A la nouvelle de la mort de son père, le dauphin quitte les Pays-Bas. Instruit qu'il existait un parti en faveur de Charles, son frère puîné, il se fait accompagner par le duc de Bourgogne et son fils, avec quatre mille chevaux, se fait sacrer à Reims, et entre à Paris avec une force imposante (1461). Banni volontaire ou forcé, il y revient après une longue absence ; il trouve à la cour, dans le gouvernement, dans les hauts emplois, des hommes qui ont partagé les préventions ou les justes griefs de son père. Ces hommes sont justement suspects à Louis XI, et ne peuvent lui inspirer que de la défiance ; il fait une épuration sur une grande échelle : elle lui est commandée par son intérêt. La politique lui conseille une autre mesure. Une lutte existe depuis plusieurs siècles entre la couronne et des grands vassaux, des seigneurs. Louis XI l'a vue continuer sous son père. Attiré un instant dans leur ligue, il en a apprécié les dangers. C'est une puissance qui gène l'action de la royauté, multiplie l'oppression, retarde l'unité en France et l'affaiblit. Louis XI médite d'abattre cette puissance ; la tâche est rude et difficile ; elle exige habileté, force, constance. Les moyens ne seront pas toujours conformes à la morale, à la justice, ils seront despotiques et cruels : mais s'ils réussissent, les taches disparaîtront devant la grandeur du but. Les nobles foulent la campagne aux pieds de leurs chiens et de leurs chevaux ; ayant à choisir entre leur ravage et celui des bêtes fauves, le roi n'hésite pas, les bêtes fauves lui semblent moins malfaisantes. Sous les peines les plus sévères, il défend aux nobles de chasser sans sa permission. Il rétablit les villes dans leurs libertés, qui leur avaient été enlevées, et leur en accorde de nouvelles. Les nobles affichent dans leurs vêtements un luxe insolent et ruineux ; le costume habituel du roi, c'est un simple habit de bure, court et juste au corps, un méchant petit chapeau retroussé, avec une Notre-Dame de plomb. On le raille, on s'en moque, il laisse dire : la bure est l'habit du peuple. Il affectionne la ville de Tours, les bords de la Loire, il aime à y résider. Est-ce le charme de la contrée qui le séduit ou un simple caprice ? N'est-ce pas plutôt qu'il est au véritable centre de son royaume, une main sur le midi pour le maintenir. l'autre sur le nord, d'où viennent les orages ? Parmi les grands vassaux, les plus puissants sont le duc de Bourgogne et le duc de Bretagne. C'est d'abord à eux que Louis aura affaire. Il amène le premier à lui rendre, pour 400.000 écus, les villes de la Somme, malgré le comte de Charolais, son fils. Il fait filer une armée vers les frontières de Bretagne, et envoie le chancelier de Morvilliers défendre au duc de s'appeler duc par la grâce de Dieu, de battre monnaie et de lever des tailles dans son duché (1462). Le duc promet satisfaction, demande un délai pour assembler ses états, entre en relation avec le Bourguignon, les seigneurs mécontents, et leur expose les griefs qui doivent les engager à se liguer avec lui contre le roi. Un de ces griefs est le mépris qu'il fait de la noblesse en donnant sa confiance à un Fumée, médecin ; un Pierre des Habiletés, marmiton de cuisine ; un Balue, jadis petit clerc. Le fait est vrai. En guerre avec les nobles, Louis XI se sert de roturiers ; ses choix ne sont pas toujours heureux, mais il est conséquent. Les seigneurs répondent avec empressement à la provocation du duc de Bretagne. Une ligue formidable se forme. On y voit trois princes du sang, les ducs de Bourbon, d'Alençon, de Calabre ; les Charolais, d'Armagnac, Dunois, Luxembourg, Saint-Pol, d'Albret, Chabannes, plus de cinq cents gentilshommes, et jusqu'à des darnes. Quoique ce complot soit ourdi avec un grand secret, Louis Al en est instruit. Le duc de Bretagne est un des premiers ressorts de la ligue. Le roi veut commencer par lui. Mais avant de lui faire la guerre, il désire éclairer l'opinion et se la rendre favorable. Il convoque à Tours une assemblée, où il n'y a que des seigneurs (1464) ; il y expose ses griefs contre le duc de Bretagne, se disculpe de projets qu'on lui suppose, et déclare que c'est par les princes et avec les princes qu'il entend gouverner. Ils sont déjà dans la ligue, et cependant ils assurent le roi de leur dévouement. C'est un assaut de ruse et de mauvaise foi. Charles, duc d'Orléans, premier prince du sang, dont le grand âge et la probité inspiraient la plus juste confiance, y veut parler des désordres de l'État. Louis XI reçoit ses remontrances avec colère et mépris. Le vieillard en meurt de douleur deux jours après, laissant un fils de moins de deux ans, qui fut depuis héritier de la couronne. Le duc de Bretagne envoie des ambassadeurs demander au roi un délai de trois mois pour lui donner satisfaction. Ils le trouvent à Poitiers, où il était avec son frère, le duc de Berri. Ils débauchent ce prince pour en faire le chef de la ligue. Bien que gardé de près, il sr saine, gagne la Bretagne, et publie un manifeste. C'est une répétition de la révolte de Louis XI, qui, n'étant que dauphin, se mit à la tête de la praguerie. Le but avoué de la ligue est de contraindre, à force d'armes, le roi à réformer l'État, à soulager les peuples, et à faire raison aux grands du royaume. Ils la décorent du beau nom de ligue du bien publie. Elle ne mérite pas ce nom. Le roi mande au duc de Bourbon de venir le trouver avec cinq cents lances ; il lève le masque, et répond que, si sa majesté veut pourvoir aux désordres dont elle est cause, elle verra bientôt les ligués auprès d'elle avec toute soumission, sinon qu'ils n'approcheront d'elle qu'avec une armée. Pour premier exploit, lui et le comte de Dammartin s'emparent des finances du roi. La ligue est formidable ; elle va marcher de tous les points sur Paris au nombre de soixante mille hommes ; le danger est grand pour le roi ; il le mesure sans en être effrayé. Il répond an manifeste du duc de Bourbon : Si j'avais voulu augmenter leurs pensions, et leur permettre de fouler leurs vassaux comme par le passé, ils n'auraient jamais pensé au bien public. C'est la vérité. Il écrit à ses gouverneurs de provinces, aux magistrats, aux cités, de ne pas recevoir les conjurés. Il flatte, il caresse les villes, il promet à celle de Poitiers d'aller y finir ses jours. En général, elles lui sont fidèles. Des lettres de rémission sont offertes à ceux qui se soumettront dans un délai fixé ; des peines et la confiscation sont prononcées contre les autres. Aucun des ligués ne cède aux menaces du roi, et n'accepte sa grâce. On se met en marche, la guerre commence, une guerre impie. Le comte de Charolais commande l'armée des ligués, comme lieutenant général du duc de Berri. Si Louis XI est vaincu, ne sera-t-il pas détrôné ? Qui prendra la couronne ? Toutes les chances sont pour la maison de Bourgogne. Pour séduire le peuple et se le rendre favorable, le Charolais fait le révolutionnaire, brûle les rôles des tailles, distribue le sel au prix marchand, fait crier partout franchise, bien public. Paris est le point de mire des armées. C'est aux environs, sous ses murs, que se portent tous leurs efforts. Elles se cherchent, s'évitent, se rencontrent enfin à Montlhéry, et s'engagent, pour ainsi dire, sans le vouloir (1465). Les pertes sont à peu près égales ; la victoire reste incertaine, chaque parti se l'attribue, et rédige son bulletin à son avantage. Inventée seulement depuis environ vingt ans, l'imprimerie ne répand pas encore leurs mensonges. Les rois les envoient en forme de lettres à leurs bonnes villes. Ainsi fait Louis XI. Pour lui, salis Paris point de royauté ; réduit à la capitale, on est toujours roi. Elle a résisté aux menaces et aux séductions, elle est restée fidèle, le roi y vient du champ de bataille. Il loue la fidélité des habitants, se montre affable, populaire, réduit le droit sur le vin, et abolit tous les impôts, excepté ceux des cinq grosses fermes. Chaque parti se montre libéral envers le peuple, jusqu'à ce que le vainqueur, n'ayant plus besoin de le ménager, le livre de nouveau aux exactions du lise. Sur les remontrances du clergé, du parlement et de l'université, le roi établit un conseil de dix-huit personnes : six du parlement, six de l'université, six notables bourgeois, par les avis desquels il promet de se gouverner. Le péril passé, il ne gardera rien de tout cela, qu'une haine mortelle contre ceux qui en ont fait la proposition, et particulièrement contre l'évêque qui a porté la parole. C'était Guillaume, frère d'Alain Chartier, homme d'une grande vertu, fort zélé pour le bien public. Le roi manque d'argent, et fait de forts emprunts à ses officiers : c'est une manière de vendre les charges. Il destitue ceux qui refusent de prêter. Comme bloqué dans Paris, il a l'imprudence d'en sortir pour aller en Normandie au-devant des secours qu'il en attend. Les princes profitent de son absence pour réveiller les partis dans la capitale et s'en faire ouvrir les portes. Le clergé, le parlement, l'université et la bourgeoisie y sont assez disposés. Ils envoient cependant des députés au roi ; ils sont très-mal reçus. Malgré les défenses du comte d'Eu, gouverneur de Paris, une assemblée se tient à l'hôtel de ville, et délibère de demander au roi la convocation des états généraux, que les princes puissent entrer dans la ville en petite compagnie, et qu'on leur fournisse des vivres pour de l'argent. Heureusement le peuple prend les armes pour s'opposer à la trahison. Louis XI revient à Paris. Tout rentre dans l'ordre. Les ligués sont toujours autour de la ville. Le roi ne veut pas risquer une bataille, il escarmouche, intrigue et négocie. Les prétentions des princes sont exorbitantes. Louis XI cède, et fait une paix honteuse à Confins, bien décidé, lorsque les ligués auront désarmé, à prendre sa revanche. Le duc de Berri a la Normandie en souveraineté héréditaire avec l'hommage des ducs de Bretagne et d'Alençon ; le comte de Charolais, les villes rachetées de la Somme et d'autres en Picardie ; le duc de Bretagne, Étampes et Montfort ; le duc de Lorraine, Monzon, Sainte-Menehould, Neufchâteau ; le duc de Nemours, le gouvernement de Paris et de l'Ile-de-France. On rend à Chabannes tous ses biens ; on donne à Saint-Pol l'épée de connétable. On prodigue aux ligués l'argent, les charges, les faveurs, les compagnies d'ordonnance. Voilà le bien public pour lequel ils se sont révoltés et ont fait la guerre au roi ! Cependant il y a aussi dans le traité une stipulation d'intérêt général. Pour la réformation de l'État, il sera nommé trente-six personnages notables des trois états, lesquels commenceront à y travailler le mois suivant, et l'achèveront dans quarante jours. Louis XI assure, foi et parole de roi, qu'il aura pour agréable, ferme et stable, tout ce qui sera ordonné par cette assemblée. Amusant chacun d'un vain espoir, le roi retarde tant qu'il peut la réunion des réformateurs, sous le prétexte, tantôt de ses nombreuses alaires, tantôt de la contagion qui désole Paris. Enfin il y mande plusieurs prélats, chevaliers, gens d'église et autres gens de conseil, pour travailler à la réforme (1466). Cette assemblée nomme vingt et un commissaires sous la présidence du comte de Dunois. Elle ne peut rien décider qu'au nombre de treize. Avant de se mettre à la besogne, ils assistent à une messe célébrée dans la sainte chapelle du palais royal par l'archevêque de Reims, un (les commissaires. Ils entrent en fonctions ; ils sont bientôt transférés à Étampes, à cause de la durée de la contagion, et pour être plus à portée du roi qui, cette année, pour sa sûreté ou son agrément, réside alternativement dans le Gâtinais, la Beauce, l'Orléanais et le pays Chartrain. Le comte de Dunois prend les choses au sérieux. Le roi écrit aux ducs de Bretagne, de Bourgogne, d'Alençon et de Nemours, aux archevêques et évêques, sénéchaux, baillis, et aux villes, que chacun ait à informer les commissaires réformateurs des abus existant dans l'administration de la justice, des finances, et parmi les gens de guerre. Les renseignements arrivent de toutes parts. On se met à l'œuvre. On s'occupe aussi des rapports de la France avec la cour de Rome. Dès l'avènement de Louis XI, le pape avait demandé la révocation de la pragmatique sanction, le roi l'avait consentie ou promise, le parlement et l'université s'y étaient opposés. Par la tolérance du roi, la pragmatique est mal observée ; il médite toujours de l'abolir. Un édit est porté au parlement par la Balue. Cette cour souveraine résiste. L'affaire en reste là ; mais elle est l'objet de plaintes très-vives. On parle des sommes prodigieuses que la cour de Rome tire du royaume. Un des réformateurs, Chevredent, prouve que, malgré les ordonnances on a envoyé à Rome, sous le pontificat de Pie II, la somme de 2.220.000 écus. Les réformateurs ont à examiner un autre objet très-important. Malgré la paix de Confions et la réconciliation du comte de Charolais et du roi, il reste encore des différends à régler entre eux. Le comte en saisit les réformateurs. Louis XI n'entend pas les accepter pour juges : il traite directement avec le comte, et lui envoie des ambassadeurs. Comme il était facile de le prévoir, l'assemblée des réformateurs ne produit aucun résultat. Le roi trouve un prétexte pour la rompre. Il n'en est plus question. Le traité de Confions est contraire aux intérêts de l'État et de la royauté, et ne profite qu'aux seigneurs. Louis XI comprend toute l'importance de la ville (le Paris. Il a fait l'épreuve de la fidélité du peuple, et s'attache à conserver son affection. Les