LA PALESTINE AU TEMPS DE JÉSUS-CHRIST

D'APRÈS LE NOUVEAU TESTAMENT, L'HISTORIEN FLAVIUS JOSÈPHE ET LES TALMUDS

LIVRE PREMIER. — LA VIE SOCIALE

 

CHAPITRE PREMIER. — LA GÉOGRAPHIE DES ÉVANGILES.

 

 

La Palestine. — Ses frontières, son étendue. — La Galilée. — Le chiffre de sa population. — Nazareth. — Naïm. — Tibériade. — Capharnaüm. — Le Lac. — La Pérée. — Machéronte. — La Décapole. — Césarée de Philippe. — Bethsaïde Julias. — La Samarie. — Sichem. — Le puits de Jacob.

 

LA PALESTINE.

 

Le plus ancien nom de la Palestine (en hébreu Pelescheth)[1] est Canaan.

Les premiers habitants prétendaient, en effet, descendre de Canaan, fils de Cham. Dépossédés par la conquête des Hébreux, ils disparurent et les vainqueurs firent appeler leur nouveau pays, terre des Hébreux, ou terre d'Israël. Après l'exil, elle reçut le nom de terre de Judée, de même que les habitants voyaient changer leur nom d'Israélites en celui de Juifs. Les débris de la tribu de Juda avaient, en effet, presque exclusivement servi à former la nationalité nouvelle. Aussi les Romains disaient-ils toujours la Judée, la province de Judée, entendant par là désigner toute la Palestine, tandis qu'en réalité ils n'en désignaient qu'une partie, la province du Sud. Zacharie, le prophète, nomme une fois la Palestine : Terre sainte, et l'auteur de l'épître aux Hébreux l'appelle la Terre promise[2]. Dans les Talmuds elle est appelée Terre d'Israël ou Terre par excellence[3].

Les limites de la Palestine ont souvent varié dans le cours de l'histoire. L'antique pays de Canaan n'occupait qu'un espace assez restreint. Le Jourdain le bornait à l'Est, la mer à l'Ouest ; sa frontière du Sud partait de Sodome et Gomorrhe et aboutissait à Gaza, sa frontière Nord partait de l'Hermon et aboutissait à Sidon. David et Salomon gouvernèrent un royaume beaucoup plus étendu, dont nous n'avons pas à parler ici.

Il est impossible à l'aide des Talmuds de fixer les frontières de la Palestine au temps de Jésus-Christ. Les indications que nous trouvons éparses çà et là dans ces vastes recueils sont vagues, confuses et souvent contradictoires. Voici quelles étaient approximativement ces limites : la province d'Idumée la bornait au Midi et la frontière se trouvait être une ligne imaginaire, partant du Sud de la Mer Morte et allant jusqu'à la mer : celle-ci servait de frontière à l'Ouest, sauf une bande de terrain vers le Nord, qui formait la Phénicie avec Tyr et Sidon et qui ne dépendait point de Jérusalem. Au Nord, la frontière était marquée par le mont Liban et par la province d'Abilène (la Syrie) ; à l'Est enfin, la province de Pérée, qui était au-delà du Jourdain, se perdait peu à peu dans le désert. Nous ne pouvons préciser davantage ; ces sortes de frontières qui sont toutes religieuses restent naturellement vagues et indéfinies, Jérusalem, centre religieux de la Palestine, était presque exclusivement habitée par des sectateurs du Judaïsme. Si l'on s'éloignait de la ville, la population se mélangeait de païens et la proportion de ceux-ci était d'autant plus forte qu'on était plus distant de la ville sainte. Là, où on ne rencontrait plus de Juifs ; là où la population était entièrement païenne, on n'était plus en Palestine.

Quant aux frontières politiques du pays, elles étaient naturellement plus nettes et se trouvaient aussi plus étendues que les frontières religieuses. L'Idumée, par exemple, au Sud, ou l'Abilène au Nord, pouvaient faire partie de tétrarchies, être au pouvoir de tel ou tel des Hérodes, et par suite appartenir à la Palestine, sans cependant avoir un seul Juif dans leur population.

