HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE XI. — TRANSFORMATION SOCIALE ET POLITIQUE.

 

 

La noblesse. — Il n'y avait plus de différence de droit entre lés plébéiens et les patriciens, mais tous les citoyens romains n'étaient pas égaux. La société romaine restait aristocratique.

Au premier rang venaient les nobles. C'étaient ceux dont un ancêtre au moins avait été magistrat. La magistrature à Rome ne donnait pas seulement un pouvoir, elle était un honneur. En sortant de charge le magistrat déposait le pouvoir, mais il conservait l'honneur et le transmettait à ses descendants.

Le magistrat, édile, préteur, consul, avait la toge bordée de pourpre (prétexte), le siège d'ivoire (chaise curule), et le droit de faire faire son image. Ces images étaient des statues de cire, plus tard d'argent, revêtues des insignes du magistrat. On les plaçait dans une niche près du foyer et des dieux de la famille, comme des idoles. Lorsqu'il mourait quelqu'un de la famille, on sortait les images, et on les mettait sur un char, en avant du cortège. Le cortège traversait la ville jusque sur la place publique ; là devant la foule assemblée, un parent du mort prononçait son éloge et rappelait les exploits et les honneurs des membres de la famille. L'image rendait noble la famille du magistrat. Plus il y avait d'images dans une famille, plus elle était noble. On disait : noble par une seule image, noble par plusieurs images.

D'ordinaire le peuple élisait magistrats des hommes déjà nobles ; ainsi les images s'accumulaient dans les mêmes familles. Il n'y avait pas trois cents familles nobles dans Rome ; mais elles seules formaient le Sénat et exerçaient tous les pouvoirs.

Au théâtre, les nobles avaient les premières places.

L'ordre équestre. — La seconde classe s'appelait l'ordre équestre, c'est-à-dire la classe des chevaliers.

Servir dans l'armée comme cavalier avait toujours été à Rome un privilège réservé aux gens riches ; on les inscrivait à part. Depuis le IIe siècle, il n'y avait plus de cavalerie formée de citoyens romains (les cavaliers étaient tous des Italiens ou des étrangers), mais on continuait à appeler chevaliers tous ceux qui avaient la fortune exigée autrefois pour servir à cheval. On l'avait fixée à 400.000 sesterces.

Les anciens Romains avaient eu peu d'argent et peu de moyens d'en gagner. La conquête donna aux Romains du IIe siècle l'occasion de faire rapidement de grosses fortunes.

L'argent et l'or enlevés aux peuples vaincus furent transportés à Rome dans les caisses de l'État ou chez les nobles. Il devint très abondant à Rome, on pouvait y emprunter à 4 ou 5 p. 100 ; il devint rare dans les pays conquis, on n'y trouvait pas à emprunter au-dessous de 12 p. 100. Ce fut un métier lucratif d'emprunter de l'argent à Rome et de le prêter dans les pays grecs d'Orient, surtout à des rois ou à des villes. Il y avait à Rome des changeurs, qui avaient leurs boutiques sur la grande place ; ils devinrent banquiers et s'enrichirent en faisant des opérations de crédit.

Dans les pays conquis, le peuple romain se réservait le droit d'exploiter les mines d'argent, les douanes, les ports, le domaine public. Mais il n'avait pas d'employés. Il affermait le droit d'exploiter les revenus publics à des entrepreneurs qu'on appelait publicains. Pour chaque espèce d'affaire dans chaque pays, il se formait une compagnie de citoyens riches qui achetait à l'État son droit : le droit d'exploiter les mines, ou de percevoir les douanes dans un port ou de lever les impôts dans une province. Les publicains faisaient de gros bénéfices.

Le commerce était devenu aussi une bonne affaire, surtout le commerce par mer. On équipait des navires pour aller chercher du blé, du bois, des esclaves et les amener en Italie.

La loi interdisait aux sénateurs de prendre à ferme les entreprises, de faire la banque ou de posséder des navires de commerce. C'étaient les chevaliers qui faisaient toutes les affaires ; ils ne gouvernaient pas, mais ils s'enrichissaient. Au théâtre, ils avaient quatorze gradins réservés derrière ceux des nobles.

Quand un chevalier était élu magistrat, il cessait d'être chevalier ; il devenait sénateur. Les nobles l'appelaient un homme nouveau et son fils était noble (par une seule image).

La plèbe. — Tous les citoyens qui n'étaient ni nobles ni chevaliers formaient la plèbe. Il y avait encore des paysans, dans le Latium et la Sabine, les descendants des Latins et des Sabins vaincus jadis par Rome et admis parmi les citoyens. Mais ils devenaient de moins en moins nombreux.

Par contre, Rome, devenue une très grande ville, s'était remplie d'une plèbe nouvelle, la plèbe urbaine. C'étaient les descendants des paysans qui avaient quitté la campagne pour s'établir en ville. C'étaient aussi les descendants des étrangers, venus à Rome comme esclaves, puis affranchis par leurs maîtres et devenus citoyens.

Ces gens, pour la plupart, vivaient misérablement, n'ayant pas de moyen de gagner leur vie, car les professions lucratives