L'HOMME AU MASQUE DE FER

MÉMOIRE HISTORIQUE, OÙ L'ON RÉFUTE LES DIFFÉRENTES OPINIONS RELATIVES À CE PERSONNAGE MYSTÉRIEUX, ET OÙ L'ON DÉMONTRE QUE CE PRISONNIER FUT UNE VICTIME DES JÉSUITES

 

PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.

 

 

Au moment où le public français, dominé par des pensées graves, montre un empressement si marqué pour les études historiques, il accueillera sans doute avec bienveillance un mémoire qui a pour but d'éclaircir enfin le point le plus obscur de l'Histoire Moderne : nous voulons parler de l'anecdote du fameux Masque de Fer. D'innombrables écrivains, parmi lesquels on remarque Voltaire, Saint-Foix, Lagrange-Chancel, le duc de Nivernois, Lenglet-Dufresnoy, le père Griffet, Renneville, Linguet, Dussaulx, Roux-Fazillac, Mme Campan, M. Dulaure et MM. Berville et Barrière, ont déjà publié sur ce sujet leurs conjectures. Le ministre Fouquet, le duc de Lauzun, le marquis de Monmouth, le duc de Vermandois, le duc de Beaufort, le piémontais Matthioly, ont tour-à-tour été couverts du fameux masque ; quelques auteurs même sont allés jusqu'à supposer qu'il cachait un héritier du trône, un frère aîné de Louis XIV, privé violemment de l'héritage de ses pères, et l'on ne peut disconvenir que cette version romanesque prévaut encore dans l'esprit du peuple qui habite la contrée où ce personnage fut d'abord détenu, les îles Sainte-Marguerite. Tant est juste et vraie cette pensée de Saint-Évremond ; qu'il n'y a rien que l'esprit humain reçoive avec autant de plaisir que l'opinion des choses merveilleuses, et qu'il laisse avec plus de peine et de regret !

Le mémoire de M. le chevalier de Taulès vient détruire toutes les suppositions qu'on avait formées jusqu'à ce jour sur le Masque de Fer. Il offre sur cette aventure des détails appuyés sur des preuves et sur des raisonnements qui, à nos yeux, ont le caractère de l'évidence ; il nous eût été facile de donner à ce mémoire une forme plus méthodique ; nous avons préféré lui conserver celle qu'il a reçue de la main de l'auteur. Le lecteur y reconnaîtra mieux la route qu'à suivie M. de Taulès pour parvenir à une découverte qui nous parait devoir fixer les irrésolutions du public sur ce point mystérieux de notre histoire.

II est remarquable que cette révélation, faite au public au moment où le rétablissement des jésuites alarme tant de bons esprits, est un nouvel acte d'accusation porté contre cette société célèbre. Le témoignage de M. de Taulès doit être distingué parmi tous les autres ; ce n'est point ici un homme de parti que des passions ou des intérêts politiques ont pu aveugler ; c'est un ami sincère de la vérité, qui, comme le veut Bernardin de Saint -Pierre, l'a cherchée avec un cœur simple, et qui, en la déposant dans un écrit trouvé à côté de son testament, a cru servir la mémoire de ses rois, et la cause de leur dynastie, à laquelle il était profondément dévoué ; si sa déposition est contraire aux jésuites, c'est que les jésuites se sont trouvés sur son chemin. En un mot, ce sont ici les faits qui les accusent, et non pas l'écrivain.

Nous avons cru devoir joindre à la publication du Masque de Fer celle de la correspondance de Voltaire avec M. de Taulès. Cette correspondance, entièrement inédite, offre un assez grand nombre de lettres du vieillard de Ferney, non moins remarquables par l'intérêt des détails qu'elles renferment, que par les grâces du style. On y trouvera des discussions importantes sur le fameux testament politique du cardinal de Richelieu, ouvrage supposé suivant Voltaire, dont M. de Taulès a vivement combattu l'opinion. On y verra enfin que M. de Taulès a rectifié beaucoup de faits, que les premières éditions du Siècle de Louis XIV présentaient d'une manière inexacte, et la déférence que Voltaire montrait pour ses avis, son empressement à lui demander de nouvelles lumières, prouveront à la fois l'amour du grand homme pour la vérité et l'estime que lui avait inspirée l'esprit judicieux de M. de Taulès.

La notice biographique qu'on va lire, et dont tous les détails ont pour garants les autorités les moins suspectes, achèvera, nous n'en doutons pas, de donner au lecteur l'opinion la plus favorable du caractère de M. de Taulès.