LA PALESTINE AU TEMPS DE JÉSUS-CHRIST

D'APRÈS LE NOUVEAU TESTAMENT, L'HISTORIEN FLAVIUS JOSÈPHE ET LES TALMUDS

LIVRE SECOND. — LA VIE RELIGIEUSE

 

CHAPITRE XI. — LE TEMPLE. - LES PARVIS.

 

 

Caractères généraux de la religion du Temple. — Aspect du Temple vu du Mont des Oliviers. — Sa construction. — Le parvis des Gentils. — Ses portes. — Ses portiques. — Son usage. — Le Hel. — Le parvis des femmes. — Les treize portes et les treize troncs pour les aumônes. — Le parvis d'Israël. — Le parvis des prêtres. — L'autel des holocaustes. — La salle des séances du Sanhédrin. — Les salles et les portes du parvis des prêtres. — Le Corban.

 

La religion juive, telle que nous venons de la décrire dans les chapitres qui précèdent, est complète ; le Pharisien l'a façonnée à son image, il a assuré son avenir, et le Temple avec ses cérémonies antiques, ses prêtres et ses lévites, ses sacrifices et ses holocaustes, n'est plus absolument nécessaire à l'Israélite fidèle. Il peut pratiquer la Loi sans y monter jamais. Le Saducéen seul est à son aise dans le Sanctuaire, car il représente avec lui un passé qui s'en va. Dans quelques années, après la catastrophe de l'an soixante-dix, l'un et l'autre disparaîtront. Il n'y aura plus ni Temple, ni Saducéens, mais il y aura encore des synagogues et des Pharisiens ; cela suffira. Le Judaïsme subsistera tout entier. Cet énorme monument qui domine Jérusalem et toute la Judée, cette gigantesque construction qui s'appelle le Temple, n'a plus de prestige que pour le Juif arrivant de loin et qui ne l'a jamais vue, pour le pèlerin Galiléen venant y faire ses ardentes dévotions. Mais le bourgeois de Jérusalem sait depuis longtemps à quoi s'en tenir. Il n'ignore pas que les prêtres Saducéens qui sont de service sourient tout bas des cérémonies qu'ils pratiquent et sont de purs formalistes. Le sacrifice a été condamné le jour où Esaïe s'est écrié : Qu'ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices, dit l'Eternel ? Je suis rassasié des holocaustes de bélier et de la graisse des veaux. Je ne prends point plaisir au sang des taureaux, des brebis et des boucs[1]. Ces paroles avaient été vraiment prophétiques, elles renfermaient le germe de Ta venir ; à dater du jour où elles furent prononcées, le Temple fut perdu. Esdras eut beau restaurer la Loi et par suite le Sanctuaire, Hérode eut beau bâtir un somptueux monument, la synagogue devait le remplacer ; l'hébraïsme antique avait fait son temps, une évolution était nécessaire, et Esdras, en instituant partout les maisons de prières, fut l'initiateur de cette inévitable réforme. Au commencement du premier siècle, et tout le temps que l'édifice sacré sera debout, le Pharisien s'y rendra encore, il saura même mourir pour le défendre et ne se doutera pas qu'il a travaillé contre lui, en s'opposant au Saducéisme, en disant que la synagogue suffit et en spiritualisant le Judaïsme. Toutes les formes sont observées, on ne sait même pas que ces formes sont désormais vides de sens, mais il en est ainsi. L'indifférence des cœurs est profonde ; le règne du Sanctuaire touche à sa fin.

Après les remarquables travaux dont le Temple de Jérusalem a été l'objet, nous ne pouvons songer à en donner ici qu'une simple description topographique destinée à faciliter l'intelligence du Nouveau Testament. Nous avons deux sources capitales à consulter, Josèphe[2] et la Mischna[3]. L'admiration de l'historien juif est sans bornes : Cet édifice, dit-il, était certainement le plus admirable qui ait jamais existé sous le soleil ; et les Rabbins ne s'expriment pas avec moins d'enthousiasme : Celui qui n'a pas vu le Temple d'Hérode n'a jamais vu de bel édifice[4].

La meilleure place pour l'apercevoir d'un peu loin et se faire une idée de l'ensemble était le sommet du Mont des Oliviers. C'est là que Jésus s'assit un jour et prédit à ses apôtres la ruine prochaine des grands bâtiments qu'ils avaient sous les yeux[5].

