HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XXVII. — DERNIERS TEMPS DE L'EMPIRE.

 

 

Les fils de Constantin.— Constantin avait partagé l'Empire entre ses trois fils qui tous trois devaient porter le titre d'auguste ; mais il avait donné à son neveu Dalmace le titre de césar avec le pays des bouches du Danube, à son neveu Hannibalien le royaume du Pont.

Au bout de quelques mois, les soldats, probablement excités par les augustes, s'ameutèrent, criant qu'ils ne voulaient d'autres empereurs que les fils de Constantin. Ils massacrèrent les deux frères de Constantin, six de ses neveux et leurs amis. De toute la famille il ne resta que deux enfants, Gallus et Julien.

Les fils de Constantin refirent ensuite le partage. Constantin II eut le diocèse des Gaules et les provinces du nord-ouest de l'Afrique ; Constance eut tout l'Orient ; Constant eut les pays intermédiaires (Italie, Illyrie, Afrique). On leur éleva des statues avec l'inscription Aux frères qui s'aiment (338).

Bientôt ils se brouillèrent. Constantin vint attaquer Constant en Italie, fut vainqueur, mais tué par des meurtriers (340).

Constant, resté seul en Occident (340), se fit détester par sa violence et son orgueil ; il ne s'occupait pas du gouvernement et passait son temps à chasser, en compagnie d'esclaves germains. Le commandant de ses gardes, Magnence, issu d'une famille de Germains établis dans l'Empire, conspira avec le ministre du trésor qui lui fournit de l'argent. Un jour, près d'Autun, Constant, après une chasse dans la forêt, donnait un banquet aux grands personnages du pays ; il s'enivra et eut un accès de colère. Magnence sortit et revint un moment après avec le diadème et le manteau de pourpre ; les gardes le proclamèrent auguste. Constant se sauva ; des cavaliers francs le poursuivirent à travers la Gaule, l'atteignirent et le tuèrent au pied des Pyrénées (350).

L'armée du Danube, excitée par Constantina, fille de Constantin et veuve d'Hannibalien, proclama auguste son général Vétranion, un ancien soldat qui avait appris à écrire sur le tard.

Constance se décida à faire la guerre aux usurpateurs. Il proposa d'abord à Vétranion de le soutenir contre Magnence et vint le trouver à Sirmium. Là ils se montrèrent ensemble aux deux armées. Constance fit un discours contre Magnence. Aussitôt les soldats crièrent : Mort aux usurpateurs ! Vétranion, se sentant abandonné, jeta la pourpre et se prosterna aux pieds de Constance qui lui fit grâce.

Magnence, avec une armée en partie formée de Barbares francs et saxons, s'avança par le pays du Danube. Constance avait une armée plus nombreuse, avec des corps armés à la façon des Parthes, des cavaliers couverts d'une armure de fer et des archers à cheval. Elle mit les Barbares en déroute (351). Magnence essaya de se défendre en Italie puis en Gaule, mais ses soldats l'abandonnèrent. Il finit par se tuer à Lyon (353).

Constance restait seul Empereur. Il persécuta les partisans de Magnence et en fit mourir plusieurs. Jamais, dit un historien de ce temps, sur une liste de condamnés à mort, il n'a effacé un seul nom. Pour forcer les accusés à avouer, il les faisait souvent mettre à la torture.

Le général Silvanus, un Franc, était à l'armée du Rhin, chargé de défendre la Gaule. Constance, sur de faux rapports, fit arrêter ses amis et lui envoya un officier avec ordre de le ramener en Italie. Silvanus, menacé de mort, se fit proclamer auguste à Cologne. Constance, sous prétexte de lui proposer la paix, envoya un général qui fit soulever les soldats et massacrer Silvanus (355).

Constance commença par persécuter l'ancienne religion. Il défendit d'aller dans les temples (346), puis de sacrifier aux dieux, sous peine de mort (352) ; mais il ne put faire observer ses défenses, surtout en Occident. Les temples de Rome restèrent ouverts.

Constance avait peur surtout des astrologues et des magiciens qui prétendaient deviner l'avenir ; en prédisant à celui qui venait les consulter qu'il deviendrait un jour empereur, ils pouvaient le pousser à conspirer.

Il défendit donc, sous peine de mort, de consulter les devins. Les gens soupçonnés de ce crime étaient étendus sur des chevalets et déchirés avec des griffes de fer. Constance assistait parfois à la torture. Il y eut des nobles condamnés à mort pour avoir consulté l'oracle d'Apollon et demandé quand l'Empereur mourrait.

