HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XXI. — LES FLAVIENS.

 

 

Révoltes contre Néron (68). — Néron ne s'occupait plus du gouvernement. Le peuple lui restait encore attaché, parce qu'il donnait des spectacles et faisait des distributions. Mais les soldats se plaignaient de ne plus recevoir leur solde et avaient honte d'obéir à un chanteur.

Le gouverneur de la Gaule lugdunaise, Vindex, donna l'exemple ; il réunit une armée de Gaulois et déclara qu'il allait délivrer Rome de ce mauvais chanteur. Il écrivit au gouverneur d'Espagne Galba pour lui offrir le commandement ; Galba n'avait qu'une légion, il en leva une deuxième et se déclara pour le Sénat contre Néron. Le gouverneur de Lusitanie, Othon, l'ancien mari de Poppée, donna à Galba sa vaisselle d'or et d'argent pour payer ses légions. Le gouverneur d'Afrique se révolta.

Les gens de Lyon avaient appelé à leur secours contre les Gaulois révoltés les deux légions de Germanie ; elles rencontrèrent l'armée gauloise près de Besançon. Leur chef voulait s'entendre avec Vindex ; mais ses soldats se jetèrent sur les Gaulois et en massacrèrent 20000 ; Vindex se tua. Cependant ils ne voulaient plus de Néron, et abattirent ses images. L'armée du Danube fit de même.

Néron n'avait pris aucune mesure contre Vindex ; il était d'abord à Naples où il allait voir les lutteurs ; puis à Rome où il essayait des instruments de musique. En apprenant la révolte d'Espagne il perdit la tête. Les prétoriens de Rome l'abandonnèrent ; il s'enfuit près de Rome dans la maison d'un de ses affranchis. Le Sénat le déclara ennemi public et le condamna à mort. En entendant venir les cavaliers envoyés à sa poursuite il se tua.

On dit qu'il hésita longtemps à se tuer, qu'il pleurait et répétait : Quel artiste le monde va perdre !

Le peuple ne voulut pas croire qu'il fût mort. Longtemps on s'attendit à le voir revenir. Un esclave en Asie se fit passer pour Néron et commença une révolte.

Néron était le dernier survivant de la famille de César.

Guerres entre les armées (69). — Les prétoriens proclamèrent empereur Galba, gouverneur d'Espagne ; le Sénat lui prêta serment, les autres gouverneurs le reconnurent.

Galba vint à Rome, il avait 73 ans et la goutte. Il voulut être économe et rétablir la discipline. Les prétoriens lui réclamèrent l'argent que le préfet du prétoire leur avait promis en son nom ; il refusa. J'enrôle des soldats, dit-il, je ne les achète pas. Il ne fit pas de distributions au peuple ; on le trouva dur et avare. Il prit pour collègue et successeur un jeune noble honnête et fier, Pison, que les prétoriens n'aimaient pas, et en le leur présentant il ne leur promit pas de donativum.

Les prétoriens, mécontents, s'entendirent avec Othon, l'ancien favori de Néron, l'ancien mari de Poppée, qui venait de donner son argent à Galba et qui s'était fait aimer des soldats en les traitant en camarades. Ils l'amenèrent dans leur camp et le proclamèrent empereur. Galba fut massacré, il avait été empereur sept mois. Othon laissa relever les statues de Néron ; mais il ne fit condamner personne (69).

Les soldats des frontières ne voulaient plus se laisser imposer l'Empereur qui plaisait aux prétoriens de Rome. L'armée du Rhin, la plus nombreuse et la plus brave, à son tour, fit un empereur ; elle proclama son général, le gouverneur de Basse-Germanie, Vitellius. Puis elle marcha sur l'Italie, ne laissant dans ses camps que les vieux soldats et quelques auxiliaires.