Les Talmuds donnent à la Palestine une étendue très exagérée. Elle aurait eu 2.250.000 milles romains carrés, chiffre imaginaire créé par les rabbins dans un but apologétique[4].

Saint Jérôme[5] comptait 160 milles romains du Nord au Sud de la Palestine. Le raille romain valait 1,481 m. 75 c., 160 milles donnent 237 kil. ou environ 59 lieues, c'est à peu près la distance de Paris au Havre. La largeur du pays était beaucoup moindre, et si nous ne comptons pas la Pérée, nous ne trouvons du Jourdain à la mer qu'une vingtaine de lieues environ. Du reste Saint Jérôme ne nous donne ici aucun chiffre. Après avoir indiqué la longueur du pays du Sud au Nord, il refuse en ces termes d'en donner la largeur : Pudet dicere latitudinem terrœ repromissionis ne ethnieis occasianem blasphemandi dedisse videamur. Résumons-nous d'un mot : La Palestine avait en surface à peu près l'étendue de la Suisse.

Pendant la vie publique de Jésus-Christ, nous remarquons trois grandes divisions politiques : 1° La Judée et la Samarie avec quelques villes frontières sont administrées par un procurateur romain ; 2° La Galilée et la Pérée appartiennent au tétrarque Hérode Antipas ; 3° La Batanée, la Trachonite, la Gaulonite, l'Iturée, l'Auranitide, dépendent de son frère le tétrarque Philippe. De ces dernières petites principautés, tout à fait insignifiantes, nous ne dirons rien ici. Elles étaient situées au Nord-Est du lac de Tibériade, dans une contrée où Jésus-Christ ne pénétra jamais. Par contre, nous donnerons quelques détails sur les autres provinces dont il est fréquemment parlé dans le Nouveau Testament. Leur position géographique est aisée à comprendre. Les trois provinces de la Judée, de la Samarie et de la Galilée étaient Tune au dessus de l'autre, entre le Jourdain et la mer, la Judée au Sud, la Samarie au centre, la Galilée au Nord. Quant à la Pérée, elle comprenait tout le pays compris au-delà du Jourdain, au Sud de la tétrarchie de Philippe.

 

LA GALILÉE.

 

Ce nom lui venait des mots Gelil haggoyim (cercle des Gentils), par lesquels on la désignait souvent parce que sa population était très mêlée et que les païens y étaient nombreux. Cette petite contrée était certainement, au premier siècle, le plus ravissant coin de la terre. La description que nous en a laissé l'historien Josèphe, donne l'idée d'une véritable merveille. Tout y était réuni, la douceur du climat, la beauté de la nature, la richesse inépuisable du sol. Ici de gras pâturages couverts d'arbres magnifiques, là des collines Irisées descendant jusqu'au lac[6]. Celui-ci, incessamment animé par les barques des pêcheurs, offrait sur ses bords la végétation la plus abondante et y réunissait, au moins sur la rive occidentale, ce qui ne se voit nulle part ailleurs, des arbres de toutes les essences, le noyer, par exemple, à côté du palmier ; sans parler des arbres fruitiers proprement dits : l'olivier, le figuier, la vigne, tous d'une fertilité surprenante[7].

Le pays de Nephthalie est partout couvert de champs féconds et de vignes ; les fruits de cette contrée sont reconnus pour être extrêmement doux[8].

