Philippe le Bel laisse le trésor vide, les nobles ligués, les peuples réduits à la dernière misère et très-mécontents. Son successeur, Louis X le Hutin, n'est guère propre à relever les affaires ; son surnom désigne un caractère opiniâtre, léger, brusque et déréglé, faisant plus de bruit que d'effet, et d'ailleurs aigre, vétilleux et dur. C'est un de ces hommes très-vulgaires et les plus communs dans la série des rois qu'inflige aux nations le principe de l'hérédité. Louis met sa confiance dans son oncle, Charles de Valois, ou plutôt ce prince s'empare de l'autorité. Des lettres patentes lui donnent, ainsi qu'à des commissaires qui lui sont adjoints, le pouvoir de prendre connaissance des plaintes des sujets, d'examiner leurs griefs, de s'enquérir diligemment des usages anciens, particulièrement du temps de Louis IX, avec promesse que satisfaction entière sera donnée à chaque province. Par des instructions particulières, il est recommandé aux commissaires de retirer les originaux des associations qui s'étaient formées contre Philippe le Bel. C'est le principal but d'une mesure qui ne semble prise que dans l'intérêt public. Les commissaires réussissent. Huit de ces originaux existent au trésor des chartes. La royauté paye cher ce sacrifice ; la noblesse lui fait la loi. Le roi est obligé, sous forme d'ordonnance (1315), d'accorder des chartes aux nobles de diverses provinces, et même à des seigneurs de grands fiefs. Il leur fait les plus larges concessions, les rétablit dans les privilèges auxquels ses prédécesseurs avaient porté de notables atteintes, et répare les brèches par eux faites à la féodalité. C'est une véritable restauration féodale, par laquelle on rétrograde de plus d'un siècle. La plus dure de ces concessions est imposée par les nobles de Normandie dans l'acte fameux auquel on donna le nom de charte normande. Les nobles, qui s'étaient ligués, tant en leur nom qu'en celui des communes et de tout le pays, ne stipulent que leurs intérêts et ceux des prêtres, en tant que possesseurs de seigneuries. Dans ces arrangements, le peuple est entièrement oublié. Ce n'est ni la première, ni la dernière fois que la noblesse égoïste, ignorante des lois sociales, manquera l'occasion de se mettre à la tête de la nation, et d'assurer sa position en défendant les intérêts généraux. Peu économe, souvent prodigue, désordonnée, rançonnée par les usuriers, volée par les gens de finance, la royauté ne peut plus vivre des revenus de la couronne ; elle est toujours aux expédients. Elle s'en prend d'abord aux gens qui ont fait ses affaires. Il semble qu'elle ne leur ait permis de s'engraisser que pour les immoler et en faire son festin ; elle leur cherche de mauvaises querelles pour qu'ils rendent gorge. On les condamne, non-seulement comme voleurs, mais comme sorciers ou empoisonneurs ; on confisque leurs biens. Ils ne profitent guère au roi. Les favoris et les courtisans dévorent la meilleure part de la proie. Pour les frais du sacre, ii n'y a pas un sou dans le trésor. On accuse Enguerrand de Marigny de cette pénurie. Qu'est devenu te produit des impôts, des exactions, de la fausse monnaie ? C'est lui qui les a dissipés et volés ; on lui en demande compte. Le surintendant n'est pas sans reproche, il a ramassé de grandes richesses ; mais il a beaucoup d'envieux, En ennemi puissant, le comte de Valois, a juré sa perte. La défense de Marigny est fort simple. Si j'ai foulé le pays, dit-il au roi et à son oncle, j'ai employé les recettes aux dépenses de l'État, et je vous en ai donné la plus grande partie. Rien de plus vrai ; il n'en est pas moins pendu avec des traitants de sa bande. On se partage leurs richesses. On fait aussi le procès à Latilly, évêque de Châlons, chancelier, pour avoir empoisonné son prédécesseur, et même le feu roi. On est disposé à le croire coupable ; les empoisonnements et les sortilèges sont en grande vogue à la cour et parmi les grands. Latilly est acquitté parce qu'il est évêque et qu'il est jugé par un concile. Malgré les concessions faites à la féodalité, Louis
n'abandonne pas entièrement, le système de son père, et renouvelle ses
ordonnances sur les affranchissements ; il répète que, selon le droit de nature, chacun doit naître franc.
Il ne se borne pas, comme Philippe le Bel, à vendre la liberté ; les serfs
sont trop abrutis pour l'acheter, il les y force. Attendu,
dit-il, que plusieurs, par mauvais conseils, ou
faute de bons avis, ne connaissent pas la grandeur du bienfait qui leur est
accordé, il ordonne à ses officiers de les taxer suffisamment, et autant que
leur condition et leurs richesses peuvent bonnement le souffrir. Quoique le bienfait soit souillé par la cupidité, et qu'il soit l'objet de réclamations de la part des seigneurs, l'impulsion est donnée. Toutes les idées se dirigent vers la liberté. L'avilissement de l'espèce humaine devient un objet de honte et de scandale. On voit bientôt des communautés, des villes, des contrées entières affranchies de toute servitude. Sous ce règne, on trouve une consécration claire et précise du principe fondamental qu'en France, l'impôt ne peut être établi qu'avec le consentement de la nation. Louis rend une déclaration par laquelle il reconnaît, tant pour lui que pour ses successeurs, qu'on ne pourra, à l'avenir, lever aucuns deniers dans le royaume que du consentement des députés de la nation ; qu'ils en feront eux-mêmes le recouvrement et l'emploi, pour éviter les dissipations et concussions dont les exemples étaient si récents. On a révoqué en doute l'existence de cette déclaration, parce que Nicole Gilles, qui la rapporte, n'en donne pas la date, et qu'elle ne se trouve pas au trésor des chartes. D'un autre côté, on a soutenu que c'était une maxime ancienne dans la monarchie ; elle fut toujours invoquée, dans la suite, par les états généraux. Du reste, le roi Louis ne la respecta guère. Voulant, lui aussi, guerroyer en Flandre, il convoque le ban et l'arrière-ban pour rassembler une armée à Arras ; il donne pour instruction secrète à ses commissaires de faire faire des montres en chevaux et en argent ; d'obliger chaque centaine de feux à fournir six bons soldats avec la paye de 12 deniers par jour et 30 sous pour l'armure ; de contraindre tout possesseur de 2.000 livres en propriétés foncières ou mobilières d'aller en personne à la guerre, ou de payer les deux cinquièmes de son revenu et le centième de la valeur de ses meubles ; de contraindre de môme les prélats, chapitres, religieux, clercs, nobles, gentilshommes, femmes veuves. Les commissaires sont autorisés à vendre les exemptions du service personnel, moyennant le rachat en argent ; car c'est toujours de l'argent qu'il faut à la cour. Pour s'en procurer, le roi, comme son prédécesseur, s'adresse aux provinces ; ses commissaires y exposent le mauvais état de ses finances, son intention formelle d'y rétablir l'ordre, l'impossibilité d'y parvenir si ses sujets ne viennent à son secours ; ils offrent, pour sûreté du remboursement, des délégations sur les domaines du roi. Il est si discrédité, on a si peu de confiance, on est si mécontent, que les commissaires ont très-peu de succès. Irrité de la résistance des communes à ses désirs, le roi essaye de s'en venger en se coalisant avec le clergé et la noblesse, et convoque à Pontoise une assemblée des prélats et barons ; mais on y reçoit seulement la soumission du comte de Flandre (1316). Un mois après, le roi meurt ; on dit qu'il fut empoisonné. |