L'apparence générale était celle d'une forteresse, à cause de l'énorme mur de défense qui entourait les cours et formait la première enceinte. Il était un peu moins élevé du côté oriental[6]. On pouvait donc, du haut du Mont des Oliviers, voir au delà, et on apercevait dans l'intérieur une série d enceintes successives dont les murailles étaient toujours plus élevées en se rapprochant du centre, et, entre ces murailles, des terrasses qui formaient autant de cours et qui communiquaient entre elles par des escaliers[7].

Il y avait plusieurs de ces parvis, et il fallait les traverser tous pour arriver au sommet où se trouvait le Sanctuaire (ίερόν), l'hiéron, bâtiment couvert, renfermant le lieu saint et le lieu très saint. Les parvis, placés les uns au-dessus des autres, se succédaient de l'Est à l'Ouest. Le plus grand, le premier, celui qui renfermait les autres était immense. Quant au Sanctuaire lui-même, il était, dit Josèphe, couvert de dorures étincelantes ; le toit en particulier était semé d'aiguilles et de pointes dorées pour empêcher les oiseaux de s'y poser, et, de loin, du haut du Mont des Oliviers, quand le soleil levant les éclairait, on croyait voir un effet de neige[8].

Tel était l'aspect général au temps du Christ. Aujourd'hui la mosquée d'Omar est bâtie sur cet emplacement appelé par les musulmans le Haram. La parole de Jésus : Il n'en restera pas pierre sur pierre qui ne soit renversée[9] s'est accomplie au pied de la lettre pour le Temple, pour le Sanctuaire. Quant à la première enceinte elle subsiste encore en partie et telle que Jésus Ta vue. Elle est faite de pierres énormes et en place depuis le temps du roi Salomon. C'est d'elles que parlaient les apôtres quand ils s'écriaient : Quelles pierres ![10] Les voyageurs modernes en ont mesuré quelques-unes ; elles ont jusqu'à six mètres trente-cinq centimètres et quelques-unes sept mètres vingt-cinq centimètres de longueur. Elles forment maintenant le mur du Haram, et c'est dans cette muraille que l'on voit l'origine d'une arche qui faisait partie du pont traversant la vallée des fromagers et dont nous avons parlé au second chapitre de notre premier livre[11].

La tradition plaçait sur la montagne du Temple remplacement de l'aire d'Ornan le Jébusien, sur lequel David avait élevé un autel[12]. On disait encore qu'Abraham y bâtit l'autel sur lequel il fut sur le point de sacrifier Isaac, que Noé y brûla son holocauste en sortant de l'arche, que Caïn et Abel y offrirent leurs sacrifices, enfin qu'Adam lui-même après sa création y rendit un culte à l'Eternel[13].

Un seul fait est certain : c'était là que s'élevait le Temple de Salomon. Il fut détruit de fond en comble quand le peuple fut emmené en captivité ; et, à leur retour de l'exil, les Juifs avaient construit sur ses ruines un édifice provisoire. Devenu depuis longtemps insuffisant, il fut rebâti par Hérode le Grand et c'est de ce Temple d'Hérode que nous parlons ici. Commencé la dix-huitième année de son règne, l'an 734 de Rome (19 avant Jésus-Christ) il fut achevé sous son arrière petit-fils, Agrippa II, en l'an 64 après Jésus-Christ[14]. On mit donc quatre-vingt-trois ans à le bâtir. On y travaillait encore pendant la vie de Jésus et lorsqu'il commença son ministère on était dans la quarante-sixième année depuis le commencement des travaux[15].

Six ans après qu'il fut achevé (70), il fut détruit de nouveau et entièrement. Quand Jésus le vit, il ne restait à faire que des détails d'ornementation intérieure. Dix-huit mois avaient suffi pour que le bâtiment principal fût terminé et les portiques avaient été achevés au bout de huit ans[16].

Ce Temple était construit dans le goût grec et romain du temps ; lourd à la fois et prétentieux[17], Le seul fragment qui en reste, la Porte-Dorée, aujourd'hui murée, suffit à nous donner une idée de l'ensemble. Elle est surmontée de chapiteaux formés de deux rangs superposés de feuille d'acanthe ou du moins d'un végétal semblable à l'acanthe[18].

 

LA COUR DES PAÏENS.

 

La première enceinte n'était qu'un immense carré de cinq cents coudées de côté (225 mètres). L'intérieur formait une cour appelée parvis des Gentils ou cour des païens, dont on peut dire qu'elle était le lieu de réunion de la Palestine entière. Dans cette cour et vers le Nord-Ouest se trouvaient les bâtiments du Temple, comme on peut le voir sur le plan ci-joint.