Quant à la population, voici comment s'exprime Josèphe[9] : Aucune partie du pays n'est déserte, au contraire, tout est parsemé de villes et la population des villages est, à cause de l'abondance et de la facilité des approvisionnements, si nombreuse que le moindre village (κώμη) a plus de quinze mille habitants. Josèphe exagère volontiers et en général, les chiffres qu'il donne ne doivent être accueillis qu'avec une grande défiance. Il nous est impossible d'accepter celui qu'il vient de nous indiquer. Même en entendant par κώμη non pas le village, mais le district entier, la commune, nous ne pouvons admettre que la population du moindre district se soit élevée à quinze mille habitants. A ce compte, la Galilée entière aurait eu en tout trois millions d'habitants, et comme elle n'avait que vingt lieues environ du Nord au Sud, et neuf à onze de l'Est à l'Ouest, c'est-à-dire quatre-vingt-dix à cent milles carrés, il y aurait eu trente mille habitants par mille carré, ce qui est tout à fait inadmissible. Contentons-nous donc d'admettre que le pays était très peuplé, sans nous laisser aller à articuler un chiffre.

Josèphe compte en Galilée[10] 204 villages et 15 villes fortifiées. Ces chiffres sont peut-être exacts. Les villes fortifiées pouvaient être fort petites. Quant aux villages ce n'étaient certainement que des bourgades plus ou moins grosses, parfois des hameaux.

On distinguait la haute et la basse Galilée[11] : celle-là était au Nord et couverte de montagnes ; celle-ci au Sud et était un pays de plaines. Bornons-nous, sans poursuivre davantage une description topographique et détaillée du pays, à passer rapidement en revue les localités nommées dans le Nouveau Testament et, en particulier, celles habitées par Jésus.

Nommons avant tout le village où il fut élevé, Nazareth (aujourd'hui Nasrah)[12] ; c'est presque le seul endroit de tout le pays qui ait conservé sa physionomie primitive : sauf deux ou trois constructions modernes qui le déparent, il est tel qu'il était lorsque Jésus Ta habité. Ailleurs, à Jérusalem, par exemple, tout est changé ; on ne peut s'y recueillir ; on rencontre à chaque pas les inventions ridicules d'une superstition maladroite et stupide ; à Nazareth, c'est tout le contraire. On y voit la fontaine où Marie venait, deux fois au moins par jour, la cruche sur l'épaule, puiser l'eau nécessaire à la maison ; on y monte sur la colline qui domine le village et le pays tout entier et du haut de laquelle les habitants voulurent un jour précipiter Jésus, On y visite des rues, qui n'ont pas dû changer d'aspect depuis que Jésus y jouait enfant et ou, jeune homme, il travaillait de son état de charpentier. Il n'est pas un sentier des environs qu'il n'ait plusieurs fois parcouru, pas un sommet qu'il n'ait gravi et sur lequel il n'ait prié ! Malgré les dires de Josèphe, Nazareth n'avait certainement pas plus de trois ou quatre mille âmes au Ier siècle. Ce village n'est pas même nommé par lui. Les Talmuds le passent aussi sous silence et nous savons que les bourgeois de Jérusalem, qui estimaient peu les Galiléens, disaient en particulier de Nazareth : Peut il en sortir rien de bon ?[13] Il n'y avait certainement pas de garnison romaine à Nazareth. Perdu dans les montagnes, à 2S lieues de Jérusalem, à huit ou neuf heures de marche de Capharnaüm, loin des grandes routes, ce charmant village restait presque ignoré.

Rappelons en passant Naïm, mentionnée une fois dans l'Évangile[14] et qui était dans la plaine d'Esdrelon et Kana[15] (aujourd'hui Kefer Kana), au nord de Nazareth, et donnons quelques détails sur Tibériade. — Tibériade (aujourd'hui Tabariyya) était bâtie à la mode romaine. Résidence d'Antipas elle avait été entièrement reconstruite par lui, peuplée d'étrangers et consacrée à Tibère ; de là son nom[16]. Aussi les habitants étaient-ils tous païens. Les Juifs, surtout les Rabbis et les hommes pieux, évitaient d'y venir même en passant[17], et il est probable que Jésus n'y est jamais allé. Les splendeurs païennes dont Antipas affectait de s'entourer froissaient le sentiment national et religieux. Cette ville, située à quatre lieues de Capharnaüm et capitale de la Galilée est nommée trois fois dans l'Evangile de Jean[18]. C'est à Tibériade que furent écrites plus tard la Mischna et le Talmud de Jérusalem et plus tard encore la Masora ou l'appareil critique du texte biblique[19].

