Les calomniateurs et
les détracteurs d'Agnès Sorel dans l'histoire et la poésie. — Georges
Chastelain. — Jean Chartier, historiographe du roi. — Thomas Basin, évêque de
Lisieux. — Le Bourgeois de Paris. — Gaguin. — Bussières. — Sauvai et Dreux du
Radier. — Le Roux de Lincy. — Touchard-Lafosse, la Loire historique. — Pierre
Clément. — Henri Martin. — Delort. — Des prétendues amours d'Agnès Sorel. —
Les Intrigues galantes de la cour de France. — Voltaire, la Pucelle
d'Orléans. Alexandre Dumas, Charles VII chez ses grands vassaux.
Les
contemporains d'Agnès Sorel, nous parlons de ceux qui ont laissé par écrit à
la postérité leurs actions ou leurs souvenirs, n'ont pas toujours été justes
envers l'illustre favorite, ainsi que nous l'avons dit dans notre
introduction. Les uns ont écrit avec leurs passions et leurs préjugés, les
autres n'étaient point placés dans une situation qui leur permît de tout
savoir ; d'autres ont altéré sciemment et volontairement la vérité. La postérité
elle-même, plus libre et plus dégagée pourtant, et même complétement dégagée
parfois de toute prévention soit personnelle, soit d'esprit de parti, ou ne
lui a pas rendu justice, ou ne lui a pas rendu toute la justice à laquelle
elle avait droit. Il n'est pas jusqu'aux pates et aux romanciers qui ne
l'aient quelquefois maltraitée dans leurs fictions ou qui n'aient oublié de
la traiter selon ses mérites. C'est donc un devoir pour nous de rétablir la
vérité. Nous n'y réussirons pas sans doute pleinement ; le mot de
Beaumarchais est vrai pour tous les temps et pour toutes les circonstances.
La calomnie posthume, comme la calomnie sur l'heure, laisse toujours quelque
chose après elle. Ce n'est pas une raison pour ne pas tenter de la combattre. La
liaison de Charles VII et d'Agnès fut un grand événement dans son temps.
C'était la première fois que la maîtresse d'un roi avait une situation en
quelque sorte officielle et reconnue. Cette liaison, de plus, avait eu une
longue durée, et la favorite, par la supériorité de son esprit et de son
caractère, par l'éclat de ses amitiés et de ses services, avait véritablement
joué un rôle dans l'État. Tous les hommes qui, de près ou de loin, tenaient à
la vie publique, ceux surtout qui approchaient le roi et avaient entrée à la
cour, ont dû, par conséquent, être au courant de ce qui concernait la vie
intérieure d'Agnès et des principales circonstances de sa liaison avec le
roi, de son origine, de son développement et de ses suites. Il semble aussi
que plus que personne, l'historiographe du roi dût se trouver en position
d'être bien informé. C'est précisément tout le contraire qui arrive ou paraît
arriver. Jean Chartier a été égratigné par Voltaire, qui le range parmi les gens qui disent toujours la vérité du vivant des rois, et il l'a bien mérité. Il y a
peu d'exemples d'un mensonge historique plus apprêté et en même temps plus
maladroit que celui dont le moine de Saint-Denis, historiographe du roi de
France Charles VII, s'est rendu coupable vis-à-vis de l'illustre favorite. Il
l'avait sans doute encensée vivante ; peu s'en faut que, morte, il ne la
jette aux gémonies. Mais, le point de vue moral écarté, la façon dont s'y
prend le chroniqueur pour arriver à ses fins, est assez piquante. Le problème
était délicat ; il était difficile de taire toute la vérité ; il était aussi
difficile de la dire tout entière. En homme habile, Jean Chartier passe entre
les difficultés, et imagine, comme nous allons voir, le plus ingénieux
expédient. Agnès
vient de mourir dans l'abbaye de Jumièges, où elle était venue pour advertir le Roy et luy dire qu'aulcun de ses gens le vouloient
trahir et livrer ès mains de ses anciens[1] ennemis
les Anglois. La commune renommée, qui donnait la défunte avant sa mort pour mai
tresse au roi, car aujourd'huy
le monde est plus enclin à penser et dire mal que bien, n'ayant pas cru devoir cesser
de le faire après le fatal événement, d'autant qu'Agnès venait de donner un
quatrième enfant à, Charles VII, le chroniqueur s'en indigne, et pour tirer
la chose au clair et ne pas induire en erreur la postérité qu'il est chargé
d'éclairer moyennant salaire, il veut instruire l'affaire comme au criminel,
dans toutes les formes. Il institue donc une enquête, fait comparaître chevaliers, escuyers,
conseillers, physiciens ou médecins et sirurgiens,
et d'autres de divers estats, n et après les avoir examinez par serment, comme à son office appartient, afin
d'oster et lever l'abbus
du peuple, il
trouve ces belles choses : 1° que pendant les
dits cinq ans que la dite damoiselle demoura avecques la Royne, ainsi que
dit est, oncques le Roy ne laissa de coucher avec la dite Royne,
dont il eust quantité de beaulx
enfants d'elle ; 2°
que quand le Roy alloit
voir les dames et damoiselles et mesmement en
l'absence de la Royne, ou qu'icelle belle Agnès le venoit voir, il y avoit
toujours grande multitude de gens présens et que
oncques ne la vidrent toucher par le Roy au dessoubz du menton : mais s'en retournoit,
après les esbatements licites et honnestes faits comme à Roy appartient, chacun en son logiz par chacun soir, pareillement la dite Agnès au sien ; 3° que se aulcune chose en copulation
charnelle elle a commis avec le Roy, dont on se peut appercevoir,
si avoit ce esté cautement et en cachette, elle estant
lors au service de la Royne de Sicile, sçavoir auparavant qu'elle fût, vînt et passast au service de la Royne
de France, avecques laquelle elle a esté résidente quelques années ; 4° que bien est vray que la dite Agnès eust une fille, laquelle ne vesquit
guères et qu'elle disoit estre
et appartenir au Roy et luy donnoit,
comme au mieux et plus apparent n ; mais que ‘. le
Roy s'en est toujours fort excusé et n'y réclama onques rien ; qu'aussi y avoit-il d'autres
bien grants seigneuries en même temps qu'elle avec
cette royne de Sicile, par quoy
elle pouvoit bien l'avoir empruntée et gaignée d'ailleurs[2]. Les
bras tombent vraiment, quand on lit de pareilles choses, et l'on trouve que
ce n'est pas une simple égratignure que méritent ceux qui les écrivent : le
plus profond mépris de l'histoire est dû à ces effrontés corrupteurs de la
vérité. Ce qui ajoute à l'indignation, c'est l'air de bonhomie et de naïveté
qui couvre l'art perfide de la mise en scène. Les faits sont avoués, ils
étaient trop patents pour être niés, sauf le point capital, celui de l'amour
du roi, et ils sont arrangés de manière à faire illusion à ceux qui ne les
ont pas vus de près, à charger la mémoire de la favorite et à mettre le
principal coupable hors de cause. L'historiographe n'avait-il pas le devoir d'oster et lever l'abbus du peuple, et cela n'appartenait-il pas à son office ? Il
n'est pas nécessaire de rétablir la vérité altérée avec tant d'impudence : la
calomnie qui porte sur l'infidélité d'Agnès, est trop grossière pour ne pas
tomber sous le poids même de l'imbécillité qui l'a dressée ; et, quant à la
justification, formulée en vue de confirmer la calomnie, il suffit pour la
faire apprécier, et donner la mesure de la véracité de l'historiographe, de
rappeler que Louis XI, dans un acte authentique, a nommé Charlotte, fille
d'Agnès Sorel, sa sœur naturelle[3] ; qu'il a donné à toutes ses
filles le titre de Filles de France, et que l'historien patenté ne pouvait
ignorer que ce n'était pas un enfant, mais quatre qui devaient le jour à
Agnès[4]. Thomas
Basin, l'évêque de Lisieux, contemporain d'Agnès, a renchéri encore sur les
dires de Jean Chartier. Ce dernier s'était borné à justifier le roi d'avoir
eu Agnès pour maîtresse, et à attribuer à un autre la paternité de l'enfant
qu'il reconnaissait être née à Agnès, sans avancer ni même insinuer qu'elle
eût eu plusieurs amants. Thomas Basin va plus loin : il n'a pas l'idée
saugrenue de nier des relations qui étaient presque publiques et officielles
: c'est chose qui ne peut tomber que dans la tête d'un historiographe ! Mais
il prétend que la favorite a d'autres amants que le roi : Il ne l'avait pas seule, et elle n'avait pas que lui, dit-il ; nec eam quippe
solam, nec ipsa eum solum[5]. Et pourtant Thomas Basin est
un honnête homme. On peut dire qu'il trompe sans le vouloir, et presque sans
s'en douter. Il vit loin de la cour, dans la solitude de son diocèse, au
milieu des Anglais ; les bruits de la cour n'arrivent à lui que de loin en
loin, altérés par la distance. Que lui importe-t-il d'ailleurs qu'une femme
ait deux ou plusieurs amants au lieu d'un seul ? Le crime pour un saint
évêque est égal dans tous les cas, et le nombre ne fait rien à l'affaire. II
faut ajouter que le chroniqueur était un mécontent, que sa chronique est
remplie d'assertions téméraires et d'erreurs grossières, qu'un peu
d'attention eût suffi pour éviter ou corriger, et que la légèreté semble être
le caractère distinctif de ses histoires. Il faut remarquer aussi qu'il est
le seul des contemporains qui ait énoncé ce fait, et qu'aucun des historiens
bourguignons, si peu favorables à Charles VII et à ce qui le touche, pas même
Georges Chastelain, n'a élevé de soupçons sur la fidélité d'Agnès[6]. Chastelain
cependant ne ménage guère Agnès, et lui, si indifférent à l'endroit des
vingt-quatre maîtresses de Philippe le Bon, pour ne pas dire si indulgent, en
prend à son aise avec celle de Charles VII, comme s'il voulait se venger sur
elle du silence qu'il est obligé de garder sur les autres. Tout le scandalise
chez Agnès : sa manière de vivre, et jusqu'à sa manière de se vêtir,
chargeant tout, tournant tout à mal, et allant jusqu'à la rendre responsable
de la dissolution du siècle, comme si les mœurs de l'époque avaient été
édifiantes avant elle, comme si Isabeau et les scandales de sa cour n'avaient
point existé, comme si Charles VII n'avait pas eu des maîtresses avant et
après elle (et quelles maîtresses !), comme si elle n'avait pas été elle-même une
victime des mœurs du siècle plutôt qu'une corruptrice de ces mêmes mœurs ! Il
y a vraiment quelque chose de triste et de plaisant à la fois à entendre le
chroniqueur bourguignon s'écrier que toutes
les femmes de France et de Bourgogne perdirent beaucoup en pudeur à vouloir
suivre l'exemple de cette femme. Pour ne parler que de la Bourgogne, personne n'ignorait au
moment où écrivait Chastelain, et Chastelain moins que personne, que Philippe
le Bon, le bon duc, comme on disait, avait eu vingt-sept femmes, dont
vingt-quatre maîtresses et trois femmes légitimes, qu'on lui connaissait
seize bâtards, que ces maîtresses, il les prit à tout âge de sa vie et dans
tous les rangs de la société, et qu'il épousa sa troisième femme, Isabelle de
Portugal, en 1429, avant qu'Agnès fût connue et qu'il pût être question de
son influence sur les mœurs de la cour de Bourgogne ou même de celle de
France. Cela donne la mesure de l'équité du chroniqueur et de la confiance
qu'il convient d'avoir dans ses jugements[7]. Georges
Chastelain, homme fort intelligent, et un des écrivains les plus distingués
du quinzième siècle, est un caractère d'une honorabilité douteuse.
