Pendant quatre jours, les princes et le conseil agitent la question financière. Se résigner à l'offre des états, c'est s'obliger à faire des économies et des réductions. Personne n'en veut ni pour soi ni pour ses créatures. On persiste donc à faire changer la résolution des états par séduction, par autorité. Le sire de Beaujeu et quelques autres seigneurs mandent deux députés de chaque généralité, et ne peuvent les convertir. La cour se décide à essayer de nouveau son influence sur l'assemblée. Le 26, en présence des grands du conseil royal, le chancelier prend la parole. Suivant lui, le bien du roi est le bien et le profit du royaume, le bien du royaume est le bien du roi ; le dommage du roi est le dommage du royaume, et le dommage du royaume est le dommage du roi. Après ce bizarre exorde, il établit la nécessité des gens d'armes et des pensions. Qui défendra l'Église, les veuves et les orphelins, si ce n'est pas la main militaire ? Qui repoussera les ennemis ? qui protégera le roi ? qui conservera au dedans et au dehors l'intégrité du royaume ? Les mouvements intérieurs, les discordes intestines, les querelles et les guerres entre les grands qui peuvent survenir sous un roi mineur, obligent à garder une grande armée. Par les mêmes motifs, il faut donner des pensions à beaucoup de personnes, pour conserver au roi l'affection de tout le monde, et ne mécontenter qui que ce soit. On prétend imiter Charles VII ; il gouvernait par lui-même, et par son conseil particulier. Or, le roi est forcé de se servir du secours d'autrui. Si, après avoir supprimé les pensions et les troupes mercenaires ; les états espèrent être maîtres d'une espèce de liberté, ils montrent pour elle un amour irréfléchi qui amènera plutôt l'esclavage, et causera de très-grands malheurs. Une fois qu'on a consenti à subir le joug d'un gouvernement, il n'est pas permis de le secouer, et quiconque est tenté de s'en affranchir doit être plutôt réputé mauvaise tête qu'ami de la liberté. Quant aux impôts, vu la différence de valeur des monnaies, ils n'excèdent pas la somme payée sous Charles VII. On ne doit pas la répartir sur les provinces nouvellement réunies qui, à cette époque, n'en payaient rien, le roi leur réserve d'autres impôts. Loin d'augmenter les charges du royaume, le roi lui apporte du soulagement ; il mérite donc de la reconnaissance. Vous vous pourrez, dit le chancelier en terminant, retirer ensemble, non pas pour délibérer, mais pour remercier le roi des grâces qu'il vous a faites. Ainsi, vous en ferez votre bon plaisir. Tandis qu'il parle, beaucoup de députés d'humeur indépendante frémissent, et toute la salle retentit de sourds murmures, à cause des mauvaises doctrines professées par le chancelier sur la puissance et la liberté du peuple. Le président se lève et dit : Permettez à messeigneurs les députés des états de délibérer là-dessus après midi. Ensuite, avec la grâce de Dieu, ils rendront une prompte réponse. Le chancelier, après avoir conféré un instant avec les seigneurs, répond : Puisque vous voulez délibérer ; faites-le, mais brièvement. Du reste il vaudrait mieux que vous tinssiez conseil maintenant, afin de répondre après midi. Les états n'y consentent pas parce que l'heure est avancée, et qu'ils ne sont pas disposés à tant se presser. Comme on se préparait à sortir, le chancelier communique une requête présentée au roi par les évêques et archevêques de France. Elle renfermait deux parties distinctes. Dans la première ils disaient qu'étant les chefs de l'église gallicane, si l'église était solennellement assemblée, ils devaient de préférence être convoqués. Ce n'était pas en délaissant les prélats qu'on pouvait faire quelque établissement efficace sur le fait de l'Église. D'ailleurs ils avaient toujours été appelés, et assisté aux assemblées des états ; cependant ils n'avaient reçu aucune citation pour cette réunion. C'était pourquoi ils ne reconnaîtraient pas ce qui aurait pu être décidé concernant l'Église sans leur consentement. Dans la seconde partie ils avaient appris, disaient-ils, que dans l'assemblée des états on avait fait certaines demandes, et traité certaines questions où l'autorité et le bon plaisir du Saint-Siège étaient attaqués ; qu'on ne lui conservait pas la révérence et l'obéissance canonique au maintien desquelles ils étaient obligés par serment ; ils demandaient à être entendus, déclarant, que si on passait outre, non-seulement ils n'acquiesceraient pas aux décisions, mais qu'ils parleraient contre, les combattraient et les poursuivraient de toutes leurs forces. Pour le moment, cette requête n'a pas de suite. Les députés s'assemblent l'après-midi et se retirent dans les sections. Là les propositions du chancelier sont traitées avec indignation. Beaucoup de députés se repentent de l'offre qui a été faite, car ils avaient espéré qu'elle serait acceptée comme une très-ample concession. La plupart des hommes graves et clairvoyants s'étaient opposés à ce qu'on l'adoptât, disant que les états agissaient prématurément et avec précipitation, et étaient entraînés par des députés découragés, ou trop paresseux pour débrouiller l'affaire des finances, ou qui brûlaient du désir de retourner chez eux. Les mêmes hommes ajoutaient que probablement les gens du roi auraient eux-mêmes demandé la somme du temps de Charles VII, eux qui ne voulaient pas s'en contenter, parce que les états l'avaient offerte trop vite. On reprend l'examen des états fournis par les gens de finance. On fait une proposition qui réunit beaucoup de suffrages, c'est que chaque province prenne à ferme ses propres impôts ; on se flattait d'en retirer 1,900.000 livres, au lieu de 750.000, à quoi les évaluaient les gens de finance, et de fournir ainsi le moyen d'acquitter les dépenses de l'État sans augmenter les impôts. Il est entendu que l'administration financière appartiendra aux états provinciaux qui rendront compte aux états généraux. Par ce système, on se délivrait des gens de finance qui absorbaient une bonne partie des revenus, on faisait beaucoup d'économies, on réformait bien des abus. Mais cette mesure a contre elle tous les officiers royaux, tous les maltôtiers à qui elle coupe les vivres, le conseil du roi dont elle réduit l'autorité, et dans les états, des partisans zélés de la prérogative royale qui, à la moindre atteinte qu'on semble lui porter, crient qu'on insulte le roi et qu'on renverse la monarchie. Les sections délibèrent ; on fait lecture de leurs conclusions. La nation de Paris faiblit ; elle s'en tient pour le fond à l'offre des états, mais elle consent à payer l'augmentation pour un an de 300.000 livres demandée par les gens du roi, si les autres nations y consentent. Les Bourguignons désertent la cause commune et font bande à part. Non-seulement ils ne veulent pas contribuer à la somme perçue sous Charles VII, mais ils prétendent ne payer que ce que prélevait leur excellent duc Philippe, contemporain de ce roi. Ce schisme afflige les états, et détruit l'union qui faisait leur force. Les sections de Normandie, d'Aquitaine, de la Langue d'oc et de la Langue d'oïl concluent en commun et d'un seul vote qu'elles ne peuvent, sans ruine pour l'État, dépasser la limite adoptée sous Charles VII. On discute le discours du chancelier et on se prépare à le réfuter comme blessant la liberté du peuple, enlevant à la nation la libre disposition de ses biens, et fournissant au prince des moyens de tyrannie. On s'occupe de la requête des prélats. Les sections sont toutes d'accord. Les assemblées des états ne sont pas des conciles provinciaux. Le clergé y est représenté par ceux de ses membres qu'il a élus. Si tous les évêques devaient y être appelés, pourquoi pas les archidiacres et les curés ? pourquoi pas tous les nobles et tout le peuple ? L'usage était contraire à la prétention des évêques. Les trois états convoqués par le pouvoir civil, pour des intérêts temporels, n'ont pas besoin du consentement ni de l'approbation des prélats. Quant au respect dû au Saint-Siège, les états ne s'en sont pas écartés. Ce qu'ils ont réclamé est une constitution ancienne et approuvée ; la pragmatique sanction que les prélats semblent rejeter a été reçue et sanctionnée par les synodes de toute l'église gallicane, où leurs célèbres et dignes prédécesseurs n'ont cessé de la vanter et de la maintenir comme une institution sainte et utile au royaume. Beaucoup de députés disent de ces évêques qu'ils sont tous des créatures du pouvoir royal et séculier ; qu'ils ont été nommés au mépris de la pragmatique sanction, et que c'est pour cela qu'ils la repoussent. On les appelle les évêques du roi Louis XI, on en blâme plusieurs d'aspirer avec trop d'ambition au chapeau de cardinal. L'assemblée des états charge par acclamation Masselin de répondre le lendemain au chancelier. Il s'y refuse, disant que les princes se sont courroucés contre lui à cause de son discours de la veille, lui reprochent de s'être montré acerbe et d'avoir usé de trop d'aigreur. On se retire assez en désordre. Les princes et les gens du conseil ne savent quel parti prendre ; soit qu'ils cèdent, soit qu'ils persistent, ils compromettent l'autorité royale. Ils essayent encore de leur moyen familier, la séduction, la menace. Ils se distribuent