L'armée de Bretagne et la légion de Lyon se déclarèrent aussi pour Vitellius. Il eut alors onze légions, et ces légions menaient avec elles un nombre égal d'auxiliaires, surtout des Germains, organisés en cohortes, avec des officiers de leur nation. Les plus considérés et les mieux payés étaient les Bataves, qui formaient le principal corps de cavalerie.

Cette armée romaine, à demi germaine, traversa la Gaule comme une invasion de barbares, pillant et massacrant. Un des généraux, Valens, toujours ivre, se faisait appeler Germanicus. L'autre, Cécina, portait, au lieu du costume romain, les braies des barbares et le manteau bariolé des Chérusques ; sa femme l'accompagnait à cheval, suivie d'une escorte de cavaliers. A Metz, on massacra 4.000 personnes. Les Gaulois, effrayés, sortaient de leurs villes à la rencontre de ces barbares ; les femmes et les enfants se prosternaient pour les attendrir. A Langres, ils commencèrent à se battre entre eux, les Bataves contre les légionnaires.

Vienne, dénoncée par Lyon (les gens des deux villes se détestaient), fut forcée de livrer ses armes et de promettre une somme pour chaque soldat.

L'armée s'était révoltée contre Galba ; elle apprit en chemin que les prétoriens l'avaient remplacé par Othon ; elle continua sa marche et entra en Italie.

Othon n'avait pas d'armée en Italie ; il ramassa ce qu'il trouva à Rome : les prétoriens, les cohortes urbaines, les détachements des légions, les recrues qu'on venait d'enrôler, 2.000 gladiateurs de profession, et partit à pied, revêtu d'une armure de fer, vivant d'une vie simple au milieu des soldats ; il savait se faire aimer de ses hommes et ne leur imposait aucune discipline.

Les soldats de Vitellius arrivaient divisés en trois armées. La première arrivée attaqua Plaisance et fut repoussée, puis surprise près de Crémone par l'armée d'Othon. Mais la seconde armée la rejoignit.

On conseilla alors à Othon d'attendre l'armée du Danube, en marche pour venir à son secours. Othon voulut combattre tout de suite ; ses soldats, s'il les laissait campés en face des soldats du Rhin, pouvaient être tentés de l'abandonner pour se joindre à leurs camarades. Il ordonna d'attaquer ; ses soldats sortirent du camp et s'avancèrent avec leurs bagages sur une chaussée étroite, où ils rencontrèrent les Vitelliens. Ils se battirent en désordre, gênés par les bêtes de somme et les bagages ; les gladiateurs, chargés par les cavaliers bataves, s'enfuirent vers le Pô ; les prétoriens se débandèrent et se réfugièrent dans leur camp, puis ils se rendirent sans combat.

Othon était resté avec sa garde dans un autre camp. En apprenant la déroute, il décida de se tuer. Il avait été empereur 88 jours.

Un soldat apporta la nouvelle de la défaite. On racontait que les amis d'Othon ne voulurent pas le croire, et que l'un d'eux dit : C'est un lâche qui s'est sauvé de la bataille. Le soldat, sans répondre, se perça de sou épée. Othon ému s'écria : de n'exposerai pas la vie de défenseurs si dévoués.

Ses soldats le suppliaient de continuer la guerre. C'est assez d'une bataille, dit-il ; il distribua son argent, renvoya ses amis, brûla ses lettres, puis demanda de l'eau froide et deux poignards, se coucha et s'endormit. A l'aube, il s'éveilla et se perça le côté gauche.

Les prétoriens furent licenciés. Les soldats de Vitellius ravagèrent le pays et se battirent entre eux ; à Pavie, une légion massacra ses propres auxiliaires.

Vitellius arriva enfin en Italie avec la troisième armée, 60000 soldats et une cohue de valets, de comédiens, de cochers. C'était un gros homme qui passait son temps à table ; quand il avait trop mangé, il se faisait vomir pour pouvoir recommencer à manger. Il ne s'occupait pas de gouverner, pas même de maintenir l'ordre ; il laissait ses soldats faire ce qui leur plaisait.