Les ariens, déclarés hérétiques par le concile de Nicée, avaient continué à résister et les évêques ariens de Syrie étaient parvenus à regagner Constantin. Ils tinrent un synode qui condamna saint Athanase et le fit exiler à Trèves ; Arius mourut au moment où il allait être rétabli dans sa dignité.

Constance prit parti pour les hérétiques ariens contre les orthodoxes. Il nomma évêque de Constantinople un évêque arien. Les orthodoxes élurent un autre évêque sans consulter l'Empereur ; les deux partis se battirent dans la ville ; les orthodoxes brûlèrent le palais, massacrèrent le maître des cavaliers. Constance exila l'évêque orthodoxe. Mais, pour installer l'évêque arien, il fallut envoyer les soldats et massacrer le peuple (340). A Alexandrie, où les orthodoxes avaient élu Athanase, l'Empereur imposa un arien ; ce qui amena aussi des émeutes.

Le pape et les évêques d'Occident reconnurent pour véritables évêques les orthodoxes, et comme l'Empereur Constant les soutenait, on essaya de rétablir la paix par un concile général ; mais les Orientaux et les Occidentaux ne purent s'entendre. Après 350, Constance, devenu seul maître, réunit des conciles qui condamnèrent les orthodoxes ; il exila les évêques les plus vénérés, saint Athanase, saint Hilaire de Poitiers, et même le pape (355).

Les ariens vainqueurs ne s'entendirent pas entre eux ; la plupart voulaient faire adopter non pas la doctrine d'Arius, mais une formule intermédiaire : ils disaient que le Fils est sinon de même essence que le Père, όμοούσιος, comme disaient les orthodoxes, du moins d'une essence semblable, όμοιούσιος. On continua donc à discuter sans parvenir à s'entendre. Un officier païen de ce temps, Ammien Marcellin, ne comprenant rien à toutes ces discussions, écrivait : Il n'y a pas de bêtes féroces plus ennemies de l'homme que la plupart des chrétiens ne sont ennemis les uns des autres.

Julien l'Apostat. — Constance n'avait plus qu'un seul parent, son neveu Julien, un jeune homme échappé au massacre de 338 parce qu'il n'avait encore que six ans. On l'avait tenu d'abord à demi prisonnier dans une forteresse de la Cappadoce, avec des prêtres qui l'élevaient en chrétien, lui faisant faire des pèlerinages aux tombeaux des martyrs, chanter des psaumes et lire l'Écriture sainte devant le peuple. Puis on lui permit de venir à Constantinople et à Nicomédie étudier les rhéteurs et les philosophes grecs. Il prit goût à ces études, devint disciple d'un philosophe platonicien et abjura secrètement le christianisme. Il termina ses études à Athènes où il se fit initier aux mystères d'Éleusis. Plus tard il se déclara ouvertement pour l'ancienne religion. Les chrétiens le surnommèrent alors Julien l'Apostat.

Après la mort de Silvanus, les Germains, trouvant la frontière du Rhin dégarnie de troupes romaines, envahirent la Gaule : les Francs ravagèrent la Belgique, les Alamans ravagèrent toute la rive gauche du Rhin, prirent et pillèrent les villes fortes et s'avancèrent jusque devant Autun.

Constance se décida à envoyer Julien avec le titre de césar commander l'armée de Gaule (355) ; mais il lui adjoignit des officiers chargés de le surveiller et ne lui donna pas d'argent pour payer ses soldats.

Julien, avant de faire la guerre, voulut apprendre son métier de général. Il vint en Gaule et resta tout l'hiver à Vienne, s'exerçant à la gymnastique et à l'escrime, lisant l'histoire des grands capitaines pour apprendre la stratégie. Il commença à s'attacher les soldats et les officiers.

Au printemps de 356, il partit en campagne et repoussa les Alamans depuis le pays de la Seine jusqu'au Rhin. Pendant l'hiver, il divisa son armée en plusieurs corps et s'établit lui-même à Sens. La Gaule était encore si mal défendue qu'une troupe d'Alamans put arriver sans combat devant Sens et y assiéger Julien pendant un mois.

La campagne décisive fut celle de 357. Une bande d'Alamans descendit en pillant la vallée de la Saône et assiégea Lyon. Au retour, Julien se posta près des Vosges, l'attaqua et la détruisit.

