Développement de la passion maîtresse. — I. Attitude des nobles. - Modération de leur résistance. — II. Travail de l'imagination populaire à leur endroit. - Monomanie du soupçon. - Les nobles suspects et traités en ennemis. - Situation d'un gentilhomme dans son domaine. - Affaire de M. de Bussy. — III. Visites domiciliaires. - La cinquième jacquerie. - La Bourgogne et le Lyonnais en 1791. - Affaires de M. de Chaponay et de M. Guillin-Dumontet. — IV. Les nobles obligés de quitter la campagne. - Ils se réfugient dans les villes. - Dangers qu'ils y courent. - Les quatre-vingt-deux gentilshommes de Caen. — V. Persécutions qu'ils subissent dans la vie privée. — VI. Conduite des officiers. - Leur abnégation. - Dispositions des soldats. - Les émeutes militaires. - Propagation et accroissement de l'indiscipline. - Démission des officiers. — VII. L'émigration et ses causes. - Premières lois contre les émigrés. — VIII. Attitude des prêtres insermentés. - Comment ils deviennent suspects. - Arrêtés illégaux des administrations locales. - Violence ou connivence des gardes nationales. - Attentats de la populace. - Le Pouvoir exécutif dans le Midi. - La sixième jacquerie. - Ses deux causes. - Éruptions isolées dans le Nord, l'Est et l'Ouest. - Éruption générale dans le Centre et le Midi. — IX. État des esprits. - Les trois convois de prêtres insermentés sur la Seine. - Psychologie de la Révolution. I Si la passion populaire aboutit aux meurtres, ce n'est pas que la résistance soit grande ni violente. Au contraire, jamais aristocratie n'a souffert sa dépossession avec tant de patience, et n'a moins employé la force pour défendre ses prérogatives ou même ses propriétés. A parler exactement, celle-ci reçoit les coups sans les rendre, et, quand elle s'arme, c'est presque toujours avec la bourgeoisie et la garde nationale, sur l'invitation des magistrats, conformément à la loi, pour sauvegarder les personnes et les biens. Les nobles tâchent de ne pas être tués, ni volés, rien de plus ; pendant près de trois ans, ils ne lèvent aucun drapeau politique. Dans les villes où ils ont l'ascendant et que l'on dénonce comme des révoltées, par exemple Mende et Arles, leur opposition se borne à réprimer l'émeute, à contenir la plèbe et à faire respecter la loi. Ce n'est point contre l'ordre nouveau, c'est contre le désordre brutal qu'ils se liguent. — A Mende, dit la municipalité[1], nous avons eu la gloire de solder les premiers les contributions de 1790. Nous avons remplacé notre évêque ; nous avons installé son successeur sans aucun trouble et sans le secours d'aucune force étrangère.... Nous avons dispersé les membres d'une cathédrale auxquels nous tenions tous par les liens du sang ou de l'amitié ; nous avons renvoyé depuis l'évêque jusqu'aux enfants de chœur. Nous n'avions que trois maisons de religieux mendiants, elles ont été toutes les trois supprimées. Nous avons vendu tous les biens nationaux sans aucune exception. — A la vérité le commandant de leur gendarmerie est un ancien garde du corps, et les officiers supérieurs de leur garde nationale sont des gentilshommes ou des croix de Saint-Louis. Mais, visiblement, s'ils se défendent contre les Jacobins, ils ne s'insurgent pas contre l'Assemblée. — Dans Arles qui a dompté sa populace[2], qui s'est armée, qui a fermé ses portes et qui passe pour un foyer de conspiration royaliste, les commissaires envoyés par le Roi et par l'Assemblée nationale, gens circonspects et de poids, ne trouvent, après un mois d'examen, que soumission aux décrets et zèle pour la chose publique. Voilà, disent-ils, les hommes qu'on a calomniés, parce que, chérissant la Constitution, ils avaient pris en horreur le fanatisme, les démagogues et l'anarchie. Si les citoyens ne s'étaient pas réveillés au moment du danger, ils auraient été égorgés comme leurs voisins (d'Avignon). C'est cette insurrection contre le crime que des brigands ont noircie. S'ils ont fermé leurs portes, c'est parce que les gardes nationaux de Marseille, les mêmes qui s'étaient si mal conduits dans le Comtat, accouraient, sous prétexte de maintenir la liberté et de prévenir la contre-révolution, mais en réalité pour piller la ville. Aux élections très-sages et très-calmes qui viennent d'avoir lieu, on n'a crié que Vive la Nation, la Loi et le Roi. On a parlé de l'attachement des citoyens à la Constitution.... L'obéissance aux lois, l'empressement le plus vif à acquitter les contributions publiques, voilà ce que nous avons remarqué chez ces prétendus contre- révolutionnaires. Tous ceux qui sont sujets à l'impôt des patentes se rendent en foule à l'Hôtel de Ville. A peine le bureau des recettes a-t-il été ouvert, que les honnêtes gens y ont afflué ; au contraire les soi-disant bons patriotes, républicains ou anarchistes, n'ont pas brillé dans cette occasion : un très-petit nombre d'entre eux ont fait soumission. Les autres sont tout étonnés qu'on leur demande de l'argent : on les avait flattés d'un espoir si différent ! Bref, pendant plus de trente mois, sous une pluie continue
de menaces, de spoliations et d'outrages, les nobles qui sont demeurés en
France ne commettent et n'entreprennent aucune hostilité contre le
gouvernement qui les persécute. Aucun d'eux, pas même M. de Bouillé, ne tente
d'exécuter un véritable plan de guerre civile ; à cette date et dans leurs
rangs, je ne trouve qu'un homme résolu, prêt à l'action et qui, contre un
parti militant, travaille à former un parti militant ; il est vraiment
politique et conspirateur, il s'entend avec le comte d'Artois, il fait signer
des pétitions pour la liberté du Roi et de l'Église, il organise des
compagnies armées, il embauche des paysans, il prépare une Vendée du
Languedoc et de la Provence ; et c'est un
bourgeois, Froment de Nîmes[3]. Mais au moment
de l'action, sur dix-huit compagnies qu'il croyait acquises à sa cause, il ne
s'en trouve que trois pour marcher avec lui. Les autres restent au logis,
jusqu'à ce que, Froment vaincu, on vienne les égorger à domicile, et les
survivants qui se sauvent à Jalès y trouvent, non une place forte, mais un
asile temporaire, où ils ne parviennent jamais à transformer leurs velléités
en volontés[4].
— Eux aussi, comme les autres Français, les nobles ont subi la longue
pression de la centralisation monarchique. Ils ne font plus un corps, ils ont
perdu l'instinct d'association. Ils ne savent plus agir d'eux-mêmes, ils sont
des administrés, ils attendent l'impulsion du centre, et, au centre, le roi,
leur général héréditaire, captif du peuple, leur commande de se résigner, de
ne rien faire. D'ailleurs, comme les autres Français, ils ont été élevés dans
la philosophie du dix-huitième siècle : La liberté
est si précieuse, écrivait le duc de
Brissac[5], qu'il faut bien l'acheter par quelques peines ; la
féodalité détruite n'empêchera pas d'être respecté et aimé, ce qui est le bon
et le certain. — Pendant longtemps ils persistent dans cette illusion
: ils restent optimistes. Ils ne comprennent pas qu'étant eux-mêmes
bienveillants pour le peuple, le peuple puisse être malveillant pour eux ; ils
s'obstinent à croire que les troubles sont passagers. Aussitôt que la
Constitution est proclamée, d'Espagne, de Belgique, d'Allemagne, ils
reviennent en foule ; pendant quelques jours la poste de Troyes ne peut
fournir assez de chevaux aux émigrés qui rentrent[6]. Ainsi, ils
acceptent non-seulement l'abolition de la féodalité et l'égalité civile, mais
encore l'égalité politique et la souveraineté du nombre. — Très-probablement
des égards, quelques respects extérieurs, des saluts les auraient ralliés de
cœur à d'institution démocratique. Ils consentiraient même à être confondus
dans la foule, à subir le niveau commun, à vivre en simples particuliers.
S'ils étaient traités comme le bourgeois ou le paysan leurs voisins, si leurs
propriétés et leurs personnes étaient respectées, ils supporteraient sans
aigreur le nouveau régime. Que les grands seigneurs émigrés, que les gens de
l'ancienne cour intriguent à Coblentz ou à Turin : cela est naturel,
puisqu'ils ont tout perdu, autorité, places, pensions, sinécures, plaisirs et
le reste. Mais, pour la petite et moyenne noblesse de province, chevaliers de
Saint-Louis, officiers subalternes, propriétaires résidants, la perte est
petite. La loi a supprimé la moitié de leurs droits seigneuriaux ; mais, en
vertu de la même loi, leurs terres sont affranchies de la dîme. Ils n'auront pas les places dans l'élection populaire,
mais ils ne les avaient pas sous l'arbitraire ministériel. Ministériel ou
populaire, peu leur importe que le pouvoir ait changé de main ; ils ne sont
pas habitués à ses faveurs, et ils continueront leur vie ordinaire, chasse,
promenades, lectures, visites, conversations, pourvu qu'ils trouvent, comme
le premier venu, comme l'épicier du coin, comme leur valet de ferme,
protection, sûreté, sécurité, sur la voie publique et dans leur logis[7]. II Par malheur, la passion populaire est une puissance aveugle, et faute de lumières, elle se laisse guider par ses visions. Les imaginations travaillent, et travaillent conformément à la structure de la cervelle échauffée qui les enfante. Si l'ancien régime revenait ! S'il nous fallait rendre les biens du clergé ! Si nous étions obligés de nouveau de payer la gabelle, les aides, la taille, les redevances que grâce à la loi nous ne payons plus, et les autres impôts ou redevances que nous ne payons plus malgré la loi ! Si tant de nobles dont on a brûlé les châteaux ou qui, le couteau sur la gorge, ont donné quittance de leurs rentes, trouvaient moyen de se venger et de rentrer dans leurs anciens droits ! Certainement, ils y songent, ils s'entendent entre eux, ils complotent avec l'étranger ; au premier jour, ils vont fondre sur nous ; il faut les surveiller, les réprimer et au besoin les détruire. — Dès les premiers jours, ce raisonnement instinctif a prévalu, et, à mesure que la licence augmente, il prévaut davantage. Le seigneur est toujours le créancier passé, présent, futur, ou tout au moins possible, c'est-à-dire le pire et le plus odieux ennemi. Toutes ses démarches sont suspectes, et jusqu'à son oisiveté même ; quoi qu'il fasse, c'est pour s'armer. — A une lieue de Romans, en Dauphiné[8], M. de Gilliers, établi là avec sa sœur et sa femme, s'amusait à planter des arbres et des fleurs ; à quinze pas de sa maison, dans une autre campagne, M. de Montchorel, vieux militaire, M. Osmond, vieil avocat de Paris, avec leurs femmes et leurs enfants, occupaient leurs loisirs à peu près de même. M. de Gilliers ayant fait venir des tuyaux de bois pour conduire l'eau, le bruit se répand que ce sont des canons. Son hôte, M. Servan, reçoit une malle de voyage à l'anglaise ; on dit qu'elle est pleine de pistolets. M. Osmond et M. Servan s'étant promenés dans la campagne avec du papier à dessiner et des crayons, il est avéré qu'ils dressent des plans du pays pour les Espagnols et les Savoyards. Les quatre voitures des deux familles vont à Romans chercher des invités ; au lieu de quatre voitures, il y en a dix-neuf, et elles ramènent des aristocrates qui viennent se cacher dans les souterrains. M. de Senneville, cordon rouge, fait visite en revenant d'Alger ; c'est un cordon bleu, et ce cordon bleu est le comte d'Artois en personne. Conspiration évidente, à cinq heures du matin, dix-huit communes, deux mille hommes en armes arrivent aux portes des deux maisons ; les cris, les menaces de mort durent pendant huit heures ; un coup de fusil tiré à quatre pas sur les suspects rate par accident ; un paysan qui les vise dit à son voisin : Donne-moi une pièce de vingt-quatre sous, et je leur mettrai mes deux balles dans le corps. Enfin, M. de Gilliers, qui était absent pour un baptême, revient avec les chasseurs royaux de Dauphiné, avec la garde nationale de Romans, et, grâce à leur aide, délivre sa famille. — C'est seulement dans les villes, dans quelques villes, et pour très-peu de temps, qu'un noble inoffensif et attaqué trouve encore un peu de secours : les fantômes qu'on s'y forge sont moins grossiers ; des demi-lumières, un reste de bon sens, empêchent l'éclosion des contes trop absurdes. — Mais dans les ténèbres profondes des cervelles rustiques, rien n'arrête la monomanie du soupçon. Le rêve y pullule, comme une mauvaise herbe dans un trou sombre ; il s'y enracine, il y végète jusqu'à devenir croyance, conviction, certitude ; il y produit ses fruits qui sont l'hostilité, la haine, les pensées homicides et incendiaires. A force de regarder le château, le village y voit une Bastille armée qu'il faut prendre, et, au lieu de saluer le seigneur, il ne songe plus qu'à lui tirer un coup de fusil. Suivons en détail une de ces histoires locales[9]. Au mois de juillet 1789, pendant la jacquerie du Mâconnais, la paroisse de Villiers a réclamé l'aide de son seigneur, M. de Bussy, ancien colonel de dragons ; il est revenu, il a donné à dîner aux gens du village, il a essayé de les former en garde bourgeoise contre les incendiaires et les brigands : avec les hommes de bonne volonté, il a fait patrouille tous les soirs pour tranquilliser sa paroisse. Le bruit, ayant couru qu'on empoisonnait les puits, il a mis des gardes à tous les puits, excepté aux siens, afin de prouver que c'était pour sa paroisse qu'il travaillait, et non pour lui. Bref, il a fait de son mieux pour se concilier les villageois et pour les employer au salut commun. — Mais, à titre de seigneur et de militaire, il est suspect, et c'est Perron, syndic de la commune, que maintenant la commune écoute. Perron annonce que, le roi ayant retiré sa parole jurée, on ne peut plus avoir confiance en lui, ni par conséquent en ses officiers et gentilshommes. M. de Bussy proposant aux gardes nationaux de secourir le château du Thil qui brûle, Perron les en empêche : C'est la noblesse et le clergé, dit-il, qui allument les incendies. M. de Bussy insiste, supplie, offre d'abandonner son terrier, c'est-à-dire tous ses droits seigneuriaux, si l'on veut marcher avec lui pour arrêter le fléau ; on refuse. Il persévère, et, ayant appris que le château de Juillenas est en péril, il réunit, à force d'instances, cent cinquante hommes de sa paroisse, marche avec eux, arrive, sauve le château qu'un attroupement voulait incendier. Mais l'effervescence populaire qu'il vient de calmer à Juillenas a gagné sa propre troupe ; les brigands ont séduit ses hommes, ce qui l'oblige à les remmener, et, tout le long de la route, on fait des motions pour lui tirer dessus. — Revenu au logis, il est menacé jusque chez lui ; une bande vient attaquer son château, puis, le trouvant en défense, demande qu'on la laisse aller à celui de Courcelles. — Au milieu de toutes ces violences, M. de Bussy, avec une quinzaine d'amis et de serviteurs, parvient à se préserver, et, à force de patience, d'énergie, de sang-froid, sans tuer ni blesser un seul homme, finit par rétablir la sûreté dans tout le canton. La jacquerie s'apaise, il semble que l'ordre nouveau va s'affermir ; il fait revenir Mme de Bussy, et quelques mois s'écoulent. — Mais les imaginations populaires sont empoisonnées, et, quoi que fasse un gentilhomme, il n'est plus toléré dans sa terre. A quelques lieues de là, le 29 avril 1790, M. de Bois-d'Aisy, député à l'Assemblée nationale, revenait dans sa paroisse pour voter aux élections nouvelles[10]. A peine arrivé, la commune de Bois-d'Aisy lui fait signifier par son maire qu'elle ne veut pas qu'il soit éligible. Il vient à l'assemblée électorale qui s'est réunie dans l'église ; là, du haut de la chaire, un officier municipal invective contre les nobles, les prêtres, et déclare qu'ils ne doivent point prendre part aux élections. Tous les yeux se tournent vers M. de Bois-d'Aisy, seul noble de l'assistance ; néanmoins il prête le serment civique, et peu s'en faut que cela ne lui coûte cher ; car on murmure autour de lui, et nombre de paysans disent que pour l'en empêcher il aurait fallu le pendre, comme le seigneur de Sainte-Colombe. En effet, la veille même, celui-ci, M. de Vitteaux, vieillard de soixante-quatorze ans, a été chassé de l'assemblée primaire, puis arraché de la maison où il s'était réfugié, et meurtri à coups de bâton ; on l'a traîné dans les rues, puis sur la place ; on lui a enfoncé du fumier dans la bouche et un bâton dans les oreilles ; il a expiré après un martyre de trois heures. Le même jour, dans l'église des Capucins, à Semur, les paroisses rurales assemblées ont exclu par les mêmes moyens leurs prêtres et leurs gentilshommes : M. de Damas et M. de Sainte-Maure ont été assommés à coups de bâton et de pierres ; le curé de Massigny est mort de six coups de couteau ; M. de Virieu s'est sauvé comme il a pu. — Après de tels exemples, il est probable que beaucoup de nobles ne tiendront plus à exercer leur droit de suffrage. M. de Bussy n'y prétend point ; seulement il essaye de constater qu'il est fidèle à la nation et ne médite rien contre la garde nationale ou le peuple. Dès les commencements, il a proposé aux volontaires de Mâcon de s'affilier à eux, lui et sa petite troupe ; ils ont refusé ; ainsi, de ce côté, la faute n'est pas sienne. Le 14 juillet 1790, jour de la fédération dans son domaine, il envoie à Villiers tous ses gens, munis de la cocarde tricolore. Lui-même, avec trois amis, il vient à la cérémonie pour prêter le serment, tous les quatre en uniforme, cocarde au chapeau, sans autre arme que leur épée, et une badine à la main. Ils saluent les gardes nationaux assemblés des trois paroisses voisines et se tiennent hors de l'enceinte pour ne pas donner ombrage. Mais ils ont compté sans les préventions et l'animosité des municipalités nouvelles. Perron, l'ancien syndic, est devenu maire ; un autre officier municipal est Bailly, cordonnier du village ; leur conseil est un ancien dragon, probablement l'un de ces soldats déserteurs ou licenciés qui sont les brandons de presque toute émeute. Un peloton de douze ou quinze hommes se détache des rangs et marche vers les quatre gentilshommes ; ils vont au-devant, le chapeau à la main. Tout d'un coup, le peloton les couche en joue, et Bailly, d'un air furieux, leur demande ce qu'ils viennent f... ici. M. de Bussy répond qu'ayant été informé de la fédération, il y vient pour prêter serment, comme les autres. Bailly demande pourquoi il y vient armé. M. de Bussy fait observer qu'ayant servi, l'épée est inséparable de l'uniforme, et que c'eût été leur manquer que de venir sans cet insigne ; du reste, ils doivent remarquer qu'il n'a point d'autres armes. Bailly, toujours furieux et, de plus, exaspéré par ces raisons trop bonnes, se tourne, le fusil à la main, vers le chef du peloton, et lui demande à trois reprises : Mon commandant, faut-il ? — Le commandant n'ose prendre sur lui un meurtre si