Lorsqu'il apprend la mort de son père, le dauphin est à Espaly, près du Puy, en Auvergne, et prend le deuil. Le lendemain le fils fait place au roi. Il s'habille d'écarlate, va à la messe, fait arborer la bannière de France. Tous les seigneurs présents, avec les pennons de leurs armes, crient. Vive le roi ! Il se rend à Poitiers, sa capitale, sa ville fidèle, et se fait couronner sous le nom de Charles VII. Dans quel déplorable état il trouve la France ! L'Anglais et le Bourguignon occupent la Normandie et toutes les provinces depuis l'Escaut jusqu'à la Loire et à la Saône, excepté quelques places qui tiennent pour Charles VII. Il ne lui reste que les provinces au delà de la Loire, encore excepté la Guienne. Rendre à la France sa nationalité, son unité, c'est une tâche difficile, qui exige un grand cœur, une forte tète, un bras vigoureux. Malheureusement le roi n'a aucune de ces qualités : indolent, insouciant, livré aux plaisirs, il est gouverné par ses favoris et ses maîtresses. Les princes du sang, excepté le duc de Bourgogne, les meilleurs capitaines, se rangent de son côté. Tous n'obéissent pas à la seule voix de l'honneur et de la patrie ; plusieurs mettent à prix leurs services et vendent leur dévouement, c'est leur habitude, on l'a vu, on le verra encore. Charles VII leur engage ses châteaux et la meilleure partie de son domaine. Il y a là un peuple qu'on imposera pour dédommager le roi des sacrifices exigés de lui par la noblesse. Pour chasser l'étranger et reconquérir le royaume, Charles VII trouve des bras, mais il n'a pas le nerf de la guerre. Pillé, volé par les gens de finances et les grands, son malheureux père a laissé le trésor à sec. Ce long règne a été un combat continuel, acharné entre le gouvernement et le peuple, non pour mutiler le pouvoir royal, mais au sujet de l'impôt. Le roi l'établit d'autorité ; on lui répond par la révolte, l'insurrection ; il cède et recule, et reconnaît le principe du consentement national. Le danger passé, poussée par son mauvais instinct, la royauté recommence, elle sévit, tue, se joue de ses ordonnances et impose arbitrairement. Dans cette lutte l'avantage reste en définitive au roi, dont l'action est incessante, tandis que celle du peuple n'est qu'instantanée et éphémère. A la longue le fait triomphe du droit, et l'impôt, de temporaire qu'il était, devient permanent. Il suffirait peut-être à Charles VII, s'il pouvait le percevoir ; mais l'occupation anglaise le prive de la moitié des revenus du royaume. Les provinces encore françaises doivent donc subvenir seules aux frais de la guerre. Quel système suivra Charles VII ? En sortant de Paris, du vivant de son père, il supprima les impôts. Alors il n'était que dauphin ; maintenant il règne ; l'exemple de ses prédécesseurs flatte l'instinct royal ; fatigués de la guerre civile, et animés par la haine de l'étranger, les peuples sont disposés aux sacrifices qu'exige la délivrance du pays. Les circonstances sont favorables aux entreprises de la royauté. Cependant Charles VII ne parait pas en abuser. Il est fait une simple mention d'états, rassemblés à Bourges, qui accordent une aide, dont par parenthèse le parlement est exempté (1422). Charles VII a une armée composée, pour la plus grande partie, d'Écossais ; le début de la guerre n'est pas heureux ; l'armée est abîmée à Verneuil (1424) ; la cour est consternée. On y forme des projets désespérés et honteux. Deux femmes s'y opposent : Yolande de Sicile, mère de la reine, et Agnès Sorel, que Yolande a donnée pour maîtresse au roi. On obtient qu'il éloigne les meurtriers de Jean sans Peur, et qu'il offre l'épée de connétable au comte de Richement. Par ce moyen il détache de l'alliance anglaise tout de suite le duc de Bretagne, un peu plus tard le duc de Bourgogne, et les attire à la cause nationale. Charles VII convoque des états généraux à Melun, ou Mehun, en Berri (1425). Hugues de Combaret, évêque de Poitiers, parle avec beaucoup de chaleur sur la nécessité de pourvoir au payement des gens de guerre, afin d'empêcher leurs pillages, qui enlèvent aux peuples le moyen de contribuer autant qu'ils le voudraient aux dépenses de l'État. Les députés des communes font aussi de vives remontrances à ce sujet. Les états ne consentent pas moins à ce qu'il soit levé une taille générale, et dans les termes du dévouement le plus absolu au roi ; ils ajoutent que, comme ils ne pensent pas se rassembler assez souvent, ils consentent à soutenir le roi dans ses querelles, à le servir de corps et de biens jusqu'à la mort inclusivement, et à ce que, sans les convoquer, il fasse tout ce qu'il jugera convenable, promettant de l'avoir pour agréable, et de lui obéir. Les états abdiquent leur droit, ou plutôt un droit qui ne leur appartient pas, celui de la nation. Ils excèdent leurs pouvoirs, et se rendent coupables de trahison. Leur motif est futile. Ils ne peuvent pas se rassembler assez souvent. Pourquoi ? Le roi est le maître de les convoquer quand il veut. Si la fréquence des états l'importune, est-ce à eux à l'en délivrer par un suicide ? Les seigneurs, ecclésiastiques et laïques, membres ipso jure des états, seraient-ils devenus assez peu jaloux de leurs antiques privilèges