35.000 guerriers alamans, commandés par 7 rois, traversèrent le Rhin. Julien les attendit en Alsace avec une petite armée. Les Alamans lui envoyèrent dire que ce pays leur appartenait maintenant par droit de conquête et le sommèrent de se retirer. Julien les attaqua près d'Argentoratum (Strasbourg), les mit en déroute et les poursuivit jusqu'au Rhin ; beaucoup se noyèrent. Julien traversa le Rhin et ramena les captifs romains emmenés par les Alamans (20.000, dit-on). Puis il chassa les Francs de la Belgique.

Il revint en Gaule et choisit pour résidence une petite ville, Lutèce (Paris), bâtie dans l'île de la Seine, appelée plus tard la Cité. Voici comment il en parle : J'étais alors en quartiers d'hiver dans ma chère Lutèce, c'est ainsi que les Celtes appellent la ville des Parisiens. Le fleuve l'entoure de toutes parts, on n'y peut arriver que de deux côtés, par deux ponts de bois... Les eaux du fleuve sont pures, belles à voir et agréables à boire... L'hiver n'est pas rude dans ce pays ; on y cultive des vignes et même des figuiers.

Sur la colline de la rive gauche s'était formé un faubourg romain ; là se trouvaient le camp des soldats, les magasins militaires, les arènes (dont on a retrouvé les traces) et le palais des Thermes (dont les murs subsistent encore[1]) qui était une sorte de forteresse sombre et froide.

Julien y menait une vie de soldat et de philosophe ; sans cuisine, il mangeait la nourriture des soldats ; sans lit, il couchait sur une peau de bête ; sans chauffage, les Romains n'avaient pas de cheminées. Un hiver où il fit très froid, Julien fit mettre dans sa chambre un réchaud plein de charbons allumés et faillit périr asphyxié.

Depuis plus de vingt ans sur la frontière d'Orient, l'armée romaine avait peine à résister aux Parthes qui venaient ravager l'Empire. En 360, Constance ordonna à Julien de détacher ses troupes auxiliaires et 300 légion 'mires d'élite et de les envoyer sur la frontière parthe.

Les soldats de Gaule ne se souciaient pas d'être transportés à l'autre bout du monde, ils réclamèrent contre l'ordre de l'Empereur.

On les réunit dans le camp de Lutèce pour les diriger sur l'Orient. Julien les remercia et leur fit ses adieux. Mais les soldats ne voulaient pas s'en aller.

Le soir ils s'assemblent et marchent en masse sur le palais en criant : Julien Auguste ! Julien sort du palais, les prie d'abord de rester fidèles à l'Empereur. Les soldats insistent, l'élèvent sur un bouclier et le portent en triomphe en criant : Julien Auguste !

Julien écrivit à Constance pour le prier de l'accepter comme collègue. Constance refusa. Julien marcha vers l'orient avec son armée. En route, il apprit la mort de Constance (361).

Julien, revenu en Orient, travailla à restaurer l'ancienne religion et à détruire le christianisme. Il fit rétablir les sacrifices, rendit aux prêtres des anciens dieux leurs honneurs et leurs domaines, ordonna aux chrétiens de rendre les temples convertis en églises et de rebâtir les temples détruits.

Il enleva au clergé chrétien ses privilèges. Il défendit aux chrétiens d'enseigner la philosophie ou la littérature ; les professeurs chrétiens furent obligés de se retirer des écoles. Julien ne voulait pas laisser expliquer les œuvres des anciens écrivains où l'on parlait des dieux par des hommes qui ne croyaient pas à ces dieux. On ne doit pas, dit-il, nous percer de nos flèches et s'armer de nos livres pour nous combattre.

Il écrivit lui-même un traité contre les chrétiens.

Il recommanda de ne pas donner de fonctions à des chrétiens ; mais il ne destitua pas les fonctionnaires chrétiens.

Il ordonna de rebâtir le temple de Jérusalem. Mais les ouvriers furent effrayés par des flammes qui sortaient de terre, et le travail s'arrêta.

Julien essaya d'organiser l'ancienne religion sur le modèle du christianisme ; il ordonna aux prêtres de lire des livres religieux (Pythagore, Platon, les stoïciens), de célébrer tous les jours leur culte en famille, d'éviter le théâtre et les cabarets, de faire des sermons au peuple en costume de pourpre. Il voulait introduire dans leurs cérémonies de la musique et des chants.

