Vie privée de Charles
VII. — Ses maîtresses avant et après Agnès Sorel. — Jehanne la Louvette et
son père le président Louvet. — Catherine de l'Isle-Bouchard, femme de Giac
et de la Trémouille. — Antoinette de Maignelais, daine de Villequier. —
Jeanne et Marguerite de Villequier. Jeanne de Maignelais. — Jeanne et
Marguerite Bradefer. — Jeanne de Rosny. — Cotelle de Vaux, dame de Châteaubrun.
— Histoire de Blanche de Ribreuve. — Madame des Chaperons. — Un Parc aux
cerfs au quinzième siècle. — Marie d'Anjou, reine de France. — Son caractère.
— Son portrait. — Son influence sur Charles VII. — Véritable caractère et
influence d'Yolande d'Aragon. — Des causes de l'influence d'Agnès Sorel.
La vie
privée de Charles VII offre un spectacle peu édifiant. A peine marié, il
prend des maîtresses ou en reçoit, ce qui ne l'empêche point d'avoir des
enfants de la reine, terre féconde d'où poussent treize rejetons[1]. La période qui comprend
l'empire d'Agnès est relativement pure et honnête : le roi continue à se
partager entre les obligations de l'amour de dette et les plaisirs de l'amour
de grâce ; mais du moins l'amour de grâce n'a, comme l'amour de dette, qu'un
objet unique, et cet objet est aussi digne que capable d'un amour généreux.
Après la mort d'Agnès, le libertinage remplace l'amour ; le prince retombe et
s'enfonce de tout le poids de l'âge dans les voluptés vénales de sa triste
jeunesse. La
première des maîtresses de Charles VII qui ont précédé Agnès Sorel, était la
fille du président Louvet. Louvet est un des pires conseillers et des plus
corrompus qu'ait eus la jeunesse de ce prince ; c'était un homme politique
sans portée, sans capacité, sans foi ni loi, bien digne de commencer cette
série honteuse de favoris et de ministres dont nous avons vu quelques-uns
tomber sous les coups du terrible connétable, aussi scélérat que les Giac et
les la Trémouille, et plus vil peut-être. Il avait été admis dans les
conseils du roi par Louis II d'Anjou. Il s'y maintint en donnant une de ses
filles pour maîtresse au prince[2]. Cette fille, qu'on a appelée Jehanne la Louvette, était mariée. Pour sauver les apparences, son
père la plaça comme demoiselle d'honneur auprès de la reine, doublant la
honte du père et de la fille par les connivences de l'épouse et de la mère.
Il va sans dire que la honte n'alla point sans le profit, et que l'adultère
fut payé son prix[3]. Si l'on
en croyait certains historiens, Charles VII aurait eu un grand nombre de
maîtresses après Jehanne la Louvette et avant Agnès Sorel, entre autres
Catherine de l'Isle-Bouchard. L'auteur de la Loire historique explique
la fortune de Pierre de Giac, l'un des favoris de Charles VII, le même
qu'exécuta Arthur de Richement et que remplaça la Trémouille, par l'influence
que sa femme, Catherine de l'Isle-Bouchard, aurait exercée sur le roi.
Catherine, l'une des femmes les plus belles,
les plus galantes et les plus subtiles du quinzième siècle, aurait même été, suivant
l'historien tourangeau, la maîtresse de ce prince. Cette
dame, contemporaine de Charles VI et de Charles VII, réunissait, dit-il,
quatre cents ans avant notre époque, toutes les qualités qui distinguent nos
solliciteuses. Elle fut mariée quatre fois : la première à Jean des Roches,
la seconde à Hugues de Challan[4], la troisième à Pierre de Giac,
la quatrième à ce même la Trémouille, dont les mains étaient encore teintes
du sang de son troisième mari, lorsque, subjuguée par les charmes et les
intrigues de cette Alcine, il la conduisit à l'autel. Catherine de
l'Isle-Bouchard, amante perfide de Jean sans Peur, fut soupçonnée, en 1419,
d'avoir participé à l'horrible guet-apens de Montereau, où périt ce duc de
Bourgogne ; il est au moins certain qu'elle devint, peu de temps après, la
maîtresse de Charles VII, et que ce fut par l'ascendant de ses charmes que le
sire de Giac obtint la surintendance des finances. Tout ce que nous venons de
rappeler peut s'induire aisément des détails que M. de Barante a consignés dans
sa curieuse Histoire des Dues de Bourgogne sur cette femme qui a joué
un rôle si actif sous deux règnes, que l'on serait surpris de ne pas voir
figurer son nom dans l'histoire générale, si des faits et des renommées bien
plus essentiels n'y étaient pas omis à chaque page[5]. Bien
qu'on ne prête qu'aux riches[6], il y aurait plus que de la
témérité à affirmer que l'on doive ajouter Catherine Bouchard à la liste des
maîtresses de Charles VII. Il est certain qu'elle jouissait d'un très-grand
crédit dans la cour de Bourges ; elle était dame d'honneur de la reine, et
nous savons par d'assez nombreux exemples ce que ce titre recouvre : elle fut
marraine du premier-né de Marie d'Anjou et de Charles VII, le Dauphin Louis,
le futur Louis XI. Elle était fort belle et très-peu scrupuleuse. La longue
et rapide succession de ses maris, arrivée quelquefois dans des circonstances
tragiques et aidée par des moyens violents, peut bien être invoquée contre
elle. Enfin ce que nous savons de Pierre de Giac et de Georges de la
Trémouille nous autorise à les croire l'un et l'autre capables de tout en fait
de crimes et d'infamies, et il n'est pas douteux pour nous que, si la beauté
de Catherine de l'Isle-Bouchard a pu leur être utile, soit pour conquérir,
soit pour conserver leur crédit auprès du jeune roi, ils ne l'aient employée.
