HISTOIRE ROMAINE

SECONDE PARTIE. — RÉPUBLlQUE

CHAPITRE XX.

 

 

LE chaos barbare et belliqueux de la Gaule, dit Michelet, était une superbe matière pour le génie de César. Quoique Rome, en effet, eût vaincu la race celtique établie dans l’Italie septentrionale, la défaite de l’Allia et la terreur des hordes Kimro-teutones, qu’on croyait gauloises, n’étaient point effacées des souvenirs : on craignait toujours quelque nouveau coup d’audace de ce peuple transalpin, aventureux et guerrier. Aussi les Romains applaudirent-ils à l’idée hardie d’aller le frapper dans la profondeur de ses forêts, dans ses plaines marécageuses, sur les rivages d’un Océan inconnu, et d’établir vers le Nord des colonies semblables à celles du bassin de la Méditerranée, Massalie, Vienne, Lugdunum, Genève, Tolose, Narbonne. L’espoir du butin avait également sa part dais le plan de conquête. On disait que les vastes chênaies de la Gaule renfermaient de nombreux troupeaux, que le sol recélait de riches minerais d’or, et qu’un peuple devait avoir des trésors, quand il portait des sales brodées, des colliers, des boucles d’oreilles, des bagues, des bracelets. On savait les Gaulois braves, terribles à la première attaque, avec leur grande taille, la vivacité de leurs yeux bleus, leurs longues moustaches, leurs épées à deux tranchants, leur mépris de la mort entretenu par leurs Druides et par la certitude d’une autre vie ; mais on connaissait aussi la mobilité de leurs sentiments, leur vanité querelleuse, leur amour des choses nouvelles, leur promptitude à se décourager dans les revers.

Au moment où César entreprit la conquête de la Gaule proprement dite, ou Gaule chevelue, elle était divisée en trois grandes régions : 1° Belgique, au nord, entre la Seine, la Marne et le Rhin ; 2° Celtique au centre, entre la Garonne et la Seine, s’étendant depuis l’Océan jusqu’aux Alpes y compris l’Helvétie (Suisse moderne) ; 3° Aquitaine, au sud entre la Garonne et les Pyrénées. Ses huit millions d’habitants étaient répartis en villes, bourgs et bourgades, organisés à peu près comme les clans d’Ecosse, et composant trois cents nations distinctes. Chacune d’elles obéissait à un roi (righ, ou rix) ou à un vergobret (justicier, de guerg, qui fait, breth, justice), entourés et suivis de compagnons ou ambacts, complètement dévoués à leur personne. Il y avait union religieuse sous l’autorité des Druides, mais absence de centralisation politique. Au midi dominait le principe de l’hérédité des chefs ; dans le reste du pays celui de l’élection. Les clans se liguaient parfois en vue d’un intérêt commun, mais sur un espace restreint et pour un temps borné. La principale force militaire consistait dans la cavalerie, avec des chars de combat ; cependant l’infanterie de quelques peuplades était excellente et renommée. Ils savaient se fortifier dans des places ou oppidums en cas d’attaque.

La menace d’une invasion des peuplades transrhénanes, qui se donnaient le nom de Ghermanna, Germains (hommes de guerre), rend l’intervention de Rome dans la Gaule plus nécessaire et plus urgente. Le chef des Suèves, Ariovist, appelé par les Séquanes (Franche-Comté, Bourgogne, Alsace), clan rival de celui des Eduens, (Côtes-d’Or, Saône-et-Loire, Nièvre), traverse le Rhin avec quinze mille hommes armés (71), se jette sur le territoire des Éduens, clients de Rome, les bat sous Armagetobriga (la Moigte de Broie), près de Pontarlier, et les soumet aux Séquanes. Divitiac (l’Homme religieux), l’un des notables du parti romain chez les Éduens, se rend à Rome pour demander du secours. Le sénat diffère, l’envoi d’une armée et laisse Ariovist s’établir sur le sol gaulois (58). Gênée alors et refoulée par les incursions des Suèves, la tribu la plus orientale des Celtes, à savoir les Helvètes, suivis des Raurakes, des Tulinges et des Latobriges, descendent vers la Gaule romaine pour s’y établir. Afin de laisser à leurs ennemis leurs cabanes vides et pour se rendre à eux-mêmes le retour impossible, ils brûlent leurs villes et leurs villages, chargent sur les longues lignes de leurs chariots leurs femmes et leurs enfants, leur mobilier, et arrivent par toutes les routes sur le lac Léman, à la hauteur de Genève.

