HISTOIRE DES ÉTATS GÉNÉRAUX

TOME PREMIER

 

PHILIPPE V LE LONG.

 

 

Louis X a une fille, Jeanne, de son premier mariage avec Marguerite de Bourgogne, et laisse sa seconde femme, Clémence, enceinte de quatre mois. D'après la loi salique, ou plutôt l'usage, le trône ne peut être occupé que par un mâle. En attendant que la reine accouche, il faut que les rênes du gouvernement soient données à un régent. Philippe, comte de Poitiers, frère du feu roi, prend la régence ; elle lui est disputée par plusieurs princes du sang. Il se forme deux partis ; ils sont prêts d'en venir aux mains. Par son habileté, Philippe parvient à désunir la ligue qui lui est opposée, en détache le rival le plus redoutable, Eudes, duc de Bourgogne, en lui promettant la main de sa fille, et est reconnu régent dans une assemblée de grands et de nobles — procerum et militum (1316).

La reine Clémence accouche d'un fils qui ne vit que huit jours. Le régent Philippe se proclame roi. La ligue qui lui était contraire se reforme ; le duc de Bourgogne lui-même y rentre. La ligue prétend que la couronne appartient à la petite princesse Jeanne, seule fille du dernier roi. Philippe ne perd pas son temps à plaider le droit ; après s'être assuré de Paris, il rassemble quelques troupes, va à Reims, s'y fait sacrer, et revient à Paris où il est bien reçu par les habitants. Il convoque les états à l'octave de la Chandeleur (1317), pour se faire prêter serment de fidélité, et couper court à toutes les prétentions.

Sur cette assemblée, les historiens ne sont pas d'accord. Suivant les uns, elle est composée des prélats, seigneurs, barons, des députés des villes et communautés ; suivant d'autres, des princes et pairs, des prélats qu'on put ramasser, de membres de l'université, d'un nombre de bourgeois notables. Il y est décidé que la loi salique ne permet pas aux femmes de succéder à la couronne de France ; en conséquence, on reconnaît Philippe pour roi, et on lui prête foi et hommage. C'est la première fois, dit le président Hénault, que, dans notre histoire, il est fait mention de la loi salique. Dans cette loi, il n'y a pas un mot sur la succession à la couronne ; mais la maxime que la couronne ne tombe pas en quenouille est incarnée dans le sang français. L'assemblée prête serment à Philippe, et se sépare. Ce ne sont pas là des états généraux. N'importe ; les princes ligués se soumettent, et la France a pour roi Philippe V le Long.

L'opposition des seigneurs jette le roi du côté du peuple. Il veut que les bonnes villes soient fortifiées, que les habitants aient des armes ; il leur nomme un capitaine. Comme son prédécesseur, il éloigne les prêtres, autant qu'il le peut, des affaires temporelles. Dans le parlement, il donne la majorité aux laïques ; il n'y admet pas les prêtres comme conseillers temporaires ; il se ferait, dit-il, conscience de les distraire de leur gouvernement spirituel.

Le roi s'applique à établir de l'ordre dans les finances, dans son domaine, dans son hôtel. Quoique minutieux et imparfaits, ses règlements annoncent de bonnes intentions. Il révoque toutes les donations faites par les rois, depuis saint Louis, et spécialement les dons faits par Philippe le Bel à ses ministres et conseillers, tels que les Flotte, les Nogaret, les Plassian. Le roi trouve son compte à cette mesure ; elle n'est pas moins d'une bonne administration. Il est si peu sûr de résister à l'avidité des courtisans, qu'il recommande aux receveurs de tenir secrètes leurs recettes extraordinaires, pour qu'ils ne puissent pas être requis de les donner.

La diversité des .monnaies et leur altération étaient une plaie invétérée. Roi et seigneurs étaient à l'envi faux monnayeurs ; c'était une branche de revenu. L'ordre ne pouvait s'établir que par l'unité Je la monnaie. Il fallait donc que la couronne en enlevât aux seigneurs la fabrication, et s'en attribuât le droit exclusif. Philippe juge nécessaire l'intervention des états généraux. On trouve des traces de la convocation, à Bourges (1317), d'une assemblée des prélats, barons et bonnes villes, pour, est-il dit dans les lettres royales, ordonner sur le fait des monnaies, et sur plusieurs autres besognes qui touchent nous, l'état du royaume, le commun profit et le bon état des bonnes villes et de tous nos sujets. Le roi mande aux villes d'envoyer des personnes suffisantes et sages, avec suffisants pouvoirs, pour que ce qui sera fait soit ferme et stable. Cette assemblée fut-elle tenue ? On ne trouve aucun document qui l'indique. La conduite de Philippe semble prouver qu'il se défie d'une assemblée où les seigneurs auraient contrarié ses plans, et il agit de sa propre autorité.