les rôles ; chacun d'eux mande chez lui les principaux députés des sections pour les circonvenir. On s'attache surtout à gagner huit ou neuf députés de Normandie, à cause de l'influence de cette nation sur les autres. On leur dit : Pour cette fois au moins obéissez à la volonté royale. Si vous continuez de résister, craignez que le roi, qui déjà garde la mémoire de tout ce qui se passe, ne vous en veuille perpétuellement et à votre province. Mitez-vous de saisir les premiers la faveur que les autres s'efforcent de gagner avant vous au prix de leur obéissance. Ils répondent : On ne doit ni s'étonner ni se formaliser si, ayant reçu le mandat du peuple, nous défendons sa cause principalement pour l'impôt des tailles établi à cause de la guerre, et qui aurait dû cesser avec elle ; impôt qui serait pour lui une cause d'esclavage et de ruine et que notre consentement perpétuerait : il en est de même de plusieurs aides ; gabelles, perceptions du quart sur les boissons qui devaient cesser après le danger, et qui, par l'effet d'une longue corruption s'éternisent. Les produits de ces impositions ne sont point employés à la guerre ; ils enrichissent des particuliers qui les tiennent de la libéralité royale. On sait que, lorsque Louis XI mourut, tous les revenus de la gabelle étaient perçus par des particuliers à qui le roi les avait abandonnés. Alors on a imaginé la taille qui, n'étant pas comme les autres impôts limitée à une somme certaine, est assise et réglée suivant le caprice du prince. Elle s'est accrue au point d'être devenue insupportable, et cela sans apparence de guerre. Les gens du roi veulent immortaliser cet impôt inique. Nous serions coupables devant Dieu et devant le peuple si nous souffrions tous ces abus. Les seigneurs répliquent : Nous le voyons bien, c'est à diminuer excessivement le pouvoir du roi et à lui couper les ongles jusqu'à la chair que vous employez vos efforts. Vous voulez jeter des scrupules de conscience et des difficultés dans l'application d'un principe que pourtant tous les royaumes n'ont cessé de mettre en pratique. Vous défendez aux sujets de payer au prince autant que les besoins de l'État l'exigent, et de participer aux charges publiques, ce qui est contraire au droit des nations, quelles qu'elles soient. Sont-ils donc des maitres et non plus des sujets ? Nous croyons que vous avez la prétention d'écrire le code d'une monarchie imaginaire, et de supprimer nos anciennes lois. Vous vous plaignez, comme on dit communément, d'avoir mal à la tête, quoiqu'elle se porte bien, et vous êtes incapables de supporter un succès, et d'user sagement de la félicité qui vous est offerte, puisque vous vous efforcez de procurer on ne sait quelle liberté au peuple naguère gémissant sous des corvées et des fardeaux énormes, aujourd'hui soulagé de ces maux par la miséricorde infinie du roi et par divers soulagements ; liberté qui le porte à refuser le joug d'une soumission légitime, et à se rendre insolent. Supposons un instant qu'il montre une opposition déraisonnable ; certes nous ne doutons pas que le roi n'ait le droit de prendre les biens de ses sujets, afin de subvenir aux dangers et aux besoins de l'État. Autrement à quoi bon avoir un roi, si on le prive du pouvoir de mettre à la raison les opposants et les mécontents ? Sachez que la somme demandée, celle de 1.500.000 livres, sera imposée et levée même marré votre refus. Nous vous prions et vous conjurons, au nom de cette fidélité, de cet amour que vous et nous devons en commun à la nation, renoncez à vos projets, et marchez dans la voie commune, de peur qu'à votre honte et à votre confusion vous ne vous trouviez seuls de votre avis, ou qu'enfin, en excitant le ressentiment des gens du roi et des princes, vous ne nuisiez à la patrie autant que vous souhaitez la servir. Les Normands avaient commencé à réfuter les doctrines du pouvoir et de la cour, lorsqu'un des seigneurs déjà d'un âge mûr et jouissant d'une réputation respectable — le connétable de Bourbon — s'oublie au point de prononcer cette apostrophe insolente : Moi, je connais les mœurs des vilains. Si on ne les comprime pas en les surchargeant, bientôt ils deviennent insolents ! Si donc vous ôtez entièrement l'impôt des tailles, il est sûr que tout de suite ils se montreront, les uns à l'égard des autres, comme envers leurs seigneurs, gens rebelles et insupportables ; aussi ne doivent-ils pas connaître la liberté ; il ne leur faut que de la dépendance. Pour moi je juge que cette contribution est la plus forte chaîne qui puisse servir à les contenir. Étranges paroles, dit Masselin, indignes de sortir de la bouche d'un homme aussi éminent ! Mais dans son âme, comme dans celle de tous les vieillards, la convoitise s'était accrue avec l'âge, et il paraissait craindre la diminution de sa pension. Les Normands ne croient pas devoir discuter plus longtemps. Ils ne désertent pas le principe, que le roi ne peut imposer la nation sans le consentement des états ; ils déclarent qu'ils sont prêts, quand on le voudra, à soutenir à cet égard une discussion solennelle. Mais ils fléchissent et s'engagent à rapporter à leurs collègues les propositions des princes, et à les engager à y souscrire, reconnaissant la nécessité de se conformer à la circonstance plutôt qu'à la nature des choses et à la vérité. Ils n'ont pas besoin d'un grand effort, ils trouvent les autres députés en majorité convertis par les discours des seigneurs qui les avaient prêchés. Beaucoup sont portés à déférer aux vœux des princes par pure complaisance, pour acquérir de la faveur, avoir une augmentation de pension, ou en vue de quelque autre intérêt particulier. Mais la majorité se montre, dans la lutte, fidèle au peuple ; elle ne se laisse vaincre ni par lâcheté, ni par pusillanimité. Seulement elle cède au malheur des temps, aux prières impérieuses des solliciteurs ; elle est moins agissante et consentante qu'entraînée malgré sa volonté. Les états résistent selon leurs forces et autant qu'il est permis de résister, comme on va le voir par leur délibération définitive. En traçant cette justification, Masselin paraît un peu embarrassé ; elle est loin d'être satisfaisante. Il est chargé de rapporter la délibération, le 28, à l'assemblée générale ; le roi devait y assister ; il n'y vint pas, parce que ce jour-là il y eut beaucoup de gelée, de grêle et de vent. Les princes et seigneurs s'y rendent. Dans un assez long exorde, étranger aux affaires en question, et dont Salomon lui fournit le texte, l'orateur normand, traitant de la royauté, de ses devoirs, de ses vices, de ses vertus, ne laisse pas de donner au roi d'utiles conseils et de sévères leçons... D'après votre ordre, dit-il, nous avons longuement délibéré sur vos affaires et celles du royaume ; maintenant nous avons fait provision de remèdes, nous les avons décrits, et nous avons déclaré tout ce que nous avons découvert d'utile à la nation. Eh bien, il faut que vous ayez assez de sollicitude pour que ces actes de nos délibérations soient exécutés, qu'ils ne restent point à l'écart et sans effet ; car il serait honteux, et nous serions la risée des peuples étrangers, s'ils voyaient une si illustre assemblée, inutilement convoquée, faite comme pour perdre le temps à se donner en spectacle, sans que ses sages opérations trouvassent une fin conforme à ses vœux. Citant ces paroles de Job : Je suis plein de paroles, ce mode d'instruction ne doit pas être suivi par le prince. Je donne le nom de discoureurs aux faux courtisans, flatteurs des princes, détracteurs d'autrui, calomniateurs des innocents, aux gens remplis de convoitise et autres gens vicieux, qui presque toujours entourent la personne d'un roi, et de qui il rejettera les discours s'il est sage. En effet, l'esprit s'enfle d'abord par des paroles d'adulation, et ensuite, il n'est rien dont il ne se croie capable, lorsqu'en louant la puissance des rois, on la nomme égale à celle de Dieu. D'ordinaire les rois s'imaginent être tellement parfaits, qu'ils pensent qu'on ne les saurait louer qu'avec justice. Cette présomption, qu'ils conservent trop obstinément, les précipite dans d'innombrables péchés et des erreurs extrêmes, et l'État en éprouve d'extrêmes dommages. Les hommes dont j'ai parlé assurent qu'un roi peut tout, que jamais il ne parle ni ne se comporte mal ; ils nourrissent de plus en plus ces fausses idées, ils appellent le bien le mal, encourant ainsi la malédiction divine ; et, se rencontre-t-il quelqu'un qui montre le péché, aussitôt ils jurent ou qu'il est ennemi du bonheur des princes, ou qu'il leur manque de respect. L'adulation et la calomnie sont deux vices dont l'un naît fréquemment de l'autre. N'écoutez pas enfin ceux qui conseillent les mariages forcés, qui accusent faussement les ecclésiastiques de crimes ou de mœurs corrompues pour les contraindre à résigner leurs bénéfices, qui inventent des forfaits imaginaires pour s'enrichir de biens confisqués, qui proclament la vénalité de la justice et des offices, qui, après tout, au moyen de paroles fardées ou plutôt de mots entrecoupés, mots voluptueux et tout à fait corrupteurs, prennent possession de l'âme d'un roi, et ne lui permettent pas d'avoir une pensée utile. Ces conseillers, il faut que le prince les