HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME PREMIER

 

JEAN.

 

 

Le comté de Toulouse, le Dauphiné et le Roussillon n'avaient été réunis à la couronne qu'à condition d'être toujours gouvernés suivant leurs propres lois et par leurs états sous les ordres d'un lieutenant général. Lorsque le roi Jean monta sur le trône, le royaume se partageait donc en deux grandes divisions, la Langue d'oc au midi, la Langue d'oïl au nord. Elles étaient séparées par la Garonne depuis son embouchure jusqu'au bec d'Ambez où elle reçoit la Dordogne, et par cette rivière jusqu'aux frontières de l'Auvergne. Le roi d'Angleterre, maître de la Guienne et de quelques pays circonvoisins, possédait environ la moitié de la partie méridionale de la France. La Normandie et la Picardie composaient la plus grande partie de la Langue d'oïl, la Bretagne et la Bourgogne n'étaient pas soumises immédiatement au roi. Les états généraux de la Langue d'oc et de la Langue d'oïl étaient convoqués séparément.

La guerre et ses revers avaient appauvri et découragé la France. L'altération des monnaies avait fait disparaître l'argent. Le commerce extérieur, qui avait pris un grand développement dans le mue siècle, était anéanti, l'agriculture ruinée, toute source de prospérité tarie. Cependant la trêve avec les Anglais est rompue, on se prépare à la guerre. Pour subvenir à ses dépenses, il fallut recourir à la nation. Soit par respect pour le principe, soit par le sentiment de son impuissance, la royauté n'établit pas d'impôt. A peine revenu de son sacre, le roi Jean convoque à Paris, par lettres du 20 novembre 1350, pour le 16 février suivant — l'année commençait alors à Pâques —, les prélats, ducs, comtes, barons et les députés des bonnes villes, pour se servir de leurs conseils et délibérer avec eux sur tout ce qui peut contribuer à la félicité de ses sujets.

Le motif de la convocation est vague ; mais on n'ignore pas que le véritable but est d'obtenir de l'argent. En conséquence les états de la Langue d'oc s'assemblent à Montpellier ; les villes délibérèrent d'offrir au roi un subside de 50.000 livres tournois payable dans le cours de l'année. Ce vote lui est apporté par les procureurs des cités, villes et châteaux des plus considérables, au nombre de vingt. Ils stipulent que leur offre n'engage chaque ville que pour son contingent, sans solidarité entre elles. Le roi accepte le subside. Il est probable que le clergé et la noblesse ne furent pas moins généreux que les villes ; aucun document ne le constate.

Quant aux états de la Langue d'oïl, le clergé fit son offre de subside et traita avec le roi. Les députés des villes alléguèrent le défaut de pouvoirs. La noblesse employa le même argument. Dès lors ces états généraux devinrent inutiles. Il est même probable que, se défiant d'une grande assemblée, le roi préféra traiter avec des assemblées provinciales. Il est donc décidé que les députés iront dans leurs provinces demander des pouvoirs, et même, sous prétexte d'épargner les frais de leur retour à Paris, le roi assemble les états provinciaux. On commence par la Normandie. Deux commissaires du roi, membres de son conseil, ou baillis, convoquent à Pont-Audemer, au 22 mars, les barons, nobles et communautés des bonnes villes du duché, pour procéder à l'imposition du subside, à la manière de le lever, pour réformer sur-le-champ et sans appel tous les abus qui peuvent s'être glissés dans ce duché, et réprimer et punir les excès et extorsions commis par les officiers royaux.

Une grande quantité de gens de la ville de Rouen et des autres bonnes villes de Normandie se rendent à Pont-Audemer. Les commissaires royaux exposent le sujet de l'assemblée, et demandent une réponse. Les députés réclament un délai de deux jours pour délibérer, ce qui leur est accordé.

Le délai expiré, les députés, après avoir fait une longue énumération des pertes souffertes par les guerres, les mortalités, les mutations des monnaies et les subsides précédemment payés, et exposé leurs griefs contre les officiers royaux, accordent une imposition sur les ventes de six deniers par livre pour un an, à commencer du 1er mai. Les commissaires font plusieurs règlements pour réformer les abus dont les députés se sont plaints.

Les nobles comparaissent aussi et consentent à ce que l'aide de six deniers soit levée sur leurs hommes justiciables dans leurs terres et dans leurs villes ; à condition qu'elle sera également perçue dans les domaines des princes, et que tous les seigneurs laïques et ecclésiastiques en seraient exempts dans les ventes qu'ils feront des productions de leurs terres. Prêtres et nobles ne sont généreux qu'aux dépens du peuple. Les commissaires accordent quelque satisfaction aux griefs exposés par les nobles. Le roi confirme ce traité par une ordonnance.

Outre l'aide de six deniers pour le roi, il est établi une imposition de huit deniers sur la ville de Rouen et à son profit. Ce double impôt soulève le peuple, déjà épuisé et foulé par les officiers royaux, ainsi que les députés des bonnes villes l'avaient exposé à l'assemblée provinciale. Le commun de la ville de Rouen consent à payer les six deniers, mais il refuse de payer les huit deniers. Les grands bourgeois veulent le contraindre ; il s'élève une grande rumeur entre les grands bourgeois et le commun qui leur fait certaines injures, vilenies et désobéissances. Le roi envoie des commissaires qui naturellement donnèrent tort au commun et en punirent plusieurs du dernier supplice.

L'évêque de Laon, conseiller du roi et son commissaire, rassemble les nobles, communes, échevinages et autres gens des villes du bailliage de Vermandois, pour qu'ils veuillent faire aide convenable. Ils octroient et accordent gracieusement pour le fait de la guerre une imposition de six deniers pour livre en la manière, sous les modifications et conditions rappelées dans l'ordonnance royale qui confirme ce traité ; car c'en est un véritable. On y fait l'énumération des marchandises dont le prix à toutes les ventes est passible de l'imposition. L'aide doit être affermée ; elle sera levée par deux prud'hommes élus par le conseil des nobles et des bonnes villes ; elle sera perçue seulement pendant l'an 1351, et cessera immédiatement si la paix se fait dans le courant de l'année.

En revanche, le roi promet toutes les réformes qui lui sont demandées ; il consent à la suppression de toutes les garennes nouvellement établies. Il exempte les habitants des villes et les sujets des nobles de tout service personnel dans les armées. Il redresse une partie des abus dont on se plaint dans l'administration de la justice.

De semblables traités sont faits avec les états d'autres bailliages de la Picardie et ceux des provinces d'Anjou, du Maine, d'Auvergne, du Limousin, etc., seulement avec quelques différences dans la nature et la quotité du subside.

Il ne s'agit pas ici d'impôts pour subvenir aux dépenses ordinaires de l'État, La royauté a, pour les acquitter, les domaines de la couronne. C'est une aide ou subside qu'elle demande pour une dépense extraordinaire. La nation peut l'octroyer ou le refuser. Ceux qui parlent pour elle sont juges de l'opportunité, du mode, de la quotité, de la durée. Les subsides n'étant accordés que pour un an, et la guerre continuant, il faut que chaque année le roi en demande la prorogation aux assemblées provinciales, et qu'on renouvelle les mêmes formalités. En général la prorogation est accordée. Cependant il devait y avoir quelques esprits récalcitrants, puisqu'on voit le roi, dans ses lettres à ses commissaires, leur ordonner d'ajourner devant lui ceux qui s'opposeraient à ses intentions. Pour rendre les assemblées plus dociles, il ne manque pas aussi d'annoncer qu'il donne à ses commissaires le pouvoir de redresser les griefs articulés contre ses officiers. Il aurait dû commencer par se redresser lui-même. Les subsides ne lui suffisent pas. Pour avoir de l'argent il continue le système de son père sur les monnaies, et le surpasse. Il est le plus impudent faux monnayeur qui ait occupé le trône. Comme son père, il ordonne à ses officiers de garder le secret sur la falsification des monnaies, et de les frapper aux anciens coins afin que les marchands ne s'en aperçoivent pas. Il fait plus : à défaut par ses officiers de suivre ses ordres, ils seront regardés comme traîtres et punis d'une manière exemplaire. Quant à la justice dont la royauté se prétend la source la plus pure, voici comment elle est rendue par le roi Jean : Le comte d'Eu, connétable, revient d'Angleterre où il était prisonnier, il est Arrêté ; le roi le fait en sa présence décapiter la nuit, sans forme de procès, comme suspect d'intelligence avec les Anglais. Ce n'est, il est vrai, qu'une peccadille au prix de l'exécution des douze seigneurs bretons auxquels son père, sans plus de cérémonie, fit couper la tète. Mais il n'en restera pas là. Voilà le Jean qu'on appelle le Bon, mélange de cruauté et de bonhomie, de faiblesse et d'orgueil, de bravoure et d'impéritie.

Un prince, Charles, roi de Navarre, joue. un grand rôle à cette époque. Il réunissait les qualités les plus brillantes : l'esprit, l'éloquence, la libéralité, l'adresse et l'audace. Tous les historiens en rendent témoignage, et cependant l'histoire lui a donné le nom odieux de Mauvais. Elle l'accuse d'avoir ambitionné la couronne de France, et conspiré contre le roi Jean, son beau-père, qui créa pour sa sûreté une garde à pied et à cheval, innovation que les Français prirent pour une injure ; elle l'accuse de s'être allié avec les Anglais pour démembrer le royaume. Lorsque Édouard d'Angleterre menaçait la race des Valois, il n'est pas étonnant que Charles, descendant par sa mère de Louis le Hutin, et par son père de Philippe le hardi, se préparât à faire valoir ses droits. Ce prince en avait sur les comtés de Brie, de Champagne et d'Angoulême ; suivant la politique des rois, ses prédécesseurs, Jean voulait réunir ces provinces à sa couronne, et éludait de satisfaire son gendre. C'était une continuation du combat entre la féodalité et la royauté. Au lieu d'user de ménagements envers un prince du caractère de Charles, Jean l'irrita, le poussa à la révolte, et lui fit rechercher l'appui des Anglais. Le roi Édouard ne le seconda que pour entretenir les troubles intérieurs de la France ; Charles n'abdiqua pas sa nationalité française. Dans un temps où les seigneurs et les grands vassaux fatiguaient le pays par leur turbulence, il ne lui fit pas tout le mal qu'il aurait pu lui faire, et il ne profita pas des chances que la fortune offrit à son ambition ou à sa vengeance.

Retiré dans son comté d'Évreux, Charles, avec une centaine de cavaliers, attaque le connétable Charles de la Cerda, favori du roi Jean, dans son château de l'Aigle, et le fait poignarder dans son lit (1354). Il ose avouer ce meurtre et s'en justifier par des lettres au conseil du roi et aux bonnes villes. Il rassemble des troupes, fortifie des places, et sollicite, dit-on, tous les princes voisins à une ligue contre la France. Le roi Jean dissimule, le flatte pour l'attirer à Paris, et lui envoie une ambassade de seigneurs. Charles fait ses conditions. On lui accorde des terres pour la valeur de la Brie et de la Champagne, l'indépendance de son comté d'Évreux de tout autre que du roi, l'absolution pure et simple de ceux qui avaient tué le connétable, une forte somme d'argent, et le comte d'Anjou, second fils du roi, en otage. Avec ces sûretés, il comparait au parlement de Paris. Le roi y tenait son lit de justice, accompagné des pairs, du légat, et de quelques prélats. Charles de Navarre demande pardon dans un discours étudié, mêlé de plaintes et d'excuses. Le nouveau connétable, Jacques de Bourbon, l'arrête seulement pour la forme, et le conduit dans une chambre voisine tandis qu'on délibère. Ensuite on le ramène, à la prière des reines, veuves de Charles le Bel et de Philippe de Valois. Le légat lui fait une grave remontrance, le roi le déclare absous.

Peu de jours après, il se retire en Normandie. Il en sort sans congé du roi, passe par Avignon, et va en Navarre. On lui reproche d'ourdir des intrigues en attendant que l'Anglais se mette en campagne. Le roi Jean rentre en Normandie, et fait saisir les terres de Charles. Il revient de Navarre par mer, débarque à Cherbourg avec des troupes, et ravage la Normandie. On craint une descente des Anglais. On juge à propos d'user d'adresse envers le Navarrais. Charles, fils aîné du roi, et le premier dauphin de sa race, l'amadoue, l'apaise, au moins en apparence, et l'amène à Paris.

Pendant quatre ans, le roi a fatigué les provinces par ses demandes réitérées de subsides ; ce système est précaire, et entraîne beaucoup de frais et de perte de temps. C'est une ressource épuisée. Cependant la guerre avec les Anglais devient de jour en jour plus ruineuse. Les nobles se lassent de la faire à leurs frais, ils veulent être soldés. Le danger est pressant. Un effort de toute la nation est indispensable. Le roi convoque à Paris, au 30 novembre 1355, les prélats, chapitres, abbés, couvents, ducs, comtes, barons, chevaliers, bourgeois et habitants des cités, châteaux, et bonnes villes, tant de la Langue d'oïl que du pays coutumier. Pour la première fois, les actes donnent à cette assemblée le nom des trois états généraux. Désormais nous l'emploierons.

Ils s'assemblent au palais, le roi en fait l'ouverture. Son chancelier, Pierre de la Forêt, archevêque de Rouen, expose que le roi est engagé dans une guerre longue et cruelle ; qu'il ne l'a entreprise ni pour sa propre gloire ni ses intérêts particuliers, mais pour le salut de ses peuples et la défense de son État ; que c'est aux peuples à lui fournir les moyens de la soutenir ; que le conseil a reconnu, non-seulement l'insuffisance, mais le danger des opérations sur les monnaies ; il promet, au nom du roi, de rie plus employer ces moyens ruineux, si on lui en présente de meilleurs.