gratuit, se tait et finit par ordonner à M. de Bussy de f... le camp ; — ce que je fis, dit M. de Bussy. — Néanmoins, arrivé chez lui, il écrit à la municipalité pour bien marquer le motif de sa venue et pour demander l'explication d'un pareil traitement. Le maire Perron jette la lettre sans vouloir la lire, et le lendemain, au sortir de la messe, la garde nationale vient, en signe de menace, charger ses armes devant M. de Bussy, tout autour de son jardin. — Quelques jours après, à l'instigation de Bailly, deux autres propriétaires du voisinage sont assassinés chez eux. Enfin, dans un voyage à Lyon, M. de Bussy apprend que l'on rebrûle les châteaux dans le Poitou, et qu'on va recommencer partout. — Alarmé par tous ces indices, il prend décidément son parti pour former une troupe de volontaires qui, restant dans son château, pourront venir au secours du canton, sur réquisition légale. Il estime que quinze hommes braves suffiront. Au mois d'octobre 1790, il en a déjà six avec lui ; des habits verts ont été commandés pour eux ; des boutons d'uniforme ont été achetés. Sept ou huit domestiques pourront faire nombre. En fait d'armes et de munitions, le château renferme deux barils de poudre qui s'y trouvaient avant 1789, sept mousquetons et cinq sabres de cavalerie que les anciens dragons de M. de Bussy y ont laissés en passant ; ajoutez-y deux fusils de chasse doubles, trois fusils de munition, cinq paires de pistolets, deux mauvais fusils simples, deux vieilles épées, un couteau de chasse ; voilà toute la garnison, tout l'arsenal, et ce sont ces préparatifs si justifiés, si bornés, que le préjugé, joint aux commérages, va transformer en un grand complot. En effet, dès le premier jour, le village a soupçonné le château ; tous ses hôtes, toutes leurs entrées et sorties, tous leurs tenants et aboutissants ont été espionnés, dénonces, grossis et défigurés. Si, par la maladresse ou l'imprudence de tant de gardes nationaux improvisés, un jour, en plein midi, une balle égarée est arrivée dans une grange, elle vient du château ; ce sont les aristocrates qui ont tiré sur les paysans. — Mêmes soupçons dans les villes voisines. La municipalité de Valence, ayant appris que deux jeunes gens font faire des habits dont la couleur parait suspecte, mande le tailleur ; celui-ci avoue et ajoute qu'on s'est réservé de mettre les boutons. Un tel détail est alarmant. L'enquête s'ouvre et accroit les alarmes : on a vu passer des gens en uniforme inconnu, ils vont au château de Villiers ; de là, quand ils seront deux cents, ils iront rejoindre la garnison de Besançon ; ils voyageront quatre par quatre pour dérouter la surveillance. A Besançon, ils trouveront un corps de quarante mille hommes commandé par M. d'Autichamp ; ce corps se portera à Paris pour enlever le roi et dissoudre l'Assemblée nationale. Sur toute la route, il s'adjoindra par force les gardes nationales. A une certaine distance, chaque homme touchera 1 200 livres ; à la fin de l'expédition, il sera nommé garde d'Artois, sinon renvoyé avec une gratification de 12.000 livres. Cependant, le prince de Condé, avec quarante mille hommes, viendra par Pont-Saint-Esprit en Languedoc, ralliera les malveillants de Carpentras et du camp de Jalès, occupera Cette et les autres ports. Enfin, de son côté, le comte d'Artois entrera par Pont-Beauvoisin avec trente mille hommes. — Terrible découverte : la municipalité de Valence en donne avis à celles de Lyon, de Besançon, de Châlons, de Mâcon et à d'autres encore. Là-dessus, la municipalité de Mâcon, considérant que les ennemis de la Révolution font toujours les efforts les plus grands pour anéantir la Constitution qui fait le bonheur de cet empire, persuadée qu'il est très-important de déjouer leurs projets, envoie deux cents hommes de sa garde nationale au château de Villiers, avec autorisation de déployer la force des armes en cas de résistance. Pour plus de sûreté, cette troupe ramasse les gardes nationales des trois paroisses voisines. M. de Bussy, averti qu'elles escaladent son jardin, prend un fusil, met en joue, ne tire pas, puis, la réquisition étant légale, laisse tout visiter. On trouve chez lui six habits verts, sept douzaines de gros boutons et quinze douzaines de petits : preuve manifeste. Il explique son projet et donne son motif : pur prétexte. Il donne par signe un ordre à son valet de chambre : complicité certaine. M. de Bussy, ses six hôtes, son valet de chambre, sont arrêtés, transportés à Mâcon. Là, procès, dépositions, interrogatoires : la vérité y éclate, même à travers les témoignages les plus malveillants ; il est clair que M. de Bussy n'a jamais songé qu'à se défendre. Mais le préjugé est un bandeau pour des yeux hostiles ; on ne veut pas admettre que, sous la Constitution qui est parfaite, un innocent ait pu courir des dangers ; on lui objecte qu'il n'est pas naturel de former une compagnie armée pour s'opposer à une dévastation dont rien ne le menace ; on est sûr d'avance qu'il est coupable. Sur un décret de l'Assemblée nationale, le ministre avait ordonné que les accusés seraient conduits à Paris par la maréchaussée et les hussards ; la garde nationale de Mâcon, dans le plus grand désordre, déclare que, M. de Bussy ayant été arrêté par elle, elle n'entend pas que sa translation ait lieu par un autre corps... Sans doute, le projet est de le faire évader en route ; mais elle saura garder sa capture. En effet, de sa propre autorité, elle escorte M. de Bussy jusqu'à Paris, dans les prisons de l'Abbaye, où il reste détenu pendant plusieurs mois, tant qu'enfin, après nouvelle enquête et procès, l'absurdité de l'accusation devenant trop palpable, on est obligé de l'élargir. — Telle est la situation de la plupart des gentilshommes dans leur domaine, et M. de Bussy, même acquitté et justifié, fera sagement de ne pas retourner dans le sien. III Aussi bien, il n'y serait qu'un otage. Seul contre mille, seul représentant et survivant d'un régime aboli que tous détestent, c'est au seigneur qu'on s'en prend, lorsqu'une secousse politique semble ébranler le régime nouveau. A tout le moins, comme il pourrait être dangereux, on le désarme, et, dans ces exécutions populaires, la brutalité ou la convoitise se tachent comme un taureau qui crève une porte et se lance à travers une maison. Dans ce même département[11], quelques mois plus tard, à la nouvelle de l'arrestation du roi à Varennes, tous les prêtres insermentés et les ci-devant seigneurs sont en butte à toutes les horreurs de la persécution. Des bandes entrent de force chez eux pour saisir leurs armes ; Commarin, Grosbois, Montculot, Chaudenay, Créancé, Toisy, Chatellenot et d'autres maisons sont ainsi visitées et plusieurs saccagées. Dans la nuit du 26 au 27 juin 1791, au château de Créance, tout est pillé, les glaces sont brisées, les tableaux lacérés, les portes enfoncées. Le maître du logis, M. de Comeau-Créancé, chevalier de Saint-Louis, horriblement maltraité, est traîné au bas de l'escalier où il reste comme mort ; auparavant, on l'a forcé à une contribution considérable et à la restitution de toutes les amendes qu'il avait perçues, avant la Révolution, comme seigneur du lieu. — Deux autres propriétaires du voisinage, chevaliers de Saint-Louis, ont été traités de même : Voilà trois anciens et braves militaires bien récompensés de leurs services. — Un quatrième, homme pacifique, s'est sauvé d'avance, laissant les clefs aux serrures et son jardinier dans la maison. Néanmoins, les portes et les armoires ont été brisées, le pillage a duré cinq heures et demie, on a menacé de mettre le feu, si le seigneur ne comparaissait pas ; on s'informait s'il allait à la messe du nouveau curé, s'il avait jadis fait payer des amendes, enfin si quelque habitant avait à se plaindre de lui. Aucune plainte ; au contraire, il est plutôt aimé. — Mais, dans ces sortes de tumultes, cent furieux et cinquante drôles font la loi aux indifférents et aux timides. Les malfaiteurs ont déclaré qu'ils avaient de bons ordres ; ils ont forcé le maire et le procureur-syndic d'assister à leur pillage ; ils ont eu aussi la précaution de forcer, par les plus grandes menaces, quelques honnêtes citoyens à marcher avec eux. Ceux-ci viennent le lendemain en faire leurs excuses au propriétaire pillé, et les officiers municipaux dressent procès-verbal de la violence qu'on leur a faite. Mais la violence est faite, et, comme elle reste impunie, il est sûr qu'on recommencera. On a déjà commencé et achevé dans les deux départements voisins ; là, surtout au Sud, rien de plus instructif que l'entraînement par lequel l'émeute, lancée d'abord au nom de l'intérêt public, dégénère tout de suite sous l'impulsion de l'intérêt privé et aboutit au crime. Autour de Lyon[12], sous le même prétexte, à la même date, des attroupements semblables opèrent des visites pareilles, et, dans toutes ces visites, on brûle les terriers, on pille et incendie les maisons. L'autorité municipale, créée pour garantir les propriétés, n'est, dans beaucoup de mains, qu'un moyen de plus de les violer. La garde nationale ne parait armée que pour protéger le désordre et le pillage. — Depuis plus de trente ans, M. de Chaponay, père de six enfants dont trois au service, dépensait son vaste revenu dans sa terre de Beaulieu, y occupait nombre de personnes, hommes, femmes et enfants. Après la grêle de 1761, qui avait presque détruit le village de Moranée, il avait reconstruit trente-trois maisons, fourni à d'autres des bois de charpente, procuré du blé à la commune, obtenu aux habitants, pour plusieurs années, une diminution des tailles. En 1790, il a célébré magnifiquement la fête de la fédération et donné deux banquets, l'un de cent trente couverts pour les municipalités et les officiers des gardes nationales voisines, l'autre de mille couverts pour les simples gardes. Certainement, si quelque gentilhomme peut se croire populaire et en sûreté, c'est celui-ci. — Le 24 juin 1791, les municipalités de Moranée, Lucenay et Chazelai, avec leurs maires et leurs gardes nationales, environ deux mille hommes, arrivent au château, tambours battants et drapeaux déployés. M. de Chaponay va au-devant d'eux et leur demande ce qui lui vaut le plaisir de leur visite. Ils répondent qu'ils ne viennent pas pour l'offenser, mais pour exécuter les arrêtés du district qui leur a commandé de s'emparer du château et d'y mettre soixante hommes de garde : demain le district et la garde nationale de Villefranche viendront en faire la visite. Notez que cet ordre est imaginaire, car M. de Chaponay a beau le réclamer, ils ne peuvent le produire. Très-probablement, s'ils se sont mis en marche, c'est sur. le bruit faux que la garde nationale de Villefranche va venir, et leur dérober un butin sur lequel ils ont compté. — Néanmoins, M. de Chaponay se soumet ; il prie seulement les officiers municipaux de faire eux-mêmes les perquisitions et en bon ordre. Sur quoi, le commandant de la garde nationale de Lucenay s'écrie avec emportement que tous sont égaux, que tous entreront, et, au même instant, tous se précipitent. M. de Chaponay faisait ouvrir les appartements ; on les refermait exprès pour que les sapeurs en jetassent les portes bas à coups de hache. — Tout est pillé, argenterie, assignats, linge en quantité, dentelles et autres effets, les arbres des avenues mutilés et coupés, les caves vidées, les tonneaux roulés sur la terrasse, tout le vin répandu, le donjon démoli... Les officiers encourageaient ceux qui se ralentissaient. —Vers neuf heures du soir, M. de Chaponay est averti par ses domestiques que les municipalités ont résolu de lui faire signer l'abandon de ses droits féodaux et de lui couper la tête ensuite. Il se sauve avec sa femme par la seule porte non gardée, erre toute la nuit sous les coups de fusil des pelotons qui le traquent, et n'arrive à Lyon que le lendemain. — Cependant les pillards lui font signifier que, s'il n'abandonne pas son terrier, ils abattront ses forêts, et mettront le feu partout dans son domaine. En effet, à. trois reprises différentes, le feu est mis au château ; dans l'intervalle, la bande en a saccagé un autre à Bayère, et, repassant chez M. de Chaponay, démolit une écluse de 10.000 livres. — De son côté, l'accusateur public reste muet, quelques instances qu'on lui fasse : sans doute il se dit que, pour un gentilhomme visité, c'est beaucoup d'avoir la vie sauve, et que d'autres, par exemple M. Guillin-Dumontet, n'ont pas été aussi heureux. Celui-ci, jadis capitaine d'un vaisseau de la compagnie des Indes, puis commandant au Sénégal, maintenant retiré de la vie active, habitait son château de Poleymieux, avec sa jeune femme et ses deux enfants en bas âge, ses sœurs, ses nièces et sa belle-sœur : en tout dix femmes de sa famille et de son service, un domestique nègre, et lui-même vieillard de plus de soixante ans[13] ; voilà le repaire de conspirateurs militants qu'il faut désarmer au plus vite. — Par malheur, un frère de M. Guillin, accusé de lèse-nation, a été arrêté dix mois auparavant, et cela suffit aux clubs du voisinage. Déjà, au mois de décembre 1790, le château a été fouillé par les paroisses environnantes ; elles n'ont rien trouvé, et le département a blâmé, puis interdit ces perquisitions arbitraires. Cette fois elles s'y prendront mieux. — Le 26 juin 1791, à dix heures du matin, on voit approcher la municipalité de Poleymieux avec deux autres en écharpe et trois cents gardes nationaux, toujours sous le prétexte de rechercher les armes. Mme Guillin se présente, leur rappelle la défense du département, demande l'ordre légal qui les autorise. On refuse. M. Guillin descend à son tour, offre d'ouvrir si on lui présente cet ordre. On n'a pas d'ordre à lui montrer. — Pendant le colloque, un certain Rosier, ancien soldat qui a déserté deux fois et qui maintenant commande une garde nationale, saisit M. Guillin au collet : le vieux capitaine se défend, menace l'autre d'un pistolet qui ne part pas, et, se débarrassant des mains qui le serrent, rentre en refermant la porte. — Aussitôt le tocsin sonne aux environs, trente paroisses s'ébranlent, deux mille hommes arrivent. Mme Guillin, suppliante, obtient que des délégués, choisis par la foule, feront la visite du château. Ces délégués, après avoir parcouru tous les appartements, déclarent qu'ils n'y ont trouvé que des armes ordinaires. Déclaration inutile : la multitude s'est échauffée par l'attente ; elle sent sa force et n'entend pas retourner à vide. Une grêle de coups de fusil crible les fenêtres du château. — Par un dernier effort, Mme Guillin, tenant ses deux enfants dans ses bras, sort, arrive jusqu'aux officiers municipaux, les somme de faire leur devoir. Bien loin de là, ils la retiennent afin d'avoir un otage, et la placent de façon à ce qu'elle reçoive les balles, si l'on tire du château. — Cependant les portes sont enfoncées, la maison est pillée de fond en comble, puis incendiée ; M. Guillin, qui s'est réfugié dans le donjon, va être atteint par les flammes. A ce moment quelques-uns des assaillants, moins féroces que les autres, l'encouragent à descendre, répondent de sa vie : à peine s'est-il montré, que les autres se jettent sur lui ; on crie qu'il faut le tuer, qu'il a 36.000 francs de rente viagère sur l'État, que ce sera autant de gagné pour la Nation ; on le hache en pièces vivant ; on lui coupe la tête, on la porte au bout d'une pique, on dépèce son cadavre, on envoie un morceau du corps à chaque paroisse ; plusieurs trempent leurs mains dans son sang et s'en barbouillent le visage. Il semble que le tumulte, les clameurs, l'incendie, le vol et le meurtre aient réveillé en eux, non-seulement les instincts cruels du sauvage, mais encore les appétits carnassiers de la bête : quelques-uns, saisis par la gendarmerie à Chasselay, avaient fait rôtir l'avant-bras du mort, et le dévoraient à table[14]. — Mme Guillin, sauvée par la compassion de deux habitants, parvient, à travers de grands dangers, à gagner Lyon : elle et ses enfants ont tout perdu, château, dépendances, récolte de l'année précédente, vins, grains, mobilier, argenterie, argent comptant, assignats, billets, contrats, et, dix jours plus tard, le département avertit l'Assemblée nationale que les mêmes projets se forment et se combinent encore, que l'on menace (toujours) de brûler les châteaux et les terriers, que là-dessus nul doute n'est permis ni possible : Les habitants de la campagne n'attendent qu'une occasion pour renouveler ces scènes d'horreur[15]. IV Devant la jacquerie multipliée et renaissante, il n'y a' plus qu'à fuir, et les nobles, chassés de la campagne, cherchent un refuge dans les villes. Mais là aussi une jacquerie les attend. — A mesure que les effets de la Constitution se sont développés, les administrations renouvelées sont devenues plus faibles ou plus partiales ; la populace lâchée est devenue plus excitable et plus violente ; le club intronisé est devenu plus soupçonneux et plus despotique. C'est lui qui désormais, à travers ou par-dessus les administrations, conduit la populace, et les nobles vont la trouver aussi hostile que leurs paysans. Tous leurs cercles, même libéraux, sont fermés, comme celui de Paris, par l'intervention illégale du peuple attroupé ou par l'intervention inique des magistrats populaires. Toutes leurs associations, même légales et salutaires, sont brisées par la force brutale ou par l'intolérance municipale. On les punit d'avoir songé à se défendre, et on les tue parce qu'ils essayent de se dérober au couteau. Trois ou quatre cents gentilshommes, menacés dans leurs terres, ont cherché, avec leurs familles, un asile à Caen[16] ; et ils ont cru l'y trouver ; car, par trois arrêtés successifs, la municipalité leur a promis aide et protection. Par malheur, le club est d'un autre, avis, et, le 23 août 1791, il imprime et affiche la liste de leurs noms et de leurs demeures, déclarant que, puisque leurs opinions suspectes les ont engagés à quitter la campagne, ils sont des émigrants dans l'intérieur ; d'où il suit qu'il faut surveiller scrupuleusement leur conduite, parce qu'elle peut être l'effet de quelque trame dangereuse contre la patrie. Quinze surtout sont signalés, entre autres, le ci-devant curé de Saint-Loup, grand limier des aristocrates : toutes personnes très-suspectes, ayant les plus mauvaises intentions. — Ainsi dénoncés et désignés, on comprend qu'ils ne peuvent plus dormir tranquilles ; d'ailleurs, depuis que leurs adresses ont été publiées, ils sont menacés tout haut de visites et de violences à domicile. Quant aux administrations, il n'y a pas à compter sur leur entremise ; le département lui-même annonce au ministre qu'il ne peut, conformément à la loi, remettre le château aux troupes de ligne[17] ; ce serait, dit-il, soulever la garde