chasse de sa cour. Le roi trouve-t-il l'État surchargé d'impôts, il est de sa justice de les supprimer ou de les modérer. Il ne fait ainsi ni grâce, ni courtoisie au peuple. Le peuple, sous un roi, possède en propre des biens dont il est le véritable maitre, et qu'il n'est pas permis de lui enlever, lorsque tout entier il s'y oppose. Il est d'une condition libre et non servile. Ô roi, fais donc le bien de ton peuple comme un père fait celui de son fils, sois le défenseur et le conservateur de tes sujets, et ne les opprime pas. C'est le peuple lui-même qui se montre courtois et généreux en s'empressant de payer de fortes sommes de plein gré et généreusement. On a dit que sous prétexte de soulager le peuple, nous voulions couper de près les ongles au roi et lui compter les morceaux. Telle n'a pas été notre intention. Mais, persuadés que l'intérêt des sujets est l'intérêt du roi, nous pensons qu'en gérant fidèlement les affaires de la nation, qui est pauvre, nous rendions service au roi de même qu'au royaume ; de plus, que nous acquérions un titre à la reconnaissance et non à la haine, et que nous ne devions pas, à cause de cette conduite, être accusés d'avoir été trop durs et d'avoir montré, au nom du peuple, un emportement et une aigreur de langage. En effet le roi, par la bouche de son chancelier, ne s'est pas contenté de nous recommander, mais nous a même commandé de déclarer librement et hardiment les griefs que nous souffrons. On nous a rapporté que quelques-uns se sont offensés de ce qu'ayant fait l'éloge des officiers du roi Charles nous n'avons fait aucune mention de ceux de Louis XI. Nous prions que cela ne fâche personne ; louer Pierre, ce n'est pas accuser Paul. Mais prenez notre éloge de manière à l'appliquer aussi aux serviteurs de Louis, s'ils ont bien servi. Comme nous savions qu'il y avait parmi eux bon nombre d'hommes pervers et accapareurs de domaines confisqués, nous avons pu garder le silence à leur égard. Dans le cas même où ils seraient encore au service du roi, nous voulons et nous requérons qu'ils soient renvoyés, et qu'on les empêche d'approcher de lui, car ils le perdraient par leurs mauvais discours et corrompraient ses mœurs. Après avoir annoncé les sommes que les états accordaient, l'orateur remet au président leur résolution écrite ; car si la cour n'observait guère ce qui était écrit, elle se conformait encore bien moins aux paroles. Le président charge un greffier d'en donner lecture. Il est obligé d'attendre que le tumulte qui avait suivi le discours de Masselin soit apaisé. 1° Les états supplient le roi de faire expédier et accorder les articles contenus dans leur cahier ; 2° Pour subvenir aux affaires du roi et payer les gens d'armes, les états lui octroient par manière de don et octroi, et non autrement, semblable somme que du temps de Charles VII, et ce pour deux ans seulement, et justement répartie sur tous les pays dont les députés ont été appelés à l'assemblée ; 3° Ils accordent la somme de 300.000 livres pour le joyeux avènement du roi et pour les frais de son sacre, couronnement et entrée à Paris ; 4° Ils demandent à avoir des délégués pour assister avec les gens de finance à l'assiette, répartition et perception des sommes votées, et éviter les grandes exactions et inhumanités exercées ci-devant dans les recouvrements ; 5° Que la répartition soit faite avant la séparation des états ; 6° Que le bon plaisir du roi soit de faire tenir les états dans deux ans, et que l'époque et le lieu soient dès ce moment fixés ; les états entendant que dorénavant on n'impose aucune somme sans les appeler, de leur vouloir et consentement, suivant les libertés et privilèges du royaume, et que les innovations, griefs et mauvaises introductions qui ont eu lieu, soient réparés. Cette résolution avait été communiquée au conseil. Bien que les états aient fini par accorder l'essentiel, les 1.500.000 livres qu'il demandait, la forme, les conditions de cet octroi et les discours de l'orateur ne sont pas faits pour plaire à la cour. Mais elle juge plus prudent de paraître satisfaite que de prolonger la lutte ; elle a hâte de se débarrasser des états, bien décidée à se moquer d'eux quand ils seront partis. Le chancelier prend la parole. Ce n'est plus le ton impérieux de son dernier discours. Il vante la fidélité et l'empressement des états pour le service du roi, qui en revanche leur donne sa grâce et son amour. Il avisera à diminuer les dépenses elles largesses pour pouvoir diminuer les contributions. Les états ne doivent pas s'offenser s'il a laissé échapper quelques paroles qui ont paru exagérer le pouvoir du roi et la dépendance du peuple ; car un orateur peut impunément se servir de raisons qui, n'ayant même qu'une apparence de vérité, s'accordent néanmoins avec son but et offrent un double sens à l'esprit ; dans ces choses, il faut considérer la conclusion sans trop avoir égard à l'exorde et aux autres parties du discours. Il agrée les offres d'argent faites par les états, avec l'espoir qu'ils ouvriront une main plus libérale et qu'ils augmenteront les impôts suivant la nature des circonstances. Il consent à ce que les états nomment quelques-uns de leurs membres pour s'entendre avec les gens du roi sur la répartition et pour terminer tous les articles du cahier. Quant au retour des états, il n'en dit pas un mot. L'après-midi, les états s'assemblent pour choisir leurs commissaires. On est embarrassé sur leur nombre. Le chancelier vient leur communiquer le plan arrêté par le conseil. Ce sont trois bureaux entre lesquels on a ainsi divisé les matières, la répartition de l'impôt, le fait de l'Église, celui de la justice. Le premier bureau est composé des seigneurs de Beaujeu, de Dunois, de Torcy, de Comminges, et des évêques de Coutances et d'Alby ; le second, du cardinal de Bourbon et de tous les évêques qui voudront s'y trouver ; le troisième, du chancelier et de six ou huit conseillers à son choix. Les états peuvent envoyer des commissaires, savoir, au premier bureau quatre, le roi ne s'oppose pas à ce qu'ils en nomment un plus grand nombre ; au second six, au troisième six ou douze. Il ne restera plus que les chapitres de la noblesse et du commerce qui, n'étant pas longs, pourront être terminés en un jour. Le fait du peuple, consistant principalement dans les contributions, est déjà en partie expédié, puisque d'une part on le traitait en examinant leur répartition, et que, d'autre part, l'examen de l'article de la justice y apportera la dernière solution. Car cet article comprend implicitement beaucoup de choses qui intéressent le peuple. Le chancelier annonce que, lorsqu'on aura tout fini, le roi viendra en personne remercier les états, assister aux adieux que les députés s'adresseront, en apprenant ainsi au monde qu'il leur a été cher et qu'ils ont su lui complaire infiniment. Les députés se retirent dans leurs sections et nomment des commissaires sans s'astreindre au nombre fixé. Chaque section en nomme trois pour la répartition de l'impôt. Jusque-là on a vu parmi eux un admirable accord de paroles et d'actions. Mais l'argent, ce vil métal, dit Masselin, les désunit entièrement, et les rend presque ennemis les uns des autres, chacun luttant au profit de sa province, et tâchant de lui faire supporter une charge légère et la moindre portion d'impôt. Le débat s'élève entre les généralités, entre les bailliages et les sénéchaussées, des élections aux paroisses, des paroisses aux particuliers. Les députés commissaires se rendent au Plessis-lez-Tours, au conseil présidé par le sire de Beaujeu. Les généraux des finances donnent lecture d'un état de répartition de la somme de 1,500.000 livres. Chaque député s'écrie que sa province est trop chargée, et cherche à rejeter le fardeau sur les autres. C'est un débordement de plaintes, de récriminations, d'apostrophes aux gens de finance : il est impossible de s'entendre et de parvenir à un résultat. Après le compte rendu de cette séance à l'assemblée générale, les députés se retirent dans leurs sections et prennent diverses décisions qui n'ont aucun trait à la répartition de l'impôt. Par exemple, les pays de généralité demandent qu'on ne mette sur eux aucune imposition sans le consentement des états provinciaux, ainsi que cela pratique en Normandie et dans la Langue d'oc. Les intérêts particuliers empêchent qu'on ne prenne de délibération. Le conseil prend le parti de traiter pour la répartition avec les représentants de chaque section, espérant par ce moyen en avoir meilleur marché. La section de Normandie, dans laquelle il y a le plus de divisions et de rivalités, est convoquée devant l'évêque de Coutances, nommé président de l'échiquier, pour traiter de la répartition du contingent assigné à cette province. L'évêque en veut une nouvelle pour favoriser le Cotentin. Les députés de Rouen et du pays de Caux veulent le maintien de l'ancienne. Tous les bailliages viennent à la file exagérer leur misère et leur épuisement. Il y a à ce sujet de nombreux et interminables discours où se trouvent des détails très-curieux sur la statistique de cette époque, notamment dans le plaidoyer de l'orateur de Rouen. Il y avait dans un village dix couples et soixante et dix individus habitant une seule maison, pour