pour les sacrifier aux convenances de la royauté ? Les députés de l'état populaire, appelés à peine, depuis un siècle, à l'existence politique, en seraient-ils déjà fatigués ? On ne peut expliquer l'abnégation de ces états que par leur mauvaise composition ; elle est du reste inconnue. Pour les agents du pouvoir, ce n'est pas encore assez de servilité. Il ne faut pas qu'une seule voix s'élève contre les abus. En sortant de l'assemblée, le sieur de Gyac, favori et surintendant des finances, ose dire dans la chambre du roi, devant des seigneurs qui l'y accompagnent, que, si on veut le croire, on jettera dans la rivière, pour l'exemple, l'évêque Combaret et tous ceux qui ont été de son avis. Cette proposition est repoussée avec indignation. Gyac ne se doute pas qu'il sera bientôt victime de l'odieuse proscription qu'il a conseillée. Le connétable, ayant éprouvé un rude échec contre les Anglais (1426), s'en prend au surintendant, l'accuse de s'être approprié les fonds destinés à la guerre, de séquestrer le roi dans la mollesse et les plaisirs, fait prendre dans son lit et jeter à l'eau Gyac sans forme de procès. Il est remplacé par Camus de Beaulieu ; le connétable le fait tuer à Poitiers en pleine rue. Un surintendant ne peut mourir naturellement ; voilà le septième. Puisque le roi ne peut se passer de favori, Richemont lui impose la Trémouille, dont il se croit sûr, sa maison ayant été agrandie par les ducs de Bourgogne. Comme les favoris, ses prédécesseurs, la Trémouille éloigne du roi les princes et le connétable lui-même. Il se retire en Bretagne. Ces rivalités de cour n'améliorent pas les affaires ; la France est ravagée sans résultat par le fléau de la guerre. Comment Charles VII parvient-il à se procurer les moyens de la soutenir ? L'histoire ne fournit que des notions incomplètes. Des états seraient tenus à Mehun, en Berri. D'autres états, assemblés à Poitiers, auraient consenti une aide, ou impôt déjà établi par le roi. En 1428, il convoque des états à Tours, au 18 juillet. Ils ne s'y rendent pas. Le 22, le roi donne ordre aux gens d'église, nobles, accoutumés d'être mandés, et aux députés des bonnes villes de s'y trouver au 10 septembre, toute excusation cessante. Il ordonne au chapitre de Brioude, le 26 juillet, sur la loyauté et obéissance qu'il doit au roi, d'envoyer ses notables députés, avec pleins pouvoirs pour conseiller, besogner et consentir tout ce qui sera délibéré en assemblée, dans laquelle il entend déterminer sur toutes les grandes affaires du royaume. Chacun des assistants aura franche liberté de en cela acquitter sa loyauté, et de dire, pour le bien des besognes, tout ce que bon lui semblera. Des états, tenus à Chinon, votent une aide de 400.000 livres, payables moitié par la Langue d'oïl, moitié par la Langue d'oc et le Dauphiné. L'Anglais assiège Orléans. Après des tentatives malheureuses pour secourir la place, on désespère de la sauver. La cour de Charles VII, livrée aux intrigues, est dans la confusion. On s'y prépare à une retraite honteuse en Dauphiné. S'il ne vient pas un miracle, tout est perdu. C'est encore une femme qui l'opère. La Pucelle arrive, tout est sauvé. On sait comment. L'Anglais fuit épouvanté ; elle délivre Orléans, et mène en triomphe Charles VII à Reims ; il y est sacré (1429). Au roi de France il faut Paris. L'armée royale essaye en vain de s'en emparer, et retourne sur la Loire. Au printemps elle revient vers Paris. L'Anglais assiège Compiègne ; la Pucelle se jette dans la ville, fait une sortie, et reste prisonnière au pouvoir de l'ennemi. Elle est torturée, jugée, condamnée et brûlée (1431). Charles VII ne fait rien pour la sauver. Cette lâche vengeance ne profitera pas aux Anglais. Ils se soutiennent encore par les vicissitudes de la guerre. Mais ils sont blessés au cœur et mortellement. La France a reçu une forte secousse, s'est. réveillée et a repris son ascendant ; leur domination est sur son déclin. Ils essayent en vain de l'affermir en amenant à Paris leur jeune roi, et en mettant sur sa tête une double couronne. Pour ses contemporains, la Pucelle fut une apparition surnaturelle ; pour des écrivains modernes, c'est en outre un symbole. Le clergé, la noblesse étaient usés, impuissants. Restait le peuple, ayant le sentiment de sa force, ayant foi et attendant de Dieu sa délivrance. La Pucelle, humble fille du peuple, c'est le peuple personnifié, c'est le peuple qui se lève à la voix de Dieu, le peuple préparé par l'Imitation de Jésus-Christ, le plus beau livre après l'Évangile. L'influence attribuée à l'Imitation est très-contestable. D'abord manuscrite, et à peu près renfermée dans les cloîtres, elle ne se répandit que par l'imprimerie. C'en était fait de la Pucelle et des Anglais quand l'imprimerie fut découverte, et le peuple ne savait pas lire. On peut expliquer très-honorablement la Pucelle sans mysticisme, sans symbolisme ; cela nous écarterait trop de notre sujet. Le favoritisme qui règne à la cour de Charles VII entretient toujours de fâcheuses divisions parmi les grands, et entrave les opérations militaires. Louis d'Amboise est arrêté, jugé et condamné à. mort ; on lui fait grâce de la vie, on ne veut que ses grands biens, notamment