L'ABBÉ DUBOIS

TOME SECOND

 

CHAPITRE SIXIÈME.

 

 

L'abbé Dubois signe l'accession du Roi de Sicile et des Etats-Généraux à la quadruple alliance. — Alberoni favorise une nouvelle tentative du chevalier de St-Georges contre le Roi Georges Ier. — Troubles dans la province de Bretagne. — Alberoni prend part à cette révolte. — Campagne d'Espagne sous le maréchal de Berwick. — Echecs des Espagnols. — Trahison d'Alberoni contre Philippe V. — Sa disgrâce. — Dubois refuse de le livrer au Pape. — Paix avec l'Espagne. — L'abbé s'emploie avec ardeur aux affaires générales dans le conseil de Régence. — Pleins pouvoirs donnés à Dubois pour traiter de la délimitation de la baie d'Hudson. — Il négocie des mariages pour les filles du Régent.

 

Le moment approchait où Albéroni allait être écrasé sous le poids de l'alliance qu'il avait dédaignée. Toutes les puissances de l'Europe devaient enfin se trouver réunies dans le traité de la Quadruple-Alliance.

Le 25 octobre 1718, l'abbé Dubois fut revêtu de pleins pouvoirs nouveaux, pour recevoir l'accession demandée par le Roi de Sicile, qui s'était décidé tout à coup à accepter la Sardaigne, en échange de son royaume, d'où les troupes espagnoles l'avaient chassé. Cette accession fut reçue par un acte séparé, le 8 novembre de la même année. Les Etats-Généraux de Hollande, abusés par les manèges du ministre d'Espagne, avaient longtemps éludé l'acceptation du Traité de Londres ; ils déclarèrent, le 16 janvier 1719, leur adhésion pleine et entière au Traité. Dubois attachait un grand prix à s'assurer des États-Généraux dans l'alliance, afin de rendre plus tranché l'isolement absolu de l'Espagne au milieu de l'Europe ; il espérait ébranler ainsi l'obstination de Philippe V. Mais Alberoni, toujours séduit par les mêmes illusions, poursuivait son rêve, qui était d'opposer les États entre eux. Il attira facilement le chevalier de Saint-Georges à ses vues, et par des secours qu'il lui accorda pour tenter une autre expédition en Ecosse, il s'imagina avoir trouvé un puissant moyen de diversion pour retenir l'Angleterre chez elle.

A l'égard de la France, le ministre espagnol n'avait pas abandonné le projet d'y exciter la guerre civile, et malgré l'issue peu satisfaisante de la conspiration Cellamare, il se flattait de réunir tous les mécontents autour du nom de Philippe V. L'extrême agitation qui régnait dans la province de Bretagne lui sembla comme le commencement d'un incendie qu'il suffisait d'attiser pour en propager sûrement les ravages. La noblesse bretonne, mécontente de l'arrangement qui avait terminé la querelle des ducs et pairs, avait porté aux assemblées générales de la province, tenues en 1718, des sentiments peu favorables à la Cour. Elle chicana les finances du Roi autant qu'elle pat, et s'autorisa d'un arrêt du Conseil, qui venait de modifier les droits d'entrée, pour protester avec éclat. Le Parlement de Bretagne, uni aux mécontents, enregistra la protestation. Il y eut des lettres de cachet délivrées contre les mutins. De ce conflit sortit une vaste insurrection, qui commença par des désordres et finit par des brigandages. Albéroni entretenait avec soin ce foyer de révolte. Dans la lutte qu'il avait maintenant à soutenir contre la France, ce parti de révoltés était devenu le nerf de ses espérances. Il avait fait promettre aux insurgés un renfort de troupes espagnoles ; ces promesses, qui ne devaient point s'exécuter, ne servirent qu'à aggraver la rébellion, et conduisirent les révoltés à une guerre de brigands.

Un hasard fit échouer les calculs d'Albéroni. Le Prétendant, arrivé en Espagne vers le commencement du mois de mars 1719, en était reparti peu de temps après emmenant avec les Jacobites qu'il avait pu ramasser, quelques troupes espagnoles qui devaient seconder son expédition. Le duc d'Ormond avait le commandement de ces forces. La flotte qui portait les soldats du Prétendant, devait en même temps jeter une petite armée espagnole sur les côtes de Bretagne. Mais une violente tempête dispersa les bâtiments à la hauteur du cap Finistère ; un grand nombre périrent, aucun ne put rallier, et l'expédition ne put toucher ni en Bretagne ni en Ecosse. Deux ou trois bâtiments, jetés sur les côtes de ce dernier pays, furent très-mal reçus, et ce fut à grand'peine que le duc d'Ormond, qui avait abordé, parvint à se sauver.