éviter la cote de la taille qu'on appliquait à chaque ménage séparé. On ne s'épargne pas les cris, les disputes, les injures. Un député de la noblesse apostrophe personnellement l'évêque de Coutances, l'accuse de partialité pour son diocèse, et le récuse comme étant juge et partie. La séance est levée, on se retire en désordre et pêle-mêle, pour passer dans la salle à manger de l'évêque où un repas splendide est préparé. C'est le seul dont il soit parlé pendant la tenue des états. Il parait que ce moyen de gouvernement n'était pas alors très-usité. Les commissaires pour les articles de l'Église se rendent chez le cardinal de Bourbon, où est réunie une nombreuse compagnie d'archevêques et d'évêques ; ils renouvellent leurs prétentions relativement à l'autorité des états sur les affaires de l'Église, et aux décisions prises pour diminuer la puissance du Saint-Siège, lesquelles introduisent une sorte de monstruosité, non sans couleur de schisme et d'hérésie. C'est la pragmatique sanction qu'ils flétrissent ainsi. Les députés n'ont pas de peine à les réfuter. On parle longtemps de part et d'autre. Un des commissaires ose vanter les prélats du temps passé, auteurs ou conservateurs de la pragmatique sanction, prélats qui, dit-il, firent bien et furent plus saints que ceux qui maintenant s'efforçaient de la détruire, et s'acharnaient contre elle avec une animosité presque implacable. La majesté des cardinaux parait offensée de cette hardiesse. Le procureur général, appelé aux conférences, défend avec chaleur la pragmatique, en requiert l'exécution, et déclare qu'en cas d'opposition, il en appellera au parlement. Elle a ses partisans dans le tiers état, le bas clergé et la petite noblesse, c'est-à-dire à peu près la nation ; elle a pour adversaires les prélats, les princes et les seigneurs, auxquels l'autorité du pape profite plus que les élections. Le cardinal la Balue arrivait en France en qualité de légat. Le bruit se répandait qu'il apportait deux ou trois chapeaux de cardinal pour récompenser ceux des prélats qui auraient montré le plus de dévouement à la cour de Rome. La pragmatique ne fut point formellement rétablie ; mais, encouragés par le vœu des états, les parlements s'opposèrent avec une nouvelle ardeur aux entreprises des papes. Les commissaires pour le chapitre de la justice se rendent chez le chancelier, assisté de huit conseillers du roi, jurisconsultes. Il établit ainsi l'ordre du travail : il lira un article du cahier, et demandera aux conseillers s'il parait bon et utile. Si la majorité est pour sa suppression, il sera rayé ou renvoyé à un plus mûr examen ; si elle le juge admissible, le greffier écrira pour être approuvé. Le chancelier signifie aux députés que, dans la discussion, ils n'aient pas la prétention d'opiner, parce que leur opinion est connue par le texte même des articles ; qu'ils ont épuisé leurs attributions, et qu'il n'est permis à personne de voter deux fois sur le même sujet. Il les prie donc de ne pas interrompre les délibérations ; il les prévient aussi de ne pas s'imaginer que les articles, bien qu'approuvés par lui et ses conseillers, le soient définitivement. L'approbation et le consentement du roi et de son conseil privé seront encore nécessaires. Malgré la répugnance qu'ont les députés pour un semblable procédé, on commence à l'employer ; mais ayant vu plusieurs articles mal à propos condamnés, ils l'attaquent. Si l'on ne nous écoute pas, dit l'un d'eux, si l'on nous défend de parler, pourquoi sommes-nous ici ? A quoi sert notre présence ? Nous ne nous attendions guère à voir les fruits de nos veilles, et les décisions adoptées par une aussi illustre assemblée, rejetés avec une pareille facilité, surtout par une espèce de malentendu, et au moyen d'un procédé indûment suivi. Plusieurs articles n'ont point été approuvés, parce qu'ils n'ont pas été bien compris, et que vous nous empêchez d'en prendre la défense ou de les expliquer. Cette fermeté fait qu'on use de plus de ménagements envers les députés. Non-seulement on leur permet de parler, mais aucun article n'est condamné tout à fait. On le renvoie à un plus mûr examen, ou à la révision dans le conseil privé du roi. Ainsi, ce jour-là on expédie les demandes du peuple et le chapitre de la justice ; il ne reste plus que les chapitres de la noblesse et du commerce. Pendant cette séance, plusieurs députés viennent réclamer une indemnité. Un avocat de Troyes demande, dans l'intérêt du peuple, représenté par les députés du tiers état, que chacun des trois ordres indemnise ses représentants. Messire Philippe de Poitiers, député de la noblesse de Troyes, homme éloquent et emporté, blessé du discours de l'avocat, lui répond avec véhémence et très-longuement ; il cherche à établir que le clergé et la noblesse ont plus utilement défendu les intérêts du peuple que le tiers état ; que, bien que chacun des trois ordres nomme des députés, le peuple est représenté par l'assemblée des états généraux. Il l'affirme en toute conscience ; ce sont les ecclésiastiques et les nobles dont l'aisance et la fortune dépendent entièrement de celles du peuple, qui l'aiment bien plus que les avocats et les gens de justice. Ceux-ci se ressentent les derniers de sa pauvreté, ne partagent pas ses charges, et savent encore, quand il est misérable, continuer de s'enrichir. L'orateur développe très-longuement ce paradoxe, et conclut à ce que la somme, nécessaire pour payer une indemnité aux députés des trois ordres, soit imposée sur la nation entière. Mais comme le clergé et la noblesse ont, par privilège, des exemptions, il en résulte que leur indemnité ne sera payée que par le peuple. Du reste, il ne dissimule pas cette conséquence : Le clergé, dit-il, pourrait amener ses subordonnés à payer ceux qui le représentent ; mais je ne vois pas comment les nobles y seraient contraints. Je ne doute aucunement que, si l'on voulait exécuter la mesure, ils ne la repoussassent vivement et justement ; car, pour défendre l'État, ils ont appris à donner, non de l'argent, mais des coups de lance. Nous espérons toutefois qu'il en arrivera tout autrement ; même, les nobles, mes collègues et moi, nous vous prions, très-redoutables seigneurs, d'avoir égard aux raisons si puissantes que nous invoquons, à l'ordre naturel des choses, à la coutume irrévocable et la mieux approuvée, qui vous instruisent de l'obligation où se trouve le peuple de payer chacun de nous. Ordonnez donc qu'il paye, et ne l'ordonnez qu'à lui. L'avocat veut répliquer. Il avait beau jeu ; dans la
plupart des états généraux, chaque ordre avait payé ses députés. Les
ecclésiastiques et les nobles se disposent à continuer la discussion. Le
chancelier leur impose silence, et répond : Dans le
conseil privé du roi, on a beaucoup parlé de l'indemnité des députés. Le
conseil veut qu'avant votre départ on prenne une décision à ce sujet, et
qu'on indemnise chacun de vous si généreusement, que personne ne dise qu'il a
servi -ans rémunération à ses frais, ou ne se plaigne d'être resté ici. Les ecclésiastiques et les nobles se retirent. Lorsqu'ils sont sortis, le chancelier ajoute : Je souhaiterais que le clergé et la noblesse consentissent à donner et à remettre au peuple, pour Dieu et par charité, les sommes qu'ils recevraient ou du moins' à ne les réclamer que de leur ordre. Cette concession, du reste, ne serait ni perpétuée, ni tirée à conséquence ; elle n'aurait lieu que pour cette assemblée, et pour cette fois ; car aujourd'hui le peuple est si pauvre, qu'une charge, même modique, lui est nuisible, et, quant à eux, ils sont presque tous assez riches pour faire ce sacrifice sans en être lésés. Mais, comme je vois, le peuple sera encore l'âne banal, et sur son dos on mettra cette petite somme ajoutée aux autres qui ont été accordées. Je dis cette petite somme ; réellement elle n'est pas petite, puisque les gens de finance ont évalué l'indemnité au total à 50.000 livres. S'il n'était pas démontré qu'il est impossible de forcer les nobles à défrayer les nobles, peut-être maintenant chacun payerait-il ses députés. Je ne disconviendrai pas que cette charge appartient de droit commun au peuple ; mais, en cette occasion, la commisération et l'équité l'emporteraient sur le droit commun. Le chancelier mentait ou était dans l'ignorance de l'usage suivi dans de précédents états. Un député noble avait poussé l'audace et l'insolence jusqu'à dire que les nobles avaient appris à donner, non de l'argent, mais des coups de lance, et un chancelier de France ne craignait pas d'avouer qu'il était impossible de forcer les nobles à indemniser leurs députés. Voilà où en était le gouvernement ! Plusieurs jours se passent sans qu'on s'occupe d'affaires. La présence des états pèse à la cour ; elle en a assez. Le président lui est acquis, et il est impossible de le déterminer à les convoquer en séance publique. Le 7 mars, après midi, et un peu avant deux heures, le roi quitte les Montils, et se rend à son logis de Saint-Gratien. Bientôt il convoque les députés par des messagers qui vont à leur demeure les assigner à se rendre dans la salle. Vers trois heures, les députés étant assemblés, le roi avec les princes et toute sa suite paraît soudain. Le héraut crie : Silence ! et le chancelier, en