On dit que, passant 40 jours après la bataille devant les cadavres des soldats d'Othon qui pourrissaient et infectaient l'air, il dit en plaisantant : Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon.

A Rome, Vitellius ne fit pas de mal au Sénat et lui laissa même faire quelques réformes, mais il se fit mépriser par sa gloutonnerie. Il s'invitait à plusieurs dîners le même jour ; il dépensa des sommes énormes pour sa cuisine ; il inventa un plat, le bouclier de Minerve, fait de foies de poissons, de cervelles de paons et de faisans, de laitances de lamproie et de langues de flamants.

Il y avait alors une armée en Judée pour faire la guerre aux Juifs révoltés. Les soldats n'acceptèrent pas l'empereur créé par l'armée du Rhin, ils proclamèrent leur général Vespasien. Les deux autres armées d'Orient (les quatre légions de Syrie, les deux d'Égypte), toujours en rivalité avec les légions de Germanie, le reconnurent pour empereur ; l'armée du Danube prit aussi parti pour lui et entra la première en Italie.

L'armée de Vitellius s'était désorganisée en pillant le pays, les meilleurs soldats avaient passé dans le corps des prétoriens où l'on était mieux payé ; le général Cécina voulait abandonner Vitellius, il fit abattre ses images ; ses soldats l'enchaînèrent et se retirèrent en désordre.

Les armées du Rhin et du Danube se rencontrèrent près de Crémone ; elles se battirent toute la nuit ; la lune se leva derrière les soldats de Vespasien et projeta en avant d'eux de grandes ombres qui les protégeaient en faisant tromper leurs adversaires ; elle éclairait au contraire les soldats de Vitellius, montrant où il fallait les frapper. Au matin, le bruit courut que l'armée de Syrie arrivait ; les Vitelliens se replièrent et envoyèrent dire qu'ils se soumettaient. Puis les deux armées réconciliées pillèrent la ville de Crémone, la brûlèrent et vendirent les habitants.

A Rome, Vitellius s'entendit avec le frère de Vespasien, préfet de la ville, et vint sur la place déclarer qu'il abdiquait ; mais les soldats et le peuple poussèrent des cris et le forcèrent à rentrer dans son palais. On se battit au Capitole ; le frère de Vespasien fut pris et massacré, le temple du Capitole brûla.

Puis l'armée du Danube arriva devant Rome, força le passage du Champ de Mars, assiégea la forteresse des prétoriens, la prit, tua tous les défenseurs et entra dans Rome en massacrant. Alors on se mit à chercher dans les maisons les soldats de Vitellius et à les égorger. On prétendait les reconnaître à leur grande taille, car c'étaient des Germains.

Vitellius, trouvé dans une cachette, fut amené sur la place les mains liées derrière le des, la corde.au cou, les vêtements déchirés, au milieu de la foule, qui lui tirait les cheveux, lui jetait de la boue, l'appelait ivrogne et se moquait de sa figure rouge et de son gros ventre ; on le déchira à coups d'épée et on jeta son corps dans le Tibre.

Révolte en Germanie et en Gaule. — Pendant que l'armée du Rhin se battait en Italie pour Vitellius, il ne restait sur le Rhin que des légions incomplètes et formées de nouveaux soldats inexpérimentés. Quelques-uns des peuples de ces pays en profitèrent pour se soulever.

Le chef de la révolte fut Civilis, descendant d'un roi barbare, chef des cavaliers bataves au service de Rome. Néron avait fait exécuter son frère ; lui-même avait été condamné, Galba le grâcia ; puis les soldats romains de Germanie voulurent le faire condamner, Vitellius le sauva. Civilis irrité jura de ne pas se couper les cheveux avant de s'être vengé des Romains. Il revint chez son peuple et le décida à se soulever contre Vitellius, en reconnaissant pour empereur Vespasien. Puis il envoya dire aux Bataves de l'armée romaine de venir le rejoindre.