guerres et la peste ont décimé la population. Pa r des patentes, il invite les individus de tout rang et condition à y venir demeurer, les affranchissant de poursuites pour dettes et crimes, excepté celui de lèse-majesté divine ou humaine. À sa voix accourent, dit-on, les débiteurs, les voleurs, les criminels. Singulier moyen de repeupler une capitale qui doit donner au royaume l'exemple de l'ordre et des mœurs ! Il y a lieu de croire pourtant qu'il y vint quelques honnêtes gens. Sous Charles VI, la bourgeoisie de Paris s'était organisée militairement pour la défense de la ville et le maintien de l'ordre. Dars un paroxysme de réaction, le gouvernement avait aboli cette organisation et désarmé les habitants. Louis XI la rétablit ; il ordonne que la ville sera divisée en quartiers, ces quartiers en dizaines, dont chacune aura sa bannière et son capitaine, qui fera armer nobles, ecclésiastiques et bourgeois (1467). Lorsque cette organisation est terminée, il passe une revue. Il s'y trouve de soixante et dix à quatre-vingt mille hommes, depuis l'âge de seize ans jusqu'à soixante, dont trente mille armés à blanc, sous soixante et dix-sept enseignes de métiers, sans compter celles du parlement, de la chambre des comptes, des généraux des aides, du châtelet et de l'hôtel de ville. Louis XI agit ainsi pour sa politique du moment, et ne prévoit pas les embarras qu'il prépare au despotisme. Il est le créateur de la garde nationale parisienne. Deux ans après elle compte quatre-vingt-quatre mille hommes. L'épuration de ses officiers, que Louis XI avait faite en arrivant au trône, était une des causes principales qui avaient excité des mécontentements. Bien que contraires aux anciennes lois, à un capitulaire de Charles le Chauve, à une ordonnance de Philippe de Valois, ce procédé arbitraire avait été pratiqué par la plupart des rois. Maintenant qu'il n'est plus nécessaire, et que le roi a donné les emplois à ses créatures, il entre dans la légalité. Il ordonne qu'aucun office ne sera donné s'il n'est vacant par mort, résignation volontaire, ou forfaiture jugée par juge compétent. Par le traité de Contions, Louis XI avait été, à son grand regret, obligé de donner le duché de Normandie en apanage à son frère Charles, Monsieur. L'apanage était alors une espèce de souveraineté. Ce prince, resté entaché de l'esprit de la ligue, était, par sa position entre les ducs de Bretagne et de Bourgogne, ennemis de son frère, plus porté pour eux. Sous prétexte que le roi ne faisait point droit à des réclamations de Monsieur, le duc de Bretagne entre en Normandie avec des troupes et prend plusieurs villes (1466). Charmé de cette occasion, Louis XI marche avec cinquante mille hommes, chasse les Bretons, fait tout rentrer dans le devoir et s'empare de la Normandie. Son frère se réfugie chez le Breton, dans le plus grand dénuement. Maître de cette belle province, le roi veut la réunir pour toujours à la couronne, et la soustraire à l'influence de ses ennemis. Mais Monsieur se plaint ; ses partisans, ses alliés l'appuient. Le duc de Bourgogne menace de la guerre. C'est Charles le Téméraire qui dent de succéder à son père, Philippe le Bon. Louis XI a dissous la ligue des seigneurs ; il a continué de les acheter par des faveurs ; il n'à pas à redouter l'issue de la guerre ; mais il lui importe d'opposer à ses ennemis le vœu de la nation. Assuré d'avance qu'il lui sera favorable, le roi despote n'hésite pas à la consulter. Il convoque les états à Tours au 1er avril 1468. Ils s'assemblent le 6 dans la grande salle de l'archevêché. Il y a trois parquets ; le premier, au haut bout de la salle, comprenant toute sa largeur, élevé de trois marches. Là sont une haute chaise élevée de trois degrés pour le roi ; à la distance de sept à huit pieds, deux chaises à clos, l'une à droite pour le cardinal, évêque d'Angers, l'autre à gauche pour le duc d'Anjou, roi de Jérusalem et de Sicile. Aux côtés de la chaise du roi, et y touchant, sont debout, à gauche, MM. de Nevers et d'Eu, à droite le prince de Navarre, comte de Foix ; devant lui est assis, sur une marche de la chaise du roi, le prince de Piémont, jeune enfant ; derrière le roi de Sicile, assez loin, est assis, sur une petite sellette, le comte de Dunois, grand chambellan, lequel est si goutteux qu'il fallait le porter à force de gens. Sur le même parquet son Lions de bout, un grand nombre de seigneurs, dont dix seulement sont nommés. Le second parquet, au milieu de la salle, près de celui du roi, plus long que large et élevé d'une marche, est pour les seigneurs du sang, le connétable, le chancelier, les prélats. Il y a deux hauts bancs sur lesquels ils sont assis au nombre de vingt-cinq dénommés et les procureurs de plusieurs autres. Devant eux est le greffier, assis sur une selle avec un buffet devant lui. Entre ces deux parquets il y a deux bancs faisant face au roi ; sur celui de droite siègent cinq pairs ecclésiastiques, sur celui de gauche cinq grands officiers de la couronne. Sur le troisième parquet sont, derrière le banc des seigneurs du sang, les comtes, barons, nobles et seigneurs, dont vingt-huit nommés et les procureurs d'un grand nombre. Derrière le banc des connétable, chancelier et prélats, sont les gens du conseil du roi et les ambassadeurs en grand nombre. Enfin, au bout d'en bas de ce parquet, c'est-à-dire à la dernière place, il y a des selles et formes où sont assises plusieurs notables personnes, tant gens d'église, nobles, bourgeois qu'autres, venus, munis de pouvoirs suffisants, faisant et représentant la plus grande et saine partie des bonnes villes et cités du royaume, dénommées au nombre de soixante-quatre. Les sièges, depuis celui du roi jusques et compris les deux bancs placés entre le premier et le second parquet sont recouverts d'ornements, dont la richesse est graduée suivait les rangs des personnages qui les occupent. Le plus grand nombre, notamment les députés des villes, sont assis sur les selles et formes. Il est difficile de bien connaître le nombre des membres de l'assemblée. D'abord pour les seigneurs ecclésiastiques et laïques qui n'ont jamais élu de députés. et qui sont convoqués directement par les rois, il n'y en a que cinquante-trois de présents et nommés. Plusieurs autres, en grand l'omble, on ne dit pas combien, sont représentés par des procureurs. Soixante-quatre villes ont envoyé des députés. Depuis Philippe le Bel et Philippe le Long chaque ville en envoyait deux, trois, jusqu'à quatre. Poitiers en a trois ; ils sont donc environ deux cents. Quant aux costumes, on ne mentionne que ceux d'une douzaine de personnages, il y a lieu de croire cependant que tous les prélats et seigneurs étaient plus ou moins richement vêtus. Il ne paraît pas que les députés des villes fussent habillés uniformément. Dépouillant