Les gouvernants (suite). — I. Le personnel administratif à Paris. - Composition du groupe dans lequel il se recrute. - Détérioration de ce groupe. - Epuration dans les assemblées de section. - Épuration dans les assemblées populaires. - Pression du gouvernement. — II. Qualité des meneurs subalternes. - Comment ils règnent dans les assemblées de section. - Comment ils accaparent les places et exercent les offices. — III. Un ministre des affaires étrangères. - Un commandant général. - La Commune de Paris. - Un comité révolutionnaire. — IV. Le personnel administratif en province. - Le Jacobinisme moindre dans les villes départementales qu'à Paris. - Le Jacobinisme moindre dans les campagnes que dans les villes. - Point de comités révolutionnaires dans les petites communes. - Tiédeur des municipalités dans les villages. - Les Jacobins sont trop peu nombreux dans les bourgs et petites villes. - Agents douteux et contraints dans le personnel des villes moyennes ou grandes. - Insuffisance du personnel recruté sur place. — V. Importation d'un personnel étranger. - Les Jacobins de Paris sont envoyés en province. - Les Jacobins des villes exaltées viennent dans les villes modérées. - Les Jacobins du chef-lieu se répandent dans la circonscription. - Résistance de l'opinion. - Dissémination et nombre infime des agents vraiment Jacobins. — VI. Qualité du personnel ainsi formé. Condition sociale des agents - Leur ineptie et leur inconduite. - Les administrateurs dans la Marne et l'Aube. - Ivrognerie et ripailles. - Les comités et les municipalités dans la Côte-d'Or. - Dilapidations et concussions. - Les marchands de grâces à Bordeaux. - Les briseurs de scellés à Lyon. - Les acquéreurs de biens nationaux. - Les ventes d'objets mobiliers. - Détournements et fraudes. - Un procès-verbal chez le maire de Strasbourg. - Les ventes d'immeubles. - Les commissaires aux déclarations à Toulouse. - Le personnel administratif et les sociétés d'acheteurs en Provence. - Le comité révolutionnaire de Nantes. — VII. La force armée, garde nationale et gendarmerie. - Son épuration et sa composition. - Les armées révolutionnaires à Paris et dans les départements. - Qualité des recrues. - Leur emploi. - Leurs expéditions dans les campagnes et dans les villes, Leurs exploits aux environs de Paris et à Lyon. - La compagnie des Marais, les hussards américains et la légion germanique à Nantes. - Caractère général du gouvernement révolutionnaire et du personnel de la Terreur. Pour fournir aux souverains locaux les lieutenants et
agents subordonnés dont ils ont besoin, il y a le peuple jacobin du lieu, et
l'on a vu[1] de quelles
recrues il se compose, déclassés, affolés et pervertis de toute espèce et de
toute condition, surtout de la plus basse, subalternes envieux et haineux,
petits boutiquiers endettés, ouvriers viveurs et nomades, piliers de café et
de cabaret, vagabonds de la rue et de la campagne, hommes du ruisseau et
femmes du trottoir, bref toute la vermine antisociale,
mâle et femelle[2]
; dans ce ramassis, quelques énergumènes de bonne foi, dont le cerveau fêlé a
donné spontanément accès à la théorie en vogue ; les autres, en bien plus
grand nombre, vraies bêtes de proie qui exploitent le régime établi et n'ont
adopté la foi révolutionnaire que parce qu'elle offre une pâture à leurs
convoitises. — A Paris, ils sont cinq ou six mille, et, après thermidor, on
les retrouve en nombre à peu près égal, ralliés par les mêmes appétits autour
du même dogme[3],
niveleurs et terroristes, les uns, parce qu'ils sont
dans la misère, les autres, parce qu'ils sont déshabitués du travail de leur
état, furieux contre les scélérats à
porte-cochère, contre les richards et les détenteurs d'objets de première
nécessité, plusieurs ayant arsouillé dans la Révolution et prêts à se
remettre à la besogne, pourvu que ce soit pour tuer les coquins de riches, d'accapareurs et de marchands,
tous ayant fréquenté les sociétés populaires et se
croyant des philosophes, quoique la plupart ne sachent pas lire ; à
leur tête, le demeurant des plus notables bandits politiques, le fameux
maître de poste Drouet, qui, à la tribune de la Convention, s'est lui-même
déclaré brigand[4] ; Javogues, le
voleur de Montbrison et le Néron de l'Ain[5] ; l'ivrogne
Cusset, jadis ouvrier en soie, ensuite pacha de Thionville ; Bertrand, l'ami
de Châlier, ex-maire et bourreau de Lyon ; Darthé, ex-secrétaire de Lebon et
bourreau d'Arras ; Rossignol et neuf autres septembriseurs de l'Abbaye et des
Carmes ; enfin, le grand apôtre du communisme autoritaire, Babeuf, qui,
condamné à vingt ans de fers pour un double faux en écritures publiques,
aussi besogneux que taré, promène sur le pavé de Paris ses ambitions
frustrées et ses poches vides, en compagnie des sacripants déchus qui, s'ils
ne remontent pas au trône par un nouveau massacre[6], traîneront
indéfiniment leurs souliers éculés dans les rues, faute d'argent pour retirer de chez le cordonnier une u paire de bottes,
ou vendront une tabatière, leur dernière ressource, pour acheter leur rogomme
du matin[7]. — En cet état,
on voit à plein et distinctement la canaille régnante ; séparée de ses
adhérents contraints et des automates administratifs qui la servent, comme
ils serviraient tout autre pouvoir, elle apparaît pure et sans mélange d'afflux
neutres ; on reconnaît en elle le résidu permanent, la boue fixe et profonde
de l'égout social. C'est dans ce bas-fond d'ignorance et de vices que le
gouvernement révolutionnaire va chercher ses états-majors et son personnel. Impossible de les trouver ailleurs. Car la besogne quotidienne qu'on leur impose, et qu'ils doivent faire de leurs propres mains, est le vol et le meurtre ; sauf les purs fanatiques qui sont rares, les brutes et les drôles ont seuls de l'aptitude et du goût pour cet emploi. A Paris, comme en province, on va les prendre où ils sont, dans leurs rendez-vous, dans les clubs ou sociétés populaires. — Il y en a au moins une dans chaque section de Paris, en tout quarante-huit, ralliées autour du club central de la rue Saint-Honoré, quarante-huit ligues de quartier formées par les émeutiers et braillards de profession, par les réfractaires et les goujats de l'armée sociale, par tous les individus, hommes ou femmes[8], impropres à la vie rangée et au travail utile, surtout par ceux qui, le 31 mai et le 2 juin, ont aidé la Commune et la Montagne à violenter la Convention. Ils se reconnaissent à ce signe que chacun d'eux, en cas de contre-révolution, serait pendu[9], et posent, comme une vérité a incontestable, que, s'ils épargnent un seul aristocrate, ils iront tous à l'échafaud[10]. — Naturellement ils se tiennent en garde, et se serrent entre eux : dans leur coterie, tout se fait par compère et commère[11] ; on n'y est admis qu'à condition d'avoir fait ses preuves au 10 août et au 31 mai[12]. — Et, comme derrière leurs chefs vainqueurs ils se sont poussés à la Commune et aux comités révolutionnaires, ils peuvent, par les certificats de civisme qu'ils accordent ou refusent arbitrairement, exclure, non seulement de la vie politique, mais encore de la vie civile, tous les hommes qui ne sont pas de leur clique. Vois, écrit à Danton un correspondant[13], vois quelles gens obtiennent aisément ces certificats : des Ronsin, des Jourdan, des Maillard, des Vincent, des a banqueroutiers, des teneurs de tripot, des coupe-jarrets. Demande à tous ces personnages s'ils ont payé une contribution patriotique, s'ils payent exactement leurs impôts ordinaires, s'ils font des dons à leur section pour les pauvres, pour les soldats volontaires, et tu verras que non. La Commune donne des certificats de civisme à ses satellites, et les refuse aux meilleurs citoyens. Le monopole est patent, on ne s'en cache pas ; six semaines plus tard, il devient officiel[14] : plusieurs sections arrêtent de ne point accorder de certificats de civisme aux citoyens qui ne seraient point membres d'une société populaire. — Et, de mois en mois, la rigueur des exclusions va croissant. On annule les anciens certificats, on en impose de nouveaux, on charge ces nouveaux brevets de formalités nouvelles, on exige un plus grand nombre de répondants, on refuse plusieurs catégories de garants, on est plus strict sur les gages donnés et sur les qualités requises, on ajourne le candidat jusqu'à plus ample informé, on le rejette sur le moindre soupçon[15] : il doit s'estimer trop heureux, si on le tolère dans la république à l'état de sujet passif, si l'on se contente de le taxer ou de le vexer à discrétion, si on ne l'envoie pas rejoindre en prison les suspects ; quiconque n'est pas de la bande n'est pas de la cité. Entre eux et dans leurs sociétés populaires, c'est pis : car l'envie d'avoir des places fait qu'ils se dénoncent les uns après les autres[16]. Par suite, aux Jacobins de la rue Saint-Honoré et dans les succursales de quartier, ils s'épurent incessamment et toujours dans le même sens, jusqu'à purger leur faction de tout alliage honnête et passable, jusqu'à ne garder d'eux-mêmes qu'une minorité qui empire à chaque triage. Tel annonce que dans son club on a déjà chassé 80 membres douteux ; un autre, que, dans le sien, on va en exclure 100[17]. — Le 23 ventôse[18], dans la société du Bon Conseil, le plus grand nombre des membres examinés est repoussé : on est si strict, qu'un homme qui ne s'est pas montré d'une façon énergique dans les temps de crise ne peut faire partie de l'assemblée ; pour un rien, on est mis à l'écart. — Le 13 ventôse, dans la même société, sur 26 examinés, 7 seulement ont été admis. Un citoyen, marchand de tabac, âgé de 68 ans, qui a toujours fait son service, a été rejeté pour avoir appelé le président Monsieur et pour avoir parlé à la tribune tête nue : deux membres, après cela, ont prétendu qu'il ne pouvait être qu'un modéré, et il n'en a pas fallu davantage pour qu'il fût exclu. — Ceux qui sont maintenus sont les vauriens les plus affichés, les plus remuants, les plus bavards, les plus féroces, et le club, mutilé par lui-même, se réduit à un noyau de charlatans et de chenapans. A ces éliminations spontanées par lesquelles il se détériore, joignez la pression incessante par laquelle le Comité de salut public l'effarouche et l'avilit. — Plus le gouvernement révolutionnaire s'appesantit et se concentre, plus les agents qu'il emploie doivent être serviles et sanguinaires. Il frappe à droite et à gauche pour les avertir, il emprisonne ou décapite, dans sa propre clientèle, d'abord les turbulents, les démagogues en second qui s'impatientent de ne pas être les démagogues en premier, les audacieux qui songent à faire un nouveau coup de main dans la rue, Jacques Roux, Vincent, Hébert, Momoro, les meneurs des Cordeliers et de la Commune ; ensuite les indulgents qui voudraient introduire un peu de discernement ou de modération dans la Terreur, Camille Desmoulins, Danton et leurs adhérents ; enfin, quantité d'autres, plus ou moins douteux, indisciplinés, compromis ou compromettants, fatigués ou excentriques, depuis Maillard jusqu'à Chaumette, depuis Antonelle jusqu'à Chabot, depuis Westermann jusqu'à Clootz. Chacun des proscrits avait sa séquelle, et, subitement, toute cette séquelle est obligée de tourner casaque ; ceux qui étaient capables d'initiative s'aplatissent ; ceux qui étaient capables de pitié s'endurcissent. Dès lors, parmi les Jacobins subalternes, les racines de l'indépendance, de l'humanité, de la loyauté, difficiles à extirper même dans une âme ignoble ou cruelle, sont arrachées jusqu'à la dernière fibre, et le personnel révolutionnaire, déjà si bas, se dégrade jusqu'à devenir digne de l'office qu'on lui commet. Affidés d'Hébert, auditeurs de Chaumette, camarades de Westermann, collègues d'Antonelle, officiers de Ronsin, lecteurs assidus de Camille, admirateurs et fidèles de Danton, ils sont tenus de renier publiquement leur ami ou leur chef incarcéré, d'approuver le décret qui l'envoie à l'échafaud, d'applaudir à ses calomniateurs, de le charger au procès : tel juge ou juré, partisan de Danton, a dû étrangler sa défense et, le sachant innocent, le déclarer coupable ; tel autre, qui a dîné vingt fois avec Camille Desmoulins, doit, non seulement le guillotiner, mais, par surcroît, guillotiner sa jeune veuve. Et, aux comités révolutionnaires, à la Commune, aux bureaux du Comité de sûreté générale, au bureau de police centrale, à l'état-major de la force armée, au Tribunal révolutionnaire, le service auquel sont astreints les Jacobins en place devient chaque jour plus lourd et plus rebutant. Dénoncer des voisins, arrêter des collègues, venir prendre dans leur lit d'honnêtes gens que l'on cannait pour tels, ramasser chaque jour dans les prisons trente, cinquante, soixante malheureux qui sont la pâture quotidienne de la guillotine, les amalgamer au hasard, les juger en tas, les condamner en masse, escorter des femmes de quatre-vingts ans et des filles de seize ans jusque sous le couperet, voir tomber les têtes et basculer les corps, aviser aux moyens de se débarrasser des cadavres trop nombreux et de dissimuler le sang trop visible : de quelle espèce sont les âmes qui peuvent accepter une pareille tâche et la faire tous les jours, avec la perspective de la faire indéfiniment ? — Fouquier-Tinville lui-même y succombe. Un soir, allant au Comité de salut public, il se trouve mal sur le Pont Neuf, et dit : Je crois voir les ombres des morts qui nous poursuivent, surtout celles des patriotes que j'ai fait guillotiner. Et, un autre jour : J'aimerais mieux labourer la terre que d'être accusateur public. Si je pouvais, je donnerais ma démission[19]. — A mesure que le régime s'aggrave, le gouvernement, pour avoir des instruments convenables, est contraint de descendre plus bas ; il n'en trouve plus qu'au dernier échelon, en germinal pour renouveler la Commune, en floréal pour remanier les ministères, en prairial pour recomposer le Tribunal révolutionnaire, de mois en mois pour purger et reconstituer les comités de quartier[20]. Vainement Robespierre, écrivant et récrivant ses listes secrètes, cherche des hommes capables de soutenir le système ; toujours il ressasse les mêmes noms, des noms d'inconnus, d'illettrés[21], une centaine de scélérats ou d'imbéciles, parmi eux quatre ou cinq despotes et fanatiques de second ordre, aussi malfaisants et aussi bornés que lui. — Le creuset épuratoire a trop longtemps et trop souvent fonctionné ; on l'a trop chauffé ; on a évaporé de force les éléments sains ou demi-sains de la liqueur primitive ; le reste a fermenté et s'est aigri : il n'y a plus au fond du vase qu'un reliquat de stupidité et de méchanceté, l'extrait concentré, corrosif et bourbeux de la lie. II Tels sont les souverains subalternes[22] qui, à Paris,
pendant quatorze mois, disposent à leur gré des fortunes, des libertés et des
vies. — Et d'abord, aux assemblées de section qui maintiennent encore un
simulacre de souveraineté populaire, ils règnent despotiquement et sans
conteste. — Douze ou quinze[23] hommes en bonnet rouge, éclairés ou non, s'arrogent le
droit exclusif de tout dire et de tout faire, et, s'il arrive qu'un autre
citoyen, dont les intentions sont pures, veuille proposer des mesures qu'il
croit justes et qui le sont effectivement, ou ces mesures ne sont point
écoutées, ou, si elles le sont, ce n'est que pour que tous les membres composant
l'assemblée soient témoins du peu de cas que l'on en fait. Elles sont donc
rejetées, par cela seul qu'elles n'ont point été présentées par un de ces
hommes à bonnet rouge, ou par un de ceux qui sont, comme eux, initiés dans
les mystères de la section. — Quelquefois,
dit un de ces meneurs[24], nous ne nous trouvons que dix de la Société à l'assemblée
générale de la section ; mais nous suffisons pour faire trembler le reste.
Lorsqu'un citoyen de la section fait une proposition qui ne nous convient
pas, nous nous levons tous, et nous crions que c'est un intrigant, un
signataire (des anciennes pétitions
constitutionnelles). C'est ainsi que nous
imposons silence à ceux qui ne sont pas dans le sens de la Société. —
L'opération est d'autant plus aisée que, depuis le mois de septembre 1793, la
majorité, composée de bêtes de somme, marche à la baguette. Quand il s'agit de quelque chose qui tient à l'esprit
d'intrigue ou à des intérêts particuliers[25], la proposition est toujours faite par un des membres du
comité révolutionnaire de la section, ou par un de ces patriotes énergumènes
qui ne font qu'un avec le comité et ordinairement lui servent d'espions. A
l'instant, les hommes ignorants, à qui Danton a fait accorder 40 sous par
séance et qui depuis vont en roule aux assemblées où ils n'allaient pas
auparavant, accueillent la proposition par des applaudissements bruyants, en
criant Aux voix, et l'arrêté est pris à l'unanimité, quoique les citoyens
instruits et bien intentionnés soient d'un avis différent. Si quelqu'un osait
s'y opposer, il aurait tout à craindre d'être incarcéré comme suspect[26], après avoir été traité
d'aristocrate, de modéré, de fédéraliste, ou, tout au moins, lui
refuserait-on un certificat de civisme, s'il avait le malheur d'en avoir
besoin, sa subsistance en dépendît-elle, soit comme employé, soit a comme
pensionnaire. — Dans la section de la Maison Commune, la plupart des
auditeurs sont des maçons ; excellents patriotes,
dit un des clubistes du quartier[27] : ils votent toujours pour nous ; on leur fait faire ce que
l'on veut. Nombre de manœuvres, cochers, charretiers et ouvriers de
tout métier gagnent ainsi leurs quarante sous, et n'imaginent pas qu'on
puisse leur demander autre chose. Arrivés au commencement de la séance, ils
se font inscrire, puis sortent pour boire bouteille,
sans se croire tenus d'écouter l'amphigouri des orateurs ; vers la fin, ils
rentrent, et, du gosier, des pieds, des mains, font tout le tapage requis,
puis ils vont reprendre leur carte et toucher leur
paye[28].
Avec des claqueurs de cette espèce, on a vite raison des opposants, ou
plutôt, toute opposition est étouffée d'avance. Les
meilleurs citoyens se taisent dans les assemblées de section, ou s'abstiennent de venir ; elles ne sont plus que
des tripots où les arrêtés
les plus absurdes, les plus injustes, les plus impolitiques, sont pris à
chaque instant[29]. Et, de plus, on y ruine les citoyens par des dépenses
sectionnaires sans bornes, qui excèdent les impôts ordinaires et les dépenses
communales, qui sont déjà très fortes. Tantôt c'est une salle qu'un
menuisier, un serrurier, membre du comité révolutionnaire, veut que l'on
construise, qu'on agrandisse ou qu'on embellisse, et il faut le vouloir avec
lui. Tantôt c'est un mauvais discours, plein d'exagération et d'impolitique,
dont on ordonne l'impression à trois, quatre, cinq et six mille exemplaires.
Puis, pour combler la mesure, et à l'exemple de la Commune, jamais de comptes,
ou, si l'on en rend pour la forme, défense d'y trouver à redire sons peine de
suspicion, etc. — Propriétaires et distributeurs du civisme, les douze
meneurs n'ont eu qu'à s'entendre pour s'en répartir les bénéfices ; à chacun
selon ses appétits ; désormais la cupidité et la vanité sont à l'aise pour
manger la chose publique sous le couvert de l'intérêt public. La pâture est immense, et d'en haut on les y appelle. Je suis bien aise, dit Henriot, dans un de ses ordres
du jour[30],
d'avertir mes frères d'armes que toutes les places
sont à la disposition du gouvernement. Le gouvernement actuel, qui est
révolutionnaire, qui a des intentions pures, qui ne veut que le bien de tous....
va, jusque dans les greniers, chercher les hommes
vertueux... les pauvres et purs sans-culottes.
Et il y a de quoi les satisfaire, 35.000 emplois publics dans la seule capitale[31] : c'est une
curée ; déjà, avant le mois de mai 1793, la société
des Jacobins se vantait d'avoir placé 9.000 agents dans les administrations[32], et, depuis le 2
juin, les hommes vertueux, les pauvres et purs
sans-culottes sortent en foule de leurs
greniers, de leurs taudis, de leurs chambres garnies, pour attraper
chacun son lopin. — Sans parler des anciens bureaux de la guerre, de la
marine, des travaux publics, des finances et des affaires étrangères qu'ils
assiègent, où ils s'installent par centaines et d'autorité, où ils dénoncent
incessamment le demeurant des employés capables, et font des vides afin de
les remplir[33],
il y a vingt administrations nouvelles qu'ils se réservent en propre.
Commissaires aux biens nationaux de la première confiscation, commissaires
aux biens nationaux qui proviennent des émigrés et des condamnés,
commissaires à la réquisition des chevaux de luxe, commissaires aux
habillements, commissaires pour la récolte et la fabrication du salpêtre,
commissaires aux accaparements, commissaires civils dans chacune des
quarante-huit sections, commissaires pour la propagande dans les
départements, commissaires aux subsistances, et quantité d'autres : dans le
seul département des subsistances, on compte quinze cents places à Paris[34], et tout cela
est payé ; voilà déjà nombre d'emplois acceptables. — Il y en a d'infimes
pour la racaille, deux cents, à 20 sous par jour, pour les clabaudeurs
chargés de diriger l'opinion dans les groupes du Palais-Royal et des
Tuileries, ainsi que dans les tribunes de la Convention et de l'Hôtel de
Ville[35], deux cents
autres, à 400 francs par an, pour les garçons de café, de tripot et d'hôtel,
chargés de surveiller les étrangers et les consommateurs ; des centaines, à 2
francs, 3 francs, 5 francs par jour, outre la nourriture, pour les gardiens
des scellés et pour les gardiens des suspects à domicile ; des milliers, avec
prime, solde et licence plénière, pour les brigands qui, sous Ronsin,
composent l'armée révolutionnaire, pour les canonniers, pour la garde soldée,
et pour les gendarmes de Henriot. — Mais les principaux postes sont ceux qui
mettent à la discrétion de leurs occupants les libertés et les vies : car,
par ce pouvoir plus que royal, on a le reste, et tel est le pouvoir des
hommes qui composent les quarante-huit comités révolutionnaires, les bureaux
du Comité de sûreté générale, la Commune et l'état-major de la force armée.
Ils sont les chevilles ouvrières et les ressorts agissants de la Terreur,
tous Jacobins, triés sur le volet et vérifiés par plusieurs triages, tous
désignés ou approuvés par la Société centrale qui s'est attribué le monopole
du patriotisme et qui, érigée en suprême concile de la secte, ne délivre le
brevet d'orthodoxie qu'à ses suppôts[36]. Tout de suite, ils ont pris le ton et l'arrogance de la dictature ; l'orgueil est monté au plus haut période[37] : tel qui, hier sans emploi, était aimable et honnête, est devenu fier, insolent, hautain, parce que, trompés par l'apparence, ses concitoyens l'ont nommé commissaire ou lui ont donné un emploi quelconque. Désormais, il a les façons d'un aga parmi les infidèles, et, quand il commande, c'est haut la main. — Le 20 vendémiaire an II, au milieu de la nuit, le comité de la section des Piques fait appeler M. Bélanger, architecte : on lui signifie qu'on a besoin de sa maison, à l'instant, pour en faire une nouvelle Bastille. — Mais, dit-il, je n'ai pas d'autre bien ; il y a plusieurs locataires ; elle est décorée de modèles d'art ; elle n'est pas propre à cet usage. — Ta maison, ou en prison. — Mais il faudra payer des indemnités aux locataires. — Ta maison, ou en prison ; quant aux indemnités, nous avons des logements vacants, à la Force ou à Sainte-Pélagie, pour tes locataires et pour toi. Incontinent, douze factionnaires du poste viennent occuper l'immeuble ; on accorde au propriétaire six heures pour déménager ; désormais l'entrée de sa maison lui est interdite ; les bureaux auxquels il en réfère interprètent son obéissance forcée comme une adhésion tacite, et bientôt, lui-même, il est mis sous les verrous[38]. — Des instruments administratifs qui tranchent si bien ont besoin d'être entretenus soigneusement, et, à cet effet, de temps en temps, on les graisse[39] : le 20 juillet 1793, le gouvernement alloue 2000 francs à chacun des quarante-huit comités, et 8.000 francs au général Henriot, pour défrayer la surveillance des manœuvres contre-révolutionnaires ; le 7 août, 50.000 francs aux membres peu fortunés des quarante-huit comités, 300.000 francs au général Henriot, pour déjouer les complots et assurer le triomphe de la Liberté, 50.000 francs au maire pour découvrir les complots des malveillants ; le 10 septembre, 40.000 francs au maire, au président et au procureur-syndic du département, pour des mesures de sûreté ; le 13 septembre, 300.000 francs au maire, pour prévenir les efforts des malveillants ; le 15 novembre, 100.000 francs aux sociétés populaires, parce qu'elles sont nécessaires à la propagation des bons principes. — D'ailleurs, outre les gratifications et le traitement fixe, il y a les douceurs et les revenants-bons de l'emploi[40]. Henriot a mis ses camarades dans le personnel des surveillants ou dénonciateurs à gages, et, naturellement, ils profitent de leur office pour remplir leurs poches ; sous prétexte d'incivisme, ils multiplient les visites domiciliaires, rançonnent le maitre du logis, ou volent chez lui ce qui leur convient[41]. — A la Commune et aux comités révolutionnaires, toutes les extorsions peuvent impunément s'exercer et s'exercent. Je connais, dit Quevremont, deux citoyens qui ont été mis en prison, sans qu'on leur ait dit pourquoi, et, au bout de trois semaines ou d'un mois, ils en sont sortis, sais-tu comment ? En payant, l'un 15.000 livres, l'autre 25.000... Grambone, à la Force, pour ne pas rester dans les poux, paye une chambre 1.500 livres par mois, et, de plus, il a fallu qu'il donnait 2.000 livres de pot-de-vin en y entrant. Pareille chose est arrivée à bien d'autres, et encore n'ose-t-on en parler que tout bas[42]. Malheur à l'imprudent qui, ne s'étant jamais occupé des affaires publiques, se fie à son innocence, écarte le courtier officieux et ne finance pas tout de suite ; pour avoir refusé ou offert trop lard les 100.000 écus qu'on lui demandait, le notaire Brichard mettra la tête à la fenêtre rouge. — Et j'omets les rapines ordinaires, le vaste champ offert à la concussion par les inventaires, les séquestres et les adjudications innombrables, par l'énormité de fournitures, par la rapidité des achats ou des livraisons, par le gaspillage des deux millions de francs que, chaque semaine, le gouvernement donne à la Commune pour approvisionner la capitale, par la réquisition des grains, qui fournit à quinze cents hommes de l'armée révolutionnaire l'occasion de rafler, jusqu'à Corbeil et à Meaux, les fermes du voisinage, et de se garnir les mains selon le procédé des chauffeurs[43]. — Avec le personnel que l'on sait, rien d'étonnant dans ces vols anonymes. Babeuf, le faussaire en écritures publiques, est secrétaire pour les subsistances à la Commune ; Maillard, le septembriseur de l'Abbaye, reçoit 8000 francs pour diriger, dans les quarante-huit sections, les quatre-vingt-seize observateurs et conducteurs de l'esprit public. Chrétien, dont la tabagie, rue Favart, sert de rendez-vous aux tape-dur, devient juré à 18 francs par jour au Tribunal révolutionnaire, règne dans son comité et mène sa section, le sabre haut[44]. De Sade, le professeur de crime, est maintenant l'oracle de son quartier, et vient, au nom de la section des Piques, lire des adresses à la Convention. III Regardons de près quelques figures ; plus elles sont en vue
et à la première place, plus la grandeur de l'office met en lumière
l'indignité du potentat. — Il en est un que l'on a déjà vu en passant,
Buchot, noté deux fois par Robespierre, et de la propre main de Robespierre,
comme un homme probe, énergique et capable des fonctions
les plus importantes[45]. Nommé par le
Comité de salut public commissaire aux relations
extérieures, c'est-à-dire ministre des affaires étrangères, il s'est
maintenu dans ce haut poste pendant près de six mois. C'est un maître d'école
du Jura[46],
récemment débarqué de sa petite ville, et dont l'ignorance,
les manières ignobles et la stupidité surpassent tout ce qu'on peut imaginer.