Panégyriste à outrance de la cour de Bourgogne, et particulièrement de
Philippe le Bon, il est aussi excessif dans l'outrage que dans la louange. Il
est de plus ennemi systématique de la France. Ce n'est pas Agnès Sorel seule
qui a eu à souffrir de ses injustices et de ses violences : la Pucelle
elle-même n'a point trouvé grâce devant lui. Du reste, tout cela ne lui
réussit qu'un temps. Quand Louis XI, qui n'était encore que Dauphin, se
réfugia à la cour de Bourgogne, en 1456, il se montra plein de complaisance
pour le prince, et c'est, selon toute vraisemblance, sinon sous la dictée de
Louis, du moins sur des notes recueillies vers cette époque et dictées par
lui, qu'il écrivit le passage de la chronique que nous commentons : il ne lui
avait pas coûté beaucoup d'épouser les rancunes de l'hôte de son maître, dans
lequel il ne soupçonnait pas l'ennemi de la maison de Bourgogne, l'habile et
astucieux politique qui devait en faire crouler la grandeur ; mais, pour plus
d'une raison, il dut plus tard s'en repentir. Louis XI, parvenu au trône,
changea de politique, et changeant aussi de sentiments à l'égard d'Agnès,
démentit plus d'une fois et d'une façon éclatante les imputations injurieuses
qu'il avait suggérées et que l'imprudent chroniqueur avait si avidement
accueillies[8]. Chose remarquable, c'est que
Louis XI ne songe jamais à accuser la favorite, contre laquelle il convient à
sa politique de marquer tant de haine, d'avoir trompé son père et prêté
l'oreille à d'autres amours. Cette circonstance est d'une haute importance,
et nous regrettons qu'elle n'ait pas été signalée jusqu'ici : elle coupe
court d'un seul coup à tous les commentaires et à tous les soupçons. Peut-on
supposer qu'un prince, qu'aucun scrupule n'arrêtait, eût reculé devant une
calomnie de ce genre, si elle avait eu quelque chance d'aboutir ? Aussi
ne mentionnons-nous que pour mémoire celle que Sauvai et Dreux du Radier ont
recueillie, et qui donne Étienne Chevalier pour amant à Agnès Sorel. Nous y
attachons d'autant moins d'importance que les présomptions sur lesquelles ces
deux historiens se fondent, n'ont aucune portée, comme le remarque M. Pierre
Clément, et prouvent même le contraire de leur assertion[9]. Le Journal
d'un bourgeois de Paris parle d'Agnès à peu près sur le même ton que
Georges Chastelain, se bornant toutefois à se scandaliser, ce qui était
assurément fort permis, ou, s'il altère la vérité, ne le faisant point d'une
façon grossière ou niaise : La
dernière sepmaine d'avril (1448) vint à Paris une damoiselle,
laquelle on disoit publiquement estre
aimée au Roy de France, sans foy, sans loy et sans vérité à la bonne Royne
qu'il avoi t espousée ; et bien y apparoist qu'elle menoit aussi
grand estat comme une Comtesse ou Duchesse ; et alloit et venoit bien souvent
avec la bonne Royne de France, sans ce qu'elle eust point honte de son peschié
; dont la Royne avoit
moult de douleur à son cœur ; mais à souffrir lui convenoit
pour lors. Et le Roy, pour plus monstrer et
manifester son grand peschié et sa grant honte et d'elle aussy,
lui donna le chastel de Beauté, le plus bel chastel et joli, et le mieux assis qui fust en toute l'Isle-deFrance.
Et se nommoit et faisoit
nommer la belle Agnez ; et pour ce que le peuple de
Paris ne lui fist une telle révérence comme son
grand orgueil demandoit, qu'elle ne pust celler, elle dist au despartir que ce n'estoient qui villains, et que
si eust cuidé que on ne luy
eust faiz plus grant honneur, elle n'y eust jà
entré ne mis le pié, qui eust
esté dommaige ; mais il eust esté petit. Ainsi s'en
alla la belle Agnez, le dixième jour de mai
ensuivant, à son peschié comme devant. Hélas !
quelle pitié quand le chef du royaume donne si malle exemple à son peuple[10]. Nous ne
protestons pas contre la dernière réflexion du bourgeois de Paris ; nous
ferons remarquer seulement qu'il prête à Agnès un désir de s'afficher, une
sorte de fanfaronnade du vice, qui ne parait pas le moins du monde avoir été
dans sa nature. — Ce n'était pas pour le vain plaisir de paraitre et de faire
parade de son peschié qu'elle suivit le roi à Paris,
mais parce que c'était là un des devoirs de sa charge auprès de la reine, et
aussi sans doute, nous n'avons pas à le dissimuler, parce que le roi ne
pouvait se passer d'elle. Il n'est pas supposable qu'elle s'attendit à ce que
le peuple de Paris lui fit une telle
révérence, et, par
conséquent, la blessure faite à son orgueil, d'après le chroniqueur, est
purement imaginaire. Nous
avons à franchir maintenant un grand espace : nous arrivons aux historiens du
dix-neuvième siècle. Delort,
qui est en général bien informé et favorable à Agnès, nous dit que les plus
brillants seigneurs de la cour de Charles VII offrirent à la demoiselle de Fromenteau — c'est le nom qu'il donne à
Agnès —, avant qu'elle attirât les regards du roi, leurs hommages sinon leur
amour. La réputation de son éclatante beauté, dit-il, franchit bientôt les limites de la Touraine et attira près
d'elle une infinité de magnifiques seigneurs, tels que le fameux duc
d'Alençon, Charles de Bourbon, l'illustre et brave Dunois, le brave Poton de
Xaintrailles, Saint-Chaumont, Clusol et cent autres
non moins éclatants par la noblesse de leur sang que par leur mérite
personnel. Il
prétend même que le duc d'Alençon, le duc Charles de Bourbon, Xaintrailles,
auraient éprouvé pour elle une véritable passion. Mais ce ne sont là que, des
assertions dénuées de preuves. Qu'Agnès Sorel ait attiré des hommages, soit
à. la cour de France avant qu'elle devint la maîtresse du roi, soit à la cour
de Lorraine, et surtout dans cette dernière cour, où elle passa la première
partie de sa jeunesse, on peut le croire ; sa grande beauté ne pouvait point
passer inaperçue, et à Chinon comme à Nancy, il y avait des yeux pour voir.
L'assertion de Delort n'en reste pas moins à l'état d'une hypothèse, qui a
pour elle toutes les vraisemblances sans pouvoir toutefois être présentée
comme une vérité. Du reste, nous sommes loin de ranger Delort parmi les
détracteurs, encore moins parmi les calomniateurs d'Agnès Sorel. Dire qu'on a
allumé des passions autour de soi, ce n'est pas dire qu'on les a partagées ou
qu'on y a succombé. Un
reproche plus grave que nous aurions à adresser à Delort, c'est d'avoir, en
montrant une partialité évidente à l'égard de Marie d'Anjou et en prêtant à
cette princesse, dans des circonstances solennelles, une influence qui ne lui
appartient pas, manqué à la vérité historique et porté atteinte, d'une façon
indirecte, il est vrai, à l'autorité de l'opinion que nous soutenons.