Quant aux insurgés de la province de Bretagne, privés des secours qu'ils attendaient d'Albéroni, ils tentèrent de soutenir avec leurs propres forces la lutte dans laquelle ils s'étaient engagés témérairement, et s'attirèrent une sévère répression de leur faute. Nous anticipons les événements pour ne plus revenir sur cette affaire. Le 3 octobre suivant, une chambre de justice fut établie à Nantes, à l'effet d'informer des complots et cabales formés en Bretagne. Cent quarante-huit accusés étaient cités devant cette juridiction ; sur ce nombre, soixante-quatorze personnes seulement furent arrêtées. Quatre accusés condamnés à la peine de mort subirent leur arrêt. Seize autres furent exécutés par contumace à Nantes, le 29 mars 1720. Une amnistie déchargea les autres, des peines prononcées contre eux.

Toutes ces fautes accumulées annonçaient l'imprévoyance et la légèreté d'Albéroni. Il s'embarrassait dans ses subtilités et ne savait pas faire usage de la force. L'abbé Dubois, au contraire, non moins délié que lui, apportait dans ses combinaisons un jugement plus sûr, une volonté plus énergique et une prodigieuse activité dans l'exécution. Le temps, que le ministre de Philippe V avait dépensé en intrigues malheureuses, le ministre du Régent l'avait employé à pousser la guerre avec vigueur et à s'assurer du succès. Rien n'était prêt en Espagne, lorsque les hostilités furent déclarées. Jusqu'au moment de sa chute, Albéroni se flatta d'introduire la défection dans l'armée française, et de ramener les déserteurs en France, sous les couleurs espagnoles. Cette illusion causa sa perte.

Le 20 avril 1710, le lieutenant-général marquis de Silly traversa la Bidassoa à la tète de vingt mille hommes, et s'empara le lendemain du château de Béhobie. Le 29, le fort du Passage, attaqué du côté de la terre par les troupes françaises, était battu du côté de la mer par une escadre anglaise. Tout fut brûlé ; la garnison se rendit prisonnière. L'armée se porta, de là, sur Fontarabie, qui fut pris le 20 juin suivant. Dans le même moment cinq frégates anglaises se présentaient devant Saint-Sébastien, et une partie des troupes françaises mettait le siège devant cette place qui capitula le 17 août suivant.

Pendant que les alliés opéraient ensemble dans le Nord de l'Espagne, à l'Est, un autre corps d'armée entrait en Catalogne et s'emparait d'Urgel. Le maréchal de Berwick quitta brusquement le Guipuscoa pour aller diriger le siège de Roses ; mais les convois destinés au siège périrent en partie dans une tempête et forcèrent de suspendre le projet du maréchal. A l'Ouest, la flotte anglaise se portait sur les côtes de la Galice, forçait la Corogne et le port de Vigo. En Sicile, les Espagnols étaient aux prises avec les impériaux et perdirent la ville et la citadelle de Messine. Tous ces désastres ne purent arracher à Albéroni une résolution courageuse ni un sage retour. Il continuait à entretenir les espérances qu'il avait données à son maitre, et lui promettait que la fidélité de l'année française ne tarderait pas à s'ébranler.

Le succès des armes alliées ne faisait pas oublier à Dubois qu'il n'avait entrepris la guerre que pour arriver à la paix. Il espérait que ces défaites successives- instruiraient Philippe et le porteraient à sacrifier Albéroni à la tranquillité de ses peuples. Depuis le commencement de la campagne, il ne cessait de proposer à la cour de Madrid d'arrêter les hostilités sous la condition du renvoi d'Albéroni ; mais, tel était l'empire du Cardinal sur son maitre, que Philippe préférait braver son sort jusqu'à la fin, plutôt que d'accorder aux prières de la France un sacrifice juste et salutaire.