Mais ce ne sont là que des inductions. Aucun texte ne soutient l'opinion de
l'écrivain tourangeau : l'autorité de M. de Barante est invoquée ici sans
raison. La dame de Giac, dont parle M. de Barante, qui, selon l'historien des
ducs de Bourgogne, aurait été la maîtresse de Jean sans Peur[7], et qui joua un rôle si
équivoque dans le drame du pont de Montereau, était la mère de Pierre de
Giac, et ne saurait être confondue avec Catherine de l'Isle-Bouchard, qui fut
sa femme. Il faut ajouter, pour être juste, que Giac avait pu obtenir, sans l'ascendant des charmes de sa femme, la surintendance des finances.
La dame de Giac, sa mère, avait été longtemps dame d'honneur de la reine
Isabeau ; elle avait connu le roi tout enfant, et celui-ci avait pour elle
une tendre affection. Elle avait, de plus, rendu un service signalé clans
l'affaire de Montereau. C'étaient là des titres considérables à la confiance
et à la faveur, et très-suffisants auprès du jeune roi. Sans nous prononcer
absolument contre l'assertion que nous discutons, nous laisserons à plus
hardis à l'admettre à titre de fait historique. La vérité est que la plus
grande obscurité couvre la vie privée de Charles VII durant toute la période
qui précède l'avènement d'Agnès : ce qui s'explique par l'obscurité dans
laquelle il s'enveloppait, par la solitude de ses retraites, par le peu d'éclat
de sa cour et de son autorité. Par des
raisons contraires, la fin de sa carrière est toute ouverte ; la lumière
pénètre de toutes parts dans la cour du roi de France, qui est redevenue la
première de l'Europe et brille du double éclat de la gloire et de la
puissance. On sait tout ce qui se passe dans les châteaux de Loches, de
Chinon, de Bourges et dans les maisons de plaisance qui les entourent. On
connaît toutes les faiblesses du souverain ; on peut les compter, en nommer
les heureux objets et les victimes : on peut aussi mesurer la profondeur de
la chute, et la distance qui sépare la nouvelle favorite, devenue la
surintendante des menus plaisirs de Sa Majesté, de celle qu'elle a remplacée
dans la faveur du maître. Antoinette
de Maignelais était d'une grande beauté, presque égale à celle de sa cousine[8]. Mais c'est par ce côté seul
qu'elle lui ressemblait. Tandis qu'Agnès, douée (le toutes les qualités de
l'âme qui constituent la vertu dans le sens général et élevé du mot, avait su
garder sa dignité, se faire estimer jusque dans une situation peu estimable,
et en tirer parti pour le bien, Antoinette, réunissant toutes les laideurs et
toutes les petitesses du vice, n'avait exploité la même situation qu'au
profit de sa perversité. Ambitieuse, mais d'une ambition sans grandeur,
cupide, vénale, corrompue et corruptrice, épouse et amante infidèle, elle met
la main dans tous les crimes, dans toutes les hontes, dans toutes les
faiblesses qui ternissent les dernières années du règne. Si le mouvement
glorieux imprimé à la politique depuis 1434 n'est pas arrêté sous son règne,
c'est qu'il était devenu irrésistible, et que tout recul était désormais
impossible. Elle avait trempé dans la calomnie qui avait été le principe et
le prétexte du procès de Jacques Cœur ; elle avait pris une part de ses dépouilles[9]. Lorsque Charles VII, mieux
informé, réhabilita la mémoire de l'illustre argentier et punit ses
calomniateurs, non-seulement elle ne fut pas comprise dans le, nombre des
disgraciés, mais elle trouva encore le moyen de profiter de leur ruine[10]. Enfin, plusieurs années avant
la mort du roi, le jeune duc de Bretagne, François II, devint épris de ses
charmes, et du prix auquel elle les mit, elle acquit la riche terre de
Chollet, en Anjou, sur les confins de la Bretagne[11]. Un
chroniqueur du temps a donné l'explication suivante des débordements qui
souillèrent les dernières années de Charles VII, et en a étendu la
responsabilité presque à la nation tout entière. A cause,
dit-il, des nombreux travaux que le roi avoit
accomplis pour reconquérir la plus grande partie de son royaume, il fut
décidé qu'on lui donneroit les plus belles filles que l'on pourroit trouver.