la vicomté de Thouars. Charles VII prête l'appui de son pouvoir à cette manœuvre de la Trémouille. On complote la perte du favori. Le connétable introduit dans le château de Chinon, où était la Trémouille avec le roi, deux cents hommes de guerre ; ils prennent le favori dans son lit, le blessent d'un coup d'épée et le font prisonnier. La reine et son frère, le comte du Maine, sont complices de celte expédition. Cette affaire donne lieu à une convocation des états généraux à Tours (1433). On n'a point de détails sur cette assemblée. On dit que l'archevêque de Reims, chancelier, harangua les états pour les exciter à venger l'affront fait à la majesté royale. Mais, suivant les historiens, Charles VII sacrifia son favori, et avoua l'acte du connétable, lui remit le commandement des troupes, et laissa au comte du Maine la conduite des affaires. La guerre traîne en longueur à défaut d'argent dans les deux partis et par la faiblesse des deux rois, l'un mineur, l'autre jouet de ses favoris et de ses maîtresses. Un événement important et même décisif fait pencher la balance du côté de la France. Des conférences s'ouvrent à Nevers avec le duc de Bourgogne ; il est convenu que dans six mois un congrès sera convoqué à Arras, où seront appelés les légats du pape et les ambassadeurs de toutes les puissances. Le congrès, s'ouvre le 5 août 1434. C'est une assemblée européenne. On y soit des députés de l'université et des principales villes, des seigneurs, des évêques, et une foule de docteurs. Il y a à Arras dix mille étrangers. Les Français offrent de céder en fiefs la Normandie et l'Aquitaine ; les Anglais refusent de renoncer à la couronne et proposent une très de quarante ans. Le congrès se sépare. Mais le duc de Bourgogne fait la paix, se soumet et reconnaît Charles VII, qui lui fait beaucoup de concessions. L'Angleterre perd un puissant allié. Jusqu'ici, Charles VII a vécu d'expédients, d'aides temporaires consenties par les états. Maintenant qu'il est en paix avec le duc de Bourgogne, et qu'il n'a plus affaire qu'aux Anglais, il devient plus hardi, et remet sur pied les anciennes impositions, que, dauphin, il avait supprimées en se sauvant de Paris. Il a un motif plausible, il faut achever la délivrance du royaume, et en chasser l'étranger. Il publie des instructions sur la manière de lever les deniers. En tête de ces instructions est mentionné le consentement des trois états, et dans des lettres postérieures, celui des états de la Langue d'oc. C'est tout ce qu'on sait de ces assemblées (1435). Les heureux effets de la paix d'Arras ne tardent pas à se faire sentir. L'Anglais est battu à Saint-Denis par le connétable. Fatigués du joug étranger, les Parisiens traitent de leur soumission, ils introduisent le connétable dans leurs murs, tombent sur les Anglais dans les rues, en assomment un grand nombre ; le reste se sauve à la Bastille, et compose. Le roi rappelle à Paris les établissements qu'il avait transférés à Poitiers (1436). Il va dans le Lyonnais, le Dauphiné et la Langue d'oc pour faire de l'argent. Il revient à Paris, qu'il a quitté depuis si longtemps, y entre triomphant, rétablit son trône dans sa capitale, et n'y reste guère, par rancune du passé (1437). Il lui faudrait beaucoup d'argent pour réparer les ruines dont la France est couverte, et soulager les misères du peuple. Ce n'est pas le créancier le plus exigeant. Mais la noblesse et le clergé se plaignent de leurs pertes. Celui-ci n'a été privé qu'en partie de son revenu ; celle-là, bien qu'elle n'ait pas ménagé le peuple, a dépensé un peu du sien à la guerre. Pour indemniser la noblesse, le roi se décide à adopter les décrets du concile de Bâle, qui rétablissaient les élections, et reconnaissaient les droits des nobles patrons des églises à présenter aux bénéfices. Les patrons descendants des pieux fondateurs regardaient les églises comme des démembrements de leurs fiefs, et avec leur droit de présentation pouvaient faire élire leurs hommes aux bénéfices par les moines et chanoines. Le roi convoque à Bourges une assemblée où se trouvent le dauphin, les princes, les prélats, les seigneurs et des envoyés du concile du Bâle ; il ne paraît pas que le tiers état y soit représenté. Après avoir fait examiner les canons du concile, le roi rend la célèbre ordonnance de la pragmatique sanction (1438). Elle a aussi l'avantage d'empêcher l'or et l'argent du royaume de prendre le chemin de Rome. Si la domination des Anglais allait chaque jour en déclinant, l'état de la France n'était pas moins déplorable ; elle recueillait les tristes fruits de la guerre, la famine, la mortalité, la dépopulation des villes et des campagnes, l'abandon de la culture, le pillage des troupes qui n'étaient pas payées, le brigandage des capitaines nommés écorcheurs, plus justement que les cabochiens, qui n'écorchaient que des bêtes. Comment remédier à cette situation déplorable ? Le roi convoque une assemblée à Orléans, et se rend dans cette ville. Là se trouvent les ambassades des grands seigneurs du royaume, savoir, pour celle du duc d'Orléans, prisonnier en Angleterre depuis la journée d'Azincourt, le bâtard d'Orléans, comte de Dunois ; son frère, l'évêque d'Orléans ; l'archevêque