Les gouvernants. — I. La Convention. - La Plaine. - La Montagne. Abaissement des limes. - Parades que subit la Convention. — II. Parades qu'elle exécute. - Sa servitude et sa servilité. - Sa part dans les crimes. — III. Le Comité de salut public. - Les hommes d'affaires. Carnot, Prieur de la Côte-d'Or, Jean Bon Saint-André, Robert Lindet. — IV. Les hommes d'Etat. - Billaud-Varennes, Collot d'Herbois, Robespierre, Couthon et Saint-Just. - A quelles conditions ils règnent. Leurs dangers. - Leurs dissensions. - Pression de la peur et de la théorie. — V. Leurs organes officiels. - Rapports de Saint-Just et de Barère. - Qualité des rapporteurs et des rapports. — VI. Les représentants en mission. - Leur toute-puissance. - Leurs périls et leur terreur. Ils sont proches de leur œuvre. - Effet de cette situation. — VII. L'éruption des instincts brutaux. - Duquesnoy à Metz. - Dumont à Amiens. - Les ivrognes. - Cusset, Bourbotte, Monestier, Bourdon de l'Oise, Dartigoyte. — VIII. L'approche de la folie. - La perte du sens commun. Fabre, Gaston, Guiter à l'armée des Pyrénées-Orientales. - Baudot, Lebas, Saint-Just, leurs prédécesseurs et leurs successeurs à l'armée du Rhin. - La surexcita !ion furieuse. - Lebon à Arras et Carrier à Nantes. — IX. Le développement des vices. - La vanité et le besoin de jouir. - Collot d'Herbois, Ysabeau, Tallien. - Les voleurs. - Tallien, Javogues, Rovère, Fouché. - Deux sources de la cruauté. - Le besoin de se prouver sa puissance. - Saint-Just dans le Pas-de-Calais et en Alsace. Collot d'Herbois à Lyon. - Pression des représentants sur les tribunaux. - Le plaisir de voir souffrir et mourir. - Monestier, Fouché, Collot d'Herbois, Lebon et Carrier. Suivons le nouveau gouvernement, depuis sa première source jusqu'à ses dérivations dernières, et tâchons de voir en fonctions les corps et les individus par lesquels il s'exerce, assemblées, comités, délégués, administrateurs et subordonnés de tout degré. Comme un fer chaud appliqué sur la chair vive, la situation imprime sur leurs fronts ses deux stigmates, avec des profondeurs et des colorations diverses ; eux aussi, ils ont beau recouvrir leur flétrissure : sous les couronnes qu'ils se décernent et sous les titres dont ils se parent, on voit apparaître la marque de l'esclave ou la marque du tyran. I Aux Tuileries, dans la grande salle de théâtre convertie en salle de séances, trône la Convention omnipotente : tous les jours, en superbe appareil, elle délibère ; ses décrets, accueillis par une obéissance aveugle, épouvantent la France et bouleversent l'Europe. De loin, sa majesté est formidable, plus auguste que celle du Sénat républicain à Rome. De près, c'est autre chose : ces souverains incontestés sont des serfs qui vivent dans les transes, et à juste titre : car nulle part, même en prison, on n'est plus contraint et moins en sûreté que sur leurs bancs. — A partir de juin 1793, leur enceinte inviolable, le grand réservoir officiel d'où découle toute autorité légale, est devenue une sorte de vivier où la nasse révolutionnaire plonge à coup sûr et coup sur coup, pour ramasser des poissons de choix, ' un à un ou par douzaines, quelquefois en gros tas, d'abord les soixante-sept députés girondins exécutés ou proscrits, puis les soixante-treize membres du côté droit, raflés en un jour et déposés à la Force, ensuite des Jacobins marquants, Osselin arrêté le 19 brumaire, Bazire, Chabot et Delaunay décrétés d'accusation le 24 brumaire, Fabre d'Églantine arrêté le 24 nivôse, Bernard guillotiné le 3 pluviôse, Anacharsis Cloots guillotiné le 4 germinal, Hérault-Séchelles, Lacroix, Philippeaux, Camille Desmoulins, Danton guillotinés, avec quatre autres, le 10 germinal ; Simond guillotiné le 24 germinal, Osselin guillotiné le 28 messidor. — Naturellement, les demeurants sont avertis et prennent garde. A l'ouverture de la séance on les voit entrer dans la salle, l'air inquiet, pleins de défiance[1], comme des animaux qu'on pousse dans un enclos et qui soupçonnent un piège. Chacun d'eux, écrit un témoin, observait ses démarches et ses paroles, de crainte qu'on ne lui en fit un crime : en effet, rien n'était indifférent, la place où l'on s'asseyait, un regard, un geste, un murmure, un sourire. C'est pourquoi, et d'instinct, le troupeau se porte du côté qui semble le mieux abrité, vers la gauche. Tout refluait vers le sommet de la Montagne ; le côté droit était désert..... Plusieurs ne prenaient pied nulle part, et, pendant la séance, changeaient souvent de place, croyant ainsi tromper l'espion et, en se donnant une couleur mixte, ne se mettre mal avec personne. Les plus prudents ne s'asseyaient jamais ; ils restaient hors des bancs, au pied de la tribune, et, dans les occasions éclatantes, ils se glissaient furtivement hors de la salle. La plupart se réfugient dans leurs comités ; chacun tâche de se faire oublier, d'être obscur, nul, absent[2]. Pendant les quatre mois qui suivent le 2 juin, la salle de la Convention est à moitié ou aux trois quarts vide ; l'élection du président ne réunit pas deux cent cinquante votants[3] ; il ne se trouve que deux cents voix, cinquante voix, polir nommer le Comité de salut public et le Comité de sûreté générale ; il n'y a qu'une cinquantaine de voix pour nommer les juges du Tribunal révolutionnaire ; il y a moins de dix voix pour nommer leurs suppléants[4] ; il n'y a point de voix du tout pour adopter le décret d'accusation contre le député Dulaure[5] : Aucun membre ne se lève ni pour ni contre ; il n'y a pas de vote : néanmoins, le président prononce que le décret est rendu, et le Marais laisse faire. — Crapauds du Marais, on les appelait ainsi avant le 2 juin, lorsque, dans les bas-fonds du centre, ils coassaient contre la Montagne ; maintenant ils sont encore quatre cent cinquante, trois fois plus nombreux que les Montagnards ; mais, de parti pris, ils se taisent ; leur ancien nom les rend, pour ainsi dire, moites ; leurs oreilles retentissent de menaces éternelles, leurs cœurs sont maigris de terreur[6], et leurs langues, paralysées par l'habitude du silence, restent collées à leurs palais. Ils ont beau s'effacer, consentir à tout, ne demander pour eux que la vie sauve, livrer le reste, leur vote, leur volonté, leur conscience : ils sentent que cette vie ne tient qu'à un fil. Le plus muet d'entre eux, Sieyès, dénoncé aux Jacobins, échappe tout juste, et par la protection de son cordonnier qui se lève et dit : Ce Sieyès, je le connais, il ne s'occupe pas du tout de politique, il est toujours dans ses livres ; c'est moi qui le chausse, et j'en réponds[7]. Bien entendu, avant le 9 thermidor, aucun d'eux n'ouvrira la bouche ; seuls les Montagnards parlent, et toujours d'après la consigne. Si Legendre, l'admirateur, le disciple, le confident intime de Danton, ose une fois intervenir à propos du décret qui envoie son ami à l'échafaud, et demander qu'au préalable Danton soit entendu, c'est pour se rétracter, séance tenante ; le soir même, pour plus de sûreté, il roule dans la boue[8], déclare aux Jacobins qu'il s'en rapporte au jugement du Tribunal révolutionnaire, et jure de dénoncer quiconque voudrait entraver l'exécution du décret[9]. Robespierre ne lui a-t-il pas fait la leçon, et de son ton le plus rogue ? Quoi de plus beau, a dit le grand moraliste, quoi de plus sublime qu'une assemblée qui se purge elle-même[10] ! — Ainsi, non seulement le filet qui a déjà ramené tant de proies palpitantes n'est point rompu, ou élargi, ou remisé, mais à présent il pêche à gauche aussi bien qu'à droite, et de préférence sur les plus hauts bancs de la Montagne[11]. Bien mieux, par la loi du 22 prairial, ses mailles sont resserrées et son envergure est accrue ; avec un engin si perfectionné, on ne peut manquer de pécher le vivier jusqu'à épuisement. Quelque temps avant le 9 thermidor, David, un des fidèles de Robespierre, disait lui-même : Resterons-nous vingt de la Montagne ? Vers le même temps, Legendre, Thuriot, Léonard Bourdon, Tallien, Bourdon de l'Oise, d'autres encore, ont chacun, et toute la journée, un espion à leurs trousses ; trente députés vont être proscrits, et l'on se dit leurs noms à l'oreille ; là-dessus, soixante découchent, persuadés que, le lendemain matin, on viendra chez eux les empoigner dans leurs lits[12]. A ce régime prolongé pendant tant de mois, les âmes s'affaissent et se dégradent. Tout se rapetissait[13] pour passer sous le joug populaire. Tout se faisait peuple.... On abjurait costume, manières, élégance, propreté, commodités de la vie, politesse et bienséance. — On se débraille et on sacre ; on tâche de ressembler aux Montagnards sans-culottes qui jurent et sont vêtus comme les gens du port[14], à Armonville, le cardeur, qui siège en bonnet de laine, à Cusset, l'ouvrier en gaze, qui est toujours ivre. Il faut être Robespierre pour se permettre une tenue soignée ; chez les autres qui n'ont pas son ascendant, chez les demi-suspects du ventre, ce reste de l'ancien régime pourrait être dangereux ; ils font bien de ne pas attirer sur eux l'attention de l'espion mal embouché et sans orthographe[15] ; en séance notamment, il importe de se confondre avec la foule, de ne pas se faire remarquer par les claqueurs soldés, par les chenapans avinés, par les jupons gras des tribunes. Même il faut crier comme eux et à l'unisson, figurer dans leurs farces de guinguette. Pendant quatorze mois, les députations des sociétés populaires viennent réciter à la barre leurs tirades extravagantes ou plates, et la Convention est tenue d'applaudir. Pendant neuf mois[16], des rimeurs de carrefour et des polissons de café viennent en pleine séance chanter des couplets de circonstance, et la Convention est tenue de faire chorus. Pendant six semaines[17], les profanateurs d'églises viennent étaler dans la salle leurs bouffonneries de bastringue, et la Convention est tenue, non seulement de les subir, mais encore d'y jouer un rôle. — Jamais dans là Rome impériale, même sous Néron et Héliogabale, un sénat n'est descendu si bas. II Regardez une de leurs parades, celle du 20, du 22 ou du 30
brumaire ; la mascarade se répète, et plusieurs fois par semaine, uniformément,
presque sans variantes. — Une procession de mégères et d'escogriffes arrive
aux portes de la salle ; ils sont encore ivres de
l'eau-de-vie qu'ils ont bue dans les calices, après avoir mangé des
maquereaux grillés sur des patènes ; d'ailleurs ils se sont abreuvés
en route. Montés à califourchon sur des ânes qu'ils
ont affublés d'une chasuble et qu'ils guident avec une étole, ils seront
arrêtés aux tabagies, tendant un ciboire ; le cabaretier, pinte en main, a
versé dedans, et, à chaque station, ils ont lampé, coup sur coup, leurs trois
rasades, en parodie de la messe qu'ils disent ainsi dans la rue, à leur
façon. — Cela fait, ils ont endossé les chapes, les chasubles, les
dalmatiques, et sur deux longues lignes, le long des gradins de la
Convention, ils défilent. Plusieurs portent, sur des brancards ou dans des
corbeilles, les candélabres, les calices, les plats d'or et d'argent, les
ostensoirs, les reliquaires ; d'autres tiennent les bannières, les croix et
les autres dépouilles ecclésiastiques. Cependant la
musique sonne l'air de la Carmagnole, celui de Malborough s'en va-t-en
guerre.... A l'instant où le dais entre,
elle joue l'air Ah ! le bel oiseau ; subitement, tous les masques
jettent bas leur déguisement ; mitres, étoles, chasubles sautent en l'air, et
laissent apparaître les défenseurs de la patrie
couverts de l'uniforme national[18]. Risées,
clameurs, enthousiasme, tapage plus fort des instruments ; la bande, qui est
en train, demande à danser la carmagnole, et la Convention y consent ; il se
trouve même des députés pour descendre de leurs bancs et venir battre des
entrechats avec les tilles en goguette. - Pour achever, la Convention décrète
qu'elle assistera le soir à la fête de la Raison, et, de fait, elle s'y rend
en corps. Derrière l'actrice en jupon court et en bonnet rouge qui figure la
Liberté ou la Raison, les députés marchent, eux aussi en bonnet rouge, criant
et chantant, jusqu'au nouveau temple ; c'est un temple de T'anches et de
carton qu'on a bâti dans le chœur de Notre-Dame. Ils s'asseyent au premier
rang, et la Déesse, une ancienne habituée des petits soupers du duc de
Soubise, avec toutes les jolies damnées de l'Opéra,
déploie devant eux ses grâces d'opéra[19]. On entonne l'hymne de la Liberté, et, puisque par décret, le
matin même, la Convention s'est obligée à le chanter, je puis bien supposer
qu'elle le chante[20]. Ensuite on
danse ; par malheur les textes manquent, pour décider si la Convention a
dansé. A tout le moins, elle assiste à la danse et consacra par sa présence
une orgie d'espèce unique, non pas la kermesse de Rubens étalée en plein air,
plantureuse et saine, mais une descente nocturne de la Courtille, un
mardi-gras de voyous maigres et détraqués. — Dans la grande nef, les danseurs, presque déculottés, le col et la poitrine
nus, les bas ravalés, se déhanchent et trépignent, en hurlant la Carmagnole. Dans les chapelles
collatérales, qui sont masquées de hautes tapisseries,
les filles, avec des cris aigus, font des lupanars[21]. — S'encanailler
ainsi à vif et à cru, fraterniser avec des ivrognes de barrière et des
drôlesses de mauvais lieu, subir leurs embrassades entremêlées de hoquets,
cela est dur, même pour les députés dociles. Plus da la moitié en ont eu le haut-le-cœur
d'avance, et sont restés chez eux ; désormais ils ne veulent plus venir à la
Convention[22].
— Mais la Montagne les envoie chercher, et l'huissier les ramène : il faut
qu'ils coopèrent, par leur présence et par leurs félicitations, aux
profanations et aux apostasies qui suivent[23] ; il faut qu'ils
approuvent et décrètent ce dont ils ont horreur, non seulement les sottises
et les folies, mais les crimes, le meurtre des innocents, le meurtre de leurs
amis. — Tout cela, ils le font. A l'unanimité et
avec les plus vifs applaudissements, la gauche, réunie à la droite,
envoie à l'échafaud Danton, son chef naturel, le grand promoteur et conducteur
de la Révolution[24]. A l'unanimité et avec les plus vifs applaudissements,
la droite, réunie à la gauche, vote les pires décrets du gouvernement
révolutionnaire[25].
A l'unanimité, avec des cris d'admiration et
d'enthousiasme, avec des témoignages de sympathie passionnée pour Collot
d'Herbois, pour Couthon, et pour Robespierre[26], la Convention,
par des réélections spontanées et multipliées, maintient en place le
gouvernement homicide que la Plaine déteste, parce qu'il est homicide, et que
la Montagne déteste, parce qu'il la décime. Plaine et Montagne, à force
d'effroi, la majorité et la minorité finissent par consentir el aider à leur
propre suicide : le 22 prairial, la Convention tout entière a tendu la gorge[27] ; le 8
thermidor, pendant le premier quart d'heure qui a suivi le discours de
Robespierre[28],
elle l'a tendue encore, et probablement se laisserait faire, si les cinq ou
six hommes que Robespierre a désignés ou nommés, Bourdon de l'Oise, Vadier,
Cambon, Billaud, Panis, redressés par l'instinct animal de la conservation,
ne levaient le bras pour arrêter le couteau. Il n'y a que le danger poignant,
personnel et mortel, qui, dans ces âmes terrassées, puisse, par une peur plus
grande, surmonter l'habitude invétérée de la peur. Plus tard, comme on
demandait à Sieyès ce qu'il avait fait en ce temps-là : J'ai vécu, répondit-il. Effectivement, lui et les
autres, ils se sont réduits à cela, ils ont obtenu cela à tout prix, à quel
prix[29] ! Ses notes
secrètes, encore imprégnées de ses dégoûts quotidiens, ses croquis intimes le
disent[30].... Au comité du 20 mars, Paillasse, demi-ivre, dissertant sur
le plan de la guerre et examinant le ministre par interrogats et censure. Le
malheureux ministre, échappant aux questions par une réponse de café et
l'historique des campagnes. Ce sont là les hommes chargés de conduire les
affaires et de sauver la République ! — H...,
dans sa distraction ; il avait l'air d'un drôle bienheureux qui sourit au
coquinisme de ses pensées. — Ruit
irrevocabile vulgus... Jusque datum
sceleri. — Vous vous taisez ? — Qu'importe mon verre de vin dans ce torrent de rogomme ?