Ces Bataves, armés à la façon de leur pays, commandés par des officiers bataves, mieux payés que les autres soldats, étaient le corps le plus considéré de l'armée du Rhin. Après avoir vaincu les soldats d'Othon, ils venaient de recevoir l'ordre de revenir en Italie combattre l'armée de Vespasien. Ils partirent et allèrent rejoindre Civilis.

Civilis réunit plusieurs peuples germains voisins des Bataves, et les emmena assiéger le camp des légions de Basse-Germanie (Vetera Castra). Les légions de Mayence partirent au secours, laissant le Rhin dégarni ; des bandes de Germains le traversèrent et vinrent ravager le pays de la Moselle et de la Meuse. Les soldats romains apprirent enfin que Vespasien était vainqueur et lui jurèrent fidélité. Civilis, qui jusqu'alors avait prétendu combattre au nom de Vespasien, déclara ne plus reconnaître d'empereur (69).

Les peuples germains refusèrent de rester au service de Rome et se préparèrent à envahir la Gaule. Il y avait chez les Bructères (le peuple qui avait massacré l'armée de Varus) une jeune fille, une prophétesse, Velléda, qui se tenait enfermée dans une tour au milieu des forêts, ne se laissant voir à personne. Un de ses parents recueillait ses prophéties ; elle prédisait que les Germains allaient détruire les Romains. Civilis s'entendit avec elle et, en signe de respect, lui envoya un commandant romain prisonnier.

En Gaule, du côté de la Germanie, on commençait à s'agiter ; les druides annonçaient que la domination romaine allait finir, puisque le Capitole de Rome venait de brûler. Il y avait dans l'armée de Mayence des auxiliaires gaulois, commandés par des officiers de leur nation. Les soldats trévires (Trèves) abandonnèrent l'armée romaine en route ; le chef des cavaliers trévires, Classicus, déclara que le peuple cessait d'obéir à Rome et qu'on allait fonder un royaume gaulois. Les soldats romains eux-mêmes arrêtèrent leurs officiers, se joignirent aux révoltés et jurèrent sur des étendards nouveaux d'obéir à l'empire gaulois. Chez les Lingons (Langres), un grand propriétaire, Sabinus, se fit proclamer César.

Les Trévires demandèrent aux autres peuples de Gaule de s'unir à eux, mais l'assemblée des députés gaulois décida de rester soumis à Rome.

Sur le Rhin, les Germains prirent les forteresses romaines, excepté Mayence, et les détruisirent toutes. Ils voulaient détruire aussi la colonie romaine de Cologne et massacrer les habitants ; Civilis et Velléda les sauvèrent. Il ne restait plus de garnison romaine pour défendre le Rhin.

Enfin Vespasien, vainqueur de Vitellius, envoya Cerialis avec une grande armée (5 légions d'Italie, 3 d'Espagne, 1 de Bretagne). Les légions qui avaient passé aux Gaulois revinrent à l'obéissance. L'armée romaine arriva sur le Rhin. Les habitants de Cologne, prenant courage, massacrèrent les Germains logés dans leur ville.

Civilis, repoussé derrière le Wahal, continua à se défendre ; les Romains avaient peine à manœuvrer et à vivre dans ce pays de marais. Le général Cerialis fit la paix avec Civilis. Velléda la prophétesse fut livrée aux Romains et amenée captive à Rome (70).

Les Trévires et les Lingons, restés seuls, n'avaient pu résister à l'armée romaine. Les chefs des Trévires s'enfuirent chez les Germains. Sabinus brilla sa villa et se cacha dans un souterrain ; sa femme Éponine le pleurait déjà comme mort et voulait se laisser mourir de faim ; quand elle connut sa cachette, elle alla s'y enfermer avec lui ; ils y passèrent ensemble neuf ans, et il leur naquit deux enfants. On finit par les découvrir, on emmena Sabinus à Rome ; Éponine le suivit et essaya d'attendrir Vespasien ; l'Empereur fut ému, mais il ordonna de mettre à mort Sabinus. Éponine demanda et obtint d'être exécutée avec lui.