On pénétrait dans le parvis des Gentils par un certain nombre de portes. Du côté de l'Ouest était la porte de Suse, elle s'ouvrait sur le mont des Oliviers ; il y avait, en outre, deux entrées au midi, quatre à l'Occident et une au Nord ; mais on ne se servait pas de celle-ci. Le voisinage de la Tour Antonia était peut-être le motif de cette exclusion. Les portes du Temple formaient comme celles de la ville un passage profond et couvert avec deux battants à chaque extrémité et au-dessus une chambre ou tour destinée à en défendre l'accès. Ces tours eurent une grande importance à la fin du siège de Jérusalem quand les derniers combattants s'y réfugièrent pour empêcher l'envahissement du Sanctuaire.

A l'intérieur du parvis et le long des murs régnaient des portiques. C'étaient des abris contre la pluie et le soleil, des promenoirs retentissant tout le jour de la voix aigre des Scribes, des discussions ardentes des Pharisiens, des moqueries insultantes des Saducéens. Le portique qui longeait le mur oriental des deux cotés de la porte de Suse s'appelait portique de Salomon. Celui qui longeait le mur du Midi était le portique royal (στοά βασιλική). Il était triple, dit Josèphe[19], c'est-à-dire qu'il était composé de quatre rangées de colonnes formant trois allées. Celui de Salomon n'avait que trois rangées de colonnes, et par suite deux allées seulement. Les toits de ces galeries étaient de bois de cèdre sculpté ; les colonnes avaient vingt-cinq coudées (11m25) de hauteur, et la largeur de l'espace couvert était de trente coudées (13m 50). Les piliers étaient formés d'un seul bloc de marbre blanc, et le sol était pavé de pierres de différentes couleurs[20]. Du portique de Salomon[21] on découvrait toute la vallée de Cédron ; et, en face de lui, le spectateur avait les tombeaux des prophètes[22] bâtis sur la pente de la colline des Oliviers.

La cour des Gentils, appelée cour commune par les Juifs, était ouverte à tout le monde. Les païens, hommes ou femmes, y circulaient librement[23] ainsi que les excommuniés, les hérétiques, les personnes dans le deuil, et ceux qui avaient contracté des impuretés[24].

Josèphe l'appelle le Temple extérieur. C'était une place publique, un forum, un bazar, les marchands de bestiaux s'y installaient dès le matin, et les changeurs y dressaient leurs petites tables, offrant la monnaie sacrée contre la monnaie romaine ; la foule allait et venait ; on vendait des tourterelles prises sur les cèdres de Hanan[25] aux femmes relevées de couches et des passereaux aux lépreux[26] ; on leur en donnait cinq pour deux pites[27]. A certains jours il y avait affluence de pèlerins venus de Galilée ou d'ailleurs. On discutait, on argumentait, on se disputait ; l'édification et le recueillement étaient totalement absents et le désordre d'une mosquée musulmane peut seul donner une idée de l'aspect ordinaire de la cour des Gentils.

Cependant il y avait certains règlements à observer et tout Juif, tout zélateur de la Loi pouvait prendre l'initiative de leur observation. Les vendeurs et les changeurs devaient s'établir non dans la cour, mais hors de l'enceinte, près des portes. Leur présence à l'intérieur du parvis, tolérée depuis longtemps, était un pur abus. Jésus chercha un jour à y mettre fin en chassant impitoyablement tous les marchands. Il est probable que plus d'un Pharisien l'approuva en secret. Il alla plus loin : Il ne laissa personne transporter aucun objet à travers le Temple[28]. Il ne faisait que suivre les prescriptions des rabbins. Quel est le respect que l'on doit au Temple ? disent les Talmuds[29], c'est que personne ne vienne dans la cour des païens avec son bâton, avec ses chaussures, avec sa bourse, avec de la poussière aux pieds, et qu'il ne s'en serve pas comme de chemin en la traversant, et qu'il n'en fasse pas un endroit où il crache à terre.

L'intérieur de la cour des païens avait été nivelé, comme du reste le sol de tous les parvis. On marchait de plain-pied dans toutes les cours, et les escaliers qui conduisaient de l'une dans l'autre se trouvaient aux portes.

 

LA COUR DES FEMMES.

(Azarath Naschim)

 

Pénétrons maintenant dans la partie du Temple qui n'était accessible qu'aux Juifs.