Il ordonne aux baillis et autres officiers de saisir à la fois les coins et les espèces dans les monnaies particulières, et les envoyer à la cour des comptes de Paris où l'essai en serait fait. Il prohibe en même temps toute fabrication. Afin d'apaiser les clameurs, que cette mesure doit exciter de la part des seigneurs, il traite avec plusieurs d'entre eux pour les indemniser (1319) ; mais il n'a pas calculé l'étendue de cette dépense. L'état de ses finances ne lui permet pas de l'acquitter en entier ; il fait par ordonnance une imposition du cinquième des revenus et du centième des meubles dans toute l'étendue du royaume, sans aucune exception, pour en appliquer le produit au rachat du droit de monnaie et à retirer les domaines engagés.

Une autre grande idée honore le règne de Philippe V, c'est l'uniformité des poids et mesures. Il commence par ordonner que dans le royaume on ne se servira que d'une mesure uniforme pour le blé, le sin et toutes marchandises. lin cri général, de la part des seigneurs, ecclésiastiques et laïques, s'élève contre ces dispositions ; elles anéantissent, disent-ils, les franchises et les libertés nationales. Il y a des villes qui battent monnaie, elles tiennent aussi à leurs mesures locales ; elles font cause commune avec les seigneurs contre l'unité. On reparle de former des associations pour résister à cette entreprise de la royauté ; on en appelle à l'assemblée de la nation. Philippe, d'abord tenté de poursuivre l'exécution de ses actes, croit plus prudent de céder, et convoque une assemblée pour délibérer sur les trois points qui faisaient la matière de son ordonnance. Du moins, c'est ce qu'on lit dans une ordonnance du 30 septembre 1321.

Relativement à cette assemblée, on a un acte important, les lettres de convocation adressées par le roi aux habitants de Narbonne (1320) ; ce sont les premières connues. Il en fut sans contredit envoyé de pareilles aux autres villes. Le roi désire de tout son cœur, et par-dessus tout, gouverner son royaume et son peuple en paix et tranquillité, et réformer son royaume, dans les parties où il en a besoin, pour le profit commun de ses sujets qui ont été grevés et opprimés de toutes manières. Son but est qu'on s'adresse à son pouvoir, par toutes voies, selon raison et équité, et qu'il soit pourvu par le conseil des prélats, barons et bonnes villes. Il mande et requiert, sous la foi à laquelle on est tenu envers lui, qu'on élise quatre personnes de la ville de Narbonne, des plus sages et plus notables, qui soient à Poitiers dans la huitaine de la Pentecôte, instruites et fondées suffisamment pour faire aviser et accorder avec lui tout ce que les habitants pourraient faire, s'ils y étaient présents.

Ce document, sans nous initier complètement à la constitution du régime représentatif, fournit cependant quelque lumière. L'assemblée est appelée à délibérer en général sur tous les intérêts nationaux. Une ville seule nomme quatre députés. Ils doivent être munis des instructions et des pouvoirs de leurs commettants. L'assemblée se tient au mois de juillet 1321. Le roi lui expose les avantages d'une seule monnaie de bon et loyal poids, de l'unité des poids et mesures, et du rétablissement dans le domaine de la couronne de tout ce qui a été aliéné ou engagé. Ces avantages sont incontestables, et un grand progrès. Sans s'y opposer ouvertement, le clergé représente qu'il est plus convenable de délibérer sur ces questions dans des assemblées provinciales, où on les examinera plus mûrement et avec plus de liberté qu'en présence du roi ; qu'il n'est pas juste qu'un petit nombre de députés ait le droit d'engager toute la France. Quoique cette opinion soit dictée par l'intérêt féodal, l'assemblée la partage. Ainsi prévaut le principe que les pouvoirs des députés ne sont pas illimités, et qu'il leur faut des pouvoirs spéciaux pour délibérer sur des objets qui ne sont pas spécialement déterminés dans les lettres de convocation. Toute délibération est donc ajournée jusqu'à ce que les assemblées provinciales s'en soient occupées. Elles sont convoquées ; que décidèrent-elles ? on l'ignore. Elles ne se pressèrent pas. La mort de Philippe fait avorter ses plans. Les rois conquerront le droit exclusif de battre monnaie ; il se passera près de cinq siècles avant que l'unité des poids et mesures soit établie. Il ne faudra pas moins qu'une grande révolution pour faire cette conquête.