L'historien de Charles VII et d'Agnès Sorel attribue à la reine seule d'avoir par sa prudence et sa piété
relevé le courage du roi après la journée des Harengs[11]. Or, c'est encore là de la
fantaisie sous prétexte d'histoire. Charles VII, malgré son indolence, était,
par instants, à cette époque, vivement affecté de la situation du royaume. Il
est certain qu'il le fut plus que jamais durant le siège d'Orléans, ce qui
était fort naturel, cette place étant très-importante, et sa chute ouvrant à
l'ennemi l'intérieur de la France. Ainsi, l'on sait que le 1er novembre 1428,
le jour de la Toussaint, tourmenté par une pensée qui lui revenait souvent à
l'esprit et qui fait honneur à sa conscience d'honnête homme, sinon à sa
force de caractère, il demanda à Dieu, dans une oraison mentale, que, s'il
était l'héritier légitime de Charlemagne et de saint Louis, il voulût bien se
manifester, par un signe éclatant, en sa faveur. Mais c'était dans le même
temps que La Hire, étant allé à Chinon demander au roi des secours pour la
défense d'Orléans, le trouva répétant un ballet. La vérité est que le
sentiment du devoir n'apparaissait à sa conscience qu'à de rares intervalles,
qu'il n'avait point la force de s'arracher à sa torpeur ni à l'influence
fatale de ses maîtresses ou de ses ministres, et que, s'il fut réveillé un
moment après la bataille des Harengs, ce ne fut point par la prudence ni la
piété de Marie d'Anjou, mais par l'apparition miraculeuse de Jeanne Darc[12], et encore pour retomber
bientôt plus lourdement dans son indolence et sous le joug des favoris. Agnès
Sorel n'a pas à se plaindre du dix-neuvième siècle. Plusieurs de nos
historiens, dont quelques-uns sont célèbres, se sont occupés d'elle, ou
incidemment ou avec une attention particulière. MM. Michelet, Henri Martin et
de Barante[13] en ont parlé dans leurs
histoires et ont marqué son rôle et son influence, ainsi que M. Pierre
Clément dans son livre savant et ingénieux de Jacques Cœur. Elle a même été
l'objet d'une monographie, où une érudition patiente et sagace s'est attachée
à éclairer d'un jour complet tout ce qui la concerne[14]. Elle a aussi une place dans un
ouvrage curieux, comme tableau des mœurs des diverses époques de notre
histoire, intitulé les Femmes célèbres de l'ancienne France. Elle a
presque autant d'admirateurs, ou du moins d'hommages, que Jeanne Darc, et,
par une conséquence naturelle de cette loi des choses qui veut que l'histoire
devienne plus juste en avançant et que la vérité de convention fasse place
peu à peu à la vérité vraie, sa situation de maîtresse d'un roi n'a plus
dérobé ou dissimulé ses grandes qualités et ses grands services. Des erreurs
se sont mêlées cependant dans quelques-uns des écrits que nous venons
d'indiquer ; des assertions téméraires des chroniqueurs contemporains ont été
adoptées avec une facilité qui nous paraît excessive, et ont donné lieu à des
jugements que l'équité réprouve. Il est de notre devoir de redresser les
erreurs et de discuter les assertions. MM.
Michelet, de Barante, Vallet de Viriville, nous paraissent à l'abri de tout
reproche. M. de Barante se borne à dépouiller les chroniques ; mais il le
fait avec une impartialité et en même temps avec une justesse, un sentiment
si vif du passé, que la vérité se montre d'elle-même sans le secours de
l'historien. Le tour d'imagination de M. Michelet, et sa prédilection pour la
faiblesse et la beauté devaient le rendre favorable à Agnès Sorel ; sa nature
l'invitait en quelque sorte à chercher le véritable point de vue ; c'est ce
qu'il a fait d'une manière parfaite, bien qu'il ne semble avoir jeté sur la douce créature, comme il l'appelle, qu'un coup d'œil rapide. Quant
à M. Vallet de Viriville, il a trop longtemps vécu avec elle et trop
patiemment contemplé son image pour ne l'avoir pas rendue dans sa vérité.
Nous ne faisons donc nos réserves que pour M. Henri Martin, M. Le Roux de
Lincy, et aussi M. Pierre Clément, dont l'autorité, à des titres divers, est
trop considérable pour ne pas être discutée. M.
Henri Martin adopte la tradition du Jouvencel, rendue si populaire par le
quatrain de François Ier, et l'anecdote célèbre de Brantôme, qui tend de plus
en plus à devenir la vérité historique[15]. Qu'il l'adopte trop aisément,
sans discussion et sans critique, ce qui est assez excusable dans un travail
immense, peu importe : il est dans la vérité, et là est l'essentiel. Il est
une chose, cependant, que nous lui reprochons, c'est d'avoir accepté
également et avec la même facilité un grand nombre d'assertions des
contemporains qui sont en contradiction avec la tradition, avec ce que nous
considérons comme la vérité historique et qu'il considère avec nous comme
telle. Après avoir rappelé les témoignages qui ne lui semblent pas suspects,
et qui nous montrent Agnès avançant devers le
roi jeunes gens d'armes et gentils compagnons, et dont le roi s'est depuis
bien servi, il nous
dit, en songeant à Thomas Basin et à sa calomnie, qu'un autre historien
interprète la chose d'une façon peu favorable à la fidélité d'Agnès. Encore
une fois, il y a toutes sortes d'excuses pour un écrivain qui, dans les
exigences d'une grande composition, ne peut remonter à toutes les sources et
peser d'une main scrupuleuse tous les éléments qui lui sont fournis ; mais
l'erreur, si excusable qu'elle soit, n'en est pas moins l'erreur, et elle
mérite toujours d'être redressée. Avec plus de liberté d'esprit et de
réflexion, M. Henri Martin aurait remarqué que le bien que la maîtresse de
Charles VII a fait, n'aurait pu se faire si elle avait été la créature que
dit Thomas Basin, que le témoignage de ce chroniqueur n'est pas suffisant
dans la circonstance, que œ témoignage est unique, qu'Agnès vivait dans une
cour ouverte et en quelque sorte percée à jour, que tout ce qui s'y faisait
était connu aussitôt, que Charles VII, dans toute sa force et sa jeunesse,
n'était pas homme à jouer le triste rôle qu'on lui prête, en un mot que
l'ascendant d'Agnès avait pour condition et pour base le prestige même qu'on
veut lui enlever. Nous
voyons encore avec regret l'historien écrire cette phrase : Quoi qu'il en soit — de l'opinion de Thomas Basin —, pendant une dizaine d'années, bien qu'Agnès eût donné
trois filles au roi, sa position auprès de Charles VII demeura dans un
demi-jour discret. Plus tard, après la mort de la douairière Yolande (1442),
qui avait maintenu avec un mélange d'autorité et d'adresse, l'équilibre de
cette situation singulière, Agnès ne sut plus se contenir dans la réserve
qu'elle avait si longtemps gardée : elle n'eut plus les mêmes égards pour la
reine ; elle afficha sa faveur avec un éclat scandaleux et un faste excessif,
précisément alors qu'elle commençait à avoir lieu de craindre que sa
puissance fût moins assurée et que des rivales lui disputassent son royal
amant[16]. Et ailleurs : Il faut avouer qu'Agnès avait provoqué l'hostilité
populaire depuis quelques années par l'étalage immodéré de son crédit et par
le faste excessif dont elle donnait l'exemple à la cour et à tout le royaume[17]. L'historien ignore-t-il donc
l'origine des assertions qu'il adopte avec tant d'assurance comme autant de
faits avérés ? Ne sait-il pas qu'elles procèdent d'écrivains ennemis de la
France autant que du roi et d'Agnès, ou d'historiographes complaisants, ainsi
que nous l'avons démontré ? Pour ne parler que d'une seule de ces assertions
de l'éclat scandaleux qu'Agnès aurait affiché, de l'étalage immodéré de son crédit, ne voit-il pas que Jean
Chartier la dément en parlant du chagrin et
déplaisante à elle causés par la renommée en tous lieux
répandue que le roi l'entretenait en concubinage ? Et ne voit-il pas qu'il la
dément lui-même en déclarant que. la dame de Beauté
avait l'âme haute, et que les hommages des courtisans ne lui fermaient pas
les yeux sur le mépris que le peuple témoignait discourtoisement à la
concubine du roi ? M.