ayant obtenu la permission, prend la, parole. Tout son discours est consacré à exalter, dans les termes les plus pompeux et les plus bienveillants, la composition de l'assemblée, la plus célèbre, la plus illustre qu'on eût jamais vue, ses lumières, sa science, son zèle infatigable, son dévouement au roi, au pays, ses innombrables et glorieux travaux, et la prospérité qu'ils procurent à la France ; car le roi a adopté la ferme résolution qu'aucun des arrêtés des états ne soit transgressé, aucun méconnu, à moins que, pour de puissants motifs, et même moyennant l'approbation des états, il n'y ait lieu de lui en substituer un meilleur... Il rie doit pas taire un point important, c'est que, durant toutes les séances, le roi et les seigneurs de son sang ont étendu sur les états une si grande bienveillance, qu'il est impossible à des princes de mieux favoriser leurs sujets ; il sait du reste que l'assemblée leur reporte presque toute la gloire de ses succès, et certes ils ont le droit d'en revendiquer une part non petite. Il recommande donc aux députés, lorsqu'ils seront de retour chez eux, de raconter les louanges du roi, les vertus précoces de ce jeune homme, sage comme un vieillard, qu'il leur a été donné de contempler en face ; la beauté infinie de son corps, l'auguste sérénité de son visage, auxquelles répond son très-noble caractère... Le roi, qui est mal portant, a résolu, par ordonnance des médecins, de monter demain à cheval, et d'aller à Amboise. Il est instruit que les états s'inquiètent beaucoup de sa santé ; que non-seulement ils désirent qu'elle soit bonne, mais encore qu'ils cherchent notoirement à faciliter, autant qu'ils le peuvent, les moyens de l'améliorer ; ils ont raison, car elle intéresse tellement tout le monde, que, quand elle est mauvaise, personne ne se porte bien. La santé du roi constitue l'existence, la vie de tout le monde ; sa maladie peut faire souffrir chacun, et même le royaume entier est plus en danger que lui. De la sûreté du roi dépend la sûreté de la France. Aussi-pense-t-il que, loin d'être contrariés de son départ, les états l'en féliciteront et le favoriseront. Du reste, avant de quitter Tours et de se séparer d'eux, il a souhaité les visiter de nouveau, leur parler et leur dire un adieu doux et gracieux ; il a désiré que la fin comme le commencement de cette session soit embellie par l'octroi de sa royale personne, et resplendisse de sa présence. Bien mieux, il désire certainement sanctionner les actes de l'assemblée, toutes ses délibérations, tontes ses résolutions, et leur donner du poids et de la force... Outre les remercîments sans nombre qu'il a déjà adressés aux états, il leur en adresse aujourd'hui d'autres non moins étendus. Si jamais un des députés réclame le pouvoir royal, grâce surtout à son titre de député, il ne souffrira pas un refus honteux ; bref, il ne partira point le chagrin dans l'âme. Ce discours fini, le chancelier se tournant du côté du roi, lui dit : Sire, ce dont j'ai parlé n'a-t-il pas été dit par votre commandement ? L'avez-vous pour agréable, et, pour me servir du mot ordinaire, l'avouez-vous ? Le roi répond : Je l'avoue. Aussitôt maître Jehan de Rely prononce une harangue. Il y rend avec usure au roi, aux princes, au conseil, les louanges, les compliments, les remercîments, les protestations de toutes sortes. Il insiste : longuement sur la nécessité du prompt sacre et couronnement du roi. Tout cela est bardé, assaisonné, suivant la méthode habituelle de cet orateur, de nombreuses citations d'auteurs anciens, et de l'Écriture sainte. Un seul passage a trait aux affaires et aux travaux des états, auxquels le chancelier a promis la sanction royale. Nous vous prions, sire, dit l'orateur, très-instamment, en toute humilité, révérence et subjection, que ne veuillez permettre, par quelque persuasion, inadvertance ou dissimulation, que soyons frustrés de l'attente et expectation que nous avons sur la vérité, arrêt et fermeté de votre propre parole et autorité ; et que ainsi soit fait comme nous l'aurons dit et rapporté ; et que nous ne soyons pas confondus ci-après, quand le contraire se ferait, laquelle chose serait trop indécente à parole de roi, à parole de prince, ainsi publiquement et solennellement faite et proposée. Après cette harangue, la séance est levée. La session n'est pas considérée comme tellement close, que les états ne puissent plus s'occuper des affaires encore pendantes ; car le chancelier a dit dans son discours : Quoique sa majesté vous quitte en personne, son esprit ne sera pas éloigné de vous. Oui, vous posséderez toujours son cœur, c'est-à-dire son affection et son amour. Il vous laisse les princes et les seigneurs de son sang, que vous avez nommés fort à propos le cœur du roi. Ils seront auprès de vous, et, en finissant les travaux de la session, ils expédieront et termineront les difficultés, s'il en reste par hasard quelques-unes. Qu'il survienne un embarras nouveau à résoudre les questions, et sur lequel l'autorité du roi paraisse devoir être requise, il ne sera pas éloigné d'ici, et, en un seul jour, un courrier pourra aller à sa résidence et revenir. Le 8 mars le roi part pour Amboise. Les assemblées particulières des généralités ou nations se forment, elles ont uniquement à résoudre les difficultés qui naissent dans chacune d'elles sur la perception des deniers. De ces difficultés, il y en a de communes à toutes les provinces : 1° l'ordonnance pour la levée des deniers procédera-t-elle du roi ou des commissaires des états ? 2° à qui sera-t-elle adressée ? aux élus ou au lieutenant du bailli ? 3° quelles personnes et quelles villes seront soumises au payement des tailles, ou en seront exemptes ? 4° l'ordonnance s'étendra-t-elle à deux ans ou seulement à un an ? Beaucoup de députés sont d'avis de supprimer les élus et les receveurs des tailles comme onéreux à la nation, d'autres de les faire nommer par le peuple. On les appelle élus, disent-ils, parce que le peuple les élisait, et que, d'après l'ancienne coutume, ils étaient créés chaque année par ses suffrages. Mais le pouvoir royal a ôté cette liberté. Les Normands proposent du moins d'adjoindre aux élus six personnes honnêtes, deux de chaque ordre. L'évêque de Coutances, grand financier, et dévoué au pouvoir, s'oppose à toute réforme. Suivant lui, multiplier les hommes qui doivent opérer ensemble, c'est créer la confusion. On lui répond : A ce compte, toute assemblée de gens sensés est donc moins bonne et moins recommandable ? Ainsi le parlement est une mauvaise institution, comme composé de cents conseillers ? de même le conseil royal qu'on a fixé à trente-six ? Laissez-en seulement trois ou quatre, vous verrez s'ils décident tous avec une âme plus pure et plus incorruptible. Ce sont principalement les gens de la Langue d'oc et du Limousin qui poursuivent la suppression des élus, pour détruire les abus que commettent les gens de finance. Suivant l'évêque de Coutances, il est impossible d'anéantir tous les abus. Ni roi, ni lois n'y feraient rien, car les mœurs corrompues des hommes s'y opposent absolument. Il faut seulement corriger les abus de manière à n'en laisser subsister, si l'on peut, qu'un très-petit nombre. Le meilleur gouvernement est celui qui fait le moins de mal, comme l'homme le meilleur est le moins méchant. Il est nécessaire de maintenir l'autorité et le privilège du roi, à qui seul il appartient de nommer les officiers publics. Toutes les nations, composant la majeure et la plus saine portion de l'assemblée avaient été d'avis que la durée de l'ordonnance pour les contributions fût bornée à deux ans. Ce point était important puisqu'il obligeait le roi, à l'expiration de ce terme, de convoquer les états comme ils l'avaient demandé. Les gens du roi parviennent à persuader aux provinces qui ont des états provinciaux annuels, tels que la Langue d'oc et la Normandie, que cette mesure serait une atteinte à leurs privilèges, puisque pendant une année les impôts seraient levés hors de leur présence. Elle n'est donc pas adoptée. Ceux des Normands qui l'ont proposée demandent qu'on procède sous leurs yeux aux comptes et à la répartition. Mais ils ne sont pas soutenus. Déjà l'engourdissement a saisi leurs collègues les plus élevés, qui sont rassasiés de promesses et de faveurs. Ils n'ont plus l'activité d'âme qu'ils avaient montrée. Le conseil royal désigne pour chaque généralité des conseillers chargés d'expédier les requêtes et affaires particulières, afin de renvoyer le plus tôt possible les députés dans leurs provinces. La plupart jettent les hauts cris, et jurent qu'ils ne partiront pas avant d'avoir terminé le cahier général, et tant que beaucoup de points resteront encore indécis, surtout ceux qui concernent l'offre des deniers. Le chancelier assemble donc les états ; il leur fait dire qu'une affaire imprévue l'empêche de s'y rendre, et les prie de lui envoyer quelques députés pour qu'il leur expose sa créance et sa charge. Un grand nombre se porte chez lui. C'est une telle cohue qu'ils reviennent sans pouvoir rendre un bon compte des intentions du chancelier. L'assemblée lui envoie une députation pour l'inviter à venir en personne. Il vient et s'explique ainsi sur le cahier : Le roi et le conseil privé