de Reims, chancelier, et plusieurs notables, clercs et bourgeois de la ville. — Pour celle du duc de Bourgogne, l'évêque de Tournai ; le sire de Créquy ; Simon de Lalaing, bailli d'Amiens ; le sire d'Anchin. — Pour celle du duc de Bretagne, Pierre, son second fils ; l'évêque de Nantes, chancelier ; l'évêque de Saint-Brieuc ; le comte de Laval, gendre du duc, et plusieurs autres notables hommes. — Pour celle du comte d'Armagnac, le sire d'Estaing et autres ; l'évêque de Beauvais ; les députés de Paris et de l'Ile-de-France. — En général, les députés des trois ordres de tous les bailliages et cités. Le but de la convocation est pour ouïr parler et pratiquer du bien et du gouvernement du royaume, et pour le pouvoir mettre en bonne paix, justice et police. L'assemblée avait commencé à se former le 2 novembre 1439, dans un local particulier, lorsque le roi la mande à son hôtel, où elle siège dans une salle à ce disposée ; il en fait l'ouverture et la préside ; il est entouré de sa belle-mère, la vieille reine de Sicile, Yolande d'Anjou ; du duc de Bourbon ; du comte du Maine ; du connétable de Richemont ; des comtes de la Marche, de Vendôme ; de Pierre de Bretagne. Il y a une grande quantité de peuple. D'après l'exposé du chancelier, Renaud de Chartres, le roi désire vivement la paix ; il a toujours été prêt à y entendre. Il a envoyé des ambassadeurs partout où les Anglais ont voulu, et en dernier liera à Saint-Orner. Les négociateurs des deux nations y ont arrêté des articles qui sont soumis aux deux rois, afin que, le 1er mai, ils fassent connaître leurs intentions dans cette ville. Le roi désire que chaque député dise en conscience son bon et vrai avis. A. cet effet, (les copies de ces articles sont distribuées à l'assemblée. Huit jours sont accordés pour leur examen. Après ce délai, l'assemblée, présidée par le roi, entend la plupart des seigneurs présents. tes ambassadeurs des absents et les députés des borines villes. On débite de beaux discours sur les calamités de la guerre et les douceurs de la paix, avec force citations de philosophes et d'historiens de l'antiquité. On n'est pas d'accord, les avis sont partagés. Le roi juge convenable qu'on nomme des commissaires pour examiner plus mûrement la question, et faire leur rapport. Ils ne s'accordent pas non plus. Le président Rabuteau parle pour la continuation de la guerre jusqu'à ce qu'on ait chassé les Anglais du royaume ; et Jacques Juvénal des Ursins pour la conclusion de la paix. Dans son discours, il soutient que le roi, n'étant qu'usufruitier de la couronne, ne peut aliéner aucune partie du territoire. L'avocat de la paix gagne son procès. Il est décidé que les plénipotentiaires retourneront à Saint-Orner pour la conclure aux conditions les plus favorables, si les Anglais y sont disposés. Toutefois, on n'y parvient que longtemps après, et on n'obtient qu'une trêve de quatre mois. Ce n'est pas la seule affaire importante dont s'occupent les états. Outre les brigandages commis par les troupes étrangères, le pays est ravagé par les troupes nationales. Cette plaie invétérée, et devenue intolérable, est l'effet de la composition vicieuse de l'armée féodale qui n'a pas une solde assurée. L'expérience a trouvé d'ailleurs, sous le rapport de l'art de la guerre, la supériorité des troupes soldées. La royauté comprend que sa puissance extérieure et intérieure recevra un grand accroissement par l'établissement d'une armée régulière, liais on prévoit que cette innovation mécontentera les seigneurs écorcheurs dont elle blessera les droits, les intérêts et l'orgueil. Il faut donc que la royauté puisse leur opposer les bourgeois et les paysans, c'est-à-dire le peuple, et que cette mesure leur offre des avantages. En conséquence, le roi renonce au bénéfice de la fabrication de la monnaie, c'est-à-dire à en faire de la fausse ; il abolit les levées extraordinaires de deniers, connues sous le nom de taille seigneuriale, taille arbitraire, taille aux quatre cas ; il les remplace par une seule taille ou impôt personnel, exclusivement destinée à la solde et à l'entretien de l'armée. Elle est ainsi organisée : quinze compagnies de cent lances ou hommes d'armes ; sous chaque lance, trois archers, un écuyer, un page, tous à cheval, ce qui forme un corps de cavalerie de neuf mille hommes. La paye de chaque homme d'armes est par mois de 10 livres, celle de l'écuyer de 100 sous, celle d'un archer de 4 francs, celle du page de 60 sous. Un impôt annuel de 1.200.000 livres suffit à cette dépense. Par cette organisation sont supprimés une quantité de chevaux de bagage qu'a chaque homme d'armes, et une foule de goujats qui partout où ils passent dévorent le pays comme des sauterelles. Désormais le roi seul nommera les capitaines. Les seigneurs et les capitaines royaux seront responsables des délits commis par leurs gens. Les uns et les autres, en quartiers d'hiver et dans leurs garnisons, seront justiciables des juges royaux. Les seigneurs ne prendront plus rien au delà de leurs droits seigneuriaux, sous prétexte de guerre, sinon le roi déclare, dès à présent, la terre et la seigneurie confisquées à son profit, à jamais et sans restitution. Les contrevenants n'obtiendront