Pierre Clément, esprit judicieux et d'ordinaire si exact, nous parait avoir
été plus aventureux encore et moins équitable envers Agnès. Le savant membre
de l'Institut lui fait plusieurs graves reproches : 10 c'est elle qui aurait
changé les mœurs de Charles VII, qui, avant elle, aurait mené moult saincte vie, adoptant sur ce point
l'opinion de Jacques du Clercq ; 2° que, devenue la maitresse en titre du
roi, qui n'aurait cédé qu'à de longues
obsessions, fière
de son triomphe, elle n'aurait rien négligé pour le rendre aussi public que
possible ; 3° qu'en peu de temps, grâce à l'éclat de sa maison, au luxe et
aux hardiesses de sa toilette, à la hauteur de ses manières envers la reine,
le scandale aurait été aussi grand qu'il pouvait l'être[18]. M. Pierre Clément a ajouté
trop de confiance aux chroniqueurs bourguignons, qui sont de très-mauvais
guides, quand il s'agit de Charles VII et d'Agnès Sorel. Nous avons déjà discuté
et apprécié l'autorité de Georges Chastelain, qui est incontestablement
inspiré par les passions bourguignonnes et les rancunes de Louis XI. Jacques
du Clercq est plus modéré et plus digne de foi ; mais son témoignage sur le
point qui constitue le premier grief, celui qui est relatif aux mœurs de
Charles VII dans la période de sa vie antérieure à l'avènement de la
favorite, s'efface devant ce simple fait qui est constant, à savoir : que la
vie du prince était loin d'être moult saincte, comme il le prétend, avant qu'il se fût acointé d'Agnès, et qu'il avait eu
entre autres maîtresses Jehanne la Louvette, fille du président Louvet. Le
second des reproches adressés par M. Pierre Clément n'est pas plus fondé :
nulle part on ne voit qu'Agnès ait obsédé son royal amant pour obtenir le
titre officiel de favorite ou de maîtresse, et qu'elle ait tout fait pour
rendre son triomphe aussi public que possible ; l'assertion est donc purement
gratuite, et ce qui la rend absolument inadmissible, c'est le caractère d'Agnès,
et le mot de Jean Chartier que nous avons déjà opposé à M. Henri Martin, et
qui nous montre Agnès tourmentée du chagrin que lui cause la renommée en tous lieux répandue que le roi l'entretient en
concubinage. Nous
acceptons en partie le reproche fait à la favorite, au sujet de l'éclat de sa
maison, au luxe et aux hardiesses de sa toilette ; mais nous cherchons en
vain ce qui a autorisé à parler de la hauteur de ses manières envers la
reine. Les écrivains bourguignons eux-mêmes n'ont rien dit de tel. Il est
bien question chez eux des chagrins de la reine ; mais rien de plus. Le
caractère d'Agnès proteste encore ici contre la conduite qu'on lui prête ; et
quant à ces chagrins mêmes de la reine, nous avons vu ce qu'il en faut
penser. Marie d'Anjou portait gaiement la couronne d'épines : elle était de
la famille des époux, dont parlera plus tard La Fontaine, pour qui le malheur
est peu de chose quand on le sait, rien quand on l'ignore. M. Le
Roux de Lincy, dans ses Femmes célèbres de l'ancienne France, s'est
constitué le champion de cette reine infortunée, qui donnait tant d'enfants à
son mari, dans le même temps que celui-ci en donnait tant de son côté à ses
favorites, et il s'est fait un amer plaisir de la poser en victime. Nous
croyons que le zèle monarchique a emporté trop loin le savant paléographe sur
ce point, comme sur le fait des vertus et de l'influence qu'il prête à la femme
légitime. Marie d'Anjou n'avait rien qui la fit sortir de l'ordre commun,
nous l'avons prouvé surabondamment. M. de Lincy prétend, d'une part, que
c'est à la reine et non à la favorite qu'appartient la gloire d'avoir soutenu
le courage du roi, près de céder à ses
puissants ennemis,
et de l'autre, pour appuyer cette assertion, il soutient que la politique qui
sauva la France, avait depuis longtemps triomphé lorsque Agnès devint la
maîtresse du roi, que sa grande faveur ne date que de 1442 et que, tout étant
fini à cette époque, c'est à l'influence de la reine qu'il faut attribuer le
réveil du roi[19]. Rien de plus malheureux, ce
nous semble, que cette façon de voir et d'interpréter. Si c'est l'ascendant
de la reine qui a secoué Charles VII, et l'a arraché à sa torpeur en 1433, par
la révolution de palais qui renversa la Trémouille, comment se fait-il que
cette révolution se soit faite sans lui et malgré lui, et qu'il ait fallu
l'apaiser après qu'elle eut été faite ? Et pourquoi cet ascendant ne s'est-il
pas déclaré plus tôt et a-t-il attendu pour se produire précisément le moment
où Agnès Sorel parait sur la scène et va se trouver en rapport avec le roi ?
Il est vrai que M. de Lincy recule ce moment de plusieurs années, qu'il place
l'époque de la grande faveur d'Agnès vers 1442 ; mais il est démontré jusqu'à
l'évidence, par la date de la naissance des filles d'Agnès et du roi, que
leurs relations avaient commencé longtemps auparavant ; il est infiniment
probable aussi que la faveur d'Agnès auprès de son amant n'avait pas attendu
la publicité pour être toute-puissante. Pourquoi, pour agir dans l'ombre,
aurait-elle été moins active et moins persuasive ? Il est
un livre très-intéressant, d'ailleurs, dans quelques-unes de ses parties, où
l'on aimerait à trouver des détails nombreux et précis sur les lieux qu'Agnès
a si longtemps habités dans les temps de sa grandeur, et sur les souvenirs
qu'elle a dû y laisser : nous voulons parler du grand travail de M.
Touchard-Lafosse, intitulé la Loire historique. Nous avons pu y suivre la
célèbre favorite dans la plupart des demeures consacrées par son souvenir ;
mais à peine son image y est-elle entrevue : l'auteur ne l'indique que par un
trait rapide emprunté à la tradition locale, et encore ce trait est-il faux
ou faussé par ceux qu'y ajoutent la main ou les réflexions de l'écrivain. M.
Touchard-Lafosse est un esprit aimable, un de ces sceptiques de province qui
ne croient pas à la vertu des femmes et qui pensent que tout leur mérite est
dans ce qu'il est convenu d'appeler leur vertu. Les histoires galantes dont
les bords de la Loire ont été le théâtre, il les recueille sur place avec le
plus grand soin, comme un gourmet qui ferait une collection de friandes
anecdotes, ou comme un philosophe qui chercherait des preuves à l'appui d'un
système. On comprend qu'avec une telle tournure d'esprit, il n'ait vu et
n'ait pris dans l'histoire d'Agnès Sorel que le côté mesquin, et qu'il ait
traité l'Egérie de Charles VII du ton dont l'a chantée Voltaire en compagnie
de la Pucelle. Quoique le nom de la Belle Agnès, comme il ne manque jamais de
l'appeler, revienne souvent sous sa plume, et qu'il semble y trouver je ne sais
quelle volupté secrète, ce n'est jamais qu'avec le sourire du compatriote de
Rabelais qu'il l'écrit, mais avec le sourire d'un compatriote de Rabelais
devenu commis voyageur, et qui pourtant ne veut pas compromettre sa dignité.
Ainsi, au château de Loches, il n'oublie pas de nous montrer la tour dite de la Belle Agnès, et surtout de nous dire que selon une tradition
locale, le roi y renfermait la favorite lorsqu'il allait chasser dans la
forêt, ajoutant pour son compte cette réflexion profonde que si l'on devait ajouter foi à cette précaution, elle
prouverait peu en faveur d'une femme à laquelle son royal amant sacrifia
longtemps toute sa dignité[20]. De même quand il nous fait
descendre de la tour à la terrasse située devant la façade principale où se trouve maintenant déposé le tombeau de cette dame[21], il ne manque pas, en rappelant
l'épitaphe inscrite sur le mausolée, en 1801, par les ordres de M. de
Pommereul, d'y relever ces mots : La seule
maîtresse de nos rois qui ait bien mérité de la patrie en mettant pour prix
de ses faveurs l'expulsion des Anglais de la France, et de faire ses commentaires. ll y a beaucoup à dire sur cette singulière épitaphe, ajoute-t-il : d'abord il n'est
nullement historique qu'Agnès ait conclu avec Charles VII l'espèce de marché
que lui attribue M. de Pommereul ; nous savons de bonne source que le titre
de favorite lui parut, au moment où elle céda, une compensation du sacrifice
de sa chasteté. Si elle eut réellement le mouvement patriotique que quelques
écrivains lui prêtent, ce fut seulement après l'entrée du roi dans plusieurs
villes reconquises, et par suite de l'accueil plus que froid que lui firent
les populations. Loin de penser alors qu'Agnès eût poussé son royal amant
dans les champs de la guerre, les Français lui reprochaient, non sans raison,
d'avoir été l'Armide de cet autre Renaud. La Dame de Beauté voulut dans cette
circonstance racheter l'espèce de défaveur dont on l'entourait : elle s'avisa
d'une nationalité jusqu'alors peu irritable ; on la vit armer Charles VII de
ses blanches mains, et ce fut elle qui le détermina à faire le siège de
Montereau... Montereau ! ce nom dut lui causer un terrible frémissement. Pour
en revenir à l'épitaphe, nous dirons après M. de Croy, que le général
administrateur, avec un sentiment plus exquis des bienséances, n'eût pas
parlé des faveurs d'Agnès dans une inscription funéraire : c'est, en effet,
une expression d'une profonde amertume sur le linceul d'un mort[22]. Sans
doute ; et l'écrivain tourangeau a fort raison de trouver l'épitaphe de M. de
Pommereul singulière ; mais que dire de ses propres commentaires ? II serait
trop aisé de les qualifier ; nous nous contenterons d'ajouter qu'ils nous
conduisent de plain-pied, bien loin des régions de l'histoire, dans le
domaine de la fantaisie interlope et malsaine. Nous ne
nous occuperions pas de ce que raconte l'auteur des Intrigues galantes de
la cour de France des amours d'Agnès Sorel, parce que le récit qu'il en
fait n'est qu'une pure fiction, si la fiction ne se mêlait à la vérité dans
certaines parties de l'ouvrage, et si ce qui s'y trouve de vrai, n'avait aidé
à faire circuler et accepter le mensonge. Ici il ne s'agit plus, comme chez
Delort, d'amours honnêtes qui auraient précédé la passion du roi, il s'agit
d'une véritable intrigue qui aurait été une trahison, et qui ferait descendre
Agnès au rang des femmes galantes les plus effrontées. L'écrivain n'est pas
un ennemi de la maîtresse de Charles VII : il reconnaît toutes les grandes
qualités d'esprit et de caractère que nous lui accordons. Mais il faut bien
qu'il fasse son métier, qui est d'amuser, et ne pas faire mentir son titre. Comprendrait-on
que le nom d'Agnès Sorel, le seul parmi les noms des maîtresses de nos rois
qui soit populaire, pour ne pas dire poétique, fût absent d'une histoire des
intrigues galantes de la cour de France ? Il fallait donc à tout prix faire
figurer la darne de Beauté dans la galerie historique où l'on promenait les
curieux, et, les chroniques se taisant ou ne donnant sur ses amours que des
indications vagues et incertaines, faire parler la fantaisie dans le silence
de l'histoire[23]. Le
roman n'a rien de bien piquant : il ne brille ni par la nouveauté de
l'invention ni par l'originalité ou la richesse des détails, mais il ne
manque pas d'une certaine habileté de composition, ni d'une certaine
prestesse d'allure ; il sent son temps et une main entendue. Le voici en
quelques mots : Le
Dauphin rêvait à tous moments aux moyens de faire perdre à Agnès les bonnes
grâces du roi ; et pensant qu'il ne pourrait y parvenir qu'en la faisant
paraître infidèle, il songe à lui donner un amant qui fût dans ses intérêts,
et qui eût assez de mérite pour exciter la jalousie du roi. Chabannes, comte
de Dammartin, était l'homme de la cour le mieux fait : c'est donc sur
Chabannes qu'il jette les yeux, et c'est à lui qu'il s'adresse. Résistance de
Chabannes qui s'effraie du rôle qu'on veut lui faire jouer ; instances
réitérées du Dauphin ; soumission du comte ; introduction sur la scène d'un
valet de chambre de Chabannes, nommé Sainte-Colombe, qui est chargé de faire
la cour à une certaine Mortaing, une des suivantes de la favorite, lesquels
s'entendent à merveille et préparent les voies à l'intrigue. Tel est le
premier acte de la pièce. Mortaing
s'entremet auprès d'Agnès (à qui l'auteur donne, nous ne savons pourquoi, le
nom dd comtesse de Penthièvre). Agnès change de visage à ce nom de Chabannes,
absolument comme la Phèdre de Racine au nom d'Hippolyte, et montre tant
d'aversion pour lui que Mortaing n'ose plus lui en parler. Mais Chabannes, qui
connaît son monde, devine que la colère de la comtesse n'est que du dépit de ce qu'il étoit le seul homme
de la cour qui avoit résisté au pouvoir de ses
charmes, et de ce qu'il n'avoit jamais répondu aux
tendres regards qu'elle avoit laissés échapper vers
lui. Il ne veut pas
trop cependant se hasarder et laisse la comtesse faire les premières avances
: ce qu'elle ne manque pas de faire un jour qu'elle le trouve dans un passage
obscur, qui allait de son appartement à celui du roi. Comme il passait sans s'arrêter, elle prit la parole et luy dit : — Suis-je si terrible, comte, que vous
deviez me fuir comme vous faites ? — Plus encore, madame, qu'on ne sçaurait s'imaginer, reprit Chabannes, et quand on
est faite comme vous êtes, on peut faire trembler le courage le plus ferme.