Dans la position critique où Albéroni avait placé l'Espagne et son roi, on a vu que ce ministre n'avait imaginé que la ruse pour les dégager. Son caractère vindicatif lui suggéra contre la France une dernière trahison qui devait le perdre lui-même. Il essaya de rompre la Quadruple-Alliance et offrit à l'Empereur et à l'Angleterre de reformer l'ancienne ligue, promettant au premier le mariage du fils ainé de Philippe V avec une Archiduchesse d'Autriche, et à la seconde la cession du Mexique. Le Régent, informé de la négociation, se sentit faiblir sous le coup qui Albéroni lui portait. Dubois, au contraire, trouva dans cette perfidie un moyen de renverser le Cardinal. Il se saisit des preuves de la trahison du ministre Espagnol, et intéressa le duc de Parme à les mettre sous les yeux de Philippe V, ainsi que des lettres d'Albéroni où Sa Majesté Catholique était accusée d'avoir attiré sur l'Espagne les malheurs de la guerre, par la haine violente qu'elle portait à la France. Philippe comprit seulement alors son aveuglement. Le Cardinal, qui depuis longtemps se voyait perdu, n'essaya pas même de se justifier. Il reçut sans colère ni faiblesse l'ordre qui lui fut donné, le 6 décembre, de sortir d'Espagne. Sa disgrâce ne surprit personne, tant il avait donné de motifs de la désirer et de l'attendre. Admis en Espagne par la faveur, il n'avait pas su s'attacher la nation et était toujours resté un étranger dans sa place. Ceux-mêmes qu'il avait d'abord éblouis, par la hardiesse de ses conceptions, finirent par s'apercevoir qu'il n'était qu'un brouillon dangereux. ll gouverna toujours par des saillies, et n'apporta dans ses actes, ni la gravité ni la noblesse qui recommandent l'autorité. Il suffit de dire qu'il tomba sans faire de bruit, pour montrer combien peu il sut s'attacher de partisans, dans une haute position où il lui était si facile d'avoir beaucoup d'amis.

Albéroni disgracié trouva dans le Régent et l'abbé Dubois des adversaires généreux. Il traversa la France sous la protection d'un commissaire du Roi qui ne le quitta qu'au moment où il s'embarqua pour se rendre à Gènes. Un trait fit ressortir, avec éclat, la loyauté du gouvernement du Régent. Le Pape Clément XI n'avait pas oublié ses griefs contre le Cardinal Albéroni et désirait fortement faire un exemple, en traduisant le ministre tombé devant un Tribunal romain. A son instigation, Albéroni qui s'était retiré près de Gênes fut arrêté et retenu en prison dans cette ville. Mais quelque vives que fussent les instances du Pape, le sénat Génois ne voulut pas consentir à lui livrer le Cardinal sans l'assentiment des grandes puissances. Dubois fut vivement pressé par la Cour de Rome d'aider le Pape à obtenir du sénat l'extradition d'Albéroni.

Les motifs que l'abbé avait alors de complaire au gouvernement pontifical, ne purent le décider à accéder aux désirs de Clément XI, et il refusa noblement de se prêter à une action qui, disait-il, devait infailliblement soulever l'opinion publique.

Mais le turbulent Cardinal se rendit indigne de cette générosité. On apprit bientôt qu'il avait tenté de soulever par ses intrigues le conseil de Gênes contre le doge, et de semer la discorde dans la république. Cette tentative faisait craindre qu'Alberoni n'essayât de s'emparer de l'esprit des Génois et de liguer l'Italie contre l'Empire. Dubois représenta au Régent ce danger comme une raison sé.- rieuse de revenir sur une générosité qu'Alberoni reconnaissait si mal. Il obtint la permission de prescrire à l'envoyé de France à Gènes d'aider le Pape à se saisir du Cardinal.

Le renvoi d'Alberoni préparait la route au rétablissement de la paix. Philippe V trahi, humilié, trouva le duc d'Orléans tout disposé à l'oubli de ses torts. Sa Majesté Catholique déclara enfin qu'elle était prête à entrer dans la Quadruple-Alliance. Mais elle demandait que, suivant la promesse qu'on lui avait faite, la cession de la Sicile fût compensée par la remise de Gibraltar. Il était facile de prévoir qu'une condition jetée sous la forme d'une proposition verbale dans le cours des négociations, préparatoires, au moment où l'Angleterre s'efforçait d'attirer à elle le roi d'Espagne, aurait peu de chances d'être tenue après la guerre, lorsque le roi d'Espagne avait besoin de se rendre les alliés favorables. Cependant le Régent désirait donner à Philippe la satisfaction qu'il demandait, car il se considérait comme engagé envers lui, par les ouvertures que M. de Nancré lui avait faites au sujet de Gibraltar. Il ordonna à Dubois de rappeler à Stanhope les termes précis dans lesquels la restitution de cette place avait été promise, et d'insister avec force prés du ministre de Georges Ier, afin d'obtenir du Roi la confirmation des engagements qu'il avait pris.

