JOSÉPHINE

IMPÉRATRICE DES FRANÇAIS - REINE D'ITALIE

 

NAISSANCE DE JOSÉPHINE AUX TROIS-ILETS - SA JEUNESSE À LA MARTINIQUE - L'OURAGAN DU 13 AOÛT 1766.

 

 

Depuis quatre mois la Martinique était redevenue terre française, la colonie s'était remise avec ardeur au travail et les ruines causées par la guerre se relevaient rapidement, lorsqu'un événement, attendu avec impatience, vint porter la joie dans la maison des Tascher, aux Trois-Ilets.

Le 23 juin 1763, après une première couche malheureuse, naissait une fille, à laquelle était donné le nom de Marie-Joseph[1]-Rose. Elle fut baptisée le 27 juillet 1763 :

Aujourd'hui vingt-sept juillet 1763, j'ai baptisé une fille âgée de cinq semaines, née du légitime mariage de Messire Joseph-Gaspard de Taschers, chevalier, seigneur de la Pagerie, lieutenant d'artillerie réformé et de Madame Marie-Rose des Vergers de Sa no i s, ses père et mère. Elle a été nommée Marie-Joseph-Rose, par Messire Joseph des Vergers, chevalier de Sanois et par Madame Marie-Françoise de la Chevalerie de La Pagerie, ses parrain et marraine soussignés : signé : Taschers de La Pagerie, des Vergers de Sanois, La Chevalerie de La Pagerie et frère Emmanuel, capucin, curé.

 

Le premier nom, Marie, lui était donné par son aïeule et marraine, Mme Marie de La Chevalerie de Tascher ; le second, par son parrain et aïeul maternel, M. Joseph de Sannois ; le troisième était celui de sa mère.

Mme de La Pagerie eût souhaité un fils, que son mari, ainé de sa maison, et les deux familles désiraient également Depuis plusieurs générations, le prénom de Joseph semblait privilégié dans la famille de Tascher. A défaut de ce fils, cette appellation fut maintenue pour la fille ainée.

En annonçant la naissance de ce premier enfant à sa belle-sœur, Mme de Renaudin, qui demeurait à Paris, Mme de La Pagerie écrivait le 29 juin 1763 :

Contre tous nos souhaits, Dieu a voulu me donner une fille. Ma joie n'en a pas été moins grande, puisque je la regarde comme un sujet qui redouble mon amitié pour votre frère et pour vous. Pourquoi aussi ne pas porter une idée plus avantageuse de notre sexe ? J'en connais qui réunissent de si bonnes qualités qu'il serait impossible de les rencontrer toutes dans l'autre. L'affection maternelle m'aveugle déjà, et me fait espérer que ma fille ressemblera à celles-là ; quand même je ne jouirais point de cette satisfaction, elle m'a déjà rendue sensible aux plus vifs sentiments que l'âme puisse ressentir.

 

La destinée devait lui réserver une bien autre illustration que celle qu'elle enviait pour ce fils tant désiré.

La coutume aux Antilles étant de donner un petit nom aux enfants, la da[2] Marion, la surnomma aussitôt Yeyette. A part la distribution extraordinaire de tafia qui fut accordée aux esclaves et les danses qui suivirent toute la nuit, au rythme monotone des tam-tam, rien d'exceptionnel ne marqua cette venue sur la terre et pourtant celle que la brave nourrice berçait dans ses bras, sous l'humble toit de l'habitation tropicale, était destinée à monter sur le trône de France, à devenir impératrice et reine r Six ans plus tard, le 15 août 1769, aussi dans une île lointaine, la Corse, devait naitre celui qui allait étonner le monde et permettre à la petite Yeyette de s'élever jusqu'aux suprêmes sommets : Buonaparte ! Vendue à la France, en 1768, par la République de Gènes, la Corse, après soumission complète, avait été définitivement annexée en juin 1769.

***

La mère de Joséphine, Rose Claire des Vergers de Sanois, était née dans le même village et avait épousé dans la même paroisse, le 9 novembre 1761, Joseph Gaspard de Taschers chevalier, seigneur de La Pagerie, né au Carbet (Martinique) le 5 juillet 1735, fils de Gaspard Joseph de Taschers, chevalier, seigneur de La Pagerie et de Saint-Mandé, successivement page de la Dauphine, lieutenant d'artillerie, capitaine de dragons, établi au quartier de Sainte-Marie, qui avait pour épouse Marie-Françoise Bourreau de La Chevallerie, dont le père était venu du Blésois[3].

Le père mourut au Trois-Ilets, le 6 novembre 1790 et la mère le suivit au tombeau le 2 juin 1807.

Ils avaient eu trois filles :

1° Marie-Joseph-Rose (Joséphine), née aux Trois-Ilets le 23 juin 1763, épouse en premières noces d'Alexandre de Beauharnais et en secondes noces de Napoléon ;

2° Catherine-Désirée, née aux Trois-Ilets le 11 décembre 1764, morte le 16 octobre 1777 ;

3° Marie-Françoise, née aux Trois-Ilets le 3 septembre 1766, morte le 5 novembre 1791[4].

Les Tascher[5] de La Pagerie descendaient en ligne directe de Pierre de Belain[6], sieur d Esnambuc et de Canouville — ou Quanouville —, le fondateur de la puissance française aux Antilles.

Pierre de Belain, né en 1580, dans le bourg d'Allouville, près d'Yvetot, presque à l'embouchure de la Seine, était gentilhomme normand, écuyer, et avait hérité de l'esprit aventureux de ses ancêtres, les Normands, dont les exploits au XVe siècle avaient étonné le monde par l'audace de leurs entreprises maritimes. La ville de Dieppe, centre de leurs excursions hardies, était devenue le grand port de notre commerce et de notre marine militaire. Poussés par l'esprit d'initiative, ses négociants armaient des navires destinés à de lointains voyages de découvertes, à la pêche de la baleine et aussi à la capture des galions espagnols qui revenaient d'Amérique charges de richesses.

L'insuccès des entreprises formées pour le Brésil et la Floride, n'avait point découragé nos navigateurs. Ils continuaient à parcourir l'Atlantique, explorant surtout la côte orientale de l'Amérique, depuis le 15e degré de latitude jusqu'au 50e. Quelques essais de colonisation avaient même eu lieu dans le nord, mais les résultats étaient restés sans importance. La Cour, préoccupée par ailleurs, n'accordait qu'une protection passagère aux braves colonisateurs qui s'efforçaient d'établir l'autorité française sur ces terres nouvelles, bonnes tout au plus, selon certains courtisans, à fournir quelques singes, perroquets ou sauvages, pour le divertissement des dames. C'est tout ce que Colomb avait rapporté de son premier voyage.

Mais, heureusement, l'intelligence de la nation suppléait à tout et l'immobilité même du gouvernement exaltait l'activité privée. Rien n'avait pu décourager les armateurs de Dieppe, comme ceux du Havre et de Saint-Malo. Les navires français, mal construits, mal armés, mais montés par des équipages intrépides, parcouraient les mers de l'Amérique, faisant la pêche, troquant des fourrures, et attaquant les galions d'Espagne à la sortie du golfe du Mexique. On les reconnaissait de loin à leurs voiles percées de boulets, à leurs tillacs couverts de matelots, et à ces flancs tapissés de mousses marines qui prouvaient la longueur de leurs courses[7].

Lorsque deux de ces navires se rencontraient en mer, ils se rapprochaient, pour se demander s'ils n'avaient aucun besoin ; les équipages buvaient l'un à l'autre, en tendant les gobelets par-dessus la lisse, et l'on se séparait après s'être souhaité de courir un bon bord. Premier exemple d'une fraternité nationale jusqu'alors inusitée sur l'océan, et que les autres peuples imitèrent plus tard, en usant les pavillons à la place des gobelets.

Les guerres de religion, qui avaient sévi durant tout le XVIe siècle, avaient ruiné la famille d'Esnambuc. Pierre avait vu son frère ainé contraint de vendre d'Esnambuc, la terre même dont il portait le nom. Cadet de famille, il n'avait que la ressource de la prêtrise ou des armes. Il choisit l'épée, car prêtre, les honneurs épiscopaux n'attendaient que ceux dont les familles étaient riches et puissantes, tandis que soldat, si la fortune lui souriait, il pouvait dans les hasards des batailles se créer un nom, acquérir la richesse et faire souche illustre. Il allait demandera la nier une fortune que le hasard de la naissance lui avait refusée. L'attrait du merveilleux l'incitait. Imbu de l'esprit militaire, habitué dès l'enfance au fracas et au maniement des armes, audacieux et intrépide, il ne rêvait que courses folles sur 1 Océan Atlantique et le privilège de s'établir, en toute liberté, sur une terre où il pourrait à sa guise commander et guerroyer, se battre en duel et parler haut, au mépris des lois édictées par Monsieur le Cardinal qui absorbait dans sa soutane rouge tout le sang noble et généreux de la France et l'écrasai t pour mieux la rendre grande et une.

Ce que racontaient les aventuriers, des fabuleux pays découverts par Colomb, Cortès et Pizzaro, imprimait un vif mouvement à la jeunesse ardente qui emportait dans ces courses lointaines tant d'espoirs vers de si grandes destinées. Le Nouveau Monde ne pouvait rester la propriété du roi d'Espagne. Sous prétexte de reconquérir le patrimoine fraternel perdu, de Belain arma un brigantin et partit en chasse pour les Antilles. Son imagination avait été enflammée par le récit des fortunes rapides et brillantes acquises dans ces expéditions aventureuses et il n'avait pu résistera l'attrait des espaces sans bornes à sillonner, à cette fiévreuse activité qui secouait toute l'Europe et emportait tant d'esprits, vers l'Amérique. Et c'est ainsi, que d'une victoire chèrement acquise[8] naquit notre puissance coloniale aux Antilles.

Jusqu'en 1625, de Belain exerça le métier, fort honorable alors, d'écumeur de mer, capturant les navires étrangers qui voguaient sur la mer des Antilles. Il acquit rapidement une si solide renommée de soldat courageux et de marin consommé que le roi, pour le récompenser, le nomma capitaine dans sa marine. Les matelots se présentaient en foule pour servir sous ses ordres et tenter avec lui la fortune. Ayant choisi quarante hommes, habiles dans le métier de marins, il partit avec son brigantin, armé de quatre pièces de canon et de quelques pierriers, pour les Grandes Antilles. Un capitaine de la marine royale, le sieur de Rossey, esprit faible et changeant, qui avait tout essayé sans rien poursuivre, lui ayant offert ses services, il lavait enrôlé comme second. Il s'était fait l'ombre du capitaine Belain d'Esnambuc et jurait de marcher au même pas.

Tout d'abord la course ne fut pas bonne. Après avoir vainement battu la mer sans rencontrer tin seul galion, son navire ayant besoin de réparations, il relâcha, pour se radouber, dans une des iles Caymans, sises entre Cuba et la Jamaïque. Il avait a peine mouillé dans une baie convenable qu'il vil apparaître un galion espagnol de 36 canons. Toute fuite était impossible, il fallait livrer combat. Les Espagnols, fiers de leur supériorité, s'empressèrent de commencer la lutte. Intrépide, courageux, d Esnambuc accepte le combat, fait couper ses câbles, hisser les voiles et prend de flanc le galion en lâchant sa bordée. Ses canons, admirablement servis, et pointés avec une grande précision, exercent de terribles ravages dans les rangs ennemis. Effraye, craignant la fin, l'Espagnol se dérobe et prend la fuite. La victoire restait à d'Esnambuc mais elle avait été chèrement gagnée. La mort avait fauché une bonne partie de ses compagnons et beaucoup de blessés réclamaient des soins urgents. Le brigantin coulait bas d'eau et les agrès étaient hachés. Il n'était pas prudent de rester aux Caymans, le galion espagnol pouvait revenir et alors toute lutte serait inutile. D'Esnambuc, après avoir fait rapidement boucher tant bien que mal les voies d'eau et réparer les agrès, fit voile pour l'île que Colomb avait, en 1493, nommée Saint-Christophe, où il ne tardait pas à atterrir.

Cette ile volcanique, que les Caraïbes désignaient sous le nom de Liamaiga, était verdoyante et belle. Couverte d'arbres dans sa partie élevée, elle étendait au loin, dans la plaine, de magnifiques prairies et profilait dans son centre une jolie chaîne de montagnes, formée par trois foyers principaux, se détachant nettement sur le ciel bleu. La plus septentrionale de ces montagnes avait projeté un morne de 507 mètres d'élévation dont l'ancien cratère offrait une surface de vingt hectares et, au sommet, au milieu de la végétation tropicale, se trouvait un lac de trois hectares d'étendue. Une forêt de palmistes couvrait tout le surplus. Des fissures de cette montagne s'échappaient plusieurs sources thermales sulfureuses[9].

Le centre de l'île était occupé par un volcan (Saint-Patrick), d'une hauteur et d'une étendue à peu près égales à l'autre. Le territoire méridional était formé par une grande péninsule (Les Salines). A deux lieues, au large, on apercevait d'un côté l'île de Saint-Eustache et de l'autre, à une lieue, l'île de Nièves.

C'est là que d'Esnambuc, après une rapide exploration de la côte du vent et séduit par la position et la fertilité du pays, d'accord avec ses compagnons, résolut de fonder un établissement, le noyau futur des possessions françaises aux Antilles.

A Saint-Christophe, d'Esnambuc avait trouvé des compatriotes, normands comme lui, qui avaient conquis une partie de l'ile sur les Caraïbes. Il obtint leurs droits et se rendit ainsi maître de deux forts, es quels il y avait quatre vingts hommes et des munitions pour leur conservation et aussi des esclaves jusques au nombre de quarante. Puis, il se rendit en France, son brigantin chargé de tout ce qu'il avait trouvé de plus curieux dans l'île, et surtout de petun, dont l'usage était très recherché à la Cour. M. de Nicot, ambassadeur de France au Portugal en avait envoyé à Catherine de Médicis et adopté aussitôt par les grands seigneurs, le tabac était devenu un objet de mode. Les gentilshommes les mieux recommodés ne marchaient plus sans leurs petite carotte de petun et leur petite râpe sculptée fabricant eux-mêmes, aux cercles de la Cour, dans les ruelles et jusque dans les églises, cette poudre de la reine. Les prédicateurs du temps se plaignaient beaucoup de cet usage, prétendant que le bruit des râpes dans les églises empêchait d'entendre la parole sainte.

D'Esnambuc vendit sa cargaison entière de tabac à raison de dix francs la livre, ce qui lui permit de paraître à la Cour avec force plumes, velours et soiries, et dans l'équipage d'un homme qui avait découvert un nouveau Pérou. Aussi ne fut-il bientôt question que du capitaine normand et des merveilles qu'il racontait de ces Ant-Isles. Le cardinal de Richelieu voulut voir d'Esnambuc, il l'écouta avec attention, se fit montrer sur une carte la position des îles Caraïbes, s'informa de leur étendue, de leurs productions, puis promit d'en parler au Roi.