Tibériade est au bord du lac qui porte son nom et près de l'endroit où le Jourdain en sort pour se diriger vers la Mer Morte ; on pouvait passer ce fleuve sur un pont construit à cet endroit même. Il n'y en avait qu'un seul autre, le pont de Jacob entre le lac Samochonite et le lac de Tibériade. Ce pont de Jacob faisait partie de la route de Jérusalem a Damas. Partout ailleurs on traversait en bateau. Si maintenant nous remontons la rive occidentale du lac en nous dirigeant vers le Nord nous traversons d'abord une ligne de rochers escarpés qui aboutit à une large plaine presque au niveau de l'eau, c'est le pays de Génézareth ; à l'entrée se trouve aujourd'hui un misérable village (Medjdil) et on se demande s'il ne serait pas construit sur l'emplacement de Magdala, le bourg de Marie Magdeleine. La plaine traversée, nous arrivons, toujours en suivant la rive, à un joli chemin étroit taillé dans le roc, chemin qui a toujours existé et que certainement Jésus a souvent suivi. C'est un des rares endroits de la Palestine dont on peut dire avec assurance, rien n'y a été changé depuis le premier siècle, Jésus a vu ces rochers, il a marché sur ces pierres, il a suivi cette route.

Si nous continuons à remonter le lac et à suivre ses bords nous parvenons à son extrémité septentrionale. C'est là, non loin des rives du Jourdain, que se trouve Capharnaüm (aujourd'hui Tell Hum) et nous voici au foyer même de la prédication galiléenne de Jésus. C'est à Capharnaüm qu'il a demeuré, c'est de là qu'il partait pour parcourir la contrée et là qu'il revenait après avoir été de lieu en lieu en faisant le bien. Entre Magdala et Capharnaüm il faut placer Dalmanutha dont il ne reste aucun vestige ; quant à Betsaïda et à Chorazin leur emplacement est plus impossible encore à déterminer. On cherche Chorazin tantôt au Nord à l'endroit appelé aujourd'hui Khorazi, tantôt à une heure et demie de Tibériade, là ou est aujourd'hui Bir-Kherezoum. Une seule chose est certaine, c'est que ce petit canton de trois à quatre lieues à peine a été le théâtre principal de l'activité de Jésus.

Capharnaüm (Képhar signifie village) (village de Nahum) était formé de constructions juives toutes grossières ; Josèphe rappelle Κεφαρνωκν[20]. Ce bourg était à égale distance de Césarée de Philippe au N.-E., de Naïm au S.-O., de Tyr et de Sidon au N.-O., et de Gadara au S.-E. ; à une demi-heure de marche on trouvait l'embouchure du Jourdain et il tirait une certaine importance de sa position géographique. Situé sur la grande route d'Egypte en Syrie (section de Jérusalem à Damas), il avait un important bureau de publicains[21] et une garnison romaine commandée par un centurion[22]. Saul de Tarse y passa quand il se rendit de Jérusalem à Damas et on aime à croire qu'il ne put traverser ce bourg sans songer à Jésus et que les pensées qui se pressèrent alors dans son âme hâtèrent la crise qui se préparait, qui allait éclater quelques heures plus tard, et faire de lui le plus grand des apôtres.

A Tell Hum, on visite les restes d'une synagogue, mais les ruines assez bien conservées de son portique sont évidemment postérieures au premier siècle. Ge n'est pas la synagogue que Jésus a fréquentée.