nationale. Comment d'ailleurs, sans force publique, arracher ce poste des mains qui s'en sont emparées ? La chose nous serait impossible avec les seuls moyens que nous donne la Constitution. Ainsi, pour défendre les opprimés, la Constitution est une lettre morte. — C'est pourquoi les gentilshommes réfugiés, ne trouvant de protection qu'en eux-mêmes, entreprennent de se secourir les uns les autres. Nulle association mieux justifiée, plus pacifique, plus innocente. Son objet est de réclamer l'exécution des lois à chaque instant violées et de protéger les propriétés et les personnes. Dans chaque quartier on tachera de réunir les honnêtes gens ; on formera un comité de huit membres, et, dans chaque comité, il y aura toujours un officier de justice, ou un membre d'un corps administratif, avec un officier ou sous-officier de la garde nationale. Si quelque citoyen est attaqué dans sa personne ou dans ses biens, l'association fera une pétition en sa faveur. Si quelque violence particulière nécessite l'emploi de la force publique, les membres du quartier s'assembleront, sous la conduite de l'officier de justice et de l'officier de la garde nationale, pour venir prêter main-forte. Dans tous les cas possibles, ils auront la plus grande attention à éviter toute insulte particulière ; ils considéreront que leur réunion n'a pour but que d'assurer la tranquillité publique et la protection que chaque citoyen doit attendre de la loi. — Bref, ce sont des constables volontaires : une municipalité hostile et un tribunal prévenu auront beau tourner et retourner l'enquête : on n'y trouvera pas autre chose. Le seul indice contre un des chefs est une lettre par laquelle il détourne un gentilhomme d'aller à Coblentz et lui montre qu'il sera plus utile à Caen. Le principal témoignage contre l'association est celui d'un bourgeois que l'on a voulu enrôler et à qui l'on a demandé quelles étaient ses opinions ; il a dit qu'il était pour l'exécution des lois, et on lui a répondu : En ce cas, vous êtes des nôtres, vous êtes bien plus aristocrate que vous ne pensez. Effectivement, toute leur aristocratie consiste à empêcher le brigandage. Nulle prétention n'est plus révoltante puisqu'elle oppose une barrière à l'arbitraire d'un parti qui se croit tout permis. — Le 4 octobre, le régiment d'Aunis a quitté la ville, et les honnêtes gens sont livrés à la milice, habillée ou non, qui seule est en possession des armes. Ce jour-là, pour la première fois depuis longtemps, M. Bunel, ancien curé de Saint-Jean, avec l'autorisation et l'assistance de son successeur assermenté, a dit la messe : grand concours d'orthodoxes ; cela inquiète les patriotes. Le lendemain, M. Bunel doit encore dire la messe ; par l'organe de la municipalité, les patriotes lui défendent d'officier ; il se soumet. — Mais, faute d'avertissement, une foule de fidèles sont arrivés, et l'église est pleine. Attroupement dangereux ; les patriotes et les gardes nationaux arrivent pour rétablir l'ordre qui n'est pas troublé, et ils le troublent. Des propos menaçants sont échangés entre les domestiques des nobles, et la garde nationale. Celle-ci dégaine ; un jeune homme est sabré, foulé aux pieds ; M. de Saffrey, qui vient sans armes à son secours, est sabré lui-même, percé de baïonnettes ; deux autres sont blessés. — Cependant dans une rue voisine, M. Achard de Vagogne, voyant des gens armés maltraiter un homme, approche pour mettre la paix ; l'homme est tué d'un coup de fusil ; M. Achard est criblé de coups de baïonnette et de sabre ; il n'y a pas un fil sur lui qui ne soit teint de son sang qui ruisselle jusque dans ses souliers. En cet état, avec M. de Saffrey, il est conduit au château ; d'autres enfoncent la porte de M. du Rosel, vieil officier de soixante-quinze ans, qui en a cinquante-neuf de service, et le poursuivent jusque par-dessus le mur de son jardin. Un quatrième peloton saisit M. d'Héricy, autre officier septuagénaire, qui, comme M. du Rosel, ignorait tout, et partait paisiblement pour sa maison de campagne. — La ville est pleine de tumulte, et, par les ordres de la municipalité, la générale bat. Pour les constables volontaires, le moment d'agir est venu ; environ soixante gentilshommes, avec quelques marchands et artisans, se mettent en marche. Selon les statuts de leur association et avec un scrupule significatif, ils prient un officier de la garde nationale qui passait là de se mettre à leur tête, arrivent sur la place Saint-Sauveur, rencontrent l'officier major envoyé vers eux par la municipalité, et, à sa première injonction, se laissent conduire par lui à l'hôtel de ville. Là, sans qu'ils fassent aucune résistance, ils sont arrêtés, désarmés, fouillés. On saisit sur eux des statuts de leur ligue : évidemment, ils tramaient une contre-révolution. La clameur est terrible contre eux ; on est obligé, pour leur sûreté, de les conduire au château, et, dans le trajet, plusieurs sont cruellement maltraités par la multitude. D'autres, pris chez eux, M. Levaillant, un domestique de M. d'Héricy, sont transportés tout sanglants, percés de baïonnettes. Quatre-vingt-deux prisonniers sont ainsi entassés, et l'on craint toujours qu'ils ne s'échappent ; on coupe leur pain et leur viande par morceaux pour voir si rien n'y est enfermé ; on interdit l'accès à des chirurgiens que l'on traite aussi d'aristocrates. En même temps les maisons sont visitées de nuit ; ordre à tout étranger de venir à l'hôtel de ville pour donner les motifs de sa résidence et déposer ses armes ; défense à tout prêtre insermenté de dire la messe. Le département, qui voudrait résister, a la main forcée, et confesse son impuissance. Le peuple, écrit-il, connaît sa force, il sait que nous n'en avons aucune : agité par les mauvais citoyens, il se permettra tout ce qui servira sa passion ou son intérêt ; il influencera nos délibérations, et nous arrachera celles que, dans une position différente, nous nous serions bien gardés de prendre. — Trois jours après, les vainqueurs célèbrent leur triomphe : avec tambours, musique et flambeaux allumés, le peuple va détruire à coups de marteau les armes qui étaient sur les hôtels et qui avaient été ci-devant enduites de plâtre ; la défaite des aristocrates est achevée. — Pourtant leur innocence est si manifeste que l'Assemblée législative elle-même n'a pu s'empêcher de la reconnaître. Après onze semaines de détention, ordre est donné de les élargir, sauf deux, un jeune homme de moins de dix-huit ans et un vieillard presque octogénaire, sur lesquels deux lettres mal entendues laissent encore planer l'ombre d'un soupçon. — Mais il n'est pas sûr que le peuple veuille les rendre. La garde nationale a refusé de les élargir en plein jour et de leur faire escorte. La veille même, des groupes nombreux de femmes, entremêlés de quelques hommes, parlent de massacrer tous ces gens-là, au moment où ils mettront le pied hors du château. On est obligé de les faire sortir à deux heures du matin, en secret, sous une forte garde, et, tout de suite, ils quittent la ville, comme, six mois auparavant, ils ont quitté la campagne. — Ni à la campagne, ni à la ville[18], ils ne sont couverts par la loi civile ou religieuse, et un gentilhomme, qui n'est pas compromis dans l'affaire, remarque que leur situation est pire que celle des protestants et des vagabonds aux pires années de l'ancien régime : N'est-ce pas la loi qui a laissé aux prêtres (insermentés) la liberté de dire la messe ? Pourquoi donc, sans péril de sa vie, n'ose-t-on entendre leur messe ? — N'est-ce pas la loi qui commande à tous les citoyens de protéger la tranquillité publique ? Pourquoi donc ceux que le cri Aux armes a fait sortir armés pour protéger l'ordre sont-ils assaillis en qualité d'aristocrates ? — Pourquoi, sans ordres, ni dénonciation, ni apparence de délit, viole-t-on l'asile des citoyens que les décrets ont déclaré sacré ? — Pourquoi désarmer de préférence tout ce qu'il y a de notables et de gens aisés ? Les armes ne sont-elles exclusivement faites que pour ceux qui naguère en étaient privés et qui en abusent ? Pourquoi serait-on égal pour payer, et distingué pour être vexé et insulté ? — Il a dit le mot juste. Ce qui règne désormais, c'est une aristocratie à rebours, contraire à la loi, encore plus contraire à la nature. Car, dans l'échelle graduée de la civilisation et de la culture, à présent, par un renversement brusque, les échelons inférieurs se trouvent en haut, et les échelons supérieurs se trouvent en bas. Supprimée par la constitution, l'inégalité s'est rétablie au sens contraire. Plus arbitrairement, plus brutalement, plus injustement que les vieux barons féodaux, la populace des campagnes et des villes taxe, emprisonne, pille ou tue, et, pour serfs ou vilains, elle a ses anciens chefs. V Supposons que, pour ne pas donner prise aux soupçons, ils se résignent à ne plus avoir d'armes, à ne point faire de groupes, à ne point paraître aux élections, à s'enfermer au logis, à se confiner étroitement dans le cercle inoffensif de la vie privée. La même défiance et la même animosité les y poursuivent. — A Cahors[19], où la municipalité vient, malgré la loi, d'expulser les Chartreux qui, avec la permission de la loi, optaient pour la résidence et la vie commune, deux religieux, avant de partir, donnent à M. de Beaumont, leur voisin et ami, quatre poiriers nains et des ognons à fleur de leur jardin. Là-dessus, la municipalité arrête que le sieur Louis de Beaumont, ci-devant comte, est coupable d'avoir dégradé les biens nationaux témérairement et malicieusement, le condamne à 300 livres d'amende, ordonne que les quatre poiriers arrachés dans la ci-devant Chartreuse, seront portés demain, jour de mercredi, devant la porte du dit sieur de Beaumont, pour y rester pendant quatre jours consécutifs, et y être gardés à vue, nuit et jour, par deux fusiliers, aux frais et dépens dudit sieur de Beaumont, sur lesquels arbres sera placé un écriteau portant cette inscription : Louis de Beaumont dégradateur des biens nationaux. Et sera le présent arrêté imprimé au nombre de mille exemplaires, lu, publié, affiché aux frais et dépens dudit sieur de Beaumont, pour être adressé, dans tout le département du Lot, aux districts et municipalités dont il est composé, ainsi qu'à toutes les sociétés des Amis de la Constitution et de la Liberté. A chaque ligne de cette invective légale, perce l'envie haineuse du plumitif local qui se venge d'avoir jadis salué trop bas. — L'année suivante M. de Beaumont ayant racheté par-devant notaire une église vendue par le district avec tous les ornements et objets de culte qu'elle renferme, le maire et les officiers municipaux, suivis d'ouvriers, y viennent tout enlever et détruire, confessionnaux, autels, et jusqu'au corps canonisé du saint enseveli là depuis cent cinquante ans, si bien qu'après leur départ l'édifice ressemble à une vaste grange remplie de démolitions et de décombres[20]. Notez qu'en ce moment M. de Beaumont est commandant militaire du Périgord : par le traitement qu'il subit, jugez de celui qu'on réserve aux nobles ordinaires ; je ne leur conseille pas de se présenter aux adjudications[21]. — Seront-ils au moins libres dans leurs amusements domestiques, et, quand ils vont dans un salon, sont-ils sûrs d'y passer tranquillement leur soirée ? —A Paris même, dans un hôtel du faubourg Saint-Honoré, nombre de personnes de la bonne compagnie, parmi elles les ambassadeurs de Danemark et de Venise, écoutaient un concert donné par un virtuose étranger ; entre une charrette avec cinquante bottes de foin qui sont la provision du mois pour les chevaux. Un patriote, qui a vu entrer la charrette, imagine que le roi, caché sous les bottes, vient dans l'hôtel pour s'entendre avec les aristocrates et comploter sa fuite. Attroupement : un commissaire vient avec la garde nationale ; la charrette est gardée à vue par quatre grenadiers. Cependant le commissaire visite tout l'hôtel, y voit des pupitres à musique et les apprêts d'un souper, revient, fait décharger la charrette, déclare au peuple qu'il n'a rien trouvé de suspect. Le peuple ne le croit pas, et réclame une seconde visite. Seconde visite faite par vingt-quatre délégués ; de plus on compte les bottes de paille, on en délie plusieurs, le tout en vain. Irritée de sa déception et ayant compté sur un spectacle, la foule exige que tous les invités, hommes et femmes, sortent à pied et ne remontent dans leurs voitures qu'au bout de la rue. Les voitures vides défilent les premières, puis les invités en costume de soirée, les femmes en grande toilette, tremblantes de peur, les yeux baissés, entre deux haies d'hommes, de femmes et d'enfants qui les regardent sous le nez et les accablent d'injures[22]. — Suspect de conciliabules à domicile et recherché jusque dans son hôtel, le noble a-t-il au moins le droit de fréquenter une salle publique, de manger au restaurant, d'y prendre le frais sur le balcon ? — Le vicomte de Mirabeau, qui vient de diner au Palais-Royal, se met à la fenêtre pour respirer ; il est reconnu ; bientôt un rassemblement crie : à bas Mirabeau-Tonneau ![23] On lui lance de tous côtés des graviers et quelquefois des pierres : une pierre casse un carreau de vitre ; lui aussitôt de prendre la pierre, dé la montrer à la multitude, et, en même temps, de la poser tranquillement sur le bord de la fenêtre, en signe de modération. Des vociférations éclatent ; ses amis le font rentrer et il faut que le maire Bailly vienne en personne pour apaiser les agresseurs. — En effet ceux-ci ont de justes motifs de haine. Le gentilhomme qu'ils lapident est un bon vivant, gros et gras, qui soupe volontiers, amplement, savamment, et là-dessus, la populace se l'est figuré comme un monstre, bien pis comme un ogre. A l'endroit de ces nobles dont le plus grand tort est d'être trop policés et trop mondains, l'imagination surexcitée reforge des contes de nourrice. Logé rue Richelieu, M. de Montlosier se voyait suivi des yeux lorsqu'il allait à l'Assemblée nationale. Une femme surtout, de trente à trente-deux ans, et vendant de la viande à un étal passage Saint-Guillaume, le regardait avec une attention particulière. Dès qu'elle le voyait arriver, elle prenait un large et long couteau qu'elle aiguisait devant lui, en lui lançant des regards furieux. Il interroge sa maîtresse d'hôtel ; deux enfants du quartier ont disparu enlevés par des bohémiens, et c'est maintenant un bruit répandu que M. de Montlosier, le marquis de Mirabeau, d'autres députés du côté droit se rassemblent pour faire des orgies dans lesquelles ils mangent de petits enfants. En cet état de l'opinion, il n'est pas un crime qu'on ne leur impute, pas un outrage qu'on ne leur prodigue. Traîtres, tyrans, conspirateurs, assassins, tel est à leur endroit le vocabulaire courant des clubs et des gazettes. Aristocrate signifie tout cela, et quiconque ose démentir la calomnie est lui-même un aristocrate. — Au Palais-Royal, on répète que M. de Castries, dans son dernier duel, s'est servi d'une épée empoisonnée, et un officier de marine, qui proteste contre ce bruit faux, est accusé lui-même, jugé sur place, condamné à être consigné au corps de garde ou jeté dans le bassin[24]. — Que les nobles se gardent bien de défendre leur honneur à la façon ordinaire et de répondre à une insulte par une provocation. A Castelnau près de Cahors[25], l'un de ceux qui, l'année précédente, ont marché contre les incendiaires, M. de Bellud, chevalier de Saint-Louis, arrivant sur la place publique avec son frère, garde du corps, est accueilli par des cris : A l'aristocrate, A la lanterne ! Son frère est en redingote du matin et en pantoufles : ils ne veulent point se faire d'affaires, ils ne disent mot. Un peloton de garde nationale qui passe répète le cri ; ils se taisent encore. Le chant continue ; au bout de quelque temps, M. de Bellud prie le commandant d'imposer silence à ses hommes. Celui-ci refuse, et M. de Bellud lui demande réparation hors de la ville. A ce mot, les gardes nationaux foncent sur M. de Bellud, la baïonnette en avant. Son frère reçoit un coup de sabre au col ; lui, se défendant de l'épée, blesse légèrement le commandant et un garde. Seuls contre tous, les deux frères battent en retraite jusque dans leur maison où ils sont bloqués. Vers sept heures du soir, deux ou trois cents gardes nationaux de Cahors arrivent pour renforcer les assiégeants. La maison est prise, le garde du corps, se sauvant à travers champs, se foule le pied, est capturé. M. de Bellud, qui a gagné une autre maison, continue à s'y défendre ; on y met le feu, elle brûle avec les deux voisines. Réfugié dans une cave, il lire toujours ; on jette, par le soupirail, des bottes de paille enflammées. Presque étouffé, il sort, tue d'un coup de pistolet le premier assaillant, et de l'autre coup, se tue lui-même. On lui coupe la tête, ainsi qu'à son domestique ; on fait baiser les deux têtes au garde du corps, et, comme il demande un verre d'eau, on lui verse dans la bouche le sang qui dégoutte de la tête coupée de son frère. Puis la troupe victorieuse se met en marche vers Cahors, avec les deux têtes sur des baïonnettes et le garde du corps sur une charrette. Elle s'arrête devant la maison où s'assemble un cercle littéraire suspect au club jacobin ; on fait descendre le blessé, on le pend, on décharge les fusils sur son corps, puis on brise tout dans le cercle, on jette les meubles par les fenêtres, on démolit la maison. — Toutes les exécutions populaires sont de cette nature, à la fois promptes et complètes, pareilles à celles d'un roi d'Orient-qui, de ses propres mains, à l'instant, sans enquête ni jugement, venge sa majesté offensée, et, pour toute offense, ne tonnait qu'un châtiment, la mort. A Tulle[26], M. de Massey, lieutenant de Royal-Navarre, qui a frappé un insulteur, est saisi dans la maison où il s'est réfugié, et, malgré les trois corps administratifs, massacré sur-le-champ. — A Brest, deux caricatures antirévolutionnaires ayant été charbonnées sur les murs du café militaire, la foule ameutée s'en prend à tous les officiers ; l'un d'eux, M. Patry, se dénonce, et, sur le point d'être déchiré, veut se tuer lui-même. On le désarme ; mais, quand la municipalité arrive à son secours, elle trouve qu'il vient d'expirer d'un nombre infini de blessures, et voit sa tête promenée au bout d'une pique[27]. — Mieux vaudrait vivre sous un roi d'Orient ; car il n'est point partout, ni toujours furieux et fou comme la populace. Ni dans la vie publique, ni dans la vie privée, ni à la campagne, ni à la ville, ni réunis, ni séparés, les nobles ne sont à l'abri. Comme un nuage noir et menaçant, l'hostilité populaire pèse sur eux, et, d'un bout à l'autre du territoire, l'orage s'abat par une grêle continue de vexations, d'outrages, de diffamations, de