Toutes ces tentatives restèrent sans résultat. Julien n'eut pas le temps de les continuer. Il partit pour faire la guerre aux Parthes, comme Alexandre, les vainquit, traversa le Tigre, et dans un combat fut blessé à mort par une flèche. Avant de mourir, il fit venir ses deux philosophes et causa avec eux de l'immortalité de l'âme (363).

On raconta plus tard qu'en se sentant frappé, il s'était écrié, s'adressant au Christ : Tu as vaincu, Galiléen !

Les soldats proclamèrent empereur le commandant des gardes, Jovien, qui s'empressa de faire la paix en cédant aux Parthes les pays conquis par Dioclétien. Il ramena l'armée et mourut en Asie.

Valentinien et Valens. — L'armée choisit pour empereur un officier, Valentinien, un Illyrien qui parlait latin et savait mal le grec (364). Les soldats réclamèrent un deuxième empereur pour avoir droit à un second donativum. Valentinien leur fit proclamer son frère Valens. Il alla s'établir en Occident, à Milan, et laissa Valens en Orient, à Constantinople.

Valentinien fut surtout un homme de guerre, brave, dur et violent. On lui attribuait plusieurs traits de férocité.

Il fit tuer à coups de bâton un domestique qui, à la chasse, avait lâché trop tôt un chien sur le gibier. — Un ouvrier chargé de ciseler une cuirasse détourna une partie du métal ; il le fit exécuter. — Un cocher, pour des paroles imprudentes, fut brûlé sur le bûcher. — Un fonctionnaire demandait son changement : Il veut qu'on le déplace, répondit-il ; déplacez-lui la tête. — Il gardait près de sa chambre deux ours féroces et leur faisait dévorer des condamnés.

Il fit exécuter un jeune noble pour avoir copié un recueil de formules magiques.

Il augmenta les impôts et prit des mesures sévères pour les faire rentrer. Plusieurs cités n'ayant pas payé l'impôt, il ordonna d'exécuter trois curiales dans chacune. Le préfet du prétoire lui demanda : Que faut-il faire dans les cités où il n'y a pas trois curiales ? Faut-il attendre d'avoir complété ce nombre pour les exécuter ? Il répondit oui.

Valentinien était chrétien ; il rendit aux églises catholiques leurs privilèges, mais il laissa libre tous les cultes, même les cérémonies des mystères grecs.

Les peuples barbares qui envahissaient l'Empire sur le Danube, en Bretagne, sur le Rhin, furent tous repoussés. Valentinien passa presque tout son règne en Gaule à combattre lui-même les Alamans ; il les rejeta derrière le Rhin et rétablit l'ancienne frontière. Il mourut dans une expédition sur le Danube (375).

Son fils aîné, Gratien, âgé de seize ans, le remplaça en Occident ; le plus jeune, âgé de quatre ans, Valentinien II, fut aussi proclamé auguste.

Pendant ce temps en Orient, Valens se faisait détester par sa cruauté. Il avait peur de la magie ; il ordonna de rechercher tous les livres de magie et de les brûler avec les gens qui les possédaient.

Il était chrétien, mais de la secte des ariens et persécutait les catholiques orthodoxes.

Valens n'était pas un guerrier, il ne sut ni défendre l'Empire, ni maintenir l'armée en état. Les provinces frontières furent ravagées par des bandes de pillards ; les soldats romains, enfermés dans les forteresses, refusaient d'en sortir pour combattre.

Invasion des Wisigoths. — Le peuple germain des Goths établi dans les plaines au nord du Danube fut attaqué par un peuple venu d'Asie, les Huns, hommes de race jaune, petits, trapus, sans barbe, avec de petits yeux bridés, toujours à cheval, vivant de racines crues et de viande crue qu'ils faisaient macérer sous leur selle. Ils combattaient avec la lance, l'arc et le lasso, chargeaient en criant, tournaient bride au galop et revenaient de même.

Les Goths ne purent leur résister. Une partie du peuple, les Wisigoths (Goths de l'ouest), se décidèrent à émigrer. Un de leurs chefs, Fritigern, qui était chrétien, envoya l'évêque des Goths demander à l'Empereur d'établir son peuple dans l'Empire ; Valens accepta. Les Goths devaient livrer leurs armes et donner leurs enfants comme otages ; l'Empereur devait leur fournir des vivres (375).