son vêtement habituel de bure, le roi s'est paré pour cette solennité ; il a une longue robe de damas blanc, broché de fin or de Chypre bien dru, boutonnée devant de boutons d'or et fourrée de martres zibelines, un petit chapeau noir sur sa tête, avec une plume d'or de Chypre. Lorsque chacun est en place, le chancelier des Ursins s'avance vers le roi, s'agenouille, reçoit ses ordres, revient à sa place et prononce une longue harangue. Il fait sentir toute l'importance de l'objet pour lequel l'assemblée est convoquée, la grande preuve que le roi lui donne de sa confiance, fondée sur son amour pour ses sujets, et sur l'estime qu'il a pour les députés ; il vante les grands, nobles et louables gestes des rois de France, leurs générosités, leurs victoires, la loyauté des trois états, les services par eux rendus : la volonté qu'a eue le roi, dès son jeune âge, et qu'il a encore, d'augmenter le royaume et la couronne. Il condamne la pratique des deux premières races qui partageaient le royaume entre les frères ; il représente la modicité des apanages accordés par Louis IX à ses frères et à ses enfants ; les inconvénients de l'excessive puissance de la maison de Bourgogne, qui avait non-seulement livré la France aux Anglais, mais qui l'a depuis deux ans menacée de sa ruine ; le grand danger qu'il y aurait à ce que le duché de Normandie fin séparé de la couronne. Il demande aux états leur avis et conseil, et d'arbitrer le revenu que le roi fournira à son frère, soit en terres, soit en pensions. Le chancelier prend de nouveau les ordres du roi, et annonce que sa majesté remet la séance au lendemain. Ce jour-là est employé à entendre les harangues du clergé et de la noblesse ; il paraît que le tiers état n'en finit pas. Il n'est pas question du roi ; probablement il n'est pas présent. Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, prie les états d'accueillir favorablement ce qui, dans ses paroles, leur paraîtra irréprochable, et de n'attribuer qu'à sa vieillesse et à son ignorance ce qu'ils ne trouveront pas à propos. Il pérore longuement sur des textes de l'Écriture qui se résument tons dans celui-ci : Nous ferons tout ce que tu voudras, et nous t'obéirons, et que ceux qui ne voudront pas t'obéir soient condamnés à mort. C'est la réponse qu'il conseille de faire au roi, auquel est due obéissance non-seulement de cœur et de corps, mais aussi de tous les biens, car tout appartient au prince. En même temps, on le priera humblement d'avoir pitié de son pauvre peuple. Je crois certainement, dit-il, qu'il l'aura. Je l'ai sacré et épousé à la couronne de France, lequel sacre il reçut bien dévotement, et il entendit bien à toutes les paroles que je lui disais. Le chancelier a demandé qu'on donne conseil au roi. Je suis bien faible, dit encore l'orateur, et débilité d'âge, vieillesse, sens et entendement, pour donner conseil en si haute matière ; toutefois, à l'aventure, je me donnerai aucune hardiesse de parler. Alors il entre en matière. Un médecin ne peut donner conseil sans connaître la maladie ; il est donc nécessaire de déclarer celles qui affligent le royaume et opèrent sa destruction, et de le comparer à un corps humain. Il y a trois manières de juger un homme en péril de mort, ou un royaume en danger de destruction : 1° quand les membres se séparent du chef par pièces et morceaux ; 2° quand une créature humaine est eu une chaude fièvre, et dans un état où elle ne se peut tenir ; 3° quand la créature humaine est écrevée de sang, et le jette par divers conduits, sans que personne se mette en peine de l'étancher. Telle est la situation du royaume qui marche à sa destruction, si on n'y apporte remède, ce que le roi seul peut faire, et ce qu'on doit lui conseiller. Cette situation, l'orateur la démontre. 1° Les princes et des seigneurs se sont séparés du roi. Là vient le récit de toutes ces divisions, et notamment de celle qui existe entre le roi et son frère Charles. Ce prince demande le duché de Normandie pour son apanage. C'est là le principal objet pour lequel les états ont été convoqués. Les états ne peuvent conseiller au roi d'abandonner cette province ; ses prédécesseurs l'ont annexée à la couronne ; il doit la garder, mais aussi apanager son frère. Charles V avait donné à chacun des siens 12.000 livres de rente en duché ; or le roi Louis en offre davantage à son frère. Dès lors, tout sujet de division cesse. 2° Quant à la frénésie, rêverie et fièvre continuelle dans laquelle est le peuple, tant gens d'église, nobles, marchands, laboureurs et autres, ils ne savent que dire ou faire, vu les différends et la dissension apparents entre le roi et certains seigneurs, la grande pauvreté, destruction et misère ; car à peine ont-ils du pain à manger, par les excessives tailles qu'on leur impose, par les pilleries et mangeries qu'ils souffrent. Bien qu'ils payent les gens de guerre, suivant l'ordonnance, ils rançonnent les villages ; ils ont oiseaux et chiens, et les officiers royaux, receveurs, sergents font des exactions indues, à la grande charge du peuple, et à leur profit particulier. Pour abréger, ii est ruiné, et qui perd le sien, perd le sens. Le devoir des états est d'avertir le roi, et celui du roi d'y apporter remède. L'orateur représente la surcharge résultant des aides, gabelles et autres impositions, bien que le chancelier n'ait pas abordé ce sujet, et relève ces paroles d'un conseiller : Exigez et taillez hardiment, tout est vôtre, paroles d'un tyran non dignes d'être entendues. 3° Sur le fait de l'évacuation du sang. Quand une créature humaine, par le nez ou autres conduits, se vide de sang, nul doute que c'est signe de mort. Le sang de la chose publique d'un royaume est l'or et l'argent. Quand ils manqueront, comme cela commence fort, la chose publique périra. L'orateur entre dans des détails sur tous les abus existant dans la fabrication et la circulation des monnaies. Et si on lui demande où va l'or qu'on lève tous les ans pour les gens de guerre, il répondra qu'une bien grande partie va à Borne pour avoir des bénéfices vacants. L'orateur invoque contre ce commerce les franchises et libertés de l'église de France, que le roi, à son sacre, a juré de maintenir. Et n'en déplaise à ceux qui disent que le roi ferait mal de désobéir au pape, en cela il n'y aurait point désobéissance, ce serait lui garder son âme et son honneur. Une autre vidange de l'or de France, c'est en draps de soie, en robes gipponées, en cornettes : les pages et valets même de plusieurs gentilshommes se vêtent de draps de soie ; et les femmes, Dieu sait comme elles sont parées de ces draps en robes, cottes simples et variées. C'est aussi en fourrures de diverses pannes, de martres, phaines, létices, et autres pannes précieuses. Au temps passé, les damoiselles et autres femmes