Nonobstant cela, sa vertu étoit encore plus grande sans comparaison que son
vice (3)[12]. Cette singulière calomnie, qui
semble une réminiscence de l'histoire de Jules César, ne doit pas être prise
au sérieux,' non plus que l'étrange justification qui l'accompagne. La
perversité d'Antoinette de Maignelais dispensait le Conseil du roi ou la
nation d'une telle complaisance, et y suppléait libéralement. Elle avait
accepté, imaginé peut-être, et remplissait le rôle honorable que Voltaire a
attribué, dans une fiction trop célèbre, à son personnage de Bonneau[13], et elle le remplissait avec un
zèle au-dessus de tout éloge. Elle avait d'abord cherché ses complaisantes et
ses auxiliaires dans sa famille et celle de son mari, où son exemple avait
porté ses fruits. Ses parentes et ses amies, Jeanne et Marguerite de
Villequier, Jeanne de Maignelais, Jeanne et Marguerite Bradefer, Jeanne de
Rosny, Cotelle de Vaux, dame de Châteaubrun, d'autres encore, furent chargées
d'amuser le roi et placées à cet effet comme dames d'honneur auprès de la
reine ou mariées à des chambellans munis de places lucratives. Mais ce
personnel de cour était restreint, et il fut bientôt insuffisant. Il fallut
le recruter et tous les moyens furent jugés bons pour cela. On lit dans
Jacques du Clercq la touchante histoire d'une jeune fille qu'Antoinette jeta,
malgré elle, dans les bras du vieux roi[14]. Cette jeune fille s'appelait
Blanche de Rebreuve ; elle était d'une rare beauté et se souciait peu de
l'honneur qu'on voulait lui faire. Au partir
de l'hostel de son père, pleuroit moult fort, dit le chroniqueur,
et dit qu'elle aimerait mieux demourer avec ses parents, et manger du pain et
boire de l'eau. Il
lui fallut céder. Son père était riche, mais avare, et son frère, jeune
écuyer, riche aussi, ayant de beaux
héritaiges, mais
ambitieux, lui firent violence, et la donnèrent à La Villequier, qui la donna
au roi. Comme elle avait été gouvernante ou régente
chez madame de Geulis ou de Jeully, elle fut connue du public sous le nom de madame la Régente. Elle dura peu, sans doute par la raison qu'elle
était preude femme, comme dit Georges Chastelain, toutes voies de son corps[15]. Elle fut remplacée par la
fille d'un pâtissier, qu'on appelait madame des Chaperons, pour ce que, entre toutes
autres femmes, c'estoit elle qui mieux s'habilloit d'ung chaperon, et celle-ci fut sans doute
suivie de beaucoup d'autres, dont les noms ont été ignorés du chroniqueur[16]. Il est
certain, en effet, que dans les dernières années Charles VII eut une foule de
maîtresses anonymes, ou plutôt une sorte de harem, un Parc aux cerfs
ambulant, qui le suivait partout, et qu'entretenait madame de Villequier avec
un soin et un art admirables. Les contemporains n'ont pas connu le scandale
dans tous ses détails, et ils ne nous entretiennent ni du soin ni de l'art
que madame de Villequier a déployés dans son emploi ; mais le fait est
constaté par des témoignages divers, et le reste se devine de soi-même.
Madame de Villequier, dit Jacques du Clercq, avoit
aussi cinq ou six damoiselles des plus belles du royaume, de petit lieu,
lesquelles suivoient le dict roy Charles partout où il alloit ; et estoient
vestues et habillées le plus richement qu'on povit, comme roynes ; et
tenoient moult grant et dissolu estat, le tout aux deppens du roy ; et ne se
tenoit peu ou néant la royne avec son mari... Ces belles
damoiselles le suivoient toujours où il alloit, se logeant à une lieue au
m'oins près de lui[17]. Le roy Charles, dit un autre historien, qui
vivait vers la fin du quinzième siècle, après
qu'il eut Chassé ses ennemis et pacifié son royaume, ne fut pas exempt de plusieurs
malheuretez ; car il vesquit en sa vieillesse assez luxurieusement et trop charnellement
entre femmes mal renommées et mal vivantes, dont sa maison estoit pleine. Et
ses barons et serviteurs, à l'exemple de luy, consumoient leur temps en
voluptés, danses, mommeries et folz amours[18]. Maintenant
que nous connaissons Charles VII dans son entier, que nous avons sous les
yeux ses qualités et ses défauts, que nous avons pénétré dans sa vie intime
avant et après l'avènement d'Agnès, ne pouvons-nous pas déjà pressentir
quelle nature d'influence pouvait faire jaillir l'étincelle d'une telle âme,
et faire entrer dans elle l'intelligence de ses devoirs et la force de les
accomplir ? Nous le répétons, il n'y avait qu'une grande passion susceptible
de répondre à cette nature à la fois délicate et grossière, si sensible à la
beauté des femmes et si ardente dans ses amours, qui fût capable de faire le
miracle que nous avons à expliquer. L'influence de Marie d'Anjou, influence
que l'on ne peut nier, et que font suffisamment comprendre quelques-unes des
bonnes parties, comme les mauvaises, du caractère de son mari, ne fut jamais
qu'au second plan, la reine n'ayant rien en elle qui lui permît de se placer
au premier et de s'y maintenir. Marie
d'Anjou[19] avait des qualités estimables :
elle était sensée et habile ; elle avait l'esprit droit avec le caractère
tout à la fois souple et ferme de sa mère Yolande. Elle montra dans la
mauvaise fortune une grande constance, et dans la bonne une grande
simplicité, malgré des goûts très-prononcés de luxe et d'élégance[20]. Sa libéralité, sa douceur, sa
bonté, ses vertus domestiques sont au-dessus de tout éloge. Son esprit
n'était ni sans agrément ni sans culture : elle avait du goût pour les
lettres et les arts[21]. Mais rien de grand, ni
d'éclatant ; ni fierté dans le caractère, ni élévation dans les sentiments.
Elle aimait le confortable, de telle sorte que le soin de ses intérêts
matériels, le désir d'accroître ses revenus personnels tiennent une grande
place dans sa vie[22]. Elle adorait son mari, mais
d'un amour banal et vulgaire, avec une complaisance inouïe pour ses
faiblesses. Nous
insistons sur ce point : on a prétendu qu'elle se résignait par devoir à la
position étrange que lui faisait le roi, lequel pratiquait largement l'amour de dette, et plus largement encore l'amour de grâce, et l'on a chi, à l'appui de cette opinion[23], le passage suivant des
mémoires d'Olivier de la Marche, où il nous montre la duchesse de Bourgogne
et la reine de France se communiquant leurs peines de cœur et se plaignant
mutuellement des infidélités de leurs époux : Et
luy fit la Royne moult grant honneur et privauté : car toutes deux estoyent
déjà princesses aagées[24], et hors de bruit : et croy bien qu'elles avoyent mesme
douleur et maladie, qu'on appelle jalousie : et que maintes fois elles se
devisoyent de leurs passions secrètement : qui estoit cause de leurs
privautés : et à la vérité apparence de raison avoit en leurs soupçons[25]. Mais l'autorité que l'on
avance ne parait que peu décisive : d'abord le chroniqueur n'a pas assisté
aux entretiens des deux princesses et ne présente que comme probable le sujet
qui y aurait été traité ; en second lieu, n'était-il pas très-naturel qu'au
cas où ce sujet eût été traité, Marie d'Anjou ne se montrât point
indifférente à un mal que son interlocutrice ressentait vivement, comme cela
est attesté par l'histoire ? Eût-elle, d'ailleurs, dans cette circonstance,
qui était solennelle et qui coïncidait avec l'époque de la publicité et du
grand éclat de la faveur d'Agnès, éprouvé quelque dépit ou même un sentiment
plus profond, et qu'en présence d'une souffrance semblable elle se fût livrée
à quelque épanchement, sa longue complaisance, pour ne pas dire sa
connivence, attestée par des signes et des témoignages certains, jette,
malgré qu'on en ait, une ombre, sinon une tache sur son caractère. Nous ne
voulons pas faire de rigorisme : nous comprenons les exigences des situations
exceptionnelles, ou même, si l'on veut, des privilèges attachés à la grandeur
; mais il y a place partout pour la dignité de la conduite, quand le
sentiment de la dignité est dans l'âme ; et Marie d'Anjou a toujours manqué
de dignité dans ses rapports avec les maîtresses de son mari. On peut
négliger les premières liaisons du roi avant sa grande passion pour Agnès ;
il y a assez de ce qui commence à Agnès et finit avec madame de Villequier.