Les Wisigoths passèrent le Danube avec leurs familles et furent établis dans la plaine (au nombre de 300.000). Mais les employés romains ne leur fournirent pas de vivres, comme il était convenu et les forcèrent, pour ne pas mourir de faim, à vendre leurs esclaves, leurs femmes et leurs enfants (376).

Quelques-uns avaient conservé leurs armes, ils se mirent à piller le pays. Valens et Gratien envoyèrent contre eux des troupes. Mais les Wisigoths s'étaient renforcés : les esclaves Goths, les paysans barbares, les ouvriers des mines s'étaient joints à eux. Ils formaient avec leurs chariots un camp retranché, ils en sortirent pour attaquer le camp romain près des bouches du Danube. Le combat fut indécis (377).

L'armée des Wisigoths, grossie de guerriers barbares accourus de l'autre côté du Danube, traversa les Balkans et ravagea tout le pays jusque près de Constantinople. Gratien, attaqué à ce moment sur le Rhin par les Alamans, avait rappelé ses troupes ; il vainquit les Alamans et les repoussa derrière le Rhin jusque dans les montagnes ; puis il fit annoncer à Valens qu'il allait à son secours. Valens était à Andrinople avec son armée, ses généraux l'engageaient à attendre, mais il voulut vaincre seul et donna l'ordre de marcher contre les Wisigoths (9 août 378).

Les Romains, souffrant de la soif et de la faim, fatigués de la marche, de la poussière, de la chaleur, arrivèrent en désordre devant les chariots qui formaient le camp ennemi ; les cavaliers Goths sortirent, chargèrent les Romains, les mirent en déroute. Les deux tiers de l'armée furent massacrés. Valens, blessé d'un coup de flèche, fut porté dans une chaumière ; ses compagnons voulurent le défendre, les Barbares mirent le feu à la chaumière. Valens périt, probablement brûlé.

Les Goths arrivèrent le lendemain devant Andrinople, ils ne purent prendre la ville, mais ils se répandirent dans toutes les provinces d'Illyrie et les ravagèrent.

Théodose. — Gratien, se sentant trop jeune pour défendre seul tout l'Empire, choisit un général espagnol âgé de trente-trois ans, Théodose, l'envoya chercher en Espagne, le fit proclamer auguste et le chargea de gouverner l'Orient et l'Illyrie (379).

Théodose vint à Thessalonique, réorganisa l'armée et rétablit la discipline ; il s'attacha les soldats en les traitant avec politesse, et en partageant leurs exercices et leurs fatigues. Puis il se mit en campagne contre les Goths. Il ne chercha pas à les détruire, il préférait les amener à se soumettre. Il reçut leur roi, lui fit des présents, le traita en ami.

Enfin, après une nouvelle invasion des barbares en 381, il fit la paix (382). Il céda aux Wisigoths les provinces au sud du Danube. Les Wisigoths y restaient avec leurs chefs comme alliés de l'empereur (fœderati), non comme sujets. Ils s'engageaient seulement à combattre au service de l'empereur, moyennant une solde, des colliers et des bracelets d'or. Théodose fit entrer ainsi 40.000 guerriers barbares dans l'armée romaine.

Théodose et Gratien étaient catholiques orthodoxes, ils prirent parti contre les hérétiques ariens. Par les édits de 380 et 381 ils défendirent de professer aucune autre doctrine que celle de l'Église de Rome. Ceux qui suivront cette loi s'appelleront seuls chrétiens catholiques ; quant aux fous et aux insensés qui voudront soutenir l'infamie du dogme hérétique, ils ne devront plus appeler églises leurs conciliabules et en attendant la vengeance divine ils seront frappés de la nôtre. Il fut dès lors interdit aux ariens de s'assembler dans les villes et d'y célébrer leur culte.

Gratien n'était pas aimé en Occident ; on lui reprochait de trop aimer la chasse, de vivre avec des Barbares, de s'habiller comme eux, de négliger l'armée et de laisser ses courtisans vendre les places et la justice. L'armée de Bretagne se révolta et proclama empereur son général Maxime, un Espagnol. Maxime passa en Gaule, on se battit près de Paris ; Gratien, abandonné par ses soldats, s'enfuit et fut tué près de Lyon (383).