L'abbé écrivit donc à Stanhope, le 17 février 1720, le jour même où les plénipotentiaires de Sa Majesté Catholique signaient à La Haye l'acceptation des Traités, et, lui peignant le vif chagrin que le Régent éprouvait de fausser la parole qu'il avait donnée au roi d'Espagne, conjurait le ministre anglais de tenir l'engagement qu'il avait lui-même proposé ; mais ses instances ne produisirent aucun effet. Le Régent prit le parti de s'adresser au roi d'Angleterre lui-même, et ne fut pas plus heureux. Dubois, ne pouvant donner à l'Espagne une satisfaction réelle, lui offrit du moins une consolation. Plusieurs des puissances signataires du traité de Londres avaient accompagné leur adhésion de réserves sur lesquelles il était nécessaire de se prononcer. L'abbé avait proposé un congrès où seraient examinées ces réclamations. Il fit entendre à la cour de Madrid la possibilité de venir à bout du refus de l'Angleterre dans le congrès, et s'engagea à appuyer les plénipotentiaires espagnols au sujet de la remise de Gibraltar. Par cet accommodement qui fut accepté, le Régent put honorablement dégager la parole qu'il avait donnée à Philippe V, et la paix fut définitivement rétablie entre la France et l'Espagne.

Tout souriait à Dubois. L'accession du roi d'Espagne scella la tranquillité générale. Libre des soucis qu'il avait eus jusque-là pour la paix, l'abbé porta toute son attention sur les affaires du dedans. Sa charge lui avait donné l'entrée du Conseil de Régence, il devint dès lors, avec d'Argenson et Law, nommé contrôleur général des finances, un des trois grands ressorts du gouvernement du Régent. Mais tandis que le chancelier et le contrôleur étaient exclusivement occupés de surveiller le mécanisme du fameux système, Dubois poursuivait des projets plus utiles. Il contribua pour une grande part à l'arrêt du Conseil du 14 avril 1719 qui établit l'instruction gratuite et assigna pour les dépenses de cet enseignement le vingt-huitième du prix des Fermes. La vénalité des charges de judicature avait déconsidéré l'administration de la justice et transformé la magistrature en un corps politique. L'abbé forma le projet de racheter tous les offices, au moyen de la banque royale, qui était alors dans une phase de prospérité extraordinaire, et de substituer à des juges irresponsables, des juges amovibles, par conséquent dépendant de l'autorité royale. Le Régent, en ce moment aux prises avec le Parlement de Paris, qui avait déclaré au système une guerre à outrance, goûtait fort ce projet ; mais effrayé d'une mesure qui tendait à une révolution profonde, il en fut détourné par les membres du Conseil de Régence opposés à l'abbé et parmi lesquels était le duc de Saint-Simon. Il eut bientôt à se repentir d'avoir écouté des conseillers timides, et fut obligé d'en venir à des rigueurs extrêmes contre le Parlement, qu'il avait voulu épargner.

En même temps qu'il donnait ses soins aux affaires générales dans le Conseil de Régence, Dubois s'occupait des affaires de son ministère avec une activité inusitée dans la marche de ce département. Les articles 10, 11, 12 et 13 du traité d'Utrecht, entre la France et l'Angleterre, avaient stipulé la restitution, à cette dernière puissance, de la baie et du détroit d'Hudson, la cession des Iles Saint-Christophe et de Terre-Neuve ; mais ils avaient laissé à déterminer les limites séparatives entre quelques-uns des territoires cédés et les colonies françaises en ces parages. Cette délimitation, qui aurait dû être faite un an, au plus tard, après la signature du traité, n'avait jamais été exécutée ; aussi l'ajournement de cette clause ouvrait le champ à de fréquentes contestations entre les compagnies rivales des deux pays. Dubois fit cesser cette cause de querelle. Le 24 octobre 1719, il fut nommé plénipotentiaire du Roi, conjointement avec le maréchal d'Estrées, pour traiter avec Pulteney et Bladen, commissaires du gouverneur anglais, les différents points restés en suspens dans le traité d'Utrecht.