Peu de jours après, d'Esnambuc reçut une commission qui l'autorisait, ainsi que son compagnon de Rossey, à former des établissements tant à Saint-Christophe que dans les autres ant-isles de l'Amérique, leur en concédant pour vingt ans tous les produits, même celui des mines d'or et d'argent qui, selon l'avis des indiens se trouvent en icelles, à la seule charge de payer au roi le dixième de tous ces produits, et de maintenir les pays colonisés sous sa domination. La commission est datée du 31 octobre 1626, signée Armand, Cardinal de Richelieu ; sur le replis, Martin, et scellée en double queue de cire rouge.

Comme d'Esnambuc et Rossey manquaient d'argent, le Cardinal forma, sous le nom de Compagnie des Iles de l'Amérique, une association de seigneurs, avec apports de 145.000 livres, afin d'acheter 3 navires, des armes, des vivres, et payer les gages des 500 engagés, tant normands que bretons, que l'on emmenait. A sa part contributive, 2.000 livres, Richelieu ajouta un vaisseau tout équipé.

Notre expansion coloniale aux Antilles date de cette époque.

***

La famille de Tascher de la Pagerie, descendant de celle de Belain d'Esnambuc, était originaire d'Orléans. Le fief était situé en la paroisse de Saint-Mandé, réunie aujourd'hui à la commune de Viévy-le-Rayé, Loir-et-Cher. Noble d'extraction, elle apparaît dès le XIIe siècle. Nicolas Tascherii est témoin d'une donation faite en 1157 à Saint-Mesmain d'Orléans. Suivant un acte, émanant de Menassès II, de Garlande, évêque d'Orléans, Renault de Tascher est en Palestine en 1191, sous la bannière de Thibault, comte de Blois. En 1226, Nicolas Tascherii donne à Saint-Euverte d'Orléans sept arpents de vigne. En octobre 1309, le chevalier Ferricus Tascherii obtient du roi Philippe le Bel, la haute justice de Garges, dans l'Ile de France. En 1314, cette concession est confirmée par une sentence du prévôt de Paris[10].

Au XIVe siècle, les Tascher passent dans le Perche et s'établissent dans les environs de Châteauneuf en Thimerais. La filiation s'établit à partir de Guillaume Tascher, écuyer, cité en 1450, 1462, 1466. Il était seigneur de Brémeau, terre relevant de Courville et de Romphays et tenait un rang considérable dans le pays.

Ce gentilhomme épousa Jeanne de Chaumont, citée en 1467, morte en 1473, fille de Michelet, écuyer, et de Catherine de Romphays. Il en eut deux filles et six fils. L'aîné, Imbert de Tascher, écuyer, cité en 1477, 1481, 1495, mort avant 1514, fut seigneur de Romphays. Le chef de ce fief, situé en la paroisse de Bellomer, consistait en un manoir clos à fossés et eau, avec colombier, pressoir, jardins, une plesse et une petite noë. De Jeanne du Bois des Cours, sa femme, fille de Menault, écuyer, Imbert de Tascher laissa Jean de Tascher, écuyer, marié à la fille de Geoffroy de Mesgardon, écuyer, seigneur de Mallassise, en la paroisse de Dangeau.

Ce dernier fut père de Charles de Tascher, écuyer, cité en 1540, qui épousa Isabeau des Loges. Il en eut Vincent de Tascher, écuyer, seigneur de la Pagerie, Paliéteau et autres lieux, vivant dans le Blaisois en 1565, marié à Louise de Racines.

Isaac de Tascher, écuyer, seigneur de la Pagerie, Paliéteau, etc., issu de ce mariage, épousa Louise de Phélines, en 1595. Il en eut Pierre de Tascher, écuyer, Seigneur de la Pagerie, allié à Jeanne de Ronsard, fille de Gilles de Ronsard, écuyer, neveu de l'illustre poète. Il laissa François de Tascher, chevalier, seigneur de la Pagerie, commandant en 1674 la noblesse des baillages de Blois et d'Ftampes qui avait épousé Pétronille-Sophie d'Arnoul ; dont il eut Gaspard, de Tascher, chevalier, seigneur de La Pagerie, marié en premières noces, le 6 février 1690, à Edmée-Henriette-Madeleine du Plessis de Savonnières, en secondes noces à Anne-Marguerite Bodin de Boisrenard. Né le 12 avril 1671, il mourut au Château d'Herbaut, le 23 juin 1750.

Son fils, Gaspard-Joseph de Tascher de La Pagerie, né à Blois, le 15 septembre 1705, du premier mariage, passé à la Martinique en 1726, épousa au Carbet, le 10 août 1734, Marie François Boureau de la Chevallerie. Il en eut cinq enfants :

1° Joseph-Gaspard de Tascher, chevalier, seigneur de la Pagerie, né au Carbet, le 5 juillet 1735, père de Joséphine ;

2° Marie-Euphémie-Désirée de Tascher de La Pagerie, née à Sainte-Marie, le 10 janvier 1739, mariée en 1759 à Alexis-Michel-Auguste de Renaudin, chevalier, major des milices de Sainte-Lucie ;

3° Marguerite-Robert de Tascher de La Pagerie, lieutenant de vaisseau, chevalier de Saint-Louis, né à Sainte-Marie le 5 mai 1740, mort le 18 mars 1806, marié le 26 juin 1770 à Jeanne Le Roux de Chapelle. L'auteur de la branche ducale de La Pagerie ;

4° Marie-Paule de Tascher de La Pagerie, mariée en 1759 à Louis-Julien Le Jeune du Gué, écuyer, ancien mousquetaire, chevalier de Saint- Louis.

5° Françoise-Rose (Rosette) qui resta vieille fille et mourut à Fort-Royal sous le Second Empire.

***

La trisaïeule de Joséphine, Adrienne de Graville, avait épousé Jacques Jaham Desprez[11], sieur de Vert-Pré, capitaine de milice à la Martinique.

Jacques Jaham Desprez était fils de Jean Jaham Desprez, sieur de Vert-Pré, capitaine au Marigot en 1671, né en 1610, mort en 1685, et avait épousé Françoise Massé de Beauvoir.

La bisaïeule de Joséphine, Marie-Thérèse Jaham Desprez, née le 11 décembre 1686, au Carbet, était sœur de Jacques Jaham Desprez, doyen du Conseil souverain de la Martinique en 1710, marié à Marie-Anne Levassor de La Chardonnière. Elle avait épousé François Boureau de La Chevalerie.

L'aïeule de Joséphine, Marie-Françoise Boureau de La Chevalerie, née au Carbet, le 3 avril 1709, était fille de François Boureau, sieur de La Chevalerie, lieutenant de milice à la Martinique avant 1708, et de Marie-Thérèse Jaham Desprez. Elle avait épousé, le 10 août 1734, Gaspard Tascher de La Pagerie.

François Boureau de La Chevalerie était fils de Jacques Boureau, sieur de La Chevalerie, prévôt de la maréchaussée de Langeais, marié à Saint-Patrice (Indre-et-Loire) le 22 mai 1767, à Anna Hubert, veuve de Jean Le Pelletier, écuyer, sieur de Beaupré, capitaine de milice à Saint-Christophe, et sœur d'Elisabeth Hubert, femme de Giraud de Poyet, écuyer.

La mère de Joséphine, Rose-Claire des Vergers de Sanois, née aux Trois- Ilets, était fille de François des Vergers, seigneur de Sanois[12], d'Annet, d'Auroy, de Maupertuis, d'Aufferville, etc., et de Marie-Catherine Françoise Brown ; elle avait épousé Joseph-Gaspard de Tascher de La Pagerie aux Trois- Ilets, le 9 novembre 1735, lieutenant d'artillerie.

***

Les Tascher de La Pagerie ont été nombreux à la Martinique. Pour les généalogistes, nous donnons, ci-dessous, quelques dates recueillies au cours de nos recherches :

Jean-Henri de Tascher, né le 6 octobre 1809 est mort à la Martinique vers 1864.

Jean-Baptiste-Louis-Eugène-Napoléon de Tascher, consul de France, est né au Lamentin, le 7 avril 1815 et est mort le 5 janvier 1824.

Marie-Louise-Amélie de Tascher est née au Lamentin le 10 février 1813 et est morte à Paris le 21 décembre 1873.

Marie-Jeanne-Clémence de Tascher, est née le 12 septembre 1821 et est morte à Saint-Pierre en 1889.

Louis-Rose-Léonce de Tascher, Commissaire de l'immigration à la Martinique, est né le 20 mai 1819 et est mort à Saint-Pierre le 29 juillet 1871.

Léon-Félicité-Théobald de Tascher, est né le 25 décembre 1835 et est mort à Paris le 4 avril 1874.

Louis-Marie-Robert-Jules de Tascher, est né le 29 juillet ? ?.....

Charles-Marie-Joseph de Tascher, est né au Prêcheur le 26 février 1817 et est mort à Saint-Pierre le 6 août 1853.

Eugène-Auguste-Alexandre-Louis de Tascher est né à Francfort le 6 novembre 1812. — Il fut capitaine de port à Saint-Pierre, puis consul de France, et mourut en exil le 18 décembre 1838.

Charles, duc de Tascher, Grand maître de la maison de l'Empereur, est né le 13 août 1811 et est mort le 3 février 1869.

Le père du vieux comte de Tascher, cousin germain de Joséphine, l'aîné de la famille, est mort à Paris en 1849. Il avait été Grand maître des cérémonies de l'Impératrice Joséphine. De sa femme légitime, il eut trois fils : 1° le comte Charles de Tascher, maître des cérémonies, adjoint au Palais de l'Empereur ; 2° Emile de Tascher, officier d'ordonnance de l'Empereur ; 3° le surnommé Fanfan : De sa maîtresse, une mulâtresse, Mme Adélaïde Mallevant, il eut trois filles dont une devint la mère du mulâtre Bissette. Mme Mallevant était très connue à la Martinique sous le nom de baronne Tascher. Elle avait été sa maîtresse avant son mariage et l'était restée après. Elle était très belle et très blanche de peau. Une de ses filles, Mme Frappant, aussi très belle, ressemblait beaucoup à Joséphine.

La sœur d'Emile Tascher, officier d'ordonnance de l'Empereur, fut la dernière du nom à la Martinique. Elle demeurait et mourut aux Trois Ilets. Pauvre, elle faisait l'école aux petits noirs de la commune et recevait une rente de non francs de l'Empereur.

***

Les touristes visitent rarement le coquet petit village des Trois Ilets. Ce village est situé trop loin de Fort-de-France, de l'autre côté de la baie — 8 kilomètres par mer, 35 km. 333 par terre. La population de la commune est de 5.253 habitants. A deux kilomètres et demi du bourg se trouvent les ruines de L'ancienne sucrerie et de l'habitation La Pagerie. Sur un vieux pont de pierres on traverse la rivière, aujourd'hui simple ruisseau, qui porte le nom pompeux de Rivière La Pagerie, presque desséchée par suite du dé boisement des collines environnantes, et l'on voit dans un encaissement de montagnes les ruines : à droite de la route, celles de l'habitation proprement dite, dont la cuisine seule reste debout, et à gauche, celles de la sucrerie, dont la cheminée carrée, en briques rouges, perce un dôme de verdure. La végétation tropicale monte à l'assaut de ces vieilles pierres.

Deux cents mètres plus loin, par la route qui longe le ruisseau, on voit l'endroit où jadis la gracieuse Yeyette allait se baigner, à l'ombre d'un gros manguier qui ombrageait l'eau claire et protégeait du soleil son beau corps de jeune fille[13]. Le manguier n'existe plus, les noirs l'ont coupé pour en faire du charbon. La population qui cultive les anciens champs de cannes ignore les événements qui ont marqué la vie prestigieuse de l'Impératrice, la grandeur des fastes napoléoniennes et, inconsciente du passé, elle passe sans jeter un regard sur ces vestiges mémorables.

Le village lui-même se dresse dans un vaste et sombre encadrement, dans une sauvage aspérité, au milieu de mornes sourcilleux et rapides dont les anfractuosités recèlent des falaises abruptes, des gorges profondes, au fond desquelles, au moment des grandes pluies, se précipitent et roulent avec fracas, sur leurs lits de roches, des torrents impétueux. Ces mornes limitent les Trois Ilets avec le Diamant el les Anses d'Arlets.

Devant le village, dans la baie, trois îlots, assez rapprochés, auxquels il emprunte son nom.

Au milieu du village, l'église où Joséphine fut baptisée, ainsi que ses sœurs, et où reposent son auguste mère, à côté de son père et ses deux sœurs. Ils avaient été tous enterrés dans le cimetière, contigu à l'Eglise, mais le 18 août 1891, un cyclone ayant détruit l'édifice, le maire des Trois-Ilets, M. Gabriel Hayot, décida de l'agrandir et deux ailes furent ajoutées au bâtiment primitif datant des premiers temps de la colonisation. L'église restaurée a ainsi la forme d'une croix. Pour édifier l'aile gauche, il a fallu empiéter sur le cimetière et englober une partie des tombes, justement celles de la famille de Tascher. Le marbre indiquant le tombeau de la mère, portant en lettres dorées les inscriptions désignées par l'Empereur, se trouve par suite à l'intérieur de l'église.

Dans l'aile droite, on voit une belle copie de l'Assomption de Murillo, don de l'Empereur Napoléon III, en 1866.

A l'occasion du centenaire de la mort de Napoléon Ier, une belle cérémonie se déroula le 5 mai 1921 dans cette humble église. Sur la façade d'entrée, un marbre commémore cet événement.

La place, devant l'Eglise, est paisible et déserte. Elle ne marque d'animation que le dimanche, à l'heure des cérémonies.

Par les soins de M. Gabriel Hayot, un petit musée a été récemment constitué, non loin de l'église. Il comporte quelques reliques, surtout des gravures. On y voit un berceau et un lit de jeune fille, que l'on dit avoir appartenu à Joséphine. L'authenticité est plus que douteuse, mais ces meubles sont bien de l'époque, du style à colonnes. Ils ont figuré à l'Exposition Coloniale de 1931, à Paris.

***

Avec le même recueillement que les pèlerins qui visitent les lieux saints, j'ai pénétré dans cette humble église et, seul, pensif, j'ai vécu successivement par la pensée les heures pieuses où la chaste petite Yeyette venait plonger ses doigts mignons dans le bénitier de marbre ; la sortie de l'église, au son des cloches, accompagnée de ses sœurs, précédant le père, grave et solennel, et la mère, douce, affectueuse, distribuant des aumônes aux pauvres et des sourires aux amis. Puis, l'existence mouvementée, le voyage en Europe, le premier mariage, le veuvage, la prison, les pages glorieuses de l'éblouissante carrière du Corse, au profil d'aigle, aux cheveux plats, l'ascension de la belle créole au trône de France, le divorce — Waterloo, Sainte-Hélène !