Il est répondu, au nom du clergé, par l'archevêque de Reims ; de la noblesse, par Gaucher de Brienne, connétable ; des bonnes villes, par Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, qu'ils sont tous prêts à vivre et mourir pour le roi, et à mettre à son service leurs biens et leurs personnes. Ils déclarent en même temps qu'ils ont divers griefs généraux et particuliers, sur lesquels ils demandent qu'il soit statué pour l'avantage du roi et de tout le royaume. On commence par délibérer sur les besoins de la guerre. On vote l'entretien, pendant un an, de trente mille hommes d'armes, la somme énorme de 6.000.000 de livres parisis pour cette dépense, à percevoir au moyen de l'impôt sur le sel et d'un droit de huit deniers pour livre sur toutes les ventes de denrées et marchandises. Le roi oppose en vain l'insuffisance de ce fonds, et demande l'établissement d'une capitation générale. C'est l'origine de la taille, impôt maudit par le peuple pour son élasticité, sa perception vexatoire, et dont il porte seul la charge. Les états s'ajournent au 1er mars pour entendre le compte des deniers et compléter le subside, s'il est reconnu insuffisant.

Les états n'en restent pas là. On est tellement révolté des exactions et malversations des trésoriers et officiers du roi, et des dilapidations de la famille royale et des courtisans, que les mesures les plus sévères sont prises pour leur ôter le maniement et l'administration des deniers ; du reste, ce n'est pas une nouveauté, c'était un droit reconnu aux états par Louis le Hutin. L'assemblée arrête aussi plusieurs dispositions pour réprimer une foule d'abus qui désolent et ruinent le pays. Voici les principales de ces dispositions :

L'établissement de la gabelle sur le sel, d'une aide de huit deniers pour livre de toutes les ventes, excepté des héritages, payables par tous vendeurs, sans exception de personne, pas même du roi, de la reine, des princes de leur famille.

Nulle délibération des états valable, si elle n'est consentie par les trois ordres, le vote de deux ne pouvant obliger le troisième.

Nomination par les états de députés dans les provinces, pour y ordonner du fait des aides, et de neuf surintendants généraux, trois de chaque ordre, pour en juger souverainement, chacun pour ceux de son ordre.

L'emploi au fait de la guerre des deniers imposés, sans que le roi, ni ses gens puissent les toucher ; ni la distribution en être faite aux gens d'armes que par les députés des états.

Le roi, la reine, ses enfants, les princes de son sang, et tous ses officiers jureront de ne pas divertir les deniers. Les députés feront serment de n'obéir à aucun mandement contraire, de résister à toutes violences à ce sujet, et même d'implorer l'assistance des bonnes villes circonvoisines.

Attribution au parlement de la connaissance des désaccords entre les surintendants généraux au sujet de leur administration.

L'audition des comptes de recette et dépense par-devant le conseil du roi, sur le rapport des députés des états.

L'emploi du reste des deniers aux besoins des pays où ils auront été levés.

Réunion des états de plein droit dans un an, le 30 novembre 135G. Amélioration et fabrication de nouvelles monnaies.

Permission aux prélats, nobles et cités d'avoir chacun un étalon ou patron desdites monnaies, ne varientur.

L'observation des règlements sur les monnaies sera assurée par promesse en bonne foi du roi, de son fils aîné, de ses autres enfants, de ceux de son sang et lignage, et par serment sur les Évangiles de son chancelier, des gens de son grand conseil, de ses comtes, trésoriers, gardes et autres officiers des monnaies.

Cessation des prises de denrées tant pour le roi, la reine, son fils aîné, ses autres enfants, etc., que pour ses lieutenants, chancelier, connétable, maréchaux, maîtres des arbalétriers, maître d'hôtel, amiraux, maîtres des garnisons, châtelains et châtelaines, ou autres officiers quelconques.

Cessation des emprunts.

Prohibition de la cession de droits litigieux à des personnes puissantes.

Faculté de se pourvoir au parlement contre le maître d'hôtel du roi, s'il donne des committimus pour distraire les parties hors de leurs bailliages et juges naturels.

Fixation de la juridiction des maîtres des requêtes, du connétable, des maréchaux, des maîtres des eaux et forêts.

Prohibition aux officiers royaux de marchander ou faire marchander (commercer), y compris ceux du grand conseil, parlement, hôtel du roi, des comptes, trésoriers, receveurs et secrétaires du roi et le clerc de la marchandise de Paris.

Exécution des contrats nonobstant toutes lettres d'état ou répit. Faculté de faire arrière-ban restreinte à la personne du roi et de son fils aîné.

Non-payement des gens d'armes par les peuples.

Obligation à un chacun de faire montre année et publiquement avec les chevaux signés et marqués, pour éviter fraude, même aux princes du sang, des fleurs de lis ou autres.

Prohibition des montres par cédules ou par assertion de sa parole. Révocation des droits prétendus par les chefs sur les butins et pilles.

Châtiment des soldoyers tant gens de cheval que de pied, qu'on est contraint de faire venir de l'étranger, s'ils pillent ou robent.

Résolution du roi de ne point faire de trêves avec ses ennemis, pour ne leur point donner relâche.

Infatué de la puissance illimitée de la couronne, le roi a de la peine à recevoir une loi aussi dure. Il est surtout vivement blessé de ce qu'on lui enlève le maniement des deniers votés pour la guerre. C'est à la fois attenter à un droit de la royauté, entacher la probité du roi et couper court aux prodigalités et dilapidations. Le roi fait violence à ses sentiments et cède à la nécessité. Par la célèbre ordonnance du 28 décembre 1355, publiée au Châtelet le 22 janvier suivant, il convertit en loi toutes les dispositions votées par les états.

Des historiens les ont regardées comme le premier essai d'usurpation du pouvoir royal par les états ; d'autres ont comparé cette ordonnance à la fameuse charte obtenue par les Anglais. C'est, on ne peut le contester, un monument très-remarquable. Jusque-là l'assemblée des états ne délibérait que sur l'initiative des rois. Elle n'était pour eux qu'un grand conseil, un conseil extraordinaire dont ils n'étaient pas obligés de suivre les avis. Ils ne lui reconnaissaient tout au plus que la faculté de consentir à leurs propositions, et qu'un seul droit dont ils se jouaient impunément, celui de voter des aides. Ici les états prennent l'initiative sur une foule d'objets, décident souverainement et s'ajournent à terme fixe. Cet ajournement est une grande innovation. Jusque-là les états ne s'assemblaient que sur la convocation du roi ; il les renvoyait quand il le jugeait convenable, les députés n'étaient plus rien. Maintenant ils prolongent eux-mêmes leur existence, il n'y pas de raison pour que de prorogation en prorogation ils ne deviennent pas un corps permanent, se réunissant périodiquement. On est sur la voie des législatures constitutionnelles. Les états établissent la nécessité du consentement de chacun des trois états ou leur unanimité pour la validité des délibérations. Ils ne se bornent pas à accorder l'aide suivant la maxime fondamentale, qu'elle ne peut être levée sans le consentement de la nation ; ils l'établissent également sur tous les Français, sans égard pour aucun privilège, sans excepter le roi. Ils exigent que le compte des recettes et dépenses leur soit rendu au bout de l'année, ainsi que cela s'est pratiqué depuis dans les gouvernements constitutionnels. Ils font plus : en s'attribuant la levée et l'emploi d'une aide, ils s'emparent réellement de l'administration des nonces. Ils prohibent, ils ordonnent, ils statuent en toutes sortes de matières du domaine de la législation et de haute police, sur les monnaies, les réquisitions de denrées faites par la cour et ses officiers pour leur consommation, sur les juridictions, les distractions de juges, l'inviolabilité et l'exécution des contrats, les arrière--bans, les montres, les désordres commis par les gens de guerre. Ils imposent au roi, à sa famille, à ses officiers des promesses et des serments de ne plus divertir les deniers publics, d'observer les règlements sur les monnaies, c'est-à-dire de n'être plus voleurs et faux monnayeurs.

Parmi les historiens, les uns, dévoués à l'omnipotence royale, ont condamné ces entreprises (les députés de la nation ; les autres, partisans zélés de la liberté, les ont déplorées comme faites prématurément. Il leur semble qu'elles sont sorties subitement du cerveau de députés ignorants, étourdis, factieux et usurpateurs. Elles sont, au contraire, le legs de plusieurs siècles, le règlement d'un compte depuis longtemps ouvert entre le peuple et la royauté, et que jamais elle n'a pu ou voulu sérieusement solder. C'est dommage que l'humanité ne marche pas méthodiquement au gré de l'écrivain qui prétend la réglementer dans son cabinet. Elle obéit à des lois dont l'action n'est pas régulière ; elle n'est pas libre de s'arrêter, de choisir son moment ; elle avance, elle recule, ses défaites retardent, et n'empêchent pas ses progrès.

Le régime féodal formait au dixième siècle un état social complet. Attentatoire aux droits de l'humanité, il ne s'était pas établi sans opposition. Il eut contre lui les rois et le peuple, non pas précisément ligués dans le même intérêt, mais agissant toujours contre l'ennemi commun. L'action du peuple se manifesta par les associations, les conjurations, le soulèvement des paysans de la Normandie, de la Bretagne, du Maine, et la révolution communale. Les rois et les seigneurs s'accordèrent pour réprimer les mouvements populaires. En opposition à la féodalité, les rois élevèrent légalement le peuple par les affranchissements, les libertés et privilèges accordés aux cités, l'admission des bonnes villes dans les conseils nationaux, la prépondérance des légistes roturiers dans les tribunaux ; enfin par la création du tiers état appelé par Philippe le Bel avec le clergé et la noblesse aux états généraux. On ne peut le méconnaître, en France, le peuple était constitué. En même temps, dans d'autres pays, il s'agitait et donnait de grands signes de vie, notamment dans ces riches et puissantes villes de Flandre dont la population roturière lutta, non sans succès, avec la fleur de la noblesse. Pendant ce mouvement du peuple qui durait depuis trois cents ans, l'esprit humain s'était nécessairement éclairé et avait fait des progrès. Les états généraux le prouvent par les réformes qu'ils ont la hardiesse de proposer. Pouvaient-elles réussir ? qu'importe. Ils ne sont, que les organes des besoins et des opinions de leur époque. Sans doute, avant d'atteindre le but vers lequel il est poussé et marche, le peuple aura encore longtemps à subir de rudes déceptions et de cruelles épreuves ; sans doute à chaque pas, à chaque revers, il sera plaint, blâmé, accusé, flétri. Plaintes inutiles, blâmes superflus. Lorsqu'il souffre, comment resterait-il immobile ? Ses oppresseurs le voudraient bien ; mais ils ne peuvent l'arrêter. Lui-même, il ne peut rester stationnaire.

Dans les réformes votées par les états, des historiens ne voient qu'une entreprise du tiers état qui, après avoir balancé le crédit de la noblesse, discuta les droits et attaqua les limites de la souveraineté royale. Si cela était, il en aurait à lui seul le mérite ; mais rien ne prouve que les trois états ne fussent pas d'accord. Cette célèbre assemblée n'entendit pas sans doute faire une division systématique des pouvoirs, ni une institution constitutionnelle. On n'avait à cet égard que des notions très-imparfaites. La plupart des réformes étaient de législation ; il y en avait aussi, par leur nature, de fondamentales et permanentes. Elles révélaient déjà, à travers quelques erreurs en administration, des idées assez avancées sur les droits du peuple, l'exercice de la souveraineté, son partage, les intérêts nationaux. C'était, sans contredit, une conquête importante ; malheureusement les états ne prennent aucun moyen de l'assurer et de la garantir. Ils ont l'imprévoyance de s'en rapporter au roi, qui certainement, au moment où il signe, où il jure ce pacte solennel entre la nation et le trône, se promet de le fouler aux pieds dès qu'il le pourra impunément. C'est ce qui arriva.

Suivant qu'on en était convenu, l'assemblée des états se réunit d'elle-même à Paris le 1er mars. Elle n'est plus aussi complète ; il y manque un assez bon nombre de députés de Normandie et de Picardie. On attribue leur absence aux intrigues du roi de Navarre. C'est aussi lui, dit-on, qui avait excité les états à exiger du roi Jean les réformes consacrées par l'ordonnance du 28 décembre. De la part de ce prince, tant de patriotisme serait méritoire, mais il n'est pas probable. Une assemblée nationale était seule capable de stipuler ainsi pour l'intérêt général. Pans cette seconde session, les états reconnaissent que les produits du subside qu'ils ont voté ne suffisent pas pour les dépenses de la guerre. Beaucoup de pays ont refusé de se soumettre à la gabelle et au droit de huit deniers, encore à l'instigation du roi de Navarre, sur lequel on rejette tout ce qui arrive de mal. La justice royale agit militairement contre les récalcitrants. A Arras, le maréchal d'Endreghen en fait décapiter une vingtaine. Les états remplacent les subsides par la capitation ou taxe personnelle, que précédemment le roi leur avait proposée. Ils la fixent ainsi : pour 100 livres de revenu I livres, au-dessous de 100 livres 40 sols, et 20 sols au-dessous de 40 livres. Personne n'en est exempt. Les laboureurs, manouvriers, serviteurs y sont assujettis à raison de 10 sols pour 100 sols de revenu ou de gages.

La Normandie n'ayant pas voté dans l'assemblée des états généraux, le roi Jean envoie dans cette province, comme son lieutenant, son fils le dauphin. Il tient au château du Val de Rueil une assemblée des états ; ils lui accordent trois mille hommes d'armes pour trois mois.

Néanmoins le roi Jean veut se venger de la résistance de la Normandie sur le roi de Navarre et ses amis auxquels il l'impute. Avec le dauphin, il prépare à Rouen le plus lâche guet-apens. Le jour est pris, le dauphin les invite à dîner. Le roi chevaleresque part d'Orléans avec une centaine de cavaliers, chevauche pendant trente heures, entre dans le château, trouve les convives à table, se jette sur le roi de Navarre : Sur l'âme de mon père, dit-il, je ne pense jamais à boire et à manger tant comme tu vives. Et poussant brutalement les autres seigneurs : Avant ! traîtres orgueilleux, passez en prison. Le comte d'Harcourt et trois gentilshommes sont mis sur une charrette, menés hors de la ville, et décapités sans aucune forme de procès. Le roi de Navarre est envoyé, sous bonne garde, au Château-Gaillard-d'Andelys, d'où, traduit de prison en prison, et souvent menacé de mort, il est enfermé au château d'Arleux en Cambrésis.