La première cour dans laquelle nous entrons est appelée cour des femmes. Tous les Israélites, hommes ou femmes, y circulent librement, mais les femmes ne peuvent aller plus loin, et de là vient le nom de ce parvis. Il est carré et a cent trente-cinq coudées (60m75) de côté. Il est séparé de la cour extérieure ou parvis des Gentils par deux murs parallèles et l'espace compris entre ces murs qui a dix coudées (4m50) de largeur porte le nom de Hel (espace entre les murs). Le premier, celui qui sépare le Hel de la cour des païens, n'aurait eu, d'après la Mischna, que dix palmes de hauteur et n'aurait été qu'une simple barrière[30]. Josèphe nous indique un chiffre plus probable quand il lui donne trois coudées (1m35). C'était une balustrade de pierre, travaillée avec art, et percée de treize portes. Devant elles, de distance en distance, treize colonnes portaient une inscription, probablement en grec et en latin, défendant aux païens, sous peine de mort, de pénétrer plus avant. Josèphe, qui nous décrit ces petits monuments, nous dit que les Romains les respectaient[31]. On a mis en doute cette assertion de l'historien juif ; mais si saint Paul fut un jour accusé d'avoir laissé des Grecs entrer dans le Temple[32], cette accusation suppose bien une défense formelle et écrite. Philon, du reste, parle aussi de ces inscriptions[33] ; et M. Clermont-Ganneau a précisément découvert, il y a quelques années, l'une de ces stèles gravées en caractères grecs. On peut supposer que Jésus Ta vue, Ta lue ; il est certainement passé devant[34].

On entrait dans le Hel par les treize portes placées derrière les treize colonnes. La principale était à l'Est et avait un escalier de quatorze marches. Chacune d'elles ayant une demi-coudée de hauteur (0,22m½), on montait en tout 3m15 ; puis on traversait le Hel et alors venait une seconde porte donnant accès dans la cour des femmes. Cette porte aussi avait un escalier de douze marches (2m30 environ). La cour des femmes était donc plus élevée de 5m45 que la cour des Gentils. La porte dont nous venons de parler s'appelait la Belle[35] ou la Corinthienne[36]. Ses deux battants ensemble avaient trente coudées de hauteur (13m50) et quinze de largeur (6m75) ; à l'intérieur de la voûte deux colonnes de douze coudées (5m40) de circonférence supportaient la tour. Le mur qui séparait la cour des femmes du Hel avait vingt-cinq coudées (11m25) et neuf portes, quatre au Nord, quatre au Sud et la Belle à l'Est. Un portique semblable à ceux de la cour des païens, mais plus simple régnait à l'intérieur de la cour[37].

Devant les portes treize troncs appelés dans les Talmuds Schoupheroth (trompettes), à cause du goulot étroit qui les surmontait, recevaient les sommes offertes pour les divers services du Temple. Chacun avait sa destination différente indiquée par une inscription en langue hébraïque[38]. Le premier portait : sicles nouveaux, c'est-à-dire sicles consacrés aux dépenses de la présente année ; le second : sicles anciens, c'est-à-dire, sicles consacrés aux dépenses de l'année précédente ; le troisième portait : colombes et tourterelles ; l'argent qu'on y mettait servait à couvrir le prix à payer par celui qui avait à offrir deux tourterelles ou deux colombes, l'une en holocauste, l'autre en sacrifice pour le péché. Au dessus du quatrième tronc était écrit : Holocaustes, c'était l'argent couvrant les dépenses des autres holocaustes. Le cinquième portait le mot : Bois, il renfermait les dons des fidèles destinés à acheter du bois pour l'autel. Le sixième : Encens (argent pour acheter l'encens) ; le septième : Pour le sanctuaire (argent pour le propitiatoire) ; les six derniers portaient l'inscription dons à volonté[39]. Nous savons leur destination : lorsqu'on avait acheté ce qu'il fallait pour offrir un sacrifice et qu'il restait quelque chose, on mettait ce surplus dans l'un de ces troncs. L'un recevait ce qui restait après un sacrifice pour le péché, l'autre après un sacrifice pour une maladie ou pour la purification d'une femme récemment accouchée ; un autre ce qui restait après un sacrifice offert par un lépreux guéri, etc., etc. Devant un de ces treize troncs s'est passée la scène racontée par l'Evangile et où Jésus vit une pauvre veuve jeter une pite, tout ce qui lui restait, tout ce qu'elle avait pour vivre[40]. Jésus regardait ce que chacun mettait ; les offrandes étaient, en effet, toutes volontaires[41] ; cependant, si l'on donnait pour le bois ou pour l'encens, il y avait un minimum au-dessous duquel on ne devait rien offrir. Il fallait donner au moins ce qui était nécessaire pour une poignée d'encens ou pour deux morceaux de bois longs d'une coudée (0m45 c.) et gros en proportion. Tous ces dons réunis constituaient le Corban[42], c'est-à-dire l'argent consacré à Dieu, et la partie de la cour des femmes où se trouvaient les Schoupheroth était appelée le trésor. Lorsqu'il nous est dit : Jésus parla ainsi enseignant dans le trésor[43], cela signifie enseignant dans la cour des femmes et près des treize Schoupheroth.