Pour voyager dans le passé, il faut fermer les yeux. Derrière les paupières closes, quel merveilleux écran ! un éblouissement d'uniformes variés et chatoyants, bordés d'or ou d'argent ; des dolmans chamarrés de brandebourgs, des pelisses en sautoir, des fourrures, des casques aux crinières flottantes, des plumets multicolores, des aigrettes, des toilettes féminines merveilleuses, des bijoux somptueux, des perles, des diamants !

C'est alors que j'ai conçu le dessein d'écrire ce livre qui n'est pas une œuvre d'imagination mais de compilation et que j'offre à mes bons amis de la Martinique, toujours si accueillants, si empressés. La plupart des lettres de Joséphine contenues dans ce volume ont été déjà publiées par M. Frédéric Masson, et par Mme Bochsa, la nièce de Mme de Genlis, les autres ont été extraites de la collection Margry, nouvellement acquise par la Bibliothèque Nationale (manuscrits n° 9324 et suivants) ; celles de Napoléon ont été réunies et préfacées par le Dr Léon Cerf et par le bibliophile Pol André, dans un volume, Œuvres amoureuses de Napoléon, dont la plus grande partie avait déjà paru dans le Recueil des lettres de Napoléon à Joséphine[14], publié en 1833 par la reine Hortense. Ce n'est pas sans émotion que l'on relit ces lettres, que l'on feuillette les documents jaunis par le temps et qui dégagent tant de parfums, tant de gloire, reflétant les ambitions, les intrigues, les splendeurs, les joies et les tristesses de cette époque irradiante qui appelle les âmes. Sous les cendres du temps on retrouve le feu de la vie et de l'amour, une sensibilité désespérée, un immense besoin d'aimer et d'être aimée, une fatale disposition à pleurer et à souffrir.

***

Yeyette a maintenant trente-quatre jours. Le baptême a été fixé au 27 juillet 1763. Marion a revêtu sa robe de gala, toute moirée de fleur, sa chemise de batiste fine ajourée aux manches courtes, retenues par des boutons de corail, son grand foulard de soie, son collier de grains d'or, ses cuocs[15], ses belles broches aux larges camées, sa tête calendée. Fièrement elle porte l'enfant sur son bras, suivie par le parrain, messire Joseph des Vergers, chevalier, Seigneur de Sanois, son grand-père maternel, et la marraine, Marie-Françoise de La Chevallerie de La Pagerie, sa grand mère maternelle.

Le curé, sur ce front qui plus tard portera une couronne, dessine avec de la cendre le signe de la rédemption divine et ensuite, à la Sacristie, enregistre l'acte de baptême qui est signé par les parrain et marraine et contresigné par le curé Emmanuel.

La date exacte de la naissance de Joséphine a été beaucoup discutée[16] quoique celle du 23 juin 1703 nous semble parfaitement établie. La confusion vient de ce que, plus tard, Joséphine très coquette, a toujours voulu se rajeunir et que, par exemple, lors de son mariage le 9 mars 1796, avec Bonaparte, elle donna à l'état civil la date du 23 juin 1767, gagnant ainsi quatre années sur le temps. C'est que Bonaparte avait six années de moins qu'elle et une femme de trente-deux ans peut paraître vieille à un homme de vingt-six. Etait-ce un bien gros péché ? Le Cardinal de Richelieu, lorsqu'il voulut obtenir la confirmation papale de sa nomination à l'évêché de Luçon, étant de quatre ans au-dessous de l'âge canonique — il n'avait alors que vingt et un ans —, ne s'attribua-t-il pas lui aussi un faux acte de baptême ? A l'appui de son assertion il produisit l'acte falsifié de celui de son frère aîné, Henri.

Sa sœur Marie-Françoise ayant été baptisée le 6 avril 1767, elle fit tout simplement la transposition de l'année. Ultérieurement, certains biographes, se basant sur cette supercherie, ont donné pour épouse à Napoléon 1er, Marie-Françoise, née le 3 septembre 1766 baptisée, le 6 avril 1767.

Le duc de Tascher qui réside aux environs de Saint-Quentin, possédait un portrait de Joséphine, au bas duquel on lisait l'inscription suivante :

MARIE-FRANÇOISE TASCHER DE LA PAGERIE

IMPÉRATRICE DES FRANÇAIS. 1814.

PEINT PAR LETHIÈRE, GRAVÉ PAR WEGER.

et au-dessous : GALERIE ARTISTIQUE DE VERSAILLES[17].

 

Or, Marie-Françoise est morte aux Trois Ilets le 5 Novembre 1791, n'ayant jamais quitté la Martinique.

A Noisy-le-Grand, lors de son premier mariage avec de Beauharnais, le 13 décembre 1779, l'âge exact avait été fourni : le 23 juin 1763. Elle n'avait alors que seize ans et la supercherie n'avait pas sa raison d'être.

Autre confusion : l'acte d'inhumation de Joséphine, déposé à la mairie de Rueil (Seine-et-Oise) stipule :

Le 2 juin a été inhumé dans l'église de cette paroisse, par autorisation du Ministre de l'Intérieur, l'Impératrice Joséphine, née Marie-Joséphine-Rose Tascher de La Pagerie, le 24 juin 1768, mariée le 8 mars 1796 à Napoléon Bonaparte, etc.

 

Dès qu'elle se sentit vieillir, Joséphine cacha son âge. Il en est de même de toutes les femmes. Lors de son incarcération aux Carmes, elle avait trente et un ans, elle en déclara vingt-huit.

Deux passeports, délivrés après sa libération, quoique différents d'une année, portent l'âge de vingt-neuf ans :

27 messidor, an III.

Les autorités constituées, tant civiles que militaires, sont requises de laisser librement passer et de prêter au besoin aide et assistance à la citoyenne Marie-Joseph-Rose La Pagerie, épouse d'Alexandre Beauharnais, et sa femme de chambre allant à Fontainebleau : Signalement de la citoyenne Beauharnais : Age vingt-neuf ans, taille cinq pieds, nez et bouche bien faits, yeux orange, cheveux et sourcils brun foncé, figure allongée, menton un peu saillant.

Les membres du Comité de sûreté générale : CHÉNIER, BAILLEUL, BERGOEING.

 

et, le 5 brumaire, an IV.

Les autorités civiles et militaires laisseront librement passer la citoyenne Marie-Joseph-Rose La Pagerie, veuve d'Alexandre Beauharnais, allant à Fontainebleau avec son fils âgé de quatorze ans.

Signalement de la citoyenne Beauharnais :

Agée de vingt-neuf ans, taille de cinq pieds, yeux noirs, cheveux châtains, bouche petite, menton rond, front moyen, nez petit.

Les membres du Comité de Sûreté générale : PERMATIN, CALES, KERVELEGAN, COLLOMBEI, GAUTHIER

 

L'âge varie ainsi que les détails sur sa personne ; dans l'un des passeports, Joséphine a les yeux orange, dans l'autre les yeux noirs ; dans l'un les cheveux châtains, dans l'autre brun foncé, dans l'un le menton saillant, dans l'autre le menton rond. Que de mignons mensonges !

On trouve d'ailleurs de pareilles contradictions dans tous les documents de l'époque, à la Martinique comme dans la métropole. Les actes d'alors étaient formulés sans précision et sans preuves. Le plus surprenant, c'est que l'on trouve l'acte de décès de Joséphine aux Trois Ilets alors qu'elle repose à Rueil. On se demande comment le brave Frère Marc, a pu se tromper à ce point :

Le 5 novembre 1791, Nous Soussignés, curé de la paroisse des Trois Ilets, avons inhumé dans le cimetière de la dite paroisse, le corps de feue Mme Marie-Joseph-Rose, fille légitime de feu Messire Joseph-Gaspard Tascher de La Pagerie et de Dame Marie-Rose des Vergers de Sanois, veuve Tascher de La Pagerie, décédée hier, après avoir reçu les sacrements de l'Eglise, et souffert une longue et cruelle maladie avec édification : ont assisté à son enterrement MM. les Soussignés et plusieurs autres qui ne signent, de ce enquis.

POUQUET de PUIYHERY, d'AUDIFFRET, DURAND CADET-CLEUET, J. GOUJON, TASCHER, F. MARC, Capucin curé des Trois Ilets.

 

Il s'agit évidemment de Marie-Françoise.

***

De l'enfance de Joséphine à la Martinique nous avons une précision dans la lettre qu'elle écrivit à ses enfants, le 9 thermidor, la veille de sa sortie de la prison des Carmes, alors qu'elle se préparait à la mort sur l'échafaud : Entourée d'esclaves et surtout des soins attentifs de la toute dévouée Marion[18].

Jusqu'à l'âge de dix ans, elle vécut en pleine liberté, courant à travers les champs de cannes, cueillant le long des allées les fleurs sauvages, les mangles, les goyaves, les abricots, les sapotes, les oranges, les bananes, les fruits défendus, les prunes-mombins dont le jardin abondait ; chassant les papillons et les oiseaux-mouches ; apprenant à danser la biguine et chantant des airs créoles.

La danse surtout, à la lueur des torches rouges dans la nuit noire, au son d'un tam-tam, l'attirait. Enlevés à leur tribu par la force, les esclaves retrouvaient dans la danse l'esprit de leurs lieux de naissance, car, en Afrique, chaque région a ses danses et ses rythmes propres, chaque danseur son sens du mouvement qu'il interprète à sa guise. Il brode à l'infini sur le même thème et sur la même musique et peut pousser ses interprétations spontanées, jusqu'au sublime de l'effort, de la souplesse et de l'équilibre.

Le nègre est né danseur et il est tout entier à la danse ! La foule qui l'entoure l'encourage de ses chants, rit avec lui, s'incarne à lui. Il danse dès qu'il sait marcher et rien n'est plus gracieux que de voir les jeunes louveteaux, nus et potelés, esquisser avec un sérieux absolu les pas des danses qui les entraînent à leur tour dans la coutume des ancêtres.

Tandis que les danseurs ondulent comme une grande masse de lave, on distingue un tout dont le motif principal est l'amour brutal et dont le cœur qui bat est le tam-tam. C'est la symphonie noire par excellence ! Elle s'accomplit avec une certaine majesté, sous ces divins clairs de lune des Antilles, dans l'éther de ces nocturnes enchanteurs aux lueurs de mercure, dans lesquels voguent les nuages majestueux aux teintes perles.

Lorsque le soleil s'est couché dans un éblouissement de couleurs, que les alizés ont cessé de chanter à travers les cocotiers, les filaos, les manguiers et les palmiers, tout à coup on entend les premiers appels du tam-tam s'égrenant à travers la plaine, vibrants, entraînants : un frissonnement de plaisir parcourt les cases, tous les nègres, jeunes et vieux, se balancent et marquent la mesure. En hâte, ils accourent. Le démon de la danse a repris la race. Qu'importe les fatigues, la misère, les chagrins. Ils vont danser comme leurs aïeux dansaient il y a dix siècles, la bamboula.

Joséphine partageait les jeux de ses esclaves, parce qu'elle n'était ni insensible à leurs peines ni indifférente à leurs travaux, nous dit-elle. La bonté émanait déjà de son cœur. C'est pour enrichir des maîtres barbares que ces infortunés furent retranchés de la vie commune du genre humain ; c'est pour assouvir l'avarice américaine qu'ils végètent nus, sans asile, sans propriété, sans honneur, sans liberté. c'est pour éveiller les voluptés de l'Europe qu'ils sont dès l'enfance, pour la vie, et sans espoir, condamnés à ces supplices. Cependant les tyrans, dont ils sont les esclaves, ou pour mieux dire les bêtes de somme, se gorgent de richesses, s'enivrent de jouissances, sont rassasiés de plaisirs. Fiers d'une couleur qui n'est qu'un hasard de la nature, orgueilleux de quelques connaissances qui pourtant les tiennent à plus de distance des européens instruits que les noirs n'en conservent relativement à eux, non seulement ils oublient qu'ils sont chrétiens, mais encore qu'ils sont hommes. Et pour comble de cruauté, ils érigent en droits leur conduite impie, et justifient par des sophismes d'inquisiteurs un régime de cannibales.

Et c'est parce que Joséphine a poussé ce cri d'humanité que le vindicatif Barras a écrit : même dans sa jeunesse à la Martinique elle a marqué un goût particulier pour les nègres, et que les écrivains modernes, en quête de scandale, ont exploité cette phrase.

Joséphine avait beaucoup de cœur et beaucoup de jugement, l'esprit ouvert, les idées larges, aussi elle adopta, après 1789, avec empressement, les idées nouvelles, mais il faut reconnaître que le tableau général qu'elle fait de la colonie et ses déclarations sur la barbarie des colons blancs est exagéré. Beaucoup de maîtres étaient adorés de leurs esclaves, dont ils reçurent des marques d'un dévouement sans borne, à l'époque horrible des massacres. Plusieurs propriétaires des îles étaient même cités comme des modèles d'humanité et de bienfaisance et, dans ma tendre jeunesse[19], j'ai connu de vieux congos[20] qui regrettaient le bon temps de l'esclavage. Alors, ils avaient l'avantage d'être bien logés, bien nourris et ne travaillaient pas plus durement.

A la Martinique, il était même, alors, parmi les esclaves, un proverbe courant : heureux comme un nègre à Gallifet ? En effet, chez M. de Gallifet, les nègres étaient bien nourris, bien soignés et recevaient même, lorsqu'ils remplissaient bien leurs tâches, de l'argent et un petit coin de terre qu'ils cultivaient à leur profit. Lorsqu'ils étaient malades, les soins les plus grands leur étaient prodigués.

La servitude des noirs aux colonies n'était pas, comme on le pense généralement, un pesant despotisme qui accablait une masse de malheureux pour permettre à quelques rares privilégiés de jouir en paix d'immenses fortunes. Le maître n'avait pas sur son esclave l'autorité absolue du barbare africain. Il y avait bien quelques mauvais maîtres, mais les lois réprimaient les abus et la justice savait au besoin intervenir et les frapper durement.

Le 20 octobre 1670, le Conseil Souverain de la Martinique, cassa de ses fonctions un officier de milices, pour mauvais traitements envers ses esclaves, le condamna à 4.000 livres de sucre d'amende et lui interdit, à l'avenir, l'exercice d'aucune fonction publique.

Le 9 novembre 1707, il prononça une amende de 500 livres contre Gratien Barreau, lui ordonna de vendre dans le délai de quinze jours tous ses esclaves et lui fit défense d'en posséder à l'avenir.

Le 7 novembre 1735, la mulâtresse libre, Marthe Roblot, fut punie d'une amende de 1.500 livres, avec interdiction de toute puissance et autorité sur les esclaves et injonction de mettre les siens sous une direction étrangère, à peine de confiscation desdits esclaves.

