MÉMOIRES SUR LA CONVENTION ET LE DIRECTOIRE

TOME PREMIER. — LA CONVENTION

 

CHOIX DE MES OPINIONS, DISCOURS ET RAPPORTS PRONONCÉS A LA CONVENTION.

 

 

RAPPORT SUR LE RECUEIL DES ACTIONS HÉROÏQUES DES RÉPUBLICAINS FRANÇAIS.

5 MESSIDOR AN II.

 

CITOYENS, plusieurs réclamations ont été faites auprès de votre comité d'instruction publique sur la rédaction du Recueil des actions héroïques et civiques des républicains français : Votre comité a reconnu qu'il y en avait plusieurs de fondées, et il s'est empressé de prendre des moyens pour remplir le but que la Convention s'était proposé en décrétant ce recueil.

Il y a deux écueils à éviter : il n'est pas un membre dans cette assemblée qui n'ait fait, en le lisant, une nouvelle expérience, qu'une suite de faits détachés, isolés sans aucune liaison, sans chronologie, ne peut pas fixer l'attention, élever l'âme, ni produire de grands effets.

Il ne faut pas non plus que les actions héroïques soient noyées dans le luxe des mots, dans des réflexions déplacées, eu des phrases gigantesques, et qu'on voie dans le récit plus l'historien que le héros.

Il est un juste milieu fixé par le goût et par des convenances généralement senties, qui consiste à attacher le cœur et à satisfaire la curiosité. Votre comité ne s'est pas dissimulé la difficulté de le saisir ; mais il s'est efforcé d'en approcher le plus près qu'il lui a été possible.

Les traits les plus sublimes ne sont toujours que des débris muets et souvent méconnaissables tant qu'ils restent isolés ; ils ne deviennent importants que lorsqu'on a su les réunir et les employer à propos. On a donc pensé qu'il fallait grouper les actes de courage et de vertu qui appartiennent à une armée, à une expédition, à une bataille, à un siège, et les présenter avec un tableau précis et rapide des circonstances qui les ont précédés et suivis ; alors le lecteur se transporte en idée sur le champ de bataille et sur les retranchements ; il marche avec les défenseurs de la liberté, son âme s'enflamme au récit de leurs travaux et de leurs succès ; il brûle d'imiter leur bravoure et de partager leur gloire.

Le jeune Viala expirant sur les bords de la Durance excite l'admiration ; mais il devient encore plus intéressant, lorsqu'on voit, par les circonstances où il se trouvait, toute l'étendue de son dévouement.

Le respect de l'armée d'Italie pour le territoire de Gênes, sur lequel elle est obligée de passer pour attaquer Oneille, donne la plus haute idée des vertus des défenseurs de la république et du caractère national. Mais on aime à voir des soldats fatigués respecter des plaines d'orangers qu'ils traversent ; et, à côté, l'armée des Alpes franchir des précipices, gravir des montagnes, braver des torrents de feu, fondre au pas de charge sur les ennemis, et planter l'étendard de la république sur des monts inaccessibles.

On verse des pleurs sur les corps sanglants des généraux Brulé et Langlais, tués par les Piémontais en s'élançant les premiers dans leurs retranchements ; mais on regrette de n'avoir pas marché avec eux à l'instant où l'armée s'ébranle, au milieu des combats, et jusqu'au moment glorieux qui leur fait trouver dans la mort l'immortalité.

Cette forme offre une foule d'avantages ; elle est à la fois simple et sublime comme la révolution ; elle rappelle le souvenir des combats et des succès des défenseurs de la république. Ces numéros ne sont plus un recueil de faits décousus, difficiles à retenir et d'une impression passagère, mais un faisceau de vertus républicaines ; ils deviennent des jalons placés de distance, en distance par la Convention nationale, et qui peuvent fournir des matériaux importants à l'histoire de la révolution et du peuple français.

Chaque année aura, pour ainsi dire, le recueil de ses actions héroïques ; il deviendra pour elles une occasion journalière d'émulation, et à la paix un monument glorieux de leurs travaux.

C'est principalement à tout ce qui porte l'empreinte et le grand caractère de la révolution, à tout ce qui peut l'honorer et imprimer dans toutes les âmes l'amour de la patrie et de la liberté, qu'il faut ouvrir une place dans ce recueil. Sans doute nous aurions encore une riche moisson à faire, si, remontant jusque sous la monarchie, nous voulions porter nos regards sur ces familles respectables que des travaux utiles conservèrent à la vertu, au milieu de la corruption des mœurs ; mais ce n'est pas là notre objet, ni l'intention de la Convention, ni le sens du décret du 28 septembre. Il ne s'agit pas de compiler d'anciens journaux, mais de marcher avec le peuple depuis qu'il a conquis sa liberté, de recueillir les vertus qu'il a semées, et de rédiger un grand livre des actions héroïques, capables d'immortaliser les héros qu'enfante la liberté, et de fixer l'admiration de tous les siècles.