spoliations et de violences ; çà et là, et presque journellement, des coups de tonnerre meurtriers tombent au hasard sur la tête la plus inoffensive, sur un vieux gentilhomme endormi, sur un chevalier de Saint-Louis qui se promène, sur une famille qui prie à l'église. Mais, dans cette noblesse écrasée par places et meurtrie partout, la foudre trouve un groupe prédestiné qui l'attire et sur lequel incessamment elle frappe : c'est le corps des officiers. VI Sauf un petit nombre de fats, habitués des salons, favoris de cour et portés aux premiers grades par des intrigues d'antichambre, c'est dans ce groupe, surtout dans les rangs moyens de ce groupe, que l'on trouvait alors le plus de noblesse morale. Nulle part en France il n'y avait tant de mérite éprouvé et solide ; un homme de génie qui les a fréquentés dans sa jeunesse leur a rendu ce témoignage : beaucoup d'entre eux étaient des gens du caractère le plus aimable et de l'esprit le plus élevé[28]. — En effet, pour la plupart, le service militaire n'était pas une carrière d'ambition, mais un devoir de naissance. Dans chaque famille noble, il était de règle qu'un fils fût à l'armée ; peu importait qu'il y avançât. Il payait la dette de son rang ; cela lui suffisait, et après vingt ou trente ans de service, une croix de Saint-Louis, parfois une maigre pension, étaient tout ce qu'il avait droit d'attendre. Sur neuf à dix mille officiers, le plus grand nombre, sortis de la petite et pauvre noblesse provinciale, gardes du corps, lieutenants, capitaines, majors, lieutenants-colonels et même colonels, n'ont pas d'autre prétention. Résignés aux passe-droits[29], confinés dans leur grade secondaire, ils laissent les très-hauts emplois aux héritiers des grandes familles, aux assidus ou aux parvenus de Versailles, et se contentent d'être de bons gardiens de l'ordre public et de braves défenseurs de l'État. A ce régime, quand le cœur n'est pas très-bas, il s'élève : on se fait un point d'honneur de servir sans récompense ; on n'a plus en vue que l'intérêt public, d'autant plus qu'en ce moment il est l'objet de toutes les préoccupations et de tous les écrits. Nulle part la philosophie pratique, celle qui consiste dans l'esprit d'abnégation, n'a pénétré plus profondément que dans cette élite méconnue. Sous des dehors polis, brillants et parfois frivoles, ils ont l'âme sérieuse ; leur vieil honneur est devenu du patriotisme. Préposés à l'exécution des lois, ayant en main la force pour maintenir la paix par la crainte, ils sentent toute l'importance de leur office, et pendant deux ans, ils persistent à le remplir avec une modération, une douceur, une patience extraordinaires, non-seulement au péril de leur vie, mais à travers des humiliations énormes et multipliées, par le sacrifice de leur autorité et de leur amour-propre, par la soumission de leur volonté capable à la dictature incapable des nouveaux maitre :, qui leur sont infligés. Il est dur à un officier noble d'obéir aux réquisitions d'une municipalité bourgeoise et improvisée[30], de subordonner sa compétence, son courage et sa prudence aux maladresses et aux alarmes de cinq ou six procureurs novices, effarés et timides, de mettre son initiative et son énergie au service de leur présomption, de leur indécision et de leur faiblesse, même quand leurs ordres ou refus d'ordres sont manifestement absurdes et malfaisants, même quand ils sont contraires aux instructions antérieures de son général et de son ministre, même quand ils aboutissent au pillage d'un marché, à l'incendie d'un château, à l'assassinat d'un innocent, même quand ils lui imposent l'obligation d'assister au crime, l'épée au fourreau et les bras croisés[31]. Il est dur à un officier noble de voir se former en face de sa troupe une troupe indépendante, populaire, bourgeoise, rivale et même hostile, en tout cas dix fois plus nombreuse et non moins exigeante que susceptible, d'être tenu envers elle aux complaisances et aux déférences, de lui céder les postes, les arsenaux, les citadelles, de traiter ses chefs en égaux, quelle que soit leur ignorance ou leur indignité, quels qu'ils soient, ici un avocat, là un capucin, ailleurs un brasseur ou un cordonnier, le plus souvent un démagogue, et dans maint bourg ou village, un déserteur, un soldat chassé du régiment pour inconduite, peut-être tel de ses propres hommes, mauvais sujet qu'il a renvoyé jadis avec la cartouche jaune, en lui disant d'aller se faire pendre ailleurs. Il est dur à un officier noble d'être diffamé publiquement et journellement à raison de son grade et de son titre, d'être qualifié de traître au club et dans les gazettes, d'être désigné par son nom aux soupçons et aux fureurs populaires, d'être hué dans la rue et au théâtre, de subir la désobéissance de ses soldats, d'être dénoncé, insulté, arrêté, rançonné, chassé, meurtri par eux et par la populace, d'avoir en perspective une mort atroce, ignoble et sans vengeance, celle de M. de Launay massacré à Paris, de M. de Belzunce massacré à Caen, de M. de Beausset massacré à Marseille, de M. de Voisins, massacré à Valence, de M. de Rully massacré à Bastia, de M. de la Rochetailler massacré à Saint-Étienne, de M. de Mauduit massacré à Port-au-Prince[32]. Tout cela, les officiers nobles le supportent. Pas une seule municipalité, même jacobine, ne trouve un prétexte pour leur imputer un refus d'obéissance. A force de tact et d'égards, ils évitent tout conflit avec les gardes nationales. Jamais ils ne provoquent, et, même provoqués, il est rare qu'ils se défendent. Des conversations imprudentes, des vivacités de langage, des mots plaisants, voilà leurs plus grandes fautes. Comme de bons chiens de garde au milieu d'un troupeau effarouché qui les foule sous ses sabots ou les perce de ses cornes, ils se laissent percer et fouler sans mordre, et ils resteraient jusqu'au bout attachés à leur poste, si l'on ne venait les en chasser. Rien n'y fait : doublement suspects comme membres d'une classe proscrite et comme chefs de la force armée, c'est contre eux que la méfiance publique allume le plus d'explosions ; d'autant plus que l'instrument qu'ils manient est singulièrement explosible. Recrutée par des engagements volontaires, dans un peuple ardent, turbulent et un peu débauché, l'armée se compose de ce qu'il y a de plus ardent, de plus turbulent et de plus débauché dans la nation[33]. Ajoutez-y la balayure des dépôts de mendicité : voilà beaucoup de chenapans sous l'uniforme. Si l'on réfléchit que la solde est petite, la nourriture mauvaise, la discipline dure, l'avancement nul et la désertion endémique, on ne s'étonne plus de la débandade : pour de tels hommes, l'attrait de la licence est trop fort. Dès le commencement, avec du vin, des filles et de l'argent, on leur a fait tourner casaque, et, de Paris, la contagion a gagné la province. En Bretagne[34], les grenadiers et chasseurs de l'Ile-de-France vendent leurs habits, leurs armes et leurs souliers, exigent le prêt pour le manger au cabaret ; cinquante-six soldats de Penthièvre ont voulu massacrer leurs officiers, et l'on prévoit que, livrés à eux-mêmes, bientôt, faute de solde, ils iront voler et assassiner sur les grands chemins. Dans l'Eure-et-Loir, des dragons[35], sabre et pistolets en main, vont chez les fermiers prendre du pain et de l'argent, et les fantassins de Royal-Comtois, les dragons de Colonel-Général désertent par bandes pour aller à Paris où l'on s'amuse. Pour eux, avant tout, il s'agit de faire la noce. En effet, les grandes insurrections militaires des premiers temps, celles de Paris, de Versailles, de Besançon, de Strasbourg, ont commencé ou fini par des kermesses. — Sur ce fonds de convoitises grossières, des ambitions légitimes ou naturelles ont germé. Depuis une vingtaine d'années, beaucoup de soldats savent lire et se croient capables d'être officiers. D'ailleurs un quart des engagés sont des jeunes gens nés avec quelque aisance, et qu'un coup de tête a jetés dans l'armée. Ils étouffent dans ce couloir étroit, bas, noir, fermé, où les privilégiés de naissance leur bouchent toute issue, et ils marcheront sur leurs chefs pour avancer. Voilà des mécontents, des raisonneurs, des harangueurs de chambrée, et tout de suite, entre ces politiques de la caserne et les politiques de la rue, l'alliance s'est faite. — Partis du même point, ils vont 'au même but, par la même voie, et le travail d'imagination, qui a noirci le gouvernement dans l'esprit du peuple, noircit les officiers dans l'esprit des soldats. Le trésor est à sec, et il y a des arriérés dans la solde. Les villes obérées ne peuvent livrer leur quote-part de fournitures, et à Orléans, devant la détresse de la municipalité, les Suisses de Châteauvieux ont dû s'imposer une retenue d'un sou par jour et par homme pour avoir du bois en hiver[36]. Les grains sont rares, les farines gâtées, et le pain de munition, qui était mauvais, est devenu pire. L'administration, vermoulue d'abus anciens, est détraquée par le désordre nouveau, et les soldats pâtissent de sa dissolution comme de ses gaspillages. — Ils se croient volés, ils se plaignent, d'abord avec modération, et l'on fait droit à leurs réclamations fondées. Bientôt ils exigent des comptes, et on leur en rend. A Strasbourg, vérification faite devant Kellermann et un commissaire de l'Assemblée nationale, il est prouvé qu'on ne leur a pas fait tort d'un sou ; néanmoins, on les gratifie de six francs par tête, et ils crient qu'ils sont contents, qu'ils n'ont rien à redemander. Quelques mois après, nouvelles plaintes, nouvelle vérification : un porte-étendard, accusé de malversation et qu'ils voulaient pendre, est jugé en leur présence ; toute sa comptabilité est nette ; nul d'entre eux ne peut articuler contre lui un grief prouvé, et, cette fois encore, ils se taisent. D'autres fois, après avoir entendu pendant plusieurs heures la lecture des registres, ils bâillent, cessent d'écouter et s'en vont dehors pour boire un coup. — Mais le chiffre de leurs réclamations, tel que l'ont arrêté leurs calculateurs de chambrée, demeure implanté dans leurs cervelles ; il y a pris racine, et repousse incessamment, sans qu'aucun compte ni réfutation puisse l'extirper. Plus d'écritures ni de discours : c'est de l'argent qu'il leur faut, 11.000 livres au régiment de Beaune, 39 500 livres à celui de Forez, 44.000 à celui de Salm, 200.000 à celui de Châteauvieux, et de même aux autres. — Tant pis pour les officiers si la caisse n'y suffit pas ; qu'ils se cotisent ou qu'ils empruntent, sur leur signature, à la municipalité, aux riches de la ville. — Pour plus de garanties en divers endroits, les soldats enlèvent la caisse militaire, montent la garde alentour : elle est à eux, puisqu'ils sont le régiment, et en tout cas, elle sera mieux entre leurs mains qu'entre des mains suspectes. — Déjà, le 4 juin 1790, le ministre de la guerre annonce à l'Assemblée que le corps militaire menace de tomber dans la plus complète anarchie. Son rapport montre les prétentions les plus inouïes affichées sans détours, les ordonnances sans force, les chefs sans autorité, la caisse militaire et les drapeaux enlevés, les ordres du roi lui-même bravés hautement, les officiers méprisés, avilis, menacés, chassés, quelques-uns même captifs au milieu de leur propre troupe, y traînant une vie précaire au sein des dégoûts et des humiliations, et pour comble d'horreur, des commandants égorgés sous les yeux et jusque dans les bras de leurs propres soldats. C'est bien pis après la fédération de Juillet. Régalés, caressés et endoctrinés aux clubs, leurs délégués, bas officiers et soldats, reviennent jacobins au régiment, et désormais correspondent avec les jacobins de Paris, recevant leurs instructions et leur rendant compte[37]. — Trois semaines plus tard, le ministre de la guerre vient avertir l'Assemblée nationale que, dans l'armée, la licence n'a plus de bornes. A chaque instant, il arrive des courriers porteurs d'une nouvelle plainte. Ici, on demande le compte des masses et l'on propose de les partager. Ailleurs, une garnison, tambour battant, sort de la ville, dépose ses officiers, et rentre dans la ville, le sabre à la main. Chaque régiment est gouverné par un comité de soldats : c'est là que s'est deux fois préparée la détention du lieutenant-colonel de Poitou ; c'est là que Royal-Champagne a conçu l'insurrection par laquelle il a refusé de reconnaître un sous-lieutenant qu'on lui envoyait. Tous les jours, le cabinet du ministre est rempli de soldats députés vers lui qui viennent fièrement lui intimer les volontés de leurs commettants. Enfin, à Strasbourg, sept régiments, représentés chacun par trois délégués, ont formé un congrès militaire. — Le même mois, éclate la terrible insurrection de Nancy : trois régiments révoltés, la populace avec eux, l'arsenal pillé, trois heures de combat furieux dans les rues, les insurgés tirant par les fenêtres des maisons et par les soupiraux des caves, cinq cents morts parmi les vainqueurs, trois mille morts parmi les vaincus. — Le mois suivant et pendant six semaines[38], c'est une autre insurrection, moins sanglante, mais plus vaste, plus concertée, plus obstinée, celle de toute l'escadre, vingt mille hommes mutinés à Brest, d'abord contre leur amiral et leurs officiers, puis contre le nouveau code pénal et contre l'Assemblée nationale elle-même qui, après de vaines remontrances, est obligée, non-seulement de ne pas sévir, mais encore de remanier sa loi[39]. A partir de ce moment, dans la flotte et dans l'armée, je
ne compte plus les émeutes incessantes. — Avec l'autorisation du ministre, le
soldat va au club, où on lui répète que ses officiers, étant des
aristocrates, sont des traîtres ; à Dunkerque, on lui enseigne en plus des
moyens de se défaire d'eux. Clameurs, dénonciations, insultes, coups de
fusil, ce sont là les procédés naturels, et on les pratique ; mais il en est
un autre, récemment découvert, pour chasser un officier énergique et redouté.
On se procure un bretteur patriote qui vient le provoquer. Si l'officier se
bat et n'est pas tué, la municipalité le traduit en justice, et ses chefs le font
partir avec ses seconds, pour ne pas troubler
l'harmonie du militaire et du citoyen. S'il refuse le duel proposé, le
mépris de ses soldats l'oblige à quitter le régiment. Ainsi, dans les deux
cas, on est débarrassé de lui[40]. — Point de
scrupule à son endroit : présent ou absent, on est sûr qu'un officier noble
conspire avec ses camarades émigrés ; là-dessus une légende s'est bâtie.
Jadis, pour prouver que l'on jetait les sacs de farine à la rivière, les
soldats alléguaient que ces sacs étaient liés avec des cordons bleus. A
présent, pour croire qu'un officier conspire avec Coblentz, il suffit de
constater qu'il monte un cheval blanc ; tel capitaine, à Strasbourg, manque d'être
écharpé pour ce crime : le diable ne leur ôterait
pas de la tête qu'il fait le métier d'espion, et que la petite levrette
qui l'accompagne dans ses promenades sert pour
donner des signaux. — Un an après, au moment où l'Assemblée nationale
achève son œuvre, M. de Lameth, M. Fréteau, M. Alquier, constatent devant
elle que Luckner, Rochambeau et les généraux les plus populaires ne répondent plus de rien. Le régiment d'Auvergne a
chassé ses officiers et forme une société particulière qui n'obéit à
personne. Le second bataillon de Beaune est sur le point d'incendier Arras.
On est presque obligé d'assiéger Phalsbourg dont la garnison s'est mutinée.
Ici, la désobéissance aux ordres du général est
formelle. Là ce sont des soldats qu'il faut
prier instamment de rester en sentinelle, qu'on n'ose pas mettre à la chambre
de discipline, qui menacent de faire feu sur leurs officiers, qui s'écartent
de la route, pillent tout, et couchent en joue le caporal qui veut les
ramener. A Blois, une partie du régiment vient
d'arriver sans hardes et sans armes, les soldats ayant tout vendu, chemin
faisant, pour fournir à leurs débauches. Tel d'entre eux, délégué par
ses camarades, propose aux Jacobins de Paris de désaristocratiser
l'armée, en cassant tous les nobles. Tel autre, aux applaudissements du club,
déclare que, sur la manière dont sont faites les
palissades de Givet, il va dénoncer le ministre de la guerre au tribunal-du
sixième arrondissement de Paris. Il est manifeste que, pour les officiers nobles, la place n'est plus tenable. Après vingt-trois mois de patience, beaucoup sont partis par conscience, lorsque l'Assemblée nationale, leur imposant un troisième serment, a effacé de sa formule le nom du roi, leur général-né[41]. — D'autres s'en vont à la fin de la Constituante, parce qu'ils sont en danger d'être pendus. Un grand nombre donnent leur démission à la fin de 1791 et dans les premiers mois de 1792, à mesure que le nouveau code et le nouveau recrutement de l'armée développent leurs conséquences[42]. En effet d'un côté, les soldats et les sous-officiers ayant une part dans l'élection de leurs chefs et un siège dans les tribunaux militaires, l'ombre de la discipline n'existe plus ; le pur caprice prononce dans les jugements ; le soldat contracte l'habitude de dédaigner ses supérieurs dont il ne craint aucune peine et dont il n'attend aucune récompense ; les officiers sont paralysés au point d'être des personnages entièrement superflus. — D'un autre côté, la majorité des volontaires nationaux se compose d'hommes achetés par les communes et par les corps administratifs, mauvais sujets du coin des rues, vagabonds des campagnes qu'on fait marcher par le sort ou par argent[43], avec eux des exaltés, des fanatiques, tellement qu'à partir de mars 1792, depuis leur lieu d'engagement jusqu'à la frontière, leur trace est partout marquée par des pillages, des vols, des dévastations et des assassinats. Naturellement, en route et à la frontière, ils dénoncent, chassent, emprisonnent ou massacrent leurs officiers, surtout les nobles. — Et pourtant, en cette extrémité, nombre d'officiers nobles, surtout dans l'artillerie et le génie, s'obstinent à leur poste, les uns par principes libéraux, les autres par respect de la consigne, même après le 10 août, même après le 2 septembre, même après le 21 janvier, comme leurs généraux Biron, Custine, de Flers, de Broglie, de Montesquiou, avec la perspective incessante de la guillotine qui viendra les prendre au sortir du champ de bataille et jusque dans les bureaux de Carnot. VII Il faut donc que les officiers et les nobles s'en aillent
et qu'ils s'en aillent à l'étranger, non-seulement eux, mais leur famille. Des gentilshommes ayant à peine six cents livres de rente
partent à pied[44], et, sur le
motif de leur départ, on ne peut se méprendre. Quiconque
considérera impartialement les seules et véritables causes de l'émigration,
dit un honnête homme, les trouvera dans l'anarchie.