aucune grâce ; si le roi pardonnait, les gens du roi n'y auront nul égard. Il est permis de courir sus aux contrevenants ; leur dépouille appartiendra à ceux qui l'auront conquise. Toutes ces dispositions sont consacrées par une ordonnance rendue, y est-il dit, sur la demande des états. Il n'est pas probable que les princes et les seigneurs qui y siégeaient aient sollicité une réforme qui ne pouvait que leur déplaire. Tout au plus, ils n'osèrent pas s'y opposer et laissèrent faire. D'après le caractère de Charles VII, on doute même que cette réforme et les pénalités hardies qu'elle contenait contre la noblesse eussent pris naissance dans sa tète ; elles appartenaient à ses conseillers. Ce n'étaient pas de grands seigneurs orgueilleux, indociles, toujours prêts à mettre le marché à la main ; c'étaient de petits nobles, les Saintrailles, les Brézé ; des roturiers, Jacques Cœur, grand négociant, grand financier ; Jean Bureau, de maître des comptes devenu maître de l'artillerie, le premier artilleur de son temps. C'étaient aussi des femmes : Yolande d'Anjou, qui avait donné à son gendre Agnès Sorel pour maîtresse, et soutenu la Pucelle contre les intrigues de cour. La réforme militaire est attribuée à Pierre de Brézé. Les détails manquent sur cette assemblée, son organisation, ses séances, la forme de ses délibérations, la durée de ses séances. Elle offre une innovation. Jusqu'ici, les seigneurs ecclésiastiques et laïques venaient aux états en vertu de la convocation directe du roi. Maintenant ce sont des ambassades de quatre grands vassaux, composées de quelques-uns de ces seigneurs et de députés des villes. On appelle cela les députés des trois états. N'est-ce pas une concession rétrograde aux prétentions surannées des grands vassaux ? L'organisation militaire de Charles VII a été jugée très-diversement. Son effet, immédiat et temporaire, est de contribuer à délivrer la France ; son effet permanent, de rendre la royauté indépendante des caprices et de l'instabilité du service militaire féodal qui ne fut plus que secondaire ; d'affaiblir l'importance de la noblesse et de fortifier la puissance extérieure de la France. D'un autre côté, cette organisation favorise le despotisme, en mettant à la disposition du pouvoir la force militaire et la fortune des sujets. Le peuple est déchargé des tailles de servitude, exactions arbitraires et de détail, levées sur leurs sujets par les seigneurs et le roi ; mais on charge les sujets d'une taille perpétuelle dont la quotité n'est pas moins arbitraire, et Charles VII l'élèvera à un taux jusqu'à lui inconnu. L'armée est organisée par ordonnance, et sur le papier. Reste l'exécution, c'est là qu'est la difficulté. Les capitaines, les seigneurs se plaignent vivement de ce qu'on a réduit leur autorité, leurs profits ; ils accusent le roi d'ingratitude pour leurs services. Ils ont un autre sujet de mécontentement qu'ils n'avouent pas tout haut, c'est de n'avoir pas à la cour et dans le gouvernement toute l'influence qu'ils prétendent due à leur rang. Le bâtard d'Orléans, Dunois, fait le premier défection et se retire du conseil ; il est suivi par le duc d'Alençon, les Bourbons, Vendôme, la Trémouille, favori disgracié. Il leur faut un chef ; le duc d'Orléans est toujours prisonnier en Angleterre, ils choisissent le dauphin, naturellement insubordonné et remuant, pour cela éloigné de la cour et comme relégué en Poitou. Ainsi se forme la coalition qu'on appelle la praguerie, on ne sait pourquoi, probablement à cause de la guerre des hussites. Au mépris des ordonnances et de leur devoir, les coalisés abandonnent les frontières, ramènent les troupes dans l'intérieur ; le duc d'Alençon lève l'étendard en Poitou. Le roi, qui était à Poitiers, entre en campagne avec Richemont, et marche de succès en succès. Les coalisés viennent à résipiscence. C'est encore Dunois qui donne l'exemple ; les autres suivent à la file, le dauphin aussi. Le roi leur pardonne, et, pour éloigner le dauphin, lui donne le gouvernement du Dauphiné (1440). Dans la soumission des seigneurs, il n'y a pas la moindre bonne foi ; ils gardent rancune et n'attendent qu'une occasion. Le duc de Bourgogne obtient des Anglais la liberté du duc d'Orléans, le meurtrier de son père, lui donne la Toison d'or et le marie à une de ses parentes. Bien que rapidement étouffée, la praguerie ne permet pas d'exécuter la réforme militaire. Tandis que le roi a combattu les seigneurs révoltés, les Anglais ont porté la guerre jusqu'aux portes de Paris, et pris Pontoise. Cette \ Hie est reprise par l'armée royale (1441). Mais les Parisiens ont souffert ; ils sont écrasés de taxes et mécontents. Des plaintes se font entendre dans plusieurs autres villes. Pour les seigneurs, l'occasion est favorable ; ils s'empressent de la saisir ; ils changent de rôle. Tout à l'heure c'était la royauté qui faisait une réforme dans l'intérêt du peuple ; maintenant les seigneurs se constituent ses défenseurs contre la royauté. La praguerie renaît, douce, humaine, populaire. Les loups se font bergers. Le duc de Bourgogne, sans paraître lui-même, les rassemble chez lui à Nevers (1442). Là se trouvent les ducs de Bourbon et d'Alençon, les comtes d'Angoulême, d'Étampes, de Vendôme et de Dunois. Le duc d'Orléans préside. On dit qu'il y avait aussi des députés de bonnes villes ; rien ne le prouve. Si le roi eût été débarrassé des Anglais, s'il eût pu faire tête à tout, nul doute qu'il eût tombé sur la praguerie, comme il l'avait fait, en Poitou, au premier acte de sa révolte, et qu'il n'eût châtié son insolence ; mais il était en campagne et marchait au secours de Tartas. Son principal ministre, l'évêque de Clermont, que cette tempête menaçait personnellement, juge prudent, pour la conjurer, d'user de dissimulation plutôt que d'autorité. Le roi envoie à Nevers son chancelier et Louis de Beaumont. Voici les remontrances des seigneurs et les réponses faites au nom du roi. C'est un document très-curieux. 