Dans ce parvis, les femmes Israélites remplissaient leurs devoirs religieux. Elles s'avançaient à l'extrémité du côté du sanctuaire jusqu'à une balustrade qui était assez basse pour leur permettre de voir plus loin. L'entrée de la cour des femmes était interdite à quiconque avait contracté une souillure et s'en était purifié le jour même[44].

Aux quatre angles de ce parvis se trouvaient quatre chambres (lischca en hébreu) ou plutôt quatre petites cours, car elles étaient à ciel ouvert, et jusqu'ici, sauf les portiques, nous n'avons rien remarqué qui ne fût en plein air. Elles avaient quarante coudées de côté (18 mètres) et étaient carrées[45]. Celle du nord-est était la chambre du Naziréat ; c'est là que les Naziréens cuisaient leur repas de sacrifice, se faisaient couper les cheveux et les livraient pour être brûlés[46]. Au sud-est était la chambre du Bois. Les prêtres y visitaient celui qu'on apportait pour les sacrifices et s'assuraient qu'il n'était pas piqué de vers. Le bois reconnu attaqué ne pouvait servir à l'autel. Au sud-ouest était la chambre des Lépreux, C'était là, et aussi à la porte de Nicanor, que se pratiquaient les rites ordonnés pour leur purification. Nous les avons décrits[47]. Enfin, la cour du nord ouest était appelée chambre du Vin et de l'Huile.

 

COUR DES ISRAÉLITES.

(Azarath Yisraël)

 

Elle était très étroite, elle n'avait que onze coudées (4m95) de profondeur. Sa longueur était naturellement la même que celle du coté ouest de la cour des femmes, cent trente cinq coudées (60m75). C'était moins une cour qu'un emplacement réservé aux hommes qui se tenaient devant les femmes. On y entrait par une porte appelée de Nicanor ; elle était de bronze, tandis que toutes les autres étaient de bois et revêtues d'or et d'argent[48]. La tradition disait qu'elle avait été apportée d'Alexandrie par un certain Nicanor et miraculeusement sauvée d'un naufrage. A cette porte on montait un escalier de quinze marches en demi-cercle, mais ces marches étaient peu élevées. Elles n'étaient pas plus hautes, dit Josèphe[49], que cinq des autres.

La cour d'Israël n'était donc que de deux coudées (1m12) plus élevée que la cour des femmes. D'après les Talmuds on aurait chanté sur ces quinze marches les quinze Psaumes dits des degrés[50].

La tour qui surmontait la porte de Nicanor avait cinquante coudées (22m50) de hauteur et quarante coudées (18m) de largeur[51].

C'est à cette porte qu'on donnait à boire les eaux amères aux femmes soupçonnées d'infidélité[52]. Celte singulière cérémonie, qui est décrite dans la Mischna[53], était devenue extrêmement rare. Elle n'est mentionnée que deux fois dans les traditions rabbiniques et Rabbi Johanan ben Zaccaï l'abolit tout-à-fait au premier siècle. On pratiquait aussi à cette porte de Nicanor la purification de la femme accouchée et, en partie, celle du lépreux[54].

La limite extrême de la cour d'Israël était marquée par une balustrade au milieu de laquelle se trouvaient trois marches et une estrade ou se plaçaient les prêtres pour prononcer la bénédiction sur le peuple[55].

 

COUR DES PRÊTRES.

(Azarath Cohanim)

 

Nous approchons du sanctuaire ; nous voici à la dernière cour, celle des prêtres, le parvis où ceux-ci pouvaient seuls pénétrer. Au milieu s'élevait le ίερόν, le Temple au sens strict de ce mot, bâtiment couvert et dont nous parlerons plus loin. En entrant dans le parvis des prêtres on montait une marche d'une coudée (45 cent.) Si nous y ajoutons les trois marches de l'estrade du haut de laquelle les sacrificateurs bénissaient le peuple et qui avaient chacune une demi-coudée de hauteur, nous arrivons à un total de trois coudées (1m35) pour l'élévation de la cour des prêtres sur la cour d'Israël. Ce dernier parvis était immense ; il avait cent trente-cinq coudées de largeur (60m75) et une profondeur de cent quatre-vingt sept coudées (84m15). Le mur intérieur était entouré d'une colonnade.

