LA PRINCESSE DE LAMBALLE

UNE AMIE DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE

 

CHAPITRE IV. — L'ESPÉRANCE RENAÎT.

 

 

RETOUR CHEZ LE DUC DE PENTHIÈVRE ET LA DUCHESSE DE CHARTRES — FÊTES À LA COUR — VISITE DU ROI DE SUÈDE — PREMIERS LIENS AVEC MARIE-ANTOINETTE — INTRIGUES — MORT DE LOUIS XV

 

MAI 1768-mai 1770 : deux années ont coulé sur la mort du prince de Lamballe. De nouveau, les bourgeons ont commencé d'éclore sur les branches ; les parfums légers saturent l'espace, portés par les brises ; les ramages se répondent dans les charmilles. La jeune veuve a souffert par la nostalgie du printemps, prisonnière de l'abbaye de Saint-Antoine des Champs. Levait-elle les yeux, ils rencontraient le mur qui encerclait les jardins. Ses souvenirs, réalité d'hier, l'étouffaient. Pourquoi, se demandait-elle, tant de beautés ? La vie extérieure l'effrayait ; elle reculait devant les larges espaces qui donnaient le vertige à son âme accoutumée au silence des hommes, des choses, de sa propre pensée. Et puis, elle a été tirée de sa torpeur. Elle est sortie du couvent, elle a connu la joie de répandre la bonté, elle a approché les cœurs les plus délicats pour son épreuve, a été détournée de son mal par l'exercice des vertus chrétiennes, peut-être trop élevées et trop sévères pour elle. Cela a duré des mois et des mois : elle n'a pas mesuré le temps ; du lendemain, elle n'attendait rien. Monotone glissait son existence ; elle a joué avec sa belle-sœur, comme une pensionnaire en vacances, mais ses charitables occupations, non plus que ses innocents divertissements n'ont suffi pour créer une diversion à ses réflexions. Et voilà que, obéissant à la volonté du duc de Penthièvre, elle a pris rang dans le cortège de la Dauphine et elle a été le témoin ému de son mariage. Elle a revécu les heures qu'elle croyait à jamais défuntes. Le doux soleil répandait sa lumière qu'il mêlait aux lueurs des cierges. Il y avait dans ces solennités une grâce, une harmonie que seule procure l'art achevant l'œuvre de la nature. Les yeux de la triste princesse ont rencontré les prunelles bleues, translucides. Elle a recouvré, avec un sentiment de renaissance, l'effet d'une grâce qui la rend à sa figure première. Dans le cloître, elle avait eu la sensation de n'être pas encore disparue ; ses cendres avaient été réchauffées dans la terre attiédie et elle avait ressuscité par l'instinct le plus fort : maintenant, elle était reprise 'par la curiosité du lendemain, par une espérance imprécise encore, mais déjà enveloppante et séductrice ; un goût de miel effaçait la saveur d'amertume sur ses lèvres, simplement parce qu'entre elle et une archiduchesse d'Autriche, de son âge à peu près, seule autant qu'elle-même, égarée parmi les intrigues et les flatteries, s'était créé le lien mystérieux de la sympathie spontanée.

L'attention, si discrète qu'elle eût été, dont l'avait honorée Marie-Antoinette, avait suffi pour susciter les jalousies. Aussi bien, les dernières clartés éteintes, la princesse de Lamballe s'engagea de nouveau, d'un pas plus lent peut-être, mais non moins courageux, sur le chemin de la piété qui la ramenait auprès du père de son mari. Les rumeurs soulevées par les prévenances dont elle avait été l'objet percèrent-elles les murs de l'hôtel de Toulouse ? Elle y resta peu. Après un séjour bref à Versailles, où les convenances l'avaient rappelée, elle partit pour Rambouillet, pour Vernon, pour la campagne aux horizons sans mensonges. Elle était toujours languissante ; les plus légères fatigues épuisaient ses faibles forces. Les visions des jours révolus transfiguraient le monde pour elle et l'obsédaient sans lui peser, comme les mélodies d'un orchestre en sourdine. Inquiété par son état précaire, le duc de Penthièvre décida de l'emmener à la mer, au Havre de Grâce, avec la duchesse de Chartres — le duc, son mari, ayant promis de les rejoindre — et avec la comtesse de La Marche. Le voyage fut différé par une indisposition de M. de Penthièvre.