Non-seulement la reine a la favorite pour fille d'honneur, mais elle donne
elle-même son nom de Marie à la seconde de ses filles ; elle
la prend pour suivante dans les grandes circonstances, et la laisse attacher
comme fille d'honneur 'à sa nièce Marguerite d'Anjou, quand cette princesse
est fiancée au roi d'Angleterre[26] ; elle fait toutes sortes de
bien à sa famille ; elle marie son frère à une de ses filles d'honneur, avec
un grand présent. Nous n'irons pas jusqu'à dire, comme l'ont fait Delort et
même des chroniqueurs contemporains, qu'elle a favorisé et comme ménagé la
liaison du roi et d'Agnès pour arracher son royal époux à de pires amours, et
que, de concert avec sa mère Yolande, elle ait fait de la douce créature, pour employer le mot de M. Michelet, un instrument de la
politique. Les raisons que nous avons données pour réfuter cette calomnie
posthume de l'histoire, protesteraient contre nous : rien n'autorise à
prétendre que la bonté et la faiblesse indulgente de Marie d'Anjou soient
descendues jusqu'à la bassesse. Nous lui reprochons d'avoir pris aisément son
parti avec ce mal, d'avoir accepté gaiement la position humiliante qui lui
était faite, comme le prouve la devise qu'elle s'était choisie : E sempre benè[27]. Dans de telles situations la
religion peut conseiller la résignation, l'humilité, l'abnégation ; elle ne
peut commander une complaisance qui ressemble à une connivence, ni cette
indifférence de bon ton, qui sied, dit-on, aux gens d'esprit. Il y a un
milieu entre le rôle de. Griselidis et celui de ces femmes commodes qui
tolèrent un mal qu'elles ne peuvent empêcher, et prennent leur peine en
patience dans l'espoir d'amples compensations ; c'est celui de
Catherine de Médicis ou même de Marie Leczinska, qui surent refuser au moins
leur amitié à leurs rivales. Marie d'Anjou n'eut pas ce respect d'elle-même.
Sans doute Agnès Sorel avait les grandes qualités qui font oublier et
pardonner les situations fausses ; mais ce n'était pas à la reine de France
de le savoir. Et ce qui aggrave ce que nous considérons comme une faute,
c'est qu'elle montra la même indulgence, la même complaisance pour la femme
indigne qui remplace Agnès dans les bonnes grâces du roi, jusqu'à la combler
de présents[28], et que de pires faiblesses ne
paraissent pas avoir jamais chez elle soulevé l'indignation ou le dégoût[29]. Marie
d'Anjou n'avait pas non plus ces avantages physiques qui suppléent parfois à
la supériorité morale et auxquels son époux était si sensible. M. le comte de
Quatrebarbes parle des vertus et de la beauté de
la douce Marie[30]. Pour les vertus, nous ne
contestons pas, sauf les réserves que nous venons de faire : il n'en est pas
de même de la beauté ; il faut que le panégyriste de René d'Anjou et de sa
maison n'ait pas vu les portraits que nous avons de la mère de Louis XI. Il
n'est pas possible, en effet, quand on a jeté les yeux sur le visage de cette
princesse, tel que nous le montre la gravure des Monuments de la Monarchie
française (T. III, p. 46), et son buste de Saint-Denis, de se faire illusion et de parler
sérieusement de ses avantages extérieurs. Ni richesse, ni correction dans les
formes, ni expression dans la physionomie. On y remarque seulement quelque
chose qui rappelle la douceur vulgaire et la bonté banale, avec je ne sais
quoi de la finesse féminine et égoïste. Le masque, sans être froid, est
terne, effacé : c'est la bonne femme et la ménagère, dévote et d'humeur
facile, qui subit les influences et ne les renvoie pas, comme ces surfaces plates
qui reçoivent la lumière sans la réfléchir. Marie
d'Anjou eût été plus richement douée que le prestige de sa beauté aurait été
mis singulièrement en péril par la politique, fatalement imbécile, qui avait
décidé son mariage, et qui, dès l'âge de douze ans, l'avait fait vivre dans
la société de son époux, bien que l'union réelle ne dût avoir lieu que
plusieurs années après. Ajoutant la
profanation du nom à celle du fait, dit avec raison M. Vallet de Viriville, la politique appelait mariages de convenances ces
croisements fortuits de deux âmes et de deux corps, avec la promiscuité de
l'enfance. Maintes fois il en est résulté de tristes fruits. Ce fut la source
où, trois siècles plus tard, Louis XV, dégoûté de Marie Leczinska, gagna le
mal de cette lasciveté croissante, linceul dans lequel il finit par envelopper
moralement, en même temps que lui, la royale dynastie. A ces impubères
rapprochements, l'enfance se souille et l'amour s'éloigne sans retour, banni
par une satiété précoce[31]. Les âmes d'élite (nous parlons
particulièrement des hommes) peuvent résister quelquefois aux conséquences fâcheuses
de ces unions prématurées, surtout si elles sont aidées par leur situation,
par les difficultés de la vie ou les vertus d'un tempérament, nous ne disons
pas privilégié, mais exceptionnel : les autres y succombent infailliblement,
dans quelque condition qu'on les suppose, surtout si la femme n'a aucun genre
de supériorité et n'a pour se défendre que le cortège des vertus modestes et
des droits que le sacrement confère. Marie d'Anjou est un exemple de cette