L'abbé s'occupa également de négocier des alliances pour la famille du Régent. Des cinq filles du duc d'Orléans, l'aînée, Marie-Louise-Elisabeth, duchesse douairière de Berry, venait de terminer (21 juillet 1719) une vie dont le scandale accusait les tristes exemples de son père. La seconde, Louise-Adelaïde d'Orléans, échappée à la contagion des vices de sa famille, s'était réfugiée dans la religion ; elle prononça ses vœux à l'abbaye de Chelles, au mois de septembre de la même année, et se fit estimer par sa piété et un zèle sincère. Une seule princesse d'Orléans était alors nubile, Mademoiselle de Valois (Charlotte-Aglaé)[1]. Elle possédait, avec une beauté remarquable, un esprit très-vif, mais elle déparait ces dons heureux par un caractère violent, indocile, et une imagination désordonnée qui la livrait à toutes les passions. Dubois avait en vue d'établir cette jeune princesse avec le prince héréditaire de Savoie ; mais Madame la Palatine, dont il sollicita l'agrément et qui avait une insurmontable aversion pour la maison de Savoie, s'opposa à ce mariage. L'envoyé du duc de Modène à Paris demanda la jeune princesse pour le fils aîné de son maître.

Les fiançailles furent célébrées au Palais-Royal le 11 février 4720, dans une brillante cérémonie. Les circonstances singulières qui accompagnèrent cette union firent regretter que le premier avis de Dubois n'eût pas été suivi. Un procès mortifiant pour le prince héréditaire de Modène, et des aventures scandaleuses furent la suite du choix inconsidéré que l'on fit pour la princesse[2]. L'abbé affligé d'un scandale qui 'ne pouvait atteindre la réputation de la princesse sans rejaillir sur ses jeunes sœurs, mit en œuvre tout son talent de négociateur, afin d'entretenir la paix du ménage et de conserver la dignité de la petite cour de Modène. Mais son habileté ne parvint qu'à sauver les apparences, et ne rendit pas le bonheur aux époux, qui en vinrent à une séparation quelque temps après.

Vers la même époque, c'est-à-dire au moment des premières ouvertures de paix avec Philippe V, Dubois conçut l'idée de réconcilier les maisons de France et d'Espagne au moyen d'un triple mariage entre le roi Louis XV et l'infante, fille de Philippe ; entre le prince des Asturies, héritier présomptif de la couronne et mademoiselle de Montpensier, quatrième fille du Régent ; enfin entre l'infant don Carlos, roi de Sicile, et mademoiselle de Beaujolais, cinquième fille du duc d'Orléans[3]. Cet arrangement, devait se conclure à l'insu et au déplaisir de l'Angleterre. Ainsi Dubois, tout en restant strictement fidèle aux obligations de la Quadruple-Alliance, n'était pas, comme on s'est plu à le dire, tellement enchaîné au gouvernement anglais, qu'il lui sacrifiât l'intérêt de son pays et la gloire de son maître, dans une circonstance où il ne pouvait ignorer qu'il exciterait la susceptibilité du Roi Georges et de ses ministres.

 

 

 



[1] Née le 28 octobre 1700.

[2] Le mariage ne fut pas consommé ; ce qui porta la princesse à en demander la nullité. Il fallut employer toute l'autorité du Régent pour la contraindre à accepter une position qui lui semblait ridicule. Dubois négociait en ce temps-là les mariages espagnols dont il sera parlé, et attachait par conséquent un grand prix à ce qu'il n'y dit aucun éclat.

[3] Ces alliances étaient des mariages précoces. Louis XV avait alors neuf ans et l'Infante quatre ans ; le prince des Asturies était âgé de douze ans et mademoiselle de Montpensier de dix ans ; l'Infant don Carlos de sept ans et la princesse qui lui était destinée de cinq ans. On ne peut citer qu'un seul exemple d'une plus grande précocité. Marguerite d'Autriche, tille de Maximilien d'Autriche et de Marguerite de Bourgogne, fut mariée à l'âge de deux ans au dauphin Charles, depuis Charles VIII, fils de Louis XI. La princesse vint en France à l'âge de trois ans et y fut élevée sous le titre de Dauphine, sous la régence d'Anne de Beaujeu et renvoyée dix ans après, lors du mariage de Charles VIII avec Anne de Bretagne. Le traité d'Arras (1462), qui avait stipulé le mariage de Marguerite d'Autriche avait prévu le cas oh il ne plairait plus au dauphin de vouloir procéder au parfait mariage, clause qui ne fut pas stipulée dans l'acte de mariage de Louis XV, et dont l'omission donna, quelques années plus tard, le caractère d'une offense à la répudiation de la jeune princesse.