Derrière l'estrade de bénédiction et devant la porte du sanctuaire s'élevait le grand autel des holocaustes, bâti de pierres non polies. Il était au milieu de la cour en face de l'entrée. Il était carré. Les Talmuds lui donnent trente deux coudées (14m40) de côté. Josèphe lui en donne cinquante (22m50) et ajoute qu'il avait quinze coudées de hauteur (6m75) ; cette différence s'explique aisément. Josèphe comprend dans son évaluation les gradins qui donnaient accès à l'autel, les Rabbins ne les ont pas comptés dans la leur. Les prêtres y montaient par une pente douce ménagée du coté du midi. Les pointes des quatre angles de l'autel se terminaient en forme de corne. On avait ménagé un conduit au sud-ouest par lequel le sang s'écoulait et allait se perdre dans le torrent de Cédron. Au Nord de l'autel plusieurs tables de marbre servaient à déposer la chair des victimes.

Au Nord el au Sud de la cour des prêtres et le long des portiques s'ouvraient plusieurs salles couvertes ; chacune avait une destination spéciale. La plus importante était celle des séances du Sanhédrin ou salle en pierres de taille (Lischcat-ha-Gazith) ; nous l'avons déjà décrite[56]. Elle avait deux entrées : l'une par la cour, l'autre par le Hel[57]. Gomme il n'était permis qu'au roi de s'asseoir dans la cour d Israël, les membres du Sanhédrin ne pouvaient le faire dans la salle de leurs séances que lorsqu'ils se tenaient dans la partie comprise dans le Hel, c'est-à-dire dans la première moitié. On s'est demandé où était Jésus enfant lorsqu'il s'assit[58] au milieu des docteurs. Il y avait trois endroits dans le Temple où l'on pouvait s'asseoir pour discuter, le premier à la porte de Suse, le second à la porte de la cour des Gentils et le troisième ici dans la première moitié de la salle en pierres de taille ; c'est dans l'un ou l'autre de ces endroits que Marie retrouva Jésus. Cette salle des séances du Sanhédrin avait assez la forme d'une basilique. Elle était exactement placée à l'angle Sud-Est de la cour des prêtres[59]. A coté d'elle et plus à l'Ouest était la salle dite de la Source, Elle renfermait un puits surmonté d'une poulie. On y puisait l'eau nécessaire dans la cour des prêtres[60].

La porte des eaux, donnant directement par le Hel dans le parvis des Gentils, était contiguë. Son nom lui venait sans doute de sa situation, à côté de la salle de la source. Il est possible aussi que l'on passât par cette porte l'eau dont on avait besoin dans certaines fêtes, les Tabernacles par exemple, où celle fournie par le puits ne suffisait pas[61].

Après cette porte, venait la salle du bois. Le bois trouvé pur, c'est-à-dire qui n'était pas attaqué par les vers, y était déposé avant d'être brûlé sur l'autel. Au-dessus de cette salle, au premier étage, s'en trouvait une autre où les prêtres se réunissaient pour discuter les questions relatives aux divers services. Enfin venaient les portes de l'oblation et de l'incendie. Les deux entrées correspondantes, placées exactement en face au Nord, avaient le même nom.

De ce côté nous trouvons d'abord une porte et une salle où étaient de garde les prêtres et les lévites. On l'appelait Nitsots et aussi porte du chœur[62].

Ensuite venaient la salle où on lavait les entrailles des victimes, et celle où on salait les peaux[63]. Au-dessus d'elle se trouvait une chambre où se baignait le grand-prêtre au jour solennel des expiations[64].

Plus loin s'ouvraient les portes de l'oblation et de l'incendie comme au côté Sud de la cour. Elles étaient séparées par la chambre du sel où l'on déposait le sel des oblations. La porte de l'oblation s'appelait aussi porte des femmes.

Son premier nom venait de ce que les bêtes destinées aux sacrifices entraient par là, et le second de ce qu'elle servait en particulier aux femmes pour y livrer aux prêtres les victimes qu'elles désiraient offrir sur l'autel.

La porte de l'incendie tirait son nom de l'usage auquel était consacré la salle contiguë. On y entretenait le feu perpétuel dont avaient besoin les sacrificateurs. On donnait aussi à ces deux portes (de l'oblation et de l'incendie) le nom de portes du Gorban, parce que le trésor du Temple se trouvait tout auprès. On réunissait là, sous le nom d'argent sacré ou Corban, le produit des treize troncs dont nous avons parlé, ainsi que l'impôt direct d'un demi-sicle par tête et par année[65].