loi fatale : elle but de bonne heure à la coupe amère des déceptions
conjugales, et là se trouve peut-être la meilleure excuse de ces
complaisances que l'histoire peut lui reprocher. Elle avait fait trop tôt
l'apprentissage de l'abnégation pour pouvoir, dans l'âge de la
responsabilité, prendre une attitude qui, en couvrant cette abnégation de
dignité, la transformât en vertu. Quoi
qu'il en soit, il ne semble pas qu'il soit donné à ces caractères/de dominer
les hommes et de leur inspirer le sentiment des grandes choses. Les
panégyristes de Marie d'Anjou, qui sont aussi les panégyristes de la royauté,
se placent dans un point de vue exclusif et prennent, comme tous les
systématiques, leur façon de voir pour l'expression de la vérité. Un coup
d'œil plus libre, par cela même plus profond et plus sûr leur aurait moins
masqué le jeu des passions humaines, et leur aurait montré peut-être que la
cause du phénomène qu'il s'agit d'expliquer, n'est pas où ils l'ont placée.
Les âmes douces et molles sont sans prise sur leurs pareilles : la raison
dans leur bouche, pour peu qu'elle rencontre l'obstacle de la passion, est
impuissante. Nous oserons dire, pour n'appliquer la réflexion qu'à Marie
d'Anjou, que, eût-elle été armée de ce talisman de la beauté, si puissant
cependant sur Charles VII, le talisman dans ses mains eût été sans force. La
beauté ne peut pas tout : elle peut déterminer une secousse, mais le charme
ne peut continuer à agir qu'à condition d'être aidé et entretenu sans cesse
par l'action d'une âme forte et renouvelé, pour ainsi dire, par les eaux
vives de la source intérieure. Yolande
d'Anjou, nous l'avons vu, était mieux douée que sa fille : elle n'avait pas
cette physionomie effacée ; mais, quoi qu'on ait pu dire, son influence, que
nous sommes des premiers à reconnaître, n'explique pas cette sorte de
métamorphose que nous voyons s'opérer dans l'âme et dans la conduite de
Charles VII, à partir de 1433. Pour bien se faire une idée juste du caractère
de cette influence, il suffit de voir ce qu'elle avait produit jusqu'à ce
moment. La reine Yolande était mêlée depuis vingt ans à la vie de son gendre
; elle l'avait élevé et en quelque sorte nourri ; elle l'avait sans cesse
entouré de bons conseils et, quand les rênes de l'État furent mises dans ses
mains, elle ne cessa point de lui montrer la grande politique nationale qu'il
était de son intérêt, comme de son devoir, de suivre. Qu'avait-elle obtenu
cependant ? Quel empire put-elle exercer dans ses conseils et pour le choix des
hommes qui devaient y prendre place ? Ses avis, jusqu'à la révolution de
palais qui renversa la Trémouille, furent toujours dédaignés, au moins dans
ce qu'ils avaient de général et de généreux. Il lui fallut pendant dix ans
supporter des hommes qu'elle méprisait et dans lesquels s'incarnait la
politique étroite contraire à la sienne, les Louvet, les Giac, les la
Trémouille ; il lui fallut endurer les maîtresses indignes qui partageaient
avec sa fille l'affection du roi. Il est vrai que sa politique triomphe en
1433, par le bras de Richemont, et que son influence devient, à partir de ce
moment, prédominante, soit directement soit indirectement, dans les conseils
du roi. Mais la révolution dont nous cherchons la cause ne fut pas seulement
une révolution politique, ce fut une révolution morale ; ce n'est pas la
raison qui avait manqué à Charles VII pour comprendre la politique qui
convenait à la situation, et qui lui était depuis si longtemps conseillée par
Yolande et sa fille ; le difficile n'avait jamais été de la faire accepter à
son esprit. Il fallait la faire entrer dans son cœur ; il fallait y mettre
une force nouvelle comme cette politique elle-même, et y allumer la flamme
qui jusqu'alors y était restée comme à l'état latent. Il n'est pas nécessaire
d'une grande connaissance du cœur humain pour se convaincre, le caractère de
Charles VII étant donné, que cette flamme, ce n'était pas la main d'Yolande
qui pouvait l'allumer. Si nous
n'avons pas fait des portraits de fantaisie, ou plutôt si l'histoire ne nous
a point trompé, puisque c'est à l'histoire elle-même que nous avons emprunté
les traits dont se composent les portraits de Charles VII et d'Agnès Sorel
tels que nous les avons tracés, ce qui domine dans Charles VII, c'est-à-dire
la passion des plaisirs de l'amour avec le sentiment de la beauté chez la
femme, condition essentielle pour lui de l'attachement et de l'amour, le goût
des distractions soit des sens, soit de l'esprit, le besoin de s'amuser et
d'être amusé, trouvait dans Agnès tout ce qui pouvait le satisfaire, et
non-seulement s'emparer du prince, mais aussi le captiver. Agnès avait en
elle tout ce qu'il fallait pour l'enlacer par tous les liens, et rien de ce
qui pouvait l'écarter. Ce n'est point la puissance et la durée de la passion
qui nous fait juger ainsi : c'est en remontant aux qualités mêmes qui ont
déterminé la puissance de la passion et sa durée ; c'est de l'étude comparée
des deux forces morales en présence que nous tirons cette conclusion :
qu'elles étaient faites l'une pour l'autre et s'accordaient dans une
merveilleuse harmonie. Agnès