Si la liberté individuelle n'était pas journellement menacée, si, dans
l'ordre civil comme dans l'ordre militaire, l'on
n'avait pas mis en pratique le dogme insensé, prêché par les factieux, que
les crimes de la multitude sont les jugements du ciel, la France eût conservé
les trois quarts de ses fugitifs. Exposés depuis deux ans à des dangers
ignominieux, à des outrages de tout genre, à des persécutions innombrables, au
fer des assassins, au brandon des incendiaires, aux plus infâmes délations,
aux dénonciations de leurs serviteurs corrompus, aux
visites domiciliaires provoquées par le premier bruit de la rue, aux emprisonnements arbitraires du Comité des recherches,
privés de leurs droits civiques, chassés des assemblées primaires, on leur demande compte de leurs murmures, et on les
punit d'une sensibilité qui toucherait en des
animaux souffrants. — Aucune résistance ne
s'est présentée ; depuis le trône du prince, jusqu'au presbytère du curé,
l'ouragan a prosterné les mécontents dans la résignation. Abandonnés à la fureur inquiète des clubs, des délateurs, des
administrateurs intimidés, ils trouvent des bourreaux partout où la prudence
et le salut de l'État leur ont prescrit de ne pas même voir des ennemis...
Quiconque a détesté les énormités du fanatisme et de
la férocité publique, quiconque a accordé sa pitié aux victimes entassées
sous les débris de tant de droits légitimes et d'abus odieux, quiconque enfin
a osé élever un doute ou une plainte, a été affiché ennemi de la nation. Après
avoir présenté ainsi les mécontents comme autant de conspirateurs, on a
légitimé dans l'opinion tous les crimes dirigés contre eux. La conscience
publique, formée par les factieux et par cette bande d'écumeurs politiques
qui seraient l'opprobre d'une nation barbare, n'a plus considéré les
attentats contre les propriétés et les villes que comme une justice
nationale, et, plus d'une fois, l'on a entendu la nouvelle d'un meurtre
ou la sentence qui menaçait de mort un innocent faire éclater des hurlements
d'allégresse. Il fut donc établi deux droits naturels, deux justices, deux
moralités ; par l'une, il est permis de faire contre son semblable, réputé
aristocrate, tout ce qui serait criminel s'il était patriote..... Avait-on prévu qu'au bout de deux ans la France, peuplée
de lois, de magistrats, de tribunaux, de gardes citoyennes liées par des serments
solennels à la défense de l'ordre et de la sûreté publique, serait encore et
toujours une arène où des bêtes féroces dévoreraient des hommes désarmés
? — À tous, même aux vieillards, aux veuves, aux enfants, on
fait un crime de se dérober à leurs griffes. Sans distinguer entre ceux qui
se sauvent pour ne pas devenir une proie et ceux qui s'arment pour attaquer la frontière, la Constituante et la
Législative condamnent tous les absents. La Constituante[45] a triplé leurs
impositions foncières et mobilières, et prescrit une retenue triple sur leurs
rentes et redevances. La Législative séquestre, confisque, met en vente leurs
biens, meubles et immeubles, près de quinze cents millions de valeurs
liquides. Qu'ils reviennent se mettre sous les couteaux de la populace ;
sinon, ils seront des mendiants, eux et toute leur postérité. — A ce coup,
l'indignation déborde, et un bourgeois, un libéral, un étranger, Mallet-Dupan
s'écrie[46]
: Quoi ! vingt mille familles absolument étrangères
aux projets de Coblentz et à ses rassemblements, vingt mille familles
dispersées sur toute la face de l'Europe, par les fureurs des clubs, par les
crimes des brigands, par le défaut constant de sûreté, par la stupide et
lâche inertie des autorités pétrifiées, par le pillage des propriétés, par
l'insolence d'une cohorte de tyrans sans pain et sans habits, par les
assassinats et les incendies, par la basse servilité des ministres
silencieux, par tout le cortège des fléaux de la Révolution, quoi, ces vingt
mille familles désolées, des femmes, des vieillards, verront leurs héritages
devenir la proie des gaspillages nationaux ! Quoi ! Mme Guillin, qui a dû
fuir avec horreur la terre où des monstres ont brûlé sa demeure, égorgé et
mangé son mari, et vivent impunément à côté de son domicile, Mme Guillin
verra sa fortune confisquée au profit des communautés auxquelles elle doit
ses épouvantables infortunes ! M. de Clarac ira, sous peine du même
châtiment, relever les ruines de son château où une armée de scélérats n'a pu
parvenir à l'étouffer ! — Tant pis pour eux, s'ils n'osent rentrer.
Ils vont être frappés de mort civile, bannis à perpétuité, et, s'ils rompent
leur ban, livrés à la guillotine, avec eux d'autres qui, encore plus
innocemment, ont quitté le territoire, magistrats, simples riches, bourgeois
ou paysans catholiques et notamment une classe entière, le clergé insermenté,
depuis l'archevêque cardinal jusqu'au simple vicaire de village, tous
poursuivis, puis dépouillés, puis écrasés par la même oppression populaire et
par la même oppression législative, chacune des deux persécutions provoquant
et aggravant l'autre, tant qu'enfin la populace et la loi, complices l'une de
l'autre, ne laissent plus ni un toit, ni un morceau de pain, ni une heure de
vie sauve à un gentilhomme ou à un curé. VIII C'est que la passion régnante s'en prend à tous les obstacles, même à ceux qu'elle a mis elle-même en travers de son chemin. Par une usurpation énorme, la minorité incrédule, indifférente ou tiède a voulu imposer sa forme ecclésiastique à la majorité catholique, et la situation qu'elle a faite au prêtre orthodoxe est telle qu'à moins de devenir schismatique, il ne peut manquer d'apparaître comme un ennemi. — Vainement il a obéi, il s'est laissé prendre ses biens, il a quitté son presbytère, il a remis à son successeur les clefs de son église, il se tient à l'écart, il n'enfreint, ni par omission, ni par commission, aucun article d'aucun décret. Vainement il use de son droit légal en s'abstenant de faire un serment qui répugne à sa conscience. Par cela seul, il semble refuser le serment civique dans lequel est compris le serment ecclésiastique, rejeter la constitution qu'il accepte tout entière moins un chapitre parasite, conspirer contre le nouvel ordre social et politique que souvent il approuve et auquel presque toujours il se soumet[47]. — Vainement il se confine dans son domaine propre et reconnu, qui est la direction spirituelle. Par cela seul, il résiste aux législateurs nouveaux qui pré tendent en donner une ; car, en qualité d'orthodoxe, il doit croire que leur élu est excommunié, que ses sacrements sont nuls, et, en qualité de pasteur, il doit empêcher ses ouailles d'aller boire à la mauvaise source. — Vainement il leur prêcherait la modération et le respect. Par cela seul que le schisme est fait, ses conséquences se déroulent et les paysans ne seront pas toujours aussi patients que leur curé. Ils le connaissent depuis vingt ans, il les a baptisés et mariés, ils croient que sa messe est la seule bonne, ils ne sont pas contents d'être obligés d'aller en chercher une autre à deux ou trois lieues, et de laisser l'église, leur église que jadis ils ont baie et où, de père en fils, ils prient depuis des siècles, aux mains d'un étranger, nouveau venu, hérétique, qui officie devant des bancs presque vides, et que les gendarmes, fusil en main, ont installé. Certainement, quand il passera dans la rue, ils le regarderont de travers ; rien d'étonnant si bientôt des femmes et des enfants le huent, si la nuit on jette des pierres dans ses vitres, si, dans les départements très-catholiques, Haut et Bas-Rhin, Doubs et Jura, Lozère, Deux-Sèvres et Vendée, Finistère, Morbihan et Côtes-du-Nord, il est accueilli par la désertion universelle, puis expulsé par la malveillance publique, si sa messe est interrompue, si sa personne est menacée[48], si la désaffection, qui jusqu'ici n'avait atteint que la haute classe, descend jusque dans les couches populaires, si, d'un bout à l'autre de la France, une hostilité sourde gronde contre les institutions nouvelles, depuis que la constitution politique et sociale s'est soudée à la constitution ecclésiastique comme un édifice à sa flèche, et, par cette pointe aiguë, va chercher l'orage jusque dans les nuages noircissants du ciel. Tout le mal vient de cette soudure maladroite, gratuite, forcée, et, par conséquent, de ceux qui l'ont faite. — Mais jamais un parti vainqueur n'admettra qu'il ait pu se tromper. Aux yeux de celui-ci, les prêtres insermentés sont les seuls coupables ; il s'irrite contre leur conscience factieuse, et, pour écraser la rébellion jusque dans le sanctuaire inaccessible de la pensée intime, il n'est point de violence légale ou brutale à laquelle il ne se laisse emporter. Voilà donc une nouvelle chasse ouverte, et le gibier est immense ; car il comprend non-seulement toutes les robes noires ou grises, plus de quarante mille prêtres, plus de trente mille religieuses, plusieurs milliers de moines, mais encore tous les orthodoxes un peu fervents, c'est-à-dire toutes les femmes de la classe inférieure ou moyenne, et, sans compter la noblesse provinciale, la majorité de la bourgeoisie sérieuse et rangée, la majorité des paysans, la population presque entière de plusieurs provinces à l'est, à l'ouest et au midi. On leur attache un nom, comme tout à l'heure aux nobles ; c'est celui de fanatique, équivalent à celui d'aristocrate, car il désigne aussi des ennemis publics qu'il met aussi hors la loi. — Peu importe que la loi soit pour eux ; elle est interprétée contre eux, tordue arbitrairement, violée ouvertement par les administrations partiales ou intimidées que la constitution soustrait à l'autorité du pouvoir central et soumet à l'autorité des attroupements populaires. Dès les premiers mois de 1791, la battue commence, et souvent les municipalités, les districts, les départements eux-mêmes sont à la tête des rabatteurs. Six mois plus tard, par son décret du 29 novembre[49], l'Assemblée législative sonne l'hallali, et, malgré le veto du roi, de toutes parts les meutes se lancent. Au mois d'avril 1792, quarante-deux départements ont pris contre les prêtres insermentés des arrêtés qui n'étaient ni prescrits ni autorisés par la constitution, et, avant la fin de la législative, les quarante-trois autres auront suivi leur exemple. — Par cette série d'arrêtés illégaux, sans délit, ni jugement, les insermentés sont partout en France expulsés de leur paroisse, internés au chef-lieu du département ou du district, en quelques endroits emprisonnés, assimilés aux émigrés, dépouillés de tous leurs biens, meubles et immeubles[50]. Il ne manque plus contre eux que le décret général de déportation qui va venir, sitôt que l'Assemblée sera débarrassée du roi. Cependant les gardes nationales, qui ont extorqué les arrêtés, se mettent en devoir de les appliquer en les aggravant, et leur animosité n'a rien d'étrange. Le commerce est suspendu, l'industrie languit, l'artisan et le boutiquier souffrent, et, pour expliquer le malaise universel, ils ne trouvent que l'insubordination du prêtre. Sans son opiniâtreté, tout irait bien, puisque la constitution est parfaite, et qu'il est seul à ne pas l'accepter. Mais, puisqu'il ne l'accepte pas, il l'attaque. Il est donc le dernier obstacle au bonheur public ; c'est le bouc émissaire' ; sus à la bête noire, et l'on voit la milice urbaine, tantôt de son autorité privée, tantôt sous l'instigation de la municipalité complice, troubler les offices, disperser les congrégations, prendre les prêtres au collet, les pousser par les épaules hors de la ville, avec menace de la corde, si jamais ils ont l'audace d'y rentrer. — A Douai[51], le fusil à la main, elle force le Directoire du département à ordonner la fermeture de tous les oratoires et chapelles des hôpitaux et des couvents. — A Caen, fusils chargés, et avec un canon, elle se met en marche contre la paroisse de Verson sa voisine, force des maisons, ramasse quinze suspects d'orthodoxie, chanoines, marchands, artisans, manœuvres, femmes, filles, vieillards, infirmes, leur coupe les cheveux, leur donne des coups de crosse, et les ramène à Caen attachés à la queue du canon, le tout parce qu'un prêtre insermenté officie encore à Verson et que, de Caen, beaucoup de personnes pieuses viennent à sa messe ; d'où il suit que Verson est un foyer d'attroupements contre-révolutionnaires. De plus, dans les maisons forcées, les meubles ont été brisés, les tonneaux défoncés, le linge, l'argent et la vaisselle volés ; c'est que la populace de Caen s'était adjointe à l'expédition. — Ici et partout, il n'y a qu'à la laisser faire, et, comme elle travaille sur les biens, sur la liberté, sur la vie, sur la pudeur de personnes dangereuses, la milice nationale se garde bien de la déranger. Par suite, les orthodoxes, prêtres et fidèles, hommes et femmes, sont maintenant à sa discrétion, et, grâce à la connivence de la force armée qui refuse d'intervenir, la canaille assouvit sur la classe proscrite ses instincts ordinaires de cruauté, de pillage, de lubricité et de destruction. Public ou privé, la consigne est toujours d'empêcher le
culte, et les moyens sont dignes des exécuteurs. — Ici, un prêtre insermenté
ayant eu la hardiesse d'administrer un malade, la maison où il vient d'entrer
est prise d'assaut, et la porte, les fenêtres d'une autre maison habitée par un
autre prêtre, volent en éclats[52]. — Là, les
logements de deux ouvriers, que l'on accuse d'avoir fait baptiser leurs
enfants par le prêtre réfractaire, sont saccagés et presque démolis. —
Ailleurs, un attroupement refuse l'entrée du cimetière au corps d'un vieux
curé qui est mort sans avoir juré. Plus loin, une église est assaillie au
milieu des vêpres, et tout y est mis en pièces ; le lendemain, c'est le tour
de l'église voisine, et, pour surcroît, un cou vent d'Ursulines est dévasté.