Il n’y avait pas à hésiter. César vient leur barrer la rive gauche du Rhône par une ligne fortifiée. L’éduen Dubnorix ou Dumnorix (puissant chef), opposé au parti de son frère Divitiac, essaie, de faciliter aux Helvètes le passage du Jura par le pays des Séquanes. César, .à la tête de cinq légions, franchit le Rhône sur la frontière des Éduens, au moment où les Helvètes y mettent le pied, fond sur les Tigorins (Zurich), une de leurs tribus retardataires, les détruit, suit pas à pas le gros de l’armée, épiant l’occasion de l’attaquer, les atteint près de Bibracte (Mont-Beuvray, près d’Autun), et, après une lutte acharnée, les défait et les repousse en Helvétie, comme un pasteur, dit Florus, fait rentrer son troupeau dans l’étable (58).

L’invasion helvétique contenue, César se tourne contre le Suève Ariovist, qui menaçait de rendre la Gaule germaine, le bat près de Mulhouse, le poursuit jusqu’au Rhin, pénètre dans la Belgique, se fraie un chemin à travers ces plaines bourbeuses, ces forêts vierges qu’il faut s’ouvrir avec la hache, jette des ponts sur les marais, s’avance tantôt à gué, tantôt à la nage et extermine les Nerviens (Hainaut) qui résistent avec un courage héroïque. L’armée romaine pliait ; César arrache le bouclier d’un soldat qui recule, vole au premier rang et rétablit le combat. Détachant alors la septième légion sous les ordres du jeune Crassus, qui avait décidé le gain de la bataille contre Ariovist, César lui donne mission de soumettre les peuples maritimes de l’Océan, et marche, avec le reste de son armée, à la rencontre des Aduateuques (Namur) qui s’étaient mis en marche pour se joindre aux Nerviens. Ils descendaient des Cimbres et des Teutons défaits par Marius : le neveu achève l’œuvre commencée par l’oncle en détruisant toute cette peuplade (57).

Tandis que les lieutenants de César font la guerre avec plus ou moins de succès sur divers points de la Gaule, Sergius Galba, chez les Veragres sur le Rhône supérieur ; Labienus, dans le pays des Trévires (Trèves) et des Rèmes (Reims, Soissons) ; Crassus entre les Armoricains et les Aquitains, Titurius Sabinus contre les Lexovii (Lisieux), les Unelli (Cotentin) et les Curiosolites (Côtes du Nord), le commandement de la flotte destinée à combattre les Vénètes (Vannes, Morbihan), est confié à Décimus Brutus, qui part du pays des Nannètes (Nantes) et de l’embouchure de la Loire, pour remonter vers l’Armorique, pendant que César s’avance vers le même point, par terre, à la tête d’une grande armée.

Les Vénètes faisaient grand fond sur leurs côtes hérissées de promontoires et de péninsules, que le flux séparait chaque jour du continent, et sur lesquels étaient placés leurs forts. Cet avantage était balancé par la supériorité des vaisseaux romains. Les embarcations des Vénètes avaient des fonds plats et des bords plus élevés que ceux des galères de Brutus. Leurs voiles étaient grossières et faites de peaux : ils s’aidaient rarement de rames, et la lourdeur ainsi que la lenteur de leurs mouvements permettait aux Romains d’employer le choc de l’éperon et le pont d’abordage. Après quelques combats partiels, on en vient à une épreuve décisive. Les Vénètes rassemblent deux cent vingt galères et font voile de l’embouchure du Morbihan contre la flotte de Brutus, mouillée vers l’angle de Quiberon, à la hauteur de Sarzeau, sous les yeux mêmes de César. Les Romains avaient adapté à leurs vergues des faulx pointues emmanchées à de longues perches : ils manœuvrent de manière à couper les cordages, qui lient les antennes aux mâts des navires ennemis ; les antennes et les voiles tombent, et le vaisseau se trouvant réduit à l’état de coque inerte, ils y jettent dessus les ponts à grappins et combattent comme sur la terre ferme. Les Celtes voient l’effet désastreux de cette manœuvre et s’efforcent de fuir, un grand calme qui survient les empêche de gagner le large. Leur flotte presque tout entière périt. Ce désastre entraîne la soumission des Vénètes et de l’Armorique. César, voulant effrayer toutes les résistances, fait passer les membres du conseil au fil de l’épée et vend le peuple comme esclave (56).