— Est-ce donc un si grand mal de m'aimer ? répliqua la comtesse. — Ouy, madame, repartit Chabannes, quand
on ne peut espérer d'être heureux sans trahir son maître. — Vous êtes
bien scrupuleux pour un homme de cour, ajouta la comtesse, mais nous sçaurons vous guérir de vos scrupules. Cela
était fort engageant ; Chabannes cependant gardait ses scrupules : il
craignait de compromettre une femme si aimable. Quand il se décide à les
surmonter, les autres obstacles s'aplanissent sans peine : un diamant de prix
persuade aisément Mortaing, qui l'introduisit dans un appartement d'où il
pouvait passer dans celui de son amante, et où il ne resta pas. Agnez fut d'abord surprise de voir Chabannes si tard dans son
appartement ; mais enfin, comme la chose était faite, elle crut devoir
profiter de l'occasion, et sans s'amuser à perdre le temps dans des
contestations inutiles, elle sceut mieux profiter
de ces moments que l'amour luy rendoit
précieux. L'intrigue
durait depuis longtemps ; mais cela ne faisait pas le compte du Dauphin, qui
presse Chabannes de lui donner les moyens de faire connaître au roi
l'infidélité de sa maîtresse. L'amant, qui est heureux de l'aventure, résiste
; une lutte alors s'engage, où mille incidents — qu'il serait trop long de
raconter — se produisent, entre autres la mort de Sainte-Colombe, assassiné
par les ordres du Dauphin parce qu'il remplit trop bien les instructions de
son maître, les fréquentes visites que fait Chabannes à la comtesse sous
divers déguisements pour échapper aux espions qui l'entourent, enfin une
dernière scène, très-romanesque et très-vulgaire, où l'on nous montre
Chabannes surpris par le roi et le Dauphin dans l'appartement d'Agnès, mais
caché dans une armoire qui étoit à la ruelle de son lit, et que le roi n'avoit jamais vue, et échappant ainsi aux recherches. C'est un
drame, comme on voit, drame très-émouvant, quoique fort simple, et qui se
termine par la mort du principal personnage. Suivant l'auteur, en effet,
Agnès, après cette aventure, eut de grands démêlés
avec le Dauphin, et un jour ils s'échauffèrent tellement que ce prince lui
donna un soufflet : elle ne manqua pas de s'en plaindre au Roi, et, n'en
ayant pas eu toute la satisfaction qu'elle en attendoit,
elle en conceut un si violent déplaisir qu'elle
tomba dans une maladie de langueur dont elle mourut six mois après, et fut
inhumée dans l'Église collégiale[24]. Tout
cela n'est que du roman, et du roman fade. On peut en dire autant de celui
qu'a imaginé Voltaire dans la Pucelle d'Orléans ; seulement le roman
de Voltaire n'est pas fade. Ce n'est pas pourtant que l'intrigue en soit de
haut goût ; rien non plus de plus simple. Mais il étincelle dans les détails
de tout l'esprit de Voltaire, et c'est assez dire. Par malheur (nous n'osons
pas dire autrement) il faut laisser les détails au texte, et nous borner à
donner la trame tout unie, sans les fils d'or qui en sont l'incomparable
parure. Mais à
quoi bon, dira-t-on, la trame elle-même ? Qu'y a-t-il de commun entre le
roman et l'histoire ? Pourquoi évoquer, d'ailleurs, l'ombre moqueuse du poète
dans un sujet grave et remuer l'eau limpide et brillante d'une œuvre dont le
fond est de fange ? L'éditeur du poème disait, et il parlait avec bonne foi :
Ce poème est un ouvrage destiné à donner des
leçons de raison et de sagesse sous le voile de la volupté et de la folie[25]. Nous n'irons pas jusque-là.
Mais il dit aussi : Ce mélange de dévotion,
de libertinage et de férocité guerrière, peint dans la Pucelle, est l'image
naïve des mœurs du temps[26] ; et, à part la naïveté, qui
est chose rare chez Voltaire, il y a là quelque vérité. Ce n'est point pour
cette raison cependant que nous mentionnons le poème charmant, si justement
méprisé et admiré. Il s'y trouve des traits qui, en dépit des situations
toutes de fantaisie créées par l'auteur et qui n'ont
rien, on s'en doute bien, de la gravité de l'histoire, des traits d'un
naturel exquis, qui n'ont pas la couleur locale, qui peignent du moins l'âme
des personnages, et expriment quelque chose de leur physionomie morale. Cela
paraîtra peut-être une raison suffisante[27]. Nous ne
dirons pas le sujet du poème, que l'on connaît de reste. Nous n'en détacherons
que quelques traits de l'épisode des amours d'Agnès. Agnès Sorel n'est pas
plus respectée que Jeanne Darc dans la plaisanterie de Voltaire[28]. Quand on a pu sans scrupule
donner un amour à la Pucelle d'Orléans, on a pu avec moins de scrupule encore
en donner plusieurs à la maîtresse de Charles VII. Il faut remarquer
toutefois que Voltaire, même dans la plaisanterie, tient à rester le moins
infidèle que possible à l'histoire. Dans cette série d'aventures où la vertu
d'Agnès succombe souvent, ce n'est pas son cœur qui est infidèle, c'est la
fatalité qui lui fait violence : la faute même où le cœur est de la partie,
et qui a dicté ces deux vers au poète parlant d'Agnès, On
ne lui peut reprocher dans sa vie Que les douceurs d'une tendre folie, n'est
qu'un nouveau coup du sort : ce n'est pas la volonté d'Agnès qui s'est
précipitée dans le danger. Échappée comme par miracle au brutal Chandos, elle
avait juré au bon roi Charles, D'aimer
toujours ce roi qui n'aime qu'elle, De
respecter ce tendre et doux lien, Et
de mourir plutôt qu'être infidèle : Mais il ne faut jamais jurer de rien. Et
quand elle rencontre le jeune Monrose, celui-là seul qu'elle devait aimer,
rien de plus honnête que son langage et son maintien : Qui
que tu sois qui me poursuis ici, Si
tu n'as point un cœur né pour le crime N'abuse
point du malheur qui m'opprime ; Jeune
étranger, conserve mon honneur, Sois
mon appui, sois mon libérateur ! Elle
ne put en dire davantage : Elle
pleura, détourna son visage, Triste,
confuse, et tout bas promettant D'être fidèle au bon roi son amant[29]. Voltaire,
avec ce sens délicat des convenances et cette conscience historique qui ne
l'abandonne jamais complètement, n'a nulle part prêté à ses deux héroïnes
principales, la Pucelle et Agnès, un langage ou un maintien que la plus
stricte bienséance ne pût approuver. L'amour d'Agnès pour le page Monrose est
en harmonie avec celui de son amant, qui, timide à faire mentir le proverbe, Voulait beaucoup et ne demandait rien. Malgré
le costume trop primitif que le poète a donné à Agnès après sa terrible
aventure avec Chandos, le page est plein de respect pour son amante, et Agnès
a tout le charme d'une statue de la Pudeur. Et ce n'est pas le cœur seul qui
les réunit ; ce sont des esprits cultivés, qui savent embellir la passion par
les plaisirs délicats, et que l'on sent capables de l'ennoblir[30]. D'autres
traits encore, dans la fiction du poète, nous rappellent ce que l'histoire
nous apprend du caractère de la favorite, et nous peignent, pour prendre
encore le mot de M. Michelet, la douce
créature. Dans
l'épisode si spirituel, imité de Cervantes, où la Pucelle prend pour des
chevaliers, des forçats enchaînés deux à deux, satire sanglante des ennemis
personnels de Voltaire, Fréron, l'abbé Coyon,
l'abbé Gauchat, l'abbé Sabathier ou Sabothier, la Beaumelle, etc.,
etc., qu'il envoie tout simplement ramer sur
le dos d'Amphitrite,
Agnès, qui n'en sait pas plus que Jeanne sur la véritable situation de ces
honnêtes personnages, et qui les croit, sur parole, des victimes de la
tyrannie du parlement de Paris, applaudit à la bonté du roi, qui veut bien
les prendre sous sa protection ; et quand le matin, au réveil, on connaît la
vérité, quand s'apercevant que les captifs délivrés se sont enfuis En
emportant le trésor du prince, Bien enfermé dans une bourse mince, avec
les engageantes d'Agnès, Son
beau collier de perles jaunissantes Et le portrait de son royal amant, au
milieu de la confusion, de l'indignation générale et des cris de Bonneau, qui
s'en prend au roi de son trop d'indulgence pour les beaux esprits, elle trouve
des paroles sensées et douces, et apprend à l'intendant irrité à ne pas
confondre les bons écrivains avec les mauvais, surtout avec les escrocs, les
frelons avec les abeilles[31]. La douce créature se montre encore mieux et sous
une forme plus vraisemblable, dans la scène émouvante qui suit l'épisode,
vraiment dramatique et touchant, de la mort de la Trémouille et de Dorothée.
