficilement dans une assemblée ; on le lui apporte définitivement rédigé ; elle ne le discute pas ; on ne le soumet même pas à sa délibération ; les commissaires royaux lui en font donner lecture ; c'est une publication en vertu de laquelle ils enjoignent ensuite de dorénavant garder et observer comme loi la coutume. Les parlements prétendirent que les coutumes ne pouvaient être mises en vigueur qu'après leur enregistrement. Quelques-unes subirent cette formalité, d'autres furent exécutées sans y avoir été soumises, parce que c'étaient toujours des usages locaux, et non des lois de l'État. Bien que l'assemblée devant laquelle la coutume était publiée ne l'eût pas formellement arrêtée, le pouvoir royal reconnaissait qu'elle n'avait le caractère de loi qu'avec le consentement du peuple. La rédaction des coutumes ne consacra pas servilement des usages réprouvés par les mœurs, elle suivit en quelques points les progrès de la civilisation. D'ailleurs leur rédaction première fut révisée à d'assez courts intervalles pendant le seizième siècle. La rédaction ne fit pas cesser non plus la multiplicité et la bigarrure des coutumes ; mais elle fut un premier pas vers l'uniformité. Pour arriver à l'unité de la loi, grande pensée qu'on attribue à Louis XI, il fallait commencer par en fixer par écrit les éléments divers et fugitifs. La reine meurt ; le mariage de la princesse Claude avec François de Valois, qu'elle était parvenue à retarder, s'accomplit enfin (1514) ; à peine cette union, pour laquelle on avait provoqué le suffrage de la nation, est-elle célébrée, que Louis XII, qui avait élevé François comme son fils, et qui avait paru désolé de la perte de sa femme, épouse en secondes noces Marie, sœur de Henri, roi d'Angleterre. C'est à la vérité le gage de la paix. Louis XII se croit rajeuni, ne doute plus de rien, et se flatte d'avoir des héritiers directs. François de Valois en frémit ; il n'est pas très-inquiet de la présomption du roi ; mais l'élégant Suffolk est auprès de la reine, elle en est éprise. François la surveille de près. Heureusement pour lui, Louis XII tombe malade et meurt, lorsqu'il venait de reprendre ses desseins sur l'Italie, et que son armée était en marche (1515). |