Restaient les peuples du nord de la Gaule, Morins et Ménapiens (Picardie, pays entre les bouches de la Meuse et de l’Escaut). César les refoule dans leurs forêts sans les vaincre, mais sûr de les retrouver bientôt, les autres peuples de la Gaule s’étant soumis à la domination romaine. Aussi, après avoir été passer l’hiver en Italie, il songe à repousser les nouvelles invasions germaines que les Usipètes et les Teuctères avaient renouvelées sur le territoire des Ménapiens, les bat vers le confluent du Rhin et de la Meuse, traverse pour la première fois le grand fleuve germain, aux environs de Bonn, sur un pont achevé en dix jours, pénètre en Germanie et s’avance vers le pays des Sucambres, en remontant les vallées de la Sieg et de l’Agger. Pendant sa marche, plusieurs peuples viennent solliciter son alliance : il les accueille et exige des otages, se dirige vers la Gaule en promettant aux Ubiens (Cologne) de les secourir, s’ils étaient attaqués par les Suèves, et rentre dais la Gaule, après avoir rompu le pont du Rhin (55).

Mais il ne suffisait point à l’ambition de César d’avoir prolongé ses conquêtes jusqu’à l’Océan, il veut, suivant l’expression de Valère Maxime étendre ses mains célestes sur l’île de Bretagne. Des secours en étaient partis afin de soutenir les Bretons de la Celtique. C’est le grief que fait valoir César pour déclarer la guerre aux insulaires bretons. Leurs mœurs et leur caractère étaient les mêmes que ceux des Gaulois, avec encore plus de fierté et de sauvagerie. D’une taille plus élevée ; d’un blond moins ardent, le corps tatoué de pastel, ils n’avaient pour demeures que de chétives cabanes de chaume et de bois ; ils déposaient leurs blés dans des silos ; leurs oppidums étaient situés au milieu des forêts, défendus par un rempart et un fossé et servaient de refuges contre les attaques des ennemis. Ils semblent n’avoir-pas eu de marine. César, pour opérer sa descente, part du port Itius (Boulogne-sur-mer) avec douze mille hommes de pied et quatre cent cinquante chevaux, embarqués sur quatre-vingts vaisseaux de transport et arrive en face des falaises de Douvres. Sa cavalerie, contrariée par le vent, ne peut prendre terre. Les Bretons descendent en armes sur le rivage. Après un débarquement des plus pénibles, où le légionnaire Scæva joue un rôle héroïque, les Romains repoussent les Bretons et établissent leur camp sur la hauteur de Walmer. On allait traiter de la paix, quand une violente tempête met les Romains dans un extrême péril et rend le courage aux Bretons. Ils enveloppent la septième légion qui commentait à plier, lorsque César parait à la tête de ses cohortes et contient l’ennemi. Le manque de cavalerie ne lui permet pas de poursuivre les fuyards ; mais la supériorité de ses soldats inflige aux Bretons des pertes cruelles. Craignant pourtant d’épuiser ses forces et ses ressources, César revient sur le continent, châtie en passant les Morins et les Ménapiens, qu’il n’avait pu atteindre l’année précédente, et établit ses quartiers d’hiver chez les Belges. En apprenant la nouvelle de ces succès, le sénat décrète vingt jours d’actions de grâces (55).

Des troubles s’étaient élevés dans l’Illyrie. César les apaise, passe quelque temps en Italie et rejoint son armée chez les Belges au commencement de juin 54, avec le projet de faire une seconde descente en Bretagne, à la tête de vingt-cinq mille hommes et dé deux mille chevaux. L’armée romaine prend terre aux environs de Deal, et marche contre l’ennemi posté sur les hauteurs de Kingston, au delà d’un cours d’eau appelé aujourd’hui la Petite-Stour. Les Bretons sont battus et poursuivis, lorsque César apprend que de graves avaries sont survenues à sa flotte. Sans perdre de temps, il fait haler ses vaisseaux sur le rivage, reprend l’offensive, bat Casivellaun, roi du Middlesex, passe la Tamise, et, content d’avoir maintenu le prestige des armes romaines, impose un tribut aux vaincus et revient en Gaule.