Soit, mais il n'a pas fait que se taire, s'abstenir. Il a voté, légiféré,
décrété, avec la Convention unanime ; il a collaboré, non seulement par sa
présence passive, mais aussi par sa quote-part active, aux actes du
gouvernement qu'il a élu et intronisé, réélu douze fois, acclamé chaque
semaine, flatté tous les jours, autorisé et aidé jusqu'au bout dans l'œuvre de
spoliation et de massacre. Tout le monde est
coupable ici, disait Carrier dans la Convention, jusqu'à la sonnette du président. Ils ont beau se
répéter qu'ils étaient contraints d'obéir, et sous peine de mort : au plus
pur d'entre eux, s'il a encore une conscience, sa conscience réplique : Toi aussi, malgré toi, je l'admets, moins que les autres,
je le veux bien, tu as été un terroriste, c'est-à-dire un brigand et un
assassin[31]. III Quand un homme devient esclave, disait le vieil Homère, les dieux lui ôtent la moitié de son âme ; la même chose arrive quand un homme devient tyran. — Dans le pavillon de Flore, à côté et au-dessus de la Convention tombée en servitude, les douze rois qu'elle s'est donnés siègent deux fois par jour[32], et lui commandent ainsi qu'à la France[33]. Bien entendu, pour occuper cette place, ils ont donné des gages ; il n'en est pas un qui ne soit révolutionnaire d'ancienne date, régicide impénitent, fanatique par essence et despote par principes ; mais le vin fumeux de la toute-puissance ne les a pas tous enivrés au même degré. — Trois ou quatre, Robert Lindet, Jean Bon Saint-André, Prieur de la Côte-d'Or et Carnot se cantonnent chacun dans un office utile et secondaire ; cela suffit pour les préserver à demi. Hommes spéciaux et chargés d'un service nécessaire, ils veulent d'abord que ce service soit accompli ; c'est pourquoi ils subordonnent le reste, même les exigences de la théorie et les cris des clubs. Avant tout, il s'agit, pour Lindet, de nourrir les départements qui n'ont pas de blé et les villes qui vont manquer de pain, pour Prieur, de fabriquer et convoyer des biscuits, de l'eau-de-vie, des habits, des souliers, de la poudre et des armes, pour Jean Bon, d'équiper des vaisseaux et de discipliner des équipages, pour Carnot, de dresser des plans de campagne et de diriger des mouvements d'armées : tant de sacs de grains à fournir pour la quinzaine suivante à telle ville et à ramasser dans tels districts, tant de rations à confectionner dans la semaine et à faire transporter dans le mois à tel endroit de la frontière, tant de pécheurs à transformer en artilleurs ou en gabiers et tant de vaisseaux à mettre à flot dans les trois mois, tant de cavalerie, infanterie, artillerie à faire marcher par tels chemins pour arriver tel jour à tel gué ou à tel col, voilà des combinaisons précises qui purgent l'esprit des phrases dogmatiques, qui rejettent sur l'arrière-plan le jargon révolutionnaire, qui maintiennent un homme dans le bon sens et dans la raison pratique ; d'autant plus que trois d'entre eux, Jean Bon, ancien capitaine de navire marchand, Prieur et Carnot, officiers du génie, sont des gens du métier, et vont sur place pour mettre eux-mêmes la main à l'ouvrage. Jean Bon, toujours en mission sur les côtes, monte un vaisseau dans la flotte qui sort de Brest pour sauver le grand convoi d'Amérique[34] ; Carnot, à Watignies, impose à Jourdan la manœuvre décisive, et, le fusil à la main, marche avec les colonnes d'assaut[35]. — Naturellement, ils n'ont point de loisirs pour venir bavarder aux Jacobins ou intriguer dans la Convention : Carnot vit au Comité et dans ses bureaux, ne prend pas le temps d'aller manger avec sa femme, dyne d'un petit pain et d'un carafon de limonade, et travaille seize, dix-huit heures par jour[36] ; Lindet, surchargé plus que personne, parce que la faim n'attend pas, lit de ses yeux tous les rapports et y passe les jours et les nuits[37] ; Jean Bon, en sabots et carmagnole de laine[38], avec un morceau de gros pain et un verre de mauvaise bière, écrit et dicte, jusqu'à ce que, les forces lui manquant, il se jette, pour dormir, sur un matelas étalé par terre. — Naturellement encore, quand on les dérange et qu'on leur casse en main leurs outils, ils ne sont pas contents ; ils savent trop bien le prix d'un bon outil, et, pour le service tel qu'ils le comprennent, il faut des outils efficaces, des employés compétents et laborieux, assidus au bureau, non au club. Quand un subordonné est de cette espèce, ils sont loyaux envers lui, ils le défendent, parfois au péril de leur propre vie, jusqu'à encourir l'inimitié de Robespierre. Cambon[39] qui, dans son comité des finances, est, lui aussi, une sorte de souverain, garde à la trésorerie cinq ou six cents employés qui n'ont pu obtenir leur certificat de civisme et que les Jacobins dénoncent incessamment pour avoir leurs places. Carnot sauve et emploie des ingénieurs éminents, d'Arçon, de Montalembert, d'Obenheim, tous nobles, plusieurs antijacobins, sans compter nombre d'officiers accusés qu'il justifie, replace ou maintient[40]. — Par ces actes de courage et d'humanité, ils se soulagent de leurs scrupules, du moins provisoirement et à peu près ; d'ailleurs ils ne sont hommes d'État que par occasion et force majeure, plutôt conduits que conducteurs, terroristes de rencontre et de nécessité plutôt que d'instinct et de système. Si, de concert avec les dix autres, Prieur et Carnot commandent le vol et le meurtre en grand, s'ils signent, par vingtaines et par centaines, des ordres qui sont des assassinats, c'est parce qu'ils sont d'un corps. Quand tout le Comité délibère, ils sont tenus, pour les arrêtés importants, de se soumettre à l'avis prépondérant de la majorité, après avoir voté contre. Pour les arrêtés secondaires, quand il n'y a point eu de délibération commune et préalable, le seul membre responsable est le signataire en premier ; la signature qu'ils apposent en second et sans lire n'est qu'une formalité exigée par la loi, un simple visa, forcément machinal ; avec quatre ou cinq cents affaires à expédier par jour, impossible de faire autrement ; lire tout, et voter sur tout serait d'une impossibilité physique[41]. Enfin, à tout prendre, est-ce que la volonté générale, du moins la volonté générale apparente, la seule sur laquelle un gouvernement puisse prononcer, n'est pas elle-même ultra-révolutionnaire ?[42] En d'autres termes, est-ce que, dans un État, cinq ou six coquins qui crient ne doivent pas être écoutés plutôt que cent honnêtes gens qui se taisent ? Avec ce sophisme, si grossier qu'il soit, mais de pure fabrique jacobine, Carnot finit par aveugler son honneur et sa conscience ; intact du reste et bien plus que ses collègues, il subit aussi sa mutilation morale et mentale ; sous la contrainte de son emploi et sous le prestige de sa doctrine, il a réussi à décapiter en lui les deux meilleures facultés humaines, la plus utile, qui est le sens commun, et la plus haute, qui est le sens moral. IV Si tel est le ravage dans une âme droite, ferme et saine, quelle sera la dévastation intérieure dans les cœurs gâtés ou faibles, en qui prédominent déjà les mauvais instincts ! — Et notez qu'ils n'ont pas le préservatif de Carnot et des hommes d'affaires, la poursuite d'un objet restreint et manifestement utile. On les appelle hommes de gouvernement, révolutionnaires proprement dits, gens de la haute main[43] : effectivement, ce sont eux qui, avec la conception de l'ensemble, ont la direction de l'ensemble. L'invention, l'organisation et l'application de la terreur leur appartiennent en propre ; ils sont les constructeurs, les régulateurs et les conducteurs de la machine[44], les chefs reconnus du parti, de la secte et du gouvernement, surtout Billaud et Robespierre, qui ne vont jamais en mission[45] et ne lèchent pas un instant la poignée du moteur central ; le premier, politique actif, chargé, avec Collot, de faire marcher les autorités constituées, les districts, les municipalités, les agents nationaux, les comités révolutionnaires et les représentants en mission dans l'intérieur[46] ; le second, théologien, moraliste, docteur et prédicateur en titre, chargé de régenter la Convention et d'inculquer aux Jacobins les vrais principes ; derrière lui, Couthon, son lieutenant, Saint-Just, son disciple et son exécuteur des hautes œuvres ; au milieu d'eux, Barère, porte-voix du Comité, simple instrument, mais indispensable, commode à la main et toujours prêt à improviser la fanfare que l'on voudra, sur le thème que l'on voudra, en l'honneur du parti qui l'embouche ; au-dessous d'eux, le Comité de sûreté générale, Vadier, Amar, Vouland, Guffroy, Panis, David, Jagot, et le reste, entrepreneurs, rapporteurs et agents de la proscription universelle. — Leur office a laissé sur eux son empreinte ; on les reconnaît à leur teint flétri, à leurs yeux caves, ensanglantés[47] ; l'habitude de l'omnipotence a mis sur leur front et dans leurs manières je ne sais quoi d'altier et de dédaigneux. Ceux du Comité de sûreté générale ont quelque chose des anciens lieutenants de police, et ceux du Comité de salut public, quelque chose des anciens ministres d'État. — A la Convention, on brigue l'honneur de leur conversation, l'avantage de leur toucher la main ; on croit lire son devoir sur leurs fronts. Les jours où quelqu'un de leurs arrêtés doit être converti en décret, les membres du Comité, le rapporteur, se font attendre, comme les chefs de l'État et les représentants du pouvoir souverain ; lorsqu'ils s'acheminent vers la salle des séances, ils sont précédés d'une poignée de courtisans qui semblent annoncer les maures du monde[48]. — Effectivement, ils règnent ; mais regardez à quelles conditions. Ne réclame pas, disait Barère[49], à l'auteur d'un opéra dont la représentation venait d'être suspendue ; par le temps qui court, il ne faut pas attirer sur soi l'attention publique. Ne sommes-nous pas tous au pied de la guillotine, tous, à commencer par moi ? Et, vingt ans plus tard, dans une conversation particulière, comme on l'interrogeait sur le but véritable, sur la pensée intime du Comité de salut public : Nous n'avions qu'un seul sentiment[50], mon cher monsieur, celui de notre conservation, qu'un désir, celui de conserver notre existence, que chacun de nous croyait menacée. On faisait guillotiner son voisin pour que le voisin ne vous fît pas guillotiner vous-même[51]. — Même appréhension dans les âmes fermes, quoiqu'elles aient, avec ta crainte, des motifs moins bas que la crainte. Que de fois, dit Carnot[52], nous entreprenions une œuvre de longue haleine, avec la persuasion qu'il ne nous serait pas permis de l'achever ! — Incertains, dit Prieur[53], si l'heure qui allait sonner ne nous verrait pas devant le Tribunal révolutionnaire, pour marcher de là à l'échafaud, sans peut-être avoir le temps de dire adieu à nos familles... nous poursuivions notre tâche journalière, pour ne pas laisser la machine en souffrance, comme si nous avions eu toute une vie devant nous, lorsqu'il était vraisemblable que nous ne verrions pas luire le soleil du lendemain. Impossible de compter sur sa vie et sur la vie de personne pour vingt-quatre heures ; si la main de fer qui les tient à la gorge serre un peu plus avant, ce soir, tout sera fini. Il y avait des journées tellement difficiles qu'on ne voyait aucun moyen de déminer les circonstances ; ceux qu'elles menaçaient le plus personnellement abandonnaient leur sort aux chances de l'imprévu[54]. — Les décisions qu'on nous reproche tant, dit un autre[55], nous ne les voulions pas le plus souvent, deux jours, un jour, auparavant ; la crise seule les suscitait. Nous ne voulions pas tuer pour tuer.... mais vaincre à tout prix, être les maîtres, donner l'empire à nos principes. — Cela est vrai, ils sont des sujets, autant que des despotes. A la table du Comité, pendant leurs longues séances de nuit, siège avec eux leur souveraine, une figure formidable, l'Idée révolutionnaire qui leur confère le pouvoir de tuer, à charge de l'exercer contre tous, partant contre eux-mêmes. Vers deux heures, trois heures du matin, épuisés, à bout d'idées et de paroles, ne sachant plus s'il faut tuer à droite ou à gauche, ils la regardent anxieusement et tâchent de lire sa volonté dans ses yeux fixes. Qui faut-il frapper demain ? — Toujours même réponse, écrite à demeure sur les traits du fantôme impassible : Il faut frapper les contre-révolutionnaires, et, sous ce nom, sont compris tous ceux qui, par action, parole, pensée ou sentiment intime, par emportement ou relâchement, par humanité ou modération, par égoïsme ou nonchalance, par inertie, neutralité, indifférence, desservent ou servent mal la Révolution[56]. — Reste à mettre des noms sous cet arrêt horriblement large. Qui les mettra ? Est-ce Billaud ? Est-ce Robespierre ? Billaud mettra-t-il le nom de Robespierre, ou Robespierre le nom de Billaud, ou chacun des deux le nom de l'autre, avec tels autres noms qu'il lui plaira de choisir dans les deux Comités ? Osselin, Chabot, Bazire, Julien de Toulouse, Lacroix, Danton en étaient, et, après qu'ils en sont sortis, leurs têtes sont tombées[57]. Hérault-Séchelles y était encore, maintenu en place et avec honneur par l'approbation récente de la Convention[58], l'un des douze en titre et en fonctions, lorsqu'un arrêté des onze autres l'a pris subitement et livré au tribunal révolutionnaire, pour être remis à l'exécuteur. — A qui le tour maintenant parmi les onze ? Enlevé à l'improviste, aux applaudissements unanimes de la Convention docile, après trois jours de comédie judiciaire, la charrette le mènera sur la place de la Révolution, Samson le liera, les claqueurs à vingt-quatre sous battront des mains, et, le lendemain, tout le peuple politique se félicitera de voir, sur le bulletin des guillotinés, le nom d'un grand traître[59]. A cet effet, pour que tel ou tel, parmi les rois du jour, passe ainsi de l'Almanach national sur la liste mortuaire, il suffit d'une entente entre ses collègues, et peut-être l'entente est faite. Entre qui et contre qui ? — Certainement, à cette pensée, les onze, assis autour de leur table, s'interrogent des yeux, avec un frémissement ; ils calculent les chances, et se souviennent ; des mots qu'on n'oublie pas ont éclaté. Plusieurs fois Carnot a dit à Saint-Just : Toi et Robespierre, vous visez à la dictature[60]. Robespierre a dit à Carnot : Je t'attends à la première défaite[61]. Un autre jour, Robespierre en fureur a crié que le Comité conspirait contre lui ; et, se tournant vers Billaud : Je te connais maintenant. Billaud a répondu : Et moi aussi, je te connais comme un contre-révolutionnaire[62]. Contre-révolutionnaires et conspirateurs, il y en a donc dans le Comité lui-même ; comment faire pour éviter ce nom qui est une sentence de mort ? Silencieusement, la figure fatale qui trône au milieu d'eux, l'Érynnie, par laquelle ils règnent, a rendu son oracle, et tous les cœurs l'entendent : Ceux-là parmi vous seront des conspirateurs et des contre-révolutionnaires qui ne voudront pas être des bourreaux. V Ils marchent ainsi pendant douze mois, poussés par la théorie et par la peur comme par deux fourches, à travers la mare rouge qu'ils font et qui, de jour en jour, devient plus profonde, tous ensemble et solidaires, nul n'osant s'écarter du groupe, chacun éclaboussé par le sang que les pieds des autres lui font sauter au visage. Très promptement leur vue se trouble ; ils ne se dirigent plus, et la dégradation de leur parole montre la stupeur de leur pensée. — Quand un gouvernement apporte et motive à la tribune des décrets graves, il comparait devant la nation, devant l'Europe et devant l'histoire ; s'il a quelque soin de son propre honneur, il choisit des rapporteurs qui ne soient pas indignes, et il les charge de bien lier des raisons à peu près valables ; délibéré et adopté par le conseil entier, le rapport doit donner la mesure de sa capacité, de son information et de son bon sens. — Lisez, pour avoir cette mesure, les rapports débités au nom du Comité ; pesez les considérants, notez le ton, écoutez les deux rapporteurs ordinaires, Saint-Just qui rédige les décrets de proscription particulière ou générale[63], Barère qui rédige tout indifféremment, mais surtout les annonces militaires et les décrets contre l'étranger ; jamais personnages publics, parlant à la France et à la postérité, n'ont si outrageusement déraisonné et si impudemment menti. Le premier, raide, engoncé dans sa haute cravate, portant sa tête comme un Saint-Sacrement, plus didactique et plus absolu que Robespierre lui-même, vient, du haut de la tribune, prescrire aux Français l'égalité, la probité, la frugalité, les mœurs de Sparte, une chaumière avec les voluptés de la vertu[64] ; cela sied bien au chevalier de Saint-Just, jadis aspirant à une place de garde du corps chez le comte d'Artois, voleur domestique de couverts d'argent qu'il est allé vendre et manger à Paris dans une rue de prostituées, détenu six mois sur la plainte de sa propre mère, auteur d'un poème lubrique qu'il est parvenu à rendre immonde en tachant de le faire léger. — A la vérité, maintenant il est solennel, il ne rit plus, il tue, mais par quels arguments et de quel style[65] ! Laubardemont jeune, les délateurs et accusateurs à gages de la Rome impériale ont moins déshonoré l'intelligence humaine ; car l'homme de Tibère ou de Richelieu raisonnait encore, enchaînait plus ou moins adroitement des raisons plausibles. Nul enchaînement chez Saint-Just ; aucune suite ni progrès dans sa rhapsodie ; comme un instrument démesurément tendu et forcé, son esprit ne joue plus qu'à faux, par saccades excessives et brusques ; la continuité logique ; l'art, si vulgaire alors, de développer régulièrement un thème, a disparu ; il piétine en place, empilant les aphorismes à effet, les axiomes dogmatiques. Quand il arrive aux faits, il n'y a plus rien dans son discours que des contrevérités de fait ; les impostures y défilent, sous un jour cru, palpables, aussi effrontées que celles d'un charlatan sur son estrade[66] ; il ne daigne pas même les déguiser par une ombre de vraisemblance ; à l'endroit des Girondins, de Danton, de Fabre d'Églantine et de ses autres adversaires, quels qu'ils soient, anciens ou nouveaux, toute corde de potence lui suffit ; grossière et la première venue, mal ajustée, mal nouée, peu importe, pourvu qu'elle étrangle ; elle est assez bonne pour eux ; conspirateurs avérés, on n'a pas besoin de leur en tisser une plus fine ; avec des commérages de club et un catéchisme de Saint-Office, son réquisitoire est fait. — Aussi bien son intelligence n'embrasse rien et ne lui fournit rien au delà ; c'est un rhéteur[67] sentencieux et surchauffé, un esprit factice et d'emprunt, réduit pour tout talent à de rares éclairs d'imagination sombre, élève