Pour justifier cette violence, on accuse le roi de Navarre d'avoir conclu un traité avec l'Angleterre. Le roi Édouard le nie formellement dans un manifeste ; on n'a jamais produit ce traité. Quel est le crime pour lequel Jean, dit le Bon, expédie si brutalement le comte d'Harcourt et ses amis' ? Ils sont accusés d'avoir, dans l'assemblée de Rueil, tenu des discours injurieux au roi, et de s'être opposés à ce que l'aide fût accordée. Voilà comment le roi Jean respecte la liberté des suffrages ! Sa déloyale vengeance soulève la Normandie. Philippe, frère du Navarrais, et Geoffroi, frère du comte d'Harcourt, ont bon nombre de places dans cette province. Pour venger leurs frères, ils appellent les Anglais et commencent la guerre. Le roi Jean marche en Normandie. Édouard, prince de Galles, sort de Bordeaux, entre en campagne, ravage le Languedoc, et s'avance, comme un torrent, dans le Rouergue, l'Auvergne, le Limousin, le Berri, jusqu'aux bords de la Loire. Le roi Jean vient enfin au-devant du prince avec une nombreuse armée. Les deux armées se trouvent en présence. L'Anglais aux abois offre de rendre tout ce qu'il a pris, et de ne plus servir pendant sept ans contre la France. Le roi refuse, et veut que le prince se rende prisonnier. Que le roi attende un jour, deux jours, l'année anglaise n'a pas le moyen de vivre, elle est tout entière à lui. Mais non, impatient, présomptueux, ignorant les premiers principes de la guerre, il veut combattre, enlever l'armée ennemie de vive force, et va s'abîmer, lui, la chevalerie et son armée, dans les retranchements des Anglais. Troisième défaite de l'armée féodale.

La bataille de Poitiers (19 septembre 1356) change toute la face des choses. De toute la famille royale, le fils aîné du roi, duc de Normandie et dauphin, est sorti seul de cette honteuse bagarre ; il s'est sauvé et enfui du champ de bataille ; il revient à Paris, et prend le titre de lieutenant du roi. C'est un jeune homme de dix-neuf ans, d'une faible complexion, d'un caractère pacifique, peu expérimenté dans les affaires, et nullement en état, dit Froissard, de soutenir le poids du gouvernement, surtout dans la situation où les folies du roi ont jeté le royaume. Le dauphin et des fuyards de Poitiers portent l'épouvante à Paris. Les Anglais victorieux sont sur leurs talons ; rien ne peut les empêcher d'entrer dans la ville et de conquérir la France. Qui les sauvera ? Ce ne sera pas le dauphin ; ce ne sera pas la noblesse, elle est restée sur le champ de bataille. Les nobles qui ont échappé sont honnis dans toute la France. D'abord les Anglais, encombrés par les trophées de leur victoire, n'en ont pas poursuivi le cours. Ensuite il se trouve heureusement à Paris des hommes de tète et de cœur qui ne désespèrent pas de la patrie ; ce ne sont ni des princes, ni des seigneurs, ce sont des roturiers, des bourgeois. Parmi eux s'élève au premier rang le chef de la magistrature municipale, le prévôt des marchands, Étienne Marcel, grand citoyen, trop grand peut-être pour son temps. Au lieu de gémir et de se lamenter, il se met à la tête des affaires ; il relève les courages, et pourvoit à la sûreté de la capitale. Les historiens l'on flétri comme un factieux, instrument du roi de Navarre, conspirant avec Charles et pour lui contre la dynastie royale. La conduite de Marcel ne fut pas irréprochable ; mais son grand crime fut d'avoir pris en main la cause du peuple, et d'avoir cru que le moment était venu de compléter et d'assurer la réforme générale commencée l'année précédente par les états généraux, sous son inspiration, et acceptée par le roi. Plus juste que les autres historiens, Mézeray dit que le zèle de Marcel pour la liberté publique, trouvant de trop fortes oppositions, dégénéra — peut-être malgré qu'il en eût — en une faction manifeste et très-pernicieuse.

Dans l'assemblée des états du 30 novembre 1355, il avait été décidé qu'ils se réuniraient le même jour en 135G. On n'en était pas loin ; mais, depuis la bataille de Poitiers, il n'y avait pas un moment à perdre, l'urgence était grande. Le dauphin convoqua, le 29 septembre, les états de la Langue d'oïl à Paris, au 15 octobre, afin de pourvoir au gouvernement et à la délivrance du roi. La session fut ouverte le 17, dans la chambre du parlement, en présence du dauphin. On a remarqué que l'assemblée était très-nombreuse ; elle ne devait pas l'être plus que celle de 1355 ; il n'y avait pas eu de nouvelles élections, c'étaient les mêmes députés. Ils étaient plus de huit cents ; savoir, pour le clergé, un grand nombre d'archevêques, d'évêques en personne, et plusieurs suffisants et sages personnages procureurs d'autres évêques, une très-grande quantité d'abbés mitrés et autres, et de procureurs d'autres abbés, de chapitres, doyens, archidiacres, desquels plusieurs étaient maîtres en divinité, en décret, et seigneurs en lois ; pour l'état des nobles, plusieurs des seigneurs des fleurs de lis, ducs, comtes, barons et chevaliers en très-grand nombre ; pour les bonnes villes, grande quantité et multitude de très-sages et notables hommes, au nombre de plus de quatre cents, parmi lesquels deux maîtres en divinité.

Dans un discours d'ouverture, le chancelier Laforêt expose la conduite du roi, comment, après avoir vaillamment combattu, il a été fait prisonnier ; il demande aide et conseil, tant pour la défense et le gouvernement du royaume que pour la délivrance du roi. Jean de Craon, archevêque de Reims, pour les gens d'église ; Philippe, duc d'Orléans, frère du roi, pour les nobles ; Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, pour les bonnes villes, demandent le temps de délibérer. Le dauphin s'entretient avec les députa de la manière la plus gracieuse.

Les états tiennent séance aux Cordeliers, chaque état séparément. Loin de plaindre le roi, on l'accuse d'avoir, par orgueil, mépris des conseils et précipitation, perdu son armée, causé la mort de six mille hommes, l'élite de la nation, les plus grands seigneurs, et d'avoir livré sa personne à la merci des Anglais. Quant au dauphin, on lui reproche d'avoir le premier abandonné son père sur le champ de bataille, et pris honteusement la fuite. On reproche à la famille royale, aux courtisans, aux officiers royaux, le poids excessif des impôts, les rigueurs apportées dans leur levée, les dilapidations, ies prodigalités. Les trois états, quoique divisés d'intérêts, sont d'accord pour éclater en murmures et en imprécations. Les députés des communes, qui n'espèrent rien de la faveur royale, expriment avec le plus d'amertume leur indignation. Les débris de l'armée se répandent dans la campagne, demandant des vivres les armes à la main, et portent partout le ravage et la désolation.

Après huit jours passés en vaines discussions, les états décident que chaque état nommera un certain nombre de députés pour examiner et ordonner comment le royaume sera gouverné jusqu'à la délivrance du roi ; pour savoir ce qu'est devenu le grand trésor levé dans le royaume, et rédiger des projets pour être soumis à l'assemblée générale. Sur le nombre des membres de ce comité, on varie de cinquante à quatre-vingts ; ils jurent sur les Évangiles de remplir leur mission loyalement, sans crainte, convoitise, ambition, à l'honneur de Dieu, du roi, de la France.

Des conseillers du roi, envoyés par le dauphin, se présentent avec la prétention d'assister aux séances du comité et des états ; on leur déclare qu'on ne travaillera pas en leur présence ; ils se retirent et ne reparaissent plus.

Le comité s'assemble pendant quinze jours sans interruption ; il recherche tous les abus existant dans l'état du prince, dans sa maison, dans toutes les branches du gouvernement et de l'administration ; il s'occupe, en premier lieu, des conseillers du dauphin, pour que ce prince, jeune d'âge, ait dans son conseil des gens sages, discrets, puissants, craignant Dieu, véritables et loyaux, haïssant l'avarice.

Le comité détaille les abus. Depuis le commencement des guerres, le peuple a souffert des exactions infinies par les impositions de toute espèce, par les prises sans payer de denrées, chevaux, chariots et autres choses. Toutes ces ressources, loin de tourner au profit, à l'honneur et à la bonne défense du royaume, n'ont servi qu'à enrichir les gouverneurs et les officiers. En prenant les rênes de l'État, le roi a accordé sa confiance à certains individus, formant une coalition, par lesquels il a été gouverné. Cette coalition a nommé par amitié, faveur et corruption, des baillis, sénéchaux, prévôts, vicomtes, receveurs, etc. Ces officiers, par ignorance, négligence, et leurs malversations, ont fait beaucoup de mal au peuple. La protection dont ils jouissent à la cour a empêché qu'on osât porter des plaintes, ou qu'on fît droit à celles qui ont été portées. Les deux ou trois grands seigneurs qui se sont emparés du gouvernement n'y peuvent suffire. Il en résulte de grands maux et vilenies. Les affaires ne s'expédient pas : les chevaliers, écuyers et bourgeois, qui s'adressent à la cour, sont obligés de vendre leurs chevaux et courriers, de s'en aller sans avoir rien obtenu, et si mécontents, que de Français ils deviennent Anglais, et livrent leurs forteresses et châteaux aux ennemis.

Quelques-uns des grands gouverneurs et officiers du royaume ont eu de grands dons du roi et des sujets, sans motif, contre raison, et ont, eux et leurs adhérents, commis beaucoup d'injustices et causé beaucoup de maux.

Quand les trois états ont accordé des aides, loin d'exécuter les conventions et de tenir les promesses contenues dans les lettres royales, les gouverneurs et officiers ont fait tout le contraire.

L'Église a souffert tant d'oppressions et de griefs, malgré la volonté du roi de défendre ses droits et ceux de tous ses sujets, que le récit en serait trop long.

Pour remédier à tous les abus, le comité est d'avis de donner au dauphin les conseils suivants :

Nommer, par le conseil des trois états, quelques grands, sages et notables du clergé, des nobles et des bourgeois, anciens, loyaux et mûrs, lesquels seront continuellement près du dauphin pour le conseiller ;

Examiner les dons du domaine, faits depuis le temps de Philippe le Bel, pour révoquer ceux qui auraient été faits sans justes motifs et en fraude ;

Élire dans les trois états un certain nombre, que le dauphin jugera convenable, de personnages notables, puissants, sages, prud'hommes et loyaux, qui résideront à Paris pour le grand et secret conseil que lé dauphin convoquera, quand il lui plaira, pour le conseiller, et qui, chaque jour, dès le soleil levant, se réunira pour dépêcher les affaires du gouvernement ;

Nommer des trois états certaines personnes, sages et suffisantes en fait d'armes, continuellement résidant à Paris avec le dauphin, pour expédier spécialement les affaires de la guerre ;

Ordonner au chancelier de France de ne se mêler que du fait de sa chancellerie et de la justice ;

Rétablir les requêtes de l'hôtel dans les mêmes formes que sous Philippe le Bel, et y appeler six personnes, quatre clercs et deux laïques, loyaux, de grande science et autorité ;

Exiger de ces officiers, et de tous ceux qui seront auprès du dauphin, le serment de ne rien faire que par mitre délibération de lui et de son grand conseil, et de ne faire ensemble communication, conspiration, ni alliance ;

Donner au grand conseil pouvoir de réformer la chambre des comptes, l'état de toutes les chambres et de tous les autres offices, sauf l'approbation du dauphin ;

Établir les membres (lu grand conseil réformateurs généraux, avec faculté de déléguer, sous l'autorité du dauphin, des réformateurs dans les provinces ; destitua• à perpétuité de tous offices royaux les individus qui, ayant eu notoirement le gouvernement, du temps du roi, en ont abusé, au grand détriment du roi, du royaume et des sujets ; saisir leurs biens meubles jusqu'à ce qu'ils aient justifié de leur innocence ; les poursuivre civilement devant les réformateurs pour répondre aux plaintes portées contre eux ; faire crier publiquement que les plaintes seront reçues, sauf aux officiers, qui seront prêtres ou clercs, à répondre devant les juges qui seront commis par le pape ;

Délivrer le roi de Navarre pour plusieurs causes : il est du sang de France par père et mère, et sa femme est sœur du dauphin. Son arrestation a occasionné beaucoup de maux dans les pays de Normandie et du Maine, ravagés par ses partisans, et menacés de destruction si ses forteresses et châteaux sont entre les mains des Anglais. Le roi d'Aragon demande sa délivrance. Le roi de Navarre est jeune, il a déjà assez souffert ; sa capacité et sa puissance peuvent être très-utiles au roi et au royaume. On ne connaît pas de motifs à son arrestation, etc. Les gouverneurs et officiers, ses amis et adhérents, répandent que les états ont délibéré de les arrêter, emprisonner, mettre à mort, et de confisquer leurs biens, sans même les avoir entendus, et demandent à se défendre. Le comité répond : Ils auraient raison si quelqu'un, dans son intérêt, les accusait. Mais les états ne sont pas tenus pour les accuser ; ils ont été mandés par le dauphin pour lui donner bon conseil, pour le salut et gouvernement du royaume. Les faits du mauvais gouvernement de ces officiers sont si notoires pour les états et pour toute la France, qu'il est inutile de les admettre à aucune justification ou excuse.

Le comité cite des faits. Un de ces officiers qui avait la plus grande part dans le gouvernement, déjà très-occupé à raison de son office, se rendait rarement au conseil, et les autres membres n'osaient rien faire en son absence. Ensuite on allait diner ; les repas étaient longs, et, après dîner, on expédiait peu d'affaires : elles étaient interminables. On n'osait se plaindre au roi, parce que les officiers coupables l'entouraient, et qu'il avait en eux une aveugle confiance.

Lorsqu'on accordait des aides et subsides pour la guerre, les gouverneurs et officiers faisaient conclure des trêves. On gaspillait l'argent en d'autres dépenses et en dons. Lorsque les trêves étaient expirées et que l'ennemi recommençait la guerre, il n'y avait plus de finances ; les gouverneurs demandaient au peuple de nouveaux subsides, appelaient l'arrière-ban, affaiblissaient les monnaies, etc.

Les officiers attribuaient les propositions du comité à l'envie, à de vieilles haines, à l'ambition des places. Le comité était composé de gens de conscience, élevés en dignité, de grande sapience et fidélité, de divers pays et contrées ; ils avaient tous été d'accord. Les états avaient à l'unanimité approuvé leur travail. Jamais on n'y avait vu une si grande quantité de prélats, d'abbés, de chapitres, de princes, de nobles, de bonnes villes.