avaient en bas de leurs robes des garnitures en beaux chats blancs, à présent il leur faut des létices, etc. Une autre vidange de sang, ce sont les excessifs gages et pensions que, soit pour cause de mariage ou autrement, le roi fait à son plaisir, à ceux de son sang. Le duc de Bourgogne, Philippe, étant venu voir son frère à Paris, et y étant resté un certain temps, le roi lui fit payer 1.000 francs pour sa dépense. le duc le remercia. Aujourd'hui on donne des 20.000, 40.000, 50.000, 60.000, francs et autres grandes sommes non-seulement à des hommes, mais à des femmes qui ne peuvent servir de rien au roi, ni à la chose publique. Et les gens de finance, trésoriers généraux et tous les officiers des aides, ils ont du roi des gages et bienfaits excessifs. Hélas ! c'est tout du sang du peuple. Si le roi a des besoins pour la guerre, il n'a qu'à prendre l'or et l'argent où son père et lui l'ont mis et donné, car c'est à lui, les possesseurs ne l'ont qu'en manière de dépôt ou de garde. Il pourra prendre des colliers, ceintures d'or, de la vaisselle d'or et d'argent ; il y en trouvera assez. Car c'est grande pitié que la convoitise et l'avarice de toutes personnes de quelque état qu'elles soient. En terminant, l'orateur prie que s'il a mal dit, on le lui pardonne en considération de son ignorance et de son âge ; il conclut que les états conseillent au roi de remédier aux maux qu'il a signalés. Sur l'effet de cette harangue, le procès-verbal est muet, et même il ne la mentionne pas. Il n'est pas plus instructif sur l'ordre des travaux et sur les discussions. Tout ce qu'il apprend, c'est qu'après la séance royale d'ouverture, les gens des trois états se rassemblèrent dans leur salle pendant plusieurs jours, jusqu'au 14. avril ; qu'ils débattirent les matières pour lesquelles ils étaient assemblés, c'est-à-dire les propositions faites, au nom du roi, par le chancelier ; qu'ils opinèrent et se résumèrent en une opinion commune, sans dire comment. Les divers points de la proposition royale et les réponses des états sont seulement mentionnés en termes vagues dans le procès-verbal ; mais !es députés en rapportèrent des copies exactes pour les faire connaître à leurs commettants. Les voici tels qu'on les trouve dans un de ces documents : Les grandes amour, affection et confiance dont le roi est pénétré pour les états ; le désir qu'il a de les voir ensemble ; le grand plaisir et la grande consolation que lui procure une assemblée de si notables personnages, qui ont si loyalement servi le roi son père, lui-même et la couronne ; pourquoi il a délibéré de leur communiquer ses grandes affaires et celles de son royaume, pour avoir sur ce leur bon avis et conseil. Les états remercient le roi. Ils ont conclu et délibéré de le servir et de lui obéir envers et contre tous, sans exception, et d'y employer leurs corps, leurs biens, et tout ce qu'ils ont, sans y rien épargner, jusqu'à la mort inclusivement. Le roi a fait exposer les singuliers dons de grâce que Dieu a faits aux très-chrétiens rois et royaume de France, plus qu'à aucun autre roi ou nation ; les grands et notables faits des rois de France et des Français, à l'honneur de Dieu, à l'exaltation, augmentation et défense de la foi, au bien de l'Église, du Saint-Siège apostolique, et de toute la chrétienté ; la loyauté que les Français ont toujours eue envers la couronne. Les états ont bien apprécié ces considérations, les ont reconnues véritables ; remercient le roi de les avoir fait développer ; en conserveront la mémoire ; sont décidés à ne pas faire pis que leurs nobles prédécesseurs, et, à leur exemple, à servir, aider, conforter et secourir k roi et toute la chose publique du royaume, etc. Jusque-là tout se passe, de la part du roi, en cajoleries ; de la part des états, en flatteries. Ensuite viennent les affaires, les grandes affaires pour lesquelles les états sont convoqués : les différends existant entre le roi et le prince Charles, son frère, pour le duché de Normandie et son apanage ; les grands excès et les entreprises du duc de Bretagne contre le roi, en prenant ses places et sujets, en lui faisant la guerre ouverte, en s'emparant de ses finances, etc. ; ses intelligences avec les Anglais pour les faire descendre dans le royaume, et leur remettre les places qu'il tient en Normandie. Les états sont unanimement d'opinion que la Normandie ne peut être séparée (le la couronne ; qu'elle doit lui demeurer unie et annexée, et que cet avis soit notifié au prince Charles, pour dissiper l'erreur dans laquelle ses conseillers l'ont mis. Pour remplacer son apanage, Louis XI lui offre 12.000 livres tournois de rente en terres érigées en duché, et en outre une somme annuelle de 48.000 francs pour l'entretien de son état sur le pied de 60.000 francs par an. Les états sont d'opinion que ces offres sont grandes et raisonnables ; qu'elles dépassent de beaucoup l'apanage constitué par le roi Charles V, et que le prince doit s'en contenter ; que cela ne peut pas tirer à conséquence pour les autres enfants milles qui descendraient de la maison de France, attendu la grande charge qui en résulterait pour la couronne et tout le royaume. Si le prince Charles ne veut pas accepter cette offre, et suscite guerre, question ou débat, les états sont fermement résolus de servir le roi, en tout ce qu'il commandera, contre le prince et tous autres qui voudraient le soutenir. Quant au duc de Bretagne, c'est à tort, indûment et sans raison qu'il occupe et détient les places du roi en Normandie, et lui fait la guerre ; le roi ne peut le souffrir, et doit employer la force pour recouvrer ses places. Cependant si le duc les rend, les états supplient le roi de le recevoir en grâce et d'oublier le passé. Si le duc ne le fait pas, ils offrent de servir le roi corps et biens. Ils lui font la même offre, si le duc a contracté alliance avec les Anglais. Les états accordent et consentent dès maintenant, et une fois pour toutes, à ce que sans attendre aucune assemblée des états, parce qu'ils ne peuvent pas aisément s'assembler, le roi fasse tout ce qu'il jugera nécessaire, promet. tant de vivre et mourir avec lui dans cette querelle. Pour fin et conclusion, les états remercient Dieu de leur avoir donné un roi si sage, si prudent, si vertueux, si notable. Ils remercient le roi de l'amour et de la confiance qu'il leur a montrés, des bonnes, notables, tant douces et gracieuses paroles qu'il lui a plu leur dire de sa bouche, et faire dire par le chancelier et autres notables gens de son conseil. Comme à leur roi, leur souverain, naturel et droiturier seigneur, ils lui offrent savoir : MM. de l'Église, prières et oraisons et tout ce qu'ils pourront faire touchant le service divin. Ensuite les trois états ensemble répètent leur assurance de dévouement à la vie