Nous avons plusieurs fois nommé le lac. Il a cinq à six lieues de long et trois à quatre lieues de large ; la barque des apôtres mettait deux heures pour le traverser à la rame dans sa plus grande largeur. Ses bords aujourd'hui déserts étaient au premier siècle les plus ravissants du monde ; mais si les arbres ont disparu, la grève est toujours la même, nette et propre, couverte de petits galets incessamment battus par le léger mouvement des flots. Le lac de Tibériade n'est pas un étang, mais une petite mer. Il a ses colères subites, ses tempêtes aussi vite apaisées que rapidement déchaînées. Il était autrefois et est encore aujourd'hui très poissonneux. L'une des espèces de poissons que l'on y pêche appelée par les arabes El-ialtry n'existe ailleurs que dans le Nil, en Egypte. Ce poisson est de forme ronde, bon à manger et d'une chair un peu rouge.

La mer de Galilée n'a pas la couleur bleu foncé de la Méditerranée ou du lac de Genève. Elle est d'un bleu-grisâtre qui rappelle le lac de Neuchâtel, auquel elle ressemble beaucoup. Cette ressemblance est rendue plus frappante encore par la présence sur l'eau de ces larges taches que tous les voyageurs remarquent sur les lacs suisses et dont personne n'a pu encore expliquer la provenance. Le lac de Tibériade est placé à plus de six cents pieds[23] au-dessous du niveau de la Méditerranée et les chaleurs en avril et en juillet y sont affreuses. Les nuits y sont assez douces, tandis qu'elles sont fraîches dans le reste du pays, mais ou y souffre beaucoup des moustiques et les voyageurs qui y passent une nuit comprennent aisément que dans ce pays-là le diable ait été appelé dieu des mouches (Beelzébuth). Josèphe affirme qu'au premier siècle, le climat des bords du lac était très agréable[24]. Cela est fort possible, car le pays étant très boisé, il y pleuvait plus souvent qu'aujourd'hui, et de plus, la végétation entretient toujours une certaine fraîcheur.

 

LA PÉRÉE.

 

La Pérée n'est pas nommée dans les Evangiles, nous n'avons donc presque rien à en dire. Elle faisait partie de la tétrarchie d'Antipas. C'était une province insoumise occupant tout le territoire de la rive orientale du Jourdain, stérile et fort peu peuplée. Josèphe nous indique ses limites : Elle s'étend en longueur de Machœrous à Pella et en largeur de Philadelphie au Jourdain[25], mais on ne sait où placer Pella, qui était une forteresse.

Machœrous ou Macheronte est mieux connu ; c'était un énorme château-fort situé à soixante stades du Jourdain sur des rochers de basalte d'une effrayante hauteur. Cette forteresse avait été bâtie par Alexandre Jannée, puis rasée par Gabinius et relevée par Hérode. Elle avait des murailles de cent vingt coudées, des créneaux et des tours ; dans l'intérieur, des appartements royaux qu'Antipas venait quelquefois habiter et, au-dessous, des souterrains qui servaient de prison. La vue que Ton avait du sommet des tours était merveilleuse ; au Sud, les contours de la mer Morte, avec Engaddi et Hébron, puis, en remontant à l'Ouest, les monts de la Judée au milieu desquels se détachait Jérusalem dont on apercevait le palais d'Hérode, et le temple dominé par l'énorme tour Antonia ; à droite Jéricho et sa forêt de palmiers toujours verts, puis le Jourdain dont le ruban d'un bleu grisâtre ,se déroulait sur la plaine. Lorsque Antipas revint de Rome emmenant Hérodiade, la femme de Philippe son frère, il répudia, pour l'épouser, la fille d'Arétas, roi des Arabes. Celui-ci lui déclara la guerre et, pour la soutenir, Antipas dut venir habiter son palais de Machœrous. C'est alors que s'y passa le drame horrible de la mort de Jean-Baptiste.

Les murs de Machœrous ont été découverts en 1807 par Seelzen[26].

Il ne nous reste plus à nommer que la Décapole[27]. C'était une confédération de dix villes, dont voici les noms d'après Pline[28] : Damas, Philadelphie, Raphana, Skhytopolis, Gadara, Hippos, Dion, Pella, Gelasa (pour Gerasa) et Camatha. Du reste Pline lui-même n'est pas certain de les citer exactement. La seule de ces villes qui soit nommée dans les Évangiles Gadara était, dit Josèphe, la plus forte métropole de la Pérée[29].