se sont occupés avec activité et une attention soutenue des articles les plus importants et les plus difficiles qui leur ont été renvoyés. Le roi entend accepter le chapitre de l'Église, nonobstant l'opposition des prélats. Le chapitre de la noblesse a été entièrement adopté, moins un seul article, par lequel il a été statué que les seigneurs mèneraient sous eux leurs vassaux à la guerre. Les observations faites sur les articles du peuple et de la police, de la justice et des offices, ne diffèrent presque en rien des demandes. Ils ont été admis ou modifiés, sauf la ratification du conseil, quant à quelques détails, mais non changés au fond. On s'occupe de la matière des monnaies qui sera bientôt réglée et mise en ordre. De même, pour les requêtes particulières. MM. de Bourgogne, de Normandie et beaucoup de leurs collègues ont été expédiés. Conséquemment on ne paraît pas avoir besoin d'une plus longue session et de la continuation des états. Comme le pensent le roi et les princes de son sang, elle n'aurait lieu qu'aux dépens du peuple et d'un grand nombre de députés, qui étaient fatigués. Des clameurs s'élèvent aussitôt. Les présidents des sections veulent se retirer dans leurs salles pour délibérer. Des députés s'écrient avec colère qu'on promettait beaucoup, mais qu'on tenait peu, et que l'effet ne répondait pas aux paroles. Nous avions offert, disent-ils, une somme égale à celle qui était levée au temps du roi Charles ; somme que messieurs des finances eux-mêmes n'ont pas fixée au-dessus de 1.200.000 livres, et qui, nous le savons avec certitude, était moindre. Pourtant cette somme, ainsi par nous accordée et acceptée par le roi, est augmentée de beaucoup, au mépris de notre consentement et des actes publics. Quel que soit le rang des hommes qui se permettent cette prévarication, ils sont coupables, et même d'autant plus, qu'en plusieurs endroits ils ont dépassé le double de l'impôt. Ainsi l'Orléanais qui, sous le règne de Charles, supportait 9.000 livres, a été taxé aujourd'hui à plus de 18.000. Un grand nombre d'autres députés se plaignent aussi que, dans leurs provinces et leurs élections, on leur a causé le même préjudice. Un théologien, hardi et fougueux partisan du peuple, dont
on ne donne pas le nom, ajoute : Depuis qu'on a
obtenu notre consentement pour la levée des deniers, il est hors de doute que
nous sommes joués ; il est certain que tout a été méprisé, et les demandes
insérées dans notre cahier, et nos résolutions définitives, et les bornes que
nous avons établies. Parlons des deniers. Sur ce point on s'est conformé à
nos décisions, seulement pour nous dire : Cet impôt ne sera plus dès
aujourd'hui appelé taille, ce sera un libre octroi. Est-ce donc dans les mots
et non plus dans les choses que consistent notre travail et le bien de l'État
? Certes nous aimerions mieux nommer encore cet impôt taille et même maltôte,
ou lui donner une dénomination plus vile, s'il y en a, que le voir
s'accroître démesurément et accabler le peuple. Mais malédiction de Dieu,
exécration des hommes sur ceux dont les actions et les complots ont produit
ces malheurs ! Ils sont les ennemis les plus dangereux de la nation et du
gouvernement. N'ont-ils pas de conscience, de nous prendre ainsi ce qui nous
appartient, malgré nous et contre une convention solennelle, et sans que
l'État coure de dangers, sans nécessité quelconque ? Dites, ravisseurs
publics, détestables ministres d'une puissance tyrannique, est-ce là le moyen
de faire prospérer la nation ? Je leur parle au nom de Dieu, non-seulement
eux tous, coupables et complices, mais tous les amis qui les ont aidés, ou
qui ont consenti avec quelque profit à voter notre argent, sont tenus à
restitution. Le théologien brûlait d'envie de continuer ; mais quoiqu'il ne se fût guère écarté de la vérité, beaucoup de députés le grondent et le contraignent à se taire. Le chancelier répond brièvement : C'est peine perdue à vous de m'interpeller sur ce sujet, parce que je ne suis point celui qui manie les deniers. Si vous vous sentez grevés par l'emploi qu'on en a fait, il faut que vous ayez recours au roi et à son conseil, non pas à moi : remettez-leur vos plaintes avec calme et sans emportement. Comme un très-petit nombre de députés avait été présent aux réponses faites relativement au cahier, et que les autres désiraient les connaître, le président des états demande qu'on fasse lecture des décisions prises sur les articles. Le chancelier y consent. On apprend que le conseil royal s'est adjoint des membres des états, messires de Lombez, abbé de Saint-Denis leur président, de Montmorency, de la Roche, d'Arpajon, etc. Le 12 mars, les états étant assemblés, et l'abbé de Saint-Denis ayant déserté la présidence, ils la défèrent à l'évêque de Lavaur, et le prient de diriger les travaux jusqu'à la fin. Il répond : Je joindrai volontiers mes efforts aux vôtres, pour que nous ne sortions pas de cette salle en désordre, comme après une bataille perdue, et pour que nous arrivions à une honnête conclusion. Mais, je vous prie, soyez silencieux, n'interrompez pas la lecture du cahier, et ne parlez que si quelque amendement paraît nécessaire. Le greffier lit les réponses du conseil royal telles qu'elles lui ont été dictées, elles sont écrites à la hâte et avec des abréviations, lui seul est capable de les déchiffrer. Ces réponses sont vagues est très-brèves ; on commence par rappeler les premiers mots de chaque article du cahier et on y répond par ces diverses formules : Il en sera fait au bon plaisir du roi. — Il y pourvoira quand le cas y écherra. — Accordé. — Permis. — Le roi a bon vouloir de faire. — Le roi y a pourvu, etc. Une foule d'articles et des plus importants restent sans réponse. Chapitre de l'Église. La réponse demeure indécise jusqu'à ce que l'opposition faite à quelques articles — la pragmatique — par les cardinaux et prélats ait été vidée. Chapitre de la noblesse. Faculté donnée aux nobles de racheter dans deux ans les rentes par eux créées pour le service du roi. Le droit de chasse leur est rendu. Défense aux grands veneurs de chasser sur les terres des nobles, à moins que ce ne soit en compagnie du roi, ou qu'il soit assez près du lieu pour que la venaison puisse lui être envoyée. Préférer les seigneurs français aux étrangers pour le commandement des places fortes, les grands états et offices du royaume, et le service de la maison du roi et de sa personne. Quand le cas écherra, le roi y aura bon regard. Chapitre du commun. Neuf articles sur la disette d'or et d'argent provenant de la guerre, de l'avidité des courtisans et surtout de celle de la cour de Rome. Point de réponse. Dix-neuf articles sur les pauvretés et misères du peuple ; les brigandages des gens de guerre ; le poids insupportable des impôts ; le rétablissement du domaine de la couronne ; la réduction des pensions, des offices, des troupes, des dépenses, des impôts, le consentement nécessaire des trois états pour les établir. Le roi a déjà pourvu du mieux qu'il lui a été possible tant par la réunion de son domaine qu'autrement. Pour le reste, il a bon vouloir de le faire, ainsi que le temps et le lieu le requerront. Faculté donnée au commun peuple de racheter dans deux ans les rentes créées pour acquitter les tailles. — Adopté. Chapitre de la justice. Rétablir la nomination aux offices sur la présentation d'une liste de trois candidats par les tribunaux. Accordé dans la confiance que l'on élira de notables et bons personnages, sans faveur, ni subornation, à l'honneur du roi et entretenement de sa justice. Que nul juge ne soit privé de son office que par jugement. Accordé. Suppression des offices extraordinaires. Accordé. Toutefois quand le roi le jugera convenable. Abolition du cumul des offices. Le roi y aura avis, et n'en disposera point saris grande cause. Diverses réformes dans l'administration de la justice, la plupart déjà prescrites par des ordonnances royales. Le roi en ordonne l'exécution. La rédaction par écrit des coutumes ordonnée par Charles VII. Le roi veut que la chose soit mise à exécution le plus convenablement que faire se pourra. Les ordonnances royales étant mal observées, les réunir, lire et publier dans tous les tribunaux une fois l'an. — Accordé. Abolition des confiscations ordonnées sans jugement et des dispositions faites des choses confisquées. — Accordé. Convocation des états généraux de deux ans en deux ans. Le roi est content que les états se tiennent dans deux ans et les mandera. Chapitre de la marchandise. A peu près tout accordé. Chapitre du conseil. Le roi, dans l'assemblée des états, a répondu par la bouche du chancelier en accordant les articles de ce chapitre. Le gouvernement ne se tenait pas pour obligé par ces réponses, elles n'étaient que provisoires ; il fallait qu'elles fussent ensuite rédigées en style législatif, et consacrées par des ordonnances. Le roi les rendait selon son bon plaisir. Le députés ne sont donc pas satisfaits, et ne se font pas illusion sur la valeur des réponses royales. Retirés dans leurs sections, ils décident qu'ils se rendront auprès du chancelier et même au sein du conseil royal afin d'avoir des réponses plus certaines, définitives, revêtues de la forme exécutoire, et qui seront remises