de Robespierre, comme Robespierre est lui-même élève de Rousseau, écolier exagéré d'un écolier appliqué, toujours dans l'outrance, furieux avec calcul, violentant de parti pris les idées et la langue[68], installé à demeure dans le paradoxe théâtral et funèbre, sorte de vizir[69], avec des poses de moraliste pur et des échappées de berger sensible[70]. De dérision, on est tenté de lever les épaules ; mais la Convention, en l'état où elle est, n'est capable que de peur. Impérieusement assénées, ses phrases tombent de haut, à coups monotones, sur les têtes courbées, et, après cinq ou six coups de ce marteau de plomb, les plus solides restent atterrées, stupides ; c'est qu'il n'y a pas à discuter ; quand, au nom du Comité, Saint-Just affirme, on est tenu de croire ; sa dissertation est une injonction de la force, non une œuvre de la raison ; elle commande l'obéissance, elle ne supporte pas l'examen ; ce qu'il a tiré de sa poche n'est pas un rapport, mais un assommoir. Autre est le ton de l'autre rapporteur, Barère, le harangueur à brevet, agréable Gascon, alerte et dégagé, qui plaisante même au Comité de salut public[71], se trouve à l'aise parmi les assassinats, et, jusqu'à la fin, parlera de la Terreur comme de la chose la plus simple, la plus innocente[72]. Il n'y eut jamais d'homme moins gêné par' sa conscience ; en effet, il en a plusieurs, celle de l'avant-veille, celle de la veille, celle du jour, celle du lendemain, celle du surlendemain, d'autres encore et autant qu'on en veut, toutes pliantes et maniables, au service du plus fort contre le plus faible, prêtes à virer sur l'heure au premier changement de vent, Mais raccordées entre elles et ramenées à une direction constante par l'instinct physique, seul persistant dans la créature immorale, adroite et légère qui circule allègrement à travers les choses, sans autre but que de se conserver et de s'amuser[73]. — En robe de chambre, le matin, il reçoit la foule des solliciteurs, et, avec les façons d'un ministre petit-maitre, gracieusement, il prend les placets, d'abord ceux des dames, distribuant des galanteries aux plus jolies ; il promet, sourit, puis, rentrant dans son cabinet, jette les papiers au feu : Voilà, dit-il, ma correspondance faite. — Deux fois par décade, dans sa belle maison de Clichy, avec trois jolies femmes plus que faciles, il soupe, il est gai, il a des complaisances et des attentions de protecteur aimable ; il entre dans leurs rivalités de métier, dans les dépits de la beauté régnante, dans sa jalousie contre une autre qui vient d'arborer les perruques blondes et prétend donner le ton à la mode. Sur-le-champ, il fait venir l'agent national et lui annonce gravement que cette parure, empruntée aux guillotinés, est un signe de ralliement contre-révolutionnaire : le lendemain, dénonciation au Conseil de la Commune et suppression des perruques ; Barère suffoquait de rire, quand il se rappelait cette gentillesse. Gentillesse de croque-mort et dextérité de commis voyageur : il joue avec la Terreur. — Pareillement, il joue avec ses rapports et, dans cet exercice, il improvise ; jamais d'embarras ; il n'y a qu'à tourner le robinet, pour que le robinet coule. Avait-il quelque sujet à traiter, il s'approchait de Robespierre, Hérault, Saint-Just, escamotait à chacun ses idées, paraissait ensuite à la tribune ; tous étaient surpris de voir ressortir leurs pensées comme dans un miroir fidèle. Nul, dans le Comité ni dans la Convention, ne l'égale en promptitude et facilité ; c'est qu'il n'a pas besoin de penser pour parler ; en lui, la parole est comme un organe indépendant qui fonctionne à part, sans que le cœur indifférent et la cervelle vide aient une part dans sa faconde. Naturellement, il ne sort de là que des phrases toutes faites, le jargon courant des Jacobins, des banalités emphatiques et nauséabondes, des métaphores de collège et des métaphores de boucherie[74]. Sous cette rhétorique, pas une idée ; nul acquis, aucune faculté applicable et positive. Quand Bonaparte, qui emploie tout le monde, même Fouché, voudra employer Barère, il n'en pourra rien tirer, faute de fond, sauf un gazetier de bas étage, un espion ordinaire, un agent provocateur à l'endroit des Jacobins survivants, plus tard un écouteur aux portes, un ramasseur à la semaine des bruits publics ; encore est-il incapable de ce service infime et se fait-il bientôt casser aux gages ; Napoléon, qui n'a pas de temps à perdre, coupe court à son verbiage de radoteur. — C'est ce verbiage qui, autorisé par le Comité de salut public, est maintenant la parole de la France ; c'est ce fabricant de phrases à la douzaine, ce futur mouchard et mouton de l'Empire, cet inventeur badin de la conspiration des perruques blondes, que le gouvernement dépêche à la tribune pour y être l'annonciateur des victoires, le clairon sonnant de l'héroïsme militaire et le proclamateur de la guerre à mort. Le 7 prairial[75], au nom du Comité, Barère propose le retour au droit sauvage : Il ne sera plus fait aucun prisonnier anglais ni hanovrien ; le décret est endossé par Carnot, et, à l'unanimité de la Convention, il passe. S'il eût été exécuté, en représailles, et d'après la proportion des prisonniers, il y aurait eu, pour un Anglais fusillé, trois Français pendus : l'honneur et l'humanité disparaissaient des camps ; les hostilités entre chrétiens devenaient des exterminations comme entre nègres. Par bonheur, les soldats français sentent la noblesse de leur métier ; au commandement de fusiller les prisonniers, un brave sergent répond : Nous ne les fusillerons pas ; envoyez-les à la Convention ; si les représentants trouvent du plaisir à tuer un prisonnier, ils peuvent bien le tuer eux-mêmes, et le manger aussi, comme des sauvages qu'ils sont. — Ce sergent, homme inculte, n'était pas à la hauteur du Comité ni de Barère ; et pourtant Barère a fait de son mieux, un réquisitoire de vingt-sept pages, à grand orchestre, avec toutes les ritournelles en vogue, mensonges flagrants et niaiseries d'apparat, expliquant que le léopard britannique a soudoyé l'assassinat des représentants ; que le cabinet de Londres vient d'armer la petite Cécile Renault, nouvelle Corday, contre Robespierre ; que l'Anglais, naturellement barbare, ne peut démentir son origine ; qu'il descend des Carthaginois et des Phéniciens ; que jadis il vendait des peaux de bêtes et des esclaves ; qu'il n'a pas changé son commerce ; que jadis César, débarquant dans le pays, n'y trouva qu'une peuplade féroce, se disputant les forêts avec les loups et menaçant de brûler tous les bâtiments qui tentaient d'y aborder ; qu'elle est toujours la même. Une conférence d'opérateur forain qui, avec de grands mots, recommande les amputations larges, un prospectus de foire si grossier qu'un pauvre sergent n'en est pas dupe, tel est l'exposé des motifs sur lesquels ce gouvernement appuie un décret qu'on dirait rendu chez les Peaux-Rouges ; à l'énormité des actes il ajoute la dégradation du langage, et ne trouve que des inepties pour justifier des atrocités. VI Envoyés par le Comité de salut public, une centaine de représentants, tantôt seuls, tantôt associés par deux ou trois, vont et se succèdent en province, avec des pouvoirs illimités, pour établir, appliquer ou aggraver le gouvernement révolutionnaire, et leurs proclamations disent tout de suite en quoi ce gouvernement consiste[76]. Braves et vigoureux sans-culottes, écrit un député qui sort de mission et annonce son successeur[77], vous avez paru désirer un bon b... de représentant qui n'ait jamais dévié des principes, c'est-à-dire un véritable montagnard. J'ai rempli vos vœux, et vous posséderez à cet effet le citoyen Ingrand parmi vous. Songez, braves sans-culottes, qu'avec le patriote Ingrand vous pouvez tout faire, tout obtenir, tout casser, tout renfermer, tout juger, tout déporter, tout guillotiner et tout régénérer. Ne lui f.... pas une minute de patience ; que par lui tout tremble, tout s'écroule et rentre à l'instant dans l'ordre le plus stable. — Le représentant arrive en poste au chef-lieu, présente ses pouvoirs ; à l'instant, toutes les autorités s'inclinent jusqu'à terre ; le soir, avec son sabre et son panache, il harangue à la société populaire, attise et fait flamber le foyer du jacobinisme. Puis, d'après ses connaissances personnelles, s'il est du pays, d'après les notes du Comité de sûreté générale, s'il est nouveau venu, il choisit les cinq ou six plus chauds sans-culottes de l'endroit, les forme en comité révolutionnaire, et les installe en permanence à côté de lui, parfois dans la même maison, dans une chambre voisine de la sienne[78], et, sur les listes ou renseignements oraux qu'ils lui fournissent, sans désemparer, d'arrache-pied, il opère. D'abord, épuration de toutes les autorités locales. Elles doivent toujours se souvenir qu'il n'est rien d'exagéré pour la cause du peuple ; celui qui n'est pas pénétré de ce principe, celui qui ne l'a pas mis en pratique, ne peut rester au poste avancé[79] ; en conséquence, à la société populaire, au département, au district, à la municipalité, tous les hommes douteux sont exclus, cassés, incarcérés ; si quelques faibles sont maintenus provisoirement et par grâce, on les tance rudement, et on leur enseigne leur devoir d'un ton de maître : Ils tâcheront, par un patriotisme plus attentif et plus énergique, de réparer le mal qu'ils ont fait en ne faisant pas tout le bien qu'ils pouvaient faire. — Quelquefois, par un changement à vue, le personnel administratif tout entier, emporté d'un coup de pied, fait place à un personnel non moins complet que le même coup de pied fait sortir de terre. Considérant que tout languit dans le Vaucluse, et qu'un affreux modérantisme paralyse les mesures les plus révolutionnaires, Maignet, d'un seul arrêté[80], nomme les administrateurs et le secrétaire du département, l'agent national, les administrateurs et le conseil général du district, les administrateurs, le conseil général et l'agent national d'Avignon, le président, l'accusateur public et le greffier du tribunal criminel, le président, les juges, le commissaire national et le greffier du tribunal civil, les membres du tribunal de commerce, les juges de paix, le receveur du district, le directeur de la poste aux lettres, le chef d'escadron de la gendarmerie. Et soyez sûr que les nouveaux fonctionnaires fonctionneront à l'instant, chacun à sa place. Le procédé sommaire, qui a brusquement balayé la première rangée de pantins, va non moins brusquement installer la seconde. Chaque citoyen nommé pour remplir quelqu'une des fonctions ci-dessus désignées sera tenu de se rendre à son poste, à peine d'être suspect, sur la simple notification de sa nomination. — Obéissance universelle et passive des administrateurs et des administrés : il n'y a plus de fonctionnaires élus et indépendants ; confirmées ou crées par le représentant, toutes les autorités sont dans sa main ; aucune d'elles ne subsiste ou ne surgit que par sa grâce ; aucune d'elles n'agit que de son consentement ou par son ordre. Directement ou par leur entremise, il réquisitionne, séquestre ou confisque ce que bon lui semble, taxe, emprisonne, déporte ou décapite qui bon lui semble, et, dans sa circonscription, il est pacha. Mais c'est un pacha à la chaîne, et tenu de court. — A partir de décembre 1793, il lui est prescrit de se conformer aux arrêtés du Comité de salut public et de correspondre avec lui tous les dix jours[81]. La circonscription dans laquelle il commande est rigoureusement limitée ; il est réputé être sans pouvoir dans les autres départements[82], et l'on ne souffre pas qu'il s'éternise à son poste. Dans toute magistrature, il faut compenser la grandeur et l'étendue du pouvoir, par la brièveté de sa durée. Des missions trop prolongées seraient bientôt considérées comme des patrimoines[83]. Partant, au bout de deux ou trois mois, quelquefois au bout d'un mois, l'homme est rappelé à Paris ou expédié ailleurs, à court délai et à date fixe, d'un ton bref, absolu, parfois menaçant, non pas comme un collègue qu'on ménage, mais comme un subordonné que tout d'un coup, arbitrairement, on révoque ou l'on déplace, parce qu'on le juge insuffisant ou usé. Pour plus de sûreté, souvent un membre du Comité, Couthon, Collot, Saint-Just, ou le proche parent d'un membre du Comité, Lebas, Robespierre jeune, va, de sa personne, imprimer sur place l'impression voulue ; quelquefois de simples agents du Comité, pris en dehors de la Convention, et sans consistance personnelle, de tout jeunes gens, Rousselin, Julien de la Drôme, remplacent ou surveillent le représentant, avec des pouvoirs égaux aux siens. — En même temps, d'en haut et du centre, on le presse et on le dirige ; on lui choisit ses conseillers locaux et ses directeurs de conscience[84] ; on le tance sur le choix de ses agents ou de son logement[85] ; on lui impose des destitutions, des nominations, des arrestations, des exécutions ; on l'aiguillonne dans la voie de la terreur et des supplices. Autour de lui, des émissaires payés[86] et des surveillants gratuits écrivent incessamment aux Comités de salut public et de sûreté générale, souvent pour le dénoncer, toujours pour rendre compte de sa conduite, pour juger les mesures qu'il prend, pour provoquer les mesures qu'il ne prend pas[87]. Quoi qu'il ait fait et quoi qu'il fasse, il ne peut tourner les yeux vers Paris sans y voir le danger, un danger mortel, qui, dans les Comités, à la Convention, aux Jacobins, s'amasse ou va s'amasser contre lui, comme un orage. — Briez, qui, dans Valenciennes assiégée, a montré du courage, que la Convention vient d'acclamer et d'adjoindre au Comité de salut public, s'entend reprocher d'être encore vivant. Celui qui était à Valenciennes, quand l'ennemi y est entré, ne répondra jamais à cette question : Êtes-vous mort ?[88] Il n'a plus qu'à se reconnaître incapable, à refuser l'honneur que la Convention lui a conféré par mégarde, à rentrer sous terre. - Dubois-Crancé a pris Lyon, et, pour salaire de ce service immense, il est rayé des Jacobins ; parce qu'il n'a pas pris la ville assez vite, on l'accuse de trahison ; deux jours avant la capitulation, le Comité de salut public lui a retiré ses pouvoirs ; trois jours après la capitulation, le Comité de salut public le fait arrêter et ramener à Paris sous escorte[89]. — Si de tels hommes, après de tels actes, sont ainsi traités, qu'adviendra-t-il des autres ? Après la mission du jeune Julien, Carrier à Nantes, Ysabeau et Tallien à Bordeaux sentent leurs têtes branler sur leurs épaules. Après la mission de Robespierre le jeune dans l'Est et le Midi, Barras, Fréron, Bernard de Saintes se croient perdus[90]. Perdus aussi Fouché, Rovère, Javogues, et combien d'autres, compromis par la faction dont ils sont ou dont ils ont été, Hébertistes, Dantonistes, sûrs de périr si leurs patrons du Comité succombent, incertains de vivre si leurs patrons du Comité se maintiennent, ne sachant pas si leurs têtes ne seront pas livrées en échange d'autres têtes, astreints à la plus étroite, à la plus rigoureuse, à la plus constante orthodoxie, coupables et condamnés si leur orthodoxie du jour devient l'hérésie du lendemain, tous menacés, d'abord les cent quatre-vingts autocrates qui, avant la concentration du gouvernement révolutionnaire, ont, pendant huit mois, régné sans contrôle en province, ensuite et surtout les cinquante Montagnards à poigne, fanatiques sans scrupules ou viveurs autoritaires, qui, en ce moment, piétinent sur place la matière humaine et s'espacent dans l'arbitraire, comme un sanglier dans sa forêt, ou se vautrent dans le scandale comme un porc dans son bourbier. Nul refuge pour eux, sinon provisoire, et nul refuge, même
provisoire, sinon dans l'obéissance et le zèle prouvés comme le Comité veut
qu'on les prouve, c'est-à-dire par la rigueur. — Les
Comités l'ont voulu, dira plus tard Maignet, l'incendiaire de Bédouin
; les Comités ont tout fait... Les circonstances me dominaient... Les agents patriotes me conjuraient de ne pas mollir...
Je restais au-dessous du mandat le plus impératif[91]. Pareillement,
le grand exterminateur de Nantes, Carrier, pressé d'épargner les rebelles qui
venaient se livrer d'eux-mêmes : Voulez-vous que je
me fasse guillotiner ? Il n'est pas en mon pouvoir de sauver ces gens-là[92]. Et, une autre
fois : J'ai des ordres, il faut que je les suive, je
ne veux pas me faire couper la tête. — Sous peine de mort, le
représentant en mission est terroriste, comme ses collègues de la Convention
et du Comité de salut public, mais avec un bien plus profond ébranlement de
sa machine nerveuse et morale ; car il n'opère pas, comme eux, sur le papier,
à distance, contre des catégories d'êtres abstraits, anonymes et vagues ; ce n'est
point seulement par l'intelligence qu'il perçoit son œuvre, c'est aussi par
l'imagination et les sens. S'il est du pays, comme Lecarpentier, Barras,
Lebon, Javogues, Couthon, André Dumont et tant d'autres, il connaît les
familles qu'il proscrit ; les noms ne sont pas pour lui des assemblages de
lettres, mais des rappels de souvenirs personnels et des évocations de
figures vivantes. Dans tous les cas, il est le spectateur, l'artisan et le
bénéficier de sa propre dictature ; la vaisselle et l'argent qu'il confisque
passent sous ses yeux, dans ses mains ; il voit défiler les suspects qu'il
incarcère ; il est là, quand son tribunal rend des sentences de mort ;
souvent la guillotine, à laquelle il fournit des têtes, travaille sous ses fenêtres
; il loge dans l'hôtel d'un émigré, il réquisitionne les meubles, le linge, la
cave des décapités ou détenus[93], couche dans
leur lit, boit leur vin, festine en grande compagnie à leurs frais et à leur
place. Pareillement un bandit en chef, qui ne tue ni vole de ses propres
mains, fait voler et tuer en sa présence, et jouit substantiellement, non par
procuration, mais en personne, des bons coups qu'il a commandés. A ce degré
et avec cette proximité de l'action physique, la toute-puissance est un air
méphitique auquel nulle santé ne résiste. Ramené aux conditions qui
l'empoisonnaient dans les temps ou dans les contrées barbares, l'homme est
ressaisi par des maladies morales dont on le croyait désormais exempt ; il
rétrograde jusqu'aux étranges pourritures de l'Orient et du moyen âge ; des
lèpres oubliées et qui semblaient éteintes, des pestes exotiques et
auxquelles l'entrée des pays civilisés semblait fermée, reparaissent dans son
âme avec leurs croûtes ou leurs bubons. VII Il semble, dit un témoin
qui a longtemps connu Maignet, que tout ce qu'il a
fait pendant ces cinq ou six années ne soit que le délire d'une maladie,
après laquelle il a repris le fil de sa vie et de sa santé, comme si de rien
n'était[94].