C'était la caisse générale. Les Romains ne se faisaient pas faute d'y puiser de temps en temps et nous avons raconté comment Pilate se rendit odieux en prenant le Gorban pour payer la construction d'un aqueduc amenant à Jérusalem les eaux des étangs de Salomon[66].

Le Gorban était très considérable ; l'or de chaque collecte, disait-on, remplit trois immenses cuves creusées dans les souterrains du Temple[67]. Cet argent servait avant tout à payer le sacrifice quotidien. On l'employait aussi pour le salaire des fonctionnaires subalternes, de ceux qui décidaient si les animaux amenés étaient purs ou impurs, des Scribes attachés au sanctuaire et chargés officiellement de faire des copies de la Loi, des boulangers qui faisaient les pains de proposition, des préparateurs d'encens[68], etc. etc.

Enfin, à côté de la porte de l'incendie, étaient quatre salles : 1° celle des agneaux où étaient les agneaux réservés pour les sacrifices ; 2° celle des pains de proposition ; 3° la salle où les Asmonéens avaient déposé les pierres de l'autel après que les rois successeurs d'Alexandre l'eurent profané ; 4° une salle de bains. Il ne nous reste plus qu'à mentionner au Sud-Est du sanctuaire, dans la cour, un grand bassin d'airain semblable à celui qui avait été dans le Tabernacle et dans le Temple de Salomon. Un certain Ben-Katon y fit mettre douze robinets pour que douze prêtres pussent s'y laver à la fois. Le même personnage y fit installer un appareil y amenant directement l'eau du puits.

Telle était la cour des prêtres. L'impression première qui se dégage de la description succincte que nous venons d'en faire, impression irrésistible, est qu'elle devait ressembler beaucoup à l'intérieur d'un abattoir.

La bergerie pour les moutons qui sont amenés, la salle où on lavera leurs intestins, celle où on salera leurs peaux, rien n'y manque. Voici six rangées de quatre anneaux chacune auxquels on attache les victimes pour les égorger, voici huit tables de marbre sur lesquelles on dépose la chair des animaux sacrifiés, voici huit colonnes auxquelles on suspend les quartiers de viande pour les dépouiller et les écorcher. Sur l'autel ce sont des scènes de boucheries que nous avons peine à imaginer et qui contrastent étrangement avec l'idée que nous nous faisons aujourd'hui d'un culte, d'un sanctuaire, d'une cérémonie religieuse, sans parler de l'odeur écœurante de la graisse brûlée. Il nous est difficile, impossible même, à cause des longs siècles écoulés depuis que les religions où de tels sacrifices étaient pratiqués ont disparu, de donner à ces scènes d'abattoir un caractère sacré, de nous représenter à la fois les beuglements des victimes, le sang qui coule, le bois qui s'allume et le sacrificateur en costume, le décorum accompagnant chaque acte de ce culte sanglant, la solennité avec laquelle tout s'accomplit, malgré l'inévitable désordre de certains sacrifices. Mais que nous puissions ou non nous faire une idée de ce culte des Juifs, il se pratiquait cependant ; il est vrai qu'il était aux dernières années de sa vie, mais il avait derrière lui un long passé de plusieurs siècles.

 

 

 



[1] Esaïe, I, 11.

[2] Josèphe, Ant. Jud., XV, 11, I et suiv. D. B. J., V, 5, 1 et suiv.

[3] Surtout le traité Middoth.

[4] Talmud de Babylone, Bavabathra, fol, 4, a ; Succah, fol. 51, b.

[5] Ev. de Marc XIII, 2.

[6] Middoth, ch. I, hal. 3.

[7] Josèphe, Ant. Jud., XV, 11-14 ; D. B. J., V, 14.

[8] Josèphe, D. B. J., V, 5, 6.

[9] Ev. de Marc, XIII, 2.

[10] Ev. de Marc, XIII, 1.

[11] Il reste aussi du Temple la Porte-Dorée ; nous en parlerons plus loin.

[12] I Chroniques, XXI, 18 et suiv.

[13] Maimonide, in Beth habbechim, ch. II ; Juchas, fol. 9, 1.

[14] Josèphe, Ant. Jud., XX, 9, 7.

[15] Ev. de Jean, II, 20.

[16] Josèphe, Ant. Jud., XV, 11, 5 et 6.

[17] Voir Livre I, chap. XIII : Les Arts et la Littérature.

[18] La Porte-Dorée est-elle véritablement un reste du Temple d'Hérode ? C'était l'opinion de M. de Saulcy ; mais la presque unanimité des archéologues lui assigne une date très postérieure.