Pendant la lutte engagée entre la Trémouille et l'Anglais Tyrconel, Dorothée,
qui s'était jetée entre les deux combattants, est tuée, par imprudence, d'un
coup de lance parti du bras de son amant. Celui-ci, de douleur, se tue
lui-même, près de Tyrconel, qui reconnait dans Dorothée sa fille et qui
pleure pour la première fois. Quand on voit passer a
le convoi douloureux n des deux amants, Jadis si beaux et si longtemps heureux, tous
les yeux sont noyés de pleurs ; mais c'est Agnès surtout qui est émue. La
belle Agnès, Agnès toute tremblante, Pressait
le roi, qui pleurait dans ses bras Et
lui disait : Mon cher amant, hélas ! Peut-être
un jour, nous serons l'un et l'autre Portés
ainsi dans l'empire des morts : Ah
! que mon âme, aussi bien que mon corps, Soit
à jamais unie avec la vôtre ! A
ces propos, qui portaient dans les cœurs La
triste crainte et les molles douleurs, Jeanne,
prenant ce ton mâle et terrible, Organe
heureux d'un courage invincible, Dit
: Ce n'est point par des gémissements, Par
des sanglots, par des cris, par des larmes, Qu'il
faut venger ces deux nobles amants : C'est
par le sang ; prenons demain les armes. Voyez,
ô roi, ces remparts d'Orléans, Tristes
remparts que l'Anglais environne ; Les
champs voisins sont encore tout fumants Du
sang versé que vous-même en personne Fîtes
couler de vos royales mains. Préparons-nous
; suivez vos grands desseins : C'est
ce qu'on doit à l'ombre ensanglantée De
la Trémouille et de sa Dorothée : Un
roi doit vaincre et non pas soupirer. Charmante
Agnès, cessez de vous livrer Aux
mouvements d'une âme douce et bonne, A
son amant, Agnès doit inspirer Des
sentiments dignes de sa couronne. Agnès reprit : Ah ! laissez-moi pleurer ![32] Nous ne
devons pas oublier que Voltaire nous montre Agnès siégeant au conseil du roi
et discrètement donnant ses avis, qui sont
toujours suivis.
Ici la fiction pourrait bien être de l'histoire, même aux yeux du poète, qui
avait évidemment étudié de près les principaux personnages du roman, ainsi
que les temps où ils vivaient, et qui ne se faisait pas faute de placer la
vérité à côté de ses mensonges, surtout quand elle ne pouvait pas en
compromettre l'effet. On est
à la dernière journée du siège d'Orléans : Talbot a pris rendez-vous, dans la
ville, avec madame la présidente Louvet. Il est trahi par Lourdis,
ce moine ...
Accort, attentif, avisé, Regardant
tout du coin d'un œil rusé, Fin
courtisan, plein d'astuce profonde, Le moine, enfin, le plus moine du monde[33]. Lourdis
se fait présenter à Agnès, lui apprend que la prudence de Talbot s'est
laissée surprendre, et est introduit par elle dans le cabinet du roi, qui Fit
assembler son conseil souverain, Ses
aumôniers et son conseil de guerre. Jeanne,
au milieu des héros ses pareils, Comme
au combat assistait aux conseils. La
belle Agnès, d'une façon gentille, Discrètement
travaillant à l'aiguille, De
temps en temps donnait de bons avis, Qui du roi Charles étaient toujours suivis[34]. Il
n'est pas jusqu'à la dévotion d'Agnès que le poète n'ait trouvé le secret de
mettre sous nos yeux, sans trop de sérieux sans doute, mais aussi sans trop
d'ironie au moins dans la forme, si non dans les circonstances qui précèdent
et qui suivent le mouvement religieux auquel on nous fait assister. Au
bord de l'onde, Agnès se reposa : Sur
le couvent ses deux beaux yeux fixa, Et
de tes sens le trouble s'apaisa. C'était,
lecteur, un couvent de nonnettes. Ah
! dit Agnès, adorables retraites ! Lieux
où le ciel a versé ses bienfaits, Séjour
heureux d'innocence et de paix ! Hélas
! du ciel la faveur infinie Peut-être
ici me conduit tout exprès Pour
y pleurer les erreurs de ma vie. De
chastes sœurs, épouses de leur Dieu, De
leurs vertus embaument ce beau lieu ; Et
moi, fameuse entre les pécheresses, J'ai
consumé mes jours dans les faiblesses. Agnès
ainsi, parlant à haute voix Sur
le portail aperçut une croix : Elle
adora, d'humilité profonde, Ce
signe heureux du salut de ce monde ; Et,
se sentant quelque componction, Elle
comptait s'en aller à confesse : Car
de l'amour à la dévotion Il n'est qu'un pas : l'un et l'autre est faiblesse[35]. Tout
cela, sans doute, n'est pas de l'histoire ; tous ces traits réunis ne
constituent pas une physionomie historique ; Voltaire même peut donner à
Agnès la taille et l'air de la Nymphe des
bois, la grâce de Vénus, le minois séduisant de l'Amour, l'art d'Arachné, le
doux chant des Sirènes, l'art de plaire et de couvrir le tout
des voiles du mystère, Voiles
de gaze, et que les courtisans Percent toujours de leurs yeux malfaisants[36]. il
n'y aura là rien de particulier, et nous aurons toujours devant les yeux une
figure de convention. Cette figure cependant, la part faite aux exigences du
cadre où elle est placée, ne paraît pas sans quelque vie, et même, par plus
d'un point, elle rappelle l'original. Quand on eu longtemps le modèle sous les yeux, et que l'on est
plein de son image, on le trouve encore dans la copie du poète ; il s'y laisse
reconnaître à certains traits caractéristiques au travers du voile de gaze
mobile et capricieuse sous lequel il semble vouloir se dérober. Un de
nos poètes contemporains, dans un genre plus sérieux que celui de Voltaire,
n'a pas été plus près que lui de la vérité historique. M. Alexandre Dumas,
dans sa tragédie en cinq actes, Charles VII chez ses grands vassaux,
semble avoir voulu nous faire assister au réveil de ce prince ; au moins, des
deux buts qu'on peut lui supposer, car il y a deux actions, celui-là est le
plus raisonnable, sinon le plus apparent. Le roi
arrive, accompagné d'Agnès, chez le comte de Savoisy, seigneur de Seignelais, au moment où l'Arabe Yacoub
vient de tuer l'archer Raymond pour satisfaire une vieille rancune. Le
coupable est condamné à mort : le roi use de son privilège du droit de grâce
et en est récompensé par ce mot d'Agnès : ... Monseigneur, vous êtes grand et bon[37]. Le
comte ne l'entend pas tout à fait ainsi, mais Charles lui dit : . .
. . . . . . . . . . . . . . Va, pardonne-moi : Il me prend rarement le désir d'être roi[38]. Et, en
effet, le pauvre prince ne songe guère à ses affaires. Le comte pense qu'il
est venu le prendre pour marcher contre l'Anglais ; point : il vient chasser
un daim dans ses forêts ; il n'en a plus à lui[39]. Le comte veut le rappeler à
ses devoirs : Sire,
l'on ne perd pas son trône plus gaiement ! Mais permettez qu'au moins, sire, je vous
rappelle... Le roi
rit et répond en montrant Agnès, qui paraît sur la porte : . . . . . Tu vois, Agnès m'appelle[40]. Le
comte est découragé ; cependant il ne désespère pas de réveiller l'étincelle
dans ce cœur amolli par les plaisirs, de transformer le faible daim en lion : ...
Oui, va dormir aux bras de ta maîtresse, Afin
que, si les cris de la France en détresse Viennent
pendant tes nuits t'éveiller en sursaut, Une
voix de l'enfer te parle encor plus haut !... Va
reprendre ta chaîne avec tant d'art tissue, Qu'à
l'esclave lui-même elle est inaperçue... Va,
ton retard serait une rébellion, Faible daim... qui pourrait devenir lion[41]. En
attendant, le roi fait de la philosophie épicurienne avec Agnès, et débite
toutes sortes de réflexions sur le néant de la gloire, sur le but de la vie,
qui est le bonheur et l'amour : réflexions profondes qui semblent assez du
goût de la femme aimée, mais qui ne sont guère séantes dans la bouche d'un
roi. Le tonnerre gronde en vain, que lui importe ? Agnès lui dit : . .
