HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XIX. — LES LETTRES ET LES ARTS.

 

 

Grands écrivains depuis Sylla jusqu'à Auguste. — Les Romains n'avaient pas eu naturellement de littérature ; mais ils prirent pour modèles les Grecs. Les plus anciens Romains commencèrent par traduire ou par imiter des écrivains grecs. Plaute et Térence traduisaient des comédies grecques.

Puis vinrent des écrivains latins qui travaillèrent d'une façon personnelle. Ils furent encore les élèves des Grecs ; ils adoptaient leurs idées et imitaient leurs formes ; mais quelques-uns produisirent des œuvres originales.

Ce furent d'abord des orateurs ; nous ne les connaissons plus que de réputation, nous n'avons conservé aucun de leurs discours. Le seul orateur romain que nous connaissions est Cicéron. Il avait d'abord étudié l'éloquence grecque à Rhodes, il introduisit dans le latin les habitudes des orateurs grecs, de choisir toujours des mots corrects et de les arranger en longues phrases soigneusement construites. Il lit un grand nombre de discours, surtout des plaidoyers qu'il rédigeait après les avoir prononcés. Il composa aussi plusieurs traités de philosophie pour mettre à la portée des Romains les doctrines des philosophes grecs. Il créa ainsi la prose latine classique le style de Cicéron devint le modèle qu'imitèrent ceux qui voulaient écrire en bon latin.

En même temps, le plus original des poètes latins, Lucrèce (99-55), dans le poème De la nature, exposait en vers la doctrine du philosophe grec Épicure. C'était un romain de famille noble, dégoûté de la vie politique ; il voulait démontrer à ses concitoyens l'absurdité de leur religion pour les délivrer de la peur des dieux et de l'enfer. Plus occupé des idées que de la forme, il employait encore beaucoup de vieux mots latins et même des mots grecs.

Au contraire, Catulle, qui imitait les poètes grecs d'Alexandrie dans ses petites pièces de vers (élégies, épigrammes), travailla à écrire dans une langue très correcte, vive et spirituelle.

Varron, à la fois érudit et écrivain, composa plusieurs grands traités d'agriculture, d'antiquités, de grammaire et la Satire-Ménippée, mélange de vers et de prose, destinée à blâmer les mœurs de son temps.

Ce fut alors à Rome la mode d'écrire des livres d'histoire romaine. La plupart de ces historiens ne nous sont guère connus que de réputation ; le seul dont nous ayons conservé quelque chose est Salluste ; encore n'avons-nous pas sa grande histoire romaine, mais seulement deux petits récits, Jugurtha et Catilina, dont le mérite consiste surtout dans le style. Quelques-uns des grands généraux adoptèrent l'usage grec de raconter ce qu'ils avaient fait et vu. Sylla et Lucullus écrivirent en grec leurs Mémoires qui sont perdus. César écrivit en latin ses mémoires (Commentaires) sur la guerre des Gaules. Il parlait un latin très pur, comme dans les vieilles familles romaines ; il racontait très simplement ce qu'il avait vu ; son livre, composé dans la meilleure langue latine, est la meilleure des histoires romaines.

La lecture devint à la mode, il se forma même un commerce de livres. Des copistes, d'ordinaire esclaves, écrivaient sur des rouleaux de parchemin les œuvres des écrivains grecs et latins ; il se trouvait un public pour les acheter.

Le siècle d'Auguste. — Pendant le demi-siècle du gouvernement d'Auguste, il y eut à Rome à la fois plusieurs écrivains célèbres. Presque tous sortaient non pas de Rome, mais des villes d'Italie. Ce n'étaient plus de grands personnages, mais des citoyens de condition moyenne.

La plupart furent des poètes.

Virgile, né à Mantoue, vint jeune à Rome. Il se fit connaître d'Auguste, qui lui rendit son domaine — c'était le temps où les triumvirs avaient enlevé aux gens de Mantoue leurs terres pour les donner à des soldats —. Virgile composa, à l'imitation des Grecs, des poésies champêtres, les Bucoliques ; puis, sur la demande d'Auguste, un poème sur l'agriculture, les Géorgiques, et enfin son grand poème épique l'Énéide.