[19] Josèphe, Ant. Jud., XV, 14.

[20] Les portiques avaient été brûlés sous Archélaüs par les Romains, flans une émeute. Ce désastre avait été réparé, mais avec moins de somptuosité.

[21] Josèphe, D. B. J., V, 5, 2 ; Ant. Jud., XV, 11, 5 ; XX, 9, 7 ; Ev. de Jean X, 23.

[22] Ev. de Matthieu XXIII, 89 ; Ev. de Luc XI, 47 ; voir Livre I, chap. II : Environs de Jérusalem.

[23] Rabbi Gamaliel, se promenant dans la cour des Gentils, y vit un jour une femme païenne. Talmud de Jérusalem, Abodah Zavah, fol. 40, 2.

[24] Middoth, ch. II, hal. 2.

[25] Voir Livre II, chap. II : Les environs de Jérusalem.

[26] Lévitique, XIV, 4.

[27] Ev. de Luc, XII, 6.

[28] Ev. de Marc, XI, 16.

[29] Mischna, Berakhoth, IX, 5 ; Talmud de Babylone, Jevamoth, fol. 6, 6.

[30] Middoth, ch. 12, hal. 3 : Cet espace était large de dix coudées, séparé de la cour commune par une barrière haute de dix palmes.

[31] Josèphe, D. B. J., V, 5, 2 ; Ant. Jud., XV, 14 ; D. B. J., VI, 2, 4.

[32] Actes des apôtres, XXI, 28.

[33] Légat. ad Caïum, § 31.

[34] Voir Rev. polit. et litt., n° du 21 déc. 1872. En voici la teneur : Que nul étranger ne pénètre à l'intérieur de la balustrade et de l'enceinte autour du Sanctuaire. Celui donc qui serait pris serait cause (responsable envers lui-même) que la mort s'en suivrait.

[35] ώραία, Actes des apôtres, III, 2.

[36] Josèphe, D. B. J., V, 14, 3.

[37] Josèphe, D. B. J., V, 14. 3.

[38] Schekalim, VI, hal. 1, 5, etc.

[39] Schekalim, ch. VI, hal. 5 ; Middoth, loc. cit., hal. 5 ; Talmud de Babylone, Joma, fol. 16, 1.

[40] Ev. de Marc, XII, 41 et suiv.

[41] Schekalim, fol. 8, 4.

[42] Ev. de Matthieu, XV, 1 et suiv.

[43] Ev. de Jean VIII, 20.

[44] Maimonide, in Beth habbech.

[45] Voir Ezéchiel, XLVI, 21 et 22.

[46] Nombres, ch. VI, 1-22.

[47] Voir livre I, ch. XIV, La lèpre.

[48] Joma, ch. III, § 10 ; Josèphe, D. B. J., V, 5, 3.

[49] Josèphe, D. B. J., V, 14.

[50] Ps. CXX à Ps. CXXXV. Le fait est douteux. Nous croyons que ces Psaumes étaient avant tout les cantiques des pèlerinages, c'est-à-dire chantés par les pèlerins qui montaient à la ville sainte.

[51] Josèphe, Ant. Jud., XII, 17. Nous croyons, en effet, que dans ce passage il décrit la porte de Nicanor. Voir Munk, la Palestine, p. 553.

[52] Nombres, V, 19-22.

[53] Sotah, III ; voir E. Weil, La femme juive, p. 58 et suiv.

[54] Sotah, ch. I, hal. 5.

[55] Mischna, Middoth, ch. II, § 6.

[56] Livre I, chap. IV, le Sanhédrin.

[57] Middoth, ch. 5.

[58] Ev. de Luc II, 46.

[59] Le Traité Middoth dit : Au Sud de la cour des prêtres étaient la salle du bois, celle de la source et celle en pierres taillées. La Guemara de Babylone et Maimonide précisent davantage, et c'est du Traité Joma (fol. 25,1) que nous concluons qu'elle était à l'angle S.-E.

[60] Middoth, V, hal. 3 ; Joma, fol. 19, 1.

[61] Talmud de Babylone, Joma, fol. 31. Ce passage semble indiquer qu'un conduit d'eau de source passait par cette porte.

[62] Middoth, 1, hal. 5.

[63] Talmud de Babylone, Joma, 35, 1.

[64] Middoth, 5, hal. 2.

[65] Voir Livre I, chap. XI, La vie publique ; les impôts.

[66] Voir Livre I, chap. III. Ponce Pilate.

[67] Schekalim, 6, a.

[68] Graetz, Gesch. der Juden, III, 124.