1° La nécessité de la paix générale. Le roi rend un compte très-détaillé de tout ce qui a été fait pour la négocier et la conclure ; il est dans l'intention de faire tous ses efforts pour y parvenir. Le plus grand obstacle est que la nation anglaise ne peut pas souffrir que son roi tienne la moindre chose en hommage d'un autre roi, et que Charles VII, interprète en cela des grands de son royaume, ne consentira jamais à rien céder aux Anglais, sans s'en réserver la souveraineté. 2° Envoyer au duc de Bretagne un sauf-conduit pour se rendre en toute sûreté à l'assemblée de Nevers. Le roi a fait savoir par ses envoyés qu'il était content de cette assemblée, espérant en voir les membres à Bourges[1] ; en quelque lieu qu'ils fussent venus, il leur aurait fait bonne chère et les aurait vus volontiers, comme ses plus proches parents, et il aurait communiqué avec eux sur les affaires de son royaume. Quant au duc de Bretagne, tonte sûreté lui a été offerte ; cependant avec l'observation qu'il ne semblait au roi ni raisonnable, ni convenable que les seigneurs s'assemblassent pour traiter, en son absence ou sans son commandement, des affaires du royaume. A son retour de Tartas, il a bien l'intention de les requérir de leurs aides, conseils et secours ; de mettre sur pied la plus forte armée qu'il pourra, pour entrer en Normandie, obtenir le meilleur traité de paix, et, avec leur aide et celle de Dieu, recouvrer sa seigneurie. 3° Commettre au parlement et autres tribunaux des personnes sages et expérimentées, pourvoir aux offices et non aux personnes, abréger les procès, et administrer bonne justice aux sujets des seigneurs comme aux sujets du roi, sans avoir égard aux partialités du temps passé. Le roi a toujours élu et constitué pour juges au parlement et autres tribunaux, les meilleurs, les plus sages et idoines clercs, juristes et expérimentés. Il a toujours eu égard aux recommandations des seigneurs ; il a nommé douze conseillers au parlement, sur la présentation du duc de Bourgogne. Le roi n'a pas reçu de plaintes sur l'administration de la justice ; il écrira à ses cours d'abréger encore plus les procès, etc. 4° Mettre un terme, non par lettres ou paroles, mais par effet, aux roberies, outrages et dérisions commis par gens de guerre, qui se disent au roi, tant sur ses sujets que sur ceux des seigneurs. Donner la charge des gens d'armes et de guerre à des capitaines notables qui ont bien et loyalement servi le roi. Payer, solder et loger aux frontières les gens de guerre ; ne pas souffrir qu'impunément ils tiennent les champs et vivent sur le peuple. Que le roi conserve seulement pour le service des gens expérimentés de la guerre, sans s'arrêter à la multitude. Qu'il contraigne les gens de bas état, oiseux, noiseux et ne sachant la guerre, de retourner à leurs balances et à leurs métiers. Les pilleries ont toujours déplu et déplaisent au roi ; il a plusieurs fois essayé de les faire cesser. il a ordonné de solder les gens de guerre et de les loger aux frontières ; l'exécution de ces mesures a éprouvé plusieurs obstacles. Le roi est déterminé à y tenir la main et à casser tous les gens inutiles pour la guerre. 5n La pauvreté du commun peuple, les excessives tailles, aides, impositions, gabelles dont il est insupportablement foulé. Le roi a plus ménagé les sujets des seigneurs que les siens propres. Lorsque ceux-ci, dans un an, ont payé deux tailles, ceux-là n'en ont payé qu'une, encore a-t-elle été levée au profit des seigneurs ; ce qui a obligé le roi de chercher aide ailleurs que dans leur pays pour faire la guerre et conduire ses autres grandes affaires. 6° Pour lever les tailles et autres impositions, on doit appeler les seigneurs et les états du royaume. Les aides ont été mises sur les seigneurs et de leur consentement. Quant aux tailles, le roi les a appelés ou leur a fait savoir qu'il les levait de son autorité royale, vu les grandes affaires du royaume et l'urgence, ce qu'autre que lui ne pouvait faire sans son autorisation. Il n'est pas besoin d'assembler pour cela les états ; ce n'est qu'une charge et dépense pour le pauvre peuple qui paye les frais de ceux qui y viennent. Plusieurs notables seigneurs ont même requis qu'on cessât de convoquer les états, et qu'on envoyât la commission aux élus, selon le bon plaisir du roi. 7° Le roi devrait appeler les princes de son sang plutôt qu'aucun autre aux grandes affaires du royaume ; la raison et l'intérêt public l'exigent, c'est la coutume des rois de France. Ils demandent à être maintenus dans leurs prérogatives et autorités. Le roi n'a traité d'aucune haute matière sans le su des seigneurs ou de la plus grande partie d'entre eux ; son intention n'est pas de faire autrement. C'est son plaisir et sa volonté de les maintenir dans leurs prérogatives et autorités ; il n'a rien fait au contraire. Que les seigneurs fassent de même envers lui et fassent faire à leurs sujets. 