En règle générale, les maîtres ont été bons et compatissants pour leurs esclaves ; en retour, ceux-ci ont montré un attachement inviolable à leurs maîtres, et, lors des troubles qui ont agité les colonies, beaucoup d'entre eux ont fait preuve d'une fidélité absolue, d'un dévouement sublime allant jusqu'au sacrifice de leurs vies.

A la Guadeloupe, lorsque l'implacable Victor Hugues, pour en chasser les Anglais, donna aux nègres une mensongère liberté et les appela sous les armes, ils répondirent à l'appel du conventionnel mais conservèrent néanmoins, du moins pour la plupart, une grande affection pour leurs maîtres exilés et dont les biens avaient été séquestrés. C'est ainsi qu'une dame Lesueur, qui avait émigré en 1794, osa revenir à la Guadeloupe en 1796, pour reprendre possession de la propriété qu'elle possédait sur la montagne Saint-Louis. Hugues refusa de la laisser débarquer. En apprenant la nouvelle, cent des anciens esclaves de Mme Lesueur descendirent à Basse-Terre, et entourant la demeure du Proconsul, réclamèrent à grands cris leur maîtresse. Ils furent dispersés à coups de baïonnettes et les plus récalcitrants jetés en prison.

Après le départ de Hugues, l'esclavage rétabli par Richepanse, ils s'empressèrent de rallier, avec une grande joie, leur ancienne maîtresse, revenu de l'exil, et se courbèrent sans murmurer sous une loi qui leur semblait plus douce qu'une liberté misérable et tyrannique.

Les hommes aventureux qui fondèrent les colonies françaises ne pouvaient avoir que les idées de leur siècle. Après avoir conquis ces pays merveilleux, ils essayèrent de réduire en esclavage les Caraïbes qui les occupaient ; la lutte fut atroce, ces populations guerrières refusant de se soumettre furent exterminées, leurs débris chassés et ils durent s'adresser à l'Afrique pour avoir des bras, afin de cultiver la terre. L'institution de l'esclavage remontait en Afrique aux temps les plus reculés et existe encore. Chaque année des centaines d'esclaves sont embarqués sur la Mer Rouge, venant du Soudan des Somalis et de l'Abyssinie pour être mis en vente sur les marchés de Transjordanie, du Hedjaz et du Nedjed. Un de ces gouvernements prélève même une taxe de deux livres par tête sur tous les esclaves importés et le rapport est intéressant. Le prix de ces esclaves varie, les plus chers sont les belles filles Gallas d'Abyssinie dont le superbe corps et le teint couleur de café font d'elles la femme idéale pour les harems d'Arabie. Le trafic du sombre ivoire est, de nos jours, d'un revenu intéressant pour les commerçants d'Addis-Abeba. Les négriers de l'époque n'ont fait qu'exploiter cette condition et il est certain qu'aux Antilles les nègres avaient une existence plus heureuse que celle que des rois barbares leur faisaient mener en Afrique, où ils étaient surchargés de rudes travaux, exposés à de cruelles famines, aux tourments de la soif et facilement dépossédés de la vie.

A la Martinique, ils avaient une existence plus heureuse, les chaînes de leur servitude étaient plus légères et les nécessités suprêmes de la vie leur étaient assurées. Les châtiments infligés aux esclaves n'étaient pas, à de rares exceptions, très sévères. Celui du fouet, qui n'a été aboli dans notre marine militaire, que depuis la Révolution de 1848, était appliqué et accepté en Europe comme très naturel par les Français, les Anglais, les Allemands et les Russes. Les coups donnés étaient gradués suivant l'importance de la faute et ne pouvaient dépasser le chiffre de vingt-neuf.

Délivrés de l'horrible pensée d'être rôtis vivants et servis sur la table de leurs maîtres africains, aucun ne conservait le désir de retourner au pays natal et ils vivaient satisfaits, dans un climat doux et tempéré. Leurs besoins étaient satisfaits, plus de souci du lendemain et ils avaient pour se baigner des eaux limpides, des eaux pures qu'ils buvaient avec délices, en se souvenant des eaux bourbeuses et saumâtres de leur contrée d'origine.

***

Au XVIIIe siècle, la société coloniale était représentée par trois éléments distincts : 1° les blancs, qui par l'intelligence, la fortune, l'éducation, tenaient le premier rang. Il y avait les grands blancs, cadets de famille, traités alors par les lois comme le sont aujourd'hui les cadets anglais, qui demandaient aux aventures lointaines une fortune digne de leur naissance, quelquefois un abri contre les lettres de cachet, contre les édits qui punissaient le duel, contre des créanciers intraitables. Ce sont eux qui, se jetant bravement dans les hasards et les périls, sont devenus des héros de colonisation comparables aux plus brillants types de l'Espagne et du Portugal : d'Esnambuc et d'Oregon aux Antilles, la Salle à la Louisiane, Flacourt à Madagascar, Cartier et Champlain dans l'Amérique du Nord, La Bourdonnay et Dupleix dans l'Inde. Il n'y avait guère alors de famille en France qui n'eût son représentant aux colonies. L'oncle revenant des colonies millionnaire ou chevalier de Saint-Louis était l'espoir de tous les neveux, l'honneur de tous les châteaux.

Les grands blancs, nobles reconnus par l'enregistrement des titres au greffe du Conseil Souverain, étaient tous propriétaires de la terre. Ils possédaient les sucreries, les cultures, les maisons.

2° Les petits blancs, recrutés en France dans le tiers-état, au double titre d'émigrants libres et d'engagés. Les libres émigrants étaient de toutes professions : laboureurs qui échappaient à la corvée, artisans qui fuyaient les corporations, marchands munis de pacotille, matelots avides de liberté, négociants malheureux dans la métropole, médecins, avocats, gens à gages. On les appelaient en créole, pobants. Des îles voisines arrivaient des flibustiers, des corsaires pour vendre leurs prises et des planteurs qui ne voulaient point rester sous la domination anglaise. Les engagés étaient exactement ce qu'ont été les engagés indiens. Comme on n'avait pas encore posé en principe que le blanc ne peut travailler sous le ciel des tro1 piques, l'engagé français s'employait sans répugnance dans les mêmes champs que les noirs, aux mêmes cultures, portant les mêmes fardeaux, obéissant au même fouet, et comme lui trompant sa fatigue par quelque refrain, écho de la patrie absente. Des armateurs de Dieppe, du Havre, de Saint-Malo recrutaient ces engagés pour les colonies, c'était une industrie courante et leurs services étaient engagés pour trois ans — plus tard l'engagement fût réduit à dix-huit mois —, à la seule condition du transport gratuit et d'un salaire annuel de cent livres de petun (tabac). Cette formation régulière du travail ne disparut que par suite de l'importation en masse des esclaves noirs et l'irruption violente de la traite. Il ne faut donc pas dire, lorsque l'on constate les préjugés de race qui existent de nos jours aux Antilles, que c'est là le triste fruit de deux siècles d'oppression légale, de domination abusive et l'inévitable expiation de l'iniquité de la race blanche[21]. L'antipathie qui existe entre les classes est un fruit corrompu de la politique, une haine sourde sans cesse ravivée par certaines doctrines qui malheureusement se donne libre cours aux époques électorales. A l'origine de notre histoire coloniale, des blancs et des noirs travaillaient, côte à côte, la terre ; les blancs n'avaient qu'une supériorité, c'est qu'ils pouvaient, le temps d'engagement fini, reprendre leur liberté, aspirer à la propriété, à la fortune, tandis que le malheureux noir restait esclave. Quelques-uns seulement, à la suite d'actes de dévouement, obtenaient leur libération. Aujourd'hui que la justice, la liberté, l'éducation, la propriété, le droit commun, également garantis à tous, sont des conditions fondamentales de la société, il est regrettable de ne pas voir s'établir une entente cordiale entre les divers éléments de la population.

Les lois étant revenues à la justice, il est à espérer que la nature reprendra tôt ou tard son influence conciliante. A mesure que les héros et les victimes des luttes civiles descendent dans la tombe, l'amertume des souvenirs s'efface ; les complots et les poursuites, les condamnations et les souffrances des temps agités tendent à disparaître. Après la prescription de l'oubli, les générations nouvelles s'uniront de nouveau par les liens de l'amitié sinon de l'amour, la religion et l'éducation les y préparent dès l'enfance par la présence commune à l'église et aux écoles. C'est ainsi que, dans les colonies espagnoles et portugaises, se sont formées des races mixtes qui président aux destinées de leur pays, de concert avec la race primitive, sans que la dignité humaine en gémisse. Si des sentiments différents portent la race anglo-saxonne à se conserver pure de tout mélange[22], sans incriminer ce trait de mœurs nationales, nous ne saurions y voir un modèle absolu à suivre. La sociabilité qui porte les peuples de souche gauloise et latine à s'allier, même par le sang, aux peuples les plus divers, pour les élever au christianisme et à la civilisation serait-elle moins digne d'estime que la fierté des races saxonnes, qui les refoulent pour ne pas se souiller de leur contact ?

3° Entre les noirs et les blancs se plaçaient les mulâtres, appelés par euphémisme homme de couleur, qualification qui demeure. Jusque vers 1674, les enfants de couleur avaient suivi le sort de leur père, et furent libres en principe dès la naissance, en réalité dès la majorité, c'est-à-dire vingt-cinq ans. Dix ans plus tard, Louis XIV, si bon père pour ses enfants illégitimes, cédant aux inspirations qui lui firent révoquer l'Edit de Nantes, précipita dans l'esclavage les enfants nés du commerce d'un blanc avec une négresse. Sous Louis XV, tout mariage entre un blanc et une femme de couleur, d'une nuance quelconque, fut interdit. Ces violences légales survécurent à la philosophie et la Révolution, puisque, en 1802, Bonaparte rétablit d'une main les édits qui excluaient les noirs et homme de couleur du territoire français, pour prévenir le mélange impolitique et scandaleux qui peut en résulter dans le sang français et de l'autre remettait en vigueur l'esclavage et la traite. La politique opposait ses égoïstes calculs à la nature. Aujourd'hui que les lois ont nivelé toutes les différences sociales, de caste ou de race, des rapprochements sont à prévoir. Le nombre seul des hommes de couleur prouve que la prétendue répugnance des deux races est une fiction et les mariages se font de plus en plus fréquents. L'heure de complète réconciliation est encore éloignée, le passé est trop récent, mais le temps fait son œuvre.

***

A l'époque de Joséphine, la vie de famille, à la Martinique, était toute patriarcale. Chaque famille composait un hameau. Outre la maison principale, il avait plusieurs bâtiments assez proches au milieu desquels se trouvait la sucrerie et la grande case à petun[23]. Sous le vent de la sucrerie, les cases à nègres, chaque couple d'esclaves ayant la sienne.

Il y avait un commandeur dans chaque famille[24] dont le soin était de faire travailler les esclaves et sur lequel on se reposait de tout. Il recevait, comme appointements, de mille à trois mille livres par an, suivant l'importance de l'exploitation, il mangeait à la table du maître et tous les serviteurs lui obéissaient entièrement.

Éloignée des centres d'approvisionnement, chaque famille avait son jardin potager et sa basse-cour, clos par de petits citronniers ou des arbrisseaux, dont les épines longues et menaçantes, fermaient l'entrée ou empêchaient les animaux de sortir.

Les viandes salées, venues de France, et les légumes du pays, étaient l'ordinaire de la table du maître, sauf les dimanches, où, pour recevoir les parents et amis, on tuait alors poulets d'Inde, volailles, cochons de lait et les gibiers qui abondent : perroquets, ramiers, perdrix, grives, manicous et aussi les écrevisses que l'on trouve dans toutes les rivières.

Aux esclaves, il était délivré, par semaine, la quantité nécessaire de bœuf où de porc salés. Cette quantité n'excédait jamais une demi-livre par tête et par jour. Ils avaient en abondance des patates, des ignames, des malangas, de la farine de manioc, des bananes et leur boisson ordinaire était le maby ou le oüycou, fabriquée avec des plantes du pays.

Les colons vivaient en paix les uns avec les autres, sauf quelques contestations inévitables pour leurs bornes et les lisières de leurs habitations. Les visites étaient fréquentes entre eux et c'était toujours l'occasion de faire bonne chère. On se faisait gloire de traiter avec abondance les invités et les bons vins de France et de Madère coulaient copieusement. Le chef de famille, père de nombreux enfants, maître d'un grand nombre d'esclaves, possesseur d'une sucrerie, représente parfaitement les premiers hommes décrits par la Bible.

Les exploitations coloniales, par leur nature, entraînaient forcément l'isolement du propriétaire et les colons, toujours avides de nouvelles, accueillaient avec joie les visiteurs. Cette curiosité était encore incitée par le sentiment de la conservation, car les Anglais étaient toujours prêts à attaquer les Français et, avant même toute déclaration de guerre, des expéditions parties de Montserrat, d'Antigue, de Saint-Christophe ou de Barbade se précipitaient sur les habitations isolées, tuaient les propriétaires, brûlaient les établissements et enlevaient les esclaves. Il fallait se mettre en garde contre ces dangers incessants. Il fallait aussi connaître les actes de l'autorité. Ces actes étaient portés à la connaissance de tous par des publications faites au prône, pendant la messe du dimanche, jour où les habitants se rassemblaient dans les villes et bourgs.

Dès l'origine de la colonisation, l'hospitalité avait été pratiquée avec faste. Le Père du Tertre a écrit :

Ils sont fort charitables à secourir les malades qu'ils appellent Malingres, ce sont de pauvres Torqueurs qui ont mangé leur fait, ou d'autres qui achèvent leurs trente-six mois, qui tombant malades n'ont aucune retraite. Je ne sçaurois oublier icy ce que j'ay très souvent veu de mes yeux à la Guadeloupe chez le sieur Dorange, sa Case estoit la maison des pauvres, il avoit une chambre qui ne servoit qu'à les recevoir, et sa femme leur lavoit les pieds, et les assistoit avec toute sorte de charité et de tendresse : tout le monde en estoit édifié, car cette maison, qui estoit sur un grand chemin estoit ouverte à tous les palans,et j'y ay veu quelquefois jusqu'à trente personnes, qui après avoir mangé au soir tout le pain de la Case, alloient avec luy arracher du Manyoc, afin d'en faire pour le déjeuner du lendemain. Dieu a éprouvé ce bon habitant comme Job : car après avoir passé le plus beau temps de sa vie à la Guadeloupe, où il estoit des plus accommodez, il en fut chassé — comme l'on dit — le baston blanc à la main ; mais il luy a rendu à la Martinique, sept fois autant qu'il en avoit perdu.

