HISTOIRE ROMAINE

SECONDE PARTIE. — RÉPUBLlQUE

CHAPITRE PREMIER.

 

 

La révolution de 509 qui exile les rois et leur substitue des préteurs ou consuls annuels, est d’abord tout aristocratique. Le sénat est augmenté d’un certain nombre de pères conscrits. Les patriciens conservent seuls l’éligibilité aux fonctions civiles et sacerdotales : ils ne se marient qu’entre eux, composent une caste fermée aux plébéiens, et s’arrogent les privilèges les plus choquants et les plus absurdes. Mais cette exclusion même fait mieux sentir aux plébéiens la valeur des droits dont ils sont privés. Armés du droit d’élection et de celui de provocation, ils ne tarderont pas à s’en servir pour revendiquer les autres et pour triompher dans les luttes entreprises au nom de l’égalité civile.

La nouvelle République ne s’établit pas sans de graves difficultés. Les deux premiers consuls étaient Brutus et Collatin, le mari de Lucrèce ; mais celui-ci, parent des Tarquins, fait ombrage au peuple : il abdique et se retire à Lavinium. On lui donne pour successeur Valerius, surnommé Publicola, l’ami du peuple, l’ennemi implacable de la royauté. Des agents du roi déchu, venus à Rome réclamer ses biens, profitent des délais nécessaires à l’examen de leur demande pour conspirer en faveur de Tarquin avec des jeunes gens appartenant aux familles Aquilia et Vitellia. Les fils mêmes de Brutus, Titus et Valerius, prennent part à la conjuration. Un esclave, nommé Vindicius, la révèle aux consuls. Les coupables sont condamnés à être battus de verges et décapités dans le Forum. Brutus assiste, impassible, au supplice de ses fils. Était-ce une vertu supérieure qui l’élevait au-dessus des affections humaines ou une passion outrée jusqu’à l’insensibilité ? Plutarque ne se prononce pas sur l’une ou l’autre de ces deux dispositions extraordinaires et qui ne sont pas dans la nature de l’homme. La première, dit-il, est d’un dieu et l’autre d’une bête féroce.

Cependant les biens de Tarquin sont livrés au pillage, sa maison et son palais sont rasés. Tarquin, plein de colère, marche sur Rome, aidé du secours des Tarquiniens et des Véiens. Brutus et Valerius vont à sa rencontre. Les deux armées se trouvent en présence sur le territoire sabin, dans un pré appelé Junius. Aruns, un des fils de Tarquin, et le consul Brutus fondent l’un sur l’autre : emportés par leur furie, ils se percent mutuellement de leurs lances. Valerius taille en pièces Tarquin et son armée. On décerne au consul vainqueur les honneurs du triomphe, et le premier il entre dans Rome sur un char à quatre chevaux. Cependant comme il ne se donne pas de collègue après la mort de Brutus, on l’accuse de vouloir rétablir la royauté. Sa conduite dément ces bruits calomnieux. Il démolit sa maison située sur la Velia, la partie la plus élevée du Palatin, fait abaisser les faisceaux devant le peuple, dévoue aux dieux la tête et les biens de quiconque voudra se faire roi, exempte les pauvres de tout impôt, permet l’appel au peuple du jugement de tous les magistrats, prend successivement pour collègues Lucretius, père de Lucrèce, et Marcus Horatius Pulvillus, et nomme deux questeurs annuels, chargés de la garde du trésor public déposé dans le temple de Saturne.

Tarquin, après la bataille où il avait perdu son fils Aruns, s’était réfugié chez Porsena, Iars ou roi de Clusium, en Etrurie. Avec l’aide de ce prince, il déclare la guerre aux Romains, arrive à la tête d’une nombreuse armée, donne l’assaut avec vigueur, met les gardes en fuite et est sur le point de pénétrer dans la ville ; mais Publicola prévient les ennemis, en s’élançant devant les portes, engage le combat auprès du fleuve, fait face à ses adversaires, tombe couvert de blessures et est emporté hors de la mêlée.

C’est en cet endroit que les traditions romaines placent l’héroïsme d’Horatius Coclès, de Mucius Scævola et de la jeune Clélie. Horatius Coclès (le borgne), résistant seul à l’armée assiégeante, donne à ses compagnons le temps de couper le pont Sublicius, en tête duquel il combat, se jette dans le Tibre tout armé et le passe à la nage. Mucius Scævola (le gaucher) pénètre dans le camp de Porsena pour le tuer : il se trompe et frappe un des courtisans. On l’arrête : il plonge sa main droite dans un brasier ardent : Tu vois, dit-il au roi, à quel homme tu as échappé : nous sommes ainsi trois cents qui avons fait le serinent de te donner la mort. Clélie, une des jeunes filles livrées en otage, se soustrait à ses gardiens, traverse le fleuve à chevale revient aux Romains, qui, par bonne foi, la rendent à Porsena ; mais le roi, luttant de générosité avec ses ennemis, permet à Clélie de rentrer dans Rome.

Cependant ces prodiges de courage effraient Porsena, qui conclut la paix avec Publicola guéri de ses blessures La fierté romaine a embelli de fictions cette période de combats pour la liberté naissante. Quelques écrivains, en effet, prétendent que Porsena ne consentit à faire la paix avec Rome qu’en lui imposant de rudes conditions. Quoi qu’il en soit, le roi des Étrusques se retire de la lutte, et ne sert plus les projets de Tarquin.

Peu de temps après, les consuls Valerius et Postumius remportent deux victoires sur les Sabins, vaincus une troisième fois par Spurius Cassius. Mais un avantage plus grand que ces victoires, c’est l’arrivée à Renne d’une opulente famille de Sabins, les Appius Claudius, suivis de cinq mille clients et admis dans les rangs des patriciens.

Une première révolte des Aurunces est comprimée par le consul Postumius qui reçoit les honneurs du petit triomphe, ovatio, où le vainqueur rentrait à pied dans la ville. Un second soulèvement des Sabins et des Volsques, suscité par les Tarquins ; ayant pris un caractère très menaçant pour Rome, le sénat, du consentement du peuple, crée une magistrature nouvelle. Publicola était mort : on nomme un dictateur à la place de l’éminent consul et de son collègue Postumius (498). Le dictateur est arbitre absolu et irresponsable de la paix et de la guerre : ses jugements sont sans appel ; ses pouvoirs ne durent que six mois. Comme il combat à pied, il a sous ses ordres un maître de la cavalerie (magister equitum). Le premier dictateur est Titus Lartius. Il parait sur le Forum, escorté de vingt-quatre licteurs, fait des levées, oblige les Latins à négocier une trêve et se démet de sa charge au bout de seize jours. Les Latins recommencent bientôt les hostilités. Un nouveau dictateur, Aulus Postumius, est chargé de combattre la confédération latine. Postumius et son maître de cavalerie Cossus rencontrent auprès du lac Régille les Latins commandés par Mallius de Tusculum. De nos jours, le temps a desséché le lac Régille, mais la bataille ne semble pas douteuse (496). Elle fut sanglante. Des deux fils de Tarquin, Titus est blessé, Sextus est tué. La légende populaire placent Castor et Pollux parmi les combattants romains. Les deux chefs vainqueurs reçoivent les honneurs du triomphe. Un monument spécial consacre le souvenir de cette victoire qui décide du sort de la République. Comme pour l’assurer mieux encore, le vieux roi Tarquin va mourir à Cumes, en Campanie, chez le tyran Aristodème (494).