Théodose reconnut Maxime pour empereur. Le jeune Valentinien II, amené à Milan, garda l'Italie et l'Afrique. Sa mère Justine gouverna à sa place et soutint les hérétiques. Elle ordonna à l'évêque de Milan, saint Ambroise, de rendre aux ariens une église ; le saint répondit qu'il ne pouvait livrer le temple de Dieu. Les officiers impériaux firent mettre sur l'église les insignes de l'empereur et la firent garder par des soldats. Le peuple fit une émeute, la cour céda et laissa l'église aux catholiques (385).

Maxime, avec une armée de Barbares germains, envahit l'Italie (387). Valentinien s'enfuit auprès de Théodose qui prit parti pour lui et épousa sa sœur. Avec une armée, formée surtout de Barbares goths, Théodose marcha sur l'Italie, battit Maxime, le prit et le fit décapiter ; on massacra ses partisans, ses gardes et son fils (388).

Théodose resta trois ans en Italie. C'est alors que se passa l'aventure célèbre de sa pénitence. Théodose avait mis dans les garnisons d'Orient des soldats et des officiers goths. Ces Goths formaient maintenant la partie la plus solide de l'armée romaine. Le peuple des grandes villes se querellait souvent avec ces barbares et d'ordinaire Théodose prenait parti pour ses soldats. En 390, à Thessalonique, l'émeute fut si violente que le peuple massacra plusieurs officiers goths. Théodose, dans un accès de colère, ordonna d'exterminer la population de Thessalonique. Un jour que les habitants s'étaient rassemblés dans le cirque pour assister à des jeux, les soldats goths cernèrent le cirque, y entrèrent et pendant trois heures massacrèrent tout, hommes, femmes et enfants.

La nouvelle du massacre arriva en Italie, l'empereur était alors à Milan. Quand il vint à l'église, l'évêque saint Ambroise l'arrêta devant la porte et lui défendit de passer, car, en faisant verser le sang des innocents, il s'était rendu indigne d'entrer dans le sanctuaire. Théodose, écarté de la communion des fidèles, accepta la sentence de l'évêque ; pendant huit mois il s'abstint de revenir à l'église, il n'y rentra qu'aux fêtes de Noël, après avoir fait pénitence de son crime.

Pour la première fois, un empereur reconnaissait un pouvoir supérieur au sien, le pouvoir du clergé chrétien.

Les Francs venaient d'envahir la Gaule. Théodose y envoya Valentinien II, en donnant pour général à son armée un barbare, le Franc Arbogast. Arbogast repoussa les Francs derrière le Rhin ; puis il gouverna au nom de Valentinien, trop jeune et trop incapable. Valentinien jaloux voulut se débarrasser de lui et lui remit une lettre qui le destituait. Arbogast jeta la lettre à terre en disant que, nommé par Théodose, il ne pouvait être révoqué que par lui. Valentinien, en colère, prit une épée pour frapper Arbogast ; on les sépara ; quelque temps après on trouva Valentinien pendu à un arbre (392).

Arbogast, n'étant pas Romain, n'osa pas se faire proclamer empereur ; il fit proclamer Eugène, un ancien rhéteur, devenu secrétaire du gouvernement. Il aurait voulu rester en paix avec Théodose. Mais Théodose refusa de le reconnaître, réunit une armée et marcha sur l'Italie (394).

Les deux armées se rencontrèrent près d'Aquilée ; toutes deux étaient formées surtout de Barbares : Alamans et Francs du côté d'Arbogast et d'Eugène ; Goths, Huns, Alains, Ibères, Sarrasins du côté de Théodose. On se battit deux jours. Le soir du premier jour les généraux de Théodose l'engageaient à se retirer ; dans la nuit, Arbogast envoya un corps occuper les collines derrière l'armée de Théodose. Mais ce corps passa à l'ennemi, et le lendemain le vent du nord, soufflant de la montagne, lançait la poussière dans les yeux des soldats d'Arbogast ; ils se débandèrent, renoncèrent à combattre et amenèrent Eugène captif à Théodose qui le fit décapiter. Arbogast se tua.

Théodose, seul maître de l'Empire, mourut l'année suivante, à cinquante ans (395).

Suppression officielle du paganisme. — Depuis le temps de Constantin, les habitants de l'Empire étaient peu à peu devenus chrétiens. Il ne restait plus guère d'adorateurs des anciens dieux que parmi les habitants de Rome, les soldats, et surtout les gens des campagnes. On commença à les appeler païens, c'est-à-dire paysans.