Ruine de Jérusalem. — Le petit royaume juif était devenu une province romaine, la Judée, gouvernée par un procurateur, logé dans le palais du roi. Mais il y avait encore une nation juive.

Les Juifs continuaient à se regarder comme le peuple de Dieu, seul adorateur du vrai Dieu, et qui devait un jour dominer tous les autres peuples. Les empereurs avaient laissé aux Juifs leur Conseil des anciens[1], formé de prêtres et de docteurs de la loi, vrais chefs du peuple, qui décidaient les affaires, rendaient la justice et administraient le Temple.

Le Temple de Jérusalem, était le seul endroit du monde où l'on pût célébrer le culte juif ; on y venait en foule pour les grandes fêtes de Pâques. Tout Juif devait venir y sacrifier au moins une fois dans sa. vie, et chaque famille juive payait au Temple une contribution (2 drachmes par an).

Le peuple juif ne se composait pas seulement des habitants de la Judée. Il y avait des Juifs établis dans presque toutes les grandes villes grecques d'Orient ; à Alexandrie, ils occupaient deux quartiers. Ces Juifs dispersés parlaient grec, mais ils continuaient à se regarder comme Juifs ; ils envoyaient leur contribution au Temple ; ils cherchaient à convertir les païens à la religion juive ; dans quelques villes ils avaient même un conseil et un chef. On les avait exemptés du service militaire.

Les empereurs romains évitaient de blesser les Juifs. La religion juive interdisait de se faire des images des hommes ou des animaux ; la monnaie romaine faite en Judée ne portait pas la figure de l'Empereur, les soldats romains avaient ordre de ne pas apporter leurs enseignes à Jérusalem. Un gouverneur ayant placé dans le palais des boucliers consacrés à un dieu, Tibère les fit enlever. Il était défendu sous peine de mort, même aux Romains, d'entrer dans le Temple.

Cependant certains Juifs regardaient comme une impiété d'obéir à un étranger infidèle et de lui payer l'impôt. Quand le gouvernement romain fit faire le recensement de la Judée, un patriote juif, Judas de Giskala, déclara honteux de reconnaître un autre seigneur que le Dieu des armées. Il se révolta, fut pris et décapité.

Caligula, qui se croyait dieu, ordonna de mettre dans le Temple sa statue. Les Juifs déclarèrent qu'ils aimaient mieux mourir ; l'Empereur se laissa persuader d'y renoncer. Mais les Juifs restèrent inquiets. Un parti commençait à prêcher là révolte : on les appelait les zélotes (zélés). Ils s'armaient et s'assemblaient dans le désert, brûlaient les maisons des habitants soumis à Rome, se retiraient dans les montagnes et en sortaient pour faire une guerre de brigands aux soldats romains. Quelques-uns venaient jusque dans Jérusalem poignarder les partisans des Romains, on les appelait sicaires (assassins). On racontait des miracles, on prédisait des victoires. Un Juif d'Égypte amena devant Jérusalem une foule de paysans en leur annonçant qu'à sa vue les murailles de la ville s'écrouleraient.

Enfin, en 66, commença la révolte générale. Les riches désiraient garder le gouvernement romain qui maintenait l'ordre. Mais les Juifs, très irrités contre le gouverneur romain qu'ils accusaient de s'enrichir à leurs dépens, venaient de faire une émeute dans les rues de Jérusalem.

Les étrangers avaient toujours été admis à venir dans le vestibule du Temple prier et sacrifier au Dieu des Juifs ; le nouveau maître des cérémonies le leur défendit ; les partisans des Romains se plaignirent. On se battit dans les rues pendant plusieurs jours.