Les chefs de division ont renoncé à travailler avec lui ; il ne les voit ni
ne les demande. On ne le trouve jamais dans son cabinet, et, quand il est
indispensable de lui demander sa signature pour quelque légalisation, seul
acte auquel il ait réduit ses fonctions, il faut aller la lui arracher au café
Hardy, où il passe habituellement ses journées. Bien entendu, il est
envieux et haineux, il se venge de son incapacité sur ceux dont la compétence
lui fait sentir son ineptie, il les dénonce comme modérés, il parvient enfin
à faire décerner un mandat d'arrêt contre ses quatre chefs de service, et, le
matin du 9 thermidor, avec un sourire atroce, il annonce à l'un d'eux, M.
Miot, la bonne nouvelle. — Par malheur, après thermidor, voilà Buchot
destitué et M. Miot mis à sa place. Avec la politesse diplomatique, celui-ci
fait visite à son prédécesseur et lui témoigne les
égards d'usage. Buchot, peu sensible aux compliments, songe tout de
suite au solide, et, d'abord, il demande à garder provisoirement son
appartement au ministère. La chose accordée, il remercie, dit à M. Miot qu'on
a bien fait de le nommer. Mais moi, c'est très
désagréable ; on m'a fait venir à Paris, on m'a fait quitter mon état en
province, et maintenant on me laisse sur le pavé. Là-dessus, avec une
impudence admirable, il demande à l'homme qu'il a voulu guillotiner une place
de commis au ministère. M. Miot essaye de lui faire entendre qu'il serait peu
convenable à un ancien ministre de descendre ainsi. Buchot trouve cette
délicatesse étrange et, voyant l'embarras de M. Miot, finit par lui dire : Si vous ne me trouvez pas capable de remplir une place de
commis, je me contenterai de celle de garçon de bureau. — Il s'est
jugé lui-même, à sa valeur. L'autre, que nous avons aussi rencontré et que l'on connaît déjà par ses actes[47], général à Paris de toute la force armée, commandant en chef de 110.000 hommes, est cet ancien domestique ou petit clerc chez le procureur Formey, qui, chassé par son patron pour vol, enfermé à Bicêtre, tour à tour mouchard, matamore de spectacle forain, commis aux barrières et massacreur de Septembre, a purgé la Convention, le 2 juin ; bref, le fameux Henriot, aujourd'hui simple soudard et soulard. En cette dernière qualité, malgré ses connivences avec Hébert et les Cordeliers, on l'a épargné dans le procès des exagérés. On l'a gardé comme instrument, sans doute parce qu'il est borné, brutal et maniable, plus compromis que personne, bon à tout faire, hors d'état de se rendre indépendant, sans services dans l'armée[48], sans prestige sur les vrais soldats, général intrus, de parade et de rue, plus populacier que la populace. Avec son hôtel, sa loge à l'Opéra-Comique, ses chevaux, son importance dans les fêtes et revues, surtout avec des orgies, il est content. — Le soir, en grand uniforme, escorté de ses aides de camp, il galope jusqu'à Choisy-sur-Seine, et là, dans la maison d'un complaisant, nommé Fauvel, avec des affidés de Robespierre ou des démagogues du lieu, il fait ripaille : on sable les vins du duc de Coigny, on casse les verres, les assiettes et les bouteilles, on va faire tapage dans les bastringues voisins, on y enfonce les portes, on brise les bancs et les chaises, bref, on s'amuse. — Le lendemain, ayant cuvé son vin, il dicte ses ordres du jour, vrais chefs-d'œuvre, où la niaiserie de l'imbécile, la crédulité du badaud, la sentimentalité de l'ivrogne, le boniment du saltimbanque et les tirades apprises du philosophe à cinquante francs par jour se fondent ensemble en une mixture unique, à la fois écœurante et brûlante, pareille aux liqueurs pimentées et poisseuses qu'on sert dans les guinguettes de barrière, mais d'autant mieux appropriée à son auditoire qu'elle contient tous les ingrédients âcres et fades, toute l'eau-de-vie frelatée de la Révolution. Il a des informations sur les manœuvres de l'étranger, et développe les vraies causes de la disette : On a trouvé dernièrement une quantité de pains dans des lieux d'aisance ; sur cette infamie, il faut interroger les Pitt, les Cobourg et tous les scélérats qui veulent enchaîner la justice, la raison et assassiner la philosophie. — Le service général à l'ordinaire[49]. — Il a des théories sur les religions et prêche aux dissidents la modestie civique. Les ministres et sectaires de tout culte quelconque sont invités à ne plus faire en dehors de leurs temples aucunes cérémonies religieuses. Tout bon sectaire sera assez sage pour maintenir l'exécution de cet arrêté. L'intérieur d'un temple est assez grand pour offrir son hommage à l'Éternel, qui n'a pas besoin d'un cérémonial offensant pour tout homme qui pense ; selon tous les sages, un cœur pur est le plus bel hommage que la Divinité puisse désirer. — Le service général à l'ordinaire. — Il soupire après l'idylle universelle, et appelle de ses vœux la suppression de la force armée. J'invite mes concitoyens que la curiosité mène aux tribunaux criminels à faire la police eux-mêmes ; c'est une tâche que tout bon citoyen doit remplir où il se trouve. Dans un pays libre, la justice ne doit pas se faire avec des piques et des bayonnettes, mais avec la raison et la philosophie. Elles doivent introduire un œil de surveillance sur la société, elles doivent l'épurer et en proscrire les méchants et les fripons. Chacun doit y apporter sa petite portion philosophique, et, de ces petites portions, en faire un tout raisonnable qui tournera au profit et au bonheur de la société. Quand donc viendra-t-il, ce temps désiré, où les fonctionnaires seront rares, où tous les mauvais sujets seront terrassés, où la société entière n'aura pour fonctionnaires publics que la Loi ? — Le service général à l'ordinaire. — Tous les matins il pontifie du même style. Imaginez la scène : le lever de Henriot à l'hôtel de l'état-major, une table à écrire, et peut-être une bouteille d'eau-de-vie sur la table ; d'un côté, le sacripant qui, en bouclant son ceinturon ou en mettant ses bottes, attendrit sa voix de rogomme et s'embarbouille, avec des tics nerveux, dans son homélie humanitaire ; de l'autre côté, le secrétaire muet, inquiet, qui, sachant à peu près l'orthographe, n'ose pas trop corriger les phrases grotesques. Du même aloi que le commandant général est la Commune qui l'emploie ; car, dans l'épée municipale, la lame et la poignée, forgées ensemble dans la fabrique jacobine, sont à peu près du même métal. — Sur quatre-vingt-huit dont on sait les, qualités et professions, cinquante- six sont manifestement illettrés ou presque illettrés, réduits à l'éducation rudimentaire ou nulle[50] ; les uns, petits commis, courtauds de boutique, scribes infimes, parmi eux, un écrivain public ; les autres, petits boutiquiers, pâtissiers, merciers, bonnetiers, fruitiers, marchands de vin ; les autres enfin, simples ouvriers ou même manœuvres, charpentiers, menuisiers, ébénistes, serruriers, notamment trois tailleurs, quatre perruquiers, deux maçons, deux cordonniers, un savetier, un jardinier, un tailleur de pierre, un paveur, un garçon de bureau et un domestique. — Parmi les trente-deux lettrés, un seul a quelque notoriété, Paris, professeur à l'Université et suppléant de l'abbé Delille. Un seul, Dumetz, ancien ingénieur, appliqué, modéré, tout occupé des subsistances, semble un travailleur compétent et utile. Les autres, ramassés dans le tas des démagogues inconnus, sont six rapins ou mauvais peintres, six agents d'affaires ou ex-hommes de loi, sept négociants du second ou troisième ordre, un instituteur, un chirurgien, un prêtre défroqué et marié, et autres du même acabit ; ce sont eux qui, sous la direction politique du maire Fleuriot-Lescot et de l'agent national Payan, apportent dans le Conseil général, non la capacité administrative, mais la faculté du raisonnement verbal, avec la quantité de bavardage et d'écriture dont une assemblée délibérante ne peut se passer. — Et il est curieux de les voir en séance. Vers la fin de septembre 1793[51], un des vétérans de la philosophie libérale, de l'économie politique et de l'Académie française, le vieil abbé Morellet, ruiné par la Révolution, a besoin d'un certificat de civisme pour toucher la petite pension de 1000 francs que l'Assemblée constituante lui a votée en récompense de ses écrits, et la Commune, qui veut se renseigner, lui choisit trois examinateurs. Naturellement, il fait auprès d'eux toutes les démarches préalables. D'abord il écrit un billet bien humble, bien civique, au président du Conseil général, Lubin fils, ancien rapin qui, ayant quitté les arts pour la politique, vit chez son père, boucher rue Saint-Honoré ; Morellet traverse l'étal, marche dans les flaques de la tuerie, est admis après quelque attente, trouve son juge au lit et plaide sa cause. Puis il visite Bernard, ex-prêtre, fait comme un brûleur de maisons, d'une figure ignoble, et salue respectueusement la dame du logis, une petite femme assez jeune, mais bien laide et bien malpropre. Enfin il porte ses dix ou douze volumes au plus important des trois commissaires, Vialard, ex-coiffeur de dames ; celui-ci est presque un collègue : car, dit-il, j'ai toujours aimé les mécaniques, et j'ai présenté à l'Académie des sciences un toupet de mon invention. Mais le pétitionnaire ne s'est point montré dans la rue au 10 août, ni au 2 septembre, ni au 31 mai ; comment, après ces marques de tiédeur, lui accorder un certificat de civisme ? Morellet ne se rebute point, attend le tout-puissant coiffeur à l'Hôtel de Ville, et l'aborde plusieurs fois au passage. L'autre, avec plus de morgue et de distraction que le ministre de la guerre le plus inabordable n'en montra jamais au plus petit lieutenant d'infanterie, écoutant à peine et marchant toujours, va s'asseoir, et Morellet, dix ou douze fois, bien malgré lui, assiste aux séances. — Etranges séances où des députations, des volontaires, des amateurs patriotes viennent tour à tour déclamer et chanter, où tout le Conseil général chante, où le président Lubin, orné de son écharpe, entonne lui-même, par cinq ou six fois, la Marseillaise, le Ça ira, des chansons à plusieurs couplets sur des airs de l'Opéra-Comique, et toujours hors de mesure, avec une voix, des agréments et des manières de beau Léandre. Je crois bien que, dans la dernière séance, il chanta ainsi en solo à peu près trois quarts d'heure, en différentes fois, l'assemblée répétant le dernier vers du couplet. — Mais c'est drôle, disait à côté de Morellet une femme du peuple ; c'est drôle de passer comme ça tout le temps de leur assemblée à chanter. Est-ce qu'ils sont là pour ça ? Non pas seulement pour cela : après la parade de foire, les harangueurs ordinaires, et surtout le coiffeur de dames, viennent, d'une voix forcenée, avec des gestes furibonds, lancer des motions meurtrières. Voilà les beaux parleurs[52] et les hommes de décor. — Les autres, qui ne parlent pas et savent à peine écrire, agissent et empoignent. Tel est un certain Chalandon, membre de la Commune[53], président du comité révolutionnaire de la section de l'Homme armé, et probablement très bon chasseur d'hommes ; car les comités du gouvernement lui ont accordé droit de surveillance sur toute la rive droite de la Seine, et, muni de pouvoirs extraordinaires, il règne, du fond de son échoppe, sur la moitié de Paris. Malheur aux gens dont il a eu à se plaindre, à ceux qui lui ont retiré ou ne lui ont pas donné leur pratique ! Souverain de son quartier jusqu'au 10 thermidor, ses dénonciations sont des arrêts de mort ; il y a des rues, notamment celle du Grand-Chantier, qu'il dépeuple. Et cet exterminateur du Marais est un savetier, collègue en cuirs et à la Commune de Simon, le précepteur et le meurtrier du petit Dauphin. Au-dessous de cet admirable corps municipal, tachons de nous figurer, au moins par un échantillon complet, les quarante-huit comités révolutionnaires qui sont ses mains. — Il en est un dont nous connaissons tous les membres, et l'on y saisit au vif, en pleine action, la classe gouvernante[54]. C'est la classe interlope et nomade, qui n'a de révolutionnaire que ses appétits ; ni la théorie, ni des convictions ne la conduisent ; pendant les trois premières années de la Révolution, elle n'a ni vaqué, ni pensé aux affaires publiques ; si, depuis le 10 août et surtout depuis le 2 juin, elle s'en occupe, c'est pour en vivre et se gorger. — Sur dix-huit membres, simultanés ou successifs, du comité du Bonnet rouge, quatorze, avant le 10 août et surtout avant le 2 juin, étaient inconnus dans le quartier et n'avaient pris aucune part à la Révolution. Les plus considérables sont trois peintres en armoiries, en équipages ou en miniature, visiblement ruinés et désœuvrés par la Révolution, un marchand chandelier, un marchand de vinaigre, un salpêtrier, un serrurier ; et, de ces sept personnages, quatre ont relevé la dignité de leur état en se faisant, par surcroît, placeurs de billets de petite loterie, prêteurs sur gages ou souteneurs de biribi. Avec eux siègent deux domestiques de grande maison, un cocher, un ex-gendarme chassé de la gendarmerie, un savetier du coin, un commissionnaire du coin qui a été garçon charron, un autre commissionnaire du coin qui, deux mois auparavant, était garçon vidangeur, celui-ci sans le sou et en haillons avant d'entrer au comité, depuis très bien vêtu, logé et meublé, enfin un ci-devant vendeur de billets de loterie, sans domicile, faussaire, et, de son propre aveu, repris de justice. Quatre autres ont été renvoyés de leurs places pour infidélité ou escroqueries ; trois sont des ivrognes connus ; deux ne sont pas même Français ; et, dans cette compagnie de choix, le meneur en chef, la tête dirigeante, est, selon l'usage, an homme de loi véreux et déchu, l'ex-notaire Pigeot, exclu de son corps pour banqueroute. C'est lui, probablement, qui a imaginé la spéculation qu'on va lire. — Dès le mois de septembre 1793, ayant la bride sur le cou pour arrêter dans le quartier, et même hors du quartier, qui bon lui semble, le comité a fait une rafle, trois cents pères de famille en quatre mois, et d'abord il a rempli une vieille caserne qu'il occupe rue de Sèvres. Dans cette baraque étroite et malsaine, plus de cent vingt détenus sont entassés ensemble, parfois dix dans la même chambre, deux dans le même lit, et, pour frais de garde, ils payent 300 francs par jour. Comme ces frais vérifiés sont de 62 francs, il y a, de ce chef et sans compter les autres extorsions ou concussions qui ne sont pas officielles, 238 francs de bénéfice quotidien pour les honnêtes entrepreneurs. Aussi vivent-ils grandement et se font-ils servir les diners les plus splendides, dans leur chambre d'assemblée : les écots de 10 ou 12 livres ne sont rien pour eux. — Mais, dans cet opulent faubourg Saint-Germain, tant d'hommes et de femmes riches et nobles sont un bétail qu'il faut loger convenablement, afin de le mieux traire. En conséquence, vers la fin dc mars 1794, pour élargir son exploitation et compléter sa bergerie, le comité loue, à l'encoignure du boulevard, une grande maison avec cour et jardin, et y dépose la haute société du quartier, dans des logements de deux pièces, à 12 francs par jour, ce qui lui fait environ 150.000 livres par an et, comme il loue la maison 2.400 francs, il gagne à l'opération 147.600 livres ; à quoi il faut ajouter vingt sortes de profits en argent et en nature, droits d'entrée sur les objets de consommation et sur les fournitures de toute espèce, droits d'entrée et de sortie sur la correspondance, taxes personnelles, rançons et gratifications reçues de la main à la main. Un bétail parqué ne refuse rien à ses pâtres[55], et celui-ci, moins qu'un autre ; car, s'il est exploité, il est préservé, et ses gardiens le trouvent trop lucratif pour l'envoyer à la boucherie. Pendant les six derniers mois de la Terreur, sur 160 pensionnaires du comité du Bonnet rouge, il n'y en a que deux qui soient extraits de la maison et livrés à la guillotine. C'est seulement le 7 et le 8 thermidor que le Comité de salut public, ayant entrepris de vider les prisons, entame le précieux troupeau et dérange la combinaison si bien conçue, si bien conduite. — Elle était trop belle, elle a fait des jaloux : trois mois après thermidor, le comité du Bonnet rouge est dénoncé, mis en jugement ; dix sont condamnés à vingt ans de fers, attachés au pilori, entre autres l'ingénieux notaire[56], parmi les cris de joie et les insultes de la foule. Pourtant, ils ne sont pas des pires ; leur cupidité a émoussé leur férocité ; d'autres, moins adroits pour voler, se montrent plus cruels pour tuer, et partout, en province comme à Paris, dans les comités révolutionnaires payés 3 et 5 francs par jour et par membre, la qualité du personnel est à peu près la même. — Selon les états de payement que Barère a tenus en main[57], il y a 21.500 de ces comités en France. IV Si les lois du 21 mars et du 5 septembre 1793 avaient été exactement appliquées, au lieu de 21.500 comités révolutionnaires, il y en aurait eu 45.000, composés de 540.000 membres et coûtant au public 591 millions par an[58]. Cela eût fait, par-dessus l'administration régulière, déjà deux fois plus nombreuse et deux fois plus coûteuse que sous l'ancien régime, une administration de surcroît, dépensant en simple surveillance 100 millions de plus que le total des impôts dont l'énormité avait révolté le peuple contre l'ancien régime. — Par bonheur, le monstrueux champignon n'a pu végéter qu'à demi ; ni la semence jacobine, ni le mauvais air dont elle a besoin pour germer, ne se rencontraient partout. Le peuple des provinces,
dit un contemporain[59], n'était pas à la hauteur de la Révolution ; il opposait de
vieilles mœurs et une résistance d'inertie à des innovations qu'il ne
comprenait pas. — Le laboureur est estimable,
écrit un représentant en mission[60] ; mais il est fort mauvais patriote en général. —
Effectivement, d'une part, il y a moins de fange humaine dans les villes
départementales que dans la grande sentine parisienne ; et, d'autre part, la
population rurale, préservée des miasmes intellectuels, résiste mieux que la
population urbaine aux épidémies sociales. Moins infestée d'aventuriers
tarés, moins féconde en cerveaux brûlés, la province fournit plus
difficilement que la capitale un personnel de terroristes et d'inquisiteurs. Et d'abord, dans les milliers de communes qui ont moins de 500 habitants[61], dans quantité d'autres villages plus peuplés, mais écartés et purement agricoles, surtout dans ceux où l'on ne parle que patois, les sujets manquent pour composer un comité révolutionnaire[62]. On y est trop occupé de ses mains ; les mains calleuses n'écrivent pas couramment ; personne n'a envie de prendre la plume, surtout pour tenir un registre qui restera et qui peut un jour devenir compromettant. Il n'est pas déjà très facile de recruter sur place la municipalité, de trouver le maire, les deux autres officiers municipaux et l'agent national, requis par la loi ; dans les petites communes, ils sont les seuls agents du gouvernement révolutionnaire, et je crois bien que le pus souvent leur ferveur jacobine est médiocre. Conseiller municipal, agent national ou maire, le vrai paysan n'est d'aucun parti, ni royaliste, ni républicain[63] ; ses idées sont trop rares, trop courtes et trop lentes pour lui composer une opinion politique. De la Révolution, il ne comprend que ce qui le touche au vif, ou ce que, tous les jours, il voit autour de lui, de ses propres yeux ; 93 et 94 sont et resteront pour lui le temps du mauvais papier et de la grande épouvante[64], rien de plus. Avec ses habitudes de patience, il subit le régime nouveau, comme il a subi le régime ancien, portant la dossée qu'on lui met sur les épaules, et pliant les épaules, crainte de pis. Souvent, il n'est maire ou agent national que malgré lui : on l'y a obligé[65] ; il aurait bien voulu se dispenser de la corvée. Car, par le temps qui court, la corvée est lourde : s'il exécute les décrets et arrêtés, il est certain de se faire beaucoup d'ennemis ; s'il ne les exécute pas, il est sûr d'aller en prison. Mieux vaudrait rester ou rentrer chez soi, Gros-Jean comme devant. Mais il n'a pas le choix : une fois nommé ou confirmé, il ne peut, sous peine de se rendre suspect, refuser ni se démettre, et il doit être marteau, pour ne pas être enclume. Vigneron, meunier, laboureur, carrier, il fonctionne donc, à son corps défendant, sauf à solliciter sa démission, quand la terreur sera moindre, alléguant qu'il écrit très mal, qu'il ne connaît en aucune manière les lois et ne peut les faire mettre en pratique, qu'il n'a que ses bras pour vivre, qu'il est chargé de famille, et obligé de conduire lui-même sa voiture ou sa charrue, bref, suppliant pour qu'on le décharge de sa charge. — Manifestement, ces enrôlés involontaires ne sont que des manœuvres ; s'ils traînent la charrette révolutionnaire, c'est à peu près comme leurs chevaux, par réquisition. Au-dessus des petites communes, dans les gros villages qui ont un comité révolutionnaire et dans certains bourgs, les chevaux attelés font parfois semblant de tirer, mais ne tirent pas, de peur d'écraser quelqu'un. — Entre temps-là, une bourgade, surtout quand elle est isolée, située dans un pays perdu et sans routes, forme un petit monde clos, bien plus fermé qu'aujourd'hui, bien moins accessible au verbiage de Paris et aux impulsions du dehors ; l'opinion locale y est d'un poids prépondérant ; on s'y soutient entre voisins ; on aurait honte de dénoncer un brave homme que l'on tonnait depuis vingt ans ; l'ascendant moral des honnêtes gens suffit provisoirement pour contenir les gueux[66]. Si le maire est républicain, c'est surtout en paroles, peut-être pour se couvrir, pour couvrir la commune, et parce qu'il faut hurler avec les loups. — Ailleurs, dans d'autres bourgs et dans les petites villes, les exaltés et les gredins n'ont pas été assez nombreux pour occuper tous les emplois, et, afin de remplir les vides, ils ont poussé ou admis dans le personnel nouveau de très mauvais Jacobins, des tièdes, des indifférents, des hommes timides ou besogneux qui acceptent la place comme un refuge ou la demandent comme un gagne-pain. Citoyens, écrira plus tard une de ces recrues plus ou moins contraintes[67], je fus placé dans le Comité de surveillance d'Aignay par la force, installé par la force. Trois ou quatre enragés y dominaient, et, si l'on discutait avec eux, ce n'étaient que menaces.... Toujours tremblant, toujours dans les craintes, voilà comment j'ai passé les dix-huit mois que j'ai exercé cette malheureuse place. — Enfin, dans les villes moyennes ou grandes, la bagarre des destitutions collectives, le pêle-mêle des nominations improvisées, et le renouvellement brusque du personnel entier ont précipité, bon gré mal gré, dans les administrations nombre de prétendus Jacobins, qui, au fond du cœur, sont Girondins ou Feuillants, mais qui, ayant trop péroré, se sont désignés aux places par leur bavardage, et désormais siègent, à côté des pires Jacobins, dans les pires emplois. Membre de la commission révolutionnaire de Feurs, ceux qui m'objectent cela, écrit un avocat de Clermont[68], se persuadent que les reclus ont été seuls terrifiés ; ils ne savent pas que personne peut-être ne ressentait plus violemment la terreur que ceux que l'on contraignait de se charger de l'exécution des décrets. Qu'on se rappelle que l'édit de Couthon, qui désignait un citoyen pour une place quelconque, portait, en cas de refus, la menace d'être déclaré suspect, menace qui donnait pour perspective la perte de la liberté et le séquestre des biens. Fus-je donc libre de refuser ? — Une fois installé, l'homme est tenu d'opérer, et beaucoup de ceux qui opèrent laissent percer leurs répugnances : au mieux, on ne peut tirer d'eux qu'un service d'automate. Avant de me rendre au tribunal, dit un juge de Cambrai[69], j'avalais un grand verre de liqueur, pour me donner la force d'y siéger. De parti pris, il ne sortait plus de chez lui, sauf pour faire sa besogne ; le jugement rendu, il revenait au logis, sans s'arrêter, se renfermait, bouchait ses yeux et ses oreilles : J'avais à prononcer sur la déclaration du jury ; que pouvais-je faire ? Rien, sinon être aveugle et sourd. Je buvais ; je tâchais de tout ignorer, jusqu'aux noms des accusés. — Décidément, dans ce personnel local, il y a trop d'agents faibles, peu zélés, sans entrain, douteux, ou même secrètement hostiles ; il faut les remplacer par d'autres, énergiques et sûrs, et prendre ceux-ci dans le seul réservoir où on les trouve[70]. En chaque département ou district, ce réservoir est la jacobinière du chef-lieu ; on les enverra de là dans les petits bourgs et communes de la circonscription. En France, le grand réservoir central est la jacobinière de Paris ; on les enverra de là dans les villes des départements. V En conséquence, des essaims de sauterelles jacobines s'élancent incessamment de Paris sur la province, et de chacun des chefs-lieux locaux sur la campagne environnante. — Dans cette nuée d'insectes destructeurs, il en est de diverses figures et de plusieurs tailles : au premier rang, les représentants en mission qui vont commander dans les départements ; au second rang, les agents politiques qui, placés en observation dans le voisinage de la frontière[71], se chargent par surcroît, dans la ville où ils résident, de conduire la Société populaire et de faire marcher les administrations. Outre cela, du club qui siège à Paris, rue Saint-Honoré, partent des sans-culottes de choix qui, autorisés ou délégués par le Comité de salut public, viennent à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Troyes, à Rochefort, à Tonnerre et ailleurs, faire office de missionnaires parmi les indigènes trop mous, ou composer les comités d'action et les tribunaux d'extermination qu'on a peine à recruter sur place[72]. — Parfois aussi, quand une ville est mal notée, la Société populaire d'une cité mieux pensante lui envoie ses délégués pour la mettre au pas : par exemple, quatre députés du club de Metz arrivent, sans crier gare, à Belfort, catéchisent leurs pareils, s'adjoignent le comité révolutionnaire du lieu, et tout d'un coup, sans consulter la municipalité ni aucune autre autorité légale, dressent, séance tenante, une liste de modérés, de fanatiques et d'égoïstes, auxquels ils imposent une taxe extraordinaire de 136.617 livres. Pareillement, soixante délégués des clubs de la Côte-d'Or, de la Haute-Marne, des Vosges, de la Moselle, de Saône-et-Loire et du Mont-Terrible, tous trempés au fer chaud du père Duchesne, viennent, sur l'appel des représentants en mission et sous le nom de propagandistes, régénérer la ville de Strasbourg[73]. — En même temps, dans chaque département, on voit les Jacobins du chef-lieu se répandre sur les routes pour inspecter leur domaine et régenter leurs sujets. Tantôt c'est le représentant en mission qui, de sa personne, avec vingt ou trente b..... à poil, fait sa tournée et promène, de district en district, sa dictature ambulante. Tantôt c'est son secrétaire ou délégué qui, à sa place et en son nom, vient instrumenter dans une ville secondaire[74]. Tantôt c'est une commission d'enquête et de propagande qui, choisie par le club, et munie de pleins pouvoirs, vient, au nom des représentants, travailler, pendant un mois, toutes les communes du district[75]. Tantôt, enfin, c'est le comité révolutionnaire du chef-lieu qui, déclaré central pour tout le département, délègue tels ou tels de ses membres pour aller, hors des murs, purger ou recomposer des municipalités suspectes[76]. — Ainsi descend et s'épand le Jacobinisme, d'étage en étage, depuis le centre parisien jusqu'aux moindres et plus lointaines communes : sur toute la province incolore ou de couleur incertaine, l'administration importée ou imposée met sa tache rouge. Mais ce n'est qu'une tache, à la superficie ; car les
sans-culottes ne veulent confier les places qu'aux hommes de leur espèce, et
en province, surtout dans les campagnes, ces hommes sont rares. Selon le mot
d'un représentant, il y a disette de sujets.