Il était clair et notoire par tout le royaume que les principaux conseillers du roi l'avaient conseillé par malices, fictions et simulations, et n'avaient eu en vue que leur profit singulier, d'acquérir de grandes possessions et richesses, de prendre de grands dons du roi, de se faire donner de grandes dignités, d'avancer leurs amis, de dire au roi peu de vérité et peu de la misère du peuple ; car s'ils eussent représenté au roi les grandes misères, pauvretés et douleurs du peuple, et les grands périls du roi et du royaume, il n'était pas douteux que le roi y eût porté remède.

Quant à l'aide demandée par le dauphin, on la fixait à trente mille hommes armés pour un an, et leur solde à un demi-écu par jour pour chaque homme. On établissait une imposition d'un dixième et demi, ou de 15 livres par 100 livres de tous les revenus des ecclésiastiques et des nobles ; et le tiers état payerait l'armement et la solde d'un homme d'armes par cent feux. Les députés retourneraient auprès de leurs commettants pour leur faire approuver cette imposition, et pour en apprécier le produit ; ils reviendraient dans un mois à Paris. Dans le cas où le produit ne serait pas jugé suffisant, ils aviseraient au moyen de parfaire la somme nécessaire. Bien entendu que, dans aucun cas, on n'aurait recours à l'affaiblissement des monnaies, mesure désastreuse. Les aides seraient surveillées et distribuées par ceux qui seraient commis par les états et autorisés par le dauphin[1].

Le comité invite le dauphin à se rendre aux Cordeliers ; il y vient accompagné de six personnes. Le comité lui demande de garder le secret sur une communication qu'on a à lui faire ; il s'y refuse. Le comité se décide à lui communiquer son travail, et une liste de vingt-deux principaux officiers dont il demande la destitution. En tète sont Laforêt, chancelier et Pierre de Bucy, premier président du parlement. Les autres sont des magistrats, des gens de finance et de la maison du roi, jusqu'à son valet de chambre. Bien que le dauphin ne comptât guère sur la docilité des états, et qu'il eût eu quelque connaissance des mesures du comité, il est surpris de leur hardiesse ; il dit qu'il les examinera dans son conseil, et qu'il donnera une prompte réponse.

Le dauphin et son conseil sont très-embarrassés. Les conseillers accusés opinent comme de raison contre les propositions des états. On essaye de négocier ; on représente au comité que plusieurs de ses mesures sont trop dures et déraisonnables pour être acceptées. He comité est inébranlable. La majorité du conseil et le dauphin paraissent céder. ll promet de se rendre au palais (31 octobre) pour donner sa réponse. Tandis qu'il amuse les états par cette promesse, il décide en secret de dissoudre une assemblée qui attente à l'autorité royale, et qui, abusant des circonstances, aspire à s'emparer du gouvernement. Le jour convenu, les états s'assemblent au palais. Informé des promesses du dauphin, le peuple y accourt en foule. Le dauphin arrive. S'il entre et prend séance, il est obligé de subir la loi des états ; il reste à la porte, et mande à l'assemblée de lui envoyer neuf de ses membres, trois de chaque état ; il leur déclare hautement qu'il ne peut rien décider sans les ordres du roi dont il attend des nouvelles ; qu'il veut aussi consulter son oncle l'empereur Charles IV ; qu'il a besoin d'un délai, et qu'il remet l'assemblée an jeudi suivant. Sur le rapport des neuf députés, elle éclate en murmures ; autour d'elle le peuple s'agite vivement. Le duc d'Orléans parle pour justifier le dauphin, et parvient à calmer l'irritation des esprits. Quelques députés, peureux ou gagnés par le dauphin, voyant qu'il se joue (les états, abandonnent leur poste et partent pour leurs provinces.

Le dauphin tient conseil ; il y mande plusieurs députés des états, notamment l'archevêque de Lyon et Étienne Marcel, prévôt des marchands ; il les consulte sur l'opportunité du délai qu'il désire, et leur répète ses motifs. Les opinions sont partagées ; mais le dauphin a pris son parti, il veut dissoudre les états ; il charge donc les députés de dire à leurs collègues qu'ils peuvent s'en aller chez eux, et de les assurer qu'il ne tardera pas à les convoquer de nouveau.

Les états s'assemblent aux Cordeliers. La conduite du dauphin excite un vif mécontentement. On voit clairement qu'il veut se débarrasser des états et éluder leurs décisions. Ils y persistent, les rédigent en forme, en délivrent des expéditions aux députés pour qu'ils les fassent connaître à leurs commettants, et se séparent. Comment cette assemblée qui avait osé s'emparer en quelque sorte du gouvernement, abandonne-t-elle la partie sur une simple invitation d'un gérant de la royauté ?

Cependant elle n'a voté de subside que conditionnellement. Le dauphin lèvera-t-il le subside, et se moquera-t-il des conditions ? Il est fort embarrassé ; il ne se sent pas assez fort, il n'ose. La puissance est à la bourgeoisie de Paris ; la bourgeoisie et le peuple sont au prévôt des marchands. Pour obtenir des secours, le dauphin s'adresse à Étienne Marcel et à l'échevinage. C'est leur proposer de trahir leur propre cause ; ils refusent tant que le dauphin n'aura pas convoqué les états. Ce n'est pas pour se remettre dans leur dépendance qu'il les a renvoyés. Il dépêche des commissaires dans les provinces pour demander des subsides aux villes, aux états provinciaux. Il va trouver à Metz son oncle, l'empereur Charles IV, pour en obtenir, dit-on, des secours contre la bourgeoisie de Paris. Les provinces, en général, approuvent la conduite des états généraux, et se réfèrent à leurs délibérations. Les états d'Auvergne votent particulièrement une levée de troupes et un subside, mais pour la défense de leur pays, et se réservent la direction et l'administration de cet armement. On s'isole, on perd de vue l'intérêt général par défiance du gouvernement.

Tandis que les états de la Langue d'oïl siégeaient à Paris, le comte d'Armagnac, lieutenant du roi, assemble ceux de la Langue d'oc ; il convoque à Toulouse les archevêques, évêques, abbés, doyens, prieurs et religieux ; les capitouls des ville et faubourgs de Toulouse, avec -plusieurs nobles, chevaliers, bourgeois, marchands et autres personnes du peuple de cette ville ; les consuls, recteurs des communautés, des sénéchaussées de Toulouse, Carcassonne, Rodez, Beaucaire, Cahors, Bigorre, et quelques autres provinces de la langue occitanienne. Au -jour indiqué, le comte d'Armagnac expose aux états la situation déplorable où la France est réduite, et leur demande les secours nécessaires pour mettre le pays à couvert des insultes des ennemis, et payer la rançon du roi. Plus exposés que la Langue d'oïl aux ravages de l'ennemi, les états votent la levée de cinq mille hommes d'armes, à deux chevaux. au moins chacun, mille archers à cheval, et deux mille pavoisiers ou fantassins, armés d'écus, et un subside suffisant pour les entretenir. Les états se réservent, comme ceux de la Langue d'oïl, la levée, l'emploi, la comptabilité des deniers, et la faculté (le s'assembler sans convocation. Ce n'est donc pas Paris seul, ce ne sont pas seulement quelques esprits plus avancés que leur siècle qui rêvent des réformes que la nation ne comprend pas. Également victime du pouvoir absolu, toute la France veut des garanties, un contrôle, un concours. L'attachement des états de la Langue d'oc à la royauté n'est pas suspect. En même temps qu'ils entendent se précautionner contre ses fautes et ses excès, ils se disent pénétrés de la plus vive douleur pour la captivité (lu roi, et arrêtent les dispositions suivantes :

Pendant un an, si le roi n'est pas délivré auparavant, aucun homme ni femme ne portera or, argent, perles, vert, gris, robes ni chaperons découpés, ni autres cointises ; aucuns ménestriers, ni jongleurs ne joueront de leur métier. L'usage de la vaisselle d'or et d'argent et -d'habillements de couleur est interdit.

Le dauphin revient de Metz à Paris, le 14 janvier 1350 ; il est accompagné de Pierre de Laforêt, chancelier, que le pape venait do faire cardinal. Le prévôt des marchands, un grand nombre de bourgeois et plusieurs ordres et collèges vont au-devant de lui ; mais on n'a pas oublié que le dauphin a renvoyé les états sans avoir voulu les entendre, et qu'il a promis de les rappeler. Dans ce moment, il y a une grande agitation au sujet d'une nouvelle monnaie. L'aspect de Paris est menaçant. Le dauphin envoie quatre de ses conseillers au prévôt des marchands ; ils lui donnent rendez-vous vers Saint-Germain l'Auxerrois, Étienne Marcel y vient accompagné de beaucoup de bourgeois armés. Les conseillers le requièrent de faire cesser l'empêchement qui a été mis au cours de la monnaie. Il s'y refuse. Ou court de toutes parts aux armes ; on fait des barricades — ce sont les premières. Tous les travaux sont suspendus. Le dauphin et ses conseillers sont frappés de frayeur. Le dauphin est obligé de céder.

Le lendemain, il se rend de bon matin du Louvre au Palais, en la chambre du parlement ; le prévôt des marchands et plusieurs bourgeois s'y rendent aussi. Le dauphin leur (lit qu'il leur pardonne, et qu'il leur accorde que les états s'assemblent quand ils voudront ; qu'il renvoie de son conseil les officiers dénoncés par les états ; qu'il les fera prendre, s'il les peut trouver, pour être détenus jusqu'à ce que le roi, de retour, ait prononcé sur eux ; que, quoique le droit de battre monnaie et de la changer appartienne au roi, il consent à ce que la nouvelle monnaie n'ait pas de cours, et à ce que les états, lorsqu'ils seront assemblés, ordonnent de la monnaie avec les gens du dauphin, de manière qu'elle soit agréable et profitable au peuple. Le prévôt des marchands requiert qu'il soit délivré des lettres de ces promesses ; le dauphin les octroie ; elles sont commandées à un notaire.

Les officiers dénoncés disparaissent. A la réquisition du prévôt des marchands, le dauphin envoie des sergents en garnison chez eux. On fait l'inventaire de tout ce qui s'y trouve. Ces mesures ne sont que pour la forme. Loin de perdre les officiers dans l'esprit du dauphin, la poursuite des états est pour eux un titre de plus à sa faveur ; il a l'impudeur de charger le chancelier et le premier président de Bucy d'aller à Bordeaux pour négocier la paix avec l'Angleterre. Cette nomination excite le mécontentement des Parisiens. Le dauphin révoque le premier président, et allègue pour le chancelier qu'il va rendre les sceaux au roi qui était encore à Bordeaux.

Le dauphin convoque enfin les états au 5 février. Ils s'assemblent, le 3 mars, en séance publique, dans la chambre du parlement, en présence du dauphin, accompagné de ses frères, les comtes de Poitiers et d'Anjou. L'assemblée est si nombreuse que la chambre est pleine. Robert Lecoq est son orateur. C'est encore un de ces hommes que les historiens ont fort maltraités. Simple ment à Paris, il avait été conseiller de Philippe de Valois et du roi Jean, et président au parlement ; maintenant évêque, duc de Laon, il était partisan de la réforme de l'État, très-populaire, le bras droit de Marcel, dévoué au roi de Navarre, et conseiller du dauphin. On l'appelait la besaguë du charpentier qui taille des deux bouts. Son grand crime fut d'avoir voulu accorder des intérêts inconciliables. Dans un discours, Lecoq, après avoir rappelé tout ce qui a été délibéré dans la session d'octobre, fait les propositions suivantes :

Ce que les députés à choisir par le dauphin, suivant le conseil des états, feront, conformément aux instructions qui leur seront données, par rapport à l'aide, à la réformation du royaume, à la monnaie, aux officiers qui seront privés de leurs charges, sera observé irrévocablement.

Les deniers provenant des subsides seront entièrement employés aux dépenses de la guerre, sans qu'ils puissent en être détournés à aucun autre usage, par quelque personne que ce soit.

Ils seront levés et distribués, non par des officiers du roi, mais par des députés élus par les états, qui jureront d'en faire l'emploi ci-dessus.

Les députés généraux et les députés particuliers, leurs délégués, n'auront aucun égard aux ordres contraires, de quelque part qu'ils viennent, sous peine d'être privés de leurs offices, d'être mis en prison, et de rendre l'argent par eux diverti à d'autres usages ; ils sont tenus de résister par voie de fait, et en employant le secours de leurs voisins, aux officiers du roi qui voudraient leur enlever les deniers de leurs recettes.

Les députés généraux ne pourront rien faire que tous d'accord, ou que du moins sur six, deux de chaque état ne soient du même avis.

Moyennant l'aide accordée par les états, toutes les autres impositions cesseront, et l'on ne pourra plus contraindre personne à prêter de l'argent au roi.

Les états s'assembleront à Paris le lendemain de la Quasimodo prochaine, pour délibérer sur le fait de la guerre. Ceux qui ne sont point venus à rassemblée actuelle seront requis de venir à la prochaine, avec déclaration que s'ils n'y viennent pas, ils ne seront pas moins obligés à tout ce qui aura été décidé dans l'une et l'autre. Dans la première qui se tiendra, les états pourront changer ce qu'ils ont réglé dans la présente au sujet de l'aide, pourvu que les trois états soient du même sentiment, et sans que l'avis de deux puisse lier le troisième.

L'aide accordée ne sera que pour un an. Les états pourront, sans être convoqués par le roi, se rassembler à Paris ou ailleurs, s'ils le jugent à propos, deux fois, ou même plus, s'il est nécessaire, depuis le lendemain de la Quasimodo prochaine jusqu'au 1er mars 1357, pour délibérer sur le fait de la guerre, de l'aide, et sur le gouvernement du royaume.

Ou n'accordera plus de pardons ni de rémissions à ceux qui auront commis des meurtres de guet-apens, à ceux qui auront enlevé ou violé des filles ou femmes, aux incendiaires, à ceux qui n'auront pas observé les trêves ou paix faites dans les cas de guerres privées, et aux infracteur des sauvegardes.

Tous les juges rendront bonne et briève justice. Des procès en état n'étant pas jugés par la faute des présidents du parlement, les gens du parlement s'assembleront tous les jours au soleil levant jusqu'à ce que tous ces procès soient jugés.