et à la mort. Ici finissent les grandes affaires pour lesquelles le roi a convoqué les états, ses différends avec son frère Charles et le duc de Bretagne, et la réunion de la Normandie. Les états ont adhéré à ses desseins, et pour leur exécution donné carte blanche. Quant à ce que, dans le langage du temps, on appelait la réformation du royaume, le chancelier n'en a pas ouvert la bouche. Mais profitant de ce qu'il dit que le roi demande aux états leur conseil, le vieux archevêque de Reims a franchement abordé la matière et découvert sans ménagement les plaies de l'État, les abus dans le gouvernement et les souffrances du peuple. Malgré le silence gardé dans le procès-verbal sur la harangue, on rie peut pas admettre qu'elle n'ait aucune suite, et qu'elle ne donne pas lieu à quelques discussions. Mais le rusé Louis XI y coupe court en leurrant les états par une mesure illusoire, et en les renvoyant après une cession de sept jours. Il lui plaît, de sa grâce, de leur faire dire que sur toutes choses il désire que justice règne en son royaume, et que c'est son plus grand plaisir, sa plus grande joie. S'il y a eu des abus, c'est non de sa faute, mais par les traverses et entreprises qu'on a faites sur lui et contre lui. Comme il veut que le bon ordre soit établi dans la justice et la police du royaume, il propose aux états d'élire, pour y pourvoir, des gens notables dont les décisions seront observées. Leur travail doit embrasser le fait des gens d'armes, la justice commune de souveraineté, de baillis, sénéchaux et autres juges ; les exactions qui se font sous l'ombre des gens d'armes ; les exploits de justice, la levée des deniers du roi. Les états remercient le roi et nomment dix-sept de leurs membres, dont huit députés des principales villes. C'est une vraie dérision. Il en sera de ces réformateurs comme de ceux qui furent nommés en vertu du traité de Conflans. Quant à la diminution des impôts, le roi voudrait bien procurer ce soulagement à son peuple. Mais chacun pouvait connaître que la charge ne vient point de lui, ni à son occasion. Aussitôt qu'il pourra avoir obéissance, comme il appartient à un roi, il est disposé à mettre toutes choses en bon ordre. Les états le remercient très-humblement de ses bonnes dispositions, et le supplient de les réaliser le plus tôt possible. Ils le prient aussi de commettre quelqu'un pour recevoir les supplications et requêtes particulières que des députés ont à remettre de la part de leurs commettants, et d'y faire droit. Le roi en charge le chancelier et quelques membres de son conseil. Une tenue d'états sans que le roi demande d'argent et sans qu'ils en accordent, ce serait un phénomène, et cela s'est rarement vu. Au mépris de la maxime fondamentale, les rois lèvent des impôts sans le consentement des états ; sont-ils assemblés, la royauté s'humilie et leur tend la main : c'est une manière de légaliser le passé. D'après le procès-verbal des présents états, on ne voit pas qu'il soit demandé ni voté d'impôts. Cependant l'autre document, que nous avons déjà cité, prouve que le roi mit les états à contribution. Il avait eu, dit un de ses commissaires, depuis son joyeux avènement, de grands frais et dépenses ; il avait marié madame Anne de France, sa fille, madame Madeleine, sa sœur, et deux autres sœurs naturelles, sans avoir rien demandé à ses sujets. Il avait conquis à force d'armes le comté de Roussillon ; il avait apaisé avec le roi de Castille certaines grosses entreprises faites contre lui et son royaume. Les terres et seigneuries de Picardie, vendues par feu son père au duc de Bourgogne, il les avait rachetées pour la somme de 400.000 vieux écus ; il avait payé avec 200.000 du sien, un emprunt de 100.000, et 100.000 pris au trésorier des guerres et qu'il fallait restituer pour la solde des gens d'armes. Le roi demande que cette dernière somme soit imposée par forme de taille sur le royaume ; elle est votée par les états, non sans exprimer leurs plaintes sur les charges dont le pays était accablé[1]. En effet Louis XI augmente les tailles de trois millions et lève environ cinq millions par an pendant tout son règne. En se prononçant pour la réunion de la Normandie à la couronne, les états généraux de Tours font un acte éminemment utile et national. Pour tout le reste, ils se montrent indignes de leur mission et les lâches complaisants du pouvoir. Comme les états de 1425, sous Charles VII, ils se rendent coupables de trahison envers la nation, en disant au roi que, sans les convoquer, il peut faire tout ce qu'il voudra, déclarant l'approuver d'avance. Il ne faut pas s'en étonner ; c'est un fait avoué par les historiens, notamment celui de Louis XI — Duclos —, que, par des ordres formels, il dirigea les élections dans les provinces, fit nommer des députés à sa dévotion, et qu'il corrompit les plus influents par ses libéralités. Duclos le loue de cette attention, et d'avoir été parmi les rois celui qui, par cet honnête procédé, sut tirer le meilleur parti des états généraux. Le roi envoie une armée en Bretagne pour exécuter la décision des états de Tours. Son frère et le Breton s'y soumettent. Le duc de Bourgogne marche à leur secours, il est trop tard ; le roi peut le combattre avec avantage, il préfère acheter une trêve et avoir une entrevue avec le duc ; son premier ministre, le cardinal la Balue, l'a conseillée. A cet excès d'imprudence on ne reconnaît plus Louis XI si ombrageux. Il donne tête baissée dans le piège, et, accompagné seulement de quelques seigneurs, se rend à Péronne. Le duc le fait prisonnier ; sa déloyauté a un prétexte : les Liégeois, que Louis XI avait poussés à reprendre les armes, se révoltent. La véritable raison, c'est qu'un ennemi, quoiqu'il vienne se livrer, est de bonne prise. Le cardinal la Balue est même accusé d'avoir concerté cette trahison avec le duc. Pour se tirer de ce mauvais pas, le roi est obligé de recevoir la loi de son ennemi. Il accorde à Charles, son frère, les comtés de Champagne et de Brie, s'engage à marcher contre les Liégeois, concourt ou assiste à leur extermination, et, chargé de cette honte, obtient sa liberté (1468). Libre, il se joue du traité de Péronne comme il s'est joué du traité de Contins, garde les provinces voisines du Bourguignon, qu'on lui a arrachées en faveur de son frère, et lui fait sans peine accepter la Guienne avec la ville de la Rochelle (1469). Les alliés de ce prince se soumettent ; le comte d'Armagnac sort du royaume. Le cardinal la Balue est renfermé à la Bastille pour avoir voulu empêcher cet échange et pour une foule de méfaits. S'il n'eût pas été cardinal, Louis XI l'aurait fait pendre, et aurait augmenté la liste des surintendants des finances qui avaient fini leur vie au gibet. Dans les arrangements du roi avec son frère, il n'y a nulle