— Et Maignet écrit lui-même : Je n'étais pas fait
pour ces orages. Cela est vrai de tous, et d'abord des naturels
grossiers ; la subordination les eût comprimés ; la dictature les étale, et
l'instinct brutal du soudard et du faune fait éruption. Regardez un Duquesnoy, sorte de dogue toujours aboyant et mordant, plus furieux que jamais quand il est repu. Délégué à l'armée de la Moselle et passant par Metz[95], il a mandé devers lui l'accusateur public Altmayer, et cependant il s'attable ; l'autre attend trois heures et demie dans l'antichambre, n'est pas admis, revient, et, reçu à la fin, s'entend dire, d'une voix tonnante : Qui es-tu ? — L'accusateur public. — Tu as l'air d'un évêque, tu as été curé ou moine, tu ne peux pas être révolutionnaire... Je viens à Metz avec des pouvoirs illimités. L'esprit public n'y est pas bon, je vais le mettre au pas. J'arrangerai les gens d'ici ; tant à Metz qu'à Nancy, j'en ferai fusiller cinq ou six cents, sous quinze jours. — De même, chez le général Bessières, commandant de la place : là, rencontrant le commandant en second, M. Clédat, vieil officier, il le regarde de la tête aux pieds : Tu as l'air d'un muscadin. D'où es-tu ? Tu dois être un mauvais républicain, tu as une figure de l'ancien régime. — J'ai les cheveux blancs, mais je n'en suis pas moins bon républicain : on peut demander au général et à toute la ville. — F...-moi le camp, b..., et dépêche-toi, ou je te fais arrêter... — De même, dans la rue, où il empoigne un passant sur sa mine ; le juge de paix Joly lui certifiant le civisme de cet homme, il toise Joly : Toi aussi, tu es un aristocrate ; je vois cela à tes yeux, je ne me trompe jamais. Et, lui arrachant sa médaille de juge, il l'envoie en prison. Cependant un incendie, vite éteint, s'est déclaré aux fours de la manutention ; officiers, bourgeois, ouvriers, campagnards, jusqu'aux enfants, se sont mis à la chaîne, et Duquesnoy vient à sa façon exciter leur zèle : à coups de pied et de poing, il tombe sur les gens qu'il rencontre, sur un employé de l'intendance, sur un officier convalescent, sur deux hommes qui sont à la chaîne, sur quantité d'autres. A l'un d'eux, il crie : Tu es un muscadin. A un autre : Je vois dans tes yeux que tu es aristocrate. A celui-ci : Tu es un f... gueux, un aristocrate, un coquin, et il le bourre de coups de poing dans l'estomac ; un quatrième est pris au collet et jeté sur le pavé[96]. Par surcroît, tous en prison. Le feu éteint, un imprudent, qui veut faire l'attentif, invite le distributeur de bourrades à s'essuyer le front. — Toi, tu as les yeux faux. Qui es-tu ? Réponds. Je suis représentant. — L'autre doucement : Représentant, il n'y a rien de plus respectable. — Duquesnoy porte au malencontreux courtisan le poing sous le nez : Tu raisonnes, va-t-en en prison. — Ce que je fis sur-le-champ, ajoute l'administré docile. — Le soir même, considérant que, dans l'incendie, aucun des habitants cc dont la fortune est aisée ne s'est présenté pour arrêter le feu[97] , qu'il n'est venu que des sans-culottes, tant de la garnison que de la commune, Duquesnoy arrête qu'il sera imposé sur la commune de Metz une taxe de 40.000 livres, à prélever sur la fortune des riches et à distribuer aux pauvres, dans la décade[98]. — Fais-moi f... dedans tous ces b...-là[99], quatre J...-f... à raccourcir ![100] A Arras, comme à Metz, le butor a toujours des gestes de tape-dur et de boucher. D'autres ont des gestes de luron et de goujat : tel André Dumont, ancien procureur de village, maintenant roi de la Picardie et sultan d'occasion, figure de nègre blanc, parfois jovial, mais à l'ordinaire rudement et durement cynique, qui manie ses prisonnières ou suppliantes comme dans une kermesse[101]. — Un matin, dans son antichambre, une dame vient l'attendre, au milieu de vingt sans-culottes, pour solliciter l'élargissement de son mari. Dumont arrive en robe de chambre, s'assoit, écoute la supplique : Assieds-toi, citoyenne. Il la prend sur ses genoux, lui fourre la main dans la poitrine et dit, ayant tâté : Je n'aurais jamais cru que les tétons d'une ci-devant marquise se fondissent ainsi sous la main d'un représentant du peuple. Grands éclats de rire des sans-culottes ; il renvoie la pauvre femme et garde le mari sous les verrous ; le soir, il peut écrire à la Convention qu'il fait lui-même ses enquêtes, et qu'il examine les aristocrates de près. - Pour se maintenir à ce degré d'entrain révolutionnaire, il est bon d'avoir une pointe de vin dans la tête, et, à cet effet, la plupart prennent leurs précautions. — A Lyon[102], les représentants envoyés pour assurer le bonheur du peuple, Albitte et Collot, requièrent la commission des séquestres de faire apporter chez eux 200 bouteilles du meilleur vin qu'ils pourront trouver ; et, en outre, 500 bouteilles de vin rouge de Bordeaux, première qualité, pour leur table. — En trois mois, à la table des représentants qui dévastent la Vendée, on vide 1974 bouteilles de vin[103], prises chez les émigrés de la ville ; car, lorsqu'on a coopéré à la conservation d'une commune, on a bien le droit de boire à la République. A cette buvette préside le représentant Bourbotte ; avec lui trinque Rossignol, ex-ouvrier bijoutier, puis massacreur de Septembre, toute sa vie crapuleux et brigand, maintenant général en chef ; avec Rossignol, ses adjudants généraux, Grammont, ancien comédien, et Hasard, ci-devant prêtre ; avec eux, Vacheron, bon républiquain, qui viole les femmes et les fusille quand elles refusent de se laisser violer[104] ; outre cela, plusieurs demoiselles brillantes et sans doute amenées de Paris, dont la plus jolie partage ses nuits entre Rossignol et Bourbotte, pendant que les autres servent aux inférieurs : mâle et femelle, toute la bande s'est installée dans un hôtel de Fontenay, où elle a commencé par briser les scellés, pour confisquer à son profit les meubles, les bijoux, les robes, les ajustements de femme, et jusqu'aux porcelaines[105]. Cependant, à Chantonnay, le représentant Bourdon de l'Oise boit avec le général Tuncq, devient frénétique, quand il est gris, et fait saisir dans leur lit, à minuit, des administrateurs patriotes qu'il embrassait la veille. — Presque tous ont, comme celui-ci, le vin mauvais, Carrier à Nantes, Petit-Jean à Thiers, Duquesnoy à Arras. Cusset à Thionville, Monestier à Tarbes. A Thionville, Cusset boit comme un Lapithe, et donne, étant ivre, des ordres de vizir, des ordres qu'on exécute[106]. A Tarbes, Monestier, après un grand repas, fort échauffé, harangue le tribunal avec emportement, interroge lui-même le prévenu, M. de Lasalles, ancien officier, le fait condamner à mort, signe l'ordre de le guillotiner sur-le-champ, et M. de Lasalles est guillotiné le soir même, à minuit, aux flambeaux. Le lendemain, Monestier dit au président du tribunal : Eh bien, hier soir nous avons fait une fameuse peur au pauvre Lasalles ! — Comment, une fameuse peur ! Mais il a été exécuté. — Étonnement de Monestier : il ne se souvenait plus d'avoir écrit l'ordre[107]. — Chez d'autres, le vin, outre les instincts sanguinaires, fait sortir les instincts immondes. A Mmes, Borie, en costume de représentant, avec le maire Courbis, le juge Giret et des filles de joie, a dansé la farandole autour de la guillotine. A Auch, un des pires tyrans du Midi, Dartigoyte, toujours chaud de boisson, vomit toute espèce d'obscénités au visage des femmes qui viennent lui demander justice ; il force, sous peine de réclusion, les mères à conduire leurs filles à la Société populaire, pour y écouter ses prédications de mauvais lieu ; un soir, au théâtre, probablement après une orgie, il apostrophe toutes les femmes pendant l'entr'acte, lâche sur elles son vocabulaire de gueulées, et, en manière de démonstration ou conclusion pratique, finit par se mettre nu devant elles[108]. — Cette fois, la pure brute apparaît ; tout le vêtement que les siècles lui avaient tissé et dont la civilisation l'avait revêtue, la dernière draperie humaine, tombe à terre ; il ne reste que l'animal primitif, le gorille féroce et lubrique que l'on croyait dompté, mais qui subsiste indéfiniment dans l'homme, et que la dictature, jointe à l'ivresse, ressuscite plus laid qu'aux premiers jours. VIII S'il faut l'ivresse pour réveiller la brute, il suffit de la dictature pour éveiller le fou. Chez la plupart des nouveaux souverains, l'équilibre mental est troublé ; entre ce que l'homme était et ce qu'il est, la distance est trop grande ; jadis petit avocat, médecin de bourgade, régent de collège, motionnaire inconnu dans un club local, hier encore il n'était à la Convention qu'un votant parmi sept cent cinquante ; et aujourd'hui, le voilà, dans un département, arbitre de toutes les fortunes et de toutes les libertés, maître de cinq cent mille vies. Comme une balance sur laquelle tombe un poids disproportionné, sa raison trébuche violemment du côté de l'orgueil. Quelques-uns estiment que leur compétence est sans bornes, comme leurs pouvoirs, et, arrivés de la veille à l'armée[109], ils veulent être, de droit, généraux en chef. Déclarez officiellement, écrit Fabre au Comité de salut public[110], qu'à l'avenir les généraux ne seront plus que les lieutenants des délégués de la Convention. En attendant la déclaration demandée, ils s'arrogent en fait le commandement, et, de fait, ils l'exercent. Je ne connais ni généraux ni particuliers, dit aux officiers Gaston, ancien juge de paix ; quant au ministre, c'est un chien dans un jeu de quilles ; seul ici, je dois commander, et l'on m'obéira. — A quoi bon des généraux ? ajoute son collègue Guiter ; les femmes de nos faubourgs en savent autant qu'eux. Des calculs, des combinaisons froides, des tentes, des camps, des redoutes ? Tout cela est inutile. Les irruptions, l'arme blanche, voilà la seule guerre qui désormais convienne aux Français. Destituer, guillotiner, désorganiser, marcher en avant les yeux clos, prodiguer les vies au hasard, faire battre l'armée, parfois se faire tuer eux-mêmes, ils ne savent pas autre chose, et perdraient tout, si les effets de leur incapacité et de leur arrogance n'étaient pas atténués par le dévouement des officiers et par l'enthousiasme des soldats. — Même spectacle à Charleroy, où, par l'absurdité de ses ordres, Saint-Just fait de son mieux pour compromettre l'armée, et part de là pour se croire un grand homme[111]. — Même spectacle en Alsace, où Lacoste, Baudot, Ruamps, Soubrany, Milhaud, Saint-Just et Lebas, par l'extravagance de leurs rigueurs, font de leur mieux pour dissoudre l'armée, et s'en glorifient. Installation du tribunal révolutionnaire au quartier général, le soldat invité à dénoncer ses officiers, promesse d'argent et de secret au délateur, nulle confrontation entre lui et l'accusé, point d'instruction, point d'écritures, même pour libeller le jugement, un simple interrogatoire dont on ne prend point note, l'accusé arrêté à huit heures, jugé à neuf et fusillé à dix[112]. Naturellement, sous un pareil régime personne ne veut plus commander ; déjà, avant l'arrivée de Saint-Just, Meunier n'avait consenti à être général en chef que par intérim ; à toutes les heures du jour, il demandait à être remplacé ; n'ayant pu l'être, il refusait de donner aucun ordre ; pour lui trouver un successeur, les représentants sont forcés de descendre jusqu'à un capitaine de dépôt, Carlin, assez hasardeux ou assez borné pour se laisser mettre en main, avec le brevet de commandement, un brevet de guillotine. — Si telle est leur présomption dans les choses militaires, quelle doit être leur outrecuidance dans les choses civiles ! De ce côté, nul frein extérieur, point d'armée espagnole ou allemande qui puisse tout de suite les prendre en flagrant délit d'incapacité ambitieuse et d'intervention malfaisante. Quel que soit l'instrument social, justice, administration, crédit, commerce, industrie, agriculture, ils peuvent le disloquer et le casser impunément. — Ils n'y manquent pas, et de plus, dans leurs dépêches, ils s'applaudissent du dégât qu'ils font. Cela même est de leur mission ; autrement, on les tiendrait pour de mauvais Jacobins, ils seraient vite suspects ; ils ne règnent qu'à condition d'être infatués et démolisseurs ; en eux, le renversement du sens commun est une grâce d'état, une nécessité d'office, et, sur ce fond commun de déraison obligatoire, tous les délires physiques peuvent s'implanter. Chez ceux qu'on peut suivre de près, non seulement le jugement est perverti, mais l'appareil nerveux est atteint, et la surexcitation permanente, l'agitation maladive ont commencé. — Considérez un Joseph Lebon, fils d'un sergent à verge, puis régent chez les Oratoriens de Beaune, ensuite curé de Neuville-Vitasse, rebuté comme intrus par l'élite de ses paroissiens, sans considération. sans mobilier, presque sans ouailles[113]. Deux ans après, il se trouve souverain de sa province, et la tête lui tourne ; elle tournerait à moins : ce n'est qu'une tête de vingt-huit ans, peu solide, sans lest inné[114], déjà ébranlée par la vanité, par l'ambition, par la rancune, par l'apostasie, par la volte-face subite et complète qui l'a mis en guerre avec les plus fortes habitudes de son éducation et avec les meilleures affections de son passé : elle se détraque sous l'énormité et sous la nouveauté de sa grandeur. En costume de représentant, chapeau Henri IV, panache tricolore, écharpe flottante et sabre traînant, Lebon assemble, au son de la cloche, des villageois dans leur église, et, du haut de la chaire où il eût jadis prêché en soutane râpée, il leur étale sa métamorphose : Qui aurait cru que je reviendrais ici représentant du peuple avec des pouvoirs illimités ![115] Et que, devant cette majesté postiche, chacun soit humble, plie et se taise. A un membre de la municipalité de Cambrai qui, interpellé par lui, n'a pas baissé les yeux, qui lui a répondu brièvement, qui, à une question posée deux fois dans les mêmes termes, a osé répondre deux fois dans les mêmes termes : Tais-toi ; tu me despectes, tu manques à la représentation nationale. Séance tenante, il destitue l'homme, l'envoie en prison[116]. — Un soir, au théâtre, il entre dans une loge, et les dames qui sont assises sur le devant ne se lèvent pas. Furieux, il sort, s'élance sur le théâtre, et, tirant son grand sabre, vociférant, menaçant toute la salle, il arpente les planches avec des bonds, des gestes, une physionomie de bête échappée, tellement que plusieurs femmes se trouvent mal. Voyez-vous, hurle-t-il, ces muscadines qui ne daignent pas se déranger pour un représentant de vingt-cinq millions d'hommes ! Autrefois, pour un prince, tout le monde eût fait place ; elles ne bougeront pas pour moi, représentant, qui suis plus qu'un roi ![117] — Le mot est lâché ; mais c'est un roi effaré, qui ne rêve que conspirations[118], et voit dans la rue, en plein jour, les passants comploter contre lui par mots ou par signes. Rencontrant dans la grande rue d'Arras une jeune fille et sa mère qui parlent flamand, cela lui semble suspect. Il dit à la jeune fille : Où vas-tu ? — Qu'est-ce que cela vous fait ? répond l'enfant, qui ne le connaît pas. En prison la fille, la mère et le père[119]. — Sur les remparts, une autre jeune fille, accompagnée de sa mère, prenait l'air, lisait. Donne ce livre, dit le représentant. La mère le donne : c'est l'Histoire de Clarisse Harlowe, et la jeune fille, étendant la main pour reprendre son livre, ajoute, sans doute avec un sourire : Celui-là n'est pas suspect. Lebon la renverse d'un coup de poing dans l'estomac, fait fouiller les deux femmes et, de sa personne, les conduit au poste. — Le moindre mot, un geste, le mettent hors de lui ; à l'aspect d'un mouvement qu'il ne comprend pas, il sursaute, comme sous un choc électrique. Nouveau venu à Cambrai, on lui annonce qu'une femme, ayant vendu une bouteille de vin au-dessus du maximum, vient d'être relâchée après procès-verbal ; il arrive à l'hôtel de ville et crie : Que tous ceux qui sont ici passent au Consistoire ! L'officier municipal de service ouvre une porte qui y conduit ; mais Lebon, ne connaissant pas les êtres, prend l'alarme. Il écume, dit l'officier municipal, et s'écrie en énergumène : Arrête, arrête, scélérat, tu fuis ! — Il tire son sabre, il me saute au collet ; je suis traîné, porté par lui et par les siens. Je le tiens, je le tiens ! s'écriait-il, et, en effet, il me tenait, des dents, des pieds, des mains, comme un enragé. — Enfin : Scélérat, monstre, b..., me dit-il, es-tu marquis ? — Non, lui répondis-je, je suis sans-culotte. — Eh bien, peuple, vous l'entendez, il dit qu'il est sans-culotte, et voilà comme il accueille une dénonciation sur le maximum ! Je le destitue ; qu'on le f... en prison ![120] Certainement, le roi d'Arras et de Cambrai n'est pas loin de la fièvre chaude ; sur de pareils symptômes, on conduirait un particulier dans un asile. - Moins vaniteux, moins heureux de parader dans sa royauté, mais plus farouche et placé à Nantes parmi de plus grands dangers, Carrier, sous l'obsession d'idées plus sombres, a la folie encore plus furibonde et plus continue. Parfois ses accès vont jusqu'à l'hallucination. Je l'ai vu, dit un témoin, emporté par la chaleur avec laquelle il pérorait à la tribune pour dominer les opinions, je l'ai vu couper les chandelles avec son sabre, comme si c'étaient des têtes d'aristocrates[121]. Une autre fois, à table, après avoir dit que la France ne peut nourrir sa population trop nombreuse et qu'on a pris le parti d'en retrancher l'excédent, les nobles, les magistrats, les prêtres, les négociants, etc., il s'exalte, se croit à l'œuvre et crie : Tue ! tue !, comme s'il commandait déjà l'opération[122]. Même à jeun et à l'ordinaire, il n'est guère plus rassis. Quand les administrateurs du département viennent pour lui parler[123], ils entrouvrent d'abord la porte, pour voir sur sa figure s'il n'est pas en fureur et hors d'état de les entendre. Non seulement pour les solliciteurs, mais aussi pour les fonctionnaires de service qui viennent lui faire des rapports ou prendre ses ordres, il n'a que des injures ; sa nature fangeuse lui remonte aux lèvres et déborde en mots d'égout : Va te faire f... ! m... ! je n'ai pas le temps[124]. — Encore sont-ils trop heureux de n'être accueillis que par une bordée de jurons sales ; le plus souvent, il tire son sabre : Le premier b... qui me parle de subsistances, je lui f... la tête à bas[125]. Et, au président de la commission militaire, qui demande à rendre des jugements avant d'ordonner les exécutions : C'est toi, vieux coquin, vieux j...-f..., qui veux juger ? Juge donc ; si, dans deux heures, tout l'Entrepôt n'est pas vide, je te fais fusiller, toi et tes collègues. Soit geste, son regard portent si droit la menace dans l'âme et jusque dans les entrailles, que l'autre, un homme à poigne, en meurt quelques jours après, de saisissement[126]. — Non seulement, il tire le sabre, mais il s'en sert ; des pétitionnaires, un marinier qu'il va frapper sont obligés de se sauver à toutes jambes ; il accule le général Moulins dans l'embrasure d'une croisée et le frappe[127]. On tremble de l'aborder, encore plus de le contredire. Amené devant lui, l'envoyé du Comité de salut public, Julien de la Drôme, a soin de se mettre à une très grande distance, dans un coin de la chambre, et il fait sagement d'esquiver le premier bond ; plus sagement encore, aux cris de Carrier il répond par le seul argument valable : Si tu me fais périr aujourd'hui, tu seras guillotiné dans huit jours[128]. Quand on est aux prises avec un chien enragé, il faut lui porter l'épée à la gorge ; nul autre moyen de lui faire rentrer ses crocs et sa bave. - Aussi bien, chez Carrier, comme chez un chien enragé, le cerveau tout entier est occupé par le rêve machinal et fixe, par des images incessantes de meurtre et de mort. Au président Tronjolly il dit, à propos des enfants vendéens : La guillotine, toujours la guillotine ![129] A propos des noyades : Vous autres juges, il vous faut des jugements ; f...