Il n'y avait qu'une petite troupe de soldats romains dans Jérusalem. Les zélotes, arrivant de la campagne, chassèrent les riches de la ville ; puis ils prirent le Temple et le palais du roi, et finirent par massacrer les soldats romains et les chefs du parti romain.

En même temps, dans les villes grecques où il y avait des Juifs, les Grecs massacraient la population juive, d'abord à Césarée, le port de la Judée, puis à Damas et en Syrie. A leur tour, dans les villes de Judée, les Juifs massacrèrent les étrangers.

Le gouverneur de Syrie, arrivé avec une armée devant Jérusalem, entra dans le quartier neuf, mais s'arrêta devant le rempart. En se retirant il fut forcé d'abandonner ses bagages et ses machines de guerre. Alors les Juifs devinrent maîtres de tout l'ancien royaume de Judée.

Vespasien, envoyé par Néron avec trois légions et des auxiliaires (en tout 50.000 hommes), vint reconquérir la Judée ; il avança lentement, gardant toute son armée ensemble, prenant les forteresses une à une. Les Juifs n'avaient pas d'armée, ils n'essayèrent pas d'arrêter l'ennemi, mais ils se firent tuer dans leurs places plutôt que de les rendre. Il fallut deux campagnes pour soumettre le pays autour de Jérusalem. Vespasien, proclamé empereur, partit pour Rome avec son armée (69). La guerre s'arrêta ; les révoltés restèrent donc plus de trois ans maîtres de Jérusalem. Mais pendant tout ce temps ils se firent la guerre entre eux. Les zélotes avaient fait entrer les paysans et, avec leur aide, massacré leurs adversaires, les propriétaires de la ville ; ils avaient affranchi les esclaves et décidé que le grand prêtre serait tiré au sort.

Les zélotes eux-mêmes se divisèrent ; Simon de Gerasa, avec les Iduméens (paysans du Sud), occupait la ville haute ; Jean de Giskala, avec les Galiléens (venus du Nord), occupait le Temple qui était fortifié ; Éléazar, avec une petite troupe, s'était retranché dans le sanctuaire, au fond du Temple. Les trois bandes se battaient entre elles dans les rues de la ville basse.

Enfin Vespasien envoya son fils Titus avec 60.000 hommes (70). Le siège dura cinq mois. Jérusalem était une ville très forte, entourée de trois côtés par des précipices et, sur le côté accessible, défendue par trois murailles. Dans l'intérieur le Temple et le palais du roi avaient chacun leur enceinte. Les assiégés avaient peu de vivres, ayant gaspillé les provisions pendant les émeutes, et la ville était pleine de Juifs venus pour les fêtes de Pâques ; en sorte que la famine commença bientôt. Beaucoup de gens moururent de faim ; d'autres essayèrent de se sauver, les Romains les prirent et les crucifièrent (500, dit-on, en un seul jour).

Titus tenait à entrer de force dans la ville. Il mit six semaines pour faire une brèche ; puis il lui fallut prendre la ville basse maison par maison. Il prit d'assaut le palais, puis le Temple, et enfin la ville haute. Le Temple fut brûlé, Jérusalem détruite.

L'historien juif Josèphe raconta que Titus avait décidé d'épargner le Temple, mais qu'un soldat y lança un tison enflammé qui y mit le feu.

Les habitants furent tous massacrés ou vendus comme esclaves. Titus garda seulement 700 prisonniers pour les mener à son triomphe avec les objets sacrés du Temple : la table d'or, le chandelier à sept branches, le voile du sanctuaire et le livre de la Loi.

Jérusalem resta en ruines ; on y campa une légion, on mit des colonies dans le pays. La contribution que les Juifs payaient au Temple fut conservée, mais donnée au Temple de Jupiter Capitolin.

Pourtant les Juifs, privés de leur capitale, de leurs chefs, de leur Temple, restèrent encore une nation. Ils conservèrent leur religion et continuèrent à se regarder comme le peuple de Dieu. Ils se réunissaient dans des synagogues pour lire leurs livres saints. Les rabbins rédigèrent toutes les règles de la religion et en formèrent un second recueil sacré.