Le mot Pérée (traduction grecque de l'hébreu Eber au-delà) avait souvent une signification plus large encore que celle que nous lui avons donnée ; on s'en servait pour désigner tout le pays situé à l'Est du Jourdain et alors il comprenait aussi les provinces de la tétrarchie de Philippe : la Trachonitide, la Gaulanitide, l'Auranitide, la Batanée. Nous avons dit que nous ne décririons pas ces provinces qui n'ont joué aucun fuie dans l'histoire évangélique. Nous mentionnerons seulement Césarée de Philippe, appelée d'abord Panæas (en l'honneur du dieu Pan). Un bois et une grotte, la grotte de Panium, lui étaient consacrés. Hérode avait bâti auprès un temple, en l'honneur d'Auguste, et c'est Philippe, son fils, qui en agrandissait la ville, changea son nom en celui de Césarée. On y ajoutait ordinairement les mots de Philippe[30] pour la distinguer de la grande ville de Césarée en Judée, résidence da procurateur. Il en est de même d'une certaine ville de Bethsaïde que Philippe avait surnommée Julias, en l'honneur de Julie, fille d'Auguste, et qu'il ne faut pas confondre avec le petit village de Bethsaïde, dont l'emplacement est inconnu[31].

 

LA SAMARIE.

 

Les Samaritains sont souvent nommes dans l'Evangile. Nous parierons de leur origine et de leurs coutumes dans un chapitre spécial sur la population de la Palestine au premier siècle[32]. Ici nous nous bornerons à quelques détails géographiques indispensables à l'intelligence des Livres Saints.

La Samarie, enclavée entre la Judée et la Galilée, était plus petite qu'elles. Son territoire ne s'étendait même pas jusqu'à la mer, car toute la côte à partir du Carmel appartenait à la Judée. Aussi les Galiléens qui se rendaient à Jérusalem prenaient-ils volontiers, soit le chemin qui longeait la mer, soit la rive opposée du Jourdain. Ils évitaient ainsi de traverser un territoire où ils étaient exposés aux insultes des habitants. La Samarie tirait son nom de sa capitale : Samarie[33]. Cette ville avait été bâtie par Omri, roi d'Israël, sur une colline[34] qu'il avait achetée d'un certain Schemer dont elle a conservé le nom ; Salmanasar l'avait détruite. Elle fut reconstruite ; mais Jean Hyrcan la détruisit encore. Enfin, Gabinius, légat impérial de Syrie, la fit rebâtir, et, sous Hérode le Grand, elle était florissante. Ce prince y fit bâtir un temple en l'honneur d'Auguste et changea son nom en celui de Sébaste (mot grec ; en latin Augusta) qu'elle porte encore (Sebustieh).

Sichem (aujourd'hui Nablous) a pour nous plus d'intérêt que Samarie. C'était une fort ancienne ville construite dans une vallée. Le mont Ebal est au Nord et le fameux Garizim au Sud. L'Evangile de Jean l'appelle Sychar[35], c'est un terme ironique qui signifie ivresse, on ne le trouve que là ; il nous parait être un de ces sobriquets inventés par les Juifs qui défiguraient les noms samaritains et, par mépris, les tournaient en ridicule. La ville moderne, Naplouse (Néapolis, ville nouvelle) n'est pas bâtie exactement sur l'emplacement de Sichem, mais à côté. Il en était déjà ainsi du temps de Saint Jérôme. Près de là est le puits de Jacob, presque entièrement comblé aujourd'hui. Si à Nazareth, à Jéricho, à Bethléem, les souvenirs du premier siècle sont encore vivants, il n'en est pas de même au puits de Jacob. Cette fontaine, immortalisée par l'entretien de Jésus avec la Samaritaine, n'est plus qu'un trou sans profondeur au milieu d'un champ ; l'emplacement en parait bien authentique, mais l'authenticité n'est pas tout. Il faut des ruines, des pierres au moins ; quelque chose qui rappelle le passé, qui permette à l'imagination de le reconstruire. Au puits de Jacob, il n'y a rien ; et pour y retrouver Jésus et l'y entendre, il faut se rappeler que d'après les paroles mêmes qu'il y a prononcées, on ne doit pas plus adorer près du puits qu'ailleurs, il faut se rappeler que le culte qu'il a fondé au bord de cette fontaine, est un culte en esprit et en vérité.