L'hospitalité est fort pratiquée dans les Isles, et c'est une chose merveilleuse de voir l'empressement que ceux de la Martinique témoignent aux nouveaux venus : car quelquefois il descendra cent cinquante personnes d'un navire à terre, qui sont bien receus et bien régalez par des gens qui ne les ont jamais veus : parce qu'encore qu'il n'y ait point d'hostelleries dans les Isles, l'on ne laisse pas d'estre bien reçeu par tout. Quand on va d'un quartier à l'autre, on ne fait point de difficulté d'entrer dans la première Case qu on trouve sur le chemin, le Maistre reçoit son Hoste avec civilité, luy présente le bout de petun pour fumer, et du vin ou de l'eau de vie ; si le voyageur veut tarder, on luy tend un lict, et il peut s'asseurer d'estre le bien venu.

Cette hospitalité s'exerce mesme entre les habitans des Isles différentes, quand ils vont de l'une à l'autre : où ils font leurs affaires sans rien débourser. Quand on a la moindre connoissance chez une personne, quand ce ne seroit que de l'amy de son amy, ou de quelqu'un de mesme pays : l'on y est aussi familier que chez soy, l'on y demeure les semaines et les mois entiers, et ceux qui vous reçoivent s'estiment honorez de ce que l'on a préféré leur Case à d'autres.

 

Le goût de la toilette était très prononcé aux Antilles où les richesses seules établissaient des distinctions entre les colons et où les officiers seuls tenaient rang. Les hommes, ayant qualité de soldat, portaient l'épée, ils aimaient le beau linge, ils avaient des chemises de toile de Hollande, fort belles, avec cravates au col ayant plus d'une aune et demie de longueur. Les hauts-de-chausses étaient de quelque beau drap ou de quelque belle serge brodée de passement d'or et d'argent ou chargés de quantité de galands.

Les femmes jouissaient du privilège de leurs maris et le luxe chez elles suivait la progression de la fortune. Rien n'était trop beau, trop à la mode, trop riche ou trop cher pour elles. Aussi on importait de France une grande quantité de toiles les plus fines, de mousselines les plus belles et les mieux travaillées, les perruques les plus à la mode, les chapeaux de castor, les bas de soye et de laine, les souliers, les bottines, les étoffes d'or et d'argent, les galons d'or, les rubans, les cannes, les tabatières, les dentelles, les coëffures de femme de quelque prix qu'elles puissent être, la vaisselle d'argent, les montres, les pierreries. Enfin, tout ce qui faisait l'habillement des hommes, l'ameublement et l'ornement des maisons, surtout les parures des femmes, car le sexe est le même partout, c'est-à-dire, vain, superbe, ambitieux.

Tout est promptement et chèrement vendu. Les marchands n'ont point à appréhender de n'être pas payés. Quand les maris sont un peu difficiles sur ce point, elles ont toutes des talents merveilleux pour les attendrir et quand cela manque, elles savent à la perfection faire de l'indigo ou du cacao de lune, avec quoi elles contentent les marchands qui, accoutumés à ces manœuvres, leur prêtent la main et leur gardent religieusement le secret.

Si les femmes avaient la passion des toilettes et des bijoux, les hommes avaient celle du jeu. Avec le progrès des richesses, cette dernière s'était développée à un tel point que la loi dut intervenir pour essayer, mais en vain de la réfréner.

La première ordonnance contre les jeux du hasard date du 4 novembre 1744, le roi faisant défense à toutes personnes de quelque rang, qualité et condition qu'elles soient, de jouer ni de donner à jouer à des jeux prohibés, notamment à ceux appelés les trois dés, le tope et tingue, le passe-dix, les deux dés, le quinquinove, le mormonique, le hoca, la bassette, le pharaon, le lansquenet, la dupe, le biriby, la roulette, le pair ou non, le quinze, les petits paquets, à peine de désobéissance et de prison et sans préjudice des autres condamnations qui pourraient être prononcées. Les passions humaines sont plus fortes que les lois. Les richesses accumulées aux colonies entretinrent la passion du jeu, comme le duel, aussi prohibé, resta toujours la loi régulatrice de la société coloniale. Les doublons espagnols et les moëdes portugaises continuèrent à s'entasser sur les tables où ils étaient gagnés ou perdus avec une égale insouciance.

Nous avons ouï raconter, par de vieilles personnes qui en avaient reçu le récit de leurs pères, des choses incroyables de la fureur où était portée cette passion, dit M. Rufz. Les tables étaient couvertes de moëdes de Portugal et des doublons d'Espagne. On jouait sans désemparer des jours et des nuits, oubliant tout. Plus d'un héritage, plus d'une cargaison servirent d'enjeux. On eût dit que la passion de l'aventure qui avait présidé à la formation des colonies, ne sachant plus où se prendre, était passée dans le jeu. Un goût pour tout ce qui est prompt, pour tout ce qui est hasard en est resté dans notre population : les voies lentes de l'expérience et de l'économie ne lui vont guère et usent toute son ardeur ; elle aime à tout jeter au vent de la fortune. Dans ce pays d'ouragans, de tremblements de terre, de volcans, il semble que la nature ait voulu coordonner les sentiments des hommes à l'effervescence du sol. Ce ne sont que vives et impétueuses saillies, convulsives explosions, sensibilité rapidement éteinte. Ne cherchez pas dans cette société les doux et les paisibles amusemenzs que donnent les lettres, les arts ou la science. Le duel qui, avec les raffinés de Louis XIII et les tapageurs de la fronde, était entré dans les éléments de la colonie, le duel était resté la suprême loi du pays. Jamais, en aucun temps et en aucun pays le duel ne fut observé, cultivé avec plus de dévotion. Ce n'était pas comme ailleurs quelques passes d'armes, un jeu d'adresse et de bravoure, c'était le duel à coup sûr, le duel toujours meurtrier, le duel, instrument d'intimidation, de vengeance et de domination, le duel comme première et dernière raison de toutes les contestations. Bien qu'en 1725, 1744, 1751, on eut renouvelé les ordonnances qui en autorisaient la poursuite, il fut présenté au Conseil souverain, par le sénéchal du Fort-Royal, une liste de dix-sept personnes qui, dans une année avaient succombé à des combats singuliers. Les jeunes créoles s'y dressaient dès l'enfance, comme au but principal de la vie. Les femmes étaient presque aussi sensibles que les hommes, dit Thibault de Chanvalon, au point d'honneur attaché à la valeur. Une femme se croyoit déshonorée si la bravoure de son mari pouvait être suspecte. Mais, est-il donc étonnant que le duel ait été en si grande vénération parmi nous ? Outre que c'était une coutume des aïeux, si l'on veut bien considérer dans quelle position se trouvait le colon, obligé de faire tète à des populations esclaves, toujours un contre dix, on conviendra que si le courage est partout la qualité fondamentale de l'homme et sans laquelle on ne peut en espérer rien de bien, pour le colon, c'était une vertu de première nécessité, celle qui imprimait le respect de sa personne et de son autorité.

 

En 1751, de Chanvalon traçait ainsi le portrait des colons des Antilles :

Ils sont braves, intrépides, généreux. Sujets aussi fidèles que s'ils avoient le bonheur de voir leur Souverain et de le servir de près ; leur éloignement, leur séparation du royaume ne les décourage point pendant la guerre ; elle ne sert qu'à faire mieux connoître que le nom François est dans leur cœur au-dessus de tout.

Artifices, séductions, entreprises ouvertes et tentées avec les plus grandes forces, tout a été employé en différens tems et sans succès par les ennemis.

Cette bravoure et cet attachement pour leur Souverain produisent une soumission aveugle pour leurs chefs, qui n'est pas moins connue en France dans toute son étendue ; soumission d'autant plus remarquable, qu'elle n'est point affoiblie par cette intrépidité qui leur foit tout affronter, et qui a sçu conquérir et conserver les colonies ; par l'habitude qu'ils ont de commander à des esclaves et d'être obéis ; par une constitution organique, jointe à la nature du climat, à la liberté qu'inspirent les mœurs du pays, et qui sembleroit les porter à l'indépendance, si leur zèle n'étoit pas inébranlable. Dès qu'ils reçoivent de leurs supérieurs un ordre qui leur annonce une mortification, ou même une détention, ils accourent d'eux-mêmes pour s'y soumettre, aussi promptement qu'ils volent au combat contre l'ennemi.

C'est dans nos Isles qu'on voit accomplir ce vœu de la nature et de la politique, qui exige qu'aucun homme ne soit inutile à la société. Tous les Américains ont un état ; et malgré leurs affaires domestiques, tous leurs jours sont dévoyés à la patrie.

Les uns sont destinés à la défendre par les armes ; la paix n'est pour eux qu'un exercice continuel, employé à modérer par la discipline militaire cette ardeur, qui est le vrai soutien de nos colonies.

Les autres chargés du maintien des loix et de la sûreté publique, y consacrent leurs veilles, leurs travaux, et même leurs fortunes, sans autre espoir, sans autres prétentions que l'honneur seul, avec un désintéressement qui devroit servir d'exemple à toute la terre. La justice dans les conseils supérieurs de nos colonies est comme celle qu'on obtient du ciel ; elle est accordée gratuitement à celui qui la réclame.

S'il survient une alarme pour la patrie, tous les corps n'en forment qu'un seul ; le magistrat court se confondre dans les rangs avec le militaire et combattre à ses côtés.

C'est dans ces climats encore où l'on exerce avec empressement envers les étrangers, sans exception de personnes, cette généreuse et tendre hospitalité, dont l'histoire ne nous offre plus que les anciennes traditions des premiers âges du monde.

Si le reproche que l'on fait aux Américains, que l'ostentation a souvent part à la noblesse de leurs procédés, n'est pas injuste, ce défaut tourne au moins au profit de l'humanité. Un arbre utile et plein de sève n'en est pas moins précieux, pour quelques fruits insipides et superflus, qui se trouvent mêlés avec les présens dont il nous enrichit.

La bienfaisance et la bonté de leur cœur ne s'étend pas en général sur leurs nègres. Ils sont la plupart trop sévères et trop peu compatissans pour eux. Si la sûreté publique et la malice des esclaves sont le prétexte ou le principe des traitemens qu'ils éprouvent, la perte de leur liberté, le désespoir de leur situation, ne devoient-ils pas attendrir en leur faveur ? L'intérêt même des maîtres l'exigeroit. Mais quels sont les hommes qui n'abusent pas de l'autorité, surtout quand l'usage qu'ils en font paraît nécessaire à leur conservation ?

On les accuse d'être décidés dans leurs volontés, vifs, prompts et impatiens. L'influence reçue de la chaleur de leur climat, l'habitude d'être servis par des esclaves dès leur enfance, la faiblesse générale de leurs parens pour eux, toutes ces causes qui, quand ils viennent en France, s'y réunissent à l'activité du sang dans la jeunesse, les font juger à cet égard en Europe avec sévérité.

Ils doivent peut-être à ce caractère le bonheur qu'en ne puisse pas leur reprocher aucun de ces procédés marqués au coin de la lâcheté, de la trahison ou de quelque autre bassesse d'âme. A peine a-t-on quelque exemple à la Martinique d'aucun crime commis par un créole.

Ils ont la franchise en partage ; ils la doivent sans doute à l'opinion qu'ils ont d'eux-mêmes ; ils sont confians et sans soupçons, comme sans dissimulation et sans ruses.

La société retire deux avantages de leurs qualités ; on ne voit point dans nos colonies de mendians ni de voleurs.

La souplesse de leur corps les rend propres à acquérir toutes les connaissances, soit que ces dispositions viennent de quelque constitution qui appartienne aux pays chauds, soit que cette souplesse du corps provient en tout ou en partie de l'usage où l'on est de ne pas les assujetir chez la nourrice dans des langes, soit enfin qu'elle soit due aux exercices auxquels ils sont habitués dans nos iles dès leur enfance.

Mais la même cause qui leur donne ces avantages, en arrête le progrès ; l'imagination, cette faculté de l'âme qui ne peut souffrir aucune contrainte, qui presque toujours augmente la vivacité des passions, rend les Américains aussi inconstans qu'indépendans dans leurs goûts ; elle les entraîne aux plaisirs ; qui forment pour eux des obstacles invincibles. Revenus à l'Amérique, la chaleur du climat, les mœurs du pays achèvent de les porter à la dissipation.

 

Le propriétaire d'une sucrerie ne quittait que rarement son habitation. Les plus riches possédaient dans les villes — Fort-Royal ou Saint-Pierre — un logement où ils descendaient le dimanche pour assister à la messe et visiter les parents.

Le même écrivain, Thibault de Chanvalon, cité plus haut, nous a légué un portrait des femmes créoles :

Leur cœur est fait pour l'amour, il l'allume aisément ; mais parmi ses triomphes, il ne peut pas compter celui de leur indolence. Elles aiment tendrement, sans s'occuper des moyens de séduire, soit que les soins qu'elles prendraient dussent trop leur coûter, soit qu'elles les regardent comme des raffinemens de coquetterie, plus propres à altérer l'amour qu'à l'embellir.

Elles s'attachent fortement à celui avec lequel elles sont unies ; cependant dès qu'il n'est plus, sa perte décide le bonheur d'un autre. Il n'est presque point de veuve qui, malgré sa tendresse pour ses enfants, n'efface bientôt par un second mariage le nom et le souvenir d'un homme dont elle paraissait éperduement éprise.

Tout entières à ce qu'elles possèdent, elles sont rarement infidèles à leurs maris. La pureté de leurs mœurs est soutenue, ou par leur propre vertu, ou par la difficulté de cacher leurs désordres dans un pays, dont la manière de vivre ne se concilieroit pas avec les précautions nécessaires à la galanterie, ou par leur fierté, peut-être même par leur indolence, encore plus par le défaut d'attaques. Elles en sont garanties par le goût dépravé des hommes pour les négresses.

On sent bien que leur fidélité est presque toujours suivie d'une jalousie extrême.

Bien différentes des Américains, elles écoutent froidement le récit qu'on leur fait à tout instant des agrémens de la France. Rien ne peut émouvoir leur curiosité ni leurs désirs pour les déterminer à venir y fixer leur séjour. Attachées à leur climat elles ne peuvent rompre leurs habitudes ; la plupart préfèrent de laisser venir leurs maris seuls en Europe.

Ce fait donc a des exemples fréquents, et qui sembleroit contredire leur attachement pour leurs maris, et même leur jalousie, n'auroit-il pas aussi son principe dans cette même indolence et cette fierté, qui peuvent leur faire craindre la comparaison de l'éducation qu'elles ont reçue avec celle des Françaises, et les effrayer sur les soins nécessaires pour les en rapprocher ?

Cette réflexion se concilie d'ailleurs avec leur grande timidité, ou cette espèce de honte qu'elles ont presque toutes à se produire dans le grand monde.

Leur fermeté d'âme surmonte la faiblesse excessive qu'elles ont pour leurs enfants, elles s'en séparent pour les envoyer en Europe, dès que le moment de leur éducation est arrivé. Cependant cette séparation leur annonce une absence d'un grand nombre d'années, et souvent même une absence éternelle.