Il était temps : une insurrection générale allait faire explosion. La Gaule frémissait d’impatience sous le joug étranger. Les peuplades irritées de leurs défaites et la noblesse indignée du meurtre de Dumnorix, massacré comme déserteur, menacent de s’unir dans une ligue formidable. Les Eburons (Liège, Limbourg) donnent les premiers le signal de la révolte. Sabinus et Cotta étaient campés près d’Aduatuca (Tongres), avec quinze cohortes. Trompé par les paroles d’Ambiorix et de Catuvolc, Sabinus décide son collègue à sortir du camp pour aller rejoindre la légion la plus voisine, tombe dans une embuscade et périt avec presque tous les siens. Cotta est tué en combattant avec courage. Quintus Cicéron, frère de l’orateur, commandait les cantonnements du pays nervien. Soixante mille Gaulois l’assiègent dans son camp, que César a grand peine à dégager. Les Trévires conduits par Indutiomar, mais maintenus par Labienus, n’attendent que le moment favorable. Dans la Gaule centrale, les Carnutes et les Sénons (Chartres, Sens), chassent le roi Cavariun, imposé par César. Mais la rapidité et l’énergie du consul, aidé d’un chef gaulois, Cingetorix, gendre d’Indutiomar, répriment le soulèvement et le conjurent pour quelque temps encore. La punition terrible des Éburons, frappés tous comme des bêtes sauvages à l’exception d’Ambiorix, qui s’enfuit, donne aux Romains le temps de respirer. César se rend à Rome pour y passer l’hiver (53).

Cependant le supplice d’Accon, chef carnute, provoque dans la noblesse une indignation semblable à celle qu’a causée le meurtre de Dumnorix. L’éloignement de César, menacé, de ne pouvoir revenir à cause d’un hiver précoce et de la guerre civile imminente en Italie, la concentration des Romains sur la Haute-Seine, tout favorise la révolte. Les clans du centre commencent. Les chefs carnutes Gutruat (vengeur) et Conconnectodumn (cœur fier) donnent le signal autour de Genabum (Gien ou Orléans), en massacrant les Romains. Bientôt, comme un incendie, l’insurrection se propage chez les Arvernes (Auvergne), à la voix du grand héros gergovien, le fils de Celtill, dont on ignore le vrai nom, et que l’histoire connaît sous celui de Vercingétorix (Chef de cent chefs). Tous les Celtes saluent en lui le roi souverain, le généralissime des armées, le sauveur de la Gaule, le champion de son unité nationale et de son indépendance. Désespérant de vaincre les Romains en bataille rangée, Vercingétorix adopte pour tactique de faire le désert autour de César, brûlant les villes et les villages, détruisant les magasins, menaçant les approvisionnements de l’ennemi.

César, revenu d’Italie en toute hâte, prend son parti sans délai. Il franchit les Cévennes à travers six pieds de neige et apparaît tout à coup chez les Bituriges (Berry). Vercingétorix qui s’était dirigé vers le nord, est contraint de redescendre au sud. Les premiers coups de César frappent Genabum : tout est tué ou vendue Puis il traverse la Loire et enlève la première ville des Bituriges Noviodunum (Sancerre), qu’il rencontre sur son passage. Vercingétorix, arrivé trop tard pour la sauver, ordonne de livrer aux flammes vingt villes des Bituriges, qui s’imposent à elles-mêmes cette nécessité. Mais quand on en vient à la capitale du pays, Avaricum (Bourges), la plus riche et la plus belle ville de la Gaule, les habitants se jettent aux genoux de Vercingétorix et le supplient de la sauver de la ruine et du feu. Ces ménagements font leur malheur. César la prend après un siège difficile et une résistance héroïque : il y périt quarante mille Gaulois (52).

Malgré cet échec, Vercingétorix ne perd point courage. Dans une assemblée générale, il ranime la valeur de ses compatriotes, met tout en œuvre pour gagner à sa cause les autres États du pays, se porte vers la rive gauche de l’Elaver (Allier), pour empêcher César de pénétrer en Arvernie. Une ruse de guerre de César fait échouer une partie du plan de Vercingétorix. Il parvient toutefois à couvrir Gergovie, place située sur une haute montagne près de Nemetum (Clermont-Ferrand). Dans le même moment la division de l’armée gauloise placée sous les ordres de Cambil ou Camulogène, chef du pays des Aulerques (Eure, Sarthe, Mayenne, Saône-et-Loire) arrête Labienus sur le bord de la Seine, vis-à-vis de Lutèce qu’il brille pour ne pas la laisser prendre par les Romains. César essaie inutilement de bloquer Vercingétorix sous Gergovie. L’insurrection, qui menace de gagner les Eduens, le force à se retirer pour opérer sa jonction avec Labienus. La retraite fut rude. César obligé de payer de sa personne est sur le point d’être pris, et son épée reste entre les mains des ennemis. Quelques-uns de ses généraux croient tout perdu et proposent de rentrer dans la Province. César reprend les hostilités, rejoint Labienus, après avoir livré bataille à Camulogène qui périt dans l’action, contraint Vercingétorix à se renfermer dans Alésia (Alise ou Sainte-Reine dans la Côte-d’Or), et se met aussitôt à l’assiéger. C’est la dernière lutte de la Gaule expirante.