Vespasien (69-79) et Titus (79-81). — Avec Vespasien commença une nouvelle famille de trois empereurs : les Flaviens. Il s'appelait Flavius Vespasianus et descendait de petits propriétaires italiens. Son grand-père avait été centurion, son père percepteur d'impôts. Il avait fait sa carrière comme officier et avait déjà 60 ans.

Jamais il ne renia son origine. Il se moqua des courtisans qui le disaient descendant du dieu Hercule, et il tint à garder intacte la maison de paysan où ses pères avaient vécu et où il avait passé son enfance.

Il vivait simplement, sans aucun luxe, travaillait une partie de la nuit, laissait toujours sa porte ouverte à quiconque venait lui parler, et écoutait volontiers les conseils. Il refusa de laisser poursuivre en justice les gens qui parlaient mal de lui, et ne confisqua pas les biens des fils de partisans de Vitellius.

Il rétablit l'ordre, réprimant les révoltes et réhabituant les soldats à la discipline. Il s'occupa beaucoup des provinces et y fonda des colonies de citoyens.

La plupart des anciennes familles nobles avaient péri, il ne restait plus assez de sénateurs. Vespasien fit le cens, dressa la liste du Sénat et y fit entrer beaucoup de nouveaux membres. Il créa ainsi, avec les grandes familles des provinces, surtout d'Espagne et de Gaule, une noblesse nouvelle, plus honnête et moins ambitieuse que l'ancienne.

Il lui fallait beaucoup d'argent pour réparer Rome, rebâtir le Capitole, refaire les aqueducs, pour construire le Colisée, pour les routes et les armées. Il fut très économe. Ses ennemis se moquèrent de ce qu'ils appelaient son avarice.

Il avait mis, disait-on, un impôt sur les urinoirs ; son fils le lui reprocha. Vespasien lui montra l'argent de cet, impôt et lui demanda : Cet argent sent-il mauvais ?

En dix ans il avait remis sur pied les finances de l'Empire. Il travailla jusqu'à son dernier jour. Un empereur, disait-il, doit mourir debout. Il mourut en faisant effort pour se lever (79).

Son fils Titus, qui portait le titre de César, lui succéda. Il avait juré de garder ses mains pures de sang, il refusa de poursuivre personne pour lèse-majesté et fit grâce à deux nobles condamnés à mort pour avoir conspiré contre lui. Il traita avec respect le Sénat, donna au peuple des jeux magnifiques et déclara au théâtre que c'étaient les spectateurs, non l'Empereur, dont le goût devait décider. Il se fit aimer de tous ; ses amis le surnommèrent les délices du genre humain.

Un jour, n'ayant rien donné à personne, il dit le soir avec regret : Mes amis, j'ai perdu ma journée.

Il régnait depuis deux ans et deux mois quand il mourut[2].

Domitien (81-96). — Domitien, frère de Titus, lui succéda. Il était grand et beau, vigoureux et sobre (il ne faisait qu'un repas par jour). Il s'occupait régulièrement des affaires. Il révisait les jugements, condamnait à l'exil les dénonciateurs convaincus de mensonge. Il surveillait les gouverneurs.

Il avait conservé les conseillers de son père, et. l'Empire continua à être administré régulièrement.

Mais il était vaniteux. Il se fit appeler maître et même dieu. Il se fit élire consul 17 fois. Il n'aimait pas qu'on fît l'éloge de son frère ni d'aucun grand personnage. Il se fit décerner trois triomphes, et vint au Sénat en costume de triomphateur. Il fit appeler le mois d'octobre mois Domitien.

Il n'aimait pas les exercices du corps ni la guerre. Il se faisait porter en litière, même en campagne.