Le défaut de volonté et d'émulation, qui est une suite de leur nonchalance, leur fait négliger les talens et les exercices attachés à l'éducation. La danse seule peut vaincre cette indolence, à tout âge, et malgré la chaleur du climat. Cet exercice paroit ne les fatiguer jamais. On croiroit que c'est le plus vif de leurs plaisirs, ou le seul auquel elles soient sensibles.

 

Ce portrait de la femme créole est incomplet et ne mentionne pas ses deux plus admirables vertus. Mère tendre et dévouée, elle ne laisse pas à une étrangère le soin d'allaiter son enfant, et c'est sans doute à cette magnifique vertu de la maternité qu'a été due cette race créole qui tranche sur la race française et a formé un type accompli, plein de force, de souplesse et de grâce. Thibault de Chanvalon a omis aussi de raconter les admirables vertus que déploie la créole au chevet des malades à qui elle sait prodiguer les soins les plus tendres et les mieux entendus. Dans ces terribles circonstances, quand il s'agit surtout d'arracher à la mort des êtres chers, la créole se transfigure. La femme nonchalante, tout à l'heure, devient de fer et passe sans dormir des mois entiers auprès de ce malade qu'elle couvre de sa tendresse, et ne tombe brisée enfin par cette énergie surhumaine que lorsqu' elle a vaincu la nature ou que la nature l'a terrassée en lui enlevant l'être qu'elle lui disputait. Qui n'a pas vu une créole luttant ainsi désespérément contre la maladie, a été privé de l'un des plus sublimes spectacles que la femme donne au monde.

Les poètes ont chanté sur tous les tons les grâces exquises de la créole ; ils ont vanté toutes ses perfections, sa beauté idéale, son œil noir où luisait le soleil de sa patrie. Nous n'essayerons pas de refaire un portrait qui est toujours incomplet.

Nous ajouterons seulement ce portrait tracé par un créole de la Guadeloupe :

Les femmes créoles joignent ordinairement à un bon cœur, de l'ingénuité, de l'esprit naturel qu'elles ne cultivent pas assez, et surtout des mœurs très chastes. A la vérité, on trouve quelquefois parmi elles des coquettes et des étourdies, dont la conduite est inconséquente ; mais il y en a très peu sur lesquelles la médisance ait véritablement le droit de s'exercer. Amies sincères, tendres amantes, elles font aussi des épouses fidèles ; ce à quoi je trouve qu'elles ont un double mérite, puisque rien n'est plus commun que de les voir encore à la fleur de l'âge, et avec tous les charmes faits pour captiver le cœur d'un honnête homme, abandonnées de leurs maris pour des créatures laides, maussades, rebutantes.

 

Les riches propriétaires, possédant géreurs et économes pour diriger leur exploitation, avaient de nombreux loisirs. Ils ne faisaient que surveiller leurs géreurs. Presque tous gens de compagnie, ils se réunissaient avec plaisir, tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre, pour causer et faire bonne chère. Les promenades à cheval, les repas près d'une rivière, les excursions, le bal, le jeu permettaient de dévorer une existence que l'oisiveté aurait rendu autrement intolérable.

Les fréquentes visites entretenaient l'amitié et les mariages s'ensuivaient. On mariait les jeunes filles très jeunes, parfois onze ans, selon les arrangements des familles. Ordinairement, les mères préféraient les accorder de bonne heure à des jeunes hommes habitant l'île, que de les promettre à des nobles de la métropole qu'elles n'avaient jamais vus ni connus, afin de les conserver près d'elles.

Sur les propriétés, c'était le maître qui distribuait la justice et les châtiments, car le juge n'intervenait que pour réprimer les crimes. Il avait sous ses ordres des géreurs, des économes et des commandeurs pour exécuter ses instructions. Le soir, quand les esclaves avaient terminé leur tâche quotidienne, tout l'atelier se rendait devant la maison du maître ; les géreurs et les commandeurs rendaient compte des travaux accomplis, recevaient les ordres pour les travaux du lendemain ; les punitions méritées étaient appliquées, puis, sur un signal, la prière s'élevait au ciel et se terminait par un Exaudiat pour le roi et la maison royale.

Eclairé par la lumière des torches, d'un côté le chef de la famille, entouré de sa femme et de ses enfants, de l'autre, le groupe des esclaves, ce spectacle était saisissant et avait une grandeur touchante.

Peu à peu, le silence se faisait autour de la demeure du maître. La soirée se passait en épanchement de famille. Une douce joie brillait dans tous les regards. Les cœurs étaient alors simples et les idées communes. L'union la plus complète régnait entre les membres de la famille. Les enfants se courbaient avec une entière soumission devant la volonté des aïeux et respectaient les cheveux blancs des vieillards qui leur enseignaient à aimer ces trois choses saintes : Dieu, le Roi, la Femme.

L'heure du sommeil étant venue, l'aïeul, comme chef de famille, ayant à ses côtés la compagne vénérable qui lui avait aidé à supporter les traverses d'une existence, souvent très mouvementée, entouré de ses enfants, de ses petits-enfants, de domestiques attachés à sa maison, tous à genoux, têtes nues et les yeux baissés, prononçait à haute voix la prière du soir. Le matin, la même scène attendrissante se renouvelait.

Le chef de famille était généralement droit, probe, religieux, sévère pour ses enfants, bon pour les esclaves, toujours juste. Quel que fût son attachement pour ses enfants, il se familiarisait peu avec eux, cependant il en était vénéré.

***

Yevette avait trois ans, une petite sœur, Catherine-Désirée, était venue au monde depuis un an et demi et courait partout dans la maison, lorsqu'un événement naturel effroyable vint bouleverser l'existence paisible aux Trois Ilets. Un cyclone !

Le 13 août 1766, lorsque le personnel de l'habitation fut réveillé par la cloche[25], la chaleur était étouffante, les maringouins[26] obscurcissaient l'air. La mer était, très agitée, quoique le ciel fut complètement calme, l'air pur et le soleil resplendissant. M. de Tascher trouva sur la galerie de l'habitation un voisin, le vieil ouboutou[27] caraïbe, Pakiri, venu pour lui annoncer l'approche d'un ioüallou[28]. Cette effroyable perturbation de l'atmosphère avait produit sur leur race une terreur si profonde que les Caraïbes étaient persuadés que le mauvais génie, Tuira, le déchaînait sur eux comme une vengeance.

Avec le talent d'observation propre aux sauvages, vivant en contact constant avec la nature, Pakiri attachait une grande importance à certains faits qui échappent à l'attention des autres, et, il communiqua à M. de Tascher que, pressentant une tempête, il avait été sur des pitons isolés qui dominent la vallée, avait allumé un bûcher de bois vert donnant au lieu de flammes une épaisse fumée, qui, dans la stagnation absolue de l'atmosphère s'était élevée verticalement sans aucune déviation mais, lorsqu'elle eut atteint les régions supérieures de l'air, avait perdu son aplomb, s'était inclinée vers le nord et couchée dans cette direction par un vent venant du sud.

Il avait aussi remarqué, la veille, que le soleil s'était couché tout rouge, tandis que le vent passait au sud. C'était présage de mort, misère, tempête. Pakiri savait prédire le temps comme l'avenir. C'est ainsi qu'avant l'arrivée de Colomb, une comète avait traversé le ciel, et le ouayacouli binale[29] d'alors, son aïeul, avait annoncé que des guerriers inconnus allaient venir d'un pays lointain, au delà de l'Orient, et qu'une pluie de sang inonderait l'île. Quelques années plus tard, les Espagnols étaient venus et, au nom de la civilisation, sous la bannière d'un Christ-Roi, bon et compatissant, conduits par un moine hidalgo, ils avaient fait connaître aux Caraïbes les mêmes exécutions, les mêmes carnages qu'aux Indiens du Mexique et du Pérou.

Alarmé par cette constatation il était venu prévenir qu'une tempête approchait sur la région, et qu'il fallait prendre toutes les dispositions appropriées. Le vent du sud, s'établissant dans les couches élevées de l'atmosphère pendant que les plus basses, demeurent stagnantes, est irrévocablement le présage d'un de ces terribles cyclones qui, durant l'hivernage, désolent les Antilles et font des dégâts effroyables.

Bientôt, les oiseaux de haut vol qui sont les premiers à connaître l'approche du fléau, les ramiers surtout, vinrent s'abattre sur les maisons tandis que les iguanes[30], les guimbos[31], les serpents tête de chien, les agoutis, les manicous et de multiples animaux, quittant leurs abris dans la montagne, venaient, craintifs, s'abriter dans les cases des nègres et les ajoupas des Caraïbes.

On ne sentait encore aucun souffle de vent ; les feuilles des arbres pendaient le long des branches, sans le moindre mouvement. On aurait dit que la vie s'était retirée des végétaux. Mais toute la nature prenait par degrés un aspect qui inspirait l'effroi. La mer se soulevait et bouillonnait comme l'eau dans une chaudière en ébullition. Elle avait changé sa température et son niveau ; au lieu d'être moins chaude que l'air, elle l'était beaucoup plus. Sa surface s'exhaussait sous une pression inconnue.

A 10 heures du matin, les eaux franchissaient leurs limites habituelles, débordaient les côtes, s'avançaient dans le lit des rivières dont elles refoulaient le courant. Des marsouins, des dorades, des bonites, des thons, des bancs entiers de poissons quittaient la pleine mer et s'engageaient entre les rochers du rivage, pour fuir un danger dont ils avaient la prévision, quoique les hommes ne pussent encore le connaître par leurs obscures perceptions. Un ressac, venant du fond de la mer, déracinait les grands fucus pélagiques, détachait les coquillages et les mollusques cramponnés aux rochers, faisait sortir de leurs gîtes sous-marins des crustacés énormes, les langoustes, les lambis et les crabes, et poussait sur le rivage, pêle-mêle, tous ces animaux.

Alors l'atmosphère devint le théâtre des grands phénomènes précurseurs de l'ouragan. Le ciel se voila de vapeurs qui changeaient entièrement son aspect, le soleil prit la couleur rouge-obscur d'une fournaise qui s'éteint. La clarté du jour diminua par degrés, d'abord blafarde, fausse, tremblotante, comme pendant une éclipse totale, elle s'obscurcit totalement. Un rideau de nuages sombres couvrait le ciel tandis qu'une brume sortie de la mer des Antilles, s'élevait dans la région moyenne de l'air et enveloppait tout l'horizon.

La famille de Tascher était réunie devant la maison principale, dont les portes et fenêtres avaient été clouées et barricadées. Elle était entourée de ses esclaves et des caraïbes groupés autour du chef Pakiri. Comme dans toutes les circonstances extraordinaires, M. de Tascher, d'une voix calme et grave commanda les prières pour implorer la miséricorde divine. Tout le monde est à genoux, le moment est solennel et ces prières prennent un caractère sublime. Il récite les litanies à la Vierge auxquelles toutes les voix répondent au milieu du fracas du tonnerre et le hurlement du vent.

Soudain un long mugissement sous-marin annonça l'approche du danger et fit jeter à tous un cri de terreur tandis qu'ils se précipitaient dans l'intérieur de l'habitation. Un flot impétueux, un raz de marée, venant du nord-ouest, s'avançait sur un front immense, à travers les détroits ouverts entre les îles. Lancé par une force prodigieuse, il surmontait les eaux, les couvrait par une autre mer bouillonnante et formait à leur surface un courant furieux dont la direction était contraire à la leur.

Derrière ce grand mascaret océanique rugissait le vent de la tempête. Toutes les toitures sont arrachées et volent dans l'espace, les maisons sont tordues, renversées, déchiquetées ; les cases des nègres, les ajoupas des Caraïbes, les arbres, les cultures sont ravagés, anéantis, dispersés tandis que de la nue commence à tomber une pluie diluvienne, une pluie d'eau salée, qui emplit et obscurcit encore plus l'atmosphère. Chaque goutte d'eau est énorme et fait dans sa chute le même bruit que la grêle la plus grosse. Le ciel est sillonné d'éclairs qui illuminent les nuages rasant le sol, de tous les points du compas.

La maison principale en bois, n'existe plus. Seule, la sucrerie, construite en murs a résisté. De Tascher, avec sa famille, les esclaves et les Caraïbes vont s'y réfugier. Ils y passent la nuit, nuit d'angoisse et de frayeur ; les vieux et les enfants sont mis en sûreté dans la chambre à bagasse. A minuit, des secousses sismiques viennent ajouter aux horreurs de la tempête. On aurait cru que l'île entière allait s'abîmer dans les gouffres de l'Océan. Les Caraïbes qui s'étaient portés au rivage pour ramasser les poissons, avaient, devant l'éminence du péril, gagné des grottes ou des cachettes, enfoncées dans les mornes où ils se savaient à l'abri du vent.

A trois heures du matin, le vent diminua. Une dernière crise terrible et ce fut la fin des convulsions de la nature. Un calme relatif succéda. L'obscurité restait toujours complète. Dans un coin, à genoux, tenant dans chaque bras l'une de ses fillettes, Mme de Tascher priait et sollicitait le pardon de la divinité.

Au jour, la lumière reparut, faible, blafarde ; le ressac, dont la violence avait déchiqueté la grève, s'était abaissé sensiblement et était devenu moins impétueux. Tout autour des survivants quel horrible spectacle ! la désolation, la destruction, la mort !

L'île entière est recouverte de débris, d'arbres déracinés, de branches cassées ; les routes sont lavées, crevassées, obstruées ; les rivières ont transporté des blocs énormes, des arbres arrachés de la forêt ; les ponts ont été enlevés, les terrassements détruits, les terres inondées, les cultures anéanties, les animaux noyés et, à Fort-Royal, 28 navires français et 7 anglais ont été jetés à la côte, perdus totalement, ainsi que de nombreuses embarcations ; 90 personnes ont péri dans les ruines de leurs maisons. A Saint-Pierre seulement on compte 700 blessés.

De la maison des Tascher il ne reste que les fondations. Il faudra s'installer, tant bien que mal, et vivre dans la sucrerie. On fait ramasser dans les champs environnants les meubles qui peuvent être restaurés, les lits à colonnes en courbaril, qui, par la dureté de leur bois, ont résisté à la destruction, les ustensiles de ménage. Mme de Tascher, quoique enceinte d'un troisième enfant, a vaillamment supporté ces émotions. Vingt jours plus tard, le 3 septembre, elle accouchait d'une fille, Marie-Françoise.

Ces perturbations atmosphériques sont fréquentes aux Antilles, mais heureusement elles ne sont pas toujours aussi destructives. A la Martinique, le cyclone du 10 octobre 1780 fut le plus terrible connu ; 9.000 personnes périrent dans l'île. A Fort-Royal, la cathédrale, 7 églises et 140 maisons furent renversées ; l'hôpital fut emporté et 1.500 malades et blessés ensevelis sous les décombres.