avait cette beauté physique à laquelle le roi était si sensible ; elle avait,
outre le charme de la grâce, l'opulence et l'éclat des formes qui, sur les
hommes sensuels, ont un si puissant empire, avec l'art de relever sa beauté,
de l'entretenir et de la renouveler sans cesse par les séductions de la
parure. Elle avait une douceur inaltérable et semble avoir eu une
condescendance sans limites dans le sens de sa passion, sans compromettre
jamais sa dignité propre, ni le respect de la pudeur, qui est une condition
de la durée de l'empire. Les rois, comme les autres, ne dédaignent pas une
certaine poésie dans l'amour : c'est un charme de plus, d'autant plus
impérieux qu'il est rare partout et presque toujours une nouveauté dans les
cours. Pour
nous, qui avons suivi Agnès dans tous les milieux où elle a séjourné ou
qu'elle a traversés, il est certain qu'elle a apporté cette nouveauté dans la
cour de Chinon et qu'elle eut le secret, non cherché, de couvrir sa chute,
et, pour ainsi dire, de la relever par tout l'éclat de la grandeur morale qui
tient à l'accomplissement d'un devoir. Mais si l'adoption d'une politique
nouvelle, d'une politique grande et nationale fut le prix dont fut payée sa
conquête, comme la tradition n'hésite pas à le dire, et comme le caractère et
l'éducation d'Agnès qui confirment la tradition, le font aisément comprendre,
il y avait aussi dans l'âme de Charles VII des parties élevées, que devait
toucher le sentiment de la grandeur. Ses faiblesses tenaient à son éducation
et à sa situation autant qu'à sa nature, dont le vice radical et presque
unique était le besoin de la volupté. Il eût tout sacrifié à la satisfaction
de ce besoin, c'était là comme une loi fatale, puisée dans le sang : une fois
satisfait sur ce point, il était capable de comprendre le grand, de l'aimer
et de le mettre dans sa vie. Quoiqu'il fût docile à la voix de la raison,
comme le reconnaît Georges Chastelain, qui est loin de le flatter, la voix de
la raison toute seule ne suffisait pas pour le saisir : elle ne pouvait
devenir persuasive qu'à la condition de prendre pour auxiliaire la faculté
maîtresse, ou, pour parler plus exactement, la passion maîtresse ; mais cela
fait, tout devenait possible chez liii, jusqu'au courage, dont il paraissait
naturellement dépourvu. C'est là le secret de la transformation subite et
décisive que l'histoire a enregistrée et qui fit d'un règne destiné à être
médiocre un grand règne. L'apparition d'Agnès dans cette écurie d'Augias,
qu'avait balayée Richemont, fut une lumière et une force : elle réveilla chez
le prince des facultés endormies, qui menaçaient de s'éteindre dans la
mollesse et la volupté, et elle leur donna un ressort qui leur manquait. Si
Agnès n'avait été que belle, son règne eût été éphémère, comme celui de
Jehanne la Louvette ou de Catherine de
l'Isle-Bouchard ; si elle n'avait eu que le prestige de la supériorité
morale, même aidée de cette beauté vulgaire qui répondait aux besoins d'un
tempérament irrésistible, elle eût tenu sans doute plus longtemps, parce que
l'amant n'était pas dépourvu de tout sentiment de l'idéal, mais encore
eût-elle passé. C'est parce qu'elle eut tout à la fois, par un rare privilège,
la beauté du corps et celle de l'âme à un degré supérieur, avec cette vitalité
physique et morale qui satisfait à toutes les exigences de l'amour, qu'elle
imprima à la passion de son amant une puissance et une durée extraordinaires. Tous les contemporains ont été frappés de la violence de la secousse que reçut Charles VII de l'amour d'Agnès. Nous avons vu ce qu'en dit Pie II : Il en devint si éperdument amoureux, dit-il en parlant du roi, qu'il ne pouvait pas s'en passer un seul instant : à table, au lit, au conseil, il l'avait sans cesse à ses côtés. Ce sont là tous les signes d'une grande passion et d'un premier amour ; et cela suffit pour démontrer ce que nous appellerons le point de vue de la puissance. Mais -le problème n'est pas tout entier dans le plus ou moins d'intensité de la secousse qui opéra la révolution morale que nous étudions ; il est aussi dans les conditions qui ont déterminé la durée de cette révolution, et bien que nous ayons déjà marqué quelques-unes de ces conditions, nous devons aller au-delà, pénétrer plus avant dans les sentiments d'Agnès, dans ses mœurs, dans son esprit, dans sa vie intime, dans ses amitiés, en un : mot dans ces royales résidences, si brillantes et si paisibles, des bords de la Loire ou du Cher, où le roi promenait tour à tour le théâtre mobile de ses plaisirs et de ses affaires. |
[1]
1° Louis XI, né le 13 juillet 1423 — 2° Radegonde, née vers 1425 — 3° Jean, né
vers 1426 — 4° Catherine, née vers 1428, comtesse de Charolais (épouse de
Charles le Téméraire) — 5° Jeanne, née vers 1430, duchesse de Bourbon — 6°
Jacques, né en 1432 — 7° Yolande, née le 27 novembre 1434, duchesse de Savoie —
8° Philippe, né le 4 février 1436 — 9° Marguerite, née en 1437 — 10° Marie, née
jumelle avec la suivante, septembre 1438 — 11° Jeanne — 12° Madeleine, née en
1413, princesse de Viane — 13° Charles, duc de Berry, de Guienne, de Normandie,
né le 28 novembre 1446.