— A Macon, Javogues a beau faire[77], il ne trouve au
club que des fédéralistes déguisés ; le peuple, dit-il, ne veut
pas ouvrir les yeux : je crois que cet aveuglement tient au physique du pays
qui est fort riche. Naturellement, il tempête et destitue ; mais,
jusque dans le comité révolutionnaire, on ne présente à son choix que des
candidats douteux ; il ne sait comment s'y prendre pour renouveler les
autorités locales. C'est un compérage et un
commérage, une boite à l'encre, et il finit par menacer de transférer
ailleurs les établissements publics de la ville, si l'on persiste à ne lui
proposer que de mauvais patriotes. A Strasbourg[78], Couturier et
Dentzel, en mission, constatent que, par une
coalition sans exemple, il est convenu, entre tous les citoyens de capacité,
de refuser obstinément la place de maire, pour, à ce moyen, mettre un bâton
dans les roues, et faire éprouver aux représentants des refus multipliés et
indécents ; ce qui les oblige à nommer un jeune homme qui n'a pas
l'âge légal et qui est étranger au département. A Marseille, écrivent les
agents[79], malgré nos efforts et le désir ardent que nous avons tous
de républicaniser le peuple marseillais, nos soins et nos fatigues sont à peu
près infructueux... L'esprit public est
toujours détestable parmi les propriétaires, les artisans, les journaliers...
Le nombre des mécontents semble s'accroître de jour
en jour. Toutes les communes du Var et la plupart de celles de ce département
sont contre nous.... C'est une race à
détruire, c'est un pays à coloniser de nouveau.... Je le répète, le seul
moyen d'opérer la révolution dans les départements fédéralisés, et surtout
dans celui-ci, c'est d'en éloigner tous les naturels en état de porter les
armes, de les disséminer dans les armées et de les remplacer par des
garnisons, qu'il faudra encore avoir soin de changer souvent. — A
l'autre extrémité du territoire, en Alsace, les
sentiments républicains sont encore dans le berceau[80] ; le fanatisme est extrême et incroyable ; l'esprit des
habitants, en général, n'est aucunement révolutionnaire Ce n'est que l'armée
révolutionnaire et la sainte guillotine qui les guériront de leur aristocratie
puante ; ce n'est qu'en faisant tomber les têtes coupables que les lois
seront exécutées : car presque toutes les municipalités des campagnes ne sont
composées que de riches, de clercs, de ci-devant baillifs, presque toujours
attachés à l'ancien régime. — Et, dans le reste de la France, la
population, moins récalcitrante, n'est pas plus jacobine ; là où le peuple se
montre humble et soumis, comme à Lyon et à
Bordeaux, les observateurs déclarent que c'est par terreur pure[81] ; là où l'opinion
semble exaltée, comme à Rochefort et à Grenoble, ils disent que c'est un feu factice[82]. A Rochefort, le
zèle n'est entretenu que par la présence de cinq ou
six Jacobins de Paris. A Grenoble, l'agent politique Chépy, président
du club, écrit qu'il est sur les dents, qu'il
s'épuise et se consume pour entretenir l'esprit public et le fixer à la
hauteur des circonstances, mais qu'il a conscience que, s'il quittait un seul
jour, tout s'écroulerait. — Rien que des modérés à Brest, à Lille, à
Dunkerque ; si tel département, par exemple celui du Nord, s'est empressé
d'accepter la constitution montagnarde, il n'y a là qu'un faux semblant : une infiniment petite partie des habitants a répondu pour
le tout[83].
— A Belfort, où l'on compte 1.000 à 1.200 pères de
famille, seule, écrit l'agent[84], une Société populaire, composée de 30 ou de 40 membres au
plus, maintient et commande l'amour de la liberté. — Dans Arras, sur trois ou quatre cents membres qui composaient la
Société populaire, l'épuration de 1794 n'en épargne que 63, dont une dizaine d'absents[85]. — A Toulouse, sur 1.400 membres environ qui formaient le club, il
n'en reste, après l'épuration de 1793, que trois ou quatre cents, simples
machines pour la plupart, et que dix à douze intrigants
conduisent à leur volonté[86]. — De même
ailleurs : une ou deux douzaines de Jacobins de bonne trempe, 22 à Troyes, 21
à Grenoble, 10 à Bordeaux, 7 à Poitiers, autant à Dijon[87], voilà le
personnel actif d'une grande ville ; il tiendrait autour d'une table. — Avec
tant d'efforts pour s'étendre, les Jacobins ne parviennent qu'à disséminer
leur bande ; avec tant de soin pour se choisir, ils ne parviennent qu'à
restreindre leur nombre. Ils restent ce qu'ils ont toujours été, une petite
féodalité de brigands superposée à la France conquise[88]. Si la terreur
qu'ils répandent multiplie leurs serfs, l'horreur qu'ils inspirent diminue
leurs prosélytes, et leur minorité demeure infime, parce que, pour collaborateurs,
ils ne peuvent avoir que leurs pareils. VI Aussi bien, quand on regarde de près le personnel
définitif et final de l'administration révolutionnaire, on n'y trouve guère,
en province comme à Paris, que les notables de l'improbité, de l'inconduite
et du vice, ou tout ail Moins de l'ignorance, de la bêtise et de la
grossièreté. — D'abord, ainsi que leur nom l'indique, ils doivent être tous
et ils sont presque tous des sans-culottes,
c'est-à-dire des hommes sans revenu ni capital, entretenus au jour le jour
par leur travail quotidien, confinés dans les professions subalternes, dans
les petits négoces, dans les métiers manuels, bref, logés ou campés sur les
dernières marches de l'escalier social, et, partant, ayant besoin d'une solde
pour être en état de vaquer aux affaires publiques[89] ; c'est pour
cela que les décrets et arrêtés leur allouent une paye de 3, 5, 6, 10 et
jusqu'à 18 francs par jour. — A Grenoble, les représentants composent la
municipalité et le comité révolutionnaire avec deux officiers de santé, trois
gantiers, deux cultivateurs, un marchand de tabac, un parfumeur, un épicier,
un ceinturonnier, un chamoiseur, un ferblantier, un aubergiste, un menuisier,
un cordonnier, un maçon, et l'arrêté officiel qui les installe nomme pour agent
national Teyssière, licoriste[90]. — A Troyes[91], parmi les
hommes qui ont en main l'autorité, on remarque un confiseur, un tisserand, un
compagnon tisserand, un chapelier, un bonnetier, un menuisier, un épicier, un
maître de danse, un sergent de ville, et le maire Gachez, jadis simple soldat
dans le régiment de Vexin, était, quand on l'a nommé, maître d'école dans la
banlieue. — A Toulouse[92], on a choisi,
comme président de l'administration, Terrain, marchand de petits pâtés ; le
comité révolutionnaire est présidé par Péjo, garçon perruquier ; et l'inspirateur, l'âme du club, est un concierge, le
concierge de la maison d'arrêt. — Dernier trait, plus significatif encore : à
Rochefort[93],
la Société populaire a pour président le bourreau. — Si tel est le personnel
de choix dans les grandes villes, quel peut-il être dans les petites, dans
les bourgs, dans les villages ? C'étaient partout les
plus chétifs[94], voituriers,
sabotiers, couvreurs, tailleurs de pierre, marchands de peaux de lapin,
simples journaliers et manœuvres, ouvriers instables, plusieurs sans état ni
aveu, ayant jadis marqué dans les émeutes ou les jacqueries, habitués du
cabaret, déshabitués du travail, désignés pour la carrière publique par leur
irrégularité et leur insuffisance dans les carrières privées. — Même dans les
grandes villes, il est manifeste que le pouvoir discrétionnaire est tombé aux
mains de barbares presque bruts : il faut voir, dans les vieux papiers des
archives, l'orthographe et le style des comités souverains, chargés
d'accorder ou refuser les cartes civiques et de faire rapport sur les
opinions et qualités des détenus. Ces opignons[95] paroisse insipide.... Il
est marié cent (sans) enfants.... Sa profession
est fame de Paillot-Montabert, son revenu est de vivre de ses retenu, ces
relation sont d'une fame nous ny portons point d'atantion, ces opignons nous
les présumons semblable à ceux de son mary. — Par malheur, je ne puis
pas figurer ici l'écriture : c'est celle d'un enfant de cinq ans[96]. Aussi ineptes qu'immoraux[97], tel est le jugement du conventionnel Albert sur les Jacobins qu'il trouve à Troyes dans les places. Effectivement, si basse que soit leur condition, leur esprit et leur cœur sont plus bas encore, parce que, dans leur profession ou métier, au lieu d'être l'élite, ils sont le rebut, et c'est surtout pour cela qu'après thermidor on les balaye, plusieurs, il est vrai, comme terroristes, mais le plus grand nombre comme imbéciles, ou scandaleux, ou détraqués, simples intrus ou simples valets. — A Reims[98], le président du district est un ancien huissier, compagnon des espions du régime robespierriste, agissant de concert avec eux sans être leur complice, n'ayant aucune des qualités requises pour l'administration ; un de ses collègues est aussi un ancien huissier, sans moyens, de la plus grande négligence, et ivrogne de profession. A côté d'eux siègent un marchand de chevaux, sans moyens, plus propre au maquignonnage qu'à l'administration, ivrogne d'ailleurs ; un teinturier, sans aucun jugement, capable de recevoir toutes les impulsions, mis en avant par la faction jacobite, et ayant exercé, plutôt peut-être par ignorance que par cruauté, des actes du plus grand arbitraire ; un cordonnier, sans lumières, ne sachant que signer son nom, et d'autres semblables. Au tribunal, on note un juge, honnête dans le principe, mais que la misère et le défaut de fortune ont plongé dans tous les excès, changeant de caractère avec les circonstances pour avoir une place, associé aux meneurs pour la garder, cependant ayant l'âme sensible et n'ayant peut-être commis tous ses crimes que pour se conserver une existence ainsi qu'à sa famille. Dans la municipalité, la majorité se compose d'incapables, les uns, ouvriers fileurs ou retordeurs, les autres, revendeurs ou petits boutiquiers, ineptes, sans moyens, parmi eux, quelques cerveaux dérangés : celui-ci, tête désorganisée, absolument nul, anarchiste et Jacobin ; celui-là, homme très dangereux par défaut de jugement, Jacobin exalté ; un troisième, agent de la tyrannie, homme de sang, capable de tous les vices, ayant pris le nom de Mutius Scévola, d'une immoralité reconnue, et ne sachant pas écrire. — Pareillement dans les districts de l'Aube[99] on trouve bien quelques têtes enfiévrées par l'épidémie régnante, par exemple, à Nogent, l'agent national Delaporte, qui n'a jamais à la bouche que les mots guillotine et tribunal révolutionnaire, qui déclare que, s'il était du gouvernement, tous les médecins, chirurgiens et hommes de loi seraient incarcérés, qui se réjouit de trouver des coupables, et dit qu'il ne sera pas content tant qu'il ne recevra point par jour trois livres pesant de dénonciations. Mais, à côté de ces affolés, la plupart des administrateurs et juges ne sont que des gens impropres à leur emploi, parce qu'ils sont ineptes, trop peu instruits, sans valeur, trop peu au fait de la partie judiciaire, sans connaissances, trop occupés des affaires de leur état, ne sachant ni lire ni écrire, ou des gens indignes de leur place, parce qu'ils sont sans délicatesse, agitateurs, violents, fourbes, n'ayant pas la confiance publique, plus ou moins improbes et méprisés. Tel, arrivant de Paris[100], fut d'abord, à Troyes, garçon boulanger, ensuite maitre de danse ; puis il a figuré au club, il s'est poussé, sans doute par sa faconde parisienne, jusqu'aux premiers postes, et il est devenu très vite membre du district. Nommé officier dans le 6e bataillon de l'Aube, il s'est si bien conduit en Vendée qu'au retour ses frères d'armes ont brisé le fanion qu'on lui présentait, le déclarant indigne d'un tel honneur, parce qu'il avait eu la lâcheté de fuir devant l'ennemi. Néanmoins, après un court plongeon, il est remonté sur l'eau, grâce à ses compères du club, il a été rétabli dans ses fonctions d'administrateur, et, pendant toute la Terreur, il a été l'intime des terroristes, l'un des grands personnages de Troyes. — De la même farine que ce garçon boulanger est l'ex-maître d'école Gachez, ancien soldat, qui maintenant se trouve maire de la ville. Lui aussi, il fut un héros de la Vendée ; seulement, il n'a pu s'y distinguer autant qu'il l'aurait voulu ; car, après s'être enrôlé, il n'est point parti : ayant empoché la prime de 300 livres, il s'est fait réformer, il ne sert plus la nation que dans les emplois civils. De l'aveu de ses propres partisans, c'est un ivrogne et il a commis un faux[101] ; après thermidor, il sera condamné pour d'autres faux à huit ans de réclusion et mis au pilori. Presque toute la commune est contre lui ; il est honni dans la rue par les femmes, et les huit sections s'assemblent pour demander qu'il s'en aille. — Mais le représentant Bô déclare qu'il a tous les titres pour rester, étant Jacobin pur, terroriste accompli, et le seul maire sans-culotte dont puisse se glorifier la commune de Troyes. Ce serait faire trop d'honneur à de telles gens que de leur supposer des convictions et des principes ; ils n'ont que des haines[102], surtout des appétits[103], et, pour les assouvir, ils profitent de leur place. — A Troyes, toutes les denrées et comestibles sont en réquisition, pour alimenter la table des vingt-quatre sans-culottes que Bô a chargés d'épurer la Société populaire[104]. Avant la formation de ce noyau régénérateur, le comité révolutionnaire, présidé par le commissaire civil Rousselin, faisait ses bombances à l'auberge du Petit-Louvre, et passait les nuits à godailler en dressant ses listes de suspects[105]. — Dans la province voisine, à Dijon, Beaune, Semur, Aignay, c'est encore à l'auberge ou au cabaret que s'assemblent les chefs de la municipalité et du club. On voit à Dijon les dix ou douze hercules du patriotisme traverser la ville, chacun avec un calice sous le bras[106] : c'est leur verre à boire ; chacun est tenu d'apporter le sien à l'auberge de la Montagne ; là ils festinent fréquemment, copieusement, et, entre deux vins, mettent les gens hors la loi. A Aignay-le-Duc, petite ville où il n'y a qu'une demi-douzaine de patriotes, dont la majorité sait à peine écrire, la plupart, pauvres, chargés de famille, vivent sans rien faire, et ne sortent pas des cabarets où ils font, jour et nuit, débauche ; leur chef, ex-procureur fiscal, maintenant concierge, archiviste, trésorier, secrétaire et président de la Société populaire, tient le conseil municipal au cabaret ; quand ils en sortent, ils donnent la chasse aux aristocrates femelles, et l'un d'eux déclare que, si l'on tuait la moitié d'Aignay, l'autre n'en vaudrait que mieux. — Rien de tel que l'ivrognerie pour surexciter la férocité. A Strasbourg, les soixante propagandistes à moustaches, logés dans le collège où ils se sont installés à demeure, ont un cuisinier fourni par la ville, et font ripaille, nuit et jour, avec les comestibles de choix qu'ils mettent en réquisition, avec les vins fins destinés aux défenseurs de la patrie[107]. C'est sans doute au sortir d'une de ces orgies qu'ils viennent, sabre en main, à la Société populaire[108], voter et faire voter de force la mort de tous les détenus enfermés au séminaire, au nombre de plus de sept cents, de tout âge et de tout sexe, sans qu'au préalable ils soient jugés. Quand un homme veut are bon égorgeur, il doit s'enivrer au préalable[109] ; ainsi faisaient à Paris les travailleurs de septembre ; le gouvernement révolutionnaire étant une septembrisade organisée, prolongée et permanente, la plupart de ses agents sont obligés de boire beaucoup[110]. Par la même raison, ayant l'occasion et la tentation de voler, ils volent. — D'abord, pendant six mois, et jusqu'au décret qui leur assigne une solde, les comités révolutionnaires se payent de leurs propres mains[111] ; ensuite, à leur salaire légal de 3 francs, 5 francs par jour et par membre, ils ajoutent à peu près ce que bon leur semble ; car ce sont eux qui perçoivent les taxes extraordinaires, et souvent, comme à Montbrison, sans rôles ni registres des recouvrements. Le 16 frimaire an II, le comité des finances annonçait que le recouvrement et l'emploi des taxes extraordinaires étaient inconnus au gouvernement, qu'il était impossible de les surveiller, que la Trésorerie nationale n'avait reçu aucune somme provenant de ces taxes[112]. Deux ans après, quatre ans après[113], la comptabilité des taxes révolutionnaires, des emprunts forcés et des dons prétendue volontaires est encore un trou sans fond : sur quarante mil liards de pièces remises à la Trésorerie nationale, on n'en trouve que vingt milliards d'acquits vérifiés ; le reste est irrégulier, sans valeur. Et, en beaucoup de cas, non seulement l'acquit est sans valeur ou manque, mais encore il est prouvé qu'en totalité ou en partie les sommes touchées ont disparu. A Villefranche, sur 138.000 francs perçus, le trésorier du district n'en a encaissé que 42.000 ; à Beaugency, sur plus de 500.000, 50.000 ; à la Réole, sur 500.000 au moins, 22.650. Le reste, écrit le receveur de Villefranche, a été dilapidé par le comité de surveillance. Les percepteurs de la taxe, dit l'agent national d'Orléans, après avoir terrifié, se livraient à des orgies scandaleuses, et bâtissent aujourd'hui des palais[114]. — Quant aux dépenses dont ils justifient, presque toujours elles ont pour objet des indemnités aux membres des comités révolutionnaires, des indemnités aux patriotes, des frais de réparation et d'entretien pour les salles de leurs Sociétés populaires, des frais d'expéditions militaires, des secours à leur clientèle d'indigents, en sorte que les trois ou quatre cents millions d'or et d'argent extorqués avant la fin de 1793, les centaines de millions en assignats extorqués en 1793 et en 1794, bref le produit presque entier[115], de toutes les taxes extraordinaires a été mangé sur place par les sans-culottes. Attablés au festin public, ils se sont servis les premiers et se sont copieusement servis. Seconde aubaine, aussi grasse. Ayant le droit de disposer arbitrairement des fortunes, des libertés et des vies, ils peuvent en trafiquer, et, pour les vendeurs comme pour les acheteurs, rien de plus avantageux qu'un pareil trafic ; ce serait merveille s'il ne s'établissait pas. Tout homme riche ou aisé, c'est-à-dire tout homme ayant des chances pour être imposé, emprisonné et guillotiné, consent de bon cœur à composer[116], à se racheter, lui et les siens. S'il est prudent, il paye, avant la taxe, pour n'être point taxé trop haut ; il paye, après la taxe, pour obtenir une diminution ou des délais ; il paye pour être admis ou maintenu dans la Société populaire. Quand le danger se rapproche. il paye pour obtenir ou faire renouveler son certificat de civisme, pour ne pas être déclaré suspect, pour ne pas être dénoncé comme conspirateur. Quand il a été dénoncé, il paye pour être détenu chez lui plutôt que dans la maison d'arrêt, pour être détenu dans la maison d'arrêt plutôt que dans la prison commune, pour ne pas être traité trop durement dans la prison commune, pour avoir le temps de rassembler ses pièces justificatives, pour faire mettre et maintenir son dossier au-dessous de tous les autres dans les cartons du greffe, pour ne pas être inscrit dans la prochaine fournée du tribunal révolutionnaire. Il n'y a pas une de ces faveurs qui ne soit précieuse : partant, des rançons innombrables sont incessamment offertes, et les fripons, qui pullulent dans les comités révolutionnaires[117], n'ont qu'à ouvrir leurs mains pour remplir leurs poches. Et le péril auquel ils s'exposent est petit ; car ils ne sont contrôlés que par leurs pareils, ou ne sont pas contrôlés du tout. Dans telle grande ville[118], il leur suffit d'être deux pour décerner un mandat d'arrêt, sauf à en référer au comité central dans les vingt-quatre heures, et l'on peut être certain que leurs collègues se montreront complaisants, à charge de retour. D'ailleurs, les habiles savent se garantir d'avance. — Par exemple, à Bordeaux, où l'un de ces marchés clandestins s'est établi, M. Jean Davilliers[119], associé d'une grande maison de commerce, était en arrestation chez lui, sous la garde de quatre sans-culottes, lorsque, le 8 brumaire an II, quelqu'un le prend à part et l'avertit qu'il est en danger, s'il ne va pas au-devant des besoins indispensables que l'on a pour les dépenses secrètes de la Révolution. Un haut personnage, Lemoal, membre du comité révolutionnaire et administrateur du district, a parlé de ces besoins, et jugé que M. Davilliers devait contribuer à ces dépenses pour une somme de 150.000 livres. A ce moment, on frappe à la porte : Lemoal entre, toutes les personnes présentes s'esquivent, et Lemoal prononce ces seuls mots : Consens-tu ? — Mais je ne puis disposer des biens de mes associés. — Alors tu iras en prison. — Sous cette menace, le pauvre homme souscrit et remet à Lemoal un billet de 150.000 livres, à vingt jours, payable au porteur, et, au bout de deux semaines, à force de réclamations, obtient la liberté d'aller et de venir. Cependant Lemoal a réfléchi et juge prudent de couvrir son extorsion privée par une exaction publique ; il dit donc à M. Davilliers : Il est essentiel que maintenant vous donniez, d'une manière ostensible, 150.000 autres livres pour les besoins de la République ; je vous accompagnerai chez les représentants à qui vous devez les offrir. De cette façon, la poule étant plumée officiellement, personne ne supposera qu'elle a d'abord été plumée secrètement, et d'ailleurs les curieux, s'il y en a, seront dépistés par la confusion des deux chiffres égaux. — M. Davilliers demande à consulter ses associés, et ceux-ci, qui ne sont point en prison, refusent. De son côté, Lemoal veut toucher le montant de sa créance, et le malheureux Davilliers, frappé de terreur par les arrestations nocturnes, voyant que Lemoal est toujours au pinacle, finit par s'exécuter : il verse d'abord 30.000 livres, puis des acomptes, en tout 41.000 livres ; enfin, à bout de ressources, il prie, supplie pour rentrer en possession de son billet. — Alors Lemoal, jugeant que la poule est tout à fait plumée, s'adoucit, coupe, sous les yeux de son débiteur, la signature entière du billet, partant, ses propres reçus partiels. qui sont au-dessous ; mais il garde soigneusement le corps de la pièce ; car, ainsi mutilée, elle prouverait au besoin qu'il n'a rien touché, que sans doute, par patriotisme, il a voulu faire contribuer un négociant, mais que, le trouvant insolvable, il a, par humanité, annulé la promesse souscrite. Voilà comme on prend ses précautions, tout