finalement avec la rédaction approuvée et officielle du cahier. Ils demanderont qu'une expédition en soit délivrée à chaque généralité, accompagnée d'un mandement aux baillis et autres juges, leur enjoignant de s'y soumettre comme aux ordonnances et aux lois, et d'en assurer de même l'exécution. Ils se plaindront d'avoir été mis dans l'impossibilité de voir et de calculer les cotes particulières des élections, et exprimeront leur crainte que, faute de contrôle, on n'exige beaucoup plus que la somme accordée. Les comptes révèlent en effet une énorme augmentation. Le juge de Forez, qui avait montré activité et capacité, est chargé de rédiger ces articles en forme di requête. On nomme des commissaires de chaque section pour faire ces démarches. On apprend que le conseil royal a taxé les journées des députés seulement jusqu'au 15 mars, et qu'on ne continuera d'allouer un salaire qu'à ceux qui seront délégués pour rester. Les commissaires des sections font approuver leur travail par les états, vont le présenter au chancelier, et lui déclarent que les états ne se retireront pas avant qu'on ait remis à chaque généralité le cahier revêtu d'approbation. Il répond qu'il a communiqué au conseil les réponses au cahier faites à la chancellerie, que le conseil les a approuvées, et a ordonné qu'il soit délivré à chaque généralité qui le désirera un approuve sur son cahier. Quant au grand nombre de points que l'on prétend être restés indécis et non suffisamment résolus, le chancelier ne pense pas comme les commissaires ; ces points sont peu nombreux et forment à peine le quart du cahier. Il va en conférer avec le conseil. Il revient au bout d'une heure et répond aux commissaires : Bien que convaincu que déjà on a satisfait à la majeure partie de leurs demandes, voulant néanmoins acquiescer plus libéralement encore et même complètement à leurs vœux, le conseil a résolu de leur donner le plus tôt possible les solutions qui paraissent nécessaires, et leur en fait la promesse. !Mais ce jour-là et les suivants, le conseil est obligé de traiter des matières tellement importantes, ardues et indispensables, qu'on ne peut pas remettre ces solutions. Pour éviter à l'assemblée des états le désagrément de rester à Tours, silencieuse, ou de se fatiguer inutilement à des travaux futiles, le conseil propose que chaque généralité laisse trois ou quatre membres chargés de terminer les affaires. Leurs collègues pourront quand ils voudront retourner chez eux. Qu'ils ne croient pas qu'on les joue avec de vaines promesses, ainsi que quelques-uns semblent se l'être imaginé à tort. Les princes et les conseillers ont juré et promettent positivement de satisfaire les sages désirs des états, tant que l'occasion favorable s'en présentera. Les commissaires remercient le chancelier et se retirent. Le 14 mars, chaque section s'assemble et nomme trois ou quatre délégués. Des députés opinent pour que les états ne se séparent pas avant qu'on ne leur ait remis les articles du cahier approuvés formellement et accompagnés d'un mandement aux juges de les exécuter. Un bien plus grand nombre sont d'opinion contraire ; les uns parce qu'ils brûlent du désir de s'en aller, les autres parce qu'ils suivent le bon plaisir et l'ordre des princes. Ainsi les réformes votées dans le cahier ne seront point converties en lois. Les députés laissent leurs mandataires ou délégués à Tours, et s'en vont chez eux, priant Dieu que leurs travaux deviennent utiles au salut du peuple. Avant de faire l'historique de ces états, nous avons essayé d'expliquer le mécanisme de l'institution, ses formes, ses conditions, et les opérations préliminaires à la convocation. Celle des états de 1483 et le journal de Masselin ne fournissent à cet égard rien de nouveau. Cependant, sous d'autres rapports, l'institution a éprouvé des modifications notables ; nous en avons signalé une. Les seigneurs ecclésiastiques et laïques ne sont plus convoqués personnellement, directement aux états ; comme les villes, ils nomment des députés pour les représenter. Les villes ne nomment plus les députés du tiers état. Toutes les élections se font par bailliages. Il y a d'autres changements. La distinction entre la Langue d'oc et la Langue d'oïl a disparu. Il est probable que déjà sous Louis XI elle n'existait plus ; sous Charles VIII il n'y a pas de doute. Le Languedoc députe aux états et y forme une des six sections ; sous ce rapport, l'unité de la France est complète. Il n'y a plus de procureurs fondés, les députés élus viennent en personne. Leurs pouvoirs ne paraissent plus limités. Les cahiers des bailliages ne sont que des vœux qui viennent se fondre dans le cahier général. L'assemblée est appelée les trois états, états généraux. Elle se compose du clergé, de la noblesse, du tiers état, nommé aussi troisième étal, état plébéien. C'est dans cet ordre qu'ils sont rangés dans la salle. Le tiers état a la plus basse place. Il y a des préséances dans les deux premiers états en faveur des plus gros prélats et seigneurs. Devant le roi le tiers état ne s'humilie pas plus que le clergé et la noblesse. Tous les députés, quand ils demandent à parler, mettent un genou en terre ; ils se mettent à genoux pour obtenir l'approbation du roi à leur cahier. Cette humiliation insensée, mais du temps, précédemment infligée, au tiers état, est pour cette fois commune aux trois ordres. La noblesse nourrit quelque dédain pour la roture ; Philippe de Poitiers et le connétable de Bourbon se permettent des insolences. Ce sont des faits isolés ; pendant toute la session, le tiers état est respecté et marche de pair avec les deux autres états. Le seigneur de la Roche a osé dire le mot. Suivant lui, le peuple est non-seulement la populace, mais tous les hommes de chaque état, et dans les états généraux sont aussi compris les princes. Auparavant chaque état délibérait séparément ; il est reconnu sans discussion que les députés, quelque état qu'ils appartiennent, n'ont qu'un intérêt commun, l'intérêt général. Ils se divisent en sections territoriales. Dans ces sections, dans l'assemblée générale, ils délibèrent par tète. Tous, ils arrêtent le cahier général contenant les réclamations de chaque état. Sur le pouvoir des états, il y a deux opinions. Suivant les uns, le roi est souverain, il est tout ; s'il est mineur, les princes exercent la souveraineté. Les états ne peuvent que faire des remontrances, présenter des doléances, donner des avis quand on leur en demande. Le roi en fait ce qu'il veut. S'il y défère, c'est de sa part pure faveur et complaisance. Il n'y a que les impôts pour lesquels le consentement des états est nécessaire. Suivant les autres, dont le seigneur de la Roche est l'organe, le peuple est souverain, il créa des rois par son suffrage. La royauté est une dignité, non une hérédité. La souveraineté ne peut appartenir au prince qui n'existe que par le peuple. L'État est la chose du peuple. Les états sont ses représentants. Le roi est-il mineur, c'est à eux que revient la puissance, non pour exercer le gouvernement, mais pour le déléguer pendant la minorité. Le gouvernement doit les consulter, et ne peut rien faire sans leur approbation. Cette opinion n'est certainement pas celle de la cour. Cependant elle procède d'abord comme si elle la professait. Les états sont réellement convoqués, au moins comme partie intégrante du pouvoir législatif, et, suivant le discours du chancelier, pour participer au gouvernement, pour être ses coopérateurs. Il promet qu'on écoutera leurs avis, qu'on les suivra, qu'on approuvera tout ce qu'ils proposeront. Le conseil royal ne prend pas l'initiative, et la leur abandonne ; il ne limite ni ne dirige leurs délibérations, il leur laisse la plus grande latitude. Ils le prennent au mot, et ne connaissent pas de bornes. Leur cahier embrasse tous les besoins de l'État. Il fait du royaume un tableau si déplorable, qu'on pourrait le croire exagéré. Loin de le contester, le gouvernement lui-même ne parle que du pauvre peuple, de ses charges, de ses misères, de son accablement. A la vérité, par respect pour l'autorité royale, les états n'ordonnent pas, ils supplient, ils remontrent, ils requièrent. On fait de beaux, de superbes discours. Les actes n'y répondent guère. Lorsqu'il faut en venir à une conclusion, la cour, d'abord si libérale, si pateline, change de ton. A force d'intrigue, de chicane, de corruption, elle gagne les députés les plus influents, lasse les honnêtes gens, sème la division dans les états, obtient l'objet principal, le vote de l'impôt, fait au cahier des réponses évasives ou illusoires, et renvoie les députés chez eux, se promettant bien, malgré la promesse du roi, de ne pas rappeler les états. En effet, pendant vingt-deux ans, il n'en sera plus question. L'institution est essentiellement vicieuse. Rassemblés après une longue interruption, réunis pour peu de temps à la volonté du roi, pour ne plus revenir qu'après un long intervalle, abandonnés, sans direction du pouvoir, à l'exercice d'une initiative illimitée, les états généraux embrassent avec avidité la réforme de tout l'État. Semblables à un homme affamé auquel on sert un repas splendide, qui se jette dessus, et le dévore, sans s'inquiéter comment il le digérera. Le gouvernement de