. . . Monseigneur, laissez gronder l'orage : Lorsqu'ainsi
je vous tiens, oh ! j'ai bien du courage, Car
la foudre ne peut tomber sur l'un de nous Sans tuer l'autre aussi. . . . . . . . . .[42] Cependant,
le comte de Savoisy ouvre brusquement la porte ; ce n'était pas le tonnerre
que les deux amants avaient entendu, c'était le bruit du canon. Le brave
comte saisit l'occasion et s'écrie : . .
. . . . . . . . C'est la voix du canon ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . .....
Eh bien ! Je dis que cette voix qui parle Doit
trouver un écho dans le cœur du roi Charle : Que
d'un profond sommeil il a dormi longtemps, Et
que, s'il veut enfin s'éveiller, il est temps.... Je
dis aussi que chaque homme qui tombe Avant
de se coucher tout sanglant dans la tombe, Dit,
jetant un dernier regard autour de soi : Lorsque
je meurs pour lui, mais oi, donc est mon roi ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . En
vain Poton[43], Xaintraille
et Narbonne et Dunois Frappent
sans se lasser, comme dans un tournois. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . Ils
ont le bras qui frappe et le cœur qui résout, Mais
il manque le chef, arme et centre de tout... Sire,
sur votre nom ce serait une honte Que de tarder encore à les rejoindre. Toute
cette éloquence glisse, sans l'effleurer, sur l'épiderme endurci du roi, qui
se contente de dire : Comte, Notre forêt d'Auxerre est-elle prise ? LE COMTE Non. Nous allons y chasser : prépare ton faucon... LE ROI Venez, Agnès[44]. Le
comte, ne réussissant point auprès du roi, a enfin l'idée de s'adresser à
Agnès ; il la retient et lui dit : . .
. . . Non, non, vous resterez, madame ! Car
je veux vous parler à votre tour, ô femme ! Vous
êtes belle, oh ! oui, belle ; et de votre œil noir[45] Sur
votre faible amant je comprends le pouvoir. Votre
voix est d'un ange ou d'une enchanteresse, Et
je comprends encore qu'elle ordonne en maîtresse. Eh
bien ! sur mon honneur, pour vous il vaudrait mieux Qu'un
fer rouge eût éteint votre voix et vos yeux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . .
. . . Car c'est à leur puissance Que doivent les Français les malheurs de la France. Cette
fois, le comte est plus persuasif. Agnès lui promet d'essayer de son pouvoir
pour ramener le roi : Oh
! tout n'est pas encore si bas que vous croyez, Et la main qui blessa peut guérir...[46] Elle
guérit en effet. Le roi, déjà ébranlé par l'arrivée de Dunois qui lui annonce
la captivité de Xaintrailles, la mort de Narbonne, de Douglas, d'Aumale,
Rambouillet, Vantadour, ne résiste plus quand Agnès
vient jouer la scène si connue par le récit de Brantôme, et menace son amant
de le quitter pour le roi d'Angleterre : AGNÈS (s'approchant du roi). Adieu, sire. LE ROI Où vas-tu donc, Agnès ? AGNÈS Je pars. LE ROI Toi... AGNÈS Monseigneur, Un
bohémien, jadis, me prédit cet honneur, Et
j'en ai quelque temps conservé l'espérance Que
je posséderais l'amour du roi de France. De
mon cœur prévenu n'écoutant que la loi, J'avais
cru jusqu'ici que vous étiez le roi : Mais
du titre et du rang Bedford vous dépossède ; Et
puisque sans combat Votre Altesse les cède, Bedford
est le seul roi de France, et me voilà Prête à joindre Bedford. LE ROI Ah
! c'est comme cela... Viens
ici, comte : As-tu quelque cheval de guerre Qu'un roi puisse monter ?[47] Quel
que soit le mérite littéraire du drame de M. Alexandre Dumas, il ne brille en
général ni par la couleur locale, ni par la vérité historique, soit que l'on
considère les faits ou les caractères. Il faut excepter toutefois l'attitude
que le poète donne à la favorite dans cette dernière scène. Agnès y est bien
présentée dans sa vérité historique et poétique, et le poète a su rendre
vraisemblable l'anecdote racontée par Brantôme. Ce qui a choqué dans le récit
de Brantôme, c'est l'impossibilité morale où était Agnès de menacer d'aller
rejoindre le roi d'Angleterre et de se faire aimer de lui, le roi
d'Angleterre n'étant' qu'un enfant. Mais pourquoi, en parlant du roi
d'Angleterre, n'aurait-elle pas songé, je ne dis pas au roi de droit, mais au
roi de fait, je ne dis pas à Henri VI, mais au régent Bedford ? Ce n'est pas
que nous attachions une grande importance à l'anecdote dans la forme que lui
a donnée la tradition ; mais elle est dans la nature de la situation et dans
les caractères : c'est ce que M. Alexandre Dumas a rendu sensible. Quoi qu'il en soit des erreurs et des mensonges de la poésie ou même des légèretés et des calomnies de l'histoire, l'auréole que la tradition et l'histoire impartiale et savante ont attachée au front de la favorite de Charles VII, perce les nuages assemblés autour d'elle. De toutes les accusations dont elle a été l'objet, une seule est grave, celle d'avoir été infidèle à son amant, et cette accusation, cela est démontré jusqu'à l'évidence, est une calomnie. Disons aussi que tout fait supposer qu'Agnès n'avait jamais aimé. Ses ennemis ne l'auraient-ils pas dit, s'il en avait été autrement ? Or, on n'a pas même jeté le plus léger soupçon sur son passé. Ainsi, à toutes les raisons tirées de la personne d'Agnès et de celle du roi, qui expliquent la vive impression que ressentit le prince au début de sa passion et qui en fut le principe, il faut ajouter la certitude de rencontrer, dans une âme supérieure, un cœur qui ne s'était jamais donné, et la confiance, qui ne fut pas démentie, qu'il ne se donnerait à personne. C'était bien là quelque chose pour un prince qui n'avait connu jusqu'alors que des amours partagés, qui ne trouvait dans celui de sa femme que l'accomplissement d'un devoir ; et cela dut contribuer, dans une certaine mesure, à la durée de sa passion, comme à son explosion. Mais, on le sait, la fidélité et la constance ne suffisent pas pour prolonger l'enchantement de l'amour : il faut l'entretenir et le renouveler sans cesse. Agnès eut cet art suprême. Après avoir subjugué le roi par tout le prestige d'une beauté supérieure, elle sut garder son empire par les moyens les plus légitimes, par le charme qu'elle répandit sur la vie privée de son amant, et le don qu'elle posséda d'attirer et de susciter des hommes capables de lui être utiles. |
[1]
L'épithète anciens ennemis n'est pas heureuse : Charles VII était en ce moment
en pleine guerre avec les Anglais.
[2]
Jean Chartier, Chroniques de Charles VII. — Manuscrit de Rouen.
[3]
Lettres de Louis XI, du 18 mai 1462.
[4]
M. Vallet de Viriville, après avoir cité dans son entier le passage de la
chronique relative à Agnès Sorel, ajoute en note : Je
rappellerai ici quelques faits propres à édifier le lecteur pour l'appréciation
de ce morceau. Le manuscrit de Jean Chartier date de 1471, et parait d'ailleurs
avoir été composé en suivant le cours des événements. Ces mots : laquelle ne
vesquit guères, ne peuvent s'appliquer à
Charlotte, morte, comme on sait, en 1476. Ils conviennent encore moins pour le
sens aux deux autres sœurs de Charlotte, les comtesses de Taillebourg et de
Bueil. Jean Chartier n'a donc pu vouloir désigner ainsi que la quatrième fille
d'Agnès. 31 résulte, en effet, des pièces judiciaires alléguées au procès de
Jacques Cœur, que cette quatrième fille ne vécut que six mois, de février à
juillet 1450. (Voyez ms. s. f. n° 850, 8e feuillet, 44 verso.)
Jean Chartier cependant insinue que peut-être elle était née du temps qu'Agnès
appartenait à la reine de Sicile. (Nouvelles Recherches sur Agnès
Sorel, p. 70, 71.)
[5]
Œuvres de Th. Basin, trad. d'Ed. Quicherat, t. I, 312, 313.
[6]
Robert Gaguin, qui est presque un contemporain, puisqu'il est né en 1410, écrit
bien aussi cette phrase : De ceste belle Agnez en mon temps fut constante renommée que Charles moult
l'ayma, dont elle enfanta une fille de très briefve vie, combien que Charles totalement dényast qu'elle eust été de 1uy
engendrée. (La Mer des croniques et Mirouer historiai de France, jadis composé en latin par
frère R. Gaguin. — Paris, 1518, in-4°, folio CLXX.) — Mais Gaguin ne fait que
répéter J. Chartier.
[7]
Nous devons placer sous les yeux du lecteur le passage de la chronique de
Chastelain, relatif à Agnès Sorel : Afin de vivre en
paix dans le rang qui lui appartenait (Marie d'Anjou), elle souffrit qu'une femme éhontée, pauvre servante et de
mince condition, demeurât journellement avec elle (nous avons pris le texte de
M. de Lincy, qui a radouci les cruautés de langage de l'original), menant le
train d'une princesse, ayant sa demeure dans l'hôtel du roy,
mieux nourrie qu'elle-même, avec une cour plus nombreuse, de plus beaux
parements de lit, de meilleures tapisseries, de meilleurs linges, une cuisine
et une vaisselle supérieures aux siennes ; elle souffrit que cette femme vint
s'asseoir à sa table, et elle lui faisait fête... Le roy fust
grandement assoté de ceste femme nommée Agnès, que j'ay bien connue et vue.