Est-ce au cours de ces mois que se place une anecdote relatée par Mme Guénard ? Si elle n'est vraie, elle parait être vraisemblable. Les deux belles-sœurs s'étaient encore rapprochées depuis le mariage de Mlle de Penthièvre. Vêtues de mousseline, coiffées d'un large chapeau, elles parcouraient les environs, à pied. Apercevaient-elles dans un hameau une misérable cabane, elles poussaient la porte et elles y pénétraient. Certain jour, elles s'arrêtent, pareilles à des apparitions surnaturelles, sur le seuil de l'une d'elles : devant un lit qu'elles devinent à travers l'obscurité, trois enfants sont accroupis sur le sol ; l'aîné donne la becquée aux plus jeunes. Elles approchent. Sur un grabat gît un vieillard. Elles l'interrogent, sans lui révéler leur identité. L'homme leur avoue que la paralysie, depuis vingt-sept ans, l'a cloué sur ce matelas, qui ne lui appartient même pas, car, pour payer à la Saint-Martin la rente et la taille de ce qu'il nomme sa maison, il lui faudra le vendre et se contenter de paille. Il a servi trente-quatre ans dans le régiment du duc de Chartres ; il ne sait pas écrire et n'a pu dépasser le grade de caporal. Il a demandé à être transporté aux Invalides, mais un pauvre diable n'a pas la voix assez puissante pour toucher les oreilles des grands ! L'un de ses fils est mort ; les deux autres, chargés de famille, sont incapables de le secourir ; alors il a bien fallu recueillir les trois enfants du disparu, puisqu'ils n'ont plus ni père, ni mère. Peu à peu, il s'est résigné à vendre tout ce qui lui restait : il n'a pas le droit, n'est-ce pas ? de laisser les petiots s'en aller d'inanition. Le cœur serré, les deux jeunes femmes déposent sur ses draps leur bourse et, comme il proteste contre tant de générosité, elles se font connaître à lui. Alors le vieillard les supplie de porter l'une de ces bourses à une voisine qui ne possède pas plus que lui. À travers les larmes qui embuent leurs yeux, elles lui promettent de ne pas l'abandonner. En effet, elles rapportèrent la détresse de ce malheureux au duc de Penthièvre qui, plein d'admiration pour un si grand désintéressement, se chargea de lui et assura sa destinée.

De telles aventures soutenaient le moral de la princesse de Lamballe, mais elle était jeune et, obéissant aux suggestions de son entourage, elle consentit à retourner dans le monde et à la Cour. Lorsque la Du Barry parut, elle s'empressa de partir pour Vernon, afin de n'avoir pas à s'humilier devant la courtisane. Là, elle vécut tranquille, parmi les paysans normands qu'elle aimait et pour qui elle était un objet de quasi-dévotion.

En 1771, le roi de Suède voyage en France et sa venue est l'occasion de fêtes qui se succèdent. Le 9 février, il soupe chez le Roi ; le 12, il assiste à un bal chez la Dauphine ; le 18, on le voit au spectacle qui lui est offert dans le château. Il se rendra également à l'hôtel de Toulouse. Puis ce furent les réjouissances du carnaval ; les lundis, on dansait chez la comtesse de Noailles, qui, en qualité de dame d'honneur, recevait pour égayer la Dauphine. Elle invitait seulement les personnes que désignaient comme dignes de cette marque leur naissance ou les charges qu'elles remplissaient : le Dauphin, Monsieur, le comte d'Artois, les princes et les princesses du sang. L'appartement de la comtesse à Versailles était petit et resserré, raconte la correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marche.... Le Dauphin et Monsieur dansaient avec gaucherie, tandis que M. le comte d'Artois, élégant de taille et de manière, dansait très bien. Aussi plaisait-il par là à la Dauphine qui était très sensible à la grâce. En général, la tournure chez les hommes, la figure chez les femmes ne lui étaient pas indifférentes ; elle riait et se moquait de tout ce qui était laid et maussade. Il ne faut pas oublier qu'elle était encore bien jeune alors. Aussi longtemps que ces bals durèrent, c'est-à-dire jusqu'à la mort de Louis XV, il n'y eut que Mme la princesse de Lamballe qui parût avoir part à l'amitié de la Reine. C'est là, en particulier, qu'elles apprirent à sympathiser par les similitudes de leurs destinées.