en faisant bien ses affaires. — D'autres, moins avisés, volent ouvertement, entre autres le maire, les sept membres de la commission militaire, surnommés les sept péchés capitaux, et surtout leur président Lacombe, qui, par des promesses d'élargissement, arrache à huit ou neuf accusés 358.000 livres[120]. Par ces manigances, écrit un Jacobin rigoriste[121], beaucoup de gens hors la loi sont rentrés à Bordeaux en payant ; dans le nombre de ceux qui ont ainsi racheté leur vie, il en est qui ne méritaient pas de la perdre, et qui, cependant, ont été menacés du supplice, s'ils ne consentaient pas à tout. Mais il est difficile d'obtenir des preuves matérielles ; ces hommes, aujourd'hui, gardent le silence, craignant, par des dénonciations franches, de s'associer à la peine de ces marchands de justice, et ne voulant pas exposer (de nouveau) la vie qu'ils ont sauvée. Bref, la poule plumée se tait, pour ne pas attirer sur elle l'attention et le couteau ; d'autant plus que ceux qui la plument tiennent en main le couteau, et pourraient bien, si elle criait, l'expédier au plus vite. !dème quand elle n'a pas crié, ils l'expédient quelquefois, pour étouffer d'avance ses cris possibles. Cela est arrivé au duc du Chatelet et à d'autres. Il n'y a qu'un moyen sûr de se préserver[122] : c'est de solder ses patrons par aliquotes graduelles, de les payer comme des nourrices, par mois, sur une échelle proportionnée à l'activité de la guillotine. — En tout cas, les forbans sont à l'aise ; car ce commerce des vies et des libertés ne laisse point de traces, et se poursuit impunément pendant deux années, d'un bout de la France à l'autre, dans le silence concerté des vendeurs et des acheteurs. Troisième aubaine, non moins large, mais plus étalée au soleil, et partant plus alléchante encore. — Une fois le suspect incarcéré, tout ce qu'il apporte en prison avec lui, tout ce qu'il laisse au logis derrière lui, devient une proie ; car, avec l'insuffisance, la précipitation et l'irrégularité des écritures[123], avec le manque de surveillance et les connivences que l'on sait, les vautours, grands ou petits, peuvent librement jouer du bec et des serres. — A Toulouse, à Paris et ailleurs, des commissaires viennent enlever aux prisonniers tout objet de prix ; par suite, en nombre de cas, l'or, l'argent, les assignats et les bijoux, confisqués pour le Trésor, s'arrêtent au passage dans les mains qui les ont saisis[124]. — A Poitiers, les sept coquins qui composent l'oligarchie régnante, reconnaîtront eux-mêmes, après thermidor, qu'ils ont volé les effets des détenus[125]. — A Orange, la citoyenne Viot, épouse de l'accusateur public, les citoyennes Fernex et Ragot, épouses de deux juges, viennent elles-mêmes au greffe faire leur choix dans la dépouille des accusés, et prendre pour leur garde-robe les boucles d'argent, le linge fin et les dentelles[126]. — Mais ce que les accusés détenus ou fugitifs peuvent avoir emporté avec eux est peu de chose en comparaison de ce qu'ils laissent à domicile, c'est-à-dire sous le séquestre. Tous les bâtiments ecclésiastiques et seigneuriaux, châteaux et hôtels de France y sont, avec leur mobilier, et aussi la plupart des belles maisons bourgeoises, quantité d'autres logis moindres, mais bien meublés et abondamment garnis par l'épargne provinciale ; outre cela, presque tous les entrepôts et magasins des grands industriels et des gros commerçants : cela fait un butin colossal et tel qu'on n'en a jamais vu, tous les objets agréables à posséder amoncelés en tas, et ces tas disséminés par centaines de mille sur les vingt-six mille lieues carrées du territoire. Point de propriétaire, sauf la nation, personnage indéterminé, qu'on ne voit pas ; entre le butin sans maitre et ses conquérants il n'y a d'autre barrière que les scellés, c'est-à-dire un méchant morceau de papier, maintenu par deux cachets mal appliqués et vagues. Notez aussi que les gardes du butin sont justement les sans-culottes qui l'ont conquis, qu'ils sont pauvres, que cette profusion d'objets utiles ou précieux leur fait mieux sentir le dénuement de leur intérieur, que leur femme a bien envie de monter son ménage. D'ailleurs, et dès les premiers jours de la Révolution, ne leur a-t-on point promis que 40.000 hôtels, palais et châteaux, les deux tiers des biens de la France, seraient le prix de la valeur[127] ? En ce moment même, est-ce que le représentant en mission n'autorise pas leurs convoitises ? Ne voit-on pas Albitte et Collot d'Herbois à Lyon, Fouché à Nevers, Javogues à Montbrison, proclamer que les biens des contre-révolutionnaires et le superflu des riches sont le patrimoine des sans-culottes[128] ? Ne lit-on pas dans les proclamations de Monestier[129] que les campagnards, avant de partir, peuvent mesurer, arpenter les immenses propriétés de leurs seigneurs, choisir, pour ainsi dire, celle qui, au retour, accroître la propriété de leur chaumière... accrocher une parcelle du champ et de la garenne de leur ci-devant comte ou marquis ? Pourquoi pas une parcelle de son mobilier, tel lit ou telle armoire ? — Rien d'étonnant, après cela, si la fragile bande de papier, qui protège les meubles séquestrés et les marchandises confisquées, saute, à chaque instant, sous des mains grossières et rapaces. Quand, après thermidor, le maitre rentrera dans sa maison, ce sera, le plus souvent, dans une maison vide ; telle petite habitation dans le Morvan[130] a été si bien démeublée qu'une huche retournée sert de table et de chaises aux propriétaires pour y prendre, après leur retour, leur premier repas. — Et les détournements sont encore plus effrontés dans les' villes que dans les campagnes. A Valenciennes, les chefs jacobins de la municipalité sont connus sous le nom de brise-scellés et de patriotes au vol[131]. A Lyon, les Maratistes qui s'intitulent amis de Chalier sont, de l'aveu des Jacobins eux-mêmes, des brigands, des voleurs et des scélérats[132]. Or, ce sont eux qui, au nombre de trois ou quatre cents, composent les trente-deux comités de surveillance, et les cent cinquante principaux, tous administrateurs, forment seuls la Société populaire. Selon eux, dans cette ville de 120.000 âmes, ils sont à peu près 3000, et ils comptent bien se partager toute la fortune lyonnaise. Cet énorme gâteau leur appartient ; ils n'admettent pas que-é des étrangers, des Parisiens, viennent y mettre la dent[133], et ils entendent le manger seuls, à discrétion, sans contrôle, jusqu'à la dernière miette. Quant à leur système, il consiste à vendre la justice, à faire un commerce de dénonciations, à tenir sous le séquestre au moins 4.000 ménages, à poser partout les scellés dans les maisons et magasins, à ne point appeler les intéressés qui pourraient surveiller leurs opérations, à expulser les femmes, les enfants, les domestiques qui pourraient témoigner de leurs vols, à ne point dresser d'inventaire, à s'installer comme gardiateurs à 5 francs par jour, eux et leurs compères, et à dilapider tout, d'accord avec les administrateurs. Impossible, même aux représentants, de les réprimer. Prenez-les sur le fait[134] : il faut fermer les yeux, ou vous les faites crier tous à l'oppression des patriotes : c'est un système, pour qu'on ne puisse rechercher personne.... Nous avons pris un arrêté qui a défendu à toute autorité de faire lever les scellés sans notre autorisation, et, après cette défense, on est venu enfoncer un magasin séquestré, forcer les serrures et piller, jusque sous nos yeux, dans notre propre maison. Et qui étaient ces dilapidateurs ? Précisément, deux commissaires du comité, qui vidaient le magasin sans autorisation de nous, et même sans être munis de pouvoirs par le comité. — C'est un sac en règle et quotidien ; il a commencé le 10 octobre 1793, il a continué depuis, sans interruption, et l'on vient de voir que, le 23 floréal an II, c'est-à-dire le 26 avril 1794, après deux cent treize jours, il dure encore. Dernière curée, et la plus ample de toutes. — A travers
les prévarications de ses agents, la République, ayant volé immensément, a
pu, quoique volée à son tour, garder beaucoup, en premier lieu, les objets
mobiliers trop difficiles à détourner, les gros lots de marchandises, les grandes
dépouilles des palais, des châteaux, des abbayes et des églises, en second
lieu et surtout, les immeubles, terres et bâtiments. Pour subvenir à ses
besoins, elle met tout cela en vente, et qui veut acquérir n'a qu'à se porter
acquéreur ; le dernier enchérisseur devient propriétaire légal, et à bon
compte : souvent la coupe d'une année solde le prix d'une forêt[135] : parfois, on
peut payer un château en revendant les grilles du parc et le plomb de la
toiture. — C'est ici qu'il y a de beaux coups à faire, et d'abord sur les
objets de luxe et d'art. La seule nomenclature de
ces objets enlevés, détruits ou dégradés formerait plusieurs volumes[136]. D'une part,
les commissaires aux inventaires et aux adjudications, ayant des deniers à pomper sur le produit des ventes,
mettent en vente tout ce qu'ils peuvent, évitent de réserver
les objets d'utilité publique, et livrent aux enchères les collections ou
bibliothèques pour toucher leur tant pour cent. D'autre part, presque tous
ces commissaires sont des revendeurs ou des fripiers qui, seuls en état
d'apprécier les choses rares, les déprécient tout haut, pour les racheter en
cachette, et s'assurent ainsi des bénéfices
exorbitants. En certains cas, les gardiens en titre et les acheteurs
en expectative ont pris la précaution de dénaturer
les objets précieux pour les faire acheter à vil
prix par leurs prête-noms et leurs complices : par exemple, on
dépareille les livres, on démonte les machines ; le tube d'un télescope se
trouve séparé de son objectif, et les fripons concertés savent réunir ces
pièces qu'ils ont acquises séparément, à bon marché. Sur
les antiques, les bijoux, les médailles, les émaux, les pierres gravées,
souvent, en dépit des scellés, ils ont fait leur main d'avance ; rien de plus
aisé, puisque, à Paris même, en thermidor an II, des
agents de la municipalité apposent des cachets sans caractère, des boutons et
même de gros sous, en sorte que quiconque est muni d'un sou peut, à son gré,
lever et réapposer les scellés ; le tour fait, pour colorer leurs vols, ils substituent des cailloux taillés, des
pierres fausses aux véritables. Enfin, aux enchères, lorsqu'ils redoutent la probité ou la concurrence des gens
instruits, ils (leur) offrent de l'argent pour les engager à se retirer des
ventes ; on en cite une, où ils assommèrent un enchérisseur. Cependant,
le soir, ils crient de tous leurs poumons, au club ; cela, avec la protection
d'un membre de la municipalité ou du comité révolutionnaire, les met à l'abri
de tout soupçon. Quant au protecteur, il sait toucher sa part, sans sortir de
l'ombre : accusez, si vous en avez l'audace, le fonctionnaire républicain
qui, en secret ou même ostensiblement, bénéficie de ces larcins ; il vous montrera
ses mains nettes. — Ainsi fait le patriote incorruptible que les
représentants ont trouvé seul de son espèce à Strasbourg et que, d'office, ils
ont nommé maire. Le 10 vendémiaire an III[137], on découvre dans ses appartements un assortiment magnifique et
complet d'objets ecclésiastiques, 49 chapes et
chasubles de soie ou de satin, galonnées d'or ou d'argent, 54 palles
galonnées, quantité de reliquaires, de
burettes, de cuillers, d'encensoirs, de franges d'argent et d'or, 32 pièces
ou coupons de soie, etc. Mais rien de tout cela n'est à lui ; ces
belles choses appartiennent toutes au citoyen Monet, son père. Ce père
prudent déclare qu'il les a réfugiées chez son fils dans
le courant de juin 1792 (vieux style)
; un bon fils pouvait-il refuser ce léger service à son père ? Très
certainement, en 93 et 94, sous la dictature municipale du jeune homme, le
vieux n'a pas acheté cher aux fripiers de Strasbourg, et il a dû les trouver
coulants en affaires ; mais de quel droit un fils, magistrat, aurait-il
empêché son père, libre particulier, de vaquer à son
commerce, et d'acheter, selon la loi du commerce, aussi bon marché
qu'il pouvait ? Si tels sont les profils sur les ventes mobilières, quels
seront-ils sur les ventes d'immeubles ! — Voilà le trafic sur lequel s'édifient
les grandes fortunes des terroristes habiles ; ainsi s'expliquent les richesses colossales dont jouissent paisiblement,
après thermidor, ces fripons avisés qui,
avant thermidor, étaient, chacun dans son canton, de
petits Robespierre, ces patriotes qui,
autour d'Orléans, bâtissent des palais, ces exclusifs qui, à Valenciennes, ayant dilapidé la fortune publique et particulière,
possèdent des maisons et biens d'émigrés qu'ils se sont fait adjuger cent
fois au-dessous de leur valeur
[138]. De ce côté,
les mains crochues se tendent tout de suite, et sans vergogne ; car chaque
détenu, obligé de déclarer, avec son nom et sa qualité, sa fortune, telle
qu'elle est maintenant et telle qu'elle était avant la Révolution, fournit
aux cupidités locales un objet précis, connu, certain, direct et palpable. —
A Toulouse, dit un prisonnier[139], le détail et la valeur de chaque objet étaient inscrits
comme pour une succession, et les commissaires qui dressaient le
tableau, nos assassins, d'avance et presque sous nos
yeux, procédaient au partage, se disputaient sur la convenance et le choix,
comparaient le prix de l'adjudication avec les moyens de le diminuer et de
l'affaiblir, parlaient des profits certains de la revente et de la cession,
dévoraient d'avance les épingles ou pots-de-vin des ventes ou baux à ferme.
— En Provence, où la maturité et la corruption sont plus précoces
qu'ailleurs, où le sens et la portée de la Révolution ont dès l'abord été
compris, c'est pis encore ; nulle part, le personnel jacobin n'affiche si
impudemment son caractère intime, et nulle part, de 1789 à 1799, ce caractère
ne s'est si bien soutenu. A Toulon, les démagogues sont, en l'an V comme en
l'an II[140],
d'anciens ouvriers et commis de l'arsenal devenus
maîtres par délation et terreur ; des détenteurs gratuits ou des acquéreurs à
vil prix et par menées des biens nationaux ; de petits marchands venus de
toutes parts et approvisionnés par tous moyens, à savoir le vol, les
réquisitions cédées ou vendues, l'achat des effets volés par des domestiques
ou par les employés des administrations civiles, militaires et de la marine ;
enfin des hommes qui, réfugiés des autres communes, passent le jour dans les
cafés, et la nuit dans des lieux de prostitution. — A Draguignan, à
Brignolles, Vidauban et Fréjus, à Marseille, après thermidor, les retours
intermittents de la Terreur remettront toujours dans les places le même gibier
de justice et de police[141], des artisans, jadis utiles, mais dégoûtés du travail, et
que la profession de clubistes soldés, de gardiateurs oisifs, de jureurs et
menteurs à gages, a totalement démoralisés, des drôles qui font argent
de tout et s'entendent comme larrons en foire, accoutumés à vivre aux dépens
du public, à reverser les bienfaits de la nation sur
ceux qui partagent leurs principes, à procurer asile et secours à beaucoup de
prévenus que la justice poursuit et qui se disent patriotes par excellence[142], enfin à recevoir des contributions des maisons de
débauche et de jeu. — Dans les campagnes, les anciennes bandes, les hordes de brigands sans patrie, qui ont si bien
travaillé pendant l'anarchie de la Constituante et de la Législative, se
reforment pendant l'anarchie du Directoire ; on les voit aux environs d'Apt, commencer par de petits vols, puis, forts de l'impunité et
de leur titre de sans-culottes, enfoncer les granges, les voler, massacrer
les propriétaires, dévaliser les voyageurs, rançonner tout ce qui se trouve
sur leur chemin, forcer et piller les maisons dans la commune de Gordes,
arrêter les femmes dans la rue, leur arracher leurs bagues et leurs croix,
attaquer l'hôpital, le saccager de fond en comble ; et leurs pareils,
officiers municipaux ou commandants de la force armée les laissent faire[143]. — Jugez par là
de ce qu'ils ont fait, lorsque, du temps de Robespierre, administrateurs et
vendeurs des biens nationaux, ils étaient les martres sans conteste. En ce
bon temps, dans le Var, les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, une société de soi-disant patriotes préparait de
longue main ses acquisitions. Elle avait des estimateurs
à gages, pour déprécier les biens à vendre, et des prête-noms, pour
dissimuler les véritables acheteurs ; on était exclu
des enchères, quand on n'était point de leur acabit ; si l'on persistait,
tantôt on était mis à contribution, pour avoir le droit d'enchérir,
tantôt il fallait s'engager à ne pas enchérir au delà du prix fixé par la
ligue, et, pour obtenir le domaine, on lui payait une
bonification. — Par suite, les biens nationaux
ont été donnés à vil prix, et les raisons ne manquent pas aux
aigrefins pour se justifier à leurs propres yeux. En quelles mains les biens
des contre-révolutionnaires peuvent-ils mieux tomber qu'en celles des
patriotes ? Selon Marat, l'apôtre, le martyr, le saint canonisé de la
Révolution, est-ce que le but de la Révolution n'est point d'ôter la fortune
aux grands pour la remettre aux petits[144] ? Partout, dans
les ventes nationales, dans la garde des séquestres, à l'endroit des rançons,
à l'endroit des taxes, emprunts et saisies révolutionnaires, cet admirable
raisonnement a prévalu ; nulle part, dans les documents imprimés ou
manuscrits, je n'ai rencontré un comité révolutionnaire qui fût à la fois
terroriste et probe. Et certes, les documents surabondent ; la seule lacune
est le manque de renseignements individuels et nominatifs sur tous les membres
du même comité. — Voici pourtant un comité, où, par l'heureuse chance d'une
enquête détaillée, on peut observer, dans un seul et même nid, toutes les
variétés de l'espèce et de ses appétits, les douze ou quinze types de la
guêpe jacobine, chacune picorant dans la denrée pour laquelle elle a du goût,
chacune ayant son genre préféré de rapine. — A Nantes, Pinard est le grand pourvoyeur du comité[145], et fait conduire chez chacun des membres tout ce dont
ils ont besoin pour l'usage journalier de leur maison. — Gallon s'approprie les huiles, les eaux-de-vie, et,
notamment, en prend plusieurs barils chez le citoyen
Bissonneau. — Durassier fait des visites
domiciliaires et exige des contributions ; entre autres, il fait payer au citoyen Lemoine 2.500 livres, pour ne pas
l'incarcérer. — Naud lève et pose seul les
scellés chez les particuliers incarcérés, fait des visites nocturnes dans les
maisons des détenus, et s'approprie ce qui lui convient. — Grandmaison s'approprie l'argenterie qu'on séquestre, et
Bachelier, l'argenterie qu'on offre en don. — Joly
fait les exécutions, et s'empare de ce qu'il trouve, argenterie, bijoux,
effets précieux. — Bolognié s'est fait rendre
un bon de 20.000 livres dont il a déjà touché le montant. — Perrochaux demande à la citoyenne Ollemard-Dudan 50.000
livres pour l'empêcher d'être incarcérée, confisque à son profit
60.000 livres de tabac chez la veuve Daigneau-Mallet, et, celle-ci ayant
réclamé, il la conduit lui-même en prison, sous prétexte d'intercéder pour
elle. — Chaux écarte par la terreur ses concurrents
aux adjudications, se fait adjuger toutes les métairies du domaine de la
Baroissière, et dit d'un local qui lui agrée : Je connais un moyen de me le procurer ; je ferai arrêter
le propriétaire, et, pour sortir de prison, il sera trop heureux de
m'abandonner son terrain. — La collection est complète, et
rassemble autour d'une table les échantillons que, dans le reste de la
France, on rencontre épars. VII Restent les derniers manœuvres du système, les mains qui empoignent, la force armée qui opère corporellement sur les hommes et les choses. — A cet effet, on emploie, en premier lieu, la garde nationale et la gendarmerie ordinaire ; bien entendu, depuis 1798, on a incessamment épuré ces deux troupes, jusqu'à n'y plus laisser que des énergumènes et des machines[146] ; néanmoins, à mesure que le système se développe, on continue à les purger. A Strasbourg[147], le 14 brumaire, les représentants ont destitué, arrêté et expédié à Dijon tout l'état-major de la garde nationale, pour y servir d'otage jusqu'à la paix ; trois jours après, considérant que la cavalerie de la ville s'est équipée et montée à ses frais, ils la jugent aristocratique, bourgeoise, suspecte, saisissent ses chevaux et mettent ses officiers en arrestation. — A Troyes, pour la même raison et non moins brusquement, Rousselin, commissaire civil national, destitue d'un coup tous les gendarmes, moins quatre, et met en réquisition leurs chevaux tout équipés, avec leurs armes, pour être montés sur-le-champ par des sans-culottes connus et éprouvés. — Car, en principe, les indigents, les sans-culottes de cœur et d'habit, ont seuls le droit de porter des armes, et, quand un bourgeois fait le service, on ne lui confie qu'une pique, que l'on prend soin de lui retirer, sitôt qu'il a fini sa faction[148]. Mais, à côté de la force armée ordinaire, il en est une
autre, encore mieux choisie et plus efficace, gendarmerie de surcroît,
spéciale, à la fois ambulante et résidente, je veux dire l'armée révolutionnaire, que le gouvernement et les
représentants, à partir du 5 septembre 1793, ont levée à Paris et dans la
plupart des grandes villes. Celle de Paris comprend 6.000 hommes, avec 1.200
canonniers, et envoie des détachements en province, 2.000 hommes à Lyon[149], 200 hommes à
Troyes ; Ysabeau et Tallien en ont une de 3000 hommes à Bordeaux ; Salicetti,
Albitte et Gasparin, une de 2000 à Marseille ; Ysoré et Duquesnoy, une de 1.000
à Lille ; Javogues, une de 1.200 à Montbrison ; d'autres, moins nombreuses et
qui comptent de 600 à 200 hommes, tiennent Moulins, Grenoble, Besançon,
Belfort, Bourg, Dijon, Strasbourg, Toulouse, Auch, Nantes[150]. Lorsque, le 27
mars 1794, le Comité de salut public, menacé par Hébert, les aura dissoutes
comme hébertistes, plusieurs d'entre elles subsisteront, au moins à l'état de
noyau, sous diverses formes ou titres, soit que l'administration locale les
conserve sous le nom de gardes soldés[151], soit que les soldats, licenciés et les bras ballants, se
fassent, en raison de leurs exploits, attribuer des grades dans la garde
nationale de leur ville ; de cette façon, ils continuent leur service,
qui est indispensable ; car c'est par eux que le régime s'est établi et dure.