sa nature méthodique, réservé, est étourdi, effrayé ; non-seulement, il recule devant une masse de réformes qui sont presqu'une révolution, mais il se décide difficilement à frapper les abus les plus criants, il ne fait que des réponses vagues et dilatoires, ou s'il accorde quelques satisfactions partielles, il les laisse tomber en désuétude. La dame de Beaujeu fait sacrer Charles VIII, et gouverne en son nom. Les circonstances la favorisent. Le duc de Bourbon est habituellement malade. Les autres princes, gorgés de places et de faveurs, se divertissent. Sous prétexte d'un complot pour enlever le roi, la dame de Beaujeu l'emmène hors de Paris. En effet, le duc d'Orléans s'agite. La cour avait demandé une imposition de 1.500.000 livres ; les états n'en avaient voté que 1.200.000, et de plus 300.000 une fois payés, pour les frais du sacre du roi. A la fin de l'année, le roi tient un lit de justice au parlement. Le chancelier déclare que les deux sommes votées par les états n'ont pas suffi aux besoins indispensables de l'État ; qu'il est d'autant plus nécessaire de proroger la somme de 300.000 livres, que la paix dont jouit le royaume peut ne pas être de longue durée, et qu'il ne serait pas temps de faire des fonds quand la guerre serait allumée ; que cette somme, répartie sur toutes les provinces, ne chargerait pas trop le peuple, et assurerait la tranquillité publique. L'édit est enregistré sans aucune opposition. D'après le principe unanimement reconnu et consacré par la cour et les états dans leur dernière session, rien n'est plus illégal. C'est sur la trace, pour ainsi dire, encore toute chaude de l'assemblée nationale, qu'on insulte à son pouvoir, et qu'on se joue effrontément de son vote. Les peuples le souffrent ; ils n'ont pas de moyen légal de résistance ou de réclamation. L'émeute ! à quoi leur a-t-elle servi quand ils en ont usé ? Le pouvoir en a profité pour les juguler et river leurs fers. Cependant il leur surgit un défenseur ; c'est un prince, moins soucieux de leur intérêt que de satisfaire son ambition. Le duc d'Orléans, accompagné du comte de Dunois, se présente à la grand'chambre, et fait lire par son chancelier un mémoire qui n'est qu'un acte d'accusation contre la dame de Beaujeu. Il lui reproche surtout l'inexécution de tout ce que le roi a ordonné sur les délibérations des états, et les dépenses qui ont donné lieu à la prorogation du subside ; il somme, requiert et prie la cour d'avoir égard à ce sujet au bien du roi et du royaume, et de faire en sorte que le roi vienne à Paris, et qu'il fasse ordonner des faits par le conseil de la cour et des autres notables serviteurs des rois, ses père et aïeul (1485). Le parlement, ordinairement si âpre à se mêler des affaires d'État, loin de saisir cette occasion, gagné sans doute par la dame de Beaujeu, affecte une extrême réserve. C'est alors que le premier président, La Vacquerie, fait cette réponse tant citée par les historiens : Le bien du royaume consiste dans la paix du roi et de son peuple, qui ne peut exister sans l'union des membres dont les grands princes sont les principaux. Monseigneur d'Orléans doit y avoir bien égard, penser à ce que la maison de France soit par lui maintenue et entretenue sans division, et ne pas ajouter foi aux rapports qui peuvent lui être faits. Quant à la cour, elle est instituée par le roi pour administrer la justice ; elle n'a point l'administration de la guerre et des finances, ni le fait du gouvernement du roi et des grands princes. Messieurs du parlement sont gens clercs et lettrés pour vaquer et entendre au fait de la justice. Lorsqu'il plaira au roi leur commander plus avant, la cour lui obéira ; car elle a l'œil et le regard seulement au roi qui est le chef sous lequel elle est. Ainsi venir faire ces remontrances à la cour, et autres exploits, sans le plaisir et exprès commandement du roi, cela ne se doit pas faire. Bien que cette déclaration fût conforme aux vrais principes de la monarchie telle que le cours du temps l'avait constituée, il n'eût pas été difficile de prouver au parlement qu'il ne les avait pas toujours respectés. Le duc d'Orléans ne le fait pas, mais ne se tient pas pour battu. Il forme une nouvelle ligue avec le duc de Bourbon, connétable sans fonctions, le duc de Bretagne, le comte d'Angoulême, le duc d'Alençon, le comte de Dunois, le prince d'Orange. Assiégé dans Beaugency par les troupes royales, il est forcé à un accommodement. La Bretagne, sans héritier mâle, est l'objet d'ambitions rivales. Par la loi du temps qui frappe les grands vassaux, cette province revient à la couronne. Le duc d'Orléans la convoite en aspirant à la main de la fille alliée du duc. Ses troupes et les troupes royales inondent la Bretagne. Elle a pour défenseur un homme de tète, un patriote, premier ministre, Landais. Mais c'est un homme de rien ; il a comprimé et même maltraité les nobles assez enclins à livrer leur pays. Sa perte est résolue. Son maître est forcé de le livrer à leur engeance, il est pendu. Dès lors la ruine de la Bretagne est décidée. S'échappant de la cour où la dame de Beaujeu l'a mandé, d'Orléans se réfugie dans cette province, et gagne la faveur du duc. Jaloux de son influence, les seigneurs bretons traitent avec Charles VIII qui s'oblige à leur envoyer des troupes. Les princes du parti d'Orléans lèvent l'étendard. Un complot pour enlever le roi est découvert et déjoué. Il défait les orléanistes, marche en Bretagne avec son armée, non pour la secourir, mais pour s'en emparer. La guerre ravage cette province. Les Bretons se défendent, on en fait un crime à leur duc ; il est cité, ainsi que d'Orléans, à comparaître au parlement. Voyant la faute qu'ils ont faite, les seigneurs bretons prient le roi d'arrêter ses troupes, et offrent de faire sortir d'Orléans de leur pays. Leur demande est rejetée avec hauteur, la guerre continue. Les Bretons sont défaits dans une bataille sanglante. Le duc d'Orléans est prisonnier (1488). La dame de Beaujeu le fait enfermer dans le château de Lusignan, et ensuite dans la grosse tour de Bourges. Le Breton se soumet, et s'oblige par un traité à ne pas marier ses filles sans le consentement du roi, à renoncer à toutes ligues et alliances étrangères, et à laisser au roi les places qu'il a conquises. Peu de temps après, le duc meurt. Alors tous les compétiteurs, même d'Orléans, du fond de sa prison, redoublent d'intrigue et se disputent la main de l'héritière. Sur le choix d'un époux les Bretons eux-mêmes se divisent. La malheureuse erre de ville en ville pour conserver sa liberté. Dans le conseil royal, on délibère de s'emparer du pays par les armes. La résolution est ajournée sur les représentations du chancelier de Rochefort, et parce que l'Angleterre, dans l'espoir d'avoir tout ou partie de la proie, a envoyé, 6.000 hommes au secours de la duchesse. On imagine un arbitrage. Le roi et la duchesse choisissent pour arbitres Maximilien d'Autriche et le duc de Bourbon. Par un jugement provisoire ils décident que Français et Anglais commenceront par évacuer le pays. Mais l'arbitre autrichien mange l'huître et laisse les deux écailles aux plaideurs. Par un traité secret, le mariage de la duchesse avec Maximilien est arrêté ; il l'épouse par procureur (1489). Cet époux n'a pas les moyens de prendre possession de sa conquête. Le roi n'a pas retiré ses troupes de la Bretagne, et peut facilement s'en emparer par les armes. On préfère un moyen plus doux, de souffler la duchesse à l'archeduc, et de la faire épouser au roi. Elle avait à se plaindre de lui, elle fait la fière, et oppose son engagement. Pour la convertir, on s'adresse à l'un de ses aspirants qui a beaucoup d'influence sur elle. A l'insu de la dame de Beaujeu, dont le pouvoir a déjà baissé, le roi va frapper à la tour de Bourges, se réconcilie avec le duc d'Orléans, et le met en liberté. Le duc et ses amis décident la duchesse ; elle épouse Charles VIII. Il traite avec les états de Bretagne pour la conservation de leurs lois et privilèges (1491). Si Charles VIII acquiert cette province, il a la faiblesse de rendre à l'Espagne les comtés de Roussillon et de Cerdagne, même avec remise de 300.000 écus, pour sûreté desquels ces provinces avaient été engagées à Louis XI. Charles VIII fait plus. Lorsqu'il a épousé l'héritière de Bretagne, il renvoie à l'archiduc Marguerite sa sœur, avec promesse de rendre les comtés d'Artois et de Bourgogne qu'elle lui avait apportés en dot. Les deux grandes affaires de ce règne sont la réunion de la Bretagne et la guerre d'Italie. Louis XI y voulait de borines alliances, mais point de possession. La ville de Gênes s'étant offerte à lui, les Gênois, dit-il, se donnent à moi, moi je les donne au diable. Charles VIII suit une autre politique ; pour faire valoir ses droits sur le royaume de Naples, il rallume la guerre. Pendant soixante ans la France prodiguera inutilement ses trésors et ses soldats ; l'Italie, épuisée par des luttes sans fruits, perdra ses libertés et son indépendance. L'histoire de cette guerre n'est pas de notre sujet. Charles VIII règne quatorze ans. Les états de 1484 avaient demandé la convocation des états généraux tous les deux ans ; il l'avait promise ; il meurt sans les avoir une seule fois convoqués. |