-les à l'eau, c'est bien plus simple. A la Société populaire de Nantes : Tous les riches, tous les marchands sont des accapareurs, des contre-révolutionnaires ; dénoncez-les-moi, et je ferai rouler leurs têtes sous le rasoir national ; dénoncez-moi les fanatiques qui ferment leur boutique le dimanche, et je les ferai guillotiner. — Quand donc les têtes de ces scélérats commerçants tomberont-elles ? — Je vois ici des gueux en guenilles ; vous êtes à Ancenis aussi bêtes qu'à Nantes. Ignorez-vous que la fortune, les richesses de ces gros négociants vous appartiennent, et la rivière n'est-elle pas là ? — Mes braves b..., mes bons sans-culottes, il est temps que vous jouissiez à votre tour ; faites-moi des dénonciations ; le témoignage de deux bons sans-culottes me suffira pour faire tomber les têtes des gros négociants. — Nous ferons[130] un cimetière de la France plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière. — Son hurlement continu finit par un cri d'angoisse : Je crois bien que nous serons tous guillotinés les uns après les autres[131]. — Tel est l'état mental auquel conduit l'emploi de représentant en mission : en deçà de Carrier qui est au terme, les autres, moins proches du terme, pâlissent sous la vision lugubre qui est l'effet inévitable de leur œuvre et de leur mandat. Au bout de toutes ces fosses qu'ils creusent, ils entrevoient, déjà creusée, leur propre fosse ; rien à faire pour le fossoyeur, sinon creuser au jour le jour, en manœuvre, et, cependant, profiter de sa place : à tout le moins, il peut s'étourdir, en ramassant les jouissances du moment. IX La plupart prennent ce parti, par instinct, par lassitude, et parce que l'étalage ajoute à l'autorité. Traînés dans des carrosses à six chevaux, entourés de gardes, assis à des tables somptueuses de trente couverts, mangeant au bruit de la musique avec un cortège d'histrions, de courtisanes et de prétoriens[132], ils impriment dans l'imagination l'idée de leur omnipotente, et l'on se courbe d'autant plus qu'ils mènent un plus grand train. — A Troyes, pour l'arrivée du jeune Rousselin, on tire le canon, comme pour l'entrée d'un prince. Toute la population de Nevers est en réquisition à la naissance d'une fille de Fouché ; les autorités civiles et militaires viennent le complimenter, et la garde nationale est sous les armes[133]. A Lyon, la représentation solennelle de Collot d'Herbois ressemble à celle du Grand Turc. On ne parvient à son audience après trois demandes itératives ; une file d'appartements précède son salon de réception ; personne ne l'approche qu'à quinze pas de distance ; deux gardes, le fusil armé, sont à ses côtés, l'œil tendu sur les solliciteurs[134]. Moins menaçant, mais non moins imposant est l'appareil dont s'entourent les représentants à Bordeaux ; eux aussi, on.ne les aborde qu'avec un passeport du capitaine des gardes[135], à travers plusieurs escouades de sentinelles. L'un d'eux, Ysabeau, qui, après avoir beaucoup guillotiné, est devenu presque traitable, se laisse aduler, et, comme un duc de Richelieu arrivé de Versailles, s'essaye au rôle de potentat populaire, avec tous les agréments de l'emploi. Au théâtre, en sa présence, on joue un ballet où des bergers, avec des guirlandes de fleurs, forment les mots : Ysabeau, Liberté, Égalité. Il laisse son portrait courir de main en main, et daigne sourire à l'artiste qui, sous une gravure de circonstance, a mis cette inscription : Événement arrivé sous Ysabeau, représentant du peuple. — Passe-t-il dans la rue, on se découvre, on applaudit, on crie : Vive Ysabeau, vive le sauveur de Bordeaux, notre ami, notre père ! Des enfants d'aristocrates viennent l'apostropher ainsi, jusque sous les portières de sa voiture. Car il a une voiture, et plusieurs voitures, un cocher, des chevaux, l'équipage d'un ci-devant noble, des gendarmes qui le précèdent partout, même dans les parties de campagne, où ses nouveaux courtisans l'appellent grand homme, et déploient, pour le recevoir, un luxe asiatique. A sa propre table, grande chère, superbe pain blanc, dit pain des représentants, tandis que les campagnards des environs vivent de racines et que les habitants de Bordeaux n'ont pas tous les jours quatre onces de pain moisi. — Même bombance chez les représentants à Lyon, au milieu d'une misère égale. Dans les comptes rendus de Collot, on voit s'échelonner, avec les bouteilles d'eau-de-vie à 4 francs, les perdreaux, chapons, dindons, poulardes, brochets, écrevisses ; notez aussi le pain blanc ; l'autre, dit pain d'égalité, imposé aux simples mortels, répugne à cette bouche auguste ; ajoutez-y les réquisitions d'Albitte et de Fouché, en une fois, 700 bouteilles de vins fins, une autre fois, 50 livres de café, 160 aunes de mousseline, 3 douzaines de mouchoirs de soie pour cravates, 3 douzaines de paires de gants, 4 douzaines de paires de bas : ils s'approvisionnent[136]. — Parmi tant de satrapes ambulants, le plus effrontément sensuel est, je crois, Tallien, septembriseur à Paris, guillotineur à Bordeaux, mais encore plus paillard et pillard, tout à la gueule et au ventre ; fils du cuisinier d'un grand seigneur, il a sans doute des traditions de famille : car son gouvernement est pour lui un garde-manger, où, comme un maure d'hôtel de Gil-Blas, il mange tout ce qu'il peut manger et fait argent du reste. En ce moment sa favorite en titre est Teresa Cabarrus, une femme du monde ou du demi-monde, qu'il a fait sortir de prison ; en voiture découverte, avec courrier par derrière, courrier par devant, il la promène à ses côtés, parfois coiffée du bonnet rouge et tenant une pique à la main[137], et il exhibe aux populations sa déesse. Encore est-ce là le meilleur de ses sentiments ; car, au moment décisif, le danger imminent de sa maîtresse lui donnera du courage contre Robespierre, et la jolie femme, qui est bonne fille, lui demande, non des meurtres, mais des pardons. — D'autres, galants comme lui, mais avec moins de goût, recrutent pour leurs plaisirs, rudement, en viveurs de passage, soit que la peur soumette l'honneur des femmes à leurs fantaisies, soit que le trésor public défraye leurs habitudes de corps de garde. A Blois, pour cette sorte de dépense, Guimberteau s'acquitte avec des mandats sur le produit de la taxe révolutionnaire[138]. Carrier, à Nantes, s'est fait céder la maison et le jardin d'un particulier pour y établir son sérail ; je laisse à penser si, quand il veut être en tiers dans un ménage, le mari fait des objections ; d'autres fois, à l'hôtel Henri IV, avec ses amis et des filles qu'il a mises en réquisition, il fait des orgies ; il en fait aussi sur la galiote aux noyades ; là, sur la fin d'une ribote, on lui chante des chansons gaies, par exemple la chanson de la gamelle[139] : il a besoin de distractions. — Quelques-uns, gens avisés, songent en outre au solide et se nantissent en vue de l'avenir : au premier rang, Tallien, le roi des voleurs, mais prodigue, et dont les poches percées ne s'emplissent que pour se vider ; Javogues, qui exploite Montbrison ; Rovère, qui, pour 80000 francs d'assignats, se fait adjuger une terre valant 500.000 francs en numéraire ; Fouché, qui commence dans la Nièvre l'amas des douze ou quatorze millions qu'il aura plus tard[140] ; et tant d'autres, pauvres ou ruinés avant la Révolution, qui, au sortir de la Révolution, se trouveront riches : Barras avec sa terre de Gros-Bois, André Dumont avec l'hôtel de Plouy, des meubles superbes et une terre de 400.000 livres, Merlin de Thionville avec ses maisons de campagne, ses équipages, son domaine du Mont-Valérien et ses autres domaines, Laporte, Salicetti, Rewbell, Rousselin, Châteauneuf-Randon, et le reste des mangeurs ou des pourris du Directoire. Sans parler des taxes et confiscations dont ils ne rendent point compte, ils ont, pour se faire un magot, les rançons offertes sous main par les suspecta et leurs familles ; rien de si commode ; d'autant plus que le Comité de sûreté générale, même informé, laisse faire : poursuivre des Montagnards, ce serait faire rétrograder la Révolution[141]. On est tenu de ménager des serviteurs utiles et dont la besogne est rude, pareille à celle des travailleurs de septembre ; comme aux travailleurs de septembre, il faut leur pardonner des irrégularités, leur accorder des revenants-bons, et leur permettre quelques douceurs[142]. Cela ne suffirait pas pour les maintenir à l'œuvre, s'ils n'étaient retenus par un attrait plus fort. — Pour des hommes civilisés de l'espèce ordinaire, l'office de septembriseur est d'abord pénible ; mais, après un peu de pratique, surtout quand l'âme est tyrannique et que, sous le couvert de la théorie ou sous le prétexte du salut public, elle peut assouvir ses instincts autoritaires, ses répugnances tombent. Il y a dans l'exercice du pouvoir absolu une jouissance extraordinaire : à toute heure, on est bien aise de se prouver, par des actes, qu'on est omnipotent, et le plus probant de ces actes est celui qui consiste à détruire. Plus la destruction est complète, radicale et prompte, plus on a le sentiment de sa force. Quel que soit l'obstacle, on ne veut ni reculer, ni s'arrêter ; on rompt toutes ces barrières que les hommes appellent bon sens, humanité, justice, et l'on a du plaisir à les rompre. Écraser et dompter devient une volupté intense, savourée par l'orgueil intime, une fumée d'holocauste que le despote brûle sur son propre autel : dans ce sacrifice quotidien, il est à la fois l'idole et le prêtre, et s'offre des victimes pour avoir conscience de sa divinité. — Tel est Saint-Just, d'autant plus despote qu'il appuie sa qualité de représentant en mission sur sa qualité de membre du Comité de salut public ; pour trouver des âmes tendues au même ton que la sienne, il faut sortir du monde moderne, remonter jusqu'à un Caligula, chercher en Égypte, au dixième siècle, un calife Hakem[143]. Lui aussi, comme ces deux monstres, mais avec des formules différentes, il se croit dieu ou vice-dieu sur la terre, investi d'arbitraire par la vérité qui s'est incarnée en lui, représentant d'une puissance mystérieuse, illimitée et suprême, qui est le peuple en soi ; pour représenter dignement cette puissance, il faut avoir l'âme d'un glaive[144]. L'âme de Saint-Just est cela, n'est que cela : ses autres sentiments ne servent plus qu'à la faire telle ; les métaux divers qui la composaient, la sensualité, la vanité, tous les vices, toutes les ambitions, toutes les frénésies et mélancolies de sa jeunesse, se sont amalgamées violemment et fondues ensemble dans le moule révolutionnaire, pour prendre la forme et la rigidité d'un acier tranchant. Supposez un glaive vivant, qui sente et veuille conformément à sa trempe et à sa structure ; il lui plaira d'être brandi, il aura besoin de frapper ; nul autre besoin chez Saint-Just. Silencieux, impassible, tenant les autres à distance, aussi impérieux que si la volonté du peuple unanime et la majesté de la raison transcendante résidaient en sa personne, il semble avoir réduit ses passions à l'envie de briser et d'épouvanter. On dirait que, pareil aux conquérants tartares, il mesure la grandeur qu'il se confère à la grandeur des abatis qu'il fait : nul autre n'a fauché si largement à travers les fortunes, les libertés et les vies ; nul autre n'a mieux rehaussé l'effet terrifiant de ses jonchées par le laconisme de sa parole et par la soudaineté de ses coups. Ordre d'arrêter et de mettre au secret tous les ci-devant nobles, hommes et femmes, de quatre départements, dans les vingt-quatre heures ; ordre à la bourgeoisie de Strasbourg de verser neuf millions dans les vingt-quatre heures ; dix mille personnes à Strasbourg déchaussées en douze heures ; fusillades expéditives à tort et à travers sur les officiers de l'armée du Rhin, voilà de ses mesures[145]. Tant pis pour les innocents ; le temps manque pour les discerner : un aveugle, qui cherche une épingle dans un tas de poussière, saisit le tas de poussière[146]. — Et, quel que soit l'ordre, même inexécutable, tant pis pour celui qui l'a reçu, pour le capitaine qui, chargé par le représentant d'établir telle batterie dans tel délai, a travaillé toute la nuit de toute sa force, avec autant d'hommes que l'espace en pouvait contenir[147]. La batterie n'étant pas prête à l'heure dite, Saint-Just envoie le capitaine à la guillotine. — Ce que le souverain a commandé, il ne peut pas le décommander ; à se dédire[148], il s'amoindrirait ; au service de l'omnipotence, l'orgueil est insatiable, et, pour l'assouvir, nulle barbarie n'est trop grande. — Même appétit, chez l'ex-comédien Collot d'Herbois, qui, non plus à la scène, mais à la ville, joue le tyran de mélodrame avec tout le faste de l'emploi. Un matin, à Lyon, il a prescrit au tribunal révolutionnaire d'arrêter, interroger et juger un adolescent suspect, avant la fin de la journée. Vers les six heures[149], Collot étant à table et en orgie avec des filles, des baladins et des bourreaux, mangeant et buvant au bruit d'une musique choisie, entre un des juges du tribunal ; après les formalités d'usage, on l'introduit à l'oreille du représentant ; il lui annonce que, le jeune homme arrêté, interrogé, et les plus sévères informations prises sur son compte, il se trouve irréprochable, et que le tribunal opine à l'élargir. Collot, sans regarder le juge, élève la voix et lui dit : Je vous ai ordonné de punir cet homme, je veux qu'il périsse avant la fin du jour. Si l'on épargnait les innocents, trop de coupables échapperaient. Allez ! La musique et l'allégresse recommencent, et, l'heure suivante, le jeune homme est fusillé. — Pareillement, dans la plupart des autres pachaliks, si quelque tête, condamnée mentalement par le pacha, échappe ou tarde à tomber, celui-ci s'indigne contre les délais et les formes de la justice, contre les juges et les jurés que souvent il a choisis lui-même. Javogues écrit une lettre d'injures à la commission de Feurs qui a osé acquitter deux ci-devant. Laignelot, Lecarpentier, Milhaud, Monestier, Lebon, cassent, recomposent ou remplacent les commissions de Fontenay, de Saint-Malo et de Perpignan, les tribunaux d'Aurillac, de Pau, de Nîmes et d'Arras, qui n'ont pas jugé à leur fantaisie[150]. Lebon, Bernard de Saintes, Dartigoyte et Fouché remettent en jugement, pour le même fait, des prévenus solennellement acquittés par leurs propres tribunaux. Ré, Prieur de la Marne et Lebon envoient en prison des juges ou jurés qui ne veulent pas voter toujours la mort[151]. Barras et Fréron expédient, de brigade en brigade, au tribunal révolutionnaire de Paris l'accusateur public et le président du tribunal révolutionnaire de Marseille, comme indulgents et contre-révolutionnaires, parce que, sur 528 prévenus, ils n'en ont fait guillotiner que 162[152]. — Contredire le représentant infaillible ! Cela seul est une offense ; le représentant se doit à lui-même de punir les indociles, de ressaisir les délinquants absous, et de soutenir ses cruautés par des cruautés. Quand on a bu longtemps d'une boisson nauséabonde et forte, non seulement le palais s'y habitue, mais parfois il y prend goût ; bientôt il la veut plus forte ; à la fin, il l'avale pure, toute crue, sans aucun mélange pour en adoucir l'âcreté, sans aucun assaisonnement pour en déguiser l'horreur. — Tel est, pour certaines imaginations, le spectacle du sang humain ; après s'y être accoutumées, elles s'y complaisent. Lequinio, Laignelot et Lebon font dîner le bourreau à leur table[153] ; Monestier, avec ses coupe-jarrets, va lui-même chercher les prévenus dans les cachots, les accompagne au tribunal, les accable d'invectives, s'ils veulent se défendre, et, après les avoir fait condamner, assiste en costume à leur supplice[154]. Fouché, lorgnette en main, regarde de sa fenêtre une boucherie de deux cent dix Lyonnais. Collot, Laporte et Fouché font ripaille, en grande compagnie, les jours de fusillade, et, au bruit de la décharge, se lèvent, avec des cris d'allégresse, en agitant leurs chapeaux[155]. A Toulon, c'est Fréron en personne qui commande et fait exécuter sous ses yeux le premier grand massacre du champ de Mars[156]. — Sur la place d'Arras, M. de Vielfort, déjà lié et couché sur la planche, attendait la chute du couperet. Lebon parait au balcon du théâtre, fait signe au bourreau d'arrêter, ouvre le journal, lit et commente à haute voix, pendant plus de dix minutes, les succès récents des armées françaises ; puis, se tournant vers le condamné : Va, scélérat, apprendre à tes pareils les nouvelles de nos victoires[157]. — A Feurs, où les fusillades se font chez M. du Rosier, dans la grande allée du parc, la fille de la maison, une toute jeune femme, vient en pleurant demander à Javogues la grâce de son mari. Oui, ma petite, répond Javogues, demain tu l'auras chez toi. En effet, le lendemain, le mari est fusillé, enterré dans l'allée[158]. — Manifestement, le métier a fini par leur agréer ; comme leurs prédécesseurs de septembre, ils s'enivrent de leurs meurtres ; autour d'eux, on parle en termes gais du théâtre rouge, du rasoir national ; on dit d'un aristocrate qu'il va mettre la tête à la fenêtre a nationale, qu'il a passé la tête à la chatière[159]. Eux-mêmes, ils ont le style et les plaisanteries de l'emploi. Demain, à sept heures, écrit Hugues, dressez la sainte guillotine. — La demoiselle guillotine, écrit Lecarlier, va ici toujours son train[160]. — MM. les parents et amis d'émigrés et de prêtres réfractaires, écrit Lebon, accaparent la guillotine...[161] Avant-hier, la sœur du ci-devant comte de Béthune a éternué dans le sac. Carrier avoue hautement le plaisir qu'il goûte à voir exécuter des prêtres : Jamais je n'ai tant ri que lorsque je les voyais faire leurs grimaces en mourant[162]. C'est ici la suprême perversion de la nature humaine, celle d'un Domitien qui, sur le visage de ses condamnés, suit l'effet du supplice, mieux encore celle d'un nègre qui éclate de rire et se tient les côtes à l'aspect d'un homme sur le pal. — Et cette joie de contempler les angoisses de la mort sanglante, Carrier se la donne sur des enfants. Malgré les remontrances du tribunal révolutionnaire et les instances du président Phelippes[163], il signe, le 29 frimaire an II, l'ordre exprès de guillotiner sans jugement vingt-sept personnes dont sept femmes, parmi elles quatre sœurs, mesdemoiselles de la Métayrie, l'une de vingt-huit ans, l'autre de vingt-sept, la troisième de vingt-six, la dernière de dix-sept. Deux jours auparavant, malgré les remontrances du même tribunal et les instances du même président, il a signé l'ordre exprès de guillotiner vingt-quatre artisans et laboureurs, parmi eux deux garçons de quatorze ans et deux autres de treize ans ; il s'est fait conduire en fiacre sur la place de l'exécution, et il en a suivi le détail ; il a pu entendre l'un des enfants de treize ans, déjà lié sur la planche, mais trop petit et n'ayant sous le couperet que le sommet de la tête, dire à l'exécuteur : Me feras-tu beaucoup de mal ? On devine sur quoi le triangle d'acier est tombé. — Carrier a vu cela de ses yeux, et, tandis que l'exécuteur, ayant horreur de lui-même, meurt, un peu après, de ce qu'il a fait, Carrier, installant un autre bourreau, recommence et continue. |
[1] Thibaudeau, Mémoires, I, 47, 70. — Durand-Maillane, Mémoires, 183. — Vatel, Charlotte Corday et les Girondins, II, 269. Sur 76 présidents qu'a eus la Convention, 18 ont été guillotinés, 8 déportés, 22 mis hors la loi, 6 incarcérés, 3 se sont suicidés, 4 sont devenus fous ; en tout 61. Tous ceux qui ont été présidents deux fois ont péri de mort violente.
[2] Moniteur, XVIII, 38 (Discours d'Amal., rapporteur, 3 octobre 1793). La conduite, en apparence nulle, de la minorité de la Convention depuis le 2 juin, est un nouveau plan de conspiration concerté par Barbaroux.
[3] Mortimer-Ternaux, VIII, 44. Élection de Collot d'Herbois comme président par 151 voix sur 241 volants, le 13 juin 1793. — Moniteur, XVII, 366. Élection de Hérault-Séchelles comme président par 165 voix sur 236 votants, le 3 août 1793.
[4] La Révolution, III, chap. I. — Mortimer-Ternaux, VIII, 435. (Les trois suppléants réunissent, le premier 9 voix, le second 8 voix, le troisième 5 voix.)
[5] Marcelin Boudet, les Conventionnels d'Auvergne, 206.
[6] Dussault (Fragment pour servir à l'histoire de la Convention).
[7] Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, V, 216 (d'après les papiers inédits de Sieyès).
[8] Paroles de M. Michelet.