Horace, fils d'un affranchi, fut aussi un protégé d'Auguste. Il écrivit des Odes imitées du grec, des Épîtres et des Satires.

Properce et Tibulle composèrent aussi d'après des modèles grecs de petites pièces, surtout des élégies.

Ovide, qui parlait naturellement en vers, fit de longs poèmes sur la mythologie et les fêtes. Après avoir été favori d'Auguste, il finit par être exilé au bout de l'Empire, près des bouches du Danube, dans une ville à demi barbare, où il mourut.

Le principal écrivain en prose fut Tite-Live (de Padoue) ; il composa une grande histoire de Rome depuis la fondation jusqu'à son temps.

Auguste s'occupa lui-même de ces écrivains ; il leur donna des conseils, des encouragements et parfois de l'argent. Son ami d'enfance, Mécène, qui resta toute sa vie chevalier parce qu'il refusa d'exercer aucune magistrature, aimait à s'entourer d'écrivains. Il les recevait familièrement dans sa maison, et causait avec eux ; il traitait même en ami Horace, bien qu'il fût fils d'un affranchi ; Horace reconnaissant parla souvent de Mécène dans ses poèmes et lui fit une réputation immortelle.

Tous ces poètes célébraient Auguste comme leur bienfaiteur ; ils ont rendu son nom illustre, si bien qu'on a pris l'habitude d'appeler cette période de la littérature le siècle d'Auguste.

Monuments. — Il n'y eut pas à Rome comme en Grèce de grands sculpteurs ni de grands peintres. L'art romain fut l'architecture ; les œuvres d'art romaines furent des monuments.

Les Romains imitèrent les Grecs en architecture comme dans les autres arts ; ils adoptèrent l'usage grec des colonnes et des chapiteaux et se mirent à construire des maisons à la grecque. Mais ils employèrent un système de construction dont les Grecs ne se servaient pas pour leurs monuments : la voûte, qui consiste à disposer en arc de cercle des pierres taillées jointes l'une à l'autre de façon à être retenues ensemble par une pierre placée en haut, au milieu, la clef de voûte. Au moyen de la voûte, ils purent construire des édifices plus vastes et plus hauts que ceux des Grecs.

Ils n'avaient besoin de pierres taillées que pour les voûtes et pour le revêtement de leurs constructions. Ils bâtissaient l'intérieur des murs avec des matériaux grossiers, des pierres brutes, des cailloux, des briques reliées ensemble par un mortier très solide fait de sable et de chaux. Ces matériaux se trouvaient partout ; les Romains purent ainsi bâtir des monuments dans tout l'Empire.

Il n'y avait guère avant Auguste dans Rome d'autres monuments que le Capitole, le théâtre de Pompée et les monuments élevés par César autour de sa place, le forum Julium.

Auguste travailla à embellir la ville. Il fit réparer les anciens sanctuaires qui tombaient en ruines, il se vantait d'en avoir restauré 82 et d'en avoir fait bâtir 16 nouveaux. De son temps furent construits le grand théâtre de Marcellus, la place d'Auguste et la basilique Julienne, où se réunissaient les marchands.

Le plus célèbre de ces monuments fut le Panthéon, construit par Agrippa, refait en partie au ii' siècle sous Hadrien, et qui existe encore. C'est un énorme temple rond couvert d'une voûte immense, percée au sommet d'une ouverture par où entre la lumière, mais si haute qu'elle ne laisse passer dans l'intérieur aucun souffle de vent ; la pluie qui y pénètre tombe si droit qu'elle forme un rond sur le pavé.

Auguste disait en parlant de Rome : J'ai trouvé une ville de briques, je laisse une ville de marbre.

Routes. — Les Romains continuèrent à construire des routes non plus seulement en Italie, mais dans les provinces.

C'était des chaussées bâties en cailloux et en ciment, d'ordinaire en ligne droite. Les distances étaient indiquées par des bornes placées de mille en mille ; en Italie on comptait les milles à partir d'une colonne centrale placée sur le Forum. Sur ces routes on établit des stations, avec des chevaux et des courriers pour porter les messages du gouvernement.