8° Qu'il plaise au roi élire au grand conseil des gens notables, craignant Dieu, non extrêmes, ni passionnés pour les divisions passées. Qu'il lui plaise élire ses conseillers en nombre compétent, et ne plus confier la conduite des grandes affaires du royaume à deux ou trois, comme il l'a fait. Le roi a toujours nommé à son conseil des plus notables de son royaume, sans avoir égard aux divisions passées et en bon nombre, ainsi que le cas et le temps le régneraient. 9° Le reste des réclamations sont en faveur des seigneurs d'Alençon, de Bourbon, de Bourgogne, de Vendôme, de Nevers, pour leurs intérêts privés, des pensions, des places, etc., à quoi le roi répond par les griefs qu'il a contre eux, et il n'en manque pas. Cette collision n'est qu'une phase du combat qui, depuis le douzième siècle, existe entre la royauté et les grands vassaux. Ceux qui restent luttent en vain contre le progrès des choses et l'esprit du temps qui prépaient leur ruine. L'intérêt du peuple dont ils prennent la défense n'est qu'un voile sous lequel ils cachent leurs orgueilleuses prétentions. Il leur faut, et exclusivement, les emplois et la direction du gouvernement, de l'armée, de la justice, de l'administration, le maniement des finances pour s'attribuer des traitements, des pensions, des libéralités. Ils soutiennent, il est vrai, que les impositions ne peuvent être levées sans le consentement des états ; mais les états ont été rarement convoqués par les grands vassaux lorsqu'ils ont dominé dans les conseils de la royauté. De son côté, elle fait un pas hardi vers l'agrandissement de son pouvoir. Charles VII ose le premier méconnaître le principe, aussi ancien que la monarchie, que la nation seule a le droit de s'imposer. Il veut bien distinguer ; les aides, il les a mises du consentement des seigneurs ; mais le peuple qui contribue aussi aux aides, et sur qui seul pèsent les tailles, le roi n'est pas tenu de le consulter, de convoquer les états généraux ; et quelle tendre sollicitude ! il ne voit dans ces assemblées qu'une charge et une dépense pour ce pauvre peuple ; il lève l'impôt de son autorité royale. Le roi fait publier les remontrances et ses réponses ; cette publicité n'est pas favorable aux seigneurs. Tandis qu'il les amuse par ménagements, il gagne ceux qui gouvernent le duc d'Orléans, et par ce moyen le sépare de la ligue. Le duc vient à Limoges trouver le roi, qui le déclare premier prince du sang, lui donne 160.000 fr. pour l'aider à payer sa rançon, et une pension de 6.000 fr. Cet orage apaisé, Charles VII pousse plus vivement la guerre contre les Anglais. Il leur a enlevé Pontoise après une défense acharnée ; il les refoule en Normandie. Il va ensuite les combattre dans le midi et y achever la soumission des seigneurs. Il assemble à Toulouse les états de la Langue d'oc. On s'y occupe plus de l'exécution des lois existantes que d'en faire de nouvelles. Convertissant l'assemblée en haute cour judiciaire, il y juge à son profit les différends de la comtesse de Comminges avec le comte d'Armagnac son mari. Il crée un parlement royal à Toulouse, et, en attendant qu'il ait rétabli l'ordre et la justice, il autorise les pauvres gens à se faire justice à eux-mêmes, à courir sus aux brigands et aux soldats vagabonds (1443). Également fatigués de la prolongation de la guerre, les deux rois désirent la paix. L'Anglais fait les premières avances. Des plénipotentiaires s'assemblent à Tours ; rie pouvant conclure la paix, ils font une trêve de dix-huit mois, et arrêtent le mariage de Marguerite, tille de René d'Anjou, avec le roi d'Angleterre. Pour satisfaire la cupidité des capitaines mécontents (le la trêve, soustraire le pays à leurs pillages, et tirer du sang à l'armée, Charles VII porte, sous des prétextes très-peu fondés, la guerre en Allemagne. Le dauphin, avec une grande armée, entre en campagne, la termine par faire contribuer de 300.000 florins la ville libre de Metz, et revient moins chargé de gloire que de butin (1444). Alors on poursuit la réforme militaire que la praguerie n'avait pas permis d'exécuter. Avec l'argent des Messins, on assouvit la cupidité des capitaines les plus affamés ; on dissout, on congédie l'armée, ou du moins on lui donne la nouvelle organisation, on la fond dans les quinze compagnies de cent lances, qu'on appela ensuite compagnies d'ordonnance. Il est ordonné aux gens de guerre congédiés de se retirer chez eux sans bruit ni désordre, sous peine de la hart contre les contrevenants. Une amnistie est accordée pour tous les délits commis pendant la guerre. On fait des règlements sur l'armement, les équipages et la solde. Le commandement des compagnies est donné aux seigneurs les plus 'illustres. Un grand nombre de gentilshommes