Chacun blasmoit hautement ceste conduite et surtout
le train qu'il donnoit ceste femme, qui la plaçoit an rang des phis grandes princesses de l'Europe...
Elle se fist la patronne de toutes sortes de modes
nouvelles en fait d'habillements et de tout ce qui pouvoit
pousser les hommes à la dissolution. Elle se découvroit
les épaules et la poitrine jusqu'à montrer le sein, et ne s'occupoit
nuict et jour qu'aux vanités de ce monde, faictes pour la perdition de l'âme de chaseun.
Toutes les femmes de France et de Bourgogne perdirent beaucoup en pudeur à
vouloir suivre l'exemple de cette femme... (Georges Chastelain. Chronique
des ducs de Bourgogne, 2e partie, chap. XI. p. 254, 255, édition du Panthéon
littéraire. — Passage cité par M. Le Roux de Lincy, Femmes célèbres de
l'ancienne France, t. Ier, p. 438, 439.)
[8]
M. Vallet de Viriville fait remarquer que le style de Chastelain, dans le
passage relatif à Agnès, fait disparate avec le ton pompeux qui lui est
habituel. On y reconnaît, au contraire, dit-il, l'accent,
le ton, le langage du réfugié de Bruxelles et du convive peu réservé de Geneppe. Chastelain écrivait ce passage de sa chronique
vers 1463 sur les notes recueillies par lui depuis 1456, et dictées à cette
dernière époque, par Louis, Dauphin. (Vallet de Viriville, Histoire
de Charles VII, t. III, p. 188.)
[9]
Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, p. 237.
[10]
Journal d'un Bourgeois de Paris (Collection Petitot, p. 549).
[11]
J. Delort. Essai sur l'histoire de Charles VII, Agnès Sorel, etc., etc.
(Paris, 1824, in-8°.)
[12]
La journée dite des Harengs eut lieu le 12 février 1429. Jeanne Darc arriva à
Chinon le 6 ou 7 mars suivant, et fut reçue par le roi trois jours après ; mais
elle ne fut décidément agréée comme auxiliaire que le 24 mars, après
l'instruction de la commission de Poitiers. Rien ne s'était fait entre le 12
février et le 24 mars. A cette dernière date seulement fut résolue l'expédition
confiée à la Pucelle pour la délivrance d'Orléans. Dans l'intervalle, pas plus
qu'après, on ne voit apparaître Marie d'Anjou sur la scène. Ces simples
rapprochements suffisent pour faire justice de l'assertion de Delort. (Mémoires
concernant la Pucelle d'Orléans, édit. Petitot, p. 150 à 155.)
[13]
Michelet, Histoire de France, t. V, passim. Henri Martin, Histoire de
France, t. VI, passim. De Barante, Histoire des ducs de Bourgogne,
t. VI, p. 387 et passim.
[14]
Vallet de Viriville, Agnès Sorel, Revue de Paris, octobre 1855. Nouvelles
Recherches sur Agnès Sorel, Paris, in-8°, 1856. Histoire de Charles VII,
t. III, passim.
[15]
Henri Martin, Histoire de France, t. VI, pages 221, 222, 388, 413, 414.
[16]
Henri Martin, Histoire de France, t. VI, p. 322.
[17]
Henri Martin, Histoire de France, t. VI, p. 443.
[18]
Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, p. 232, 233, 235, 237.
[19]
Le Roux de Lincy, Les Femmes célèbres de l'ancienne France, t. p. 430 à
436.
[20]
La Loire historique, t. IV, p. 210.
[21]
La Loire historique, t. IV, p. 211.
[22]
La Loire historique, t. IV, p. 213, 214.
[23]
Il convient de mentionner, à propos de livres d'imagination où une place est
donnée à Agnès Sorel, les Reines légitimes et Reines d'aventure, de M.
Emmanuel de Lerne. (Paris, 1867, in-8°.)
[24]
Intrigues galantes de la cour de France, depuis le commencement de la
monarchie, t. Ier, p. 133... 145 (Cologne, M.D.C.XCIX, 2 vol. in-12).
[25]
Voltaire, édit. Didot, 1859, t. II, p. 382.
[26]
Voltaire, édit. Didot, 1859, t. II, p. 382.
[27]
Nous ne mentionnons pas dans ce chapitre la Pucelle de Chapelain, dont
nous avons suffisamment parlé dans l'Introduction.
[28]
Nous n'essayerons pas d'excuser Voltaire. Il y a des gloires si pures et si
sacrées que la plaisanterie la plus inoffensive doit s'interdire de les
toucher, même de les effleurer. Mais, cela dit, il faut bien rappeler, ce qu'on
oublie trop, que Voltaire a rendu justice à Jeanne Parc. Voici, en effet, ce
que l'on lit dans son Essai sur les mœurs des nations : Elle (Jeanne) eut assez de
courage et d'esprit pour se charger de cette entreprise, qui devint héroïque…
Les Anglais assiégeaient alors la ville d'Orléans, la
seule ressource de Charles, et étaient près de s'en rendre maîtres. Cette fille
guerrière, vêtue en homme, conduite par d'habiles capitaines, entreprend de
jeter du secours dans la place. Elle parle aux soldats de la part de Dieu et
leur inspire le courage d'enthousiasme qu'ont tous les hommes qui croient
voir la Divinité combattre pour eux. Elle marche à leur tête et délivre
Orléans, bat les Anglais, prédit à Charles qu'elle le fera sacrer dans Reims,
et accomplit sa promesse l'épée à la main. Elle assista au sacre, tenant
l'étendard avec lequel elle avait combattu.
La victoire rapide d'une
fille, les apparences d'un miracle, le sacre du roi qui rendait sa personne
plus vénérable, allaient bientôt rétablir le roi légitime et chasser l'étranger
: mais, l'instrument de ces merveilles, Jeanne Darc fut blessée et prise en
défendant Compiègne. Une homme tel que le Prince Noir eût honoré et respecté
son courage. Le régent crut nécessaire de la flétrir pour ranimer ses
Anglais... Cette héroïne, digne du miracle qu'elle avait feint,... Plus bas, en parlant d'une
fausse Jeanne Darc, il dit : On la combla d'honneurs
et de biens, et un homme de la maison des Armoises l'épousa en 1436, pensant en
effet épouser la véritable héroïne qui, quoique née dans l'obscurité, eût été
pour le moins égale à lui par ses grandes actions. (Chap. LXXX, édit.
Didot, p. 275, 276.)
Du reste, personne dans son temps ne songeait à blâmer
Voltaire, et personne autant que lui peut-être ne comprenait l'héroïsme
national.
M. de Bièvre ridiculisait
aussi à la même époque Vercingétorix, un autre de nos héros nationaux, qui n'a
été estimé à sa vraie valeur que de nos jours. Alph.
Feillet, Simples récits d'Histoire de France,
p. 21. (Paris, 1867, in-12.)
[29]
La Pucelle, Chant VI.
[30]
La pucelle, Chant VI.
Agnès et lui
marchaient donc vers ce bourg,
S'entretenant de
beaux propos d'amour,
D'exploits de
guerre et de chevalerie,
De vieux romans
pleins de galanterie.
[31]
La Pucelle, Chant XVIII.
Ah ! disait-il, jamais
pareille perte
Dans nos combats
ne fut par nous soufferte.
Ah ! j'en
mourrai ; les fripons m'ont tout pris.
Le roi mon
maître est trop bon, quand j'y pense ;
Voilà le prix de
son trop d'indulgence,
Et ce qu'on
gagne avec les beaux esprits.
La douce Agnès,
Agnès compatissante,
Toujours accorte
et toujours bien disante,
Lui répliqua :
Mon cher et gros Bonneau,
Pour Dieu,
gardez qu'une telle aventure
Ne vous inspire
un dégoût tout nouveau
Pour les auteurs
et la littérature :
Car j'ai connu
de très-bons écrivains
Ayant le cœur
aussi pur que les mains ;
Sans le voler,
aimant le roi leur maitre,
Faisant du bien
sans chercher à paraître,
Parlant en
prose, en vers mélodieux,
De la vertu,
mais la, pratiquant mieux.
Le bien public
est le fruit de leurs veilles ;
Le doux plaisir,
déguisant leurs leçons,
Touche les cœurs
en charmant les oreilles ;
On les chérit,
et, s'il est des frelons
Dans notre
siècle, on trouve des abeilles.
[32]
La Pucelle, Chant XIX.
[33]
La Pucelle, Chant XXI.
[34]
La Pucelle, Chant XXI.
[35]
La Pucelle, Chant X.
[36]
La Pucelle, Chant Ier.
[37]
Alexandre Dumas, Charles VII chez ses grands vassaux, acte II, scène V.
[38]
Alexandre Dumas, Charles VII chez ses grands vassaux, acte II, scène V.
[39]
Alexandre Dumas, Charles VII chez ses grands vassaux, acte II, scène IV.
[40]
Alexandre Dumas, Charles VII chez ses grands vassaux, acte II, scène IV.
[41]
Alexandre Dumas, Charles VII chez ses grands vassaux, acte II, scène VII.
[42]
Charles VII chez ses grands vassaux, acte III, scène III.
[43]
Nous n'avons pas besoin de faine observer la distraction du poète, qui fait de
Poton et de de Xaintrailles deux personnages.
[44]
Charles VII chez ses grands vassaux, acte III, scène IV.
[45]
Noir est pour la rime.
[46]
Charles VII chez ses grands vassaux, acte III, scène V.
[47]
Charles VII chez ses grands vassaux, acte IV, scène IV.