Après un long siège, où quatre-vingt mille hommes de pied, quinze mille chevaux et une population nombreuse finissent par mourir de faim, apparaissent tout à coup, en arrière de César, les colonnes d’une armée celtique et belge, forte de deux cent cinquante mille fantassins et de huit mille cavaliers, sous les ordres de Comm l’Atrébate, des Éduens Viridomar et Eporedorix et de l’Arverne Vercassivellaun. Du canal de Bretagne aux Cévennes les peuples ont fait un immense effort pour délivrer Vercingétorix. César tient tête à une sortie. furieuse des assiégés, tandis que Labienus parvient à prendre à dos l’armée gauloise. C’en est fait d’Alésia. Vercingétorix pouvait fuir ou se tuer. Il aime mieux déclarer en plein conseil qu’il est prêt à se livrer pour désarmer la colère du vainqueur. Monté sur son cheval, paré de sa plus belle armure, le roi des Arvernes se rend devant le tribunal du proconsul, en fait le tour, remet son cheval, ôte ses armes et s’assoit en silence aux pieds de César sur les degrés (52). Cinq ans après, il était traîné en triomphe par les rues de Rome et mis à mort. Vengeance inutile d’un vainqueur inhumain ! La figure de Vercingétorix est restée populaire dans nos traditions nationales. Son nom signifie amour de la patrie ; et toute la France s’est émue, quand on a récemment élevé sa statue sur le plateau d’Alésia.

Les clans gaulois dispersés se soumettent successivement au vainqueur. Les Bituriges et les Carnutes essaient de combattre. César porte chez eux le fer et la flamme. Les Bellovaques (territoire de Beauvais), conduits par Corrée, tendent une embuscade aux Romains sur les bords de l’Aisne, mais ils sont battus et leur chef massacré. Toutes les cités du nord livrent alors des otages. César parcourt la Belgique, rejette une seconde fois Ambiorix au delà du Rhin, se fait donner des otages par les villes armoricaines et étouffe les restes de l’insurrection entre la Loire et la Garonne.

Deux compagnons d’armes de Vercingétorix, le Sénonais Drappeth et le Cadurque Lucter, tentent d’envahir la province romaine ; mais ils sont forcés de se réfugier dans Uxellodunum (Puy d’Issolu près de Vayrac, sur le Lot). Cette place était située sur une haute montagne, couronnée d’une ceinture de rochers à pic et dominant les environs d’une hauteur de deux cents mètres. Rien n’effraie les Romains. Ils en font le siège. Dans une sortie, Drappeth est fait prisonnier et se laisse mourir de faim. Lucter ne peut rentrer dans la place et s’enfuit chez les Arvernes. En ce moment César arrive, détourne au moyen d’une galerie creusée sous terre les eaux de la source qui alimente la garnison, et la dernière citadelle de la nationalité gauloise tombe aux mains du vainqueur. Il use de sa victoire moins en Romain qu’en barbare. Il fait couper les mains à tous les captifs. Le roi Comm seul obtient la paix sans condition. La Gaule chevelue est réduite en province romaine (50). Dès lors, dit Michelet, César change de conduite à l’égard des Gaulois : il fait montre envers eux d’une extrême douceur ; il les ménage pour les tributs au point d’exciter la jalousie de la Province. Ce tribut même est déguisé sous le nom honorable de solde militaire. Il engage à tout prix les meilleurs guerriers dans ses légions ; il en compose une légion tout entière, dont les soldats portaient une alouette sur leur casque et qu’on appelait pour cette raison l’alauda... La Gaule garda, pour consolation de sa liberté, l’épée que César avait perdue dans la dernière guerre. Les soldats romains voulaient l’arracher du temple où les Gaulois l’avaient suspendue : Laissez-la, dit César en souriant, elle est sacrée.

En réalité, César avait fait payer cher à la Gaule l’introduction forcée de la civilisation romaine : huit cents villes prises d’assaut, trois cents nations défaites, un million de Gaulois tués et un million faits prisonniers !