Les premiers empereurs chrétiens laissèrent les païens libres de célébrer leur culte. Ils conservaient eux-mêmes le titre de Grand Pontife. Gratien le premier refusa la robe de grand pontife et n'en prit pas le titre. Il ne voulait plus supporter d'autre religion que le christianisme ; il fit retirer de la salle du Sénat, à Rome, la statue de la Victoire, à laquelle on faisait des sacrifices.

Théodose fit plus. Il interdit d'offrir des sacrifices aux dieux ; puis il chargea le préfet du prétoire de fermer les temples et de supprimer le culte païen dans tout l'Orient. Alors les soldats, aidés des moines, se mirent à démolir les temples, à renverser les autels, à briser les idoles ou à les mutiler (394-396). Un évêque de Syrie, saint Marcel, avec une bande de soldats, parcourut le pays pour détruire les sanctuaires païens ; il fut massacré par les paysans et vénéré comme un martyr.

En 391, Théodose défendit à tous les habitants de l'Empire d'aller dans les temples des dieux. En 392, il interdit sous peine de mort toute espèce de culte des idoles. Le Sérapéum d'Alexandrie, tombeau des bœufs Apis, fut fermé. On a retrouvé le cercueil de pierre du dernier Apis arrêté dans la galerie où l'on n'avait pas eu le temps de le mettre en place.

Le Sénat de Rome conservait la vieille religion, à laquelle étaient attachés tous les souvenirs de l'histoire romaine. Il demanda à Théodose la permission de rétablir dans la salle des séances la statue de la Victoire, Théodose la refusa ; Eugène, quoique chrétien, la donna. Arbogast, favorable aux païens, mit sur les étendards l'image d'Hercule, et le préfet du prétoire à Rome fit célébrer une fête païenne pour purifier la ville.

Après la défaite d'Eugène, Théodose donna le dernier coup au paganisme. La statue de la Victoire fut retirée définitivement du Sénat. Le feu sacré du foyer de Rome, gardé par les Vestales, fut éteint. Les jeux olympiques, en Grèce, furent célébrés pour la dernière fois (394).

Il resta cependant des païens pendant plus d'un siècle encore.

Les deux Empires. — Théodose, avant de mourir, partagea l'Empire entre ses deux fils.

Arcadius, l'aîné, reçut l'Orient, c'est-à-dire l'Asie, l'Égypte et presque toute la presqu'île des Balkans, c'étaient tous les pays où l'on parlait grec ; il avait sa cour à Constantinople.

Le plus jeune, Honorius, eut l'Occident, c'est-à-dire l'Italie, la Gaule, l'Espagne, la Bretagne, l'Afrique, le Norique, la Rhétie, la Pannonie et la Dalmatie, c'étaient les pays où l'on parlait latin ; sa cour résida à Milan, puis à Ravenne.

Ce partage continua après la mort des deux empereurs, en sorte qu'on s'habitua à regarder l'Empire comme partagé en deux, l'Empire d'Occident, l'Empire d'Orient.

L'Empire d'Occident ne dura pas, il fut envahi par les Barbares qui le divisèrent en royaumes.

L'Empire d'Orient, privé d'une partie de ses provinces, dura plus de dix siècles encore, jusqu'au temps où les Turcs prirent Constantinople.

Étendue du monde romain. — L'Empire romain en 395 avait à peu près la même étendue qu'à la mort d'Auguste. Il avait perdu le territoire sur la rive droite du Rhin acquis au Ier siècle, la Dacie conquise par Trajan, les provinces enlevées au royaume des Parthes. Des conquêtes des empereurs, il ne lui restait plus que la Bretagne, c'est-à-dire à peu près l'Angleterre actuelle.

Sauf la Bretagne, les limites du monde romain étaient, comme au temps d'Auguste : à l'ouest, l'Océan ; — au nord, le Rhin et le Danube ; — à l'est, la mer Noire, l'Arménie, l'Euphrate et le désert de Syrie ; — au sud, le désert d'Afrique.

Mais au temps d'Auguste, la plupart des habitants étaient encore des étrangers soumis à quelques millions de citoyens romains. A la fin du IVe siècle, tous les habitants de l'Empire s'appelaient des Romains.

 

FIN DE L'OUVRAGE.

 

 

 



[1] Près de l'hôtel de Cluny ; on en a fait un musée d'antiquités romaines.