MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME SECOND. — LE DIRECTOIRE

 

CHAPITRE XI. — GUERRE DE LA VENDÉE.

 

 

APRÈS plus de trois ans de combats acharnés entre la République et la Vendée, l'une et l'autre avaient également besoin de la paix. Ce fut la République qui l'offrit ; la Vendée ne vint point faire sa soumission, on l'admit à traiter de puissance à puissance. Ce n'était pas la première fois qu'un gouvernement avait composé avec des rebelles ; les commissaires de la' Convention accordèrent aux Vendéens le libre exercice de leur religion, et leur promirent des indemnités ; ils leur permirent de rester armés, comme gardes territoriaux, sous le commandement de leurs officiers. Il eût mieux valu continuer la guerre que de faire une semblable concession ; ce fut l'avis du général en chef Hoche et d'une partie imposante de la Convention ; mais la majorité crut, ou feignit de croire, aux avantages et à la solidité d'une paix, faite même à cette condition, et l'approuva. Ce ne fut réellement qu'une trêve, et qui n'eut pas une longue durée.

Stofflet et Charette poussés par l'Angleterre, reprirent les armes, prétextant que la Convention avait violé la paix : il fallait donc recommencer la guerre. Une correspondance, trouvée dans un fourgon de Charette, saisi dans un combat, prouva sa trahison et celle de Stofflet ; ce chef, qui de garde-champêtre était devenu général, fut pris et fusillé. Charette ne fut pas plus heureux : abandonné par ceux qui l'avaient provoqué à rompre la paix, constamment battu, délaissé par ses propres troupes dégoûtées de la guerre, pressé de positions en positions, blessé à la tête et à la main, pouvant à peine se traîner, le premier des généraux vendéens fut obligé de se rendre au général Travot, et condamné à mort.

Le général Hoche, qui avait développé un si grand caractère et rendu de si éminents services dans cette guerre, avait prédit qu'elle ne finirait que lorsque Charette, général aussi fécond en ressources que brave et déterminé, aurait disparu du pays. En effet, après la mort de ce chef, qui porta le découragement parmi les bandes de rebelles, Hoche atteignit bientôt le but constant de toutes ses pensées, de tous ses travaux.

Tandis qu'avec une armée de quinze mille hommes il purgeait les départements qui avaient été le théâtre de la rébellion de quelques boute feux qui en comprimaient encore la population, il éclata un soulèvement royaliste dans les départements de l'Indre et du Cher : un attroupement de paysans, dirigé par des prêtres, arborait la cocarde blanche, sonnait le tocsin, coupait les arbres de la liberté, brûlait les archives des administrations, criait vive le Roi ! et s'emparait de la ville de Sancerre. Le Directoire y envoya des troupes commandées par les généraux Canuel et Desenfans ; au premier choc les rebelles furent battus, et rentrèrent dans le devoir.

Tandis que tout faisait espérer la fin très-prochaine de la guerre de la Vendée, le Directoire annonça, par un message (germinal an iv) que les royalistes voulaient faire de Lyon le point central de la contre-révolution. Des émigrés et les prêtres réfractaires, disait-il, y sont accueillis ; on y fait un commerce de certificats de résidence. Il préposait donc d'annuler tous ceux qui avaient été accordés depuis 1793 jusqu'à l'arrivée des représentants du peuple Despinassy, Poulain-Grandpré et Féroux dans cette ville. Les Lyonnais avaient été assez cruellement maltraités après le siège pour n'en avoir pas perdu le souvenir. Parce qu'ils étaient exaspérés contre les auteurs de leurs maux, on les accusait toujours de royalisme, et, au lieu de verser du baume sur leurs blessures, on les irritait en les flétrissant sans cesse par d'injustes soupçons. En supposant que les Lyonnais fussent royalistes, était-il politique de le proclamer hautement ? N'était-il pas plus sage et plus prudent de se tenir pour averti, et de prendre en secret toutes les mesures de gouvernement qu'exigeait une semblable disposition des esprits ? A force de crier au royalisme, n'ébranlait-on pas de plus en plus la République, et ne tendait-on pas à faire croire qu'elle n'avait pour partisans que les hommes qu'elle payait ? Mais le Directoire ne citait aucun fait ; proposer d'annuler en masse des certificats de résidence délivrés pendant plusieurs années par l'autorité légale et compétente, c'était le comble de la dérision et de l'arbitraire ; c'était violer des droits acquis, et porter le trouble dans les familles. On faisait le commerce de ces certificats ; le Directoire n'avait-il pas le droit de les examiner, de les admettre ou de les rejeter, puisqu'on lui avait confié celui de prononcer les radiations ? le Conseil rejeta donc sa proposition. Au fait Lyon était tranquille, que fallait-il de plus ? On travaillait à pacifier la Vendée, et l'on disait aux Vendéens, comme à toute la France, que la contre-révolution se préparait à Lyon !

Un fléau plus réel désolait plusieurs départements, et étendait ses ravages jusqu'aux portes de Paris, et même jusque dans ses murs ; il n'avait point de couleur politique ; c'étaient tout simplement des brigands qui volaient, assassinaient, et répandaient partout la terreur. Funeste résultat du sommeil des lois et de l'inertie des autorités, plus occupées, depuis les premiers pouvoirs jusqu'aux maires de villages, de misérables querelles intestines, que de la sûreté des personnes et des propriétés ; c'était l'affaire de la gendarmerie, mais elle ne pouvait y suffire, parce qu'on l'employait à espionner des anarchistes et des royalistes ; les troupes de ligne étaient nécessaires aux armées ; il restait encore la garde nationale, mais elle n'existait plus que dans les lois et sur le papier ; les partis l'avaient alternativement organisée et désorganisée, armée et désarmée, et h plus belle institution de la Révolution, la plus essentielle dans une république, était tombée en désuétude. Les citoyens étaient dégoûtés et déshabitués du service. Le Directoire voulut la remettre en vigueur ; il éprouva des obstacles ; de quelle nature ? à qui la faute ? comment s'y prit-il ? Sans entrer dans aucun détail sur ces questions, il disait, dans un message au Conseil des Cinq-Cents (13 floréal) : Dans plusieurs départements les autorités font de vains efforts pour organiser la garde nationale, indispensable pour la sûreté publique. La voix de la superstition et de l'égoïsme seule se fait entendre..... Et il demandait une loi coercitive ! Toujours le même système, la même aigreur, la même maladresse. Annoncer à la France et à l'Europe que les citoyens refusent le service ; accuser toute une nation d'égoïsme, pour un devoir que commandent l'honneur et l'intérêt public et privé, solliciter une loi coercitive ; mêler la superstition à l'objet sur lequel elle pouvait avoir le moins d'influence ! En vérité, était-ce là se montrer digne de gouverner ?

Malgré l'échauffourée de Sancerre, l'esprit contre-révolutionnaire de Lyon, l'égoïsme et la superstition qui paralysaient la garde nationale, malgré l'attitude menaçante du royalisme, et tant de circonstances heureuses pour les Vendéens et les Chouans, qui, d'après les déclamations au moins imprudentes du Directoire, auraient dû entretenir leurs espérances, leurs chefs se soumettaient, ils rendaient partout les armes, et le général Hoche, aidé par les généraux Hédouville, Travot et Canclaux, consommait l'œuvre de la paix. Ce ne fut plus une misérable transaction indigne de la République. Ses enfants égarés ne demandaient qu'à rentrer sous les lois communes ; elle les y admit et leur pardonna.