[9] Moniteur, XX, 95, 135 (séances du 11 germinal à la Convention et aux Jacobins).
[10] Buchez et Roux, XXXII, 17 (séance du 26 ventôse an II, discours de Robespierre). Dans quel pays a-t-on vu un sénat puissant chercher dans son sein ceux qui auraient trahi la cause commune, et les envoyer sous le glaive de la loi ? Qui donc a donné ce spectacle au monde ? Vous, citoyens ! (La salle retentit d'applaudissements.) — Moniteur, XX, 95.
[11] Miot de Mélito, Mémoires, I, 44. A table, au ministère des affaires étrangères, Danton disait : La Révolution est comme Saturne, elle mangera ses enfants. Pour Camille Desmoulins, sa tristesse annonçait qu'il pressentait déjà le sort qui l'attendait, et le peu de mots qu'il laissait échapper avaient toujours pour objet de rechercher, ou des observations sur les condamnations du Tribunal révolutionnaire et sur le genre de supplice infligé aux condamnés, ou la plus décente façon de s'y préparer ou de le supporter.
[12] Buchez et Roux, XXXIII, 363, 357 (Rapports de police sur les députés. 4 messidor et jours suivants.) — Vitale, Causes secrètes de la révolution du 9 au 10 thermidor, liste indiquée par Barère). — Dénonciation par Lecointre (2e éd., p. 13).
[13] Thibaudeau, I, 47. Autant on cherche, dans les temps ordinaires, à s'élever, autant on s'efforçait, dans ce temps de calamité, de se rabaisser, pour se faire oublier, ou de se dégrader soi-même pour se faire pardonner sa supériorité.
[14] Mme Roland, Mémoires, I, 52.
[15] Archives nationales, F7, 31167. Ce dossier contient 537 rapports de police, notamment pour nivôse an Il. En voici un échantillon. Rapport du 25 nivôse an II : Étant en députation aupres de la Convention, des colègues me mène dîner dans le jardin ci-devant Breteuil dans un grand salon bien parquetés.... On demande la carte et je me trouve après avoir mangé un potage au ritz, du bœuf, une bouteille de vin et 2 pommes de terre avoir dépensé à que l'on me dit 8f 12c parce que je ne suis pas riche. Foutre, leur di je qu'est-ce que les riches payes icy ?... Il est bon de dire que j'ai vu arriver dans cette grande salle des ci-devant. marquis comtes et chevallier du poignard de l'ancien régime, des députés etc., mais j'avoue que je n'ai pu me rappeler du vrais nom des ci-devant noble.... Car les b.... déguisé en sans-culotte, le diable ne les reconnaîtrait pas.
[16] Buchez et Roux, XXVIII, 237, 308 (5 et 14 juillet 1793). — Moniteur, XIX, 716 (26 ventôse an II), Danton fait décréter qu'on n'entendra plus à la barre que la raison en prose. Néanmoins, après son supplice, ces sortes de parades recommencent. Le 12 messidor, un citoyen, admis à la barre, lit un poème qu'il a composé pour célébrer les succès de nos armées sur la Sambre. (Moniteur, XVI, 101.)
[17] Moniteur, XVIII, 369, 397, 399, 420, 455, 469, 471, 479, 488, 492, 500, etc. — Mercier, le Nouveau Paris, II, 96. — Dauban, la Démagogie en 1793, 500, 505 (Article de Prudhomme et Diurnal de Beaulieu).
[18] Moniteur, XVIII, 420, 399. — La chanson Ah ! le bel oiseau a été choisie comme significative, symbolique et à double sens, l'un pastoral, l'autre polisson.
[19] De Goncourt, la Société française pendant la Révolution, 418 (Article du Père Duchêne). — Dauban, Ibid., 506 (Article de Prudhomme) : La Liberté, sur un siège de verdure, reçoit les hommages des républicains et des républicaines. — Ensuite.... elle se tourne pour jeter un regard de bienfaisance sur ses amis.
[20] Moniteur, XVIII, 399 (séance du 20 brumaire, motion de Thuriot) : Je demande que la Convention se rende au temple de la Raison, pour y chanter l'hymne de la Liberté. — La proposition de Thuriot est décrétée.
[21] Mercier, Ibid., 99 (Scènes analogues à Saint-Eustache et à Saint-Gervais.)
[22] Durand-Maillane, Mémoires, 182. — Grégoire, Mémoires, II, 34. Le 7 novembre 1783, dans la grande scène des abjurations, Grégoire seul résista, disant : Je reste évêque, j'invoque la liberté des cultes. — Des rugissements éclatèrent pour étouffer ma voix dont j'élevais à mesure le diapason... Une scène de démons, digne de Milton... Je déclare qu'en prononçant ce discours je crus prononcer mon arrêt de mort. — Pendant plusieurs jours, on lui dépêcha des émissaires, députés on bandits, pour lui arracher une rétractation. Le 11 novembre, un placard affiché dans Paris le rendait responsable de la prolongation du fanatisme. — Pendant deux ans environ, j'ai été presque seul à Paris en costume ecclésiastique.
[23] Moniteur, XVIII, 480 (séance du 30 brumaire). N... Il faut faire connaître la cérémonie qui s'est passée ici aujourd'hui. Je demande que tous les discours et tous les détails de celte journée soient insérés en entier au bulletin et envoyés à tous les départements. — Un autre député : Et qu'on n'oublie pas que jamais le côté droit n'a été si bien garni. — On rit et on applaudit.
[24] Buchez et Roux, XXXII, 103 (11 germinal). — Moniteur, XX, 134 (15 germinal). Décret pour étrangler la défense de Danton et de ses coaccusés.
[25] Moniteur, XX, 226 (26 germinal. Rapport de Saint-Just et décret sur la police). — Ibid., XIX, 54 (Rapport de Robespierre et décret sur les principes du gouvernement révolutionnaire, 5 nivôse). — Ibid., XX, 567 et 589, 6 prairial (Décret pour défendre de faire aucun prisonnier anglais ou hanovrien. — Et XXI, 13 (16 messidor).
[26] Moniteur, XX, 544. Après la tentative de Ladmiral contre Collot d'Herbois, Collot d'Herbois parait à la tribune. — Les plus vifs applaudissements se font entendre dans toutes les parties de la salle. — Ibid., XXI, 173 (21 messidor). Sur le rapport de Barère qui loue la conduite de Joseph Lebon et ne lui reproche que des formes un peu acerbes, décret pour passer à l'ordre du jour, adopté à l'unanimité et au milieu des applaudissements.
[27] Moniteur, XX, 698, 715, 716, 119 (22 et 24 prairial). Après les discours de Robespierre et de Couthon, vite applaudissements à plusieurs reprises ; les applaudissements recommencent et se prolongent. Couthon ayant dit que le Comité de salut public est prêt à donner sa démission : de toutes parts on s'écrie non ! non ! — Ibid., XXI, 268 (2 thermidor). Éloge du gouvernement révolutionnaire par Barère, et décret de police adopté à l'unanimité et au milieu des applaudissements.
[28] Moniteur, XXI, 329.
[29] Lafayette, Mémoires, IV, 330. Enfin arriva le 9 thermidor ; on ne le dut pas aux honnêtes gens ; leur terreur était telle qu'un député estimé, à qui un de ses collègues avait dit sans témoin : Jusques à quand souffrirons-nous cette tyrannie ? en eut la tête renversée au point de le dénoncer.
[30] Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, V, 209 (Papiers inédits de Sieyès). — Moniteur, XVIII, 631. Exemple de l'effroi et du style dans lesquels se laissaient tomber les hommes les plut éminents, entre autres le célèbre chimiste Fourcroy, député, plus tard conseiller d'État et ministre de l'instruction publique. Aux Jacobins, le 18 brumaire an II, on l'accuse de trop peu parler à la Convention, et il répond : Après vingt ans de travaux, je suis parvenu, en professant la médecine, à nourrir le sans-culotte mon père et les sans-culottes mes sœurs.... Sur le reproche que m'a fait un membre de donner aux sciences la majeure partie de mon temps... on ne m'a vu que trois fois au Lycée des Arts, et cela dans l'intention de le sans-culottiser.
[31] Michelet, Histoire de la Révolution, V, préface XXX, 3e éd. — Étant jeune et cherchant du travail, je fus adressé à une Revue estimée, à un philanthrope connu, tout occupé d'éducation du peuple, du bonheur des hommes. Je vis un homme fort petit, d'une mine triste, douce et fade. Nous étions à sa cheminée, il regardait toujours le feu, et jamais moi. Il parlait longuement, d'un ton didactique, monotone ; j'étais mal à mon aise, écœuré, je partis aussitôt que je pus. J'appris plus tard que c'était lui, ce petit homme, qui fit la chasse aux Girondins et les guillotina, qui eut ce succès à vingt ans. — Son nom est Julien de la Drôme ; je l'ai vu une fois dans ma première jeunesse. On le connaît très bien, d'abord par sa correspondance, ensuite par les lettres et le journal de sa mère (Journal d'une bourgeoise pendant la Révolution, publié par Ed. Lockroy). Nous avons un croquis de David (la Démagogie à Paris en 1793, par Dauban, fac-similé en tête du volume) représentant la reine Marie-Antoinette conduite au supplice ; Mme Julien était à la fenêtre avec David et regardait le convoi funèbre, pendant que David faisait ce croquis. Mme Julien écrit dans son journal, le 3 septembre 1792 : Quand on veut la fin, il faut vouloir les moyens. Point d'humanité barbare. Le peuple est levé, le peuple venge les crimes de trois ans. — Son fils, sorte de puritain sensible, fut un des agents les plus actifs de Robespierre ; il se souvenait de ses meurtres, comme on le voit par le récit de Michelet, et il baissait les yeux, sachant bien que toute sa philanthropie présente ne pouvait pas anéantir ses actes passés.
[32] Archives nationales, AF II, 46. Registres des arrêtés du Comité de salut public, t. II, arrêté du 3 août 1793.
[33] Sur la concentration et l'encombrement des affaires, cf. Archives nationales, Ibid., arrêtés des 4, 6, 6 août 1193, et AF II, 23, arrêtés du 12 et du 16 brumaire an II. — Sur la distribution et l'expédition des affaires au Comité et sur les heures de séance, Ibid., arrêtés des 6 avril, 6, 13, là, 18 juin, 13 août 1793, 27 germinal an II. — A partir du 3 août, chaque jour, il y a deux séances, de 8 heures du matin à 1 heure, et de 7 heures du soir à 10 heures ; à 10 heures, le Conseil exécutif vient délibérer avec le Comité de salut public, et les signatures sont données vers 2 ou 3 heures du matin. — Les cartons AF II, 23 à 42, contiennent l'histoire intérieure du Comité, les procès-verbaux des séances et de la correspondance. Il n'y a qu'à les lire pour suivre tous les détails de l'initiative et de la responsabilité du Comité, par exemple (4 nivôse an II, lettre à Barras et Fréron, à Marseille) : Le Comité applaudit aux mesures rigoureuses que vous avez consacrées dans votre arrêté sur Marseille. — Marseille appelle de votre part un grand exemple ; sans doute, habitués à manier la foudre, c'est à vous qu'il appartient de la diriger encore.... Qu'il est beau, citoyens collègues, de pouvoir comme vous, après de longs travaux et une gloire immortelle, qu'il est doux de revenir sous de tels auspices au sein de la Convention Nationale ! — (AF II, 36, 7 pluviôse an II, lettre aux représentants en mission à Bordeaux, approbation de leurs arrêtés contre les négociants.) Caché dans l'obscurité de ses complots, le mercantilisme ne peut supporter l'air brûlant et fort de la liberté ; les mœurs de Sparte doivent effrayer la mollesse de Sybaris. — (AF II, 37, 20 pluviôse, lettre à Prieur de la Marne envoyé à Nantes pour remplacer Carrier.) Carrier a été peut-être mal entouré il a eu des formes dures, il a employé des moyens qui ne font pas aimer l'autorité nationale. Dans cette ville, Carrier est usé. — Il va partir pour une autre destination. (AF II, 36, 21 nivôse, lettre à Fouché, Lapone, Albitte, à Commune-Affranchie, signée Billaud-Varennes et toute de sa main.) La Convention a, le 1er nivôse, approuvé les arrêtés et toutes les mesures que vous avez prises. Nous ne pouvons rien ajouter à cette approbation. Le Comité de salut public ramène toutes ses opérations aux mêmes principes ; c'est vous dire qu'il suit toutes les vôtres, qu'il agit avec vous.
[34] Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, VIII, 105 (Rapport inédit du contre-amiral Villaret-Joyeuse, 28 mai 1791).
[35] Carnot, Mémoires, I, 407.
[36] Carnot, 450, 523, 527. Souvent nous mangions à la hâte un morceau de pain sec sur la table du Comité.
[37] Moniteur, XXI, 362 (Discours de Cambon, séance du 11 thermidor an II).
[38] Beugnot, Mémoires, II, 15 (Paroles de Jean Bon dans une conversation, en 1813, à Mayence).
[39] Gaudin, duc de Gaëte, Mémoires, I, 16, 28. J'ai dû la vie personnellement à Cambon, et il préserva par sa fermeté la trésorerie tout entière, continuellement attaquée par le club tout-puissant des Jacobins. — Le 8 thermidor, Robespierre fut très dur pour l'administration de la trésorerie, qu'il accusait d'un esprit aristocratique et contre-révolutionnaire. On savait que, sous ce prétexte, l'orateur devait proposer la mise en accusation, tant du représentant chargé de la surveillance que des six commissaires, et leur envoi au tribunal révolutionnaire, dont le jugement ne pouvait être douteux. — Buchez et Roux, XXXIII, 431, 438, 441 (Discours de Robespierre, 8 thermidor an II). Projets machiavéliques contre les petits rentiers de l'État Système de finances mesquin, prodigue, tracassier, dévorant, absolument indépendant de votre surveillance suprême... La contre-révolution est dans l'administration des finances... Quels sont les administrateurs suprêmes ? Des brissotins, des feuillants, des aristocrates et des fripons connus ; ce sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel.
[40] Carnot, I, 105.
[41] Moniteur, XXIV, 47, 50 (séance du 2 germinal an lit, Discours de Lindet et de Carnot, avec détails à l'appui) — Lindet dit qu'il a donné 20.000 signatures. — Ibid., XXXIII, 591 (séance du 12 ventôse an II, Discours de 13arère). Le travail du Comité était partagé entre les divers membres qui le composaient, mais tous indistinctement signaient le travail les uns des autres. Moi qui n'entends rien au militaire, j'ai donné dans cette partie peut-être plus de 2.000 signatures. — Ibid., XXIV, 74 (séance du 6 germinal an III). Discours de Levasseur, témoin d'une scène très vive entre Carnot et Robespierre, au sujet de deux commis de Carnot arrêtés par ordre de Robespierre. — Carnot ajoute : J'avais signé moi-même l'arrestation de ces deux commis sans le savoir. — Ibid., XXII (séance du 8 vendémiaire an II, Discours de Carnot qui raconte l'arrestation du général Huchet pour ses cruautés en Vendée) : Arrivé au Comité de salut public, Robespierre le défendit, et il fut renvoyé à l'armée avec un grade supérieur, que je fus obligé de signer, malgré mon opposition.
[42] Carnot, I, 573 (Discours de Carnot, 2 germinal an III).
[43] Sénart, Mémoires, 145-153 (Détails sur les membres des deux comités).
[44] Rapports de Billaud : sur l'organisation du gouvernement révolutionnaire, 19 octobre 1793 ; sur la théorie du gouvernement démocratique, 20 avril 1794. — Rapports de Robespierre : sur la situation politique de la République, 17 novembre 1793 ; sur les principes du gouvernement révolutionnaire, 5 novembre 1793. — Instruction sur le génie des lois révolutionnaires, signée en premier par Robespierre et Billaud, 25 novembre 1793. — Rapports de Robespierre : sur les principes de la morale politique qui doivent guider la Convention, 5 février 179 ; sur le rapport des idées religieuses et morales avec les principes républicains, 7 mai 1794.
[45] Billaud ne va plus en mission après son entrée au Comité de salut public ; Robespierre n'y est jamais allé. Barère, dont l'utilité est quotidienne, est aussi gardé à Paris. — Tous les autres vont en mission, quelques-uns plusieurs fois et longtemps.
[46] Moniteur, XXIV, paroles de Carnot, séance du 2 germinal an III. Ibid., XXII, 138, paroles de Collot, séance du 12 vendémiaire an III. Billaud et moi, nous avons envoyé dans les départements 300.000 pièces d'écriture et fait au moins 10.000 minutes de notre main.
[47] Dussault, Fragment pour servir à l'histoire de la Convention.
[48] Thibaudeau, I, 49.
[49] Arnault, Souvenirs d'un sexagénaire, II, 74.
[50] Mémoires d'un bourgeois de Paris, par Véron, II, 14 (7 juillet 1815).
[51] Cf. Thibaudeau, Mémoires, I, 46. Alors il semblait que, pour échapper à la prison ou à l'échafaud, il n'y avait plus d'autre moyen que d'y conduire les autres.
[52] Carnot, Mémoires, I, 508.
[53] Carnot, Mémoires, I, 527 (Paroles de Prieur de la Côte-d'Or).
[54] Carnot, Mémoires, I, 527 (Paroles du même).
[55] La nouvelle Minerve, I, 355. (Note de Billaud-Varennes, écrite à Saint-Domingue et transcrite par le Dr Chervin). — Nos décisions étaient prises au milieu des longues lassitudes de nos séances de nuit au Comité.
[56] Décret du 17 septembre 1793 sur les suspects. — Arrêté de la Commune de Paris, 10 octobre 1793, pour élargir la définition, et notamment pour y comprendre ceux qui, n'ayant rien fait contre la liberté, n'ont s aussi rien fait pour elle. — Cf. Papiers saisis chez Robespierre, III, 370, lettre de Payan : Tous les hommes qui n'ont pas été pour la Révolution ont été par cela même contre elle, puisqu'ils n'ont rien fait pour la patrie.... Dans les commissions populaires, l'humanité individuelle, la modération qui prend le voile de la justice, est un crime.
[57] Mortimer-Ternaux, VIII, 394 et suivantes, Ibid., 414 et suivantes (sur les titulaires successifs des deux comités).
[58] Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire, III, 129-131. Hérault-Séchelles, lié avec Danton et accusé d'être indulgent, venait pourtant de donner des gages et d'appliquer le régime révolutionnaire en Alsace avec une raideur digne de Billaud (Archives des affaires étrangères, volume 1411) : Instructions pour les commissaires civils par Hérault, représentant du peuple (Colmar, 2 frimaire an II), avec indication des catégories de personnes, qu'il faut rechercher, arrêter et faire conduire sur-le-champ dans la maison d'arrêt, environ les dix-neuf vingtièmes des habitants.
[59] Dauban, Paris en 1794, 285 et suivantes (Rapports de police de germinal an II). Arrestation d'Hébert et consorts : Pendant toute la matinée, on ne parlait que des crimes atroces des conspirateurs, on les regardait comme mille fois plus criminels que Capet et sa femme, on désirait qu'il y eût pour eux mille supplices.... La haine du peuple pour Hébert est à son comble.... Le peuple ne peut pardonner à Hébert de l'avoir trompé.... La joie du peuple était universelle en voyant conduire à l'échafaud les conspirateurs.