On classe les cyclones en deux catégories : la bourrasque à bananes[32] et le cyclone, suivant le degré de violence du vent. Les Caraïbes faisaient aussi cette distinction : la bourrasque à bananes était appelé Allibienli, et le cyclone Ioüallou. Les colons français donnèrent le nom d'ouragan à ce phénomène épouvantable qui pendant deux siècles resta mystérieux dans son horreur grandiose, pour tous ceux qui en cherchaient les lois, jusqu'à une époque récente, entre 1866 et 1870, lorsque le capitaine américain Maury établit scientifiquement la théorie qui, plus tard, reprise et développée par M. H. Faye, membre de l'Institut et du Bureau des Longitudes, guide aujourd'hui nos marins.

***

Le calme est revenu aux Trois-Ilets. La vie a repris son cours habituel, l'hivernage tire à sa fin, la saison des pluies est terminée et les beaux jours sont proches, car tout l'archipel est rarement troublé, même par des perturbations légères, durant la période qui marque la belle saison, de novembre à juin.

La venue de Marie-Françoise, la troisième fille, a nécessité l'agrandissement des logements établis dans la sucrerie et une vaste galerie a été construite autour. Joséphine grandit dans ce milieu. Peu de distractions, de temps à autre une visite à Fort-Royal et le dimanche régulièrement, la réunion de la famille. Elle adore les poupées, les colliers de grains d'or, les bijoux, les madras multicolores, les foulards de soie et elle fait collection de papillons et de coquillages. Elle aime aussi les friandises, les sucres à la menthe ou au coco, la confiture et la gelée de goyave, les dentelles au four, la pâte de frangipane, la farine de coco, le pain-maïs et la canne à sucre.

Chaque matin elle se rend à la rivière et plonge dans l'eau cristalline, pour déguster au retour le petit verre d'anis doux préparé par Marion.

Le comte de Montgaillard, officier de Royal-Vaisseaux, dans ses Souvenirs, nous raconte qu'elle dansait comme une fée, était amoureuse comme la colombe. De tous temps la danse a été la grande passion des créoles et Joséphine prit des leçons d'un nommé Francis, maître de ballet et premier danseur de la comédie de Saint-Pierre, qui avait fondé une Académie de danse. Elle apprit aussi la peinture avec un sieur Fourbisseur, peintre en miniature, mais pour la musique elle ne montra aucune disposition.

Elle passait de longues heures dans un grand hamac. Aux Antilles, la sieste est traditionnelle. Dans le lointain, sur la mer, des voiles blanches passaient et fuyaient, entraînant sa pensée vers ce pays lointain — la France — qu'elle désirait tant connaître. Après le dîner, elle prenait plaisir à conter aux petits négrillons, qui l'écoutaient avec extase, ou avec frayeur, des histoires de fées et de monstres ; ou bien, allongée dans sa berceuse, avant que le sommeil ne vienne auréoler ses rêves, tandis que son imagination voguait jusqu'aux plus lointaines étoiles, Marion lui chantait des ballades créoles :

Yo ka crié ou fleur, cheti z'amie à moin

Mais qui qualité fleur ! Zaillet ou jasmin ?

Tubérèze ou lilas ? liothrope ou violette ?

Pensée ou coclicot ? fleur jaune ou baraguette ?

Fleur à zombi ou lis ? trompette ou zacacia ?

Fleur d'orange ou zicac ? non cé pas tout ça.

Quand yo ka miré vous, yo ka dit c'est la rose

Quand di grand bon matin li a demi éclose.

Ou bien l'éternelle chanson :

Adieu foulard, adieu madras,

Adieu grain d'or, adieu collier chou,

Doudou à moin li ka pati,

Hélas, hélas, cé pou toujours.[33]

Bonjou missié le consignataire

Moin ka vini fai on pétition

Doudou à moin li ka pati

Hélas, hélas, cé pou toujours.

Bâtiment là qui dans la rade là,

Kalé méné doudou moin allé

Doudou à moin y ka pati

Hélas, hélas, cé pou toujours.

***

Joséphine a bientôt dix ans. Il faut penser à compléter son éducation, à lui apprendre les belles manières. Sa mère décide de la confier, ainsi que sa sœur cadette, à la supérieure du couvent des Dames de la Providence, à Fort-Royal. Cette maison d'éducation pour les jeunes filles, très florissante alors, avait été fondée en 1764 par le R. P. Charles-François de Coutances, vice-préfet apostolique et supérieur général des Missions des Capucins aux Iles du Vent d'Amérique. Les statuts de l'établissement avaient été approuvés par le Conseil Souverain, le 10 septembre 1764, et dans ses instructions aux religieuses, chargées de donner l'instruction aux jeunes filles, de les former aux bonnes mœurs et de les élever selon les préceptes de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, nous lisons :

L'éducation des filles dont peu de personnes sentent les conséquences, et dont tout le monde ressent les inconvéniens, tient aux premiers principes de la société, parce qu'étant chargées, par les lois de la nature, des premiers soins de notre enfance, elles le sont aussi de nos premières impressions, de nos premiers sentimens et de nos premières connaissances ; d'où sortent les mœurs publiques, le bonheur dès familles, et par conséquent exige un détail d'instructions proportionnées à des devoirs si importans.

C'est pourquoi nous recommandons dans notre école, de leur imprimer de bonne heure cette pudeur et cette modestie de sentimens qui font le plus bel ornement de leur sexe : cette douceur et cette bonté du caractère qui en fait l'agrément de la société : cet esprit de sagesse et de discrétion si essentiel pour le gouvernement d'une famille ; cet amour du travail, de l'ordre et de l'économie qui en fait le soutien d'une maison, ainsi des autres vertus qui forment le fonds de leur éducation, et dont la lecture et l'écriture ne font que la moindre partie.

Mais pour fixer les idées publiques sur la nature de cet établissement, nous déclarons que nous n'avons eu d'autre intention que de fournir aux jeunes filles du quartier Fort-Royal, des moyens plus simples, plus faciles et plus à portée de leur procurer une éducation chrétienne ; que nous n'avons eu dessein d'établir une communauté régulière, mais simplement une maison d'école tenue et desservie par une société de demoiselles vivant en commun, sous le nom et la protection de la divine Providence, sans autres possessions ni revenus ; sans vœux, ni engagemens ; sans singularité de vie, ni d'habillemens ; sans autre clôture que celle qui convient à la décence et à la sûreté d'un pareil établissement ; enfin, sans autres motifs ni vues que le bien et l'avantage de ceux qui voudront ne profiter.

 

Après ce préambule le P. Charles-François établit les statuts de l'Ecole.

Le principal objet de votre établissement étant l'éducation des Filles, vous devez apporter tous vos soins et toute votre application à les former aux devoirs de la Religion et de la Société : leurs parents ne vous les confient que dans cette vue, et en vous en chargeant, vous en contractez l'obligation.

Rappelez-vous donc souvent à l'esprit, que leur salut éternel et le bonheur de leur famille dépendent en quelque manière de vous, afin de vous encourager à supporter les peines et les désagrémens qui sont inséparables de cet emploi.

On peut rapporter tout ce qui concerne l'éducation des Enfans à ces trois points principaux : leur former le cœur par des sentimens, l'esprit par des connaissances et le corps par des façons.

Les premiers sentimens que vous devez leur inspirer, c'est l'amour de la Religion et celui du travail, qu'on doit regarder comme les deux principales parties de l'Education des Filles : pour les instruire solidement de la Religion, il ne suffit pas de leur apprendre simplement le catéchisme. L'histoire de l'ancien et du nouveau Testament, surtout les principaux traits, comme la vie des Patriarches, de Jésus-Christ, des Apôtres et des Saints leur en imprimera des sentimens plus solides ; c'est pourquoi Moïse recommandait si soigneusement aux Israélites de raconter à leurs enfans les actions de leurs Ancêtres, et les prodiges que Dieu avait opérés en leur faveur.

Attachez-vous à leur donner de bonne heure le goût et les règles d'une piété simple, tendre et sincère, éloignée de ces grimaces et de ces momeries qui rendent la vertu ridicule. Retranchez avec soin les dévotions de caprice et de fantaisie ; qu'elles fréquentent les sacremens dans les fêtes principales.

L'amour du travail est la seconde partie que vous devez leur recommander avec plus de soin, parce qu'une fille qui n'a ni attache ni affection pour les occupations journalières, se livre infailliblement à la molesse, à la dissipation, dont les suites ne peuvent être que funestes ; c'est pourquoi vous vous appliquerez à leur apprendre à filer, à coudre, à broder, à faire en un mot, tout ce qui convient à une Fille pour son utilité propre et pour celle de sa famille ; surtout à leur donner cet esprit d'ordre, d'arrangement et d'économie si précieux pour la conduite d'un ménage et le gouvernement d'une maison.

Les connaissances les plus utiles, à des Filles, sont la lecture, l'écriture et l'arithmétique ; mais il est surtout essentiel de leur apprendre à lire correctement. Le meilleur moyen, pour cet effet, est de leur faire apprendre par mémoire l'abrégé de l'histoire tant sacrée que profane ; de leur en faire répéter par chapitre à haute voix dans la classe, et de leur en faire souvent raconter les principaux traits en forme de conversation, afin de cultiver leur mémoire, et de leur donner plus d'aisance et de facilité à parler.

Prenez garde de ne pas négliger non plus dans vos Enfans, les avantages du corps, ce sont pour les Filles des dons précieux de la nature ; si l'éducation ne les donne pas, elle en peut au moins corriger les défauts.

Appliquez-vous donc à leur donner des manières simples et unies ; les façons affectées gâtent les plus belles qualités naturelles ; comme la danse sert beaucoup a leur donner les agrémens de l'attitude et du maintien, vous leur en procurerez un Maître sans scrupule, mais avec choix et discrétion.

Veillez exactement sur leurs manières, leurs démarches, leurs habillemens, afin que tout y annonce l'honnèteté, la pudeur et la modestie, qui font le plus bel ornement du sexe.

Que la Maîtresse des pensionnaires soit exacte à se trouver à leur lever et à leur coucher, afin que tout s'y passe dans les règles de la bienséance et de la retenue, et qu'elle couche elle-même dans leur dortoir, pour être plus à portée d'y veiller pendant la nuit.

Ces principes suffiront pour les instruire de leurs principaux devoirs, mais faites attention que ce sera bien moins par les châtimens que vous corrigerez leurs défauts, que par la conduite que vous garderez à leur égard ; que vos avis soient donc doux et insinuans, les réprimandes courtes et sérieuses, et les corrections rares et modérées.

Saisissez, dans les conversations particulières, les momens de leur confiance, pour leur faire connaître leurs défauts : les plus ordinaires et les plus préjudiciables aux Filles, sont les fantaisies, les caprices, les entêtemens qui leur donnent un esprit difficile et un caractère insociable.

Ne souffrez point de ces petits rapports des unes contre les autres, et ne marquez de préférence à aucune, ce sont des semences de jalousie entre les enfans, qui passent souvent jusqu'aux parens.

 

Venait ensuite le règlement de l'école.

Les enfants assistaient à la messe de sept heures, et se rendaient à l'école à huit heures précises, ne sortaient le matin qu'à onze heures, rentraient l'après-midi à une heure et ne sortaient le soir qu'à cinq heures.

Elles n'entraient ni ne sortaient sans avoir salué la maîtresse de classe, et pendant le temps de la classe aucune ne sortait sans permission.

Chacune avait un sac à ouvrage marqué à son nom. On accordait une après-midi de congé chaque semaine, le samedi.

Les enfants étaient partagées en quatre classes. La première des commençantes, la seconde de celles apprenant à lire, la troisième, de celles apprenant à écrire, et la quatrième, de celles apprenant l'arithmétique.

Chacune de ces classes étaient divisées en deux parties égales, afin que le total fut séparé en deux.

On commençait en entrant par réciter à genoux la prière Veni creator spiritus, avec l'oraison, après laquelle on distribuait l'ouvrage à toutes ensemble, dans la salle du travail ; ensuite, on faisait passer la première partie dans la salle de l'école où les maîtresses des classes les enseignaient pendant une heure, après quoi les renvoyaient au travail, et faisaient passer la seconde partie à leurs places aussi pendant une heure.

Chacune avait soin de laisser son sac à ouvrage à sa place, afin de ne point causer de désordre en reprenant l'ouvrage.

La maîtresse du travail leur faisait garder le silence et veillait à ce qu'elles s'occupassent exactement. Elle avait soin, pendant ce temps, d'apprendre à chacune des commençantes en particulier à répéter leurs prières correctement, et demandait alternativement aux autres le catéchisme ; ensuite, lorsqu'elles avaient toutes, passé le temps prescrit à l'école, et qu'elles étaient réunies, on leur faisait, pendant un quart d'heure, une lecture de catéchisme historique qu'on leur faisait apprendre par mémoire, autant que possible ; on chantait ensuite un cantique, après quoi on disait la prière Sub tuum præsidium avant de les congédier.

L'après-midi on observait le même ordre que le matin, excepté que l'on prenait l'heure du maître de danse, entre quatre et cinq heures.

Toutes les fautes contre les devoirs de religion : par exemple celles qui auraient manqué de respect et de révérence dans l'église, ou à faire leur prière, ou proféré quelques paroles de jurement, étaient mises à genoux au milieu de l'école, autant de temps que la gravité de la faute l'exigeait.

Toutes les fautes contre la charité : par exemple, celles qui avaient disputé avec leurs compagnes, ou qui les avaient injuriées ou qui étaient d'un esprit ou d'un caractère difficile, étaient mises sur une sellette au milieu de la classe, autant de temps qu'il était nécessaire pour leur amendement.

Toutes celles qui avaient commis des fautes contre la retenue et la modestie, soit à l'école, soit au dehors, étaient mises sur le banc de pénitence.

Toutes celles qui se tenaient malpropres, par leur faute et négligence, étaient placées sur un banc particulier.

Les fautes de classe contre la lecture, l'écriture, etc., étaient punies par un ruban noir attaché en forme de cocarde à leur coiffure ou bonnet, qu'on leur faisait porter autant de temps qu'il était jugé nécessaire.

Celles qui reprochaient à leurs compagnes ou rapportaient au dehors les pénitences faites dans la classe, étaient punies comme celles qui avaient manqué de charité, et comme l'esprit de révolte et d'entêtement était la plus grande et la plus considérable de toutes les fautes, s'il arrivait qu'aucune eût le malheur d'y tomber, les maîtresses de classe ne pouvaient les punir sans en avoir conféré avec la supérieure qui ordonnait la qualité du châtiment.

Les premières de chaque classe étaient placées sur le banc des récompenses ; celles qui l'avaient occupé pendant un mois de suite, portaient pendant huit jours une rosette de ruban blanc sur le devant de leur coiffure ; celles qui l'avaient occupé pendant trois mois de suite, étaient récompensées par un prix.