et même de roturiers, assez riches pour servir à leurs frais, entrent comme volontaires dans ces compagnies. Chacune est bientàt de 1,9.00 hommes ; c'est le plus beau corps de cavalerie et le plus redoutable de toute l'Europe. On répartit les compagnies entre les villes, et on les divise par vingt ou trente lances, afin que l'autorité civile soit la plis forte et que le militaire soit contenu dans le devoir. Organiser la cavalerie, ce n'était que la moitié de la besogne ; il fallait une infanterie régulière. On la créa quelques années plus tard. Chaque paroisse fournit un homme, de préférence un bon compagnon, ayant fait la guerre, franc et exempt de taille, s'armant à ses frais et s'exerçant les dimanches et files à tirer de l'arc. Il recevait une solde, seulement en temps de guerre ; on l'appela franc archer. La noblesse s'égaya sur les francs archers, on les tourna en ridicule. L'institution était une chose sérieuse. On eut une infanterie nationale ; elle fut d'abord d'environ 25,00ce hommes (1448). Par les plaintes qui se renouvelleront au sujet des déprédations des gens de guerre, on verra que la discipline fut difficile à établir, et que la responsabilité à laquelle les officiers avaient été assujettis fut longtemps illusoire. Ce fut la faute des rois, qui détournèrent de leur emploi les impôts destinés à la solde de l'armée, pour les dissiper en prodigalités. Pendant la trêve, plusieurs fois prolongée, Charles VII, livré à la mollesse et à la volupté, néglige les soins du trône. Les Anglais violent la trêve. Il sort de son apathie. La guerre recommence (1449). La bataille de Fourmigny en Normandie porte un coup mortel aux Anglais. Cette province est reconquise. Charles VII fait une entrée triomphale à Rouen, à Caen et dans les principales villes. Les armes françaises ne sont lm moins heureuses en Guienne. Les Anglais ne possèdent plus que Calais et le comté de Guines. La mémoire de la Pucelle est réhabilitée (1452). Délivré des embarras de la guerre, Charles VII fait plusieurs ordonnances pour la réformation du royaume. La France était régie en partie par le droit romain, en partie par des coutumes. Elles étaient un mélange confus des usages des Gaulois, du droit romain, des usages des Germains, des lois des Francs, des capitulaires, des lois des seigneurs féodaux. Dans les procès, les parties invoquaient la coutume ou l'usage. Comme ce n'était pas un corps visible ni palpable, les juges ordonnaient l'enquête dite par tulles. Les témoins étaient souvent divisés sur la coutume. De là embarras des juges, erreur dans les jugements. Ou sentit la nécessité de rédiger les coutumes par écrit. On en fit des essais partiels par des chartes royales dès les onzième et douzième siècles, sur une échelle un peu plus grande sous Louis IX ; on eut ensuite les coutumes de Beauvoisis par Philippe de Beaumanoir, la Somme rurale de Bouteiller et le Grand Coutumier, résultat d'enquêtes par turbes faites de 1300 à 1387. Charles VII généralisa la mesure. Il ordonna (1453) que dans chaque province les coutumes seraient arrêtées et rédigées par écrit dans l'assemblée des députés des trois états représentant tout le peuple. Le droit coutumier va donc prendre un corps, et devenir la raison écrite comme le droit romain, jusqu'à ce que le système de l'uniformité vienne fondre ces deux raisons en une seule. Les succès de Charles VII sont empoisonnés par ses démêlés avec le puissant duc de Bourgogne et le dauphin. Le fils, dans sa jeunesse, a osé entrer dans une ligue contre son père. Incessamment tourmenté de la maladie des princes héréditaires, il veut régner, et le trône se fait attendre bien longtemps. Le roi prend ombrage de cet esprit remuant, et donne ordre de l'arrêter. Il se sauve chez le duc de Bourgogne, et ne revient plus que pour prendre la couronne lorsqu'elle est vacante. Le roi forme le projet de l'assurer à Charles, son second fils ; il se venge sur le duc d'Alençon et le fait condamner par le parlement. Il va tenir à Vienne les états du Dauphiné (1456). Depuis l'assemblée d'Orléans (1440) qui a consenti la taille perpétuelle, il n'y a plus trace d'assemblée ; Charles VII gouverne seul. Comment a-t-il pourvu aux frais immenses de la guerre ? Avec la taille, impôt élastique, augmenté suivant les besoins. Elle n'a pas même suffi ; comme ses devanciers, il tombe sur les gens de finance qui se sont engraissés de la misère publique. Le fameux Jacques Cœur, son argentier, surintendant (les finances, et Jean Xancoins, receveur général, sont condamnés, leur énorme fortune est confisquée. L'état profite peu de ces confiscations, elles sont la proie des courtisans, des favoris. La noblesse s'enrichit de la dépouille des vilains. C'est une manière de voler les voleurs. Affaibli par la volupté, l'âge, l'agitation d'un long et pénible règne, Charles VII craint le poignard, le poison, n'ose plus prendre d'aliments, et meurt de faim (1461). |
[1] Des historiens parlent en effet d'étals généraux convoqués à Bourges par suite de ceux d'Orléans. Les députés y attendent en vain le roi pendant six mois. La plupart sent pillés par les escortes qu'on leur donne pour leur sûreté. Il s'élève beaucoup de clameurs contre le roi.