L'armée révolutionnaire[152] disent les décrets
et arrêtés d'institution, est destinée à comprimer
les contre-révolutionnaires, à exécuter, partout où sera besoin, les lois
révolutionnaires et les mesures de salut public, c'est-à-dire à garder les reclus, à arrêter les suspects, à démolir les
châteaux, à descendre les cloches, à fouiller les sacristies pour les
matières d'or et d'argent, à saisir les voitures et chevaux de luxe,
surtout, à rechercher les provisions particulières
et les accaparements, bref à exercer sur place les contraintes
manuelles et à imprimer sur place la terreur physique. — Là-dessus, on voit
tout de suite de quels soldats l'armée révolutionnaire est composée. Naturellement, comme elle se recrute par des enrôlements volontaires et que tous les candidats ont passé par le scrutin épuratoire des clubs, elle ne comprend que des ultra-jacobins. Naturellement, comme la solde est de 40 sous par jour, elle ne comprend que des prolétaires. Naturellement, comme la besogne à faire est aussi répugnante qu'atroce, elle ne comprend guère[153] que des artisans désœuvrés, réduits à s'engager pour vivre, des perruquiers sans clientèle, des laquais sans place, des vagabonds, des misérables incapables de gagner leur vie par un travail honnête, des tape-dur et tape-dru, qui ont contracté le besoin de rudoyer, d'assommer et de tenir les honnêtes gens sous leurs piques, un ramassis de gens de sac et de corde, qui, à travers le brigandage public, comptent pratiquer le brigandage privé, les habitués du ruisseau, heureux de pousser dans la boue leurs anciens supérieurs, de prendre eux-mêmes le haut du pavé, de s'y prélasser superbement, de bien prouver par leur arrogance et leur étalage qu'ils sont princes à leur tour. — Prends un cheval, c'est la nation qui paye[154], disaient aux camarades de la rue les sans-culottes de Bordeaux qui, en cortège magnifique, dans trois berlines à six chevaux, avec une escorte par derrière, par devant et sur les côtés, conduisaient à la Réole Riouffe et deux autres suspects. Le chef de l'escouade qui mène les prisonniers à Paris et qui les affame tout le long de la route, en spéculant sur eux, est un ex-cuisinier d'Agen, devenu gendarme ; il leur fait faire quarante lieues de plus, exprès pour sa gloire, afin que tout Agen puisse le voir disposant des deniers de l'État et enchaînant les citoyens. A cet effet, dans Agen, il visite incessamment et sans nécessité la voiture, faisant des signes aux spectateurs, plus triomphant que s'il eût amené douze Autrichiens faits prisonniers de sa propre main ; enfin, pour montrer au public assemblé l'importance de sa capture, il fait venir deux maréchaux ferrants et river aux jambes de chaque prisonnier un boulet ramé de quatre-vingts livres[155]. — Plus les sbires se montrent brutaux, plus ils se sentent grands. A Belfort, où, pour un patriote qui vient de mourir, on procède à l'enterrement civique, un détachement révolutionnaire se joint au cortège ; les hommes sont armés de haches ; arrivés au cimetière, afin de mieux célébrer les funérailles, ils abattent toutes les croix, en font un autodafé, et la Carmagnole termine ce jour à jamais mémorable[156]. Quelquefois la scène, théâtrale et jouée aux flambeaux, laisse aux auteurs l'impression qu'ils ont fait quelque chose d'extraordinaire et de méritoire, qu'ils ont sauvé la patrie. Cette nuit, écrit l'agent de Bordeaux[157], près de 3.000 hommes ont été employés pour une expédition importante ; à leur tête étaient les membres du comité révolutionnaire et de la municipalité. On est allé chez tous les grands négociants de la ville et du faubourg des Chartrons ; on s'est emparé de leur copie de lettres, on a apposé les scellés sur leurs comptoirs, on a mis les négociants en arrestation au séminaire. Malheur aux coupables ! — S'il est beau de coffrer aussi promptement, dans une ville, toute une classe d'individus, il est encore plus beau de saisir une ville entière. Partis de Marseille avec une petite armée[158], deux sans-culottes en chef cernent Martigues et y entrent comme dans un moulin. Superbe coup de filet : dans cette ville de 5.000 âmes, on ne trouve que 17 patriotes ; tout le reste est fédéraliste ou modéré ; par suite, désarmement général, visites domiciliaires ; les vainqueurs repartent, emmenant les garçons valides, 500 jeunes gens sujets à la réquisition, et laissent dans la ville une compagnie de sans-culottes pour y maintenir l'obéissance. Soyez sûr que l'obéissance y sera maintenue, et que la garnison, jointe aux dix-sept patriotes, usera de sa conquête à discrétion. En effet, corps et biens, tout est à leur discrétion et ils agissent en conséquence, d'abord dans les campagnes, où ils vont à domicile visiter les greniers et les granges, faire battre les grains, et vérifier que les déclarations des propriétaires sont exactes. Si les grains n'ont pas été battus, on les battra incontinent, ils seront confisqués, et il y aura un an de fers pour le propriétaire. Si la déclaration est inexacte, il sera condamné comme accapareur et puni de mort. Armée de cet arrêté[159], chaque bande se met en campagne et ramasse, non seulement les grains, mais les subsistances de toute espèce. Celle de Grenoble, écrit l'agent[160], fait merveille ; on a trouvé dans une seule petite commune 400 septiers de blé, 1200 œufs et 600 livres de beurre. Tout cela a pris lestement le chemin de Grenoble. — Aux environs de Paris, les avant-coureurs de la troupe, munis de fourches et de bayonnettes, se précipitent sur les métairies, délient les bœufs dans les étables, empoignent les moutons et les volailles, incendient les granges et vendent leurs larcins à des spéculateurs[161]. Lard, œufs, beurre, poulets, les paysans livrent tout ce qu'on leur demande, en maudissant tout bas la République qui leur a donné la guerre et la famine ; mais ils obéissent ; quand on leur a dit : Citoyen paysan, je te requiers sur ta tête.... il n'y a plus à reculer[162]. — Aussi bien sont-ils trop heureux d'en être quittes à si bon compte. Le 9 brumaire, vers sept heures du soir, à Tigery, près de Corbeil, vingt-cinq hommes, avec sabres et pistolets à la ceinture, la plupart en habits de gardes nationaux et se disant de l'armée révolutionnaire, entrent chez Gilbon, vieux laboureur de soixante et onze ans ; cinquante autres, pour que l'expédition ne soit pas dérangée, gardent les issues de la maison. Leur chef, Turlot, aide de camp du général Henriot, demande où est le maître : — Dans son lit. — Qu'on l'éveille. — Le vieillard se lève. — Livre tes armes. — La femme remet un fusil de chasse, seule arme de la maison. A l'instant, la bande se jette sur le pauvre homme, le frappe, lui lie les mains, lui met la tête dans un sac ; même opération sur sa femme, sur les huit domestiques et sur les deux servantes. — Maintenant, les clefs des armoires ; nous voulons vérifier si tu n'as point de fleurs de lis ou quelques autres objets en contravention avec la loi. On fouille dans ses poches, on lui arrache les clefs ; pour aller plus vite, on enfonce les armoires, on saisit et on enlève toute l'argenterie, 26 couverts, une écuelle, 3 cuillers à potage et à ragoût, 3 gobelets, 2 tabatières, 40 jetons, 2 montres, une autre montre d'or, une croix d'or. — Nous dresserons procès-verbal de tout cela, quand nous serons tranquilles à Meaux. A présent, où est ton argent monnayé ? Si tu ne le déclares pas, la guillotine est à la porte ; c'est moi qui serai ton bourreau. — Le vieillard ne refuse pas, demande seulement qu'on le délie ; mais il est plus sûr de le laisser lié, pour le faire chanter. On l'enlève, on le porte dans la cuisine, on lui met les pieds dans un brasier ardent. Il pousse un grand cri, indique une autre armoire ; l'armoire est forcée, ils emportent ce qu'ils y trouvent, 72 francs en numéraire et 5.000 à 6.000 livres en assignats, que Gilbon venait de recevoir pour son blé en réquisition. Ensuite, ils brisent les portes de la cave, lâchent une pièce de vinaigre, montent du vin, mangent le souper de la maison, s'enivrent, et enfin, laissant Gilbon, les pieds brûlés, garrotté ainsi que les onze autres, ils s'en vont, bien sûrs de n'être pas suivis[163]. Dans les villes, surtout en pays fédéraliste, les vols se compliquent d'autres attentats. — A Lyon, tandis qu'on a logé les troupes régulières dans les casernes, on loge chez l'habitant l'armée révolutionnaire, les deux mille[164] voyous crapuleux et sanguinaires qui arrivent de Paris, et que leur général, Ronsin, appelle lui-même des coquins, des brigands, alléguant pour excuse qu'on ne peut pas trouver d'honnêtes gens pour faire ce métier. Comment ils traitent leur hôte, sa femme et ses filles, on le devine ; les contemporains glissent là-dessus et, par pudeur ou dégoût, évitent les détails. Quelques-uns usent simplement de la force brutale ; d'autres se débarrassent, par la guillotine, du mari incommode ; les plus réservés amènent avec eux leurs drôlesses ; il faut que la demoiselle de la maison, réveillée en sursaut, vienne, à une heure du matin, allumer le feu de l'officier, qui rentre en belle compagnie. — Pourtant, il en est de pires, car les pires s'attirent entre eux. On a vu ce qu'étaient à Nantes le comité révolutionnaire et le représentant en mission ; nulle part le sabbat révolutionnaire n'a ronflé plus furieusement et trépigné si fort sur les vies humaines. Avec des chefs d'orchestre comme Carrier et comme ses suppôts du comité, on peut être sûr que les exécutants sont des hommes de choix. Pour plus de sûreté, quelques membres du comité de Nantes vaquent eux-mêmes à l'exécution et collaborent, de leurs mains, aux massacres. — L'un d'eux, Goullin, créole de Saint-Domingue[165], sensuel et nerveux, accoutumé à traiter un nègre comme un animal, et un Français comme un nègre blanc, septembriseur par principes, principal instigateur et directeur des noyades, va, de sa personne, vider la prison du Bouffay, et, vérifiant que la mort, l'hôpital ou l'élargissement lui ont soustrait des détenus, il ajoute, de sa seule autorité, quinze noms, pris au hasard, pour atteindre son chiffre. — Un autre, Joly, commissaire du comité, très expert dans l'art de garrotter, liait lui-même les détenus, deux à deux, pour les conduire à la rivière[166]. — Grandmaison, membre du comité, ancien maître d'armes, condamné et gracié, avant la Révolution, pour deux meurtres, abattait à coups de sabre les mains suppliantes qui se tendaient vers lui à travers les planches de la gabare[167]. — Pinard, autre commissaire du comité, rançonnait, volait dans la campagne, et tuait lui-même les femmes et les enfants, de préférence[168]. — Naturellement, les trois troupes qui opèrent avec eux, ou sous leurs ordres, ne comprennent que des hommes de leur espèce. — Dans la première, appelée Compagnie Marat, chacun des soixante membres jure, en s'enrôlant, d'adopter les principes de Marat, de pratiquer la doctrine de Marat, et Goullin[169], l'un des fondateurs, demande à propos de chaque récipiendaire : N'y en a-t-il pas encore un plus scélérat ? Car il nous faut des hommes de cette espèce pour mettre les aristocrates à la raison[170]. Dès le 5 frimaire, les Marats se vantent d'avoir les bras fatigués à force de donner des coups de plat de sabre aux détenus, pour les faire marcher jusqu'à la Loire[171], et l'on voit que, malgré la fatigue, l'emploi leur agrée ; leurs officiers briguent auprès de Carrier pour être chargés de la noyade ; c'est qu'elle est lucrative. Au préalable, les hommes et les femmes qui vont mourir sont dépouillés, parfois jusqu'à la chemise et y compris la chemise ; ce serait dommage si des objets de valeur allaient au fond de l'eau, avec leur propriétaire ; en conséquence, les noyeurs se les partagent ; on trouvera chez l'adjudant Richard une armoire pleine de bijoux et de montres[172] ; sur les quatre ou cinq mille noyés, la compagnie des Soixante a dû faire de beaux profits. — La seconde troupe, dite des Hussards américains, et qui travaille dans la banlieue, se compose de noirs et de mulâtres[173], assez nombreux dans cette ville d'armateurs. On leur donne les femmes à fusiller, et ils en usent auparavant. Ce sont nos esclaves, disent-ils ; nous les avons gagnées à la sueur de notre corps. Celles qui ont le malheur d'être épargnées par eux deviennent idiotes, entre leurs mains, au bout de deux jours ; au reste, un peu après, elles sont reprises et on les fusille. — La dernière troupe, que l'on nomme la Légion germanique, est formée de déserteurs ou mercenaires allemands, qui parlent à peine ou ne parlent pas le français, et la commission militaire les emploie aussi à expédier les Vendéennes ramassées sur les chemins ; ordinairement, ils les fusillent par vingt-cinq. J'arrivai, dit un témoin oculaire[174], dans une espèce de gorge où était une carrière en forme de demi-cercle ; là, j'aperçus les cadavres de soixante-quinze femmes... nues et couchées sur le dos. Celles qu'on amenait ce jour-là avaient de seize à dix-huit ans ; une d'elles dit à ses conducteurs : Je vois bien que vous me conduisez à la mort, et l'Allemand, en son jargon estropié, lui répond, probablement avec un gros rire : Non, cela est pour vous changer d'air. On les range en haie devant les cadavres des journées précédentes, et on les fusille ; celles qui ne sont pas tombées voient recharger les fusils ; on les fusille de nouveau, et les blessées sont achevées à coup de crosse. Ensuite les Allemands viennent fouiller les mortes ; d'autres les mettent nues, et les retournent sur le dos. — Il a fallu, pour trouver les ouvriers de l'œuvre, descendre, non seulement jusqu'aux derniers scélérats de la France, mais encore jusqu'à des brutes de race et de langue étrangère, plus bas encore, jusqu'à des brutes de race inférieure, dégradées par l'esclavage et perverties par la licence. — Tel est, du haut en bas de l'échelle, à tous les degrés de l'autorité et de l'obéissance, le personnel du gouvernement révolutionnaire[175]. Par son recrutement et son emploi, par ses mœurs et ses actes, il évoque devant la mémoire l'image presque oubliée de ses prédécesseurs ; car il en a eu, au quatorzième, au seizième, au dix-septième siècle. En ce temps-là aussi, la société était parfois conquise et saccagée par ses barbares ; les nomades dangereux, les déclassés malfaisants, les bandits devenus soldats s'abattaient tout d'un coup sur une population industrieuse et paisible. Ainsi faisaient, en France, les Routiers et les Tard-venus ; à Rome, l'armée du connétable de Bourbon ; en Flandre, les bandes du duc d'Albe et du duc de Parme ; en Westphalie et en Alsace, les soudards de Wallenstein et de Bernard de Saxe-Weimar. Ils vivaient sur une ville ou sur une province, pendant dix mois, quinze mois, deux ans, jusqu'à ce que la ville ou la province fût mangée, seuls armés, maîtres de l'habitant, usant et abusant à leur fantaisie des choses et des personnes. Mais ils étaient de francs bandits ; ils s'appelaient eux-mêmes écorcheurs, reîtres, aventuriers ; ils ne se donnaient pas pour des philosophes humanitaires. D'ailleurs, au delà de la jouissance immédiate et personnelle, ils ne demandaient rien ; ils n'employaient la force brutale que pour assouvir leur avidité, leur cruauté, leur luxure. — Aux ravages de leurs convoitises privées, ceux-ci ajoutent un dégât plus vaste, la dévastation systématique et gratuite que leur commande la théorie antisociale dont ils sont imbus. |
[1] La Révolution, II, 400 à 408, et 470.
[2] Si les témoignages recueillis ci-dessus ne suffisaient pas, en voici d'antres, fournis par trois étrangers, qui étaient bien placés pour voir. Gouverneur Morris (Lettre du 30 décembre 1794) : Les Français se sont trouvés plongés dans un abîme de misère et d'esclavage, esclavage d'autant plus avilissant que les hommes qui le leur faisaient subir ne méritaient que le plus profond mépris. — Meissner, Voyage à Paris (fin de 1795), p. 160 : L'armée (révolutionnaire) et les comités révolutionnaires étaient vraiment des associations organisées par le crime, pour commettre avec impunité tous les genres d'injustice, de meurtre, de rapine et de brigandage. Le gouvernement avait enlevé toutes les places aux hommes de quelque talent ou de quelques vertus, pour les livrer à ses créatures, c'est-à-dire à la lie de l'espèce humaine. Baron Brinckmann, chargé d'affaires de Suède (Lettre du 11 juillet 1799) : Je ne crois pas que les différentes classes de la société soient plus corrompues en France qu'ailleurs ; mais j'ose espérer que jamais un peuple ne sera gouverné par la volonté de scélérats plus imbéciles et plus cruels que la France ne l'a été depuis le commencement de sa nouvelle liberté.... La lie du peuple, poussée en haut par une fermentation violente et subite, a fait surnager partout l'écume de l'immoralité.
[3] Édouard Fleury, Babeuf, 139, 150. — Granier de Cassagnac, Histoire du Directoire, II, 24 à 170. — (Procès de Babeuf, passim.) Les textes ci-dessus sont extraits des pièces saisies chez Babeuf, et des dépositions faites par les témoins, notamment par le capitaine Grizel.
[4] Moniteur (séance du 5 septembre 1793). Discours de Drouet : Puisque notre vertu, notre modération, nos idées philosophiques ne nous ont servi de rien, soyons brigands pour le bonheur du peuple ; soyons brigands.
[5] Mot de Couthon sur Javogues.
[6] Babeuf, le Tribun du peuple, n° 40 : Apologie des hommes de Septembre qui n'ont été que les prêtres, les sacrificateurs d'une juste immolation qu'exigeait le salut commun. S'il est quelque chose à regretter, c'est qu'un Deux Septembre plus vaste, plus général, n'eût pas fait disparaître la totalité des affameurs, des spoliateurs.
[7] Dépositions de Grizel. Rossignol disait : Il ne me reste qu'une tabatière, que voilà, pour exister. — Massard avait une paire de bottes qu'il ne pouvait retirer de chez le cordonnier, parce qu'il n'avait pas d'argent.
[8] Archives nationales, F7, 31167 (Rapport de Rolin, 9 nivôse an II) : Les femmes n'ont pas discontinué d'avoir voix délibérative dans l'assemblée populaire de la section du Panthéon, et, dans tous les autres clubs, elles assistent aux séances.
[9] Moniteur, XIX, 103 (séance des Jacobins, 28 décembre 1793). Dubois-Crancé propose la question suivante à chaque membre soumis au scrutin épuratoire : Qu'as-tu fait pour être pendu, si la contre-révolution arrivait ?
[10] Moniteur, XVIII, 410 (Discours de Montaut, séance des Jacobins, 21 brumaire an II).
[11] Dauban, Paris en 1794, 142 (Rapports de police, 13 ventôse au II).
[12] Morellet, Mémoires, II, 449.
[13] Dauban, 26, 35 (Note rédigée en janvier 1794, probablement par le médecin Quevremont de Lamotte). — Ibid., 82. — Cf. Morellet, II, 434-470 (Détails sur la délivrance des certificats de civisme, en septembre 1793).
[14] Archives nationales, F7, 31167 (Rapport de Latour-Lamontagne, ventôse an II) : C'est donner à ces sociétés une trop grande influence ; c'est anéantir les assemblées générales (de section). Aussi a-t-on observé que celles-ci commencent à devenir désertes, et que les cabaleurs et intrigants sont parvenus à rendre les sociétés populaires le centre de toutes les affaires publiques, afin de les diriger plus facilement.
[15] Dauban, Paris, 102 (Rapport de Bacon, 19 ventôse) : A l'assemblée générale de la section de la Maison Commune, on a passé au scrutin épuratoire tous les citoyens ayant un grade dans les compagnies. La moindre tache d'incivisme, la moindre négligence dans le service, les a fait mettre au rejet. Sur vingt-cinq qui ont passé à la censure, dix-neuf au moins ont été renvoyés.... La plupart sont de leur état ou traiteur, ou cordonnier, ou menuisier, ou tailleur. — Ibid., 274, 306.
[16] Dauban, Paris, 141 (Rapport de Charmont, 12 ventôse). — Ibid., 140 : Il n'y a qu'un moyen, disait-on, au café des Grands Hommes sur le boulevard, pour ne pas être arrêté, c'est de cabaler pour entrer dans les comités civils et révolutionnaires, lorsqu'il y vaque quelque place. Avant que ces derniers fussent salariés, personne n'y voulait entrer ; une fois qu'ils l'ont été, on s'est disputé à qui serait nommé.
[17] Dauban, Paris, 307 (Rapport du 7 germinal).
[18] Dauban, Paris, 225 (Rapport de Bacon). — 142 (Rapport de Bacon). — Cf. 66, 79, 116, 117, 226, 302.
[19] Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, IV, 129.
[20] Archives nationales, AF, II, 45 (Arrêté du Comité de salut public, 15 prairial) : Les citoyens Pillon, Gouste, Né, membres du comité révolutionnaire de la section Marat, sont destitués. Ils sont remplacés dans leurs fonctions par les citoyens Martin, Majon et Mirel. Mauvielle, rue de la Liberté, n° 32, est nommé pour compléter ledit comité révolutionnaire, qui n'était composé que de onze membres. — Et autres arrêtés analogues.
[21] Buchez et Roux, XXXV, 403 et suivantes.
[22] Duverger (Décret du 14 frimaire an II) : L'application des lois révolutionnaires et des mesures de sûreté générale et de salut public est confiée aux municipalités et aux comités révolutionnaires. Voir, au chapitre II du présent volume, l'étendue du domaine ainsi délimité ; il comprend à peu près tout. — Au reste, il suffit de parcourir les registres de quelques comités révolutionnaires, pour vérifier l'immensité de leur pouvoir et la façon dont ils interviennent dans tous les détails de chaque vie particulière.
[23] Archives nationales, F7, 31167 (Rapport du 1er nivôse an II, par Leharivel).
[24] Dauban, Paris, 307 (Rapport du 29 mars 1794). Il s'agit ici de la section des Piques (place Vendôme).
[25] Dauban, Paris, 308 (Note trouvée dans les papiers de Danton, et probablement écrite par le médecin Quevremont de Lamothe).
[26] Dauban, Paris, 125 (Rapport de Bérard. 10 ventôse). Paroles d'une femme de la section Bonne-Nouvelle : Mon mari est enfermé depuis quatre mois, et qu'a-t-il fait ? Il a été un des premiers à la Bastille, a toujours refusé les places pour les laisser aux bons sans-culottes, et, s'il s'est fait des ennemis, c'est qu'il n'a pas voulu qu'elles fussent occupées par des ignorants ou des nouveaux venus, qui, par leurs criailleries et la soif du sang dont ils paraissaient animés, se sont fait autour d'eux une barrière de partisans.
[27] Dauban, Paris en 1794, 307 (Rapport du 29 mars 1794).
[28] Dauban, Paris en 1794, 307 (Rapport du 14 ventôse). — Archives nationales, F7, 31167 (Rapports des 9 et 25 nivôse) : Il se trouve dans les sections une quantité de citoyens qui se font appeler, après la séance, pour avoir quarante sous. J'observe que la plupart sont des massons et même quelques cochers, conducteurs pour la nation, et qui peuvent se passer de cette indemnité de la nation et qui ne sert qu'à leur faire boire bouteille pour faire grand bruit. — Le peuple se plaint de ce que les personnes à qui l'on donne quarante sous pour aller aux assemblées de section ne font rien de la journée, pouvant travailler à différents métiers, et qu'ils se fient à ces quarante sous.
[29] Dauban, Paris, 312 (Note de Quevremont). — Moniteur, XVIII, 608 (séance de la Commune, 11 frimaire an II) : La section de Beaurepaire annonce que, voulant mettre un frein à la cupidité des marchands de vin de son arrondissement, elle a fait mettre les scellés sur toutes leurs caves.
[30] Dauban, Paris, 345 (Ordre du jour de Henriot, 9 floréal).
[31] Mallet-Dupan, II, 56 (mars 1794).
[32] Buchez et Roux, XXVII, 10 (Discours de Barbaroux, 14 mai 1793). Rapport sur les papiers trouvés chez Robespierre par Courtois, 285 (Lettre de Collot d'Herbois, 3 frimaire an II, demandant qu'on lui envoie à Lyon des Jacobins de Paris) : Si j'avais pu demander de nos anciens, je l'aurais fait ; mais ils sont nécessaires à Paris, étant presque tous fonctionnaires. — Gaudin, duc de Gaëte, Mémoires, I, 28.
[33] Meissner, Voyage à Paris (fin de 1795), 160 : Des gens qui ne savaient ni lire ni écrire obtinrent des places d'une comptabilité plus ou moins importante. — Archives des affaires étrangères, tome 324 Dénonciations de Pio au club contre ses collègues). — Dauban, Paris, 35 (Note de Quevremont, janvier 1794) : L'honnête homme qui sait travailler ne peut pas entrer dans les bureaux des ministres, surtout dans ceux de la guerre et de la marine et dans ceux de la Commune et du département, sans avoir le cœur serré. Les places ne sont remplies, pour la plupart, que des créatures de la Commune, qui, fort souvent, n'ont ni talent ni probité. Puis les dénonciations, toujours accueillies, quelque frivoles et peu fondées qu'elles soient, achèvent de tout bouleverser.
[34] Moniteur, XXIV, 397 (Discours de Dubois-Crancé à la Convention, 18 floréal an III). — Archives nationales, F7, 31167 (Rapport de Rolin, 7 nivôse an II) : Les mêmes plaintes se font entendre contre les commissaires civils de section, dont la plupart n'ont aucune intelligence et ne savent pas même écrire.
[35] Archives des affaires étrangères, vol. 1411 (août 1793). Plan adopté pour l'organisation de la police, sauf les modifications d'exécution. En fait, quelques mois plus tard, le nombre des claqueurs mêles et femelles est beaucoup plus grand et arrive à faire un millier (Beaulieu, Essais, V, 220). — Le même plan comprend quinze agents à 2.400 francs, pris parmi les habitués des clubs pour relever les listes fournies chaque matin, trente à 1.000 francs pour surveiller les sociétés populaires, quatre-vingt-seize à 1.200 francs pour surveiller les assemblées de section.