Même disposition pour la cour des comptes.

Les offices de justice ne seront plus vendus ni affermés ; ils seront donnés en garde. Nul ne pourra être juge dans le lieu de sa naissance ou de sa demeure.

On ne pourra faire de compositions sur les crimes.

Plusieurs officiers — nommés dans l'article — sont privés de leurs offices.

Il sera fait une nouvelle monnaie d'or et d'argent, suivant les patrons remis au prévôt des marchands. Le pied de ces monnaies ne sera pas changé sans le conseil et le consentement des états. Il sera établi, sur le fait des monnaies, des commissaires qui prêteront serment entre les mains du dauphin, en présence des députés généraux iles états. Les princes, ceux qui composent le grand conseil du roi, t les autres officiers jureront de ne point conseiller de faire de changement dans les monnaies avant le 1er mars 1357.

Il est défendu de faire des prises de vivres, et pour quelque personne que ce soit. Chacun pourra résister à ceux qui voudront en faire, et reprendre tout ce qui lui aura été enlevé, et appeler à son secours ses voisins par cri public.

Les élus des états envoyés dans les diocèses pour l'aide recevront les comptes de ceux qui auront levé les subsides de l'an dernier, et en rendront compte au dauphin et aux états le lendemain de la Quasimodo.

Nul ne pourra faire transport ou cession de dette à des personnes qui auront plus de crédit que lui, ni à des officiers du roi, ni à des personnes privilégiées, sous peine de nullité et d'amende.

Diverses dispositions pour règlement de juridictions, et taxe de frais.

Nul des officiers du roi ne pourra faire aucun commerce de marchandises ou de change, ni par lui, ni par personnes interposées.

Le roi pardonne à ceux qui n'ont pas été aux arrière-bans. Dorénavant le roi et le dauphin pourront convoquer l'arrière-ban, mais seulement après une bataille, dans le cas d'une évidente nécessité, et par le conseil élu (les états.

Tant que la guerre durera, les nobles et les autres gens d'armes ne pourront sortir du royaume sans le congé du roi, s'ils n'en sont bannis. Les nobles et les non-nobles ne pourront se faire la guerre ; les juges des lieux les contraindront à faire la paix.

Chacun des sujets du roi pourra piller sur les ennemis du royaume, sans que les officiers généraux puissent demander leur part du butin, à moins qu'eux et leurs gens n'aient eu part à l'action.

Les soudoyers français ou étrangers ne pilleront point dans le royaume, sous peine d'être pendus, et il sera permis de leur résister par voie de fait.

On ne fera de trêves avec les ennemis que par le conseil des gens des trois états.

Toutes les choses domaniales, aliénées ou échangées depuis Philippe le Bel, seront réunies au domaine, excepté ce qui a été donné à l'Église, aux princes du sang, en partage, ou par forme de don, on pour crase de douaire, ou pour récompense d'autres héritages ; excepté aussi ce qui a été donné à d'autres personnes pour récompense de services rendus à l'État.

Les membres du grand conseil s'assembleront au soleil levant pour travailler aux affaires du gouvernement ; ils commenceront par les plus grosses, et jusqu'à ce qu'elles soient terminées n'en commenceront pas de nouvelles, à moins d'une nécessité évidente.

Ils auront des gages suffisants pour soutenir cette charge. Ceux qui ne viendront pas au conseil à l'heure marquée perdront leurs gages de la journée ; s'ils y manquent souvent, ils seront exclus du conseil, à moins d'excuse légitime.

Le chancelier de France ne se mêlera que de la chancellerie, c'est-à-dire de voir, corriger, examiner, passer et sceller les lettres qui seront présentées au sceau ; il se mêlera aussi du fait de la justice ; il donnera les offices, en tant que cela peut lui appartenir en sa qualité.

Nonobstant tous les ordres qu'il pourrait recevoir, le chancelier ne scellera aucune lettre portant aliénation du domaine du roi ou don de grandes forfaitures ou confiscations, etc., sans avoir déclaré au conseil ce que la chose donnée peut valoir de rente par an, sous peine de nullité.

Le chancelier et les autres officiers jureront qu'ils ne demanderont ni pour eux ni pour leurs amis aucun don en argent tiré des coffres du roi, et qu'ils demanderont en plein conseil les grâces qu'ils voudront obtenir. Ils jureront aussi qu'ils ne présenteront point en particulier au roi ni au dauphin des sujets pour remplir les offices vacants, mais qu'ils leur feront savoir le nom des personnes auxquelles ils s'intéressent, afin qu'on puisse s'informer de leur mérite.

Le chancelier et les autres conseillers et officiers du roi jureront qu'ils ne feront ensemble ni confédérations, ni conspirations, ni alliances.

Les dépenses des maisons du dauphin, de la dauphine et de celles des autres princes du sang seront modérées, et leurs maîtres d'hôtel payeront exactement ce qu'ils achèteront.

L'aide qui sera accordée par les états ne portera aucun préjudice aux franchises, privilèges et chartes accordés par les rois, en tant qu'elles sont conformes aux lettres données pour la réformation du royaume par les rois Philippe le Bel et Jean, lesquelles sont confirmées spécialement pour ce qui regarde la régale.

Les députés qui viendront à l'assemblée des états sont mis sous la sauvegarde du roi et du dauphin ; et afin qu'ils soient en état de résister aux violences qu'ils ont à craindre de quelques-uns des anciens officiers du roi, il leur est permis d'aller dans tout le royaume, accompagnés de six hommes armés.

Lorsqu'une sentence rendue par des hommes jugeants aura été cassée, ils payeront tous ensemble une amende de 60 livres, à moins qu'ils ne soient convaincus de corruption ; car alors ils seront punis suivant l'exigence des cas.

Les hommes jugeants seront tenus, sous peine de prison, de juger les parties, tout au plus tard le troisième jour destiné aux jugements, après qu'elles auront produit leurs moyens.

Les juges ne poursuivront point en jugement les amis de ceux qui sont en guerre quand ils n'y prennent point de part ; mais ils feront le procès à ceux qui attaqueront les amis de leurs ennemis, sans en avoir reçu d'injures.

Les officiers du roi et le peuple même, s'opposeront à ceux qui voudront faire des actes d'hostilité contre leurs ennemis dans les bonnes villes du royaume.

Les capitaines des lieux où il y aura des châteaux champêtres, pourvoiront à leur garde.

Les états offrent ensuite au dauphin trente mille hommes d'armes et le subside nécessaire pour les entretenir pendant un an.

La délibération des états impose à la royauté des conditions extrêmement dures. Le dauphin a pris son parti d'avance, et les accepte sans hésiter par une ordonnance lue et publiée séance tenante. On prétend même qu'elle lui fut présentée toute rédigée par les états. On ne s'y borne pas à consacrer les articles de leur délibération, on les accompagne de motifs, de commentaires, de détails d'exécution très-étendus. La royauté y avoue, avec une abnégation vraiment exemplaire, les vices et les abus du gouvernement, la corruption, les extorsions, et les dilapidations des officiers et conseillers du roi, la tolérance et la complicité de toute la famille royale, les souffrances et les griefs du peuple. On loue la sollicitude des états et la sagesse de leurs mesures pour le bien public et l'intérêt de la couronne. On prodigue les promesses et les protestations de les observer et faire exécuter, ut de gouverner à l'avenir avec justice, économie et intégrité. On répète à chaque ligne les assurances de borine foi, si familières dans le style royal. Le dauphin prive et destitue de tous les offices, services et conseils du roi, sans rappel, comme non suffisants et indignes, les vingt-deux principaux officiers dénoncés par les états.

Par suite de la suspension de tous les officiers royaux, le cours de la justice est interrompu à Paris pendant deux jours. Les réformateurs nommés par les états procèdent à l'épuration et à la reconstitution du grand conseil, du parlement, de la cour des comptes. Dès ce moment les états gouvernent réellement. La royauté, représentée par le dauphin, est réduite à régner ; c'est une véritable révolution. Elle n'a pas été improvisée, ni faite dans un jour. Elle n'est que le développement et le complément des délibérations des états dans leur session de 1355, sanctionnées par le roi. Considérées comme organisation des pouvoirs, elles ne constituent pas, ainsi qu'on l'a prétendu, la république. Les états restent fidèles à la monarchie, mais ils la veulent tempérée par une représentation nationale. Des historiens affirment que la France n'était pas mûre pour cette résolution. Il n'est pas don : :eux que Paris, foyer des lumières, centre des grands établissements judiciaires, administratifs, universitaires, et fort de sa nombreuse population, ne fût plus avancé que les provinces, et n'eût eu la plus grande influence dans les états. C'est et ce sera toujours dans un état, fondé sur le principe de l'unité, le privilège de la capitale. Mais ces huit cents députés, venus de toutes les parties du royaume, n'étaient-ils pas les interprètes des opinions de leurs commettants ? Ils appartenaient pour moitié au clergé et à la noblesse : on ne voit pas que ces deux ordres formassent opposition aux mesures prises par les états. Tout annonce qu'il y eut unanimité. En effet, les abus existant dans le maniement des finances et dans toutes les branches de l'administration étaient si criants, leur réforme ne pouvait trouver pour contradicteurs que ceux qui en profitaient. Mais considérées comme division des pouvoirs, les délibérations des états étaient mal calculées, et prouvent que la science de l'organisation du gouvernement était peu avancée. Il ne faut donc pas s'étonner si cet édifice, mal construit et rudement attaqué, n'a pas de durée.

Le dauphin ne se regarde pas comme engagé par son ordonnance du 3 mars, le roi Jean encore moins. Il est toujours à Bordeaux où il lient de conclure une trêve de deux ans, et allait être emmené en Angleterre. Le 6 avril, on public à Paris un mandement du roi pour annoncer la trêve. En même temps, au grand étonnement du public, it défend de payer le subside voté par les états, et leur interdit de s'assembler. Le roi prisonnier ne peut plus exercer le pouvoir ; de fait et de droit il appartient au dauphin. Le peuple crie à la trahison, et est très-irrité, particulièrement contre l'archevêque de Sens, le comte d'Eu et le comte de Tancarville, qui ont apporté le mandement du roi, et reçu de lui une mission secrète ; ils prennent la fuite. Le bruit se répand qu'ils rassemblent des troupes pour revenir venger leur injure. La ville de Paris se met en état de défense, et fait bonne garde. Le dauphin, évidemment d'intelligence avec le roi, n'ose pas se jouer avec les états ; deux jours après, il fait publier la révocation des ordres de son père, qu'on lèvera le subside, et que les états s'assembleront, comme ils l'avaient résolu, dans la quinzaine de Pâques. Leur réunion est différée jusqu'au 15 avril 1357. Ils votent un autre subside, parce que probablement le premier est jugé insuffisant, et ils se séparent. L'ordonnance du 3 mars est mise à exécution. Les députés élus par les états continuent de siéger dans le conseil du dauphin, et les réformateurs généraux d'exercer leurs fonctions.

Le parti des états triomphe, mais il s'endort sur sa victoire, et ne prend pas les moyens de la maintenir. Il a de rudes adversaires, irrités de leur défaite, et résolus à s'en venger ; le dauphin, entiché du pouvoir absolu, sa famille, sa cour, ses conseillers destitués, les gens de finances, le parlement, les autres cours souveraines, tous plus ou moins complices des désordres, ennemis des réformes et pêchant en eau trouble. Dans le triomphe des états, le tiers état, les bourgeois de Paris, Étienne Marcel, ont joué le principal rôle. Le clergé, la noblesse surtout, en sont inquiets et jaloux. Ils forment avec le dauphin une coalition formidable contre les états. Ils conspirent contre le recouvrement du subside et ne le payent pas ; ses produits sont insuffisants. On accuse les délégués des états d'impéritie et de malversations. Le dauphin parvient à gagner les députés, entre autres un de leurs coryphées, l'archevêque de Reims, et le met à la tête de son conseil. Les états ne sont plus assemblés ; alors éclate une réaction. Les officiers royaux destitués sont rétablis, excepté pourtant les vingt-deux membres du conseil, dont plusieurs, du reste, avaient conservé leurs charges. Fortifié par l'arrivée des comtes de Foix et d'Armagnac, et d'un grand nombre de nobles, le dauphin le prend sur un haut ton, et déclare à Étienne Marcel, Charles Consac et Jean Delille, ses collègues, qu'il veut désormais gouverner, qu'il n'a plus besoin de curateurs, et qu'il leur défend de se mêler du gouvernement. L'évêque de Laon reçoit le même compliment et se retire dans son diocèse.

Le dauphin est délivré de la tutelle des états, et n'en a pas plus de pouvoir ; il est sans argent. Il se défie trop de Paris pour lui en demander. Il va voyager dans les provinces pour en obtenir des villes, espérant qu'elles ne résisteront pas à sa présence ; son espoir est trompé. Le royaume est en feu et en proie à tous les brigandages. Le parti du dauphin se croit un moment assez fort à Paris pour l'engager à y revenir, et lui promet de lui procurer de l'argent en abondance, sans exiger la destitution des officiers royaux et la délivrance du roi de Navarre. Pour ne pas trop blesser le parti populaire, on demande seulement au dauphin d'appeler les députés d'un certain nombre de villes, un simulacre d'états. Il consent, revient à Paris, y convoque les députés de soixante et dix villes. Honteux du rôle qu'on veut leur faire jouer, ils déclarent qu'ils ne délibéreront que dans l'assemblée des états généraux. D'un autre côté, les receveurs par eux institués pour le recouvrement des subsides en ont en main les produits et ne veulent pas les lâcher. Le dauphin est donc forcé de convoquer les états au complet. Marcel triomphe ; il écrit en son nom aux principales tripes d'envoyer leurs députés, et presse Lecoq, qui hésite, d'accourir à Paris.