L'hiver était froid. Il neigeait et la neige durcie formait des pistes excellentes pour les traîneaux. À la Dauphine s'offrirent de nouvelles réjouissances, qui se renouvelèrent en 1776 et qui prirent durant cette saison-là leur grande vogue. En 1771, ces courses donnèrent aux spectateurs émerveillés comme une vision des mœurs et des poésies du Nord, dit joliment Lescure. Elles entraînaient les promeneuses — chaque seigneur étant chargé de diriger un traîneau — dans les forêts environnantes et jusque dans Paris. Attelés en poste, les traîneaux glissaient avec à peine un léger sifflement. Sur leur passage, se formaient des attroupements, étonnés par l'apparition des dames sous leurs fourrures, parfois masquées, et entourées d'une brillante escorte d'écuyers, de pages. La Dauphine y prenait un plaisir extrême. L'air vif rehaussait l'éclat de son visage mieux que les fards et, ayant auprès d'elle sa chère Lamballe, elle riait, ses lèvres rouges découvrant ses dents, la tête renversée en arrière, présentant avec sa compagne l'image de la jeunesse dans son royal épanouissement. Rentrée au palais, elle retenait à sa table les dames qui avaient participé à la randonnée, ce pendant que les hommes prenaient à part leur repas.

La princesse de Lamballe devint vite la préférée d'entre les amies de Marie-Antoinette. Mme de Lamballe, dit finement M. Albert Flament, plaît à Marie-Antoinette, parce qu'elle retrouve l'image de son sort dans le sien, et puis, pour ces premières phrases échangées en italien, un regard bleu très doux, un grand air de faiblesse.... La Dauphine avait, avant de la connaître apprécié pour leur esprit la duchesse de Perquigny, Mme de Saint-Mégrin et Mme de Cossé : elle trouva plus de joie à goûter la tendresse de sa nouvelle compagne. Cette intimité ne plaît qu'à moitié à Mercy-Argenteau. Il dénonce la princesse de Lamballe à Marie-Thérèse comme trop disposée à flatter les caprices et les fantaisies de la Dauphine, qui la reçoit fréquemment seule. Il n'y voit, de prime abord, rien à redire du point de vue politique : sans doute, la princesse de Lamballe est piémontaise, mais elle ne semble pas spécialement liée avec Madame, non plus qu'avec Madame d'Artois. L'habile ambassadeur n'en ferme pas les yeux pour cela. Il continue à surveiller de près ce qu'il nomme une affection toute particulière pour Marie-Antoinette et renseigne Marie-Thérèse qui voulait être tenue au courant. En attendant, la princesse de Lamballe, bien qu'habitant l'hôtel de Toulouse, franchit quotidiennement la distance qui la sépare dé Versailles et, de son côté, la Dauphine se rend constamment à Paris. Ensemble, elles parcourent les foires, les salons de peinture ou encore elles se promènent dans les jardins du maréchal Biron. On les voit, pour la cérémonie du Jeudi saint, dans la chapelle de Versailles. Elles se rencontrent également à Fontainebleau, partout où quelque motif attire la future reine de France, sa suivante est sur ses traces.