[36] Archives nationales, F7, 4436 (Lettre du ministre de la guerre Bouchotte, 6 prairial an II) : La nomination de Ronsin, ainsi que de son état-major, fut encore un objet de l'opinion publique. Le comité, pour s'en assurer, envoya la liste aux Jacobins, où ils furent agréés. — Ibid., AF, II, 58 : Paris, 11 brumaire an II, Société des amis de la Liberté et de l'Égalité, séante aux ci-devant Jacobins Saint-Honoré. Liste des citoyens qui doivent partir pour Lyon, en qualité de commissaires nationaux. (Suivent les noms.) Tous les citoyens dénommés ont passé à la censure de ladite société dans la séance de ce aujourd'hui. (Suivent les signatures du président et de trois secrétaires.) — Journal des Débats et correspondance de la Société des Jacobins, n° 543, 5e jour du 3e mois de l'an II. — A propos d'un nouveau club central qui s'est formé, Terrasson croit que cette société peut devenir liberticide et demande une commission pour l'examiner et obtenir son extinction. La commission demandée par Terrasson est arrêtée. — On voit qu'ils maintiennent énergiquement leur monopole. — Cf. Moniteur, XIX, 637 (13 ventôse). Motion adoptée par les Jacobins, pour obliger les ministres à chasser de leurs bureaux tout individu exclu de la Société.
[37] Dauban, Paris, 307 (Rapport du 9 germinal).
[38] Moniteur, XXII, 353 (séance du 20 brumaire an III. Réclamation de M. Bélanger, à la barre de la Convention).
[39] Archives nationales, AF, II, 46 (Arrêtés du Comité de salut public aux dates indiquées). — Beaulieu, Essais, V, 200 (Arrêté du Comité de salut public à la date indiquée). — Les registres du Comité de salut public contiennent nombre de gratifications semblables accordées aux sociétés et aux patriotes de la province : par exemple (AF, II, 58, 8 et 9 brumaire). 50000 francs à Laplanche, et 50.000 francs à Couthon pour soutenir l'esprit public dans le Calvados ; pour ranimer l'esprit public éteint Lyon ; pour donner au besoin des secours aux patriotes peu fortunés qui consacrent leur temps avec zèle pour le service de la patrie.
[40] Dauban, Paris, 171 (Rapport du 17 ventôse) et 243 (Rapport du 25 ventôse), sur les comités civils et les comités révolutionnaires, qui se font servir des viandes avant les malades, et font de même servir leurs amis et les bennes amies de leurs femmes. — Ibid., 126 (Rapport du 10 ventôse). — Archives nationales, F7, 2475 (Registre des délibérations du comité révolutionnaire de la section des Piques), 27 brumaire an II : Le comité arrête que les deux chevaux et le cabriolet de Lamarche seront dorénavant à la disposition de la section et du comité, lorsqu'il s'agira de mesures de sûreté. — Dans ce registre et dans tous les autres de la même série, en voit très bien l'intérieur d'un comité et son arbitraire énorme. Chez presque tous, le style el l'orthographe sont du plus bas degré.
[41] Archives des affaires étrangères, vol. 1411 (Rapport du 21 au 22 août 1793) : Le général Henriot m'en a adressé plusieurs.... qui se sont servis de l'autorité des Comités de salut public et de sûreté générale, ainsi que de celle qui m'a été-déléguée, pour aller, sous prétexte d'incivisme, faire des visites domiciliaires chez des particuliers qui, sûrement, ne sont pas des patriotes ; mais cela ne les autorisait pas à recevoir de l'argent et même à soustraire.
[42] Dauban, Paris en 1794, 36 et 48 (Affaire du notaire Brichard).
[43] Cf. la Révolution, II. — Mercier, Paris pendant la Révolution, I, 351. — Moniteur, XVIII, 663 (séance du 24 frimaire. Discours de Lecointre à la Convention). — Sur les vols Et pots-de-vin, cf., entre autres documents, les Mémoires sur les prisons, I, 290 : (80.000 fr. de pot-de-vin donnés aux administrateurs de la police par le traiteur Périnal, pour avoir la fourniture des repas aux détenus de Saint-Lazare).
[44] Buchez et Roux, XXXV, 77 (Procès de Fouquier-Tinville). Déposition de Rebillard : Un autre jour, à l'assemblée générale, il frappa de son sabre un citoyen.
[45] Buchez et Roux, XXXV, 407 (Listes écrites de la main de Robespierre).
[46] Miot de Mélito, Mémoires, I, 46 à 51. — Bachot n'est pas seul de son espèce au ministère des affaires étrangères. Aux archives de ce ministère. vol. 324, on trouvera les faits et gestes d'un certain Pio, réfugié italien, qui s'y est glissé, simule la misère, étale du patriotisme, dénonce son chef et ses collègues. — L'ex-notaire Pigeot, condamné à vingt ans de fers et mis au pilori le 9 frimaire an III, remontera sur l'eau ; je l'ai trouvé, sous le Directoire, introducteur des ambassadeurs. — Sur un des envoyés du Directoire en Suisse, voici une note de Mallet-Dupan (Notes manuscrites, octobre 1797) : L'ambassadeur directorial, qui est venu exiger des Suisses l'expulsion des gardes du corps, est un nommé Mingot, de Belfort, parent de Rewbell et ancien garde du corps de il le comte d'Artois. — Il est venu à Zurich avec une 611e, couturière de Zurich et établie à Berne. Il vivait avec elle, aux dépens du gouvernement de Zurich. Ayant invité la famille de cette créature, c'est-à-dire un voiturier, sa femme, avec quelques autres, à dîner, on but et on se livra à de tels excès, que la femme du voiturier, grosse à pleine ceinture, accoucha au milieu du festin. — Cette créature a rendu Mingot malade ; il est alité à Bâle.
[47] La Révolution, II.
[48] De Martel, Types révolutionnaires, 136 à 144. — Le ministère de la guerre nomme Henriot général de brigade le 3 juillet 1793, général de division le 19 septembre, et lui demande en post-scriptum : Veuillez bien me faire passer l'état de vos services inconnus au ministère, parce qu'ils sont nuls. — Sur les orgies de Choisy-sur-Seine, voir (Archives nationales, W2 500-501) l'enquête des 18 et 19 thermidor an II, faite à Choisy-sur-Seine par Blache, agent du Comité de sûreté générale. — Boulanger, général de brigade, premier lieutenant de Henriot, était un ex-compagnon joaillier.
[49] Archives des affaires étrangères, vol. 1411. Ordres du jour de Henriot, 16 septembre, 29 vendémiaire an II et 19 brumaire an II. — Beaucoup de ces ordres du jour ont été publiés par Dauban (Paris en 1794, p. 33) : Que nos ennemis amassent des biens immenses, qu'ils bâtissent des maisons et des palais, qu'ils les gardent, peu nous importe ; nous autres républicains, nous n'en voulons point ; nous ne voulons, pour asile, qu'une cabane, et, pour richesses, que des mœurs, des vertus et l'amour de la patrie. — Le service général à l'ordinaire. — 43 : Hier au soir, le feu a pris aux Grands-Augustins.... Tous ont travaillé, l'incendie a été éteint en très peu de temps. Sous l'ancien régime, le feu aurait duré plusieurs jours ; sous le régime des hommes libres, le feu n'a pas duré plus d'une heure ; quelle différence ! — Le service général à l'ordinaire.
[50] Wallon, Histoire du Tribunat révolutionnaire de Paris, V, 252, 420 (Noms et qualités des membres de la Commune de Paris, guillotinés les 10 et 11 thermidor). Les professions et qualités de quelques autres sont indiquées dans le Dictionnaire biographique d'Eymery, dans les mémoires de Morellet et dans les souvenirs d'Arnault. — Moniteur, X11, 719 (Jugement du Tribunal révolutionnaire du 15 fructidor an II). Quarante-trois membres des comités civils ou révolutionnaires, commissaires des comités de section, officiers de la garde nationale, officiers de canonniers, ont signé, le 9 thermidor, sur la liste de présence du Conseil général de la Commune, et sont mis en jugement comme adhérents de Robespierre. Mais ils ont promptement rétracté leur signature et sont tous acquittés, sauf un. Ce sont les chefs de quartier de la faction, et ils sont tous de la même espèce et condition que leurs confrères de l'Hôtel de Ville. Un seul, ex-receveur de rentes, peut avoir reçu de l'éducation ; les autres sont des charpentiers, carreleurs, cordonniers, tailleurs, marchands de vin, traiteurs, charrons, boulangers, épiciers, perruquiers, menuisiers. On trouve parmi eux un ex-tailleur de pierre, un ex-garçon de bureau, un ex-domestique et les deux fils de Samson, le bourreau.
[51] Morellet, Mémoires, I, 434 à 472.
[52] Sur cet ascendant des bavards de la même espèce, voir Dauban (Paris en 1794, p. 118, 143). Détails sur un tailleur-fripier, tout-puissant dans la section des Lombards. Si l'on en croit les citoyennes de l'assemblée, il disait partout qu'il ferait renvoyer de la Société populaire tous ceux qui ne lui plaisaient pas (13 ventôse an II.)
[53] Arnault, Souvenirs d'un sexagénaire, I, 111. — Sur un autre membre de la Commune, Bergot, ex-employé à la Halle aux cuirs et administrateur de police, on trouvera des détails dans les Mémoires des prisons, I, 232, 239, 246, 289, 290. Nul n'a été plus grossier et plus dur. Aux réclamations des détenus sur la nourriture immonde qu'on leur servait : C'est encore trop bon, disait-il, pour des b... que l'on va guillotiner. — Il s'enivrait avec les porte-clefs et les commissionnaires eux-mêmes. Un jour, il ne marchait qu'en faisant des S et ne parlait que par hoquets ; il voulut entrer dans cet état. La garde de la maison refusa de le reconnaître ; on l'arrêta et il fallut les déclarations répétées du concierge pour obliger l'officier du poste à rendre le pourceau.
[54] Mémoires sur les prisons, I, 211 (Tableau historique de la maison Lazare). Le narrateur est placé à la maison de Sèvres, en octobre 1793. — II, 186 (Précis historique sur la maison d'arrêt de la rue de Sèvres). Le narrateur y a été reclus dans les derniers mois de la Terreur.
[55] Un Séjour en France de 1792 à 1795, 281 (3 juin 1795) : L'après-midi, nous eûmes rendez-vous avec un individu employé par le comité des domaines nationaux ; il devait aider mon ami dans ses réclamations. Cet homme, dans l'origine, était valet d'un frère de la marquise ; lors de la Révolution, il établit une boutique, fit banqueroute, devint Jacobin furieux, et, à la En, membre d'un comité révolutionnaire. En rate qualité, il trouva moyen... d'intimider ses créanciers, et d'obtenir d'eux quittance de ses dettes, sans prendre la peine de les payer.... — J'ai connu moi-même une vieille dame, qui fut détenue trois mois pour avoir demandé à l'un de ces patriotes 300 livres qu'il lui devait. — J'ai remarqué, en général, que les républicains sont, ou bien de l'espèce que je viens d'indiquer, garçons de café, jockeys, joueurs, banqueroutiers, écrivains de bas étage, ou bien des gens de métier manuel, plus sincères dans leurs principes, plus ignorants et plus brutaux, tous dissipant dans un luxe grossier ce qu'ils ont gagné.
[56] Schmidt, Tableaux historiques de la Révolution française, II, 248249 (Rapports des agents, 8 frimaire an III) : Le procès contre Carrier (est) approuvé par le public ; de même la condamnation des membres du ci- devant comité révolutionnaire du Bonnet rouge ; dix de ces membres condamnés à vingt ans de fer ; joie du public. — Ibid. (9 frimaire) : Le peuple s'est porté en foule à la place de la ci-devant Maison Commune, pour voir les membres du ci-devant comité révolutionnaire de la section du Bonnet rouge, qui sont restés sur le tabouret jusqu'à six heures, et au flambeau. Ces condamnés ont essuyé beaucoup de reproches et d'humiliations. — Un Séjour en France, 286 (6 juin 1793) : Je viens d'être interrompue par un grand bruit et des cris sous ma fenêtre, et j'entendais distinctement les noms de Scipion et de Solon prononcés d'un ton d'insulte et de reproche.... J'envoyai Angélique aux informations, et j'appris par elle qu'une troupe d'enfants suivaient un cordonnier du voisinage, lequel, étant membre d'un comité révolutionnaire... s'était donné à lui-même le nom de Scipion Solon. Comme on l'avait pris sur le fait en différents larcins, il ne peut plus quitter son échoppe sans qu'on lui reproche ses vols, et sans qu'on le hue de ses noms grecs et latins.
[57] Barère, Mémoires, II, 324.
[58] Moniteur, XXII, 742 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). — Ibid., 22 (Rapport de Lindet, 20 septembre 1794) : Les armées de terre, la marine, les arts de la guerre et tous les services enlèvent à l'agriculture et à toutes les professions plus de 1.500.000 citoyens. L'entretien de 6 millions d'hommes dans toutes les communes coûterait moins à la République. — Le département des affaires étrangères, par Fr. Masson, 382. (D'après Paris à la fin du dix-huitième siècle, par Pujoulx, an IX) : A Paris seulement, il y a plus de trente mille commis (du gouvernement) ; six mille au plus écrivent les choses nécessaires ; le reste taille des plumes, use de l'encre et noircit du papier. Il y avait autrefois trop de commis dans les bureaux relativement à l'ouvrage ; il y en a aujourd'hui trois fois davantage, et l'on pense qu'il n'y en a pas encore assez.
[59] Souvenirs, par Hua, p. 196 (Tableau très précis du bourg de Coucy-le-Château dans l'Aisne, de 1792 à 1794). — Archives des affaires étrangères, tome 334 (Lettre des agents, Thionville, 24 ventôse an II). Le district de Thionville est très patriote, se soumet au maximum, aux réquisitions, mais non aux lois qui interdisent le culte extérieur et les assemblées religieuses : Les apôtres de la raison avaient beau prêcher que, jusqu'ici, le peuple avait été trompé et que le temps était arrivé de briser le joug de tous les préjugés, on leur répondait : Nous voulons bien croire que nous avons été trompés jusqu'à ce jour ; mais qui nous garantira que vous ne nous trompez pas à votre tour ?
[60] Legros, la Révolution telle qu'elle est (Correspondance inédite du Comité de salut public), I, 366, lettre de Prieur de la Marne : En général, les villes sont patriotes, mais les campagnes sont à cent lieues de la Révolution.... Il faudra de grands efforts pour les mettre à la hauteur de la Révolution.
[61] D'après la statistique de 1866, un district de 1.000 kilomètres carrés contient en moyenne 33 communes au-dessous de 500 âmes, 23 communes de 500 à 1.000 âmes, 17 bourgs et petites villes de 1.000 à 5.000 âmes, et une ville moyenne ou grande au-dessus de 5000 âmes. En tenant compte des changements opérés pendant soixante-dix ans, on peut se représenter, d'après ces chiffres, la façon dont la population était répartie en 1793, et cette répartition explique pourquoi, au lieu de 15.000 comités révolutionnaires, il n'y en avait que 21.500.
[62] Souvenirs, par Hua, 179 : Ce pays (Coucy-le-Château), défendu par ses mauvais chemins et encore mieux par sa nullité, fut du petit nombre de ceux où la tourmente révolutionnaire se fit le moins sentir.
[63] Entre autres documents, cf. Archives nationales, D, § I, I à 5, les cinq cartons comprenant toutes les pièces de la mission du représentant Albert dans l'Aube et la Marne (ventôse et germinal an III). Nulle part on ne voit mieux, avec des détails plus précis, les sentiments du paysan, de l'ouvrier et du petit bourgeois, de 1792 à 1794.
[64] Dauban, la Démagogie en 1793, XII (Paroles de vieux paysans à M. Vatel, qui faisait, à Saint-Émilion, son enquête sur les derniers jours de Pétion, Guadet et Buzot).
[65] Archives nationales, D, § I, 5 (Pétition de Claude Defert, meunier, agent national de Turgy). — Quantité de maires, officiers municipaux, agents nationaux, administrateurs et notables de district et de département, dans la Marne et l'Aube, sollicitent leur remplacement, et Albert en oblige beaucoup à rester on place (Lettre collective de toute la municipalité de Landreville ; lettres de Charles, ouvrier carrier, maire de Trames, d'Éligny, marchand boucher, d'un vigneron, officier municipal à Marrez, etc.). Celui-ci écrit : La République, est grande, généreuse ; elle ne veut pas que ses enfants se ruinent pour faire ses affaires ; elle entend, au contraire, que celles des places qui ne sont pas émolumentaires soient occupées par des individus qui aient de quoi vivre. — Un autre, Nageure, nommé maire de Bar-sur-Seine, écrit, le 29 pluviôse an III : Je sais, dès hier, que quelques-uns de cette commune voudraient me procurer l'insidieux présent de la mairie, et, d'avance, il prie Albert de détourner de lui ce calice.
[66] Souvenirs, par Hua, 178 à 205 : Ce M. P..., maire de Crépy-au-Mont, savait contenir quelques mauvais gueux qui ne demandaient pas mieux que de révolutionner son village. Il était pourtant républicain.... — Un jour, il me dit en parlant du régime révolutionnaire : On dit toujours que ça ne tiendra pas ; en attendant, ça tient comme teigne.... — Il y eut une assemblée générale des habitants de Coucy et de la banlieue, dans laquelle chacun dut subir un interrogatoire et décliner son nom, sa demeure, son pays de naissance, ce qu'il faisait, et encore ce qu'il avait fait pendant la Révolution. Hua évite de dire qu'il a été représentant à la Législative, chose notoire autour de lui : Il ne s'éleva pas une voix pour me compromettre. — Ibid., 183 (Réponse du comité révolutionnaire de Coucy à celui de Meaux).
[67] Frochot, par Louis Passy, 175 (Lettre de Pajot, membre du comité révolutionnaire d'Aignay, vendémiaire an III). — Archives nationales, F7, 4421 (Registre du comité révolutionnaire de Troyes). Incarcération de divers suspects (27 brumaire an II), entre autres de Lerouge, ci-devant avocat, soupçonné d'avoir constamment et opiniâtrement refusé des places de la Révolution ; de Corps, pour avoir refusé la présidence du tribunal de district, lors de son organisation, sous prétexte de consulter la Chambre des comptes, et pour être l'ami de gens suspects de n'avoir accepté des places que depuis que la Révolution a pris un caractère imposant.
[68] Marcelin Boudet, les Conventionnels d'Auvergne, p. 161 (Justification d'Étienne Bonarmé, derniers mois de 1794).
[69] Paris, Histoire de Joseph Lebon, II, 92 (Déclaration de Guérard, homme de loi, nommé juge à Cambrai par le comité révolutionnaire de Cambrai). — Ibid., II, 54 (Déclaration de Lemierre, nommé à son insu juré au tribunal de Cambrai) : Quel fut ma surprise, mois qui n'avait jamais été juré de ma vie ! L'ordre m'en fut donné à onze heur moin un car, et il fallait partir à onze, sens avoir le tem de dire adieu à ma famille.
[70] Rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Robespierre, p. 370 (Lettre de Maignet à Payan, administrateur de la Drôme, 20 germinal an II) : Tu connais la disette de sujets que l'on éprouve ici... Indique-moi une douzaine de francs républicains.... Si tu ne les trouves pas dans ce département-ci (Vaucluse), cherche-les, soit dans celui de la Drôme, soit dans celui de l'Isère, soit dans tout autre. Je voudrais que les uns fussent propres à entrer dans le Tribunal révolutionnaire. Je voudrais même que certains d'entre eux pussent, en cas de besoin, avoir les qualités nécessaires pour être agents nationaux.
[71] Archives des affaires étrangères, tomes 322 à 334, et 1409 à 1411. Ces agents sont en résidence à filmes, Marseille, Toulouse, Tarbes, Bordeaux, Auch, Rochefort, Brest, Bergues, Lille, Givet, Metz, Thionville, Strasbourg, Belfort, Colmar, Grenoble, et se transportent souvent dans les villes voisines. — Les rapports les plus abondants sont ceux de Chépy à Grenoble ; sa correspondance vaudrait la peine d'être publiée. Quoique Jacobin outré, il fut arrêté en ventôse an IL Sous l'Empire, il devint commissaire général de police à Brest. — Presque tous les vrais Jacobius étaient, au fond, des autoritaires, et les survivants devinrent d'excellents outils de despotisme.
[72] Buchez et Roux, XXX, 423. — Vingt-quatre commissaires, choisis an scrutin parmi les Jacobins de Paris, sont adjoints à Collot d'Herbois, pour régénérer Lyon. L'un d'eux, Marino, y devient le président de la commission temporaire de surveillance ; un autre, Parrein, y est nommé président de la commission révolutionnaire. — Archives nationales, AF, Il, 59 (Délibération de la Société des Jacobins de Paris, nommant trois des leurs pour aller à Tonnerre, et invitant le Comité de salut public à leur donner les pouvoirs nécessaires, pour en faire usage, selon les circonstances, et pour le plus grand bien de la République, 6 frimaire an II). — Arrêté du Comité de salut public allouant aux trois susdits 2.000 francs pour leurs frais de voyage. — Archives des affaires étrangères, tome 333. Les agents envoyés à Marseille signent : les sans-culottes de Paris et l'un d'eux, Brutus, devient le président du tribunal révolutionnaire de Marseille.
[73] Archives nationales, AF, II, 49 (Papiers relatifs à la taxe révolutionnaire de Belfort, imposée le 30 brumaire an II). — Ou y trouvera les noms de toutes les personnes taxées et le chiffre de chaque taxe. La formule est la suivante : Le citoyen, ou la citoyenne N... versera dans fleure la somme de... sous peine d'être considéré comme suspect et traité comme tel. — Recueil de pièces authentiques concernant la Révolution à Strasbourg, I, 128, 187 (Expressions du représentant Baudot, dans une lettre du 29 brumaire an II).
[74] Archives nationales. Les arrêtés et lettres des représentants en mission y sont classés par départements. — Sur les délégués des représentants en mission, je ne citerai qu'un texte (Archives des affaires étrangères, tome 333, lettre de Garrigues, Auch, 24 pluviôse an II) : Un délégué de Dartigoyte se transporte à l'Isle, et, dans la Société populaire, veut que le curé du lieu se déprêtrise. Cet homme répond (m'a-t-on dit), qu'il renoncerait bien volontiers à ses fonctions, mais que, pour le surplus, si on le forçait, il en appellerait à la Convention, qui n'entendait pas gêner la liberté des opinions. — Et moi, répond le délégué de Dartigoyte, j'en appelle à un gendarme. — Et il ordonne que sur-le-champ on l'arrête.
[75] Alfred Lallié, Une commission d'enquête et de propagande, p. 7 (celle-ci, composée de douze membres choisis par le club de Nantes, parcourt le district d'Ancenis, et touche 6000 francs d'honoraires). — Albert Babeau, II, 280 (Envoi de soixante commissaires, chacun à 6 francs par jour, par l'administration de Troyes (prairial an II), pour constater la quantité des approvisionnements).
[76] Par exemple à Bordeaux et à Troyes. — (Archives nationales, F7, 4421, Registre du comité révolutionnaire de Troyes, f° 164). Deux membres du comité se transportent dans la commune de Lusigny, destituent le maire et le juge de paix, et nomment à la place de ce dernier le ci-devant curé du pays, lequel a abjuré, il y a quelque temps, le fanatisme sacerdotal. — (Archives des affaires étrangères, tome 332, Lettre de Desgranges, Bordeaux, 15 brumaire an II.) Les représentants viennent d'instituer un comité révolutionnaire de surveillance, composé de douze membres choisis avec le plus grand soin ; tous les comités établis dans le département sont tenus de correspondre avec lui et d'obéir à ses réquisitions.
[77] Archives nationales, AF, II, 58 (Lettre de Javogues à Collot d'Herbois, 28 brumaire an II).
[78] Recueil de pièces authentiques, etc., I, 195 (Arrêté du 21 janvier 1793).
[79] Archives des affaires étrangères, tome 326 (Lettres de Brutus, 24 septembre 1793, de Topino-Lebrun fils, 25 septembre et 6 octobre 1793). Tome 330 (Lettres de Brutus, 6 nivôse an II, de Galon-Boyer, 9 nivôse an II). — La qualité des agents est souvent indiquée par l'orthographe. Par exemple, tome 332, Lettre de Galon-Boyer, 18 brumaire an II : Esprit publique. L'esprit public est généralement mauvais. Ceux qui se disent patriotes ne connaissent point de frin. Les autres sont en létargie, et le fédéralisme parait innée.
[80] Archives des affaires étrangères, tome 1411 (Lettre de Haupt, 26 brumaire an II). — Tome 333 (Lettre de Blessman et de Haüser, 4 pluviôse au II).
[81] Archives des affaires étrangères, tome 333 (Lettre de Chartres et de Gaillard, Commune-Affranchie, 21 nivôse). — Tome 331 (Lettres de Des-granges, à Bordeaux, 8 brumaire et 3 frimaire) : Les offrandes en argenterie et en numéraire se multiplient à l'infini ; tout va. Le tribunal militaire a condamné à la peine de mort Dudon, fils de l'ex-procureur général au ci-devant parlement de Bordeaux, Roullat, procureur-syndic du département, Sallenave, négociant. Ces exécutions affligent toujours, mais personne ne murmure.