Le 7 novembre 1357, les députés sont arrivés ; un événement imprévu s lent tout rejeter dans la confusion. On apprend que le roi de Navarre, détenu au château d'Alleux en Cambrésis, a été délivré par le chevalier de Pequigny, gouverneur de l'Artois. La cour est frappée d'épouvante, la bourgeoisie parisienne triomphe. Le Navarrais entre dans Amiens, rassemble les habitants, les harangue, se plaint de la rigueur avec laquelle on l'a traité en prison, les émeut par le tableau de ses souffrances, et les entraîne avec lui. Sa délivrance a été évidemment concertée avec ses partisans à Paris. Il leur importe d'avoir un prince à leur tête. Marcel, Lecoq, Pequigny même demandent au dauphin un sauf-conduit pour qu'il vienne à Paris. Faites amicablement, lui dit Marcel, ce qu'on vous requiert, ou il sera fait, que vous veuillez ou non. Le dauphin accorde le sauf-conduit, et rappelle Lecoq dans son conseil. Sur toute la route, le Navarrais est accueilli par la foule comme une victime ; les bourgeois de Paris se portent à sa rencontre à Saint-Denis. Il va loger à l'abbaye de Saint-Germain des Prés, hors des murs de la capitale.

Il fait publier qu'il veut entretenir le peuple le lendemain. Plus de dix mille personnes se rassemblent dans la place des Lices, entre l'abbaye et le Pré aux Clercs. Le dauphin s'y trouve. Le Navarrais monte sur l'échafaud d'où le roi avait coutume de regarder les combats en champ clos. Là il remontre avec une éloquence pathétique l'injustice et la dureté de sa prison, pendant dix-neuf mois, la tyrannique exécution de ses amis, le zèle qu'il avait pour le bien de l'État. Devait-on se défier de lui ? N'était-il pas Français de père et de mère ? N'était-il pas plus près de la couronne que le roi d'Angleterre, qui y prétendait ? Il proteste de sa grande affection pour la défense de Paris. Il parle longtemps, et est écouté avec tant d'intérêt par les bourgeois, qu'ils lui donnent beaucoup d'argent.

Le lendemain, Étienne Marcel, Robert de Corbie et d'autres bourgeois vont au palais trouver le dauphin, et le requièrent, au nom des bonnes villes, de rendre justice au roi de Navarre. Lecoq, chef du conseil, répond que le prince, non-seulement fera au roi droit et justice, niais toute grâce et courtoisie, et le traitera en bon frère. Une entrevue est ménagée entre eux dans l'hôtel de la reine Jeanne. Le roi de Navarre s'y rend avec une forte escorte. L'entrevue est assez froide et courte. Le conseil délibère sur les réclamations du roi ; il est décidé qu'on lui rendra les biens, immeubles, meubles et les forteresses qu'il possédait lors de son arrestation, et que le dauphin lui pardonnera ainsi qu'à ses adhérents ; que les restes du comte d'Harcourt et des autres gentilshommes que le roi Jean avait fait décapiter et pendre à Rouen, seront publiquement remis à leurs amis pour les enterrer en terre bénite, et que leurs biens seront rendus à leurs enfants ou héritiers. Le roi demande en outre pour lui des dommages-intérêts, et renouvelle ses prétentions sur la Champagne, le Limousin et une partie de la Normandie. Il n'est rien statué. C'est une grave question et la vraie cause de la discorde. Rendre ces provinces, c'est rétrograder vers la féodalité. On ne le peut pas. L'intérêt, l'honneur du roi et de la France sont de continuer la marche vers l'unité. Le roi et le dauphin ne sont pas sincèrement réconciliés, mais le paraissent ; ils se voient souvent, ils mangent ensemble chez la reine Jeanne, au palais et chez l'évêque de Laon, Lecoq, qui ne les quitte pas.

A l'instigation de Marcel, les bourgeois portent le chaperon bien et rouge aux couleurs de la ville, avec cette devise : A bonne fin ; vivre et mourir avec le prévôt. Il écrit aux bonnes villes de l'adopter, plusieurs le prennent. Les partisans du dauphin portent aussi leur signe de reconnaissance.

Le roi de Navarre quitte Paris avec bon nombre de gens d'armes, et va en Normandie. Il réclame la restitution de places qu'il occupait avant son arrestation. Les commandants ne veulent pas les rendre sans l'ordre du roi Jean. Le Navarrais accuse le dauphin de ne pas tenir ses promesses, et déclare qu'il poursuivra son droit par tous les moyens. Il se rend à Rouen ; on lui fait une magnifique réception. Il ne manque pas de haranguer comme à Paris. Il parle de ses malheurs, et vante ses bons sentiments. On le croit, on s'attendrit, on espère en lui. Il fait exhumer les corps du comte d'Harcourt et de ses amis ; ils sont mis dans des cercueils, déposés sur des chariots et conduits en grande pompe dans la cathédrale. Le roi est à pied dans le nombreux cortège funéraire. Le lendemain, d'une fenêtre de l'église de Saint-Ouen, en présence de la foule assemblée, il prononce l'oraison funèbre des martyrs. Il assiste au service célébré dans la cathédrale en leur honneur et à leur inhumation. Le même jour, il invite à sa table le maire de la ville, ce qui fait sensation, parce que c'est un marchand de vin du petit état.

Les principaux membres des états sont dans le conseil du dauphin, et ont la plus grande influence dans le gouvernement. Le dauphin a ses conseillers intimes, ils le décident à secouer le joug des états et de la bourgeoisie. Pour y parvenir il cherche à s'appuyer sur le peuple. Les princes alors prêchaient en plein air. Le roi de Navarre était un orateur de la première force ; il avait une belle prestance. Le dauphin ne payait pas de mine, et maniait médiocrement la parole ; mais il représentait le roi. Il fait annoncer qu'il ira aux halles. En vain Marcel et Lecoq veulent l'en empêcher et lui représentent les dangers auxquels il s'expose. Il se rend hardiment aux halles, accompagné seulement de quelques serviteurs. Il dit au peuple qu'il est dans l'intention de v ivre et de mourir avec lui ; qu'il est faux, ainsi qu'on l'a répandu, qu'il fasse venir des troupes pour piller ; que c'est, au contraire, pour défendre la ville, ainsi que le peuple de France, qui a beaucoup à souffrir des ennemis qui inondent le royaume ; que ceux qui ont le gouvernement n'y apportant aucun remède, son intention est désormais de gouverner et de chasser les ennemis. Il n'aurait pas autant attendu s'il avait eu le maniement de la finance qui avait été levée ; depuis que les trois états avaient le gouvernement, il n'en avait eu ni sou ni maille. Il espérait bien que ceux qui l'avaient reçue en rendraient bon compte. Ce discours est très-agréable au peuple, qui se prononce en grande partie pour le dauphin.

Afin d'en détruire l'effet, Étienne Marcel et ses adhérents convoquent le peuple le lendemain à l'hôpital Saint-Jacques. Le dauphin y court de son côté, accompagné de Lecoq. Un chevalier parle pour le prince au peuple, répète à peu près ce que la veille il avait dit lui-même aux halles, et répond à divers reproches, par exemple de n'avoir pas tenu ses promesses au roi de Navarre. Ce n'était pas sa faute si quelques-uns de ceux auxquels des châteaux du roi avaient été donnés en garde par le roi Jean ne voulaient pas les rendre ; il avait fait tout son possible pour les y obliger, et il continuerait. Lorsque le chevalier a fini de parler, Charles Consac veut répondre, et ne peut parvenir à se faire entendre. Le dauphin et sa compagnie se retirent, excepté Lecoq, qui reste avec Étienne Marcel. Consac insiste pour avoir la parole, on l'écoute. Il attaque surtout les officiers royaux, et les compare aux mauvaises herbes qui empêchent les bonnes de fructifier ; il attaque aussi le dauphin, niais à mots couverts. A Consac succède l'avocat Jean de Sainte-Onde, un des généraux gouverneurs des subsides nommés par les états. Il justifie Étienne Marcel des soupçons jetés sur lui au sujet des subsides. Ni lui, ni aucun membre des états n'a eu un sou de leur produit. Il nomme plusieurs chevaliers qui, par le commandement du dauphin, en ont eu leur part, s'élevant de quarante à cinquante moutons ; il ajoute que tout ce qu'a fait le prévôt des marchands est pour le bien, profit et salut de tout le peuple ; que si les Parisiens ne veulent pas le soutenir, il cherchera son salut là on il pourra. On crie qu'on le soutiendra envers et contre tous.

Le dauphin ne se tient pas pour battu. Le jour suivant, il mande au palais plusieurs des maîtres, leur parle amicalement, et leur dit que, s'ils veulent être bons sujets, il leur sera bon seigneur. Ils lui répondent qu'ils vivront et mourront avec lui, et qu'il a trop attendu pour prendre le gouvernement. Ainsi, divisé, inconstant dans ses affections, le peuple applaudit un jour au dauphin, le lendemain retourne à son magistrat, une autre fois reste indécis ou indifférent.

Les états sont toujours à Paris. Dans leur session d'octobre 1356, iis avaient demandé la liberté du roi de Navarre comme un acte très-politique. En apprenant sa délivrance, plusieurs députés des villes, notamment de la Bourgogne et de la Champagne, avaient déserté leur poste, ne voulant pas approuver par leur présence ce qui s'était fait pour tirer le roi de prison. Cette désertion affaiblit les états déjà incomplets. Il n'y avait, suivant la Chronique de Saint-Denis, que des députés des villes, quelques-uns du clergé, pas un noble. Des actes du dauphin mentionnent, au contraire, la présence des prélats et des barons. On oppose que c'est une supposition de Marcel et Lecoq, qui faisaient rédiger ces actes. Quoi qu'il en soit, depuis trois mois les états sont tout à fait inactifs, sans doute parce que Marcel et son parti n'en ont pas eu besoin. Ils s'assemblent enfin, et, ce qui est surprenant, pour voter un affaiblissement de la monnaie, contre lequel ils ont tant crié. Le bénéfice de cette opération frauduleuse est ainsi réparti : quatre cinquièmes pour les dépenses de la guerre, un cinquième à la disposition du dauphin. Il déclare qu'ayant délibéré avec les gens du conseil du roi et de son conseil, les prélats, barons et gens des bonnes villes, à leur prière et requête, et aussi à celle de la meilleure partie du commun peuple étant alors à Paris et en sa présence, il ordonne que les deniers d'or fin à l'agnel, dont le prix a été fixé à 30 sols tournois dans les états de février 1356, vaudront 30 sols parisis, ce qui fait un quart d'augmentation. Les états délibèrent en outre que les gens d'église payeront un demi-dixième de leur revenu pendant un an ; que ceux qui n'ont pas payé de subside l'an passé payeront en outre un demi-dixième ; que dans les villes fermées, soixante-cinq feux entretiendront un homme d'armes, ou payeront 10 sols parisis pour sa solde, et que dans le plat pays cent feux fourniront un homme d'armes.

Persistant à recouvrer la plénitude du pouvoir, le dauphin rassemble des troupes autour de Paris pour y être le maître. Le Navarrais en a aussi qui tiennent la campagne. Ce fâcheux voisinage incommode fort la ville et les environs. Marcel en rejette la faute sur le dauphin, et lui s'en décharge sur le Navarrais.

Sur ces entrefaites, un des partisans de Marcel, Perrain Macé, changeur, tue Jean Baillet, trésorier des finances, et se sauve dans l'église de Saint-Jacques-la-Boucherie. Le dauphin commande au maréchal de Clermont, à Jean de Châlons, sénéchal de Champagne, et au prévôt de l'en tirer de force. Ils l'en arrachent ; le prévôt lui fait couper le poing, et le fait pendre. Le dauphin assiste aux obsèques de Baillet.

Le clergé et le peuple s'échauffent de ce qu'on arrache un criminel du pied des autels, asile inviolable ; l'évêque de Paris excommunie les auteurs de cet attentat.

Le 11 février, Marcel fait assembler à Saint-Éloi tous les métiers en armes. Un avocat, Regnault d'Acy, conseiller du dauphin, allant du palais chez lui, est tué. Marcel, fortement accompagné, entre chez le dauphin, monte dans sa chambre, et, après quelques explications assez aigres, lui dit : Ne vous étonnez pas de ce que vous allez voir, car cela est ordonné et doit être exécuté. Aussitôt d'après son ordre, des hommes armés s'élancent sur Conflans, maréchal de Champagne, et sur le maréchal de Clermont, qui étaient près du dauphin, et les tuent. Tous les officiers du dauphin avaient pris la fuite. Il se croit perdu, et prie Marcel de le sauver. Soyez tranquille, lui répond-il ; il ôte son chaperon, parti de rouge et de perse, qu'il avait donné pour étrennes aux Parisiens, en coiffe le dauphin[2] et prend celui du prince, de brunette noire à un effroy d'or. Les corps des deux chevaliers sont traînés dans la cour du palais, et y demeurent exposés, sans que personne ose les enlever. Marcel et ses compagnons vont à l'hôtel de ville ; d'une fenêtre, il parle à la foule de gens armés réunis sur la place. Les deux seigneurs tués étaient, dit-il, faux, mauvais et traîtres. Il a ordonné leur mort pour le bien et profit commun du royaume. Il requiert le peuple de le soutenir. On crie qu'on approuve sa conduite, et qu'on veut vivre et mourir avec lui. Marcel retourne au palais avec un nombreux cortège, et monte dans la chambre du dauphin encore tout effaré. Les corps morts sont toujours dans la cour, où il peut les voir. Marcel lui dit de ne pas se mettre en peine de ce qui est arrivé ; que cela a été fait par la volonté du peuple, et pour éviter un plus grand péril. Il requiert le dauphin de ratifier le fait, de le pardonner s'il y a lieu, et d'être toujours avec eux. Le dauphin accorde tout, et demande que les Parisiens veuillent être ses amis comme il sera le leur. Marcel lui envoie deux pièces de drap, rouge et perse, dont il fait faire, pour lui et ses gens, des chaperons tels qu'en portent les habitants. Marcel fait enlever et, transporter les corps à Sainte-Catherine du Val-des-Écoliers, où ils sont secrètement inhumés.

Le 23 février, il fait assembler aux Augustins les députés des états qui sont encore à Paris. Maître Robert de Corbie leur expose la conduite de Marcel, et la justifie. Il y avait, dit-il, trois personnages qui empêchaient les bons conseils de parvenir au dauphin ; ils avaient empêché la délivrance du roi Jean, sur laquelle les autres membres du conseil, au nombre de quarante, avaient été d'accord. Il demande aux députés d'approuver les trois meurtres, et de rester en bonne union avec les habitants de Paris. Les députés ratifient tout. Ils n'étaient pas nombreux ; les députés, ennemis de la violence, s'étaient en allés.