Agrippa fit dresser une sorte de carte de toutes Les routes de l'Empire, avec l'indication des stations et le chiffre des distances de l'une à l'autre. Cet itinéraire, gravé sur pierre, fut placé dans un endroit public ; on en fit des copies à l'usage des voyageurs. On a retrouvé dans une source d'eau minérale, en Italie, des gobelets d'argent sur lesquels était gravé l'itinéraire de Cadix à Rome, avec le nom des stations et le nombre des milles de l'une à l'autre.

Commerce. — Les routes étaient construites surtout pour faire passer les troupes, les stations étaient organisées pour envoyer les ordres du gouvernement ; mais elles servaient aussi aux marchandises et aux voyageurs. Il s'établit aux stations des relais de chevaux et des auberges assez pauvrement montées d'ordinaire, mais où l'on trouvait du moins de quoi s'abriter pour la nuit et souvent aussi de quoi manger. Les communications devinrent ainsi plus faciles.

Rome, en empêchant les peuples de se faire la guerre, avait établi la paix dans tout l'Empire ; la paix rendait les communications plus sûres. Alors se forma entre les différents pays de l'Empire un grand système de commerce.

Le plus grand marché était Rome, qui avait à nourrir une population de 1.500.000 à 2 millions d'habitants, et où demeuraient les plus riches personnages, ceux qui achetaient les objets de luxe.

Les marchandises arrivaient surtout par mer.

Les navires déchargeaient la cargaison à Ostie, à l'embouchure du Tibre ; on la rechargeait sur des barques qui remontaient le Tibre jusqu'au pied de l'Aventin où étaient le port et les magasins de Rome. Pour les marchandises destinées au reste de l'Italie, les navires débarquaient de préférence dans le golfe de Naples, à Pouzzoles. On expédiait les marchandises dans les villes d'Italie soit par les routes, soit dans des barques qui longeaient la côte ou circulaient sur les canaux.

Les Romains tiraient l'argent des provinces par les impôts et la banque ; Rome et l'Italie avaient à acheter plus qu'à vendre ; le commerce romain était surtout de l'importation. On réunissait les marchandises d'un pays dans une seule ville, d'ordinaire un port, où les navires venaient les prendre pour les porter en Italie. Des marchands italiens établis dans toutes les grandes villes de l'Empire dirigeaient ce commerce.

Les pays du Midi, la Sicile, l'Afrique, l'Égypte, donnaient surtout du blé et des légumes secs ; on allait les prendre à Palerme, à Carthage, à Alexandrie.

Les pays à demi barbares de l'Occident fournissaient surtout des bois de construction, des peaux, de la laine, des esclaves. Les centres de ce commerce étaient : en Espagne, Cadix, où l'on trouvait les toiles de lin, les laines de la Bétique, l'argent extrait des mines ; en Gaule, Narbonne ; sur la côte de la Cisalpine, Gênes, sur la côte de l'Adriatique, Aquilée.

Des pays du Nord arrivaient l'étain d'Angleterre, les cheveux de femmes, et plus tard l'ambre qu'on recueillait sur les bords de la Baltique et qu'on apportait à travers la Germanie jusqu'à la mer Noire.

Le plus grand commerce de mer était celui de l'Orient. De là venaient les objets de luxe dont les Romains ne pouvaient plus se passer. Les marchands de l'Inde et de l'Arabie amenaient les produits des pays chauds : les parfums d'Arabie, les épices, les drogues (aloès, opium), l'indigo, l'ivoire, les pierres précieuses et les perles, les étoffes fines de coton de l'Inde, les étoffes de soie de la Chine. Ils arrivaient par mer, puis par caravanes à des de chameau dans trois grands centres ; à Alexandrie par la mer Rouge et le Nil ; à Antioche par le golfe Persique et le désert de Syrie ; — à Olbia sur la mer Noire en passant par l'intérieur de l'Asie et par la mer Caspienne. On calculait que l'Empire achetait chaque année pour 100 millions de sesterces de marchandises étrangères.