Joséphine séjourna au dit couvent jusqu'à la mort de sa sœur Catherine-Désirée, survenue le 16 octobre 1777. Faible de constitution, les médecins avaient fini par diagnostiquer la tuberculose et la pauvre enfant s'en alla dans un crachement de sang, à l'âge de treize ans.

Le corps fut transporté et inhumé aux Trois-Ilets.

ACTE DE DÉCÈS DE CATHERINE-DÉSIRÉE.

Le seize octobre 1777, j'ai inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de demoiselle Catherine-Désirée de la Pagerie, âgée de treize ans.

Signé : TORAILLE, D'HOMBLIÉRE, PAYAN et frère THÉODOSE de COLMAR, capucin, curé.

 

Après la disparition de sa sœur, Joséphine est restée auprès de sa mère.

Un an plus tard, exactement le 18 décembre 1778, le bruit du canon, réveillant les plus amers souvenirs, se faisait entendre dans le lointain, au sud de l'ile. Ce sont les Anglais qui attaquent Sainte-Lucie où les La Pagerie avaient une petite propriété.

La France étant entrée dans la guerre d'Amérique pour soutenir les colonies anglaises qui s'étaient soulevées et avaient proclamé leur indépendance, sous le nom d'Etats-Unis d'Amérique, l'Angleterre nous attaquait dans les Antilles. Par les traités de Paris et de Versailles, signés en 1763, l'Angleterre avait reconnu l'indépendance des Etats-Unis et la France avait recouvré aux Antilles les iles Sainte-Lucie et Tobago ; en Afrique, le Sénégal ; en Asie, Pondichéry et Mahé.

Des hauteurs de la partie sud de la Martinique on pouvait suivre la bataille. Toute la population s'y était portée, abandonnant le travail des champs. Tout fait prévoir un succès pour les Anglais, l'ile n'étant pas proprement défendue. Les forts, démantelés par les canons de la flotte ennemie, ne répondent déjà presque pas, le pavillon français ne flotte que sur l'un d'eux, et le général Meadows qui a débarqué 1.300 hommes d'élite, vétérans de la guerre d'Amérique, occupe bientôt les environs de la ville de Castries, lorsque soudain, à l'horizon, apparaissent des voiles qui, poussées par un vent favorable, approchent en ligne de bataille. C'est la flotte de l'amiral Destaing : 12 vaisseaux, des frégates, des transports et 9.000 hommes de troupes de débarquement.

La nuit étant proche, d'Estaing décide d'attendre le lendemain pour attaquer. Dès le lever du soleil il fait attaquer, en même temps que le marquis de Bouillé, à la tête de 5.000 hommes, opère un débarquement afin de prendre à revers les 1.300 hommes de Meadows. Les Français chargent avec impétuosité, ils sont reçus par les Anglais à la baïonnette, après une décharge meurtrière d'artillerie. Repoussés, les Français reforment leurs rangs et par trois fois reviennent à la charge. Finalement ils doivent abandonner le champ de bataille. 400 hommes ont été tués. D'Estaing obtient la permission de relever les blessés au nombre de 1.100. Pendant dix jours il reste sur les lieux et le 29, tous ses hommes valides ayant été embarqués, il prend le large. Aussitôt, le chevalier de Micoud qui commandait le fort fait offrir une capitulation dont les termes favorables sont acceptés. Le commandant et la garnison, prisonniers de guerre, sont envoyés à la Martinique pour servir d'échange[34].

D'Estaing, plus heureux par la suite, profita de l'absence de l'amiral Byron, qui commandait en chef la flotte anglaise, pour prendre Saint-Vincent et la Grenade. Il devint la terreur de nos ennemis dans les Antilles jusqu'au jour où il reçut l'ordre, avec 22 vaisseaux et 10 frégates, de se rendre sur les côtes américaines du Nord pour participer à la lutte d'où devait sortir l'indépendance des Etats-Unis.

***

Le 22 février 1779, le général François-Claude-Amour, marquis de Bouillé était nommé Gouverneur général des Iles sous le Vent[35]. A son arrivée à Fort-Royal, il fut reçu en grande pompe.

Moreau de Jonès, qui accompagnait le nouveau Gouverneur, nous a donné un aspect de la ville de Fort-Royal à cette époque :

La rade, d'une vaste étendue, est distribuée par mouillages différents, selon les opérations navales et le tirant d'eau des bâtiments, et ceinte dans son pourtour de mornes d'élévations, de structures et d'aspects singulièrement variés. A l'entrée de la baie, à gauche, un grand saillant en resserrait l'ouverture : la Pointe des Nègres, promontoire basaltique par lequel se termine une coulée de lave longue de 8.000 mètres. De l'autre bord, se projetait en avant de la côte du Sud, l'islet à Ramiers, dont les batteries se croisaient avec celles de la Pointe des Nègres, pour défendre l'entrée de la rade : un énorme amas de blocs prismatiques, superposés confusément et dépassant une élévation de cent pieds. En face des vaisseaux qui pénètrent dans la baie, Fort-Royal[36], grand rocher péninsulaire de tuffa volcanique, dont le sommet est coupé dans toute sa longueur par des batteries étagées, formidables pour l'époque. Au revers, un port profond nommé le Carénage. Le glacis qui se déploie en avant du front d'attaque de la forteresse est une promenade charmante, ombragée par des tamarins, arbres dont l'ombre épaisse ne permet point aux rayons du soleil tropical de la traverser. La ville borde cette promenade et s'étend sur un terrain de remblais et d'alluvions, au pied de la montagne, que couronnent les fortifications d'un pentagone régulier : le fort Bourbon. Une plage demi-circulaire, baignée par une mer sans marée, couverte de pirogues et de matériaux, garnie dans toute sa longueur de magasins pour les denrées coloniales et les marchandises d'Europe. Les maisons sont construites en charpente, couvertes en essentes, et tenues très basses dans l'appréhension des tremblements de terre ; pas de vitres aux croisées, ce qui étonne les Européens, mais elles sont environnées d'une si brillante verdure et il s'élance de leurs jardins des arbres dont le port est si élégant, qu'on oublie facilement l'imperfection des ouvrages des hommes en admirant la beauté de la nature sous ce puissant climat.

 

De nos jours, la ville, construite sur un terrain marécageux que les générations successives ont drainé, comblé, exhaussé, possède 43.000 habitants. Les rues rectilignes se coupent à angle droit, et les maisons sont toujours construites en mur et en bois, les plus récentes en ciment armé, toujours pour résister à la fois aux incendies, aux cyclones et aux tremblements de terre. Elles comportent en général deux étages. La Savane, grande place publique, est, comme autrefois, la promenade favorite de l'après-midi. Un jardin — Desclieux — offre à toutes les heures de la journée l'ombre fraîche de ses allées et le charme de ses massifs aux tons variés. Sur les mornes environnantes, on voit de très jolies villas, dont les plus renommées sont celles du plateau Didier.

En 1779, on voyait, partant du rivage, la zone des cultures de la canne à sucre s'élever par des gradins disposés concentriquement comme ceux d'un amphithéâtre colossal. Au-dessus paraissaient, en bosquets, symétriquement plantés, les caféiers qui donnent au milieu de l'Atlantique équatoriale, les moissons parfumées de l'Arabie. On découvrait, au milieu, encadrées dans le feuillage des arbres, des maisons champêtres éparses sur la pente des coteaux et souvent indiquées au voyageur par des palmiers solitaires.

Au delà de la zone habitée, une immense forêt séculaire qu'environnait, à leur base, les montagnes du centre de l'île, se déployait comme un péristyle dont les colonnes étaient des arbres de cent pieds de haut. Le dôme de verdure qu'ils soutenaient ne laissait point pénétrer les rayons du soleil, tant les rameaux étaient multipliés et le feuillage touffu. Du centre de cette forêt s'élançaient cinq pics aigus, pyramidaux, dont la lave porphyritique était recouverte d'un bois d'arbrisseaux fleuris. Ces pics sont liés ensemble par de grandes courtines moins élevées que leurs sommets. Le polygone que formait ces projections gigantesques renfermait jadis le foyer du volcan — le Carbet — d'où sont sorties les éruptions qui ont engendré toutes ces fertiles campagnes, de même que la vallée de l'Etna, la patrie du blé, dit-on, et la corbeille de fleurs de la Sicile, est surgie du mont Etna.

Ces belles montagnes[37] étaient considérées par les habitants primitifs de l'archipel comme le berceau du genre humain et lorsque la race indigène en fut chassée par les Caraïbes[38], elle en consacra le souvenir en imposant leurs noms aux plus hautes montagnes d'Haïti où elle fut chercher une autre patrie. Au rapport de Pierre Martyr d'Angheria, dans la plus vieille relation qui ait été faite des premiers voyages de Christophe Colomb, cet illustre navigateur, en passant devant la Martinique, à la vue des pitons du Carbet, apprit ces particularités par les indiens d'Haïti embarqués à bord du vaisseau amiral.

***

En cette même année, 1779, un compagnon d'armes du Gouverneur général de Bouillé, le célèbre Paul John — surnommé Jones — recevait du Congrès américain le commandement d'une flotte. S'étant par la suite emparé d'un gros vaisseau anglais, deux fois de force supérieure à son navire, pour cet exploit Louis XVI lui offrit une épée d'or. La paix signée, il prit du service dans la marine russe, fut nommé contre-amiral par Catherine II et, après diverses tribulations, mourut à Paris en 1792.

 

 

 



[1] C'est Bonaparte qui en fit Joséphine.

[2] Nourrice, en créole.

[3] Il avait épousé au Carbet Marie-Thérèse Jaham Desprez.

[4] Surnommée Nanette.

[5] Dans les actes ont trouve indifféremment Taschor ou Taschers.

[6] Certains ont écrit Belair ou Beliain.

[7] Lire Marc Lescarbot, Histoire de la nouvelle France.

[8] Victoire des îles Caymans.

[9] Ce morne a depuis reçu le nom de Mount Misery.

[10] Bulletin de la Société Historique et archéologique de l'Orne, t. XIX, p. 418 à 423, sous ce titre : Quelques mots sur la maison de Tascher, au Perche.

D'Hozier, Armorial général de la France.

J. Gazin, Éléments de bibliographie générale, 1927.

Les Tascher de La Pagerie, portent d'argent à trois fasces d'azur chargées de trois flanchis d'argent, accompagnées en chef de deux soleils de gueules.

[11] On écrivait aussi des Prés.

[12] On écrit aussi Sannois. — Le village de Sannois (S.-et-O.), ancien fief de la famille, s'écrit avec deux n.

[13] Cet endroit est appelé le bassin de la Reine.

[14] Lettres de Napoléon à Joséphine, Paris, 1929.

[15] Grosses boucles d'oreille en or.

[16] Un écrivain anglais M. Thomas Fergusson, en se basant sur ce qu'il n'y a pas d'acte de naissance établie à la Martinique mais seulement un acte de baptême, a cru pouvoir avancer que Joséphine est née à Sainte-Lucie. Un mois après sa naissance elle aurait été transportée aux Trois Ilets, par mer. Aucun acte authentique n'est apporté pour appuyer cette légende. La famille de La Pagerie a possédé à Sainte-Lucie une propriété qui s'appelait Paix Bouche ainsi désignée parce que la maison d'habitation se trouvait sur un morne élevé et que pour y parvenir, le sentier était si rapide, que l'on s'essoufflait et qu'il devenait impossible de parler. Joséphine n'y alla jamais.

Par une vieille coutume, le sacrement de baptême était administré dans l'intimité, aussitôt après la naissance, et le baptême en cérémonie beaucoup plus tard.

[17] Ce portrait a été volé par les Allemands en 1914.

[18] Voir le chapitre : A l'ombre de l'échafaud.

[19] L'auteur est né à la Guadeloupe.

[20] C'est ainsi qu'on appelait les esclaves nègres venus du Congo.

[21] N'oublions pas que sous Louis XVI il existait encore des serfs en France.

[22] C'est le but d'Hitler.

[23] Nom américain du tabac. La plante fut plus tard nommée tabac, parce qu'on la tirait dans le principe de Tobago, et enfin nicotine, du nom de M. de Nicot, qui l'avait fait connaître en France le premier. Le tabac fit la fortune des planteurs coloniaux avant l'introduction de l'industrie du sucre aux Antilles. C'est vers 1644, que la canne de Batavia, cultivée de haute antiquité dans .l'Inde et la Chine, importée en Espagne par les Arabes, fut introduite par les Espagnols dans l'archipel américain. Dix ans après, un juif venu du Brésil, Benjamin Dacosta (les descendants existent encore à la Barbade) apportait à la Martinique les premiers engins à sucre, et un demi-siècle plus tard, la canne avait remplacé le petun et l'indigo qui, avec le cacao et le rocou, s'étaient partagés avant cela les champs.

[24] M. Blanqué était le Commandeur de la famille de La Pagerie.

[25] Aux Antilles, sur les habitations, tout se fait aux sons d'une cloche. La cloche appelle au travail le matin, sonne l'heure du déjeuner, commande la reprise du travail et indique la fin de la journée. Elle sert aussi à annoncer les grands événements, les cyclones, les incendies.

[26] Nom donné aux Antilles aux moustiques.

[27] En caraïbe : chef, capitaine.

[28] C'est ainsi que les Caraïbes désignaient la tempête. Le mot ouragan des Européens vient des Grecs.

[29] En caraïbe : grand homme du passé.

[30] Ils ont disparu de la Martinique.

[31] Grosse chauve-souris.

[32] Parce que le vent a seulement renversé les bananiers.

[33] A chaque couplet, les deux derniers vers sont bissés.

[34] Rapport du général Meadows à l'amirauté anglaise.

[35] De Bouillé s'était distingué pendant la guerre de Sept ans. Durant les premières années de la Révolution, il commanda les armées de l'Est et c'est lui que consulta Louis XVI lorsqu'il projeta sa fuite. De Bouillé présida à toutes les dispositions de cette fuite qui devint futile par l'arrestation du roi à Varennes (21 juin 1791). A son tour, de Bouillé dut fuir et il alla en Russie, puis en Angleterre, où il écrivit ses Mémoires sur la Révolution française, Londres 1797, publiés à Paris en 1801. Il mourut le 14 novembre 1800.

[36] Le grand Ruyter et 3.000 hollandais du comte de Stirum voulurent s'emparer de la Martinique en 1674 (20 juillet) et subirent une humiliante défaite de la part de 110 colons français, aidés de quelques marins, qui étaient enfermés dans ce fort.

[37] Les pitons du Carbet dressent leurs cimes harmonieuses à plus de 1.200 mètres.

[38] Venus de la terre ferme, les Caraïbes conquirent les îles et tuèrent tous les habitants mâles.