Le lendemain, le dauphin se laisse mener au parlement avec les membres dévoués de son conseil qui lui étaient restés. Marcel et ses adhérents armés requièrent le dauphin de tenir et garder, sans les enfreindre, toutes les ordonnances faites par les états l'année précédente ; qu'il les laisse gouverner comme ils avaient fait ; qu'il renvoie de son conseil des membres dont le peuple est très-mécontent, et qu'il les remplace par quatre bourgeois qu'ils lui désigneront ; qu'il soit permis au roi de Navarre de rentrer à Paris, et qu'on lui accorde des dédommagements. Le dauphin, n'étant pas le plus fort, en passe par tout ce qu'on veut.

Le roi de Navarre vient à Paris, y demeure quelques jours, et, croyant s'être bien assuré de cette ville, en sort pour aller donner ordre à ses autres affaires. Le dauphin laisse le titre de lieutenant du roi, et prend celui de régent du royaume (14 mars 1357). Les actes du gouvernement sont faits en son nom ; celui du roi disparaît. Il y a un sceau de la régence. Comment se fait cette mutation ? par l'autorité des états ? par celle du parlement ? C'est un point très-controversé. Le dauphin profite-t-il de l'absence du roi de Navarre pour emporter de haute lutte la régence ? Non, puisque Marcel et ses adhérents sont toujours maîtres dans Paris et siègent dans le conseil du dauphin. Un document lève tous les doutes. D'après des lettres royales du 18 mars, rapportées par Secousse, la régence fut conférée au dauphin dans une assemblée des gens de son grand conseil, de celui' du roi, de plusieurs autres prélats, barons et bourgeois des bonnes villes. Ce n'était qu'un simulacre d'états ; mais le dauphin ne prit pas de lui-même la régence. Du reste, ce fut le cours des événements, et non son nouveau titre qui le tira de la situation difficile où il se trouvait.

Tant que les trois états sont restés unis, ils ont dominé le pouvoir royal ; mais, fidèle à la maxime aussi vieille que la royauté, diviser pour régner, il excite entre eux des divisions, notamment entre la noblesse et la bourgeoisie ; il dit aux nobles : Si vous secondez les insolentes prétentions des villes, elles ne respecteront rien ; après s'être emparées du gouvernement, elles détruiront vos privilèges. Le trône est votre appui ; il est pour vous la source des grâces et des faveurs. Il dit à la bourgeoisie : Les nobles sont vos oppresseurs ; ils vous pillent à main armée, ils vous dévorent ; ils violentent le gouvernement pour s'enrichir aux dépens de la fortune publique. En secondant leur ambition, vous travaillez contre vous, contre le peuple. La royauté seule peut vous protéger. La ville de Paris est déjà d'une telle importance, et exerce une si grande influence sur les autres villes du royaume, qu'il n'est pas difficile d'exciter leur jalousie. Voyez, dit-on à leurs députés, ceux de Paris dominent les états. Un magistrat, Étienne Marcel, est dictateur et plus puissant que le régent. Il vous impose ses volontés. Vous ne pouvez pas souffrir cette injure. Dans la bourgeoisie même de la capitale, Marcel et ses adhérents ont des envieux et des ennemis. La noblesse, les Champenois ne lui pardonnent pas le meurtre des maréchaux de Champagne et de Clermont.

Dans cet état de choses, le régent sort de Paris pour se soustraire au joug des états, à celui de Marcel, et cherche à se faire dans les états provinciaux un point d'appui contre la capitale.

Ceux de Champagne, convoqués par le régent, s'assemblent à Provins, le 9 avril 1358. Le roi de Navarre, quoiqu'il eût écrit qu'il s'y rendrait, n'y vient pas. Le régent représente aux états la triste situation du royaume et leur demande une aide ; il ajoute que Pierre de Corbie et Robert de Roussy, archidiacre, ont à leur parler de la part des bonnes gens de la ville de Paris. Robert de Corbie fait un discours pour prier les Champenois d'être unis avec les Parisiens. Les états demandent à conférer entre eux, et annoncent ensuite qu'ils sont prêts à répondre. Le régent, accompagné du duc d'Orléans, son oncle, du comte d'Étampes et de plusieurs autres seigneurs, vient dans un jardin où étaient les états. Simon de Roussy, comte de Bresne, en Laonnais, dit en leur nom qu'ils sont prêts à aider le régent, et à faire tout ce que de bons sujets doivent faire pour leur seigneur ; mais que, comme les plus puissants de la Champagne ne sont pas venus à l'assemblée, ils le prient d'en indiquer une autre à Vertus. Il demande justice du meurtre de Confins, maréchal de Champagne, et déclare que les Champenois n'iront plus à Paris. Le régent indique une nouvelle assemblée au 29 avril ; il donne à dîner à tous les membres des états.

Le régent tient ensuite à Compiègne, le 17 avril, une assemblée des états du bailliage de Vermandois.

Le 29, les états de Champagne se réunissent à Vertus. Le régent s'y fait représenter par Simon de Roussy. Les états votent l'aide suivante : un homme d'armes par soixante et dix feux dans les bonnes villes ; pour cent feux, dans le plat pays, par les personnes franches ; pour deux cents feux par les personnes serves, de mortes mains et de fors mariage ; les gens d'église payeront le dixième de leurs revenus, les nobles 5 livres pour 100 livres de revenus en terre ; les bourgeois comme les nobles pour les fiefs qu'ils possèdent. L'aide sera levée et employée par les mains des états à l'entretien des gens d'armes, excepté le dixième qu'ils accordent au régent pour sa dépense. Il est à remarquer que ces états, qui ne lui sont nullement hostiles, ne lui laissent pas le maniement des deniers.

Suivant ce qui avait été réglé dans leur dernière assemblée, les députés des villes devaient se réunir à Paris, le 1er mai. Le régent leur ordonne de se rendre, le 4, à Compiègne, où il a convoqué les états de toute la Langue d'oïl. Les Parisiens en sont très-irrités. Au contraire, quelques villes, jalouses de la capitale, s'en félicitent. L'assemblée est peu nombreuse, par insouciance ou crainte d'un coup d'État du régent. Il y manque les prélats et députés de trente-quatre diocèses, les députés de la noblesse et des villes, de dix-huit bailliages, les députés des trois états de Paris. Le régent dispose entièrement de cette représentation incomplète. Il commence par chasser de son conseil l'évêque de Laon, Lecoq, comme un traître et un artisan principal de désordre. Il a de la peine à échapper au ressentiment des nobles qui menacent de lui faire un mauvais parti ; il prend avec précipitation la route de Paris, où il entre escorté d'une troupe nombreuse de gens d'armes envoyés au-devant de lui. L'assemblée improuve la conduite de la ville de Paris et de celles qui avaient suivi son parti. Elle accorde un subside pareil à celui qui avait été voté par celle tenue à Vertus. Elle remercie le régent de ce que, dans des temps orageux, de troubles et de calamités, il n'avait point désespéré du salut de la France.

Une ordonnance du régent est rendue sur les délibérations de cette assemblée ; elle fixe la valeur des monnaies, et révoque toutes les commissions données au nom du régent pour les administrer ; elle abolit toutes les aides accordées par les états généraux de Paris, et annule les pouvoirs des députés chargés de la perception et de l'emploi. Les réformateurs sont supprimés. Le régent se rend à lui-même le pouvoir dont ils sont revêtus, et leur défend d'en faire usage. Il est à remarquer cependant que ces états, tout serviles qu'on puisse les supposer, maintiennent la plupart des réformes de l'ordonnance du 3 mars 1356.

Le régent donne l'ordre au prévôt de Paris de prendre diverses mesures pour que l'aide, votée par les états de Compiègne, y soit levée, ainsi que dans tout le diocèse, et, en cas de besoin, de procéder par voie de contrainte, savoir la prison et la saisie des biens pour les nobles et les bourgeois, et la saisie du temporel pour les ecclésiastiques.

Le roi Jean écrit de Londres aux évêques, nobles et bourgeois des diocèses et bailliages qui n'avaient pas envoyé de députés à Compiègne,, pour les informer de ce qui y avait été délibéré, et les requérir de lui octroyer l'aide et de la payer au plus tôt. Le gouvernement tient pour principe que les pays qui n'ont pas envoyé de députés à l'assemblée des états généraux n'en sont pas moins obligés de payer les subsides qu'elle a accordés.

La conduite du régent ne permet pas de douter qu'il ne veuille subjuguer Paris. Cette ville n'a plus les états généraux pour point d'appui ; ils l'ont abandonnée. Les prélats et les nobles sont pour le régent. Lu capitale reste isolée et hors de la légalité. Marcel juge bien la position ; il offre de se soumettre. Le régent exige qu'on lui livre douze des habitants les plus coupables, assurant qu'il ne les fera pas mourir. Marcel ne veut pas livrer ses complices. On le force à tirer l'épée et à jeter le fourreau. Il achève de fermer la ville de murs et de fossés ; il lève des troupes, et recrute jusqu'à Avignon. Un auxiliaire inattendu vient faire en sa faveur une importante diversion.

Le peuple français est, comme une matière inerte, foulé, écrasé, abîmé par toutes les sommités sociales. Encore les cités, les grandes villes ont-elles, pour se défendre des excès de l'oppression, leur population compacte, des armes, la ressource de se fortifier, de s'entourer de fossés, de murailles. Mais les habitants des campagnes, du plat pays, comme on l'appelle, isolés, désarmés, dégradés par la servitude, sont livrés sans défense aux fléaux dévastateurs déchaînés sur la France. Leurs protecteurs-nés, les seigneurs, sont leurs oppresseurs habituels. Semblables à ces sauvages qui abattent l'arbre pour en recueillir le fruit, ils ruinent par leurs exactions le cultivateur qui laboure leur terre et qui les nourrit ; ils insultent à sa misère par leur luxe effréné, et à sa dignité d'homme par les exigences qu'érige en droits leur caprice insolent. Des seigneurs, faits prisonniers à la bataille de Poitiers, ont recouvré leur liberté sous la promesse de payer une rançon, et rançonnent leurs sujets pour l'acquitter. Les gens de guerre de tous les partis, et ce sont des nobles qui les commandent, parcourent et ravagent le pays. Ils n'ont de militaire que lé nom ; ce sont des bandes de malfaiteurs armés, portant des noms burlesques et barbares, traînant à leur suite le pillage, le meurtre, le viol, l'incendie, toutes les abominations. Les paysans cherchent un refuge dans les forêts sauvages, ils y sont poursuivis, traqués comme des bêtes fauves, dépouillés, massacrés. Le pouvoir est au -pillage et sans force. Le désespoir les pousse à la révolte. Ils renouvellent les entreprises malheureuses des paysans de la Normandie et de la Bretagne aux dixième et onzième siècles. Ils éclatent dans le Beauvaisis, et commencent cette guerre qu'on a nommée la Jacquerie, parce que les nobles, en pillant le paysan, l'appellent par dérision Jacques Bonhomme. Leur chef, pris dans leur sein, est Guillaume Caillet. Leur masse s'ébranle, débouche comme un torrent de la forêt de Compiègne, insurge les serfs, détruit les châteaux, massacre les nobles qu'elle trouve sur son passage, et entre victorieuse à Senlis et à Meaux. Marcel leur envoie un secours, mais faible, d'un millier d'hommes. L'insurrection se propage dans les provinces voisines. Dans peu de temps, elle compte, dit-on, jusqu'à cent mille hommes. Si les villes, dit Mézerai, se fussent jointes aux paysans, c'en était fait de la noblesse et de l'état monarchique. Mais dans la crainte du pillage, et de voir sa prépondérance sur le peuple effacée, la bourgeoisie ne leur ouvre pas les portes des cités. Mesurant le danger qui les menace, la royauté, les nobles de tous les partis, Français, Navarrais, Anglais, font trêve à leurs haines et à leurs ressentiments, et se réunissent pour leur défense commune. Une lutte terrible s'engage. Les nobles sont bien armés, bien montés, bardés de fer, accoutumés aux combats, ont des châteaux et des places. Les paysans n'ont la plupart que des faux, des fourches, des bâtons et le désespoir. Ils ignorent la guerre, ils se battent en rase campagne sans forteresse pour appui. La partie n'est pas égale, ils ne peuvent que succomber. Le roi de Navarre et le régent les taillent en pièces, en font un horrible carnage : on les pend par troupeaux aux arbres des chemins. Plus de vingt mille hommes périssent par le fer ou les supplices. Le soulèvement est étouffé dans une mer de sang. L'histoire a flétri cet essai d'affranchissement des paysans. Sans doute aux yeux des lois ils étaient coupables, mais aux yeux de l'éternelle justice et des lois sacrées de l'humanité, quel nom méritaient le régent, le roi de Navarre, les grands, les nobles, factieux, pillards, assassins, brigands dans toute la force du terme ? Le sang des Jacques n'aura pas coulé en tain, leur soulèvement laissera des traces profondes. Encore quelques siècles plus ou moins durs à passer, et une nouvelle Jacquerie, formidable, générale, décisive, arrachera du sol français jusqu'à la dernière racine du régime féodal.

Le régent assiège Paris et lui coupe les vivres. La nécessité force Marcel de s'allier avec le bourreau des Jacques, le roi de Navarre. Mais il a perdu la confiance ; on lui donne, on lui retire le commandement de la ville. Sa conduite est très-équivoque, il se fait donner de l'argent par Marcel, il entre en pourparlers avec le régent. Les bourgeois se querellent avec les Navarrais qui sont restés à Paris, en tuent, et chassent les autres. Ils reviennent jusqu'aux portes ; un détachement de Parisiens fait une sortie, tombe dans une embuscade, est ramené battant et exterminé. Le malheur les aigrit et les rend injustes ; aux abois, divisés, séduits par les agents du dauphin, ils accusent Marcel. Sa position est désespérée. Il médite de livrer Paris au roi de Navarre. Au moment où Marcel va exécuter son dessein, ses propres complices le surprennent ; son compère, Jean Maillard, lui fend la tête d'un coup de hache (31 juillet 1358). Son corps est traîné dans les rues, et sa mort suivie du massacre, du supplice, du bannissement de ses amis, entre autres de Consac, échevin, de Josserand, trésorier du roi de Navarre, de Caillard, qui avait livré le château du Louvre, tous les trois décapités en place de Grève. Les chaperons mi-partis sont jetés au feu ; la face des choses change entièrement. Le 24 août, le régent rentre dans Paris aux acclamations (lu peuple, qui rie manquent jamais au vainqueur. La réaction va grand train. Il déclare à des villes qu'elles ont encouru son indignation, parce que leurs députés ont assisté à des assemblées des trois états qu'il n'avait pas eues pour agréables ; et que dans toutes les assemblées où ils sont allés arec les autres bonnes villes, ils ont requis la délivrance du roi de Navarre. On oblige ces villes à solliciter des lettres de rémission.