[2]
On lit dans la Chronique de Nicolas Gilles : Ainsi fut
renvoyée Jehanne la Louvette, femme du seigneur de Joyeuse, laquelle avait été
longuement fort en la grâce du roy, elle estant damoiselle en l'hostel de la
reine.
[3]
Voir les lettres du roi (17 juin 1427), qui accordent à
notre bien-amée la dame de Mirandol, femme de notre amé et féal conseiller et
chambellan Jehan Louvet, seigneur dudit lieu de Mirandol, la somme de cinq cents
livres tournois, laquelle nous lui avons donnée et donnons de grâce espécial
par ces présentes, tant pour considération des agréables services et plaisirs
qu'elle a fais, le temps passé, à nostre très-chiere et très-amée campaigne la
rogne, lorsqu'elle estoit en sa compaignie, comme pour lui aider à avoir des
atours et autres menues choses qui sont nécessaires à darnes et qui
appartiennent à leur estat, et pour certaines autres causes et considéracions
qui à ce nous ont meu et meuvent.
[4]
Il faudrait dire Hugues de Châlons.
[5]
Touchard-Lafosse, La Loire historique, t. IV, p. 294, 295.
[6]
Parmi les maîtresses qu'aurait eu Charles VII, il en est une dont le nom a
échappé à l'oubli, la Cassignèle, fille
d'honneur de la Dauphine, pour laquelle Charles, qui n'était encore que
Dauphin, avait fait mettre sur les drapeaux de ses troupes, en rébus, un K, un
cygne et une L. (Leber, t. X, p. 309.)
[7]
La plupart des historiens qualifient sans hésitation la dame de Giac de
maîtresse de Jean sans Peur. M. Vallet de Viriville, sans se prononcer sur ce
point, se borne à faire observer que Jeanne de Peschin, dame de Giac, avait
épousé en 1376 Louis de Giac, mort vers 1408, et qu'en 1419, elle devait être
plus que sexagénaire. C'est cette sexagénaire que l'auteur de la Loire historique
donne pour maîtresse à Charles VII.
[8]
La damoiselle de Villecler estoit moult belle et
estoit mariée... (Mémoires de du Clercq, liv. Ier, ch. IV,
Collection Petitot, p. 46.) — Antoinette de Maignelais était née vers 1420 ;
elle eut pour père Jean II de Maignelais, dit Tristan, capitaine de Creil, et
pour mère Marie de Jouy. Jean de Maignelais était frère de Catherine, mère
d'Agnès. Antoinette épousa le seigneur de Villequier, vers l'époque de sa
liaison avec le roi, au mois d'octobre 1450.
[9]
Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, p. 510.
[10]
Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. III, p. 306.
[11]
Bulletin de la Société nantaise, t. Ier, p. 4, trimestre de 1860,
article de M. de la Nicollière.
[12]
Chroniques martiniennes, in-folio, 302, citées par M. Le Roux de Lincy
dans les Femmes célèbres de l'ancienne France, p. 442.
[13]
La Pucelle, chapitre premier.
Pour colorer
comme on put cette affaire,
Le roi fit choix
du conseiller Bonneau,
Conseiller sûr
et très-bon Tourangeau :
Il eut l'emploi
qui, certes, n'est pas mince,
Et qu'à la cour,
où tout se peint en beau,
Nous appelons
être l'ami du prince,
Et qu'à la ville
et surtout en province
Les gens
grossiers ont nommé maq…..
[14]
En cet an 1455, mademoiselle de Villecler estoit
très-bien en la grâce du Roy, et comme on disoit en faisoit le Roy ce qui luy
plaisoit ; une jeune fille d'un escuyer, nommé Anthoine de Rebreuves, demouroit
en la cité d'Arras ; on la nommoit Blanche : cette fille, avec la dame de Jeuly
estoit allée à la cour du Roy ; or Blanche estoit bien la plus belle fille
qu'on eût pu voir, ne regardée ; icelle damoiselle de Villecler sy tost qu'elle
vit icelle fille pria moult de l'avoir avec elle ; mais la Dame de Jeuly luy
repondit qu'elle la ramèneroit ou renvoiroit à son père et que sans le congé de
son père ne l'auroit pas, et aussi la ramena ; mais assez tôt après, par le gré
et consentement de son père, du sieur de Sancourt, oncle d'icelle Blanche, et
du sieur de Jeuly, Jacques de Rebreuves, frère d'icelle Blanche, très-bel
escuyer, agié de vingt-sept ans ou environ, mena sa dite sœur Blanche, agiée de
dix-huit ans, à la cour du Roy, demoiirer avec icelle damoiselle de Villecler ;
et fut ledit Jacques retenu escuyer tranchant d'icelle damoiselle... elle
(mademoiselle de Villequier) avoit tousjours trois ou quatre filles ou
damoiselles, les plus belles qu'elle pouvoit trouver... Nonobstant toutes ces
choses, et que le père, frère, oncle et le sieur de Jeuly fussent avertis de
tout ce que j'ai dit, ils y envo'ièrent Blanche, laquelle au partir de l'hostel
de son père, en la cité d'Arras, plouroit fort, et me fut assuré qu'elle disoit
qu'elle aimeroit miculx demourer avec son père et manger du pain et boire de
l'eau. Toutes fois elle y alla : son père l'y avoit envoyée par chiceté, atin
qu'elle ne lui coustàt rien, ni son fils, nonobstant qu'il fût très-riche
homme, ayant de beaux héritaiges ; et assez tost après que icelle damoiselle
Blanche olt esté un peu de temps avec ladite damoiselle de Villecler, la
renommée publia qu'elle estoit aussi très-bien en la compaignie du roy et
pareillement que la damoiselle de Villecler. (Mémoires de Jacques
du Clercq, déjà cités, p. 45, 46.)