Il fit cependant plusieurs guerres pour arrêter les Barbares, en Bretagne, sur le Rhin, sur le Danube ; de ce côté Domitien fut vaincu et fit la paix en promettant au roi des Daces un présent annuel, c'est ce que ses ennemis appelèrent acheter la paix par un tribut.

Puis le général de l'armée germaine se fit proclamer empereur et appela les Germains pour marcher ensemble sur l'Italie ; il fut vite vaincu, mais on découvrit que plusieurs sénateurs l'avaient encouragé.

Domitien avait toujours été froid et égoïste. Il vivait sans amis, seul dans son palais (il s'amusait, disait-on, à tuer des mouches avec un poinçon). Il recevait ses invités de mauvaise grâce.

Un jour, dit-on, il s'amusa à leur faire peur. Il les reçut dans une salle à manger tendue de noir, éclairée par de : lampes funéraires, garnie de lits pareils à ceux où l'on exposait les morts, avec une inscription funéraire portant le nom de chaque invité. Aux pieds de chacun vint s'asseoir un jeune esclave pareil au génie de la mort qu'on représentait sur les tombeaux. On servit à table les plats des repas de funérailles.

Le dîner fini, chacun rentra chez soi accompagné d'esclaves inconnus et reçut aussitôt l'annonce qu'un envoyé de l'Empereur était là ; les invités croyaient trouver un ordre de mort ; c'était seulement le bel esclave qui avait joué le rôle de génie de la mort et que l'Empereur leur envoyait en cadeau avec la stèle funéraire et les objets qui avaient figuré à table.

Dans les dernières années, Domitien devint cruel par crainte. Il n'aimait pas les sénateurs et les sénateurs le lui rendaient ; quelques-uns essayèrent de le tuer. Alors on recommença à condamner à mort pour crime de lèse-majesté. Un sénateur fut condamné pour avoir célébré l'anniversaire de l'empereur Othon son oncle, — un autre, pour avoir mis dans sa chambre une carte du monde, — un autre, parce qu'au lieu de le proclamer consul le crieur public, par erreur, l'avait proclamé empereur ; — le général de l'armée de Bretagne, Lucullus, fut exécuté pour avoir laissé appeler luculliennes une nouvelle espèce de lances ; — un rhéteur pour avoir fait un discours contre les tyrans.

Domitien encourageait les dénonciations, même des esclaves. Personne n'osait plus parler, même dans son intérieur, de peur qu'un mot recueilli par un esclave ne fût interprété comme une allusion.

Domitien avait besoin d'argent pour les soldats, il avait augmenté la solde des légionnaires, 300 deniers par an au lieu de 225 ; il fit condamner des riches pour confisquer leur fortune, et il les força à lui léguer une partie de leurs biens.

Domitien devint odieux ; on le surnomma le Néron chauve. Les devins chaldéens avaient prédit qu'il mourrait bientôt ; il les exila tous et en fit exécuter plusieurs. Les philosophes blâmaient sa conduite ; il en fit mettre à mort quelques-uns et chassa les autres de Rome.

Il ne se montrait presque plus en public. Il avait fait garnir les portiques par lesquels il passait avec des plaques de pierre polie, c'étaient comme des miroirs où il pouvait voir ce qui se passait derrière lui. Quand il allait sur l'eau, il se mettait seul dans un bateau et se faisait remorquer par une barque, afin de rester loin des rameurs. Quand il interrogeait un accusé, il le faisait venir enchaîné et tenait le bout de la chaîne dans ses mains.

Il fut cependant assassiné. L'intendant de sa femme vint le trouver sous prétexte de lui annoncer un complot, lui présenta un billet et le frappa pendant qu'il lisait. Ses serviteurs accoururent et le massacrèrent (96).

 

 

 



[1] On l'appelait sanhédrin, déformation du mot grec synedrion.

[2] Sous son règne, le Vésuve, qui depuis 2.000 ans au moins n'avait pas bougé, eut une éruption violente qui recouvrit de lave et de cendres les villes de Pompéi et d'Herculanum (79).