— A Lyon, le jour de Pâques 1791, au sortir de la messe de six heures, une
troupe, armée de fouets de corde, se précipite sur les femmes[53]. Déshabillées,
meurtries, le corps renversé, la tête dans la fange, elles ne sont laissées
que sanglantes, demi-mortes ; une jeune fille se meurt tout à fait ; et ce
genre d'attentats se multiplie tellement qu'à Paris même des dames qui vont à
la messe orthodoxe ne sortent plus qu'avec leur chemise cousue en guise de
caleçon. — Naturellement, pour exploiter la proie offerte, il se forme des
sociétés de chasse. Il y en a à Montpellier, Arles, Uzès, Alais, Carpentras
et dans la plupart des villes ou bourgs du Gard, du Vaucluse et de l'Hérault,
plus ou moins nombreuses selon la Population de la cité, les unes de dix à
douze, les autres de deux cents à trois cents hommes de bonne volonté et de
toute provenance ; parmi eux des tape-dur, anciens brigands et repris de
justice, ayant encore la marque sur le dos. Quelques-unes font porter à leurs
membres un signe visible de reconnaissance, une médaille ; toutes prennent le
nom de pouvoir exécutif, déclarent
qu'elles agissent de leur propre autorité et qu'il faut brusquer la loi. Leur prétexte est la protection
des prêtres jureurs, et, pendant vingt mois, à partir d'avril 1791, elles
opèrent à cet effet, avec de gros bâtons noueux
hérissés de pointes de fer, sans compter les sabres et les baïonnettes[54]. Ordinairement
leurs expéditions sont nocturnes. Tout d'un coup les maisons des citoyens suspectés d'incivisme, des
ecclésiastiques insermentés, des frères de l'Ecole chrétienne sont envahies ;
tout est brisé ou volé ; ordre au propriétaire de vider le pays dans les
vingt-quatre heures ; quelquefois, sans doute par un surcroît de précaution,
il est assommé sur place. Du reste, la bande travaille aussi de jour et dans
les rues, fustige les femmes, entre, sabre en main, dans les églises, chasse
l'insermenté de l'autel, le tout au su et au vu des autorités paralysées ou
complaisantes, par une sorte de gouvernement occulte et complémentaire qui,
non-seulement comble les lacunes de la loi ecclésiastique, mais encore
fouille dans les bourses des particuliers. — A Nîmes, sous la conduite d'un
maitre à danser patriote, non contents de décerner
des proscriptions, de tuer, d'étriller et de massacrer souvent, ces
nouveaux champions de l'Église gallicane entreprennent de réchauffer le zèle
des contribuables. Une souscription ayant été proposée pour soutenir les
familles des volontaires qui partent, le pouvoir
exécutif se charge de réviser la liste des offrandes ; il taxe
arbitrairement ceux qui n'ont pas donné ou qui, à son avis, ont donné trop peu,
tels pauvres ouvriers, à cinquante livres, tels à
deux cents, trois cents, neuf cents, mille livres, sous peine de dévastation
et de mauvais traitements. Ailleurs, les volontaires de Baux et autres
communes près de Tarascon se garnissent eux-mêmes les mains, et, sous prétexte qu'ils doivent marcher pour la défense de la
patrie, ils lèvent des contributions énormes sur les propriétaires,
sur l'un quatre mille, sur l'autre cinq mille livres, emportant, à défaut de
payement, tous les grains d'une ferme et jusqu'à la réserve de semence,
menaçant de tout dévaster et incendier en cas de plainte, si bien que les
propriétaires n'osent rien dire, et que le procureur syndic du département
voisin, craignant pour lui-même, demande que sa dénonciation soit tenue
secrète. — Des bas-fonds des villes, la jacquerie s'est répandue dans les
campagnes. Celle-ci est la sixième, et la plus vaste que l'on ait vue depuis
trois ans[55]. Deux aiguillons poussent le paysan. — D'une part, les bruits d'armes et les annonces multipliées d'une invasion prochaine l'ont effarouché. Les clubs et les journaux depuis la déclaration de Pilnitz, les orateurs de l'Assemblée législative depuis quatre mois, le tiennent en alarmes par leurs coups dé trompette, et il pousse ses bœufs dans le sillon, en criant à l'un : Hue la Prusse, à l'autre, Va donc, Autriche. Autriche et Prusse, rois et nobles étrangers, joints aux nobles émigrés, vont entrer de force, rétablir la gabelle, les aides, les droits féodaux, les Mmes, reprendre les biens nationaux déjà vendus et revendus, avec l'aide des gentilshommes qui ne sont point partis ou qui sont rentrés, avec la complicité des prêtres insermentés qui déclarent la vente sacrilège et ne veulent pas absoudre les acquéreurs. — D'autre part, la semaine pascale approche, et, depuis un an, la conscience des acquéreurs s'est beaucoup chargée. Au 24 mars 1791, on n'avait encore vendu que pour 180 millions de biens nationaux ; mais, l'Assemblée ayant prorogé l'époque du payement et facilité la revente au détail, la tentation s'est trouvée trop forte pour le paysan ; tous les magots sont sortis du bas de laine ou du pot enfoui. Il a acheté en sept mois pour 1.346 millions[56], et possède enfin, en pleine et franche propriété, le lopin de terre convoité par lui depuis tant d'années, quelquefois un gros lot inespéré, un bois, un moulin, une prairie. A présent, il faut qu'il se mette en règle avec l'Église, et, si l'échéance pécuniaire a été reculée, l'échéance catholique arrive à date fixe. De par la tradition immémoriale, il est obligé de faire ses pâques[57], sa femme aussi, sa mère pareillement, et, si par exception il n'y tient pas, elles y tiennent. D'ailleurs, il a besoin des sacrements pour son vieux père malade, pour son enfant nouveau-né, pour son autre enfant qui est en âge de faire la première communion. Or, communion, baptême, confession, tous les sacrements, pour être de bonne qualité, doivent être de provenance sûre, comme la farine et les écus ; il n'y a déjà que trop de mauvaise monnaie dans le monde, et, tous les jours, les prêtres jureurs perdent de leur crédit comme les assignats. Force est donc de recourir à l'insermenté qui seul peut fournir l'absolution valable ; et justement il se trouve que, non-seulement il la refuse, mais encore qu'il est réputé l'ennemi de tout l'ordre nouveau. — Dans cet embarras, le paysan a recours à son procédé ordinaire, la force des bras : il prend son curé à la gorge, comme jadis son seigneur, et il extorque la quittance de ses péchés comme jadis celle de ses redevances. A tout le moins, il veut contraindre les insermentés au serment, fermer leurs églises particulières, ramener tout le canton au même culte uniforme. — Par occasion, il s'en prend aussi aux partisans des insermentés, aux châteaux, aux maisons opulentes, aux nobles, aux riches, aux propriétaires de toute classe. Par occasion enfin, comme depuis l'amnistie de septembre 1791, les prisons ont lâché leurs habitants, comme la moitié des tribunaux ne sont pas encore installés[58], comme depuis trente mois il n'y a plus de police, les simples voleurs, les bandits, les gens sans aveu qui pullulent sans répression ni surveillance, se joignent à l'attroupement et remplissent leur sac. Ici, dans le Pas-de-Calais[59], trois cents villageois, tambour en tête, enfoncent les portes d'un couvent de chartreuses, volent tout, comestibles, boissons, linges, meubles, effets, pendant que, dans la paroisse voisine, une autre bande opère de même chez le maire et chez l'ancien curé, menace de tout tuer et brûler, et promet de revenir le dimanche suivant. — Là, dans le Bas-Rhin, près de Fort-Louis, vingt maisons d'aristocrates sont pillées. — Ailleurs, dans l'Ille-et-Vilaine, des milices rurales coalisées vont de paroisse en paroisse, et, grossissant par leur violence même jusqu'à former des bandes de deux mille hommes, ferment les églises, chassent les curés insermentés, enlèvent le battant des cloches, boivent et mangent à discrétion aux frais des habitants, et parfois, chez le maire ou le receveur de l'enregistrement, se donnent le plaisir de tout casser. Si quelque officier public leur fait des remontrances, ils crient A l'aristocrate ; l'un de ces conseillers malencontreux reçoit un coup de crosse dans le dos, et deux autres sont couchés en joue ; du reste, les chefs de l'expédition ne sont pas en meilleure passe, et, de leur propre aveu, s'ils sont en tête, c'est pour ne pas être eux-mêmes pillés ou pendus. Même spectacle dans la Mayenne, dans l'Orne, dans la Moselle, dans les Landes[60]. — Mais ce ne sont là que des éruptions isolées et presque bénignes ; au sud et au centre, le fléau se déclare par une énorme plaque de lèpre qui, depuis Avignon jusqu'à Périgueux, depuis Aurillac jusqu'à Toulouse, couvre tout d'un coup et presque sans discontinuité dix départements, Vaucluse, Ardèche, Gard, Cantal, Corrèze, Lot, Dordogne, Gers, Haute-Garonne, Hérault. Les grosses masses rurales se sont ébranlées toutes à la fois, de toutes parts, et pour les mêmes causes, qui sont l'approche de la guerre et l'approche de Pâques. — Dans le Cantal, à l'assemblée de canton tenue à Aurillac pour le recrutement de l'armée[61], le commandant d'une garde nationale villageoise a demandé vengeance contre ceux qui ne sont pas patriotes, et le bruit court que, de Paris, il est venu un ordre pour détruire les châteaux. De plus, les insurgés allèguent que les prêtres, par leur refus de serment, mènent la nation à la guerre civile : on est las de ne pas être en paix à cause d'eux ; qu'ils deviennent de bons citoyens, et que tout le monde aille à la messe. Là-dessus, les insurgés entrent dans les maisons, rançonnent les habitants, non-seulement les prêtres, les ci-devant nobles, mais encore ceux qui sont soupçonnés d'être leurs partisans, ceux qui n'assistent point à la messe du prêtre constitutionnel, et jusqu'à de pauvres gens, artisans, laboureurs qu'ils taxent à Cinq, dix, vingt, quarante francs, et dont ils vident la cave ou la huche. Dix-huit châteaux sont pillés, incendiés, ou démolis, entre autres ceux de plusieurs gentilshommes ou dames qui n'ont jamais quitté le pays. L'un d'eux, M. d'Humières, est un vieil officier de quatre-vingts ans ; Mme de Peyronenc ne sauve son fils qu'en le déguisant en paysan ; Mme de Beauclerc, qui s'enfuit à travers la montagne, voit son enfant malade mourir entre ses bras. A Aurillac, des potences sont dressées devant les principales maisons ; M. de Niossel, ancien lieutenant criminel, mis en prison pour son salut, est arraché de la prison, et sa tête coupée est jetée sur un fumier ; M. Collinet, arrivant de Malte et suspect d'aristocratie, est éventré, haché, et sa tête promenée au bout d'une pique. Enfin, lorsque les officiers municipaux, les juges, le commissaire du roi, commencent à instruire contre les assassins, ils se trouvent eux-mêmes en si grand danger qu'ils sont obligés de se démettre ou de se sauver. Pareillement, dans la Haute-Garonne[62], c'est aussi contre les insermentés et leurs sectateurs que
l'insurrection a commencé. D'autant plus qu'en diverses paroisses le curé
constitutionnel est du club et demande qu'on le débarrasse de ses adversaires
; l'un d'eux, à Saint-Jean-Lorne, monté sur une
charrette, prêchait le pillage à huit cents personnes attroupées. Par
suite, pour débuter, chaque bande expulse les prêtres réfractaires, et force
leurs partisans à venir à la messe de l'assermenté. — Mais un pareil succès,
tout abstrait et sec, n'est guère profitable, et des paysans soulevés ne se
contentent pas à si bon marché. Quand des paroisses, par douzaines, se mettent
en marche et emploient leur journée au service public, il leur faut un
dédommagement, en bois, en blé, en vin, en argent[63], et les frais de
l'expédition sont à la charge des aristocrates. Sont aristocrates,
non-seulement les fauteurs des insermentés, par exemple telle vieille demoiselle
très-fanatique et qui, depuis quarante ans, emploie
tous ses revenus à des actes de philanthropie, mais encore les personnes aisées, paysans ou messieurs ; car ils
veulent faire mourir de faim le pauvre monde,
en retenant invendus dans leurs greniers et dans
leurs celliers leur grain et leur vin, et en ne faisant faire que les travaux
indispensables, afin d'ôter aux ouvriers de la campagne leurs moyens de
subsistance. Ainsi, plus ou les pille, plus on rend service au public.
Au dire des insurgés, il s'agit d'atténuer dans les
mains des ennemis de la nation les revenus dont ils jouissent, afin qu'ils ne
puissent plus faire passer leurs revenus à Coblentz et autres lieux hors du
royaume. — En conséquence, des bandes de six cents, huit cents et
mille hommes parcourent les districts de Toulouse et de Castelsarrasin : tous
les propriétaires, aristocrates et patriotes, sont mis à contribution. Ici,
chez la vieille fille philanthrope, mais fanatique,
on enfonce tout, on brise les meubles, on prend quatre-vingt-deux setiers de
blé et seize tonneaux de vin. Ailleurs, à Roqueferrière, on brûle les
titres féodaux, on pille un château. Plus loin, à Lasserre, on exige trente
mille francs, on emporte tout l'argent comptant. Presque partout les
officiers municipaux en écharpe, bon gré, mal gré, autorisent le pillage. De
plus, ils taxent les denrées à un prix infiniment
moindre en assignats que leur cours en argent, et ils élèvent au
double le prix de la journée de travail. — Cependant,
d'autres bandes dévastent les forêts nationales, et les gendarmes,
pour ne pas être appelés aristocrates, ne songent qu'à saluer les pillards. Après cela, il est manifeste qu'il n'y a plus de propriété pour personne, sauf pour les indigents et les voleurs. — Effectivement, dans la Dordogne[64], sous prétexte de chasser les curés qui n'ont pas prêté le serment, des attroupements fréquents pillent et volent tout ce qui leur tombe sous la main.... Les grains qui se trouvent dans les maisons à girouettes sont séquestrés. Les campagnards exploitent, comme bien communal, toutes les forêts, tous les biens des émigrés, et cette exploitation est radicale ; par exemple, une bande trouvant une grange neuve dont les matériaux lui paraissent bons, la démolit pour s'en partager les bois et les tuiles. — Dans la Corrèze, quinze mille paysans armés, qui sont venus à Tulle pour désarmer et chasser les partisans des insermentés, cassent tout dans les maisons suspectes, et l'on a bien de la peine à les renvoyer les mains vides. Aussitôt qu'ils sont revenus chez eux, ils dévastent les châteaux de Saint-Jal, de Seilhac, de Gourdon, de Saint-Basile, de la Rochette, outre une quantité de maisons de campagne appartenant à des roturiers même absents. C'est une curée, et jamais transport de la propriété n'a été plus complet. Ils enlèvent soigneusement, dit un procès-verbal, tout ce qui peut être enlevé, meubles, tapisseries, glaces, armoires, tableaux, vins, provisions, jusqu'aux planchers et boiseries, jusqu'aux plus petits ferrements et objets de menuiserie, et fracassent le reste, tellement que, de la maison, il ne reste que les quatre murs, le couvert et l'escalier. — Dans le Lot, où, de puis deux ans, l'insurrection est permanente, les dégâts sont plus grands encore. Pendant la nuit du 30 au 31 janvier, a toutes les meilleures maisons de Souillac sont enfoncées, saccagées, pillées de fond en comble[65], leurs maîtres obligés de s'enfuir, et il y a tant d'émeutes dans le département que le Directoire n'a pas le temps de rendre compte de celles-ci au ministre. Des districts entiers sont soulevés ; comme, dans chaque commune, tous les habitants sont complices, il ne se trouve pas de témoins pour asseoir une procédure criminelle, et le délit reste impuni. Dans le canton de Cabrerets, on exige la restitution des rentes foncières jadis perçues et le remboursement de frais payés depuis vingt ans. La petite ville de Lauzerte est envahie par les milices environnantes, et ses habitants désarmés restent à la discrétion du faubourg qui est jacobin. Pendant trois mois, dans le district de Figeac, toutes les maisons des ci-devant nobles sont saccagées et incendiées ; puis on s'en prend aux pigeonniers et à toutes les maisons de campagne qui ont un peu d'apparence. Des troupes de va-nu-pieds entrent chez les gens aisés, médecins, avocats, marchands, enfoncent les portes des caves, boivent le vin, et se démènent en conquérants ivres. En plusieurs communes, ces expéditions sont devenues une coutume ; on y trouve un très-grand nombre d'individus qui ne vivent que de rapines, et le club leur donne l'exemple. Depuis six mois, au chef-lieu, une coterie de la garde nationale, qu'on nomme la Bande noire, expulse les gens qui lui déplaisent, pille à son gré dans les maisons, assomme, blesse ou mutile à coups de sabre ceux qui ont été proscrits dans ses assemblées, sans qu'aucun huissier ou avoué ose se charger d'une plainte. Le brigandage, empruntant le masque du patriotisme, et le patriotisme, empruntant les procédés du brigandage, se sont unis contre la propriété en même temps que contre l'ancien régime, et, pour se délivrer de tout ce qui peut leur inspirer une crainte, ils se saisissent de tout ce qui peut leur fournir un butin. Pourtant, ce ne sont encore là que les alentours de l'orage ; le centre est ailleurs, autour de Nîmes, Avignon, Arles et Marseille, en un pays où, depuis longtemps, le conflit des cités et le conflit des religions ont amassé et enflammé les passions haineuses[66]. A regarder les trois départements du Gard, des Bouches-du-Rhône, et du Vaucluse, on se croirait en pleine guerre barbare. En effet, c'est l'invasion des jacobins et de la plèbe, par suite la conquête, l'expropriation, l'extermination, dans le Gard un fourmillement de gardes nationales qui refont la jacquerie, toute la lie du Comtat qui remonte à la surface et couvre le Vaucluse de son écume, une armée de six mille Marseillais qui s'abat sur Arles. — Dans les districts de l'Urnes, Sommières, Uzès, Alais, Jalais, Saint-Hippolyte, les titres de propriété sont brillés, les propriétaires rançonnés, les officiers municipaux menacés de mort, s'ils essayent de s'interposer, vingt châteaux et plus de quarante maisons de campagne dévastés, incendiés, démolis. — Le même mois, Arles et Avignon[67], livrés aux bandes de Marseille et du Comtat, voient approcher les confiscations et les massacres. — Autour du commandant qui a reçu l'ordre d'évacuer Arles[68], les habitants de tous les partis accourent en suppliants, lui serrent les mains, le conjurent, les larmes aux yeux, de ne point les abandonner ; des femmes et des enfants s'attachent à ses bottes, tellement qu'il ne sait comment se dégager sans les blesser ; lui parti, douze cents familles émigrent. Après l'entrée des Marseillais, on voit dix-huit cents électeurs proscrits, leurs maisons de campagne sur les deux rives du Rhône pillées comme au temps des pirates sarrasins, une taxe de 1.400.000 livres levée sur tous les gens aisés, absents ou présents, des femmes et des filles demi-nues promenées sur des ânes et fouettées publiquement. Un comité de sabres dispose des vies, désigne et frappe ; c'est le règne des mariniers, des portefaix, de la dernière populace. — A Avignon[69] c'est celui des simples brigands, incendiaires et assassins, qui, six mois auparavant, ont fait de la Glacière un charnier. Ils reviennent en triomphe et disent que cette fois la Glacière sera pleine. Déjà avant le premier massacre, cinq cents familles se sont sauvées en France ; à présent tout le demeurant de la bourgeoisie honnête, douze cents personnes prennent la fuite, et la terreur est si grande que les petites villes voisines n'osent recevoir les émigrants. En effet, à partir de ce moment, les deux départements tout entiers, Vaucluse et Bouches-du-Rhône, sont une proie : des bandes de deux mille hommes armés, avec femmes, enfants et autres acolytes volontaires, se transportant de commune en commune pour y vivre à discrétion aux dépens des fanatiques ; et ce ne sont pas seulement les gens bien élevés qu'ils dépouillent. De simples cultivateurs, taxés à 10.000 livres, reçoivent soixante garnisaires ; on tue et mange leur bétail sous leurs yeux, on brise tout chez eux ; ils sont chassés de leur logis, ils errent en fugitifs dans les oseraies du Rhône, attendant un moment de répit pour traverser le fleuve et se réfugier dans le département voisin[70]. — Ainsi dès le printemps de 1792, lorsqu'un citoyen est suspect de malveillance ou seulement d'indifférence envers la faction maîtresse, lorsque, par une seule des opinions de son for intérieur, il encourt la possibilité vague d'une