La Dauphine occupe sa pensée. C'est que jusqu'alors, et depuis son mariage, aucune affection n'avait gagné son cœur par des affinités correspondant à son âge et à ses goûts. Celle-ci lui procure l'occasion de s'y consacrer. Il y a ainsi, chez certains êtres privilégiés, un besoin de dévouement qui s'impose à eux et qui seul leur donne les joies complètes auxquelles ils aspirent. Sans doute, la princesse de Lamballe avait trouvé le duc de Penthièvre à qui elle s'était sacrifiée d'ailleurs. Mais en même temps qu'un second père, le noble seigneur était un exemple pour elle. Il était peut-être trop haut pour cette nature dont toutes les actions, bien plus que du devoir, s'inspiraient de la tendresse. Elle n'était pas une héroïne de Corneille, marchant à la mort pour une grande cause à laquelle elle eût offert son sang : elle était un personnage de Racine, tout d'impulsion, qui ne compte pas avec la vie, quand ses passions sont en cause. Elle avait connu, d'autre part, l'amitié de sa belle-sœur qui jamais ne la quitta. Le mariage avec le duc de Chartres ne les éloigna pas l'une de l'autre : il les rapprocha même, mais par la douleur plus que par le bonheur d'une mutuelle intelligence. Malgré elle, la princesse de Lamballe devait éprouver de l'aversion contre le duc de Chartres et il devait lui souvenir de ce qu'il avait causé, hâté du moins la mort de son mari. Elle ne pouvait pas, devant sa femme, s'exprimer sur lui en toute liberté, ne serait-ce que par crainte de la détourner de lui. Ces sortes de représailles n'étaient pas dans son caractère. Enfin, une manière de contrainte pesait sur elle dans sa famille. De quel côté qu'elle se tournât, elle y était plus ou moins prisonnière de principes ou de lois morales. La fantaisie bridée ne pouvait pas s'épandre dans ces palais et châteaux. Tandis qu'auprès de la Dauphine, c'était une manière d'affranchissement, des gamineries pour rompre avec l'étiquette, des fuites pour échapper au contrôle de la Cour, un jeu de cache-cache avec les guetteurs et observateurs des moindres faits et gestes, de charmantes confidences qu'elles murmuraient, parfois en effaçant du bout de l'ongle une larme qui brillait au bord de leurs cils. Aussi bien, la campagne de pamphlets qui, quelques années plus tard, devait s'acharner contre elles et essayer de les salir, n'est pas fondée sur des faits nettement établis : dans ces sortes de procès, le doute profite à. l'accusée. Le passé plaide en faveur des deux princesses ; leurs révoltes contre ces accusations, leurs attitudes et la franchise de leurs sentiments leur méritent la. sympathie.

La princesse de Lamballe était innocente. Toujours elle avait eu à redouter les contrecoups de l'existence, que ce fût avec les trahisons de son mari ou avec la vertu du duc de Penthièvre ; elle avait à craindre un retour sur elle-même qui la rejetterait .au bord du gouffre. Avec Marie-Antoinette, c'était l'enchantement de partager ses émois et ses divertissements de princesse. La Dauphine lui confiait-elle ses secrètes tristesses, la déception que lui causait l'attitude du Dauphin, les désenchantements de ses espérances ? Elle se plaignait, assure-t-on, à Madame Adélaïde d'être encore la fiancée intangible de celui qui aurait dû être son mari. La princesse de Lamballe peut-être la devinait-elle et, avec son intuition de femme, la comprenait : le sort de la Dauphine était l'opposé de celui que la destinée lui avait réservé à elle-même. Elle avait eu un mari empressé à lui prouver l'attrait qu'il subissait, avant de la délaisser. Marie-Antoinette voyait le Dauphin indifférent à ses charmes et, par son indifférence même, d'une déconcertante fidélité. Et tout en plaignant la jeune veuve, elle enviait son sort. Quoique cela soit terrible, mande-t-elle à Marie-Thérèse, je voudrais pourtant en être là, mais il n'y a encore aucune apparence. Certainement, elles parlaient de l'amour, en femmes qui, sans qu'elles y prissent garde, ont l'esprit plein de ses hantises. La princesse de Lamballe a une expérience, la cruelle expérience qui l'a portée de la volupté au dégoût. Marie-Antoinette, anxieuse et coquette, sait qu'elle peut plaire, ne demandant qu'à conquérir un cœur, en effeuillant les pétales de quelque fleur d'Allemagne.... Et la vie continue avec ses fêtes, les échos de ses orchestres, alternances de nostalgies et de gaietés folles.

Avant de quitter Turin, la princesse de Lamballe avait promis au roi de Sardaigne de s'employer au mariage de ses petites-filles avec des princes français. Elle vanta leurs mérites à la Dauphine qui intervint auprès du Roi et collabora de la sorte au mariage de Joséphine-Elisabeth de Savoie avec le comte de Provence, et, plus tard, à celui de Marie-Thérèse de Savoie avec le comte d'Artois. Mme de Lamballe fut émue de voir une princesse de sa race prendre rang à la Cour de France, mais nulle intimité ne se forma entre elles. Louis XV présenta en personne la princesse de Lamballe à la future comtesse de Provence et elle assista au souper. En juin 1771, elle suivit la procession du Saint Sacrement.

Cependant approchait la naissance de l'enfant attendu par la duchesse de Chartres, pour le plus doux bonheur du duc de Penthièvre. Enfin il aurait à chérir un héritier de son sang et qui rendrait à sa fille un semblant de joie qu'elle avait perdu. Le 10 octobre, l'enfant vint au monde : il était mort.