bonne foi. Chacun garde ses desseins, ses haines, ses rancunes, et se tient sur ses gardes. Louis XI institue l'ordre de Saint-Michel. Son intention est, dit-on, d'avoir sous sa main les grands du royaume lorsqu'il les réunira en chapitre. Un ruban est toujours une monnaie avec laquelle le pouvoir achète au meilleur marché quelques vanités ; un collier est un signe d'esclavage. Le roi est trompé dans ses calculs ; les ducs de Bretagne et de Bourgogne refusent son ordre. Le dernier fait plus, il reçoit de l'Angleterre celui de la Jarretière et le porte toute sa vie. Le Bourguignon est tout Anglais et s'en fait gloire. Pour un cœur ulcéré de l'outrage de Péronne, l'injure était sanglante. Le roi ne respire que vengeance. Une complication d'intrigues l'y pousse. Les compagnies d'ordonnance filent en Picardie. Des émissaires vont en Bourgogne et en Flandre tenter la fidélité des peuples. Mais le traité de Péronne est là. Bien que dicté par la violence, il a été enregistré dans les cours souveraines est garanti par les grands du royaume. Décidé à une rupture, le roi ne la prend pas sur lui seul ; il y met de la solennité, et convoque une assemblée à Tours. Suivant des écrivains, elle est si nombreuse qu'ils n'hésitent pas à lui donner le nom d'états généraux. C'est une erreur ; ce n'était qu'une assemblée de notables. Une déclaration du roi, datée d'Amboise, 3 décembre 1470, contient les noms des membres présents ; ils ne sont que soixante-sept, dont la moitié magistrats, tous choisis par le roi, et à ses ordres. On y expose les griefs du roi contre le duc de Bourgogne avant et après le traité de Péronne ; la .prison du roi, contre la foi des serments ; les conditions odieuses stipulées pour sa délivrance ; les droits de la couronne ouvertement violés ; les marchands français dépouillés contre la foi publique ; les officiers de la justice traînés en prison ; des hostilités commises sur les côtes de Normandie sans déclaration de guerre ; l'ordre de la Jarretière reçu par le duc du plus redoutable ennemi de la nation. L'assemblée déclare que Louis XI est dégagé de tous ses serments, que Charles est convaincu de lèse-majesté, et décide qu'il sera ajourné à comparaître en personne devant le parlement de Paris. Un huissier va à Gand lui signifier l'ajournement. Ainsi que Louis XI s'y était attendu, le duc indigné fait arrêté l'huissier. La guerre est déclarée. Une autre assemblée est tenue cette année ; c'est un grand conseil, composé de députés des principales villes et de deux des plus habiles négociants, pour la restauration du commerce et l'établissement de foires. Des avantages sont accordés aux marchands étrangers. La guerre n'est pas très-animée et n'a rien de remarquable. Le duc de Bourgogne fait des avances pour la paix. Inquiété par des intrigues intérieures, le roi accorde une trêve d'un an (1471). Elle est à peine conclue, que Monsieur, le Breton, le Bourguignon et le connétable forment une nouvelle ligue. Monsieur rétablit le comte d'Armagnac dans ses terres saisies par le roi ; ils lèvent des troupes en Guienne. La ligue est plus formidable que celle du bien public. On lui prête le projet de détrôner le roi, et de se partager le royaume. Un accident vient délivrer Louis XI de ce nouveau danger. Monsieur et la dame de Montsoreau, sa maîtresse, sont empoisonnés en mangeant une pêche. Elle en meurt ; le prince ne lui survit que quelques mois (1472). Un bénédictin, confesseur de Monsieur, accusé d'avoir donné le poison, est arrêté ; on instruit son procès à Bordeaux. Le roi se fait, dit-on, apporter les pièces, les jette au feu, et achète le silence des juges. L'accusé est transféré en Bretagne, et traduit devant de nouveaux juges. Pendant l'instruction, il est tourmenté par des diables qui portent le trouble et l'effroi dans la prison. Un matin, en ouvrant son cachot, on le trouve sans vie, portant des signes évidents qu'il est mort possédé, ou plutôt étranglé. L'empoisonnement, la fin tragique de l'accusé, tout est mis sur le compte du roi. Saisi de rage, le duc de Bourgogne porte en Picardie le fer et la flamme pour venger Monsieur ; il vient assiéger Beauvais. Les habitants, les femmes se défendent avec héroïsme. Le Bourguignon lève, le siège, va ravager la Normandie, et se retire à Abbeville. Le grand art du roi est de diviser ses ennemis ; il conclut une trêve avec le Breton ; le Bourguignon l'accepte aussi, parce que son allié l'abandonne. Il en a un autre, le duc d'Alençon ; le roi le fait arrêter, juger et condamner à mort, et convertit sa peine en prison, où il meurt (1473). Le comte d'Armagnac est assiégé à Lectoure par l'armée royale, et capitule. Au mépris de la capitulation, il est tué dans sa maison ; sa femme enceinte est forcée de prendre un breuvage qui la fait avorter. Tout est égorgé et incendié à Lectoure. Charles, frère du comte, est amené à Paris et renfermé à la Bastille, où il meurt. Le roi vient en personne consommer la soumission du midi par les supplices et les proscriptions ; fait ensuite une guerre acharnée au roi d'Aragon, qui achète la paix en donnant le Roussillon pour gage de sommes à lui avancées. Louis n'a plus dans le royaume d'ennemis à combattre, mais il est très-occupé à déjouer, par les intrigues, les négociations, les alliances et des armements, les projets ambitieux de Charles le Téméraire, aspirant à rétablir à son profit, sous le nom de Gaule belgique, l'ancien royaume de Lorraine (1474). N'ayant pas réussi, Charles forme une nouvelle ligue contre Louis. La trêve expire, et n'est pas renouvelée. Le roi d'Angleterre débarque à Calais. Charles vient l'y trouver. Le connétable s'engage à rendre Saint-Quentin aux Anglais. Louis XI entre en campagne, cherche à dissoudre la coalition, et y réussit. Il conclut avec le roi d'Angleterre une trêve marchande de neuf ans, dans laquelle sont compris, s'ils le veulent, les ducs de Bretagne et de Bourgogne. Les conditions sont 73.000 écus d'or comptant pour l'Anglais, le mariage de sa fille avec le dauphin, pour l'entretien de laquelle Louis XI donnera le revenu de la Guienne pendant neuf ans, ou 50.000 écus par an. Le traité est signé par les deux rois dans une entrevue à Pecquigny (1475). Les Anglais repassent la mer. Après quelques difficultés, le Bourguignon accepte la trêve. Le connétable délaissé perd la tête, sort de Saint-Quentin, et se réfugie à Mons chez son allié. Le roi le réclame ; il est livré, condamné à mort par le parlement, et exécuté. Louis XI se défait successivement de ses ennemis. Le plus formidable reste encore, c'est le duc de Bourgogne. Tandis qu'il trouble et tourmente la France, il fait des conquêtes en Allemagne ; il dispose de la Savoie ; son influence s'étend en Italie ; il attend du roi René la Provence. Sous un prétexte frivole, il attaque les