[82] Archives des affaires étrangères, tome 333 (Lettre de Cuny aîné, Rochefort, 20 nivôse). Tomes 331 et 332 (Lettres de Chépy, passim et notamment celles du 2 brumaire et du 11 frimaire). — Tome 329 (Lettre de Chépy, 24 août 1793) : A Annecy, les femmes ont coupé l'arbre de la liberté et brûlé les archives du club et de la Commune. A Chambéry, le peuple en a voulu faire autant. (Lettre du même, 18 septembre 1793.) Les habitants du Mont-Blanc ne montrent aucune bonne volonté et aucun courage ; il est même vrai de dire que la contre-révolution est faite dans tous les esprits. — (Lettre du même, 8 août 1793.) Non seulement des citoyens de Grenoble, requis par le sort, ne sont point partis pour l'expédition de Lyon ; mais même, de ceux qui ont obéi à la loi, plusieurs reviennent avec armes et bagages. Depuis Saint-Laurent jusqu'à Lyon, aucune commune n'a voulu marcher ; les municipalités campagnardes, très atteintes de la maladie du fédéralisme, ont affecté de donner de très mauvais logements aux troupes, surtout à celles de la réquisition.
[83] Archives des affaires étrangères, tome 332 (Lettre de Cuny jeune, Brest, 6 brumaire). — En général, il y a très peu de patriotes à Brest, les habitants sont presque tous modérés. — (Lettre de Gadolle, Dunkerque, 26 juillet 1193.) — (Lettre de Simon, Metz, 5 nivôse an II) : Hier, à la nouvelle de la prise de Toulon annoncée au spectacle... j'ai remarqué qu'il n'y avait à peu près que le tiers des spectateurs qui s'adonnèrent à une joie patriotique. Les deux autres tiers restèrent froids ou allongèrent la figure.
[84] Archives des affaires étrangères, tome 332 (Lettre de Haupt, Belfort, 1er septembre 1793).
[85] Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre, p. 274 (Lettre de Darthé, 29 ventôse an II).
[86] Tableau des prisons de Toulouse, par le citoyen Pescayre (publié en l'an III), p. 101.
[87] Archives nationales, F7, 4421 (Registre du Comité révolutionnaire établi à Troyes, le 11 brumaire an II). — Albert Babeau, tome II, passim. — Archives des affaires étrangères, tome 332 (Lettre de Chépy, Grenoble, 6 brumaire) : Les sections avaient nommé sept comités de surveillance ; quoique épurés par le club, ils alarmaient les sans-culottes. Le représentant Petit-Jean a fait un arrêté par lequel il ordonne qu'il n'y aura à Grenoble qu'un seul Comité, composé de 21 membres. Cette mesure est excellente et assure le triomphe du sans-culottisme. — Archives nationales, F7, 4434 (Lettre de Pévrieu à Brissot, Bordeaux, 9 mars 1193). Avant le 2 juin, le club national de Bordeaux, composé de Muralistes, ne comprenait que 8 à 10 individus tout au plus. — Moniteur, XXII, 153 (Discours de Thibaudeau sur la Société populaire de Poitiers, 11 vendémiaire an III.) — Ibid., XXII, 355 (séance du 5 brumaire an III, lettre de Calés, et séance du 17 brumaire an III, rapport de Calés). La Société populaire de Dijon faisait trembler corps administratifs, citoyens, districts voisins. Tout était soumis à ses lois, et trois ou quatre hommes lui en donnaient à elle-même. Cette société et la municipalité ne faisaient qu'un. — Le parti de la Terreur n'existe pas ici, ou, s'il existe, il est bien peu de chose : car, sur 20.000 habitants, il n'y a pas six individus qu'on puisse légitimement soupçonner être de ce parti.
[88] Baroly, les Jacobins démasqués (in-8° de 8 pages, an III) : Les Jacobins, avec leurs 400 membres très actifs à Paris, et les 4.000 autres non moins dévoués dans les provinces, représentaient la force vive de la Révolution.
[89] Archives nationales, D, § I, 10 (Arrêtés des représentants Delacroix, Louchet et Legendre, 12 nivôse an II). Sur la pétition du comité de surveillance d'Evreux, qui expose que tous ses membres sont sans aucune fortune, et qu'il leur est impossible de continuer leurs fonctions, puisqu'ils sont sans ressources pour substanter leurs familles, les représentants accordent à trois d'entre eux 270 francs chacun, et à un quatrième 180 francs, comme gratification (en dehors des 3 francs par jour),
[90] Archives nationales, AF II, 111 (Arrêté d'Albitte et Lapone, 18 prairial an II).
[91] Albert Babeau, II, 154 à 157. — Moniteur, XXII, 425 (séance du 13 brumaire an III, discours de Cambon). On avait organisé un gouvernement qui, en simple surveillance, coûtait 591 millions par an. Aussitôt, tous les hommes accoutumés au travail de la terre et à celui des ateliers abandonnèrent leurs occupations pour se placer dans les comités révolutionnaires... où ils recevaient 5 francs par jour.
[92] Tableau des prisons de Toulouse, par Pescayre, 102, 166, 435.
[93] Berryat Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 2e édition, p. 19. — Ibid., p. 14. A Rochefort, on trouve, dans le Tribunal révolutionnaire, un maçon, un cordonnier, un calfat et un cuisinier ; à Bordeaux, dans la commission militaire, un comédien, un commis en vins, un droguiste, un boulanger, un ouvrier doreur, plus tard un tonnelier et un ouvrier mégissier.
[94] J'ai recueilli ce mot dans des conversations avec de vieux paysans. — Archives nationales, AF II, 111 (Arrêté du représentant Ichon, 18 messidor an II). La Société populaire de Chinon sera régénérée sur-le-champ. Les citoyens (j'omets les noms, voici les qualités : deux cordonniers, un sabotier, un tonnelier, un charron, un boucher, un menuisier, un charpentier, un maçon, un sergent) formeront le noyau épuratoire, lequel procédera au choix des individus qui se présenteront pour devenir membres de la Société. — Ibid. D, § I, 10 (Arrêté des représentants Louchet, Delacroix et Legendre en mission dans la Seine-Inférieure, 9 frimaire an II, pour destituer à Conciles toute l'administration et y former un comité révolutionnaire nouveau, muni de pleins pouvoirs). Les membres de comité dont la condition est indiquée sont deux tonneliers, deux charpentiers, un jardinier, un marchand, un voiturier et un tailleur. — La correspondance des représentants en mission, aux Archives nationales, contient quantité d'arrêtés instituant des autorités de cette espèce.
[95] Albert Babeau, II, 296.
[96] Archives nationales, F7, 4421 (Arrêté du Comité de surveillance de la 3e section de Troyes, pour refuser la carte civique à 72 individus, ou pour les renvoyer devant le Comité central, comme marchands d'argant, aristocrate, royalist, douteux, modére, intrigant, égoiste, fanatique. Fait et arrêté par nous membre du Comité. — Ibid., Mémoire des commissaires de la 5e seiscion dite de la liberté nommé par le citoyen de Claris (Paris) pour faire les visite de l'argenteri ché les citoyens de la liste fait par les citoyens Diot et Bailly et Jaquin savoir depence du 13 et 14 et là frimaire pour leur nouriture de troyes jour monte a 24.
[97] Albert Babeau, II, 154.
[98] Archives nationales, D, § I, 5 (Mission du représentant Albert dans l'Aube et la Marne). — Toutes les notes qui suivent ont été rédigées sur place, en pleine connaissance de cause, par des républicains qui sont zélés, mais qui ont le sens commun et l'honnêteté moyenne (principalement en pluviôse et ventôse an III) — Lettre d'Albert aux directoires des deux départements, 3 prairial an III. Je me sois convaincu, dans le cours de ma mission, de la nécessité de réorganiser les municipalités dans toute l'étendue des deux départements.
[99] Archives nationales, Arrêtés d'Albert, 29 pluviôse et 5 ventôse an III, pour réorganiser les tribunaux et les administrations dans les districts de Nogent-sur-Seine, Ervy, Arcis, avec tableau nominatif des révoqués et des motifs de révocation.
[100] Archives nationales, Pétition de Jean-Nicolas Antoine, ci-devant membre du directoire du district de Troyes pendant 28 mois. Interné à Troyes, il demande (9 ventôse an III) la permission de s'en aller à Paris : J'ai une petite pacotille de marchandises dont j'ai le plus grand besoin d'aller vendre à Paris ; c'est mon pays natal, et j'y ai plus de connaissances que partout ailleurs. — Ibid., Renseignements sur le susdit Antoine par le conseil général de la commune de Troyes.
[101] Archives nationales, AF, II, 39 (Mémoire daté du 28 messidor an II, par un agent du Comité de salut public envoyé à Troyes le 29 prairial, pour rendre compte de la situation de la ville et des troubles qui s'y sont produits). — Albert Babeau, II, 203, 205, 112, 122. — Cf. 179 : Gachez, ivre, vers onze heures du soir, avec plusieurs femmes ivres comme lui, s'était fait ouvrir les portes du temple de la Raison, en menaçant le gardien de la guillotine. — Ibid., 166. Dans la Société populaire, il disait aux sans-culottes : Voici le moment de vous mettre à la place des riches ; frappez, sans différer. — Ibid., 165. 42.633 livres furent remises à Gachez et au comité pour dépenses secrètes et révolutionnaires. Du 4 au 10 décembre, Cachez toucha 20.000 livres, en trois mandats pour distributions employées révolutionnairement et secours provisoires... Les chefs du parti disposaient de ces sommes sans contrôle et, l'on peut ajouter, sans scrupule ; Gachez remit seulement 4.000 livres aux comités de sections pour les indigents. De l'argent des pauvres il ne restait dans sa caisse, le 12 nivôse, que 3738 francs ; il avait donc distrait ou mangé plus de 12.000 livres.
[102] Frochot, par Louis Passy, 172 (Lettre de Pajot, membre du comité révolutionnaire d'Aignay-le-Duc) : Les dénonciations occupaient la majeure partie de nos séances, et c'est là qu'on voyait la haine et la vengeance des collègues qui nous dirigeaient.
[103] Archives nationales, D, § 1, n° 3. Sur les grattages des comités révolutionnaires et de leurs agents, voici une pièce entre mille (Plainte de Mariotte, propriétaire, ancien maire de Châtillon-sur-Seine, 27 floréal an III) : Le 23 brumaire de l'an II, je fus arrêté en prenant la poste à Mussy, voyageant pour les affaires de la République, muni de commission et de passeport du ministre de la guerre.... Je fus fouillé avec la dernière indécence ; le citoyen Ménétrier, membre du comité, me tint les propos les plus grossiers... Je fus mis en arrestation dans une auberge ; au lieu de deux gendarmes, qui auraient sans doute suffi pour ma garde, j'eus toute la brigade, qui passa la nuit et la journée du lendemain à boire, au point que, tant en vin qu'en eau-de-vie, j'en ai été à l'auberge pour 60 francs. Ce qui est plus fort, c'est que deux membres du comité ont passé une nuit à me garder, et se sont fait payer. Au reste, on disait devant moi que j'étais un bon pigeon qu'il fallait plumer.... On me donna une escorte, comme à un criminel d'État de la plus grande importance, 3 gendarmes nationaux à cheval, 6 gardes nationaux ; et enfin le commandant même de la garde nationale, le citoyen Mièdan, membre du comité révolutionnaire, se met à la tête du cortège. Dix hommes pour en conduire un !... Il m'a fallu payer mes bourreaux, 50 francs au commandant de la garde nationale et 60 aux gendarmes.
[104] Moniteur, XXI, 261 (Discours d'un habitant de Troyes aux Jacobins de Paris, 26 messidor an II).
[105] Albert Babeau, II, 164 (Dépositions de l'aubergiste et de Garnier, commissaire).
[106] Frochot, par Louis Passy, 170, 172 (Lettre de Pajot, et pétition de la municipalité d'Aignay, 10 mars 1795). — Bibliothèque nationale, L. 41, n° 1802 (Dénonciation par les six sections de la commune de Dijon à la Convention nationale).
[107] Recueil de pièces authentiques concernant la Révolution à Strasbourg, I, 187, et lettre de Burger, 25 thermidor an II.
[108] Archives nationales, D, § I, 6 (liasse 37). — Lettre des membres du comité révolutionnaire de Strasbourg, 13 ventôse an III, signalant au maire et aux officiers municipaux de Châlons-sur-Saône deux Jacobins de cette commune qui ont été membres de la Propagande à Strasbourg.
[109] Recueil de pièces authentiques concernant la Révolution à Strasbourg, I, 71 (Déposition du greffier Weis sur la tournée du tribunal révolutionnaire, composé de Schneider, Clavai et Tallin). Les juges ne quittaient jamais la table que enivrés de tout ce qu'il y avait d'exquis, et, dans cet état d'ivresse, ils s'assemblaient au tribunal et jugeaient à mort les prévenus. — L'habitude de la vie large et de la dépense excessive est commune jusque parmi les moindres employés du gouvernement. — Il m'est arrivé, dit Meissner (Voyage en France, fin de 1795, p. 371), de voir des charretiers du gouvernement se faire servir de la volaille, de la pâtisserie, du gibier, tandis qu'à la table des voyageurs il n'y avait qu'un vieux gigot de mouton et quelques méchants entremets.
[110] Quelques-uns, néanmoins, n'ont pas le vin méchant et sont de simples ivrognes. En voici un que les textes nous ont conservé vivant et qui peut servir de spécimen. — Président de la Société populaire de Blois en mars 1193, puis délégué pour les visites domiciliaires, et, pendant toute la Terreur, l'un des principaux personnages de la ville, du district et même-du département (Dufort de Cheverny, Mémoires manuscrits, 21 mars 1793 et juin 1793), c'est un certain Velu, vagabond de naissance, jadis enfermé et élevé à l'hôpital, puis cordonnier ou savetier, ensuite maure d'école an, faubourg de Vienne, enfin harangueur au club et faiseur de motions tyrannicides, petit, gros, aussi rouge de trogne que de bonnet. — En juin 1793, chargé de visiter le château de Cheverny, pour vérifier si tous les papiers féodaux ont été livrés, il arrive à l'improviste, rencontre le régisseur Limbenet, entre chez le maire, aubergiste, s'y rafraîchit copieusement, ce qui donne à Bimbenct le temps d'avertir M. Dufort de Cheverny et de faire disparaître les registres suspects. — Cela fait, on achemine Velu vers le château, en lui faisant quitter la bouteille. — Il avait pour manie d'être à la hauteur : il tutoyait et voulait qu'on le tutoyât ; il mettait la main sur la poitrine, vous prenant l'autre, et vous disait : Bonjour, frère. — Il arrive donc à 9 heures du matin, s'avance, me prend la main, et me dit : Bonjour, frère, comment te portes-tu ? — A merveille, citoyen, et vous ? — Tu ne me tutoies pas ? Tu n'es pas dans le sens de la Révolution ? — Nous parlerons de cela ; voulez-vous venir dans le salon ? — Oui, frère, je te suis. — Nous entrons, il voit ma femme, qui, par sa tenue, a, j'ose le dire, un air imposant. Il l'embrasse hardiment, en recommençant son geste sur la poitrine, lui prenant la main et lui disant : Bonjour, sœur. — Allons, dis-je, nous allons déjeuner ensemble, et, si vous voulez, vous dînerez avec moi. — J'y consens, mais à une condition, c'est que tu me tutoieras. — Je le ferai, si je puis, mais ce n'est pas mon usage. — Après lui avoir garni la tête et le cœur d'une bouteille de vin, nous nous en débarrassons en l'envoyant, avec mon fils et Bimbenet, faire l'inspection au chartrier. Le plaisant est qu'il ne savait lire que dans le moulé.... Par suite, Bimbenet et le procureur de la commune, qui lisent tout haut les titres, omettent les féodalités. Velu ne s'en aperçoit pas, et dit toujours : C'est bien, passe, passe. — Au bout d'une heure, excédé, il revient : C'est fini, tout est bien ; mais fais donc moi voir ton château qui est si beau. — Il avait surtout entendu parler d'une salle de fantoccini dans les combles ; il y monte, ouvre quelques livrets de pièces, et, voyant sur la liste des personnages les noms le Roi, le Prince, etc., il me dit : Il faut que tu effaces cela, il faut jouer des pièces républicaines. — On descend par un escalier dérobé. — Au milieu, il rencontre une femme de chambre de ma femme, fort jolie ; il l'arrête, et, regardant mon fils : Il faut, en bon républicain, que tu couches avec elle et que tu l'épouses. — Je le regarde, et je lui dis : Monsieur Velu ; écoutez-moi bien : nous avons ici des mœurs, et pareil propos ne s'y est jamais tenu. Respectez la jeunesse et ma maison. — Un peu déconcerté, il s'humanise, et montre des égards à Mme de Cheverny. — Tu as de l'encre et des plumes sur ton bureau, me dit-il ; apporte-les-moi. — Quoi, pour faire mon inventaire ? — Non, non ; mais ils me demandent un procès-verbal ; tu m'aideras il sera mieux pour toi, puisque tu le feras à ta fantaisie. — Ce n'était pas de sa part si maladroit pour cacher son impéritie. — On passe, pour dîner, dans la salle à manger. Mes gens nous servaient ; je ne m'étais point plié au système d'une table générale, qui ne leur aurait pas plus convenu qu'à moi, la curiosité les amena tous à venir nous voir dîner. — Frère, me dit Velu, est-ce que tous ceux-là ne mangent pas avec toi ? — (Il ne voyait que quatre couverts, les deux membres de la municipalité ayant voulu manger à l'office.) — Je lui réponds : Frère, cela ne leur conviendrait pas plus qu'à moi : consulte-les. — Il mangea peu, but comme un ogre fut causant, nous conta ses amours ; il s'échauffa, frisa la polissonnerie, à faire trembler ma femme, sans cependant s'en permettre aucune. A propos de la Révolution et du danger que nous courions, il nous dit naïvement : Est-ce que je n'en cours pas autant, moi ? J'ai dans l'opinion que, dans trois mois, j'aurai le cou coupé ; mais il faut prendre son parti. — De temps en temps, il lâchait des saillies de sans-culottisme ; il prit la main du domestique qui lui donnait des assiettes : Je t'en prie, frère, lui dit-il, mets-toi à ma place, et que je te serve à mon tour. On lui fait boire des liqueurs, et enfin il s'en va, se louant de cette réception, disant qu'il en a eu une pareille chez M. et Mme de Rencogne, et les approuvant beaucoup de manger avec leurs gens, à la même table. — Il retourne au cabaret, et n'en sort qu'à neuf heures du soir, rond comme une bedaine, mais point ivre. Il ne tenait pas à une bouteille de vin, il aurait vidé un tonneau, sans qu'il y parût.
[111] Moniteur, XXII, 425 (séance du 13 brumaire an II1). Cambon J'observe à l'assemblée que les comités révolutionnaires n'ont jamais été payés. — Un membre : Ils se sont payés de leurs propres mains. — (Oui, oui. — On applaudit.)
[112] Moniteur, XXII, 711 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III.) — Effectivement, Cambon disait déjà, le 26 frimaire an II, à propos de ces taxes (Moniteur, XVIII, 680) : Pas un avis, pas un sou n'est encore parvenu à la Trésorerie ; on veut être au-dessus de la Convention, qui a fait la Révolution.
[113] Meissner, 348 (Rapport de Parisot aux Cinq-Cents, 22 nivôse an V).
[114] Moniteur, XXII, 711, 720 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). Les reliquats constatés, et dont la plus grande partie est déjà mitrée dans les caisses de la Trésorerie, s'élèvent à 20.166.330 livres. — A Paris, à Marseille, à Bordeaux, dans les grandes villes où l'on a perçu les millions par dizaines, dans les trois quarts des districts, Cambon, trois mois après thermidor, déclare qu'il ne peut encore obtenir, je ne dis pas le versement, mais le relevé des sommes perçues : les agents nationaux ne lui répondent pas, ou lui répondent vaguement, ou répondent que, dans leur district, il n'y a eu ni dons civiques, ni taxes révolutionnaires ; tel est le cas à Marseille, oh l'on a fait un emprunt forcé de 4 millions. — Cf. De Martel, Fouché, p. 245 (Mémoire de l'administration centrale de la Nièvre, 19 prairial an III). Le compte fourni par la cité de Nevers s'élève à 80.000 francs, dont l'emploi n'a jamais été justifié ; cette taxe d'acomptes sur la subvention de la guerre n'était qu'un tour de gibecière de ces histrions politiques, pour mettre les citoyens honnêtes et crédules à contribution. Ibid., 247 (Sur les dons volontaires et les taxes forcées).
[115] Ludovic Sciout, Histoire de la constitution civile du clergé, IV, 19 (Rapport du représentant Becker, Journal des Débats et Décrets, p. 743, prairial an III). Becker revient d'une mission à Landau et rend compte des exactions commises par les agents jacobins dans les provinces rhénanes : ils levaient des taxes, le sabre 4 la main, et menaçaient lei récalcitrants de les envoyer à Strasbourg, pour y être guillotinés. Les quittances qui ont passé sous les yeux de Becker offrent une somme de 3.345.785 livres 11 deniers, tandis que notre collègue Cambon n'annonce qu'un versement de 138.000 livres.
[116] Mallet-Dupan, Mémoires, II, 51.
[117] Moniteur, XXII, 754 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III). La friponnerie : ce mot rappelle les anciens comités révolutionnaires, dont la plupart étaient l'écume de la société, et qui ont montré tant d'aptitude pour le double métier de voler et de persécuter.
[118] Archives nationales, AF, II, 107 (Arrêtés des représentants Ysabeau et Tallien, Bordeaux, 11 et 17 brumaire an II. — Troisième arrêté des mêmes, 2 frimaire an II, remplaçant ce comité par un autre de 12 membres et 6 adjoints, chacun à 203 francs par mois. — Quatrième arrêté, 16 pluviôse an II, destituant les membres du précédent comité, comme exagérés et désobéissants. — C'est qu'ils prenaient tout à fait au sérieux leur royauté locale). — Ibid., AF, II, 46 (Extraits des séances du comité révolutionnaire de Bordeaux, prairial an II). Cet extrait de 18 pages montre en détail la cuisine intérieure d'un comité révolutionnaire. Le nombre des détenus va croissant ; il est de 1624 le 27 prairial. Le comité est, par essence, un bureau de police : il délivre des cartes de civisme, lance des mandats d'arrestation, correspond avec d'autres comités, même placés très loin, à Limoges, à Clermont-Ferrand, délègue tel ou tel de ses membres pour faire des enquêtes ou des visites domiciliaires, pour poser les scellés ; il reçoit et transmet les dénonciations, fait comparaître les gens dénoncés, etc. Exemple de ses mandats d'arrêt : Muller, écuyer, sera mis en état d'arrestation, au ci-devant petit séminaire, comme suspect d'aristocratie, d'après l'opinion publique. — Autre exemple (Archives nationales, 2475. Registre des procès-verbaux du comité révolutionnaire de la section des Piques, Paris, 3 juin 1793). Mandat d'arrêt contre Boucher, épicier, rue Neuve-du-Luxembourg, comme suspect d'incivisme et comme ayant envers sa femme des intentions méchantes et perfides. Boucher, arrêté, répond que ce qu'il disait et faisait chez lui ne regardait personne. Sur quoi, il est conduit en prison.
[119] Archives nationales, AF, II, 30, n° 105 (Interrogatoire de Jean Davilliers et autres également dénoncés).
[120] Berryat Saint-Prix, 313 (Procès de Lacombe et de ses complices, après thermidor).
[121] Archives nationales, AF ; II, 46 (Lettre de Julien au Comité de salut public, Bordeaux, 12 thermidor an II). — Moniteur, XXII, 713 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). A Vervins, des citoyens furent emprisonnés, puis mis en liberté, moyennant rétribution. — Albert Babeau, II, 164, 165, 206. La citoyenne Deguerrols étant venue solliciter l'élargissement de son mari, un fonctionnaire public ne craignit point de lui demander 10.000 livres, qu'il réduisit à 6000, pour lui faire obtenir ce qu'elle désirait. — Une pièce atteste que Massey paya 2000 livres, et la veuve Delaporte, 600 livres, pour sortir de prison.
[122] Mallet-Dupan, Première lettre à un négociant de Gênes, 1er mars 1796), p. 33 à 35. Un des prodiges de la Terreur, c'est l'inattention avec laquelle on a observé le commerce de vie et de mort qui a signalé les solennités du terrorisme.... A peine trouve-t-on un mot sur les innombrables marchés par lesquels les citoyens suspects se rachetaient de la captivité, et les citoyens captifs se rachetaient de la guillotine.... On traitait d'un cachot et du supplice, comme on traite d'un achat de bétail dans une foire. Ce trafic se répétait dans toutes les villes, les bourgs, les départements livrés à des commissaires conventionnels et aux comités révolutionnaires H s'établit depuis le 10 août. Je ne citerai, parmi une infinité d'exemples, que le malheureux duc du Châtelet : jamais personne n'acheta son supplice plus chèrement. — Wallon, Histoire du tribunal révolutionnaire, VI, 88 (Dénonciation contre Fouquier-Tinville, signée Saulaie). Selon Saulaie, Fouquier allait dîner habituellement deux fois par semaine, rue Serpente, n° 6, chez Demay, se disant homme de loi, et vivant avec la fille Martin. Dans ce coupe-gorge, au milieu des orgies, on traitait impunément, à prix d'argent, de la liberté ou de la mort des incarcérés. Une seule tête de la maison Boufflers, échappée à l'échafaud par l'intrigue de ces vampires, leur a valu 30.000 livres.... — Morellet, Mémoires, II, 32. L'agent de mesdames de Boufflers était l'abbé Chevalier, qui jadis avait connu Fouquier-Tinville chez un procureur au Parlement, et qui, axant renoué connaissance, venait boire avec Fouquier à la buvette. Il obtenait que les papiers des dames de Boufflers, déjà prêts à être envoyés au tribunal, fussent remis au fond du carton. — Mallet-Dupan, Mémoires, II, 495. Fouquier-Tinville avait une pension de 1.000 écus par mois de mesdames de Boufflers, la pension augmentant d'un quart par mois en raison de l'atrocité des circonstances. Cette méthode a sauvé ces dames, tandis que ceux qui ont donné des sommes en bloc se sont perdus... C'est du Vaucel, fermier général, qui sauva la princesse de Tarente, moyennant 500 louis, après avoir sauvé deux autres femmes, moyennant 300 louis donnés à l'un des Jacobins en chef.