 

 

 



[1] Ce mot désignait d'abord le pays habité par les Philistins et se traduirait exactement la Philistine.

[2] Ep. aux Hébreux, ch. XI, v. 9.

[3] Talmud de Babylone, Gittin, fol. 8.

[4] Talmud de Babylone, Sotah, 49 b.

[5] Lettre à Dardanus, 129.

[6] Josèphe, D. B. J., III, 3, 2.

[7] Josèphe, D. B. J., III, 10, 8.

[8] Berakkoth, 44 a.

[9] D. B. J., III, 3, 2.

[10] Vita, § 45.

[11] Josèphe, D. B. J., III, 3, 1 ; Mischna Schebiith, 9, 2.

[12] Prés de Nazareth se trouvait un Hameau appelé Bethlehem (Josué, XIX, 15). Dans les Talmuds ce nom se retrouve, et pour distinguer ce hameau du village de la Judée qui porte le même nom, il est appelé Bethléhem Cerieh, expression équivalent à Bethlehem Nitseriah, c'est-à-dire Bethlehem près de Nazareth ou dans le district de Nazareth. On ne peut s'empêcher de se demander si Jésus, appelé dans les Évangiles le Nazaréen ou le Nazarénien, ne serait pas né précisément dans ce hameau près de Nazareth. Plus tard, on aurait confondu ce lieu de naissance avec le Bethlehem Ephrata de Judée, berceau de la famille de David, et où, d'après la tradition, le Messie devait naître. Nous posons cette question sans prétendre la résoudre. Le Bethlehem de Galilée existe encore, c'est le village de Beït-Lahm au N.-O. de Nasrah (Nazareth). Voir Neubauer, Géographie du Talmud, p. 189-190.

[13] Ev. de Jean, I, 47.

[14] Ev. de Luc, VII, 11.

[15] Ev. de Jean, II, 1 et suiv.

[16] Josèphe, Ant. Jud., XVIII, 2, 3 ; Vita, § 12, 13, 64 ; Pline, H. N., V, 15.

[17] Jérus., Schebiith, IX, 1.

[18] Ev. de Jean, ch. VI, 1 ; 23 ; XXI, 1.

[19] Voir notre introduction, les Talmuds.

[20] Vita, § 72.

[21] Ev. de Math., IX, 9.

[22] Ev. de Luc, VII, 2.

[23] Exactement 212 mètres.

[24] Josèphe, D. B. J., III, 10 ; 7 et 8.

[25] D. B. J., III, 3, 3.

[26] Auguste Parent, Macherous, Paris, 1868.

[27] Ev. de Marc, V, 1 ; de Matt., VIII, 28 ; de Luc, VIII, 26.

[28] H. N., V, 18.

[29] La variante Gerasa, donnée par la Vulgate, est une erreur. Gerasa était loin du lac. Jésus n'est pas allé chez les Géraséniens, mais chez les Gadaréniens. La version syriaque du second siècle donne avec raison la véritable leçon : Gadaréniens.

[30] Ev. de Matth., XVI, 13 ; de Marc, VIII, 27.

[31] Ev. de Luc, IX, 10, désigne vraisemblablement Bethsaïde Julias.

[32] Voir chap. VI, La Population.

[33] De même aujourd'hui on l'appelle le pays de Nablous du nom de Nablous, sa ville principale.

[34] Esaïe, XXVIII, 1.

[35] Ch. IV, v. 5.