La princesse de Lamballe avait pris l'habitude du chagrin ; elle avait acquis également la manière de le surmonter ; et puis elle se devait à la Dauphine. Le 31 décembre 1771, elle était retenue à souper chez elle et, en l'accompagnant, elles éblouirent Versailles et Paris par leur beauté.

De son côté, le Dauphin estimait toute naturelle cette intimité croissante. Il jugeait l'amie de la Dauphine simple, franche et ne s'opposait nullement à ce que Marie-Antoinette songeât à s'attacher la princesse dans l'avenir par quelque emploi.

Marie-Antoinette, en effet, désirait distraire sa compagne : une existence oisive était néfaste pour cette âme prédisposée à la morbidesse et encline à opérer de cruels retours sur elle-même. Un nouveau mariage peut-être la sauverait.

La comtesse de Brionne, amie de Choiseul et rattachée à la Cour d'Autriche en qualité d'alliée, souhaitait ardemment que fussent reconnus ses enfants et elle songeait à marier dans ce dessein son fils, le prince de Lambesc, grand écuyer de France. Il était bien fait de sa personne, il était beau et, de plus, apparenté aux Rohan, il était frère de la princesse Victor de Carignan. Toutefois, en épousant le prince de Lambesc, la princesse de Lamballe cesserait d'être princesse du sang, et jamais le duc de Penthièvre n'aurait accepté cette déchéance pour sa belle-fille. L'idée du mariage fut abandonnée.

En 1772, la princesse s'éclipse de la Cour. Peut-être suivit-elle la duchesse de Chartres à Forges-les-Eaux. En 1773, elle reprend sa place. C'est le mariage du comte d'Artois avec la princesse Marie-Thérèse de Savoie qui consacre le double rapprochement entre les deux Cours. La comtesse est douce, timide ; elle se lie avec la Dauphine et se plaît en compagnie de Mme de Lamballe qu'elle reçoit et qui passe l'hiver à Paris, un brillant hiver où elle fréquente les spectacles. Cependant la duchesse de Chartres donne le jour au duc de Valois. Florian, le 29 octobre 1773, annonce la nouvelle au duc de Penthièvre par une lettre signé Polichinelle.

C'est la période la plus heureuse de la vie de la princesse. Elle se meut dans l'ombre de Marie-Antoinette. Elle est l'élue d'entre les élues. Elle ne la quitte plus. Enfin, elle a un cœur à qui se confier, une créature humaine à chérir de tout son être désintéressé et elle se sent prête à se sacrifier pour elle. Elles se promènent en traîneau ; elles soupent ensemble. Des rires fusent, pour des riens. En avril 1774, elles sont l'une près de l'autre pour entendre l'Iphigénie de Gluck qu'enfin Marie-Antoinette réussit à imposer, et pour elle, c'est une victoire.

Mais voici que dans cette féerie se dessine le premier nuage précurseur du cataclysme qui, dix-huit ans plus tard, va engloutir le trône de France. Louis XV avait assisté à la première représentation de l'opéra de Gluck et s'était rendu ensuite à Trianon. Quelques jours plus tard se manifestèrent les symptômes de la petite vérole. Le 28 avril, on le ramena à Versailles, et, au cours de la nuit du 30, la maladie se déclara. La Cour fut éloignée de sa chambre. La Dauphine n'a pas le droit de pénétrer chez lui. Seules, Mesdames, dédaignant la contagion, en franchissent le seuil. Le 4 mai, le Roi, écartant Mme Du Barry, appelle à son chevet le cardinal de La Roche-Aymon. Il lutte contre la mort et cherche à se réconcilier avec Dieu. L'abbé Mandoux reçoit sa confession et lui administre les sacrements. Le 9 mai, les médecins espèrent le sauver, et le 10, il rend le dernier soupir. Mesdames ont pris le mal, mais elles sont épargnées.

La duchesse de Chartres fut si affectée par cette mort, que sa belle-sœur dut l'emmener chez le duc de Penthièvre.

Marie-Antoinette allait être Reine ! Ce dut être la première pensée de la princesse de Lamballe. Elle songeait seulement à ce qui pouvait donner de la joie à son amie et ne s'imaginait pas qu'il en pût résulter du malheur pour elle.