[60] Moniteur, XXIV, 53 (séance du 2 germinal an III). Paroles de Prieur de la Côte-d'Or : La première querelle qui eut lieu au Comité fut entre Saint-Just et Carnot ; celui-ci dit à l'autre qu'il voyait bien que lui et Robespierre visaient à la dictature. — Ibid., 570 (séance du 11 germinal an III, paroles de Carnot) : Je m'étais mis en possession d'appeler Robespierre tyran toutes les fois que je lui parlais ; je tenais la même conduite avec Couthon et Saint-Just.
[61] Carnot, I, 625 (témoignage de Prieur). — Ibid., 622. Paroles de Saint-Just à Carnot : C'est toi qui es lié avec les ennemis des patriotes : sache qu'il me suffirait de quelques lignes pour dresser ton acte d'accusation et te faire guillotiner dans deux jours.
[62] Buchez, XXX, 185 (Réponse de Billaud, Collot, Vadier, Barère, aux accusations renouvelées contre eux par Lecointre). — Moniteur, XXIV, 84 (séance du 7 germinal an III). Paroles de Barère : Le 4 thermidor, au Comité, Robespierre parla comme un homme qui avait des ordres à donner et des victimes à désigner.... Et toi, Barère, dit-il, tu te souviendras du 2 thermidor et du rapport que tu as fait.
[63] Saint-Just, Rapport sur les Girondins, 8 juillet 1793 ; sur la nécessité de détenir les personnes ennemies de la Révolution, 26 février 1794 ; sur les Hébertistes, 13 mars ; sur l'arrestation d'Hérault-Séchelles et Simond, 17 mars ; sur l'arrestation de Danton et consorts, 31 mars ; sur la police générale, 15 avril. — Cf. aussi son rapport pour faire déclarer le gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix, 10 octobre 1793, et son rapport du 9 thermidor an II.
[64] Buchez et Roux, XXXI, 346 (Rapport du 13 mars 1794). — XXXII, 314 (Rapport du 13 avril).
[65] Parfois une phrase suffit pour donner la mesure d'un esprit et d'un caractère. Celle-ci, de Saint-Just, a ce mérite (à propos de Louis XVI qui, pour ne pas se défendre, avait quitté les Tuileries et s'était réfugié dans l'Assemblée, le 10 août) : Il se rendit au milieu de vous, il s'y fit jour par la force... Il se rendit dans le sein de la législature ; ses soldats en violèrent l'asile ; il se fit jour, pour ainsi dire, à coups d'épée, dans les entrailles de la patrie, pour s'y cacher.
[66] Notamment son long rapport sur Danton, avec l'historique des factions (Buchez et Roux, XXXII, 76), et son rapport sur la police générale (Ibid., 304). Brissot et Bousin (ont été) reconnus royalistes... Depuis Necker jusqu'aujourd'hui, il a été ourdi un plan de famine... Necker trempait dans la faction d'Orléans ; on avait imaginé pour elle la double représentation (du Tiers). — Entre autres chefs d'accusation contre Danton : Après la fusillade du Champ de Mars en juillet 1791, tu pus couler d'heureux jours à Arcis-sur-Aube, si toutefois celui qui conspirait contre la patrie peut être heureux... Quand tu sus que la chute du tyran était bien préparée et inévitable, tu revins à Paris, le 9 août ; tu voulus te coucher dans cette nuit sinistre... La haine, disais-tu, est insupportable à mon cœur ; et (pourtant) tu nous avais dit : Je n'aime point Marat. etc. — Contre Danton absent, l'apostrophe se prolonge pendant neuf pages consécutives.
[67] Buchez et Roux, XXXII, 312 : La liberté est sortie du sein des orages ; cette origine lui est commune avec le monde sorti du chaos, et avec l'homme qui pleure en naissant. (On applaudit.) — Ibid., 308. Cf. son portrait de l'homme révolutionnaire, qui est un trésor de bon sens et de probité.
[68] Buchez et Roux, XXXII, 312 : La liberté n'est pas une chicane de palais, elle est la rigidité envers le mal.
[69] Barère, Mémoires, II, 347 : Saint-Just délibérait comme un vizir.
[70] Buchez et Roux, XXXII, 314 : Les leçons que nous a données l'histoire, l'exemple de tous les grands hommes est-il perdu pour l'univers ? Ils nous conseillent tous la vie obscure ; les cabanes et les vertus sont les grandeurs du monde ; allons habiter aux bords des fleuves et bercer nos enfants, et les instruire au désintéressement et à l'intrépidité. Quant à sa capacité politique ou économique et à ses vues d'ensemble, lire ses discours et ses institutions (Buchez et Roux, XXVIII, 133, XXX, 305 XXXV, 269), simple ramassis de verbiage chimérique el abstrait.
[71] Carnot, I, 527 (Récit de Prieur) : Souvent, tandis que nous mangions à la hâte un morceau de pain sec sur la table du Comité, Barère, par quelque bonne plaisanterie, ramenait le sourire sur nos lèvres.
[72] Véron, II, 14. — Arnault, II, 74. — Cf. passim les mémoires de Barère et l'Essay sur Barère par Macaulay.
[73] Vilate (édition Barrière), 184, 186, 244 : Léger, ouvert, caressant, aimant la société, surtout celle des femmes, recherchant le luxe et sachant dépenser. — Carnot, II, 611. — Aux yeux de Prieur, Barère était simplement un bon enfant.
[74] Moniteur, XXI, 173 (justification de Joseph Lebon, et de ses formes un peu acerbes) : Il ne faut parler de la Révolution qu'avec respect, et des mesures révolutionnaires qu'avec égard. La liberté est une vierge dont il est coupable de soulever le voile. — Et ailleurs : L'arbre de la liberté fleurit quand il est arrosé par le sang des tyrans.
[75] Moniteur, XX, 587, 582, 680, 583. — Campagnes de la Révolution française dans les Pyrénées-Orientales, par Fervel, II, 36 et suivantes. Le général Dugommier, après la prise de Toulon, épargna, malgré les ordres de la Convention, le général anglais O'Hara, fait prisonnier, et reçut du Comité de salut public la lettre suivante : Le Comité prend ta victoire et ta blessure en compensation. — Le 24 novembre, Dugommier, pour ne pas assister aux massacres de Toulon, demande à revenir à la Convention, et on l'envoie à l'armée des Pyrénées-Orientales. — En 1797, il y avait 30.000 prisonniers français en Angleterre.
[76] Moniteur, XVIII, 291 (Discours de Barère, séance du 8 brumaire an II). A cette date, il y a 140 députés en mission aux armées et dans les départements. — Avant l'institution du Comité de salut public (7 avril 1793), il y avait, dans les départements, 180 représentants envoyés pour accélérer la levée des 300.000 hommes. (Moniteur, XVII, 99, Discours de Cambon, 11 juillet 1793.) - Le Comité rappela peu é peu le plus grand nombre de ces représentants, et, le 16 juillet, il n'y en avait plus que 63 en mission. (Ibid., XVII, 152, Discours de Gossuin, 16 juillet.) — Le 9 nivôse an II, le Comité désigne 68 représentants pour aller établir sur place le gouvernement révolutionnaire et fixe leurs circonscriptions. (Archives nationales, AF, II, 22.) Dans la suite, plusieurs furent rappelés et remplacés par d'autres. — Les lettres et arrêtés des représentants en mission sont classés aux Archives nationales d'après les départements, en deux séries, dont l'une comprend les missions antérieures au 9 thermidor, et l'autre, les missions postérieures.
[77] Thibaudeau, Histoire du Terrorisme dans le département de la Vienne, p. 4 : Paris, 18 brumaire, le sans-culotte Piorry, représentant du peuple, aux sans-culottes composant la Société populaire de Poitiers.
[78] Archives nationales, AF, II, 116 (Lettre de Laplanche, Orléans, 10 septembre 1793, et procès-verbaux des sections d'Orléans, 7 septembre) : Je les ai organisés, après les avoir choisis dans la Société populaire, en comité révolutionnaire. Ils travaillent sous mes yeux, et leur bureau est dans la chambre voisine de la mienne... Il me fallait des renseignements sûrs et locaux, que je n'aurais pu me procurer sans m'adjoindre des collaborateurs du pays... D'après le résultat de leur travail, j'ai fait arrêter cette nuit plus de soixante aristocrates ou gens suspects ou étrangers. — De Martel, Études sur Fouché, 84. Lettre de Chaumette, qui a renseigné Fouché sur les Jacobins de Nevers : Entouré de fédéralistes, de royalistes et de fanatiques, le représentant Fouché n'avait pour conseils que trois ou quatre patriotes persécutés.
[79] Archives nationales, AF, II, 88. Discours de Rousselin, 9 frimaire. Ibid., F7, 4421. Discours et arrêtés de Rousselin, 25 brumaire. — Cf. Albert Babeau, Histoire de Troyes pendant la Révolution, tome II, missions de Garnier, de Rousselin et de Bô.
[80] Archives nationales, AF, II, 145 (Arrêté de Maignet, Avignon, 13 floréal an II, et proclamation du 14 floréal). — Ibid., AF, II, 111, Grenoble, 8 prairial an II. Arrêté analogue d'Albitte et Lapone pour renouveler toutes les autorités de Grenoble. — Ibid., AF, II, 135. Arrêté analogue de Ricord à Grasse, 28 pluviôse, et pour tout le Var. — Ibid., AF, II, 36, brumaire an II. Circulaire du Comité de salut public aux représentants en mission dans les départements : Avant de quitter votre poste, vous devez effectuer l'épuration complète des autorités constituées et des fonctionnaires publics.
[81] Décrets du 6 et du 14 frimaire an II.
[82] Archives nationales, AF, II, 22 (Arrêté du Comité de salut public, 7 nivôse an II).
[83] Archives nationales, AF, II, 37 (Lettre au comité de la guerre, signée Barère et Billaud-Varennes, 23 pluviôse an II).
[84] Archives nationales, AF, II, 36 (Lettre du Comité de salut public à Lecarpentier, en mission dans l'Orne, 19 brumaire an II) : Les corps administratifs d'Alençon, le district excepté, sont entièrement gangrenés ; tout y est feuillant, on infecté d'un esprit non moins pernicieux... Pour le choix des sujets et pour l'incarcération des individus, vous pouvez vous en rapporter aux sans-culottes ; les plus nerveux sont Symaroli et Préval. — A Mortagne, il faut renouveler l'administration, ainsi que le receveur du district et le directeur de la poste... épurer la Société populaire, en expulser les nobles, les robins, les destitués, les prêtres, les muscadins... dissoudre deux compagnies, l'une de grenadiers, l'autre de chasseurs, très muscadins et grands amateurs de processions... refondre l'état-major et les officiers de la garde nationale. Pour la plus prompte et la plus sûre exécution de ces mesures de sûreté, vous pouvez vous en rapporter à la municipalité actuelle, au Comité de surveillance et aux canonniers.
[85] Archives nationales, AF, II, 37. — A Ricord, en mission à Marseille, 7 pluviôse an II, forte et rude semonce : il mollit, il est allé loger chez Saint-Même, suspect ; il est trop favorable aux Marseillais qui, pendant le siège, ont fait des sacrifices pour procurer des subsistances ; il a blâmé leur arrestation, etc. — 13 floréal an II, à Bouret, en mission dans la Manche et le Calvados : Le Comité a cru s'apercevoir que tu es continuellement trompé par un secrétaire insidieux qui, par les mauvais renseignements qu'il t'a donnés, t'a fait souvent prendre des mesures favorables à l'aristocratie, etc. — 6 ventôse an II, à Guimberteau, en mission près l'armée des côtes de Cherbourg : Le Comité ne peut voir sans étonnement que la commission militaire, établie par toi sans doute pour abattre la tête des conspirateurs, fut la première à les absoudre. Ne connaissais-tu donc pas les hommes qui la composent ? Pourquoi les choisir alors ? Si tu les connaissais, comment se fait-il que tu les aies appelés à de pareilles fonctions ? — Ibid., et 23 ventôse, ordre à Guimberteau de faire une enquête sur Roubière, son secrétaire.
[86] Voir notamment dans les Archives des affaires étrangères, volumes 324 à 334, la correspondance des agents secrets à l'intérieur.
[87] Archives nationales, AF, II, 37. A Francastel, en mission dans l'Indre-et Loire, 13 floréal an II : Le Comité t'adresse une lettre de la Société populaire de Chinon qui demande l'épuration et l'organisation de toutes les autorités constituées de ce district. Le Comité t'invite à procéder sous le plus bref délai à cette opération importante.
[88] Paroles de Robespierre, séance de la Convention, 24 septembre 1193. — Sur un autre représentant, Merlin de Thionville qui, lui aussi, a fait ses preuves au feu, Robespierre écrit la note suivante : Merlin de Thionville, fameux par la capitulation de Mayence, et plus que soupçonné d'en avoir reçu le prix.
[89] Guillon, II, 267. — Fouché, par M. de Martel, 292.
[90] Hamel, III, 396 et suivantes. — Buchez et Roux, XXX, 435 (séance des Jacobins, 12 nivôse an V, discours de Collot d'Herbois) : Aujourd'hui je ne reconnais plus l'opinion publique ; si j'étais arrivé trois jours plus tard à Paris, j'étais peut-être décrété d'accusation.
[91] Marcelin Boudet, les Conventionnels d'Auvergne, 438 (mémoire inédit de Maignet).
[92] Buchez et Roux, XXXIV, 165, 191 (Procès de Carrier, déposition des témoins). — Paris, II, 113, Histoire de Joseph Lebon. Les prisons, dit Lebon, regorgeaient à Saint-Pol ; j'y fus, et j'en fis sortir 200 personnes. Eh bien, malgré mes ordres, plusieurs furent remises en arrestation par le Comité de surveillance, autorisé par Lebas, dont Darthé était l'ami. Que pouvais-je faire contre ce Darthé soutenu par Lebas et Saint-Just ? Il m'aurait dénoncé. — Ibid., 128. A propos d'un certain Lefèvre, vétéran de la Révolution, arrêté et traduit devant le Tribunal révolutionnaire par ordre de Lebon : Il fallait, dit Lebon, opter entre le faire juger, ou bien être dénoncé et poursuivi moi-même, sans le garantir. — Beaulieu, Essai, 233 : J'ai peur et je fais peur, tel fut le principe de toutes les atrocités révolutionnaires.
[93] Ludovic Sciout, Histoire de la Constitution civile du clergé, IV, 138 (Arrêtés de Pinet et Cavaignac, 22 pluviôse et 2 ventôse). — Moniteur, XXIV, 469 (séance du 30 prairial an III, dénonciation du représentant Laplanche, à la barre, par Boismartin). Le 24 brumaire an II, Laplanche et le général Scepher viennent s'installer à Saint-Lô chez un vieillard septuagénaire, Lemonnier, alors en état d'arrestation ; à peine y furent-ils entrés, des provisions de toute espèce, linge, habits, meubles, bijoux, livres, argenterie, voitures, titres de propriété, tout disparut. Tandis que les habitants de Saint-Lô vivaient de quelques onces de pain noir, le meilleur pain, les vins exquis pillés chez Lemonnier étaient prodigués dans des poêles et des chaudrons aux chevaux du général Scepher et du représentant Laplanche. Lemonnier, remis en liberté, n'a pu rentrer dans sa maison vidée, puis transformée en magasin ; il vit à l'auberge, dépouillé de toute sa propriété qui valait plus de 60.000 livres, n'ayant conservé, pour tous effets, qu'un couvert d'argent qu'il avait emporté avec lui en prison.
[94] Marcelin Boudet, 446 (notes de M. Ignace de Barante). — Ibid., 440 (mémoire inédit de Maignet).
[95] Archives nationales, AF, II, 56. Extrait des procès-verbaux des séances de la Société populaire de Metz, et dépositions faites au comité de surveillance de la Société, 12 floréal an II, sur la conduite du représentant Duquesnoy, arrivé à Metz la veille à 6 heures du soir. — Il y a 32 dépositions, entre autres celles de MM. Altmayer, Joly et Clédat. Un des témoins dit : A ces propos, j'ai regardé le citoyen (Duquesnoy) comme ivre ou saoul, on comme un homme hors de lui-même. — Cette attitude est habituelle à Duquesnoy. Cf. Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, 273, 370, et Archives des affaires étrangères, vol. 329, lettre de Gadolle, 11 septembre 1793 : J'ai vu Duquesnoy, le député, mort-ivre, à Bergues, le lundi de la Pentecôte, à 11 heures du soir. — Un séjour en France de 1792 à 1795, 136. Son tempérament naturellement sauvage est exalté jusqu'à la rage par l'abus des liqueurs fortes. Le général de nous assure qu'il l'a vu prendre aux cheveux le maire d'Avesnes, vieillard vénérable, qui lui présentait quelque pétition regardant la ville, et le jeter à terre avec des gestes de cannibale. — Lui et son frère étaient petits marchands de houblon au détail, à Saint-Pol. Il a fait de ce frère un général.
[96] Alexandrine des Echerolles, Une Famille noble sous la Terreur, 209. — A Lyon, le commissaire Marino, homme grand, fort, robuste, à voix de stentor, ouvre son audience par une bordée de jurons républicains. La foule des solliciteurs s'écoule... Une dame seule ose solliciter encore. — Qui es-tu ? — Elle se nomme. — Comment ! tu as la hardiesse de prononcer en ces lieux le nom d'un traître ! Hors d'ici ! — Et, la poussant du bras, il la mit à la porte à coups de pied.
[97] Archives Nationales, AF, II, 56. Quantité de témoignages unanimes prouvent au contraire que des personnes de toute condition sont venues au secours ; c'est pourquoi l'incendie a été éteint presque tout de suite.
[98] Archives Nationales, AF, II, 56. La Société populaire, à l'unanimité, atteste tous ces faits, et envoie six délégués pour protester auprès de la Convention. Jusqu'au 9 thermidor, elle n'obtient rien, et la taxe imposée par Duquesnoy est perçue. Le 5 fructidor an II, l'arrêté de Duquesnoy est annulé par le Comité de salut public, mais l'argent perçu n'est pas restitué.
[99] Paris, I, 370 (paroles de Duquesnoy à Lebon).
[100] Carnot, Mémoires, I, 414 (lettre de Duquesnoy au bureau central des représentants à Anas).
[101] Un Séjour en France, 158, 171. - Journal manuscrit de Mallet-Dupan (janvier 1795). — Cf. ses lettres à la Convention, ses gaietés de sbire et de geôlier, par exemple (Moniteur, XVIII, 214, loi brumaire an II, et 340, lettre du 14 brumaire). — Lacretelle, Dix années d'épreuves, 178. Il voulait que l'on dansât dans tout son fief de Picardie ; on dansait jusque dans les prisons ; on était suspect, si l'on ne dansait pas. Il tenait à l'observance rigide des fêtes de la Raison, et il fallait que, tous les décadis, on se rendit au temple de la déesse : c'était la cathédrale (à Noyon). Les dames, les bourgeoises, les couturières et les cuisinières étaient tenues d'y former ce qu'on appelait la chaîne de l'Égalité. Nous autres dragons, nous étions les acteurs forcés de cet étrange ballet.
[102] De Martel, Fouché, 418 (Arrêté d'Albitte et de Collot, 13 nivôse an II).