Suisses, et vient se briser contre des paysans montagnards dans les journées de Granson et de Morat (1476). Dans son malheur, il lutte encore quelque temps ; mais la fortune l'abandonne. Il est défait, et tué au siège de Nancy, ne laissant qu'une fille (1477). C'est une grande victoire pour la royauté, pour Louis XI ; il en profite pour anéantir la puissance de la maison de Bourgogne, et s'emparer de toutes ses possessions en Flandre qui relèvent de la couronne, ainsi que des duché et comté de Bourgogne. Louis XI ne fait pas sans obstacles la conquête des grandes possessions de la maison de Bourgogne. Son bras de fer, son régime de sang soulèvent les populations. Le prince d'Orange, des seigneurs du pays prennent les armes. La guerre se rallume en Flandre. L'empereur enlève à Louis XI la princesse Marie qu'il destinait au dauphin, et la marie à son fils Maximilien. Ce mariage crée en Europe la puissance de la maison d'Autriche. Sans trop en apprécier les suites, ni bien comprendre la nouvelle situation où se trouvait la France, Louis XI en a un certain pressentiment. Suivant la trempe de son caractère, il gagne du temps par les négociations, des armistices, des trêves. Finissant par où il eût dû commencer, il donne le gouvernement de Bourgogne au sire d'Amboise, homme habile et conciliant (1478). Le pape Sixte IV se déclare pour Maximilien. Une occasion se présente à Louis XI de donner une leçon au pape. Florence est agitée par deux de ces factions communes dans les villes d'Italie, celle des Pazzi et des Médicis. Les Pazzi attaquent ; ils sont vaincus, poursuivis, égorgés. Le pape fait la guerre aux Florentins à coups de fusil et de bulle. Louis XI prend leur défense, leur envoie quelques secours, et menace le pape d'assembler un concile et de continuer la pragmatique. Il convoque à Orléans une assemblée. Elle est composée des prélats, grands, notables et universités du royaume. Il y est résolu de se tenir aux décrets des conciles de Constance et de Bâle ; que les conciles généraux doivent are tenus de dix ans en dix ans ; qu'il ne sera pas porté d'argent à Rome pour la provision des bénéfices ; qu'il est appelé du pape mal conseillé au pape bien conseillé, et au futur concile ; que les fruits des bénéfices des prélats seront saisis et. mis en la main du roi, pour ne s'être pas retirés de la cour de Rome, et n'avoir pas résidé sur leurs bénéfices. Le roi envoie une célèbre ambassade au pape pour lui demander de lever l'excommunication par lui fulminée contre les Florentins, et la punition sévère (le tous les complices de la conspiration. Louis XI vieillit, est malade, triste, en proie à toutes sortes d'inquiétudes ; il se défie de son armée, en fait une grande réforme, casse les francs archers et des capitaines des compagnies d'ordonnance, augmente sa garde, appelle six mille Suisses, et jette les fondements de la ligue avec eux. Les négociations n'ont point amené la paix ; les trêves sont expirées. On reprend les armes. Maximilien assiège Térouanne. Une bataille est livrée sous ses murs. Les deux parties s'attribuent la victoire. Maximilien lève le siège. La guerre dure encore un an, et se termine par une trêve (1480). Louis s'était peu à peu défait de ses ennemis intérieurs. De la puissante famille d'Armagnac, il ne reste que Jacques, duc de Nemours. Il avait figuré dans toutes les ligues des seigneurs. Louis XI lui en veut mortellement ; il est enfermé depuis deux ans dans une cage de fer à la Bastille. Le parlement reçoit l'ordre de lui faire sou procès ; des conseillers hésitent, ils sont destitués. Le chancelier, Pierre Doriole, va présider la cour ; elle condamne le duc à mort ; il est tout de suite exécuté. Par un raffinement de cruauté, le roi veut que ses deux fils, encore enfants, soient sous l'échafaud, afin que le sang de leur père coule sur leurs tètes. La Balue est plus heureux ; Louis XI a quelque scrupule de verser le sang d'un cardinal, et lui rend la liberté sur la sollicitation du pape, à condition qu'il quittera le royaume ; il se retire à Rome. Atteint de maladie à Tours, le roi laisse la lieutenance générale du royaume à Pierre de Bourbon, seigneur de Beaujeu, son gendre, et va en pèlerinage à Saint-Claude (1481) ; il mène avec lui le premier prince du sang, Louis, duc d'Orléans, dont il n'a pas permis qu'on soignât l'éducation, et qu'il avait forcé d'épouser sa deuxième fille, Jeanne, laide et contrefaite. La reine est depuis plusieurs années reléguée en Savoie. Le dauphin est comme prisonnier à Amboise, et livré à la valetaille. Le pèlerinage de Saint-Claude n'empêche pas Louis XI, à son retour, d'éprouver une troisième rechute. On le porte à l'église qu'il a fait bâtir à Cléry pour sa bonne Notre-Dame. Au déclin de ses jours, la fortune lui sourit encore. Charles d'Anjou, comte du Maine, qui avait hérité de la Provence, à la mort du roi René, meurt à Marseille, instituant par testament le roi Louis, pour lui et ses successeurs, héritier universel de toutes ses terres. La Provence est réunie à la couronne. Marie de Bourgogne meurt à Gand, laissant un fils, Philippe, et une fille, Marguerite. Fatigués de la guerre, les Flamands se soulèvent. Pour faire une paix durable, on imagine de partager l'héritage de Bourgogne, de marier Marguerite avec le dauphin, auquel elle apportera en dot l'Artois, la Bourgogne, le Mâconnais, l'Auxerrois, provinces de la langue française ; de laisser à Maximilien, pour son fils Philippe, le Brabant, le Hainaut, Namur, Luxembourg, la Gueldre, la Zélande, la Hollande. Cet arrangement, dû à l'habile politique de Louis XI, est consacré par le traité d'Arras qui en règle les conditions et les conséquences. Sentant sa fin s'approcher, Louis XI envoie, dit-on, chercher son fils, lui fait de belles remontrances, l'exhorte à se gouverner par le conseil des princes du sang, des seigneurs et autres personnes notables, à ne pas changer les officiers, à soulager ses sujets, à réduire les impôts, à ne point en lever sans l'octroi des peuples, suivant l'ordre ancien du royaume. On dirait que tous les historiens se sont donné le mot pour faire ainsi parler les rois à leur dernier moment. Sous leur plume, les tyrans se convertissent, se repentent, et sont les meilleures gens du monde. Le dauphin, un enfant de treize ans, élevé par des valets, que pouvait-il comprendre à ce langage ? Quelle apparence que Louis XI l'ait tenu, lui qui avait lutté pendant tout son règne contre la puissance des princes, des grands, et leur ambition factieuse ; qui avait appelé dans ses conseils, et admis dans sa confiance et son intimité, des hommes du plus bas étage ; qui avait levé des impôts de son autorité souveraine, et à qui il ne put jamais entrer dans la pensée qu'il dût la partager avec son peuple ? Louis XI meurt le 29 août 1483. |