Outré de la mort de ses amis, le Navarrais proteste qu'il n'aura jamais de paix avec les princes de la maison de Valois, et qu'il rie les reconnaît plus pour souverains. Il rassemble des troupes, bloque Paris et s'allie avec les Anglais. Le régent n'ose sortir de la capitale, de peur qu'on n'y rappelle le Navarrais, qui y a encore un grand nombre de .partisans. Au moment, où Paris est réduit à la dernière extrémité, et où il dépend du Navarrais de porter un coup mortel à la France, ou plutôt à la dynastie régnante, Charles, qu'on flétrit du nom de Mauvais, se raccommode avec le régent, promet d'être bon Français, et, pour toutes prétentions, s'en remet à la volonté de ce prince. Ne pouvant expliquer la cause de cette conversion subite, on l'attribue à la grâce de Dieu. Cette paix sauve Paris, mais ne soulage pas les provinces ; la guerre y continue ses ravages.

Le roi Jean, prisonnier à Londres, signe un traité de paix avec l'Angleterre, et, d'un trait de plume, lui concède la moitié du territoire de la France. Le régent ne peut se résoudre à un si honteux sacrifice, et, persuadé que la nation n'y consentira pas, il convoque les états généraux, malgré sa haine pour ces assemblées. Ils se réunissent à Paris, le 26 mai 1359 ; ils sont peu nombreux. On a donné peu de temps pour la nomination des députés. Les chemins sont infestés par les Anglais, les bandes de Philippe, frère du roi de Navarre, qui ne s'est pas soumis, et les garnisons françaises qui pillent à l'envi. Le régent se rend au palais sur le perron de marbre dans la cour, et fait lire le traité en présence des états et de tout le peuple. Il cédait à l'Angleterre en toute souveraineté les duchés de Normandie et de Guienne, la Saintonge, l'Aunis, Tarbes, le Périgord, le Quercy, le Limousin, le Bigorre, le Poitou, l'Anjou, le Maine, la Touraine, les conquêtes faites sur les Plantagenets, et les comtés de Boulogne, de Guines, de Ponthieu, de Montreuil-sur-Mer et Calais. On abandonnait la suzeraineté de la Bretagne ; on exigeait quatre millions d'écus d'or pour la rançon du roi. Ces conditions honteuses soulèvent toutes les âmes. On entend un murmure général d'indignation. Peuple, états s'écrient que ce traité n'est ni passable, ni faisable, et que toute la nation est résolue de faire bonne guerre au roi anglais. Les états rejettent le traité. Le roi Jean, bien qu'il eût en Angleterre toute liberté, même de la chasse et de toutes les galanteries, s'ennuyait tellement de sa prison que, pour en sortir, il se serait contenté de régner à Paris et sur l'Ile-de-France.

Le régent profite de l'occasion pour demander des hommes et de l'argent. Les états délibèrent que les nobles serviront un mois à leurs frais, non compris le temps de l'allée et du retour, et qu'ils payeront en outre les subsides octroyés par les bonnes villes. Les gens d'église s'obligent au même payement. La ville de Paris, pour elle et la vicomté, s'engage à entretenir six cents glaives — hommes d'armes —, quatre cents archers et mille brigands — infanterie légère.

Les députés des autres villes, n'ayant pas de pouvoirs suffisants, retournent chez eux pour leur faire délibérer le subside. Plusieurs villes répondent que le plat pays étant détruit par les Anglais, les Navarrais et les garnisons françaises, il ne peut rien payer. Alors on s'adresse aux états provinciaux ; les états de la Langue d'oc sont assemblés à Béziers. On négocie, on transige, on boursille ; enfin on parvient à ramasser assez d'argent pour payer un premier à-compte sur la rançon du roi.

C'est en présence de ces derniers états généraux que le régent détruit de fond en comble tout ce que les états précédents ont arrêté avec son approbation pour la réforme des abus. Le 28 mai, il siège au parlement, et y fait enregistrer une ordonnance par laquelle il foule aux pieds ses actes, ses promesses, et viole sans pudeur sa foi solennellement engagée.

Ceux qui avaient, est-il dit dans le préambule, le plus de crédit et d'autorité dans ces états (1356) cachaient leur ambition sous le voile de l'amour du bien public et du bon ordre du royaume. Ils avaient séduit, par ces apparences trompeuses, les autres députés qui avaient des intentions pures et droites, mais qui se laissaient gouverner aveuglément par des gens qui abusaient de leur confiance. Ils avaient attaqué les conseillers du régent et ceux du roi pour satisfaire leurs haines particulières, parce qu'ils sentaient bien qu'ils ne viendraient jamais à bout de leurs pernicieux desseins, tant que ces officiers, qui s'étaient toujours distingués par leur probité, leurs lumières et leur expérience dans les affaires, seraient admis dans les conseils. Par rapport à ces officiers, on avait violé toutes les règles de la justice dans la forme et au fond. On n'avait articulé contre eux que des imputations vagues, sans articuler aucun fait précis ; ils n'avaient même été ni appelés, ni entendus, ni convaincus, quoique la plupart offrissent de se défendre, et de répondre à tout ce qu'on voudrait leur imputer, et que les autres fussent à Bordeaux, où ils avaient été appelés par le roi pour travailler au traité de paix qui s'y négociait.

Les députés des états lui firent aussi verbalement, ou par écrit, plusieurs demandes, dont quelques-unes étaient très-préjudiciables aux droits et à la noblesse de la couronne de France, au roi et à lui. Il avait, différé de les leur accorder le plus longtemps qu'il avait pu, dans l'espérance qu'ils s'en désisteraient. Mais enfin la nécessité d'avoir des fonds pour soutenir la guerre l'avait contraint, malgré lui, à son grand déplaisir, et pour éviter de plus grands malheurs, de céder à leur importunité. Cependant il ne l'aurait jamais fait s'il n'avait espéré que, dans des temps plus heureux, il serait en liberté de casser et annuler tout ce qu'on le forçait de faire contre sa volonté.

Ces temps plus heureux étaient arrivés. En conséquence il réhabilite comme des sujets fidèles et affectionnés les vingt-deux officiers que, sur la demande des états, il avait destitués à perpétuité comme indignes et insuffisants. Il ordonne qu'ils soient réintégrés dans leurs biens et dignités, et payés de leurs gages arriérés ; que cette déclaration soit notifiée au pape, à l'empereur, aux princes, aux villes, afin que ce témoignage authentique efface jusqu'au moindre soupçon qu'aurait pu faire naître la destitution de ces officiers. Certainement ils n'étaient pas tous sans reproche ; plusieurs étaient coupables de malversations. Les rois n'hésitaient pas à faire pendre leurs surintendants des finances ; c'était un privilège dont ils étaient jaloux, et ils ne supportaient pas que les états vinssent à s'immiscer dans la punition des grands voleurs.

Dans les délibérations des états que le roi et le régent avaient sanctionnées par les ordonnances des 28 décembre 1355 et 3 mars 1356, quelques-unes étaient conformes aux antiques libertés nationales ; d'autres étaient, il est vrai, une nouvelle conquête sur le pouvoir royal ; il y avait des dispositions justes et sages pour réformer des abus scandaleux. En les annulant toutes sans distinction, le régent faisait un grand pas vers le despotisme. C'est ce qui arrive toujours aux peuples ; lorsqu'ils échouent dans leurs tentatives pour améliorer leur sort, le pouvoir rive plus fortement leurs fers. Désormais la volonté royale n'eut plus ni contrôle, ni contradicteurs.

Après le rejet du traité honteux conclu par le roi Jean, le roi d'Angleterre recommence la guerre avec acharnement. Princes, seigneurs, nobles, guerriers, toute la Grande-Bretagne déborde sur la France comme un torrent, pour la conquérir et se la partager. et, en attendant, tuent, pillent, rançonnent et ravagent. Du reste, la proie n'est pas si facile à dévorer ; les grandes villes ferment leurs portes et font une vigoureuse défense. L'Anglais s'avance sous les murs de Paris, ne peut tirer le régent de son immobilité, n'ose attaquer la ville, recule, et marche vers la Loire. Le régent n'a pas oublié Poitiers, il ne s'aventurera pas dans une bataille rangée. Des députés du régent suivent le camp ennemi avec le légat du pape, demandant à négocier, implorant la paix. Le roi d'Angleterre veut bien les écouter. On attribue sa condescendance à un orage épouvantable dont il est assailli dans le pays chartrain, et qu'il prend pour un commandement du ciel. Mais son armée est fort affaiblie par une campagne d'hiver, c'est toute la force de l'Angleterre. D'ailleurs il est assuré de dicter la paix. Les plénipotentiaires se réunissent au village de Brétigny. Le traité est conclu (8 mai 1360). Il donne à l'Anglais, outre ce qu'il possédait déjà, tout le Poitou, la Saintonge, la Rochelle et le pays d'Aunis, l'Angoumois, le Périgord, le Limousin, le Quercy, l'Agenois et le Bigorre, Calais, les comtés d'Oye, de Guines et de Ponthieu ; trois millions d'or, payables en trois termes, pour la rançon du roi Jean, qui sera amené à Calais, et mis en liberté, après la restitution des places. On livre pour otages les trois fils puînés du roi, son frère Philippe et autres princes du sang, trente comtes ou chevalier, deux députés de dix-neuf villes désignées. Le roi d'Angleterre renonce au titre de roi de France, et généralement à toutes ses autres prétentions.

Dans le premier moment, Paris est ivre de joie : il fallait qu'on y fût bien malheureux ; on y fait des réjouissances, toutes sortes de folies. Bien que le traité ne soit pas tout à fait aussi humiliant et onéreux que le premier signé par le roi Jean, le régent n'ose pas le soumettre aux états du royaume. Nul doute qu'ils l'auraient encore rejeté avec indignation : car, dans les provinces et les places cédées à l'Anglais, toutes les classes de citoyens déplorent la perte de leur nationalité, et ne sont pas disposées à se soumettre. Il faut des lettres de jussion pour les y contraindre. Les seigneurs d'Albret, de Comminges, d'Armagnac, etc., disent qu'il n'appartient pas au roi de les quitter, et que par droit il ne le pouvait faire. Les habitants de la Rochelle supplient qu'on ne les mette pas en mains étranges ; ils aiment mieux être taillés tous les ans de la moitié de leur chevance, que d'être aux mains des Anglais. Les Poitevins leur disent : Nous cédons à la force, nous vous obéirons, mais les cœurs ne s'en mouvront. En attendant que les deux rois ratifient le traité, on fait une trêve pour un an. Au mois de juillet, le roi Jean est amené à Calais, où ses fils viennent le visiter. Le roi Edouard y arrive le 25 octobre ; ils jurent tous les deux la paix. Elle est aussi conclue entre le roi Jean et le roi de Navarre.

Le roi va rendre grâce à Dieu dans l'église de Saint-Denis, et, le 13 décembre, fait son entrée solennelle à Paris. Le retour d'un roi captif depuis plus de quatre ans devait exciter quelque émotion ; mais de la joie ? Ne rappelait-il pas toutes les calamités que sa folle présomption avait attirées sur la France ? Elle est démembrée, épuisée ; elle a à payer une rançon de trois millions d'or ; pourtant la capitale doit encore lui faire un présent de mille marcs de vaisselle d'argent, et le roi l'accepte. Il prend de l'argent de toute main, il fait argent de tout, il vend sa chair et son sang, il livre sa fille Isabelle à Visconti de Milan pour en faire sa femme, moyennant 600.000 florins.

Le traité de Brétigny a été conclu, ratifié, exécuté sans consulter les états du royaume ; on ne les consulte pas davantage pour lever des impôts ; ils ne sont plus convoqués. Au mépris de la vieille maxime fondamentale, reconnue par les rois, l'impôt est établi sans le consentement de la nation. A peine rentré en France, le roi Jean y pourvoit par une ordonnance dans laquelle, d'un ton patelin, il essaye de se justifier, il plaint son peuple, et veut bien se contenter d'un droit de 12 deniers par livre sur la vente des marchandises, d'une aide d'un cinquième sur le sel, du treizième sur le vin et les autres breuvages.

Une paix honteuse ne pouvait mettre subitement un terme aux calamités de la France. Elle est ravagée par les troupes de tous les partis, les exacteurs de l'impôt et la peste. La seule compensation de tant de désastres est la réunion à la couronne, des deux Bourgognes, des comtés d'Artois, d'Auvergne, de Boulogne et de la Champagne. Malgré ses malheurs personnels et ceux dont il avait accablé le royaume, le roi Jean conclut une croisade avec les rois de Chypre et de Danemark, et accepte le titre de généralissime de cette folle entreprise. On dit qu'elle avait pour but de purger le royaume des compagnies d'aventuriers, dits Tard-venus, qui le désolaient. Le duo d'Anjou, second fils du roi et l'un de ses otages, s'évade d'Angleterre. Le roi passe la mer, va prendre la place de son fils qui le laisse faire. L'histoire vante ce dévouement chevaleresque du roi. Un chroniqueur dit qu'il était fatigué de l'état misérable du royaume, et qu'il alla à Londres pour s'amuser. Pendant son premier séjour en Angleterre, il était un peu devenu Anglais : ce ne sera pas le dernier exemple. Enfin il s'amusa tant pendant l'hiver, qu'il y tomba malade, et mourut le 8 avril 1361.

 

 

 



[1] Procès-verbal des délibérations des trois États, du 13 octobre 1356.

[2] Ceci rappelle Louis XVI prenant la cocarde nationale à l'hôtel de ville, en 1789, et coiffé du bonnet rouge, le 20 juin 1792.