[103] Camille Boursier, Essai sur la Terreur en Anjou, 225. — Lettre de Vacheron, 15 frimaire an II. Républiquain, il faut absolument que, tout de suite, tu fasses venir ou apporter dans la maison des représentants une quantité de bouteilles de vin rouge dont la consommation est plus forte que jamais. On a bien le droit de boire à la République, quand ou a coopéré à la conservation de la commune que toi et les tiens habités. Je te fais responsable de ma demande. Signé, le républiquain Vacheron.
[104] Camille Boursier, Ibid., 210. Déposition de Mme Edin, à propos de la fille Quenion, âgée de 26 ans, 12 brumaire an III, et à propos de la fille Rose. Dépositions analogues de Benaben et de Scotty.
[105] Dauban, la Démagogie en 1793, p. 369 (Extraits des mémoires inédits de Mercier du Rocher). — Ibid., 370 : Bourdon de l'Oise était demeuré avec Tuncq à Chantonnay, oh ils s'occupaient à vider des bouteilles d'excellent vin. Bourdon est un excellent patriote, il a une âme sensible, mais il s'abandonne dans son ivresse à des vues impraticables. — Qu'on arrête, disait-il, ces scélérats d'administrateurs ! — Puis, mettant la tête à la fenêtre, il entendit galoper un cheval qui avait rompu son licou : C'est un autre contre-révolutionnaire. Qu'on les arrête tous ! — Cf. Souvenirs, par le général Pelleport, p. 21. A Perpignan, il assiste à la fête de la Raison : Le général commandant de la place fit un discours impudent jusqu'au plus dégoûtant cynisme. Des courtisanes, bien connues de ce misérable, occupaient une tribune ; elles agitèrent leurs mouchoirs en criant Vive la Raison ! — Après avoir entendu des harangues du même style prononcées par les représentants Soubrany et Milhaud, Pelleport, quoique mal guéri, revient au camp : Je ne respirais pas à mon aise en ville, et je ne me croyais en sûreté qu'en face de l'ennemi, avec mes camarades.
[106] Archives des affaires étrangères, tome 332, correspondance des agents secrets, octobre 1793. Le citoyen Cusset, représentant du peuple, ne met aucune dignité dans sa mission ; il boit comme un Lapithe, et, dans son ivresse, il fait des actes arbitraires, tout aussi bien qu'un vizir. — Pour le style et l'orthographe de Cusset, voir une de ses lettres (Dauban, Paris en 1794, p. 134). — Berryat Saint-Prix, la Justice révolutionnaire (2e édition), 339.
[107] Archives des affaires étrangères, 371 (D'après les pièces et documents publiés par M. Fajon). — Moniteur, XXIV, 453 (séance du 24 floréal, an III) : Adresse de la commune de Saint-Jean du Gard. — XXI, 528 (séance du 2 fructidor an III) : Adresse de la Société populaire de Nîmes.
[108] Moniteur, XXIV, 602 (séance du 13 prairial an III. Rapport de Durand-Maillane : Cette dénonciation est beaucoup trop justifiée par les pièces. C'est à la Convention à témoigner si elle veut en entendre la lecture. Je la préviens qu'on ne peut rien entendre de plus révoltant et qui soit mieux prouvé. — De Martel, Fouché, 746 (Rapport des autorités constituées de la Nièvre sur les missions de Collot d'Herbois, Laplanche, Fouché, Pointe, 19 prairial an III). Le plus ordurier était Laplanche, ancien bénédictin. Dans ses discours au peuple de Moulins-Engilbert, Saint-Pierre-le-Moutier et Nevers, Laplanche invitait les filles à l'abandon d'elles-mêmes et à l'oubli de la pudeur : Faites des enfants, disait-il, la République en a besoin ; la continence est la vertu des sots. — Bibliothèque Nationale, Lb41, n° 1802 (Dénonciation, par les six sections de la commune de Dijon, à la Convention nationale, contre Léonard Bourdon et Piochefer Bernard de Saintes pendant leur mission dans la Côte-d'Or). Détails sur les orgies de Bernard avec la municipalité, sur l'ivrognerie et les débauches de Bourdon avec les pires canailles du pays ; pièces authentiques prouvant les vols et assassinats commis par Bernard ; il e pillé la maison de M. Micault ; en quatre heures de temps, il a fait arrêter, juger, guillotiner le propriétaire ; il assistait lui-même au supplice, et, le soir même, dans la maison du mort, devant la fille du mort, il a chanté et dansé avec ses acolytes.
[109] Souvenirs, par le général Pelleport, p. 8. Il est inspecté avec son bataillon à Toulouse, sur la place du Capitole, par le représentant en mission. Il me semble encore voir cet histrion : il hochait sa tête hideuse et empanachée, et lutinait son sabre, comme un soldat en goguette, pour faire croire à sa bravoure. Il me fit peine !
[110] Fervel, Campagnes des Français dans les Pyrénées orientales, I, 169 (octobre 1793). — Ibid., 201, 206. - Cf. 188. Plan de Fabre pour s'emparer de Roses et de Figuières, avec 8.000 hommes, sans vivres ni transports : La fortune est pour les fous, disait-il. Naturellement, l'entreprise échoue, Collioure est perdu et les désastres s'accumulent. En compensation, l'excellent général Dagobert est destitué, le commandant Delattre et le chef d'état-major Ramel sont guillotinés ; devant les ordres impraticables des représentants, le commandant de l'artillerie se suicide. — Sur le dévouement des officiers et sur l'enthousiasme des soldats, Ibid., II, 105, 106, 130, 131, 262.
[111] De Sybel (traduction Dosquet), II, 435, III, 132,140 (pour les détails et les autorités). — Cf. les mémoires du maréchal Soult.
[112] Gouvion Saint-Cyr, Mémoires sur les campagnes de 1792 à la paix de Campo-Formio, I, p. 91 à 139. — Ibid., 229 : Cela fit que les hommes qui avaient quelques moyens s'éloignaient avec obstination de toute espèce d'avancement. — Cf. Ibid., II, 131 (novembre 1794), la continuation des mêmes sottises. Par ordre des représentants, l'armée campe tout l'hiver dans des baraques sur la rive gauche du Rhin, près de Mayence, mesure inutile et de pure parade littéraire. On ne voulut entendre aucune raison, et une belle armée, une bonne cavalerie bien attelée durent périr de froid et de faim, sans aucune utilité, dans des bivacs qu'on pouvait éviter. — Les détails sont navrants ; jamais l'ineptie des chefs civils n'a plus abusé de l'héroïsme militaire.
[113] Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, chap. I, pour tous les détails de biographie et de caractère.
[114] Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, 13. — Sa mère devint folle et fut enfermée ; ce qui lui avait dérangé l'esprit, c'était, dit Lebon lui-même, son indignation contre mon serment et contre ma nomination à la cure de Neuville-Vitasse.
[115] Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, 123. Discours de Lebon dans l'église de Beaurains.
[116] Paris, Histoire de Joseph Lebon, II, 71, 72. — Cf. 85. Le citoyen Chamonart, marchand de vin, étant à la porte de sa cave, voit passer le représentant, le regarde et ne le salue pas. Lebon vient à lui, le fait arrêter, le traite d'agent de Pitt et de Cobourg.... On le fouille, on prend son portefeuille, et on le conduit aux Anglaises. (Procès, tome I, p. 283.)
[117] Paris, Histoire de Joseph Lebon, II, 84.
[118] Moniteur, XXV, 201 (séance du 22 messidor an III), paroles de Lebon : Quand, à la tribune (de la Convention), on annonçait des conspirations de prisons... je ne rêvais plus que conspirations de prisons.
[119] Moniteur, XXV, 211 (Explications de Lebon à la Convention). — Paris, II, 350, 351 (verdict du jury).
[120] Paris, II, 86.
[121] Buchez et Roux, XXXIV, 181 (Déposition de Monneron, négociant).
[122] Buchez et Roux, XXXIV, 184 (Déposition de Chaux). — Cf. 200 (Déposition de Monneron et de Villemain, négociants).
[123] Buchez et Roux, XXXIV, 204 (Déposition de Lamarie, administrateur du département).
[124] Buchez et Roux, XXXIV, 173 (Déposition d'Evart, commis aux écritures). — 168 (Déposition de Thomas, officier de santé). A toutes ses demandes, Carrier lui répondit m..., m..., et autres ordures semblables.
[125] Buchez et Roux, XXXIV, 203 (Déposition de Bonami, négociant).
[126] Buchez et Roux, XXXIV, 156 (Déposition de Vaujois, accusateur public de la commission militaire).
[127] Buchez et Roux, XXXIV, 169 (Déposition de Thomas). — Berryat Saint-Prix, p. 34, 35. Buchez et Roux, 148. Il a reçu, avec des soufflets, des membres de la Société populaire et, à coups de sabre, des officiera municipaux qui lui demandaient des subsistances. — Il tire son sabre contre le marinier, et lui porte un coup, que celui-ci n'esquive qu'en fuyant.
[128] Buchez et Roux, XXXIV, 196 (Déposition de Julien). Carrier me dit avec emportement : C'est donc toi, sacré gueux, qui le permets de me dénoncer au Comité de salut public. — Comme il importe quelquefois au bien général de se défaire de certaines gens en secret, je ne me donnerai pas la peine de t'envoyer à la guillotine, je serai moi-même ton bourreau.
[129] Buchez et Roux, XXXIV, 175 (Déposition de Tronjolly), 205 (Dépositions de Jeanne Lavigne, marchande ; d'Arnaudan, commissaire civil, et de Corneret, négociant.), 179 (Déposition de Villemain). — Berryat Saint-Prix, 34 : Carrier, dit le gendarme Desquer qui portait ses lettres, était un lion rugissant plutôt qu'un mandataire du peuple. — Il avait l'air à la fois d'un charlatan et d'un tigre, dit un autre témoin.
[130] Buchez et Roux, XXXIV, 204 (Déposition de Lamarie).
[131] Buchez et Roux, XXXIV, 183 (Déposition de Chaux).
[132] Mallet-Dupan, Mémoires, II, 6 (mémoire du 1er février 1794). — Sur André Dumont, Un Séjour en France, 158, 171. — Sur Merlin de Thionville, Michelet, VI, 97.
[133] De Martel, Fouché, 109.
[134] Mallet-Dupan, II, 46.
[135] Buchez et Roux, XXXII, 413, 423 (Lettres de Julien à Robespierre).
[136] Archives nationales, AF, II, 111. Arrêté de Bourbotte (Tours, 5 messidor an II) requérant l'administration du district de mettre à sa disposition, tant pour ses besoins personnels que pour ceux des citoyens attachés à sa commission, la quantité de 40 bouteilles de vin rouge et 30 de blanc, lesquelles seront prises dans les caves des émigrés ou des condamnés à mort, et en outre 60 bouteilles de vin commun, soit en blanc, soit en rouge. Le 13 messidor, tout est bu ; nouvel arrêté requérant 50 bouteilles de vin rouge, 60 de vin commun, et 2 bouteilles d'eau-de-vie. — De Martel, Fouché, 419, 420. — Moniteur, XXIV, 604 (séance du 13 prairial an III). Dugué lit le résumé des accusations portées contre Mallarmé : il est prévenu.... d'avoir mis en réquisition tout ce qu'il lui plaisait pour sa table et pour ses besoins, et de n'avoir jamais rien payé, pas même les chevaux de poste et les postillons qui le conduisaient. — Ibid., 602. Rapport de Perès du Gers. Il accuse Dartigoyte.... d'avoir assisté, avec son secrétaire, à l'encan des meubles de Daspe, condamné ; d'avoir fait retenir les plus précieux pour lui, qu'il se fît ensuite adjuger au prix qu'il voulut, ayant fait prévenir ceux qui étaient chargés de la vente que la réclusion attendait ceux qui s'aviseraient d'enchérir sur les objets qu'il s'était destinés. — Laplanche, ex-bénédictin, disait, dans sa mission du Loiret : Ceux qui n'aiment pas la Révolution doivent payer ceux qui la font.
[137] Buchez et Roux, XXXII, 426 (Extrait des Mémoires de Sénart). — Hamel, III, 665 (Description de l'intérieur de Teresa, par le marquis de Paroy, solliciteur et témoin oculaire).
[138] Buchez et Roux, XXXIII, 12 (Extrait des Mémoires de Sénart) : Les copies certifiées des mandats de cette nature sont déposées au Comité de sûreté générale.
[139] Rapport de Courtois, 360 (Lettres de Julien à Robespierre, 15 et 16 pluviôse an II). — Buchez et Roux, XXXIV, 199, 200, 202, 203, 211 (Dépositions de Villemain, Monneron, Legros, Robin). — Berryat Saint-Prix, 35 (Dépositions de Fourrier et de Louise Courant, lingère).
[140] Sur Tallien, Mémoires de Sénart. — Sur Javogues, Moniteur, XXIV, 461, 24 floréal an III. Pétition contre Javogues, avec plusieurs pages de signatures, notamment des habitants de Montbrison : Dans le compte rendu par lui à la Convention, l'état du numéraire et des assignats n'est porté qu'à 774.696 livres, et la dépouille d'un seul individu lui a fourni plus de 500.000 livres de numéraire. — Sur Fouché, De Martel, 252. — Sur Dumont, Mallet-Dupan, Notes manuscrites (janvier 1795). — Sur Rovère, Michelet, VI, 256. — Carnot, II, 87 (D'après les mémoires de l'Allemand Œlsner, qui était à Paris sous le Directoire) : Le ton du salon de Barras était celui d'une maison de jeu un peu distinguée ; la maison de Rewbell ressemblait à une salle d'auberge où s'arrête la diligence.
[141] Buchez et Roux, XXXII, 391, et XXXIII, 9 (Extraits des Mémoires de Sénart).
[142] Carnot, Mémoires, I, 416. — Carnot ayant présenté au Comité de salut public la preuve des dilapidations commises à l'armée du Nord, Saint-Just s'emporta et dit : Il n'y a qu'un ennemi de la République qui puisse accuser ses collègues de dilapidations, comme si tout n'appartenait pas de droit aux patriotes.
[143] Pour Caligula, voir les récits de Suétone et de Philon. — Pour Hakem voir l'Exposé de la religion des Druses, par M. de Sacy.
[144] Discours de Saint-Just à la Convention, 26 février 1794 : Ce qui constitue une république, c'est la destruction totale de ce qui loi est opposé.
[145] Arrêté de Saint-Just et Lebas pour les départements du Pas-de-Calais, du Nord, de la Somme et de l'Aisne. — Cf. Histoire de l'Alsace, par Strœbel, et Recueil de pièces authentiques pour servir à l'histoire de la Révolution à Strasbourg, 3 volumes. — Archives nationales, AF, II, 135. Arrêté du 10 brumaire an II, et, liste des cent quatre-vingt-treize personnes taxées.
[146] Buchez et Roux, XXXI, 32 (Paroles de Saint-Just au maire Monet). De Sybel, II, 447, 448. — Dès la première entrevue, Saint-Just dit à Schneider : A quoi bon tant de cérémonies ? Ne connais-tu pas les crimes des aristocrates ? Dans les vingt-quatre heures que tu perds à une enquête, on pourrait prononcer vingt-quatre condamnations.
[147] Journal de marche du sergent Fricasse, p. 34 (Récit du maréchal Soult).
[148] Cf. dans la Bible l'histoire d'Assuérus qui, par respect pour sa propre majesté, ne peut rétracter son ordre contre les Juifs, mais para à la difficulté en leur permettant de se défendre.
[149] Mallet-Dupan, II, 47.
[150] Berryat Saint-Prix, la Justice révolutionnaire, préface, XVII. — Marcelin Boudet, les Conventionnels d'Auvergne, 269. — Moniteur, 27 brumaire an III (Rapport de Calès).
[151] Paris, Histoire de Joseph Lebon, I, 371 ; II, 341, 344. — De Martel, Fouché, 153. — Berryat Saint-Prix, 347, 348.
[152] Berryat Saint-Prix, 390. Ibid., 404 (sur Soubrié, bourreau à Marseille, lettre de Lazare Giraud, accusateur public) : Je le fis descendre au cachot pour avoir pleuré sur l'échafaud, en exécutant les contre-révolutionnaires que nous envoyions au supplice.
[153] Moniteur, XVIII, 413 (séance de la Convention, lettre de Lequinio et Laignelot, Rochefort, 17 brumaire an II) Nous avons nommé le patriote Anse guillotineur, et nous l'avons invité à venir, en dînant avec nous, prendre ses pouvoirs par écrit et les arroser d'une libation en l'honneur de la République. — Paris, II, 72.
[154] Marcelin Boudet, 270 (témoignage de Bardanèche de Bayonne).
[155] Guillon, Histoire de la ville de Lyon pendant la Révolution, II, 427, 431, 433.
[156] Mémoire historique par le citoyen Fréron (dans la collection Barrière), p. 357 (témoignage d'un des survivants).
[157] Paris, II, 32.
[158] Delandine, Tableau des prisons de Lyon, 14.
[159] Lamine Boursier, Essai sur la Terreur en Anjou, 164 (Laredo Boniface, ex-bénédictin, président du comité révolutionnaire, au représentant Richard, 3 brumaire an II) : Nous vous envoyons le nommé Henri Verdier, dit de la Saurinière.... Vous ne serez pas longtemps à voir que c'est un présent que nous faisons à la guillotine.... Le Comité vous demande de lui envoyer sacram sanctam guillotinam et le ministre républicain de son culte.... Il n'est pas d'heure dans la journée où il ne nous arrive des récipiendaires que nous désirons initier à ses mistère (sic).
[160] Thibaudeau, Histoire du Terrorisme dans le département de la Vienne, 34, 48. — Berryat Saint-Prix, 239.
[161] Archives nationales, F7, 4435 (Lettre de Lebon, 23 floréal an II). — Paris, I, 241.
[162] Buchez et Roux, XXXIV, 184, 200 (Dépositions de Chaux, Monneron et Villemain).
[163] Registre du tribunal révolutionnaire de Nantes, copié par M. Chevrier. (M. Chevrier a bien voulu me communiquer cette copie manuscrite.) Berryat Saint-Prix, 94. — Archives nationales, F7, 4591 (Extrait des arrêtés du Comité de législation, séance du 3 floréal an III, restitution des biens confisqués d'Alexandre Long à son fils). Dartigoyte à Auch avait guillotiné sans jugement, comme Carrier à Nantes. Il résulte des pièces ci-dessus visées que, le 27 germinal an II, entre huit et neuf heures du soir, Alexandre Long père fut mis à mort sur la place publique de la commune d'Auch par l'exécuteur des jugements criminels, sans qu'il fut intervenu aucun jugement contre ledit Long. — En beaucoup d'endroits, l'exécution devient pour les Jacobins de la ville un spectacle et une partie de plaisir : par exemple à Arras, sur la place des exécutions, on a installé une galerie pour les spectateurs et une buvette où l'on vend des rafraîchissements, et, pendant le supplice de M. de Montgon, on joue le Ça ira sur la grosse caisse (Paris, II, 158, et I, 139). — Tel représentant facétieux se donne des répétitions de la pièce, en petit et à domicile : Lejeune, pour repaître son imagination sanguinaire, avait fait construire une petite guillotine avec laquelle il coupait le cou à toutes les volailles destinées pour sa table.... Souvent, au milieu du repas, il se la faisait apporter, et en faisait admirer le jeu à tous ses convives. (Moniteur, XXIV, 607, séance du 1er juin 1795, lettre du district de Besançon, qui a envoyé, avec sa lettre, la pièce probante) : Cette guillotine, dit le rapporteur, est déposée au Comité de législation.