méfiance ou d'un soupçon, il subit l'hostilité populaire, la spoliation, l'exil et pis encore, si légale que soit sa conduite, si loyal que soit son cœur, si désarmée et inoffensive que soit sa personne, quel qu'il soit, noble, bourgeois, paysan, vieux prêtre ou vieille femme, et cela quand le péril public n'est encore ni grand, ni présent, ni visible, puisque la France est toujours en paix avec l'Europe et que le gouvernement subsiste encore dans son entier. IX Que sera-ce donc, à présent que le péril, devenu palpable et grave, va croissant tous les jours, que la guerre est engagée, que l'armée de Lafayette recule à la débandade, que l'Assemblée déclare la patrie en danger, que le roi est renversé, que Lafayette passe à l'étranger, que le sol de la France est envahi, que les forteresses de la frontière se rendent sans résistance, que les Prussiens entrent en Champagne, que l'insurrection de la Vendée ajoute les déchirements de la guerre civile aux menaces de la guerre étrangère, et que le cri de trahison 'éclate de toutes parts ? — Déjà le 14 mai, à Metz[71], M. de Figuemont, ancien chanoine, ayant causé sur la place Saint-Jacques avec un hussard, a été taxé d'embauchage pour les princes, enlevé malgré une triple haie de gardes, assommé, percé, haché, à coups de billons, de baïonnettes et de sabres :autour des meurtriers, la multitude forcenée poussait des cris de rage, et, de mois en mois, à mesure que ses craintes augmentent, son imagination s'exalte et son délire s'accroît. — Qu'on en juge par un seul exemple. Le 31 août 1792[72], huit mille prêtres insermentés, chassés de leurs paroisses, sont à Rouen, ville moins intolérante que les autres, et, conformément au décret qui les bannit, se préparent à sortir de France. Deux navires en ont déjà emmené une centaine ; cent vingt autres s'embarquent pour Ostende sur un plus grand 'Aliment. Ils n'emportent rien avec eux, sauf un peu d'argent, quelques hardes, une, ou tout au plus deux parties de leur bréviaire, parce qu'ils comptent revenir bientôt. Chacun a son passeport en règle, et, juste au moment du départ, la garde nationale a tout visité pour ne laisser fuir aucun suspect. — Il n'importe : arrivés à Quillebœuf, les deux premiers convois sont arrêtés. En effet, le bruit s'est répandu que les prêtres vont rejoindre l'ennemi, s'enrôler, et les gens du pays, se jetant dans leurs barques, entourent les navires. Il faut que les prêtres descendent, sous une tempête de hurlements, de blasphèmes, d'injures et de mauvais traitements ; l'un d'eux, vieillard à cheveux blancs, étant tombé dans la vase, les cris et les huées redoublent ; tant mieux s'il se noie ; c'en sera un de moins. Débarqués, on les jette tous en prison, sur la pierre nue, sans paille, sans pain, et l'on écrit à Paris pour savoir ce qu'il faut faire de tant de soutanes. — Cependant, le troisième navire, manquant de vivres, a envoyé deux prêtres à Quillebœuf et Pont-Audemer pour faire cuire douze cents livres de pain ; signalés par des milices de village, ils sont pourchassés comme des bêtes fauves, passent la nuit dans un bois, reviennent à grand'peine et les mains vides. — Signalé lui-même, le navire est assiégé. Dans toutes les municipalités riveraines, le tambour roule sans discontinuer, pour engager les populations à se tenir sur leurs gardes. L'apparition d'un corsaire d'Alger ou de Tripoli aurait causé moins de rumeur sur les côtes de l'Adriatique. Un marin du bâtiment a publié que les malles des déportés sont pleines d'armes de toute espèce, et le peuple des campagnes s'imagine à tout instant qu'ils vont fondre sur lui, le sabre et le pistolet au poing. — Pendant plusieurs longues journées, le convoi affamé reste au milieu du fleuve en panne et gardé à vue. Des barques chargées de volontaires et de paysans tournent alentour, avec des injures et des menaces : dans les prairies voisines, les gardes nationales se forment en bataille. Enfin on se décide ; des braves, bien armés, montent dans des chaloupes, approchent avec précaution, épient l'endroit et le moment les plus favorables, s'élancent à l'abordage, s'emparent du navire, et sont tout étonnés de n'y trouver ni ennemis ni armes. Néanmoins les prêtres sont consignés à bord, et leurs députés doivent comparaître devant le maire. Celui-ci, ancien huissier et bon jacobin, étant le plus effrayé, est le plus violent ; il refuse de valider les passeports, et, voyant deux prêtres approcher, l'un muni d'une canne à épée, l'autre d'un bâton ferré, il croit à une invasion soudaine. En voici encore deux, s'écriait-il avec angoisse ; ils vont tous descendre ; messieurs, la ville est en danger. — A ce mot, la foulé s'alarme, menace les députés ; on crie A la lanterne, et, pour les sauver, des gardes nationaux sont obligés de les conduire en prison dans un cercle de baïonnettes. — Remarquez que ces furieux sont, au fond les meilleures gens du monde : après l'abordage, l'un des plus terribles, barbier de son état, voyant les barbes longues de ces pauvres prêtres, s'est radouci à l'instant, a tiré sa trousse, et, complaisamment, s'est mis à raser pendant plusieurs heures. En temps ordinaires, les ecclésiastiques ne recevraient que des saluts ; trois ans auparavant, ils étaient respectée comme des pères et des guides. Mais, en ce moment, le campagnard, l'homme du peuple est hors de son assiette. Par force et contre nature, on a fait de lui un théologien, un politique, un capitaine de gendarmerie, un souverain local et indépendant : la tête lui tourne dans un pareil office. — Parmi ces gens qui semblent avoir perdu la raison, il n'en est qu'un, officier de la garde nationale, qui conserve son sang-froid ; du reste, personnage très-poli, d'excellente tenue, causeur agréable, qui vient le soir rassurer les détenus et prendre avec eux du thé dans leur prison ; en effet, il a l'habitude des tragédies, et, grâce à son méfier, ses nerfs sont devenus calmes : c'est le bourreau. Les autres, qu'on prendrait pour des tigres, sont des moutons affolés ; mais ils n'en sont pas moins dangereux ; car, emportés par le vertige, ils foncent de toute leur masse sur tout ce qui leur porte ombrage. — Sur la route de Paris à Lyon[73], les commissaires de Roland sont témoins de cet effarement terrible. Le peuple se demande sans cesse ce que font nos généraux et nos armées ; il a souvent le mot de vengeance à la bouche. Oui, dit-il, nous partirons, mais (auparavant) nous purgerons l'intérieur. — Quelque chose d'effroyable se prépare ; la septième jacquerie va venir, celle-ci universelle et définitive, d'abord brutale, puis légale et systématique, entreprise et exécutée en vertu de principes abstraits par des meneurs dignes de leurs manœuvres. Il n'y eut jamais rien d'égal en histoire ; pour la première fois, on va voir des brutes devenues folles travailler en grand et longtemps sous la conduite de sots devenus fous. Il est une maladie étrange qui se rencontre ordinairement dans les quartiers pauvres. Un ouvrier, surmené de travail, misérable, mal nourri, s'est mis à boire ; tous les jours il boit davantage et des liqueurs plus fortes. Au bout de quelques années, son appareil nerveux, déjà appauvri par le jeûne, est surexcité et se détraque. Une heure arrive où le cerveau, frappé d'un coup soudain, cesse de mener la machine : il a beau commander, il n'est plus obéi ; chaque membre, chaque articulation, chaque muscle, agissant à part et pour soi, sursaute convulsivement par des secousses discordantes. Cependant, l'homme est gai ; il se croit millionnaire, roi, aimé et admiré de tous ; il ne sent pas le mal qu'il se fait, il ne comprend pas les conseils qu'on lui donne, il refuse les remèdes qu'on lui offre, il chante et crie pendant des journées entières, et surtout il boit plus que jamais. A la fin, son visage s'assombrit, et ses yeux s'injectent. Les radieuses visions ont fait place aux fantômes monstrueux et noirs : il ne voit plus autour de lui que des figures menaçantes, des traîtres qui s'embusquent pour tomber sur lui à l'improviste, des meurtriers qui lèvent le bras pour l'égorger, des bourreaux qui lui préparent des supplices, et il lui semble qu'il marche dans une mare de sang. Alors il se précipite, et, pour ne pas être tué, il tue. Nul n'est plus redoutable ; car son délire le soutient, sa force est prodigieuse, ses mouvements sont imprévus, et il supporte, sans y faire attention, des misères et des blessures sous lesquelles succomberait un homme sain. — De même la France, épuisée de jeûnes sous la monarchie, enivrée par la mauvaise eau-de-vie du Contrat social et de vingt autres boissons frelatées ou brûlantes, puis subitement frappée de paralysie à la tête : aussitôt elle a trébuché de tous ses membres par le jeu incohérent et par les tiraillements contradictoires de tous ses organes désaccordés. A présent elle a traversé la période de délire joyeux et va entrer dans la période de délire sombre ; la voilà capable de tout oser, souffrir et faire, exploits inouïs et barbaries abominables, sitôt que ses guides, aussi égarés qu'elle-même, auront désigné un ennemi ou un obstacle à sa fureur. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Moniteur, XI, 763 (Séance du 28 mars 1792). — Archives nationales, F7, 3235 (Délibération du directoire du département, 29 novembre 1791 et 27 janvier 1792. — Pétition de la municipalité de Mende et de quarante-trois autres, 30 novembre 1791).
[2] Archives nationales, F7, 3198. Procès-verbal des officiers municipaux d'Arles, 2 septembre 1791. — Lettres des commissaires du roi et de l'Assemblée nationale, 24 octobre, 6, 14, 17, 21 novembre et 21 décembre 1791. Par impartialité, les commissaires vont tour à tour à la messe d'un insermenté et à la messe d'un assermenté. Pour la première, l'église est remplie ; pour la seconde, elle est toujours déserte.
[3] Mémoire de M. Mérilhou pour Froment, passim. — Rapport de M. Alquier, p. 64. — De Dammartin, I, 208.
[4] De Dammartin, I, 208. Ils disaient aux paysans catholiques : Allons, mes enfants, vive le Roi ! — Cris d'enthousiasme. — Ces scélérats de démocrates, il faut en faire un exemple, rétablir les droits sacrés du trône et de l'autel. — Comme vous voudrez, répliquaient les campagnards dans leur patois ; mais il faut garder la Révolution, car là-dedans il y a de bonnes choses. — Ils se tiennent en repos, refusent de marcher au secours d'Uzès, et rentrent dans leurs montagnes à la première approche de la garde nationale.
[5] Dauban, la Démagogie à Paris, p. 598 ; Lettre de M. de Brissac, 25 août 1789.
[6] Moniteur, X, 339 (Journal de Troyes et lettre de Perpignan, novembre 1791.)
[7] Mercure de France, n° du 3 septembre 1791. Qu'on nous présente la Liberté, et toute la France sera à genoux devant elle ; mais les cœurs nobles et fiers résisteront éternellement à l'oppression qui se couvre de ce masque sacré. Ils invoqueront la liberté, mais la liberté sans crimes, la liberté qui se soutient sans cahots, sans inquisiteurs, sans incendiaires, sans brigands, sans serments forcés, sans coalitions illégales, sans supplices populaires ; la liberté enfin qui ne laisse impuni aucun oppresseur et qui n'écrase pas les citoyens paisibles sous le poids des chitines qu'elle a brisées.
[8] Rivarol, Mémoires, p. 367 (Lettre de M. Servan, publiée dans les Actes des Apôtres).
[9] Archives nationales, F7, 3257. Procès-verbaux, interrogatoires et correspondances relatives à l'affaire de M. de Bussy (octobre 1790).
[10] Mercure de France, 15 mai 1790 (Lettre du baron de Bois-d'Aisy, 29 avril, lue à l'Assemblée nationale). — Moniteur, IV, 302, séance du 6 mai, (Procès-verbal du juge de paix de Vitteaux, 28 avril.)
[11] Archives nationales, DXXIX, 4, Lettre de M. Belin-Chatellenot (près d'Arnay-le-Duc) au président de l'Assemblée nationale, 1er juillet 1791. Dans le royaume de la liberté, nous vivons soue la tyrannie la plus cruelle et l'anarchie la plus complète, et les corps administratifs et de police, encore dans leur enfance, ont l'air de n'agir qu'en tremblant.... Jusqu'à présent, dans tous les crimes, ils sont plus occupés d'atténuer les faits que de punir les délits. En conséquence, les coupables n'ont été retenus que par quelques adresses doucereuses, comme : Chers frères et amis, vous êtes dans l'erreur, prenez garde, etc. — Ibid., F7, 3229, Lettre du Directoire du département de la Marne, 13 juillet 1791. (Perquisitions par les gardes nationales dans les châteaux et désarmement des anciens privilégiés). Aucun de nos arrêtés n'a été respecté. Par exemple, bris et violences chez M. de Guinaumont, à Merry ; on a même enlevé le fusil, le plomb et la poudre du garde-chasse. M. de Guinaumont n'a plus aucun moyen de se défendre contre un chien enragé ou autre bête féroce qui viendrait dans ses bois ou dans sa cour. Le maire de Merry était avec la garde nationale, par force, et leur disant en vain que cela était contre la loi. — Pétition de Mme d'Ambly, femme du député, 28 juin 1791. A défaut des fusils qu'elle avait remis déjà, on lui repayer 150 francs.
[12] Archives nationales, DXXIX, 4, Lettres des administrateurs du département de Rhône-et-Loire, 6 juillet 1791. (M. Vitet est un des signataires.). — Mercure de France, 8 octobre 1791.
[13] Mercure de France, 20 août 1791, article de Mallet-Dupan. Tous les traits du tableau que je viens d'esquisser m'ont été fournis par Mme Dumontet elle-même. Je suis autorisé par sa signature à garantir l'exactitude de ce récit.
[14] Mercure de France, 20 août 1791, article de Mallet-Dupan. La procédure instruite à Lyon a constaté ce festin d'anthropophages.
[15] La lettre du département finit par cette naïveté ou cette ironie : Il vous reste une conquête à faire, celle de l'obéissance et de la soumission du peuple à la loi.
[16] Archives nationales, F7, 3200, Pièces concernant l'affaire du 5 novembre 1791 et les événements précédents ou suivants, entre autres : Lettres du Directoire et du procureur-syndic du département ; Pétition et Mémoire pour les détenus ; Lettres d'un témoin, M. de Morant. — Moniteur, X, 356 Procès-verbal de la municipalité de Caen, et du Directoire du département, XI, 164, 206, Rapport de Guadet et pièces du procès. — Archives nationales, ibid. — Lettres de M. Cahier, ministre de l'intérieur, 26 janvier 1792, de M. G.-D. de Pontécoulant, président du Directoire du département, 3 février 1792. — Proclamation du Directoire.
[17] Archives nationales, F7, 3200, Lettre du 26 septembre 1191. — Lettre trouvée sur un des gentilshommes arrêtés : Une bourgeoisie sans courage, des directeurs dans les caves, une municipalité clubiste vous faisant la guerre la plus illégale.
[18] Archives nationales, F7, 3200, Lettre du procureur-syndic de Bayeux, 14 mai 1792, et du Directoire de Bayeux, 21 mai 1792. — A Bayeux aussi, les réfugiés sont dénoncés et en péril. D'après leurs déclarations vérifiées, ils sont à peine cent. A la vérité, il se trouve parmi eux plusieurs prêtres insermentés. (Mais) le reste est formé, pour la plupart, de chefs de famille connus pour habiter ordinairement les districts voisins, et qui ont été forcés de quitter leurs foyers, après avoir été ou craignant de devenir les victimes de l'intolérance religieuse ou des menaces les factieux et des brigands.
[19] Mercure de France, 4 juin 1790 (Lettre de Cahors, du 17 mai, arrêté de la municipalité du 10 mai 1790).
[20] Archives nationales, F7, 3223, Lettre du comte Louis de Beaumont, 9 novembre 1791. Sa lettre, fort modérée, finit ainsi : Convenez, monsieur, que tout cela est fort désagréable et même incroyable que les officiers municipaux soient les auteurs de tous les désordres qui se passent dans cette ville.
[21] Mercure de France, 7 janvier 1792. M. Granchier de Riom adresse au Directoire de son département une pétition à l'effet d'acheter le cimetière où son père a été enterré quatre années auparavant ; c'est pour empêcher la fouille décrétée du cimetière et pour conserver le tombeau de sa famille. Il demande en même temps à acheter l'église Saint-Paul, alla d'y acquitter les messes fondées pour rame de son père. — Le Directoire répond (5 décembre 1791) : Considérant que les moyens qui ont déterminé l'exposant à faire sa déclaration sont le simulacre d'une bonhomie dans laquelle le prestige impuissant pour séduire la saine raison est enveloppé, le Directoire arrête qu'il n'y a lieu à accueillir la demande du sieur Granchier.
[22] De Ferrières, II, 268 (19 avril 1791).
[23] De Montlosier, II, 307, 309, 312.
[24] Moniteur, VI, 556, Lettre de M. d'Aymar, chef d'escadre, 18 novembre 1790.
[25] Mercure de France, 28 mai et 16 juin 1791. (Lettres de Cahors et de Castelnau, 18 mai.)
[26] Mercure de France, n° du 28 mai 1791. A la fête de la Fédération, M. de Massey n'avait pas voulu commander à ses cavaliers de mettre leurs chapeaux au bout de leurs sabres, manœuvre difficile. Pour ce fait, on l'avait accusé de lèse-nation, et il avait dû quitter Tulle pendant plusieurs mois. — Archives nationales, F7, 3204, Extrait des minutes du tribunal de Tulle, 10 mai 1791.
[27] Archives nationales, F7, 3215, Procès-verbal des officiers municipaux de Brest, 23 juin 1191.
[28] Mémoires de Cuvier (Éloges historiques par Flourens), I, 177. Cuvier, qui était alors au Havre (1788), avait fait des études supérieures dans une école administrative allemande. M. de Surville, dit-il, officier au régiment d'Artois, était l'un des esprits les plus élevés et des caractères les plus aimables que j'aie rencontrés. Il y en avait beaucoup de ce genre parmi ses camarades, et je suis toujours étonné que de pareils hommes aient pu végéter dans les rangs obscurs de quelque régiment d'infanterie.
[29] De Dammartin, I, 133. Au commencement de 1790, les officiers simples disaient : nous devrions faire des réclamations ; car nos griefs sont au moins aussi nombreux que ceux de nos cavaliers. — M. de La Rochejacquelein disait après ses grands succès de Vendée : J'espère que le roi, une fois rétabli, me donnera un régiment. Il n'aspirait à rien de plus. (Mémoires de Mme de La Rochejacquelein.) — Cf. Un officier royaliste au service de da République, par M. de Bezancenel, lettres et biographie du général de Dammartin, tué dans l'expédition d'Égypte.
[30] Correspondances de MM. de Thiard, de Caraman, de Miran, de Bercheny, etc., citées ci-dessus, passim. — Correspondance de M. de Thiard, 5 mai 1790 : La ville de Vannes a un stylo autoratif qui commence à me déplaire : elle veut que le roi lui fournisse des baguettes de tambour ; la première bûche le ferait avec plus de promptitude et de facilité.
[31] Archives nationales, F7, 3248, 16 mars 1791. A Douai, Nicolon, marchand de blé, est pendu, parce que la municipalité n'a pas osé proclamer la loi martiale. Le commandant, M. de la Noue, n'avait pas le droit de faire marcher ses grenadiers, et le meurtre s'est accompli sous ses yeux.
[32] Ce dernier, notamment, est mort avec une douceur héroïque. (Mercure de France, 18 juin 1791. — Séance du 9 juin, discours de deux officiers du régiment de Port-au-Prince, l'un témoin oculaire.)
[33] De Dammartin, II, 214. La désertion est énorme, même en temps ordinaire, et fournit aux armées étrangères le quart de leur effectif. — Vers la fin de 1789, Dubois de Crancé, ancien mousquetaire et l'un des futurs montagnards, disait à l'Assemblée nationale, que l'ancien système de recrutement peuplait l'armée de gens sans aveu, sans domicile, qui souvent se faisaient soldats pour éviter les punitions civiles. (Moniteur, II, 376, 381, séance du 12 décembre 1789.)
[34] Archives nationales, KK 1105, Correspondance de M. de Thiard, 4 et 7 septembre 1789, 20 novembre 1789, 28 avril et 29 mai 1790. L'esprit d'insubordination qui commence à se montrer dans le régiment de Bassigny est une maladie épidémique qui gagne insensiblement toutes les troupes.... Toutes les troupes sont gangrenées et toutes les municipalités s'opposent aux ordres qu'elles reçoivent pour les mouvements.
[35] Archives nationales, H, 1453, Correspondance de M. de Bercheny, 12 juillet 1790.
[36] Mémoire justificatif (par Grégoire) pour deux soldats Emery et Delisle. — De Bouillé, Mémoires. — De Dammartin, I, 128, 144. — Archives nationales, KK, 1103, Correspondance de M. de Thiard, 2 et 9 juillet 1790. — Moniteur, séances du 3 septembre et du 4 juin 1790.