[15]
Mémoires de Georges Chastelain, édition du Panthéon, p. 255.
[16]
Un état de répartition d'une partie des aides de 1454 révèle des dons nombreux
et très-significatifs. Nous en citerons quelques-uns :
A Mlle de Villequier pour luy aider à entretenir son
estat, 2.000 liv.
A elle pour don, 260 liv. 10
s.
A Marguerite de Salignac,
damoiselle, pour don à elle faict par le Roy pour luy aider à avoir une chambre
pour sa gésine (a), 192 liv. 10 s.
A Jehan, simple archer du corps,
pour l'occasion de son mariage, 700 liv. (b).
A madame de Monsoreau pour
don, 300 liv.
Le même état de répartition contenait les allocations
suivantes :
A maitre Loys d'Angoule,
astrologien, pour don, 68 liv. 1 s.
A Colas, le sourcier, pour
don, 137 liv. 10 s.
A la nourrice de M. le
Dauphin, I00 liv.
Au maistre d'école de Mgr
Charles pour sa pension de la présente année, 300 liv.
A luy pour don, 100 liv.
Au trésorier de la royne pour
le payement des livres de Mgr Charles, 200 liv.
Pour les gaiges du chappelain
du roy, 3,004 liv.
(Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, p.
312.)
(a) Il s'agissait sans doute d'un accouchement
clandestin.
(b) Était-ce un don accordé à cause de la femme ou à
cause du mari ? Il y a dans l'état de répartition une autre somme de 1,000 liv.
pour le mariage des Escoz (Ecossais). Le don de 700 liv. à un simple archer
semblerait indiquer une faveur toute particulière.
[17]
Mémoires de J. du Clercq, édition du Panthéon littéraire, p. 95
et 175.
[18]
Claude de Seissel. Histoire du roy Lows douzième, p. 35.
[19]
Marie d'Anjou, fille aînée de Louis II d'Anjou et d'Yolande d'Aragon, était née
le 14 octobre 1404. Elle fut fiancée à Charles, comte de Ponthieu, le 18
décembre 1413, et mariée en 1422, à l'âge de dix-huit ans. Son mari n'avait
qu'un an de plus qu'elle.
[20]
Le Roux de Lincy, Les Femmes célèbres de l'ancienne France, t. Ier, p.
431, 432 et suiv.
[21]
Pierre Clément, Jacques Cœur et Charles VII, p. 187.
[22]
Afin d'accroître ses revenus, dit M. Vallet de
Viriville, elle faisait la traite des vins, qu'elle envoyait vendre de ses pays
d'Aunis et d'Anjou, par le port de la Roche, en Angleterre. (Histoire
de Charles VII, t. III, p. 80.)
[23]
Le Roux de Lincy. Les Femmes célèbres de l'ancienne France, t. Ier,
p.434.
[24]
L'entrevue des deux princesses eut lieu à Châlons-sur-Marne le 1444.
[25]
Mémoires d'Olivier de la Marche, liv. I'', ch. arm (Collection Petitot,
t. Ier, p. 403).
[26]
Les ambassadeurs anglais qui vinrent rendre visite à. Marguerite d'Anjou, déjà
fiancée au roi d'Angleterre, furent présentés à Marie d'Anjou au château de
Montils-lès-Tours. La reine était assistée de quarante dames, parmi lesquelles
se trouvait Agnès Sorel, qui fut attachée dès lors à la reine d'Angleterre. (Vallet
de Viriville, Histoire de Charles VII, t. II, p. 452.)
[27]
Biographie Didot, Marie d'Anjou.
[28]
Les registres des comptes manquent pour la période de la faveur d'Agnès. Ils
deviennent plus abondants vers la fin du règne. On trouve dans les comptes de
l'argenterie de la reine pour 1454-1455 (registre KK, n° 55, aux Archives de
l'empire, fol. 140, étrennes du 1er janvier 1455) : s Étrennes offertes par la
reine à mademoiselle de Villiquier, en une fontaine d'or, la somme de quatre-vingt-quinze
livres quarante sous deux deniers tournois. (Vallet de Viriville, Agnès
Sorel ; Revue de Paris, 1855.)
La description de la fontaine peut donner une idée de
la valeur du cadeau : Pour la garniture d'or d'une
fontaine de cristal richement travaillé tout à. l'entour de menus ouvrages à
feuillages, en façon de couronne. A l'entour de ladicte fontaine il y a quatre
gargouilles d'or bien gentiment faites, d'où l'eau sort.., et au-dessus du pié
de la fontaine garniture à feuillage comme dessus. Et au-dessoubz, audit pié,
il y a quatre lions d'or bien gentiment faicts qui soutiennent ladite fontaine.
(Le Roux de Lincy. Les Femmes célèbres de l'ancienne France, t. Ier, p.
447.)
[29]
Registre KK, n° 55, aux Archives de l'empire, fol. 15 : Le 26 juin 1445, à frère Jehan Rousseau, cordelier, pour le restituer de
semblable somme qu'il avait prêtée comptant le premier jour de may passé pour
bailler aux filles joyeuses suivant la cour, lesquelles vinrent devers ladite
dame la reine demander le may, en trois écus d'or quatre livres deux sous six
deniers tournois. (Le Roux de Lincy, Les Femmes célèbres de
l'ancienne France, t. Ier, p. 147.)
[30]
Mais les vertus et la beauté de la douce Marie
n'avaient point encore fixé le cœur de son époux. Restée à Loches sur un ordre
royal, elle n'avait partagé que les mauvais jours, et ses pleurs, mêlés aux
joies du triomphe (le sacre de Reims),
coulaient dans sa retraite solitaire, non loin du château d'Agnès Sorel.
(Œuvres du roi René, Introduction, p. XV.) — Il est difficile d'entasser
plus d'erreurs historiques en moins de mots.
[31]
Agnès Sorel ; Revue de Paris, octobre 1855.