[123] Tableau des prisons de Toulouse, par Pescayre, détenu, 324. — L'officier municipal Coudert, cordonnier de son état, chargé d'ôter aux détenus leur argenterie, ne sut ou ne voulut dresser qu'un procès-verbal irrégulier et sans valeur ; sur quoi, un détenu fit des objections et refusa de signer. Prends garde à toi, lui dit Coudert furieux ; avec ton f.... esprit, tu fais le mutin, tu n'es qu'une f.... bête ; tu te f... dans un mauvais cas ; je te ferai guillotiner, si tu ne veux pas signer. — Souvent, il n'y avait pas d'écritures du tout. (De Martel, Fouché, p. 236, mémoire adressé par les autorités de l'Allier à la Convention, pièces justificatives, n° 19.) Le 30 octobre 1793, arrêté du comité révolutionnaire de Moulins enjoignant des visites nocturnes dans toutes les maisons suspectes de Moulins, pour y enlever l'or, l'argent et le cuivre. — On se divise en onze bandes, et chaque bande est chargée de visiter huit ou dix maisons. A la tête de chaque bande est un membre du comité avec un officier municipal, accompagnés de serruriers et de la garde révolutionnaire. On va dans les maisons des détenus et d'autres particuliers. On force les secrétaires et les armoires dont on ne trouve pas les clefs ; on pille l'or et l'argent monnayés, on enlève l'argenterie, les bijoux, les ustensiles de cuivre et beaucoup d'autres effets, couvertures, pendules, voitures. On ne donne point de reconnaissances, on ne constate point ce qui est emporté. On se contente, au bout d'un mois, de déclarer, dans une espèce de procès-verbal de séance du comité, que, d'après le rapport des visites, il s'est trouvé peu d'argenterie, peu d'or et d'argent, peu de denrées, le tout sans calcul ni énumération.
[124] Tableau des prisons de Toulouse, p. 461 (Visite du représentant Malarmé, 24 vendémiaire an III). Le ci-devant duc de Narbonne-Larra, âgé de 84 ans, détenu, dit à Malarmé : Citoyen représentant, pardonne si je reste couvert d'un bonnet : j'ai perdu mes cheveux dans cette prison, sans pouvoir obtenir la permission de faire faire une perruque. C'est pis qu'un bois. — Est-ce qu'on t'a volé quelque chose ? — On m'a volé 145 louis d'or, et on m'a donné en payement la quittance d'une imposition pour les sans-culottes, qui est un autre vol fait aux citoyens de cette commune, où je n'ai ni domicile, ni possession. — Qui t'a fait ce vol ? — C'est le citoyen Sergés, officier municipal. — On ne t'a pas volé autre chose ? — On m'a pris une cafetière d'argent, deux étuis à savonnette et un plat à barbe d'argent. — Qui t'a fait ce vol ? — Voici mon voleur, c'est le citoyen Miot (notable du conseil). — Miot avoue qu'il a gardé ces objets et ne les a pas portés à la Monnaie. — Ibid., 178 (20 ventôse an II). On déchaussa les détenus ; même ceux qui n'avaient qu'une paire de souliers, et on leur promit en échange des sabots qui ne leur furent jamais donnés. On leur prit aussi leurs manteaux, en promettant de les payer, ce qu'on ne fit jamais. — Souvenirs et journal d'un bourgeois d'Évreux, p. 93 (25 février 1795). Les séances de la Société populaire furent en grande partis employées à lire les infamies et les voleries du comité révolutionnaire. Ses membres, qui désignaient les suspects, allaient souvent eux-mêmes les arrêter ; ils faisaient perquisition et dressaient procès-verbal, dans lequel ils omettaient de porter des bijoux et de l'or qu'ils avaient pu trouver.
[125] Moniteur, XXII, 133 (séance du 11 vendémiaire an III, rapport de Thibaudeau). Ces sept individus sont des scélérats qui ont été destitués par les représentants du peuple et qui ont volé les effets des détenus. Il existe une délibération d'eux, consignée sur un registre, dans laquelle ils déclarent que, ne se rappelant pas la valeur des effets détournés, ils se soumettent à payer chacun à la nation, pour dédommagement, une somme de 22 livres.
[126] Berryat Saint-Prix, p. 447. Le juge Ragot était un ci-devant menuisier de Lyon ; l'accusateur public Viot était un ci-devant déserteur du régiment de Penthièvre. — D'autres accusés furent dépouillés ; on ne leur laissait que des vêlements en mauvais état.... L'huissier Nappier fut plus tard (messidor an III) condamné aux fers, pour s'être approprié une partie des effets, bijoux et assignats des détenus.
[127] Paroles de Camille Desmoulins, dans la France libre (août 1789).
[128] De Martel, Fouché, 362. — Ibid., 132, 162, 179, 427, 443.
[129] Marcelin Boudet, 175 (Adresse de Monestier aux Sociétés populaires du Puy-de-Dôme, 23 février 1793).
[130] Alexandrine des Écherolles, Une famille noble sous la Terreur, p. 363.
[131] Archives nationales, AF, II, 65 (Lettre du général Kermorvan au président du Comité de salut public, Valenciennes, 12 fructidor an III).
[132] Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre (pièces justificatives, p. 312 à 324). Lettres de Reverchon, 29 germinal, 7 floréal, 23 floréal, et de Lapone, 24 germinal an II.
[133] Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre. Lettre de Laporte : Je ne sais par quelle fatalité les patriotes d'ici ne peuvent souffrir des frères qu'ils appellent des étrangers. — Ils nous ont déclaré qu'ils n'en souffriraient aucuns dans les places. — Les représentants n'ont osé arrêter que deux voleurs et dilapideurs, qui sont libres maintenant et déclament à Paris contre eux. Il est une foule de faits graves et même atroces, qui nous sont dénoncés journellement, et sur lesquels nous hésitons à prendre un parti, dans la crainte de frapper des patriotes ou de soi-disant tels... Il s'est commis d'horribles dilapidations.
[134] Rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre. Lettre de Reverchon : Tous ces énergumènes ne voulaient la République que pour eux.... Ils ne se disent patriotes que pour égorger leurs frères et acquérir des richesses. — Guillon de Montléon, Histoire de la ville de Lyon pendant la Révolution, III, 166 (Rapport de Fouché, avril 1794) : On a vu des innocents, acquittés par le tribunal terrible de la commission révolutionnaire, replongés, par les ordres arbitraires des trente-deux comités, dans les cachots du crime, parce qu'ils avaient le malheur de se plaindre de ne plus retrouver dans leurs humbles demeures le strict nécessaire qu'ils y avaient laissé.
[135] Meissner, Voyage en France, p. 343 : Il y a tel domaine que les départements révolutionnaires ont fait céder à leurs créatures pour moins que rien, au-dessous du produit de la première coupe de bois. — Moniteur, XXIII, 397 (Discours de Bourdon de l'Oise, 6 mai 1795 : Tel cultivateur a payé une ferme de 5.000 francs avec la vente d'un seul cheval.
[136] Moniteur, XXII, 82 (Rapport de Grégoire, 14 fructidor an II). — Ibid., 775 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III).
[137] Recueil de pièces authentiques sur la Révolution à Strasbourg, II, p. 1 (Procès-verbal dressé en présence de Monet père, et signé par lui).
[138] Moniteur, XXII, 775 (Rapport de Grégoire, 24 frimaire an III). — Ibid., 711 (Rapport de Cambon, 6 frimaire an III). — Archives nationales, AF, II, 66 (Lettre du général Kermorvan, Valenciennes, 12 fructidor an III).
[139] Tableau des prisons de Toulouse, 184 (Visite du 27 ventôse an II).
[140] Archives nationales, F7, 7164 (Département du Var : Idée générale et appréciation, avec détails sur chaque canton, an V).
[141] Archives nationales, F7, 7171 (n° 7915). — (Département des Bouches-du-Rhône : Idée générale, an V). — (Lettres de Miollis, commissaire du Directoire près le département, 14 et 16 ventôse an V ; lettres du général Willot au ministre, 10 ventôse, et du général Merle an général Willot, 17 ventôse an V) : Plusieurs sections d'anarchistes parcourent d'une commune à l'autre, pour émeuter les citoyens faibles, et les excitent à partager les horreurs qu'ils méditent. — Ibid., 177, 7164 (Lettre du général Willot au ministre, Arles, 12 pluviôse an V, avec pièces à l'appui, et notamment une lettre du directeur du jury sur les violences et le règne actuel des Jacobins dans Arles). Leur parti est composé des plus misérables artisans et de presque tous les marins. La municipalité, recrutée parmi les anciens terroristes, a mis en vigueur, depuis un an, la loi agraire, la dévastation des bois, le pillage de la récolte du blé par des bandes armées sous prétexte du droit de glanage, le vol des bêtes de labour et celui des troupeaux.
[142] Archives nationales, F7, 7171 : (Les commissaires de quartier) avertissent les exclusifs et même les escrocs, lorsqu'on veut mettre à exécution les mandats décernés contre eux.... Ce qui s'est pratiqué dans les assemblées primaires, le 1er thermidor dernier, pour l'élection des officiers municipaux, avait été fait avec succès pour l'organisation de la garde nationale : menaces, injures, vociférations, voies de fait, abandon forcé des assemblées que dirigèrent alors les amnisties, enfin nomination de ces derniers aux places principales. En effet, toutes, à commencer par celles de chef de bataillon jusqu'à celles des caporaux, sont exclusivement occupées par les gens du parti exclusif. Il résulte de là que les gens probes, répugnant à faire ce service avec des hommes qu'ils ne peuvent voir sans un souvenir révoltant, payent leur garde au lieu de la monter, et que la sûreté de la ville est entre les mains de ceux qu'il faudrait surveiller.
[143] Archives nationales, F7, 3273 (Lettre de Bérard, ancien administrateur et juge en 1790 et 1791, en l'an III, en l'an IV et l'an V, au ministre, Apt, 16 pluviôse an VIII, avec des références personnelles et pièces à l'appui) : Je ne puis tenir à la vue de tant d'horreurs.... Les juges de paix et le directeur du jury s'excusaient sur ce qu'il ne se présentait ni dénonciateurs ni témoins. Qui aurait osé se montrer contre des hommes qui s'arrogeaient le titre de patriotes par excellence, qu'on avait vus figurer dans toutes les crises révolutionnaires, qui avaient des amis dans toutes les communes, et des protecteurs dans les autorités supérieures ? La faveur dont ils jouissaient était telle, qu'on avait exempté la commune de Gordes de la levée des conscrits et des réquisitionnaires. On ne pouvait trop, disait-on, ménager des gens disposés à seconder les vues civiques de l'administration.... Il est certain qu'un état aussi désespérant n'a pour cause que la faiblesse, l'impéritie, l'ignorance, l'apathie et l'immoralité des fonctionnaires publics qui, depuis le 18 fructidor an V, infestent, à quelques exceptions près, les autorités constituées. Tout ce qu'il y a de plus impur et de plus inepte est en place et glace d'effroi les bons citoyens. — Ibid., Lettre de Montauban, directeur de l'enregistrement depuis 1793, au ministre de l'intérieur, son compatriote. Avignon, 7 pluviôse an VIII : Les honnêtes gens ont été constamment froissés et comprimés par les ordonnateurs et auteurs de la Glacière... par les suppôts du tribunal sanguinaire d'Orange, et par les incendiaires de Bédouin. Il demande le secret sur sa lettre, qui, si elle était connue des Glaciéristes ou Orangistes, coûterait la vie à son auteur.
[144] Archives nationales, F7, 7164 (Département du Var, an V, Idée générale) : Le caractère national est usé, il est même démoralisé : on regarde comme un sot celui qui, ayant été en place, n'a point fait en très peu de temps ses affaires.
[145] Moniteur, XXII, 240 (Acte d'accusation des quatorze membres du Comité révolutionnaire de Nantes, et résumé de l'enquête, 23 vendémiaire an III). — Sur les autres comités, quand les renseignements individuels manquent, le jugement d'ensemble est presque toujours aussi accablant. — Ibid., 144 (séance du 12 vendémiaire an III, plainte d'une députation de la commune de Ferney-Voltaire) : Le district de Gex fut en proie, pendant plus d'un an, à cinq ou six fripons qui vinrent s'y réfugier. Sous le masque du patriotisme, ils parvinrent à accaparer toutes les places. Des vexations de tout genre, des vols chez les particuliers, des dilapidations de deniers publics furent commis par ces monstres. (Les députés de Ferney ont apporté avec eux les dépositions des témoins.) — Moniteur, XXII, 290 (Lettre du représentant Goupilleau, Béziers, 28 vendémiaire an III : Ces gens carnivores, qui regrettent le temps où il leur était loisible de voler et de massacrer impunément... qui n'avaient pas de pain, il y a six mois, et qui vivent maintenant dans une scandaleuse opulence... dilapidateurs de la fortune publique, voleurs de celle des particuliers... coupables de rapines, de contributions forcées, de concussions, etc. Prudhomme, les Crimes de la Révolution, VI, 79 (sur le comité révolutionnaire installé par Fouché à Nevers). L'enquête locale prouve que les onze principaux étaient des gens tarés, prêtres défroqués et scandaleux, avocats et notaires chassés de leur corporation ou même de la Société populaire pour improbité, comédiens sans le sou, chirurgiens sans clients, viveurs incapables et ruinés, l'un d'eux, repris de justice.
[146] Beaulieu, III, 454. — Cf. la Révolution, tome II, ch. I, § 9.
[147] Recueil de pièces authentiques sur la Révolution à Strasbourg, I, 21. — Archives nationales, D, I, 65, 6 (Arrêté de Rousselin, 11 frimaire an II).
[148] Un séjour en France de 1792 à 1795, p. 409.
[149] Je n'ai point trouvé un relevé complet des villes ou départements qui ont eu une armée révolutionnaire. J'ai constaté, par la correspondance des représentants en mission et par les documents imprimés, la présence d'armées révolutionnaires dans les villes dont je donne ici les noms.
[150] De Martel, Fouché, 338 (texte des arrêtés du Comité de salut public). Le détachement envoyé à Lyon comprend 1200 fusiliers, 600 canonniers, 150 cavaliers. 300.000 livres sont remises, pour les frais du voyage, au commissaire ordonnateur, 50.000 à Collot d'Herbois, 19.200 aux Jacobins civils qui l'accompagnent.
[151] Moniteur (séance du 17 brumaire an III). Lettre du représentant Calés à la Convention : Sous prétexte de garder les prisons, la municipalité (de Dijon) avait une armée révolutionnaire que j'ai cassée, il y a deux jours, laquelle coûtait 6.000 francs par mois, ne reconnaissait pas le chef de la force armée, et servait d'appui aux intrigants. Ces soldats, tous ouvriers, ne travaillaient plus. Leurs occupations étaient de remplir les tribunes du club, où eux et leurs femmes appuyaient, par des applaudissements, les vues des meneurs, et faisaient taire, par leurs menaces, les citoyens qui voulaient les combattre. — De Martel, Fouché, 426 : Pour éluder un décret de la Convention (décret du 14 frimaire), supprimant l'armée révolutionnaire dans les départements, Javogues convertit les 1.200 hommes, dont il l'avait formée dans la Loire, en gardes soldés. — Ibid., 432 (Lettre de Goulin, Courg, 23 frimaire) : Hier, à Bourg-Régénéré, je trouvai Javogues et environ 400 hommes de l'armée révolutionnaire, qu'il avait amenés avec lui, le 20 courant.
[152] Buchez et Roux, XXIX, 45. — Moniteur, XX, 67 (Rapport de Barère, 7 germinal). — Sauzay, IV, 303 (Arrêté du représentant Bassal à Besançon).
[153] On voit, par le rapport de Barère (7 germinal an II), que l'armée révolutionnaire, au lieu de 6.000 hommes à Paris, ne fut jamais que de 4.000 hommes, ce qui est honorable pour Paris. — Mallet-Dupan, II, 52. — Gouvion Saint-Cyr, I, 137 : Dans le même temps, les représentants avaient organisé sur les derrières, dans le Haut-Rhin, ce qu'ils appelaient une armée révolutionnaire, composée de déserteurs et de tout ce qu'ils purent trouver de vagabonds et de mauvais sujets, sortis de la lie des Sociétés populaires ; elle tramait à sa suite ce qu'elle appelait des juges et une guillotine. — Hua, Souvenirs d'un avocat, 196.
[154] Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 31.
[155] Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 31. Ces boulets furent apportés avec ostentation et montrés au peuple préalablement. Nos mains attachées, nos corps ceints d'une triple corde lui paraissaient des mesures peu suffisantes ; nous gardâmes, le reste de la route, ces fers tellement pesants que, si la voiture eût penche, noua avions infailliblement la jambe cassée, et si extraordinaires qu'ils étonnèrent, à la Conciergerie de Paris, des guichetiers en place depuis dix-neuf ans.
[156] Archives des affaires étrangères, tome 331 (Lettre de Haupt, Belfort, 13 frimaire an II).
[157] Archives des affaires étrangères, tome 331 (Lettre de Desgranges, Bordeaux, 10 frimaire).
[158] Archives des affaires étrangères, tome 332 (Lettre de Thiberge, Marseille, 14 frimaire). J'ai fait cerner la ville avec la petite armée que j'avais.
[159] Archives des affaires étrangères, tome 331 (Arrêté du représentant Basset, Besançon, 5 frimaire). Nul citoyen ne pourra garder chez lui plus de quatre mois de subsistances... Tout citoyen en ayant davantage portera le surplus dans un grenier d'abondance établi à cet effet.... Aussitôt après la réception du présent arrêté, les municipalités seront obligées de requérir tous les citoyens en état de battre, et de procéder au battage sans interruption ni délai, sous peine d'être poursuivies comme rebelles à la loi. L'armée révolutionnaire est spécialement chargée de l'exécution des dispositions du présent arrêté, et les tribunaux révolutionnaires, à la suite de cette armée, de l'application des reines portées par le présent arrêté. — On voit par d'autres pièces que l'armée révolutionnaire, organisée dans le département du Doubs et dans les cinq départements voisins, comprenait en tout 2400 hommes. (Ibid., tome 1411, Lettre de Meyenfeld au ministre Desforgue, 27 brumaire an II). — Archives nationales, AF, II, 111 (Arrêté de Couthon, Maiguet, Châteauneuf-Randon, Laporte, Albitte, Commune-Affranchie, 9 brumaire an IL établissant dans les dix départements circonvoisins une armée révolutionnaire de 1.000 hommes par département, pour la réquisition des grains. Chaque armée sera dirigée par des commissaires étrangers au département, et opérera dans un département autre que celui où elle a été levée).
[160] Archives des affaires étrangères, 331 (Lettre de Chépy, 11 frimaire). — Un mois auparavant (6 brumaire), il écrivait : Les cultivateurs se montrent très hostiles contre les villes et la loi du maximum. Rien ne se fera sans un corps d'armée révolutionnaire.
[161] Mercier, Paris pendant la Révolution, I, 357.
[162] Hua, 197. — Je n'ai trouvé, dans les documents manuscrits ou imprimés, qu'un exemple de résistance, c'est celui des frères Chaperon, au hameau des Loges, près de Sens, qui déclarèrent n'avoir de blé que pour leur usage et se défendirent à coups de fusil. La gendarmerie n'ayant pas suffi pour les forcer, on sonna le tocsin, on fit venir la garde nationale de Sena et des environs, on amena du canon, et l'on finit par mettre le feu à ta maison. Les deux frères furent tués ; auparavant, ils avaient abattu le commandant de la garde nationale de Sens, et tué ou blessé près de 40 assaillants. Un frère survivant et la sœur furent guillotinés (juin 1794, Wallon, IV, 352).
[163] Moniteur, XV III, 663 (séance du 24 frimaire, rapport de Lecointre). Les communes de Thieux, de Jully et nombre d'autres ont été victimes de leurs brigandages. — La stupeur est telle dans les campagnes que les malheureux qui éprouvent des vexations de ce genre n'osent se plaindre, trop heureux, disent-ils, d'avoir échappé à la mort. — Mais, cette foi, les brigands publics ont fait une méprise ; mil se trouve que Gilbon fils 13.4, fermier de Lecointre. Encore est-ce par rencontre que Gilbon a parlé de l'événement à son propriétaire ; il venait le voir pour un autre objet. Cf. La Révolution, II, (Autre scène semblable, chez Ruelles, fermier, commune de Lisse).
[164] Guillon de Montléon, III, 97, II, 440.
[165] Cf. passim Alfred Lallié, le Sans-Culotte Goullin. — Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, V, 368 (Déposition de Lacaille). — Au reste, des monstres non moins extraordinaires se rencontrent aussi dans les autres administrations de Nantes, par exemple Jean d'Héron, tailleur, devenu inspecteur des vivres militaires. Après la déroute de Clisson, dit la femme Laillet, il se présenta à la Société populaire avec l'oreille d'un brigand qu'il avait attachée à son chapeau, en guise de cocarde. Il avait les poches pleines de ces oreilles, qu'il se faisait un plaisir de faire baiser aux femmes. — Il montrait et faisait baiser encore autre chose, et la femme Laillet ajoute un détail que je n'ose pas transcrire. (Le Patriote d'Héron, par L. de la Sicotière, p. 9 et 10, Déposition de la femme Laillet, poissonnière, et témoignage de Mellinet, tome VIII, p. 256.)
[166] Wallon, V, 368 (Déposition de Lacaille).
[167] Wallon, V, 371 (Déposition de Tabouret).
[168] Wallon, V, 373 (Déposition de Mariotte).
[169] Moniteur, XXII, 321 (Déposition de Phelippes Troncjolly). — Berryat Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, 39.
[170] Campardon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, II, 30. Ils ont 10 francs par jour, et de pleins pouvoirs leur sont conférés. — (Arrêté de Carrier et Francastel, 28 octobre 1793.) — Les représentants.... confèrent collectivement et individuellement à chaque membre de la compagnie révolutionnaire le droit de surveillance sur tous les autres citoyens suspects de Nantes, sur les étrangers qui y entrent ou y résident, sur les accapareurs de toute espèce... le droit de faire des visites domiciliaires partout où ils le jugeront convenable.... La force armée obéira partout aux réquisitions qui lui seront adressées, soit au nom de la compagnie, soit au nom individuel des membres qui la composent.
[171] Berryat Saint-Prix, p. 42. — Alfred Lallié, les Noyades de Nantes, p. 20 (Déposition de Gauthier). — Ibid., p. 22. F..., dit Carrier, c'est à Lamberty que je réservais cette exécution ; je suis biché qu'elle ait été faite par d'autres.
[172] Alfred Lallié, les Noyades de Nantes, p. 21 et 90. — Cf. Moniteur, XXII, 331 (Déposition de Victoire Abraham). — Les noyeurs se rendaient très familiers avec les femmes, les faisaient même servir à leurs plaisirs, lorsqu'elles leur plaisaient, et ces femmes, pour récompense de leur complaisance, obtenaient l'avantage précieux d'être exceptées de la noyade.
[173] Campardon, II, 8 (Déposition de Commeret). — Berryat Saint-Prix, p. 42. — Ibid., p. 28. D'autres agents de Carrier, Fouquet et Lamberty, lurent condamnés, notamment pour avoir soustrait à la vengeance nationale Mme de Marsilly et sa femme de chambre.... Ils s'étaient partagé la femme Marsilly et sa femme de chambre. — A propos de ces Jacobins, friands de robes de soie, M. Berryat Saint-Prix cite la réponse d'un Jacobin de 1851 au juge d'instruction de Reims : on lui objectait que la République, telle qu'il l'entendait, ne pouvait guère durer. Possible, dit-il ; mettons trois mois ; n'est-ce rien que trois mois employés à se remplir le gousset et le ventre, et à chiffonner les robes de soie ? — Un autre, de la même espèce, disait en 1871 : Nous aurons toujours bien huit jours de noce. — Les observateurs de la nature humaine trouveront des détails analogues dans la révolte des Cipayes contre les Anglais en 1863, et dans l'histoire des Peaux-Rouges aux États-Unis. — Déjà les massacres de septembre à Paris et l'histoire du Comtat en 1791 et 1792 nous ont fourni les mêmes documents caractéristiques.
[174] Alfred Lallié, les Fusillades de Nantes, p. 23 (Déposition de Picard, commandant des gardes nationaux de l'escorte. — Cf. les dépositions de Henri Ferdinand, menuisier).
[175] Sauzay, Histoire de la persécution révolutionnaire dans le département du Doubs, VII, 687 (Lettre de Grégoire le conventionnel, 24 décembre 1796) : Un calcul approximatif élève au nombre de 300.000 les auteurs de tant de forfaits ; car chaque commune avait à peu près cinq ou six bêtes féroces qui, sous le nom de Brutus, ont perfectionné l'art de jeter les scellés, de noyer, d'égorger. Ils ont dévoré des sommes immenses, pour bâtir des Montagnes, payer des orgies, et célébrer trois fois par mois des fêtes, qui, après une première représentation, étaient devenues des parodies où figuraient deux ou trois acteurs, sans spectateurs. Elles n'étaient plus composées à la fin que du tambour et de l'officier municipal ; encore celui-ci, tout honteux, cachait-il souvent son écharpe dans sa poche, en allant au temple de la Raison.... Mais ces 300.000 brigands avaient pour directeurs deux ou trois cents membres de la Convention nationale, qu'il faut bien n'appeler que scélérats, puisque la langue n'offre aucune épithète plus énergique.