[37] De Bouillé, p. 127. — Moniteur, séance du 6 août 1790, et séance du 27 mai 1790. — Grands détails, par pièces authentiques, de l'affaire de Nancy, passim. — Rapport de M. Emmery, 16 août 1790, et autres pièces dans Buchez et Roux, VII, 59-162. — De Bezancenet, p. 35. Lettres de M. de Dammartin (Metz, 4 août 1790). La Fédération s'était passée tranquillement ici ; seulement, peu de temps après, des soldats d'un régiment se sont mis en tête de se partager la masse, et aussitôt ils placent des sentinelles à la porte de l'officier chargé de la caisse et l'obligent à désacquer. Un autre régiment a mis depuis tous ces officiers aux arrêts. Un troisième s'est mutiné et voulait conduire tous ses chevaux sur le marché pour les vendre.... On entend partout les soldats dire que, lorsqu'ils manqueront d'argent, ils sauront bien en trouver.
[38] Archives nationales, F7, 3215, Lettres des commissaires du roi, 27 septembre, 1er, 4, 8, 11 octobre 1790. Quels sont les moyens de quatre commissaires pour convaincre 20.000 hommes dont le plus grand nombre est séduit par les véritables ennemis du bien public ? Les équipages sont, en grande partie, par l'effet du remplacement, composés de gens presque étrangers à la mer, qui ne connaissent point les règles de la subordination, et qui, dans le commencement de la Révolution, ont eu le plus de part aux insurrections intérieures.
[39] Mercure de France, 2 octobre 1790, Lettre de l'amiral, M. d'Albert de Rioms, 16 septembre. Les soldats du Majestueux ont refusé de faire la manœuvre et les matelots du Patriote refusent d'obéir. — J'ai voulu m'informer auparavant s'ils avaient à se plaindre de leur capitaine ? — Non. — S'ils se plaignaient de moi ? — Non. — S'ils avaient des plaintes à faire contre leurs officiers ? — Non. — C'est la révolte d'une classe contre une autre classe ; ils crient seulement Vive la Nation, les aristocrates a la Lanterne ! La multitude a planté une potence devant la maison de M. de Marigny, major-général de la marine ; il a donné sa démission. M. d'Albert offre la sienne. — Ibid., 18 juin 1791 (Lettre de Dunkerque du 3 juin).
[40] De Dammartin, I, 222 et 219. — Mercure de France, 3 septembre 1791 (Séance du 23 août), cf. Moniteur (même date).
[41] Maréchal Marmont, Mémoires, I, 24. J'avais pour la personne du Roi un sentiment difficile à définir... (C'était) un sentiment de dévouement avec un caractère presque religieux, un respect inné, comme dû à un être d'ordre supérieur. Le mot de Roi avait alors une magie et une puissance que rien n'avait altéré dans les cœurs droits et purs. Cette fleur de sensation... existait encore dans la masse de la nation, surtout parmi les gens bien nés qui, placés à une assez grande distance du pouvoir, étaient plutôt frappés de son éclat que de ses imperfections. — De Bezancenet, 27. Lettre de M. de Dammartin, 24 août 1790. Nous venons de renouveler notre serment ; je ne sais trop ce que cela signifie ; moi, militaire, je ne connaissais que mon Roi ; actuellement j'obéis à deux martres qui doivent, nous dit-on, faire mon bonheur et celui de mes frères, s'ils sont d'accord.
[42] De Dammartin, I, 179. Voir le détail de sa démission (III, 185), après le 20 juin 1792. — Mercure de France, 14 avril 1792, Lettre des officiers du bataillon des chasseurs royaux de Provence (9 mars). Ils ont été consignés par leurs soldats qui leur ont refusé toute obéissance, et déclarent que c'est à cause de cela qu'ils quittent le service et la France.
[43] Rousset, les Volontaires de 1791 à 1794, p. 106, Lettre de M. de Biron au ministre (août 1792) ; p. 226, Lettre de Vezu, chef du 3e bataillon de Paris à l'armée du Nord (24 juillet 1793). — A Residence in France front 1792 to 1795 (septembre 1792, Arras). — Pour les détails de ces violences, voir les notes à la fin du second volume.
[44] Mercure de France, 5 mars, 4 juin, 3 septembre, 22 octobre 1791 (Articles de Mallet-Dupan). — Ibid., 14 avril 1792. Plus de 600 officiers de marine ont donné leur démission, après l'insurrection de l'escadre de Brest. Vingt-deux faits d'insurrection capitale dans les ports sont restés impunis, plusieurs par sentence du jury maritime. — Il est sans exemple qu'aucune insurrection, dans les ports ou sur les vaisseaux, qu'aucun attentat contre les officiers de marine ait été puni.... Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de l'abandon du service par les officiers de marine. D'après leurs lettres, tous offrent leur sang à la France, mais refusent de commander à qui n'obéit pas.
[45] Duvergier, Décrets du 1er-6 août 1791 ; du 9-11 février 1792 ; du 30 mars-8 avril 1792 ; du 24-28 juillet 1792 ; du 28 mars-5 avril 1793. — Compte rendu de Roland, 6 janvier 1793. Il évalue ces biens à 4.800 millions, dont il faudra distraire 1.800 millions pour les créanciers des émigrés ; restent 3 milliards. Or, à cette date, les assignats perdent 55 pour 100 de leur chiffre nominal.
[46] Mercure de France, 18 février 1792.
[47] Cf. sur cette attitude générale du clergé, Sauzay, t. I et t. II, tout entiers. — Mercure de France, 10 septembre 1791 : Il n'échappera à aucun homme impartial qu'au milieu de cette oppression, au milieu de tant d'accusations fanatiques qui s'autorisent par le reproche de fanatisme et de révolte, il ne s'est pas encore manifesté un seul acte de résistance. Des délateurs, des municipalités gouvernées par les clubs ont fait jeter dans les cachots un grand nombre de non-jureurs. Ils en sont tous sortis ou ils y gémissent sans jugement, et nul tribunal n'a trouvé de coupables. Rapport de M. Cahier, ministre de l'intérieur, 18 février 1792. Il déclare n'avoir eu connaissance d'aucun prêtre puni par les tribunaux comme perturbateur du repos public, quoique plusieurs aient subi des accusations. — Moniteur, 6 mai 1792 (Rapport de Français de Nantes) : Depuis trente mois, pas un seul n'a été puni.
[48] Sur ces brutalités spontanées des paysans catholiques, cf. Archives nationales, F7, 3236 (Lozère, juillet-novembre 1791) ; Délibération du district de Florac, 6 juillet 1791, et procès-verbal du commissaire du département sur les troubles d'Espagne. Le 5 juillet, Richard, curé constitutionnel requiert la municipalité de procéder à son installation. La cérémonie n'a pu être faite, à cause des huées des femmes et des enfants, et des menas ces faites par diverses personnes qui disaient : il faut le tuer, il faut l'étrangler ; c'est un protestant, il est marié, il a des enfants ; et à cause de l'impossibilité d'entrer dans l'église dont les portes étaient obstruées par le grand nombre de femmes qui s'étaient rendues au-devant d'icelles. — Le 6 juillet, on l'installe, mais difficilement. Dans l'intérieur de l'église une troupe de femmes faisaient les hauts cris et se lamentaient sur le remplacement de leur curé. Au retour, dans les rues, un grand nombre de femmes, égarées à l'aspect du curé constitutionnel, détournaient la figure.... et se contentaient de prononcer des mots entrecoupés.... sans se permettre d'autres mouvements que de se couvrir la figure avec leurs chapeaux et de se jeter par terre. — 15 juillet. Le clerc ne veut plus servir la messe ni sonner les cloches ; le curé Richard ayant voulu les sonner lui-même, le peuple le menace de le maltraiter s'il s'y hasarde. — 8 septembre 1191. Lettre du curé de Pau, district de Saint-Chély. Cette nuit, j'ai été à deux doigts de la mort par une troupe de bandits qui m'ont exspolié la cure, après avoir fracassé les portes et les vitres. — 30 décembre 1791. Un autre curé qui vient prendre possession de sa cure est assailli à coups de pierres par soixante femmes et poursuivi ainsi jusques hors de la paroisse. — 5 août 1791. Pétition de l'Évêque constitutionnel de Mende et de ses quatre vicaires. Il ne se passe pas de jour que nous ne soyons insultés dans nos fonctions ; nous ne pouvons faire un pas sans entendre des huées. Si nous sortons, nous sommes menacés d'être assassinés lâchement, d'être assommés à coups de béton. F7, 3253 (Bas-Rhin, Lettre du Directoire du département, 9 avril 1792) : Les 10/11e au moins des catholiques refusent de reconnaître les prêtres assermentés.
[49] Duvergier, Décrets (non sanctionnés) du 29 novembre 1791 et du 27 mai 1792. — Après la chute du trône, décret du 26 août 1792. — Moniteur, III, 200 (séance du 23 avril 1792), Rapport du ministre de l'intérieur.
[50] Lallier, le District de Machecoul, p. 261, 263. — Archives nationales, F7, 3234, Réquisitoire du procureur de la commune de Tonneins (21 décembre 1791), pour arrêter ou expulser huit prêtres au moindre acte d'hostilité intérieure ou extérieure. — Ibid., F7, 3264, Arrêté du Conseil général d'administration de la Corrèze (16, 17, 18 juillet 1792), pour mettre en état d'arrestation tous les prêtres insermentés. — Entre ces deux dates, on trouve dans presque tous les départements des arrêtés de diverses sortes et de plus en plus sévères contre les insermentés.
[51] Archives nationales, F7, 3250, Procès-verbal du Directoire du département, 18 mars 1791, avec toutes les pièces afférentes. — F7, 3200, Lettre du Directoire du Calvados, 13 juin 1792, avec les interrogatoires. Les dégâts sont estimés 15.000 livres.
[52] Archives nationales, F7, 3234, Arrêté du Directoire du Lot, 24 février 1792, sur les troubles de Marmande. — F7, 3239, Procès-verbal de la municipalité de Reims, 5, 6, 7 novembre 1791. Les deux ouvriers sont un bourrelier et un cardeur de laine. Le prêtre qui a conféré le baptême est mis en prison comme perturbateur du repos public. — F7, 3219, Lettre du commissaire du roi près le tribunal de Castelsarrasin, 5 mars 1792. — F7, 3203, Lettre du Directoire du district de la Rochelle, 1er juin 1792. La force armée, témoin de ces crimes et requise d'arrêter les gens en flagrant délit, a refusé d'obéir.
[53] Mémoire par Camille Jourdan (Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, XII, 250). La garde refuse de porter secours, ou n'arrive que trop tard, seulement pour contempler le désordre, jamais pour le réprimer. — De Montlosier, II, 300.
[54] Archives nationales, F7, 3217, Lettres du curé d'Uzès, 29 janvier 1792 ; du curé d'Alais, 5 avril 1792 ; des administrateurs du Gard, 28 juillet 1792 ; du procureur-syndic, M. Griolet, 2 juillet 1792 ; de Castanet, ancien gendarme, 25 août 1792 ; de M. Griolet, 28 septembre 1792. — Ibid., F7, 3223, Pétition par MM. Thueri et Devès, au nom des opprimés de Montpellier, 17 novembre 1791 ; Lettre des mêmes au ministre, 28 octobre 1791 ; Lettre de M. Dupin, procureur-syndic, 22 août 1791 ; Arrêté du département, 9 août 1791 ; Pétition des habitants de Courmonterral, 25 août 1791.
[55] Moniteur, XII, 16, séance du 1er avril 1792. Discours de M. Laureau. Voyez les provinces en feu, l'insurrection dans dix-neuf départements, et la révolte s'annonçant partout.... La liberté n'est que celle du brigandage, nous n'avons ni impôts, ni ordre, ni autorités. — Mercure de France, 7 avril 1792. Plus de vingt départements participent maintenant aux horreurs de l'anarchie et d'une insurrection plus ou moins dévastatrice.
[56] Moniteur, XII, 30, Discours de M. Caillasson. Le total des biens vendus au 1er novembre 1791 est de 1526 millions ; il n'en reste plus à vendre que pour 669 millions.
[57] Archives nationales, F7, 3225, Lettre du Directoire d'Ille-et-Vilaine, 24 mars 1792. C'est un parti pris par les gardes nationales du district d'expulser tous les prêtres non sermentés et non remplacés, sous prétexte du mal qu'ils ne manqueraient pas de faire pendant la Pâques.
[58] Moniteur, XI, 420 (séance du 18 février 1792), Rapport de M. Cahier, ministre de l'intérieur.
[59] Archives nationales, F7, 3250, Déposition des officiers municipaux de Gosnay et d'Hesdiguel (district de Béthune), 18 mai 1792. Six paroisses ont pris part à cette expédition ; la femme du maire a eu la corde au cou et a failli être pendue. — Moniteur ; XII, 154, n° du 15 avril 1792. — Archives nationales, F7, 3225, Lettre du Directoire d'Ille-et-Vilaine, 24 mars 1792, et Procès-verbal des commissaires pour le district de Vitré ; Lettre du même Directoire, 21 avril 1792, et Rapport des commissaires envoyés à Acigné, 6 avril.
[60] Moniteur, XII, 200, Rapport de M. Cahier, 23 avril 1792. Les Directoires de ces quatre départements refusent de retirer leurs arrêtés illégaux, alléguant que leurs gardes nationales armées poursuivent les prêtres réfractaires.
[61] Mercure de France, 7 avril 1792, Lettres écrites d'Aurillac. — Archives nationales, F7, 3202. — Lettre du Directoire du district d'Aurillac, 27 mars 1792 (avec sept procès-verbaux) ; du Directoire du district de Saint-Flour, 19 mars (avec le rapport de ses commissaires) ; de M. Duranthon, ministre de la justice, 22 avril ; Pétition de M. Lorus, officier municipal d'Aurillac. — Lettre de M. Duranthon, 9 juin 1792. Je viens d'être informé par le commissaire du roi près le district de Saint-Flour que, depuis le départ des troupes, les magistrats n'osent plus exercer leurs fonctions au milieu des brigands qui les environnent.
[62] Archives nationales, F7, 3219, Lettres de M. Niel, administrateur du département de la Haute-Garonne, 21 février 1792 ; de M. Sainfal, 4 mars ; du Directoire du département, 1er mars ; du commissaire du roi près le tribunal de Castelsarrasin, 13 mars.
[63] Exemples de ces convoitises rustiques :
A Lunel, 4.000 paysans et gardes nationaux de village veulent entrer pour pendre les aristocrates ; leurs femmes sont avec eux, menant leurs ânes avec des corbeilles qu'elles espèrent bien remporter pleines. (Archives nationales, F7, 3223, Lettre de la municipalité de Lunel, 4 novembre 1791.)
A Uzès, on a grand'peine à se débarrasser des paysans qui sont entrés pour chasser les catholiques royalistes. On a beau les faire bien boire et bien manger ; ils s'en vont de mauvaise humeur, surtout les femmes, qui conduisaient des mulets et des ânes pour emporter le butin, et qui n'avaient pas prévu qu'elles retourneraient les mains vides. (De Dammartin, I, 195.)
A propos du siège de Nantes par les Vendéens : Une vieille femme me disait : Oh oui, j'y étais, au siège ; ma sœur et moi, nous avions apporté nos sacs. Nous comptions bien qu'on entrerait tout au moins jusqu'à la rue de la Casserie (rue des bijoutiers et orfèvres). (Michelet, V, 211.)
[64] Archives nationales, F7, 3209, Lettres du commissaire du roi près le tribunal de Mucidan, 7 mars 1792 ; du procureur-syndic du district de Sarlat, janvier 1792. — Ibid., F7, 3204, Lettres des administrateurs du district de Tulle, 15 avril 1792 ; du Directoire du département, 18 avril ; Pétition de Jacques Labruc et de sa femme ; avec procès-verbal du juge de paix, 24 avril. Toutes ces voies de fait ont été commises sous les yeux de la municipalité. Elle n'y a mis aucun obstacle, malgré qu'elle ait été requise à temps.
[65] Archives nationales, F7, 3223, Lettres de M. Brisson, commissaire des classes de la marine à Souillac, 2 février 1792 ; du Directoire du département. 14 mars 1792. — Pétition des frères Barrié (avec pièces à l'appui), 11 octobre 1791. — Lettre du procureur-syndic du département, 4 avril 1792. Rapport des commissaires envoyés dans le district de Figeac, 5 janvier 1792. — Lettre des administrateurs du département, 21 mai 1792.
[66] Archives nationales, F7, 3217, Procès-verbal des commissaires du département du Gard, 1er, 2, 3, 6 avril 1792, et lettre du 6 avril. Un propriétaire est taxé à 100.000 livres. — Ibid., F7, 3223, Lettre de M. Dupin, procureur-syndic de l'Hérault, 17 et 26 février 1792. Au château de Pignan, à Mme de Lostanges, il n'est pas resté de tous les meubles une pièce entière. La cause de ces troubles est dans les passions religieuses. Cinq ou six prêtres insermentés avaient le château pour retraite. — Moniteur, séance du 16 avril 1792, Lettre du Directoire du département du Gard. — De Dammartin, II, 85. A Uzès, 50 à 60 hommes masqués envahissent à dix heures du soir le château ducal, mettent le feu aux archives, et le château est incendié.
[67] Archives nationales, F7, 3196, Procès-verbal d'Augier et Fabre, administrateurs des Bouches-du-Rhône, envoyés à Avignon, 11 mai 1792. (La rentrée de Jourdan, Mainvielle et des assassins de la Glacière avait eu lieu le 29 avril.)
[68] De Dammartin, II, 63. — Portalis, Il est temps de parler (brochure), passim. — Archives nationales, F7, 7090, Mémoire des commissaires de l'administration municipale d'Arles, an IV, 22 nivôse.
[69] Mercure de France, 19 mai 1792 (séance du 4 mai), Pétition de quarante Avignonnais à la barre de l'Assemblée législative. — Archives nationales, F7, 3195, Lettre des commissaires du roi près le tribunal d'API, 15 mars 1792 ; Procès-verbal de la municipalité, 21 mars : Lettre du Directoire d'Apt, 23 et 28 mars 1792.
[70] Archives nationales, Ibid., Lettre d'Amiel, président du bureau de conciliation à Avignon, 28 octobre 1792 et autres lettres au ministre Roland. — F7, 3217, Lettre du juge de paix de Roque-Maure, 31 octobre 1792.
[71] Archives nationales, F7, 3246, Procès-verbal de la municipalité de Metz (avec pièces à l'appui), 15 mai 1792.
[72] Mémoires de l'abbé Baton, l'un des prêtres de troisième convoi (évêque nommé de Séez), p. 233.
[73] Archives nationales, F7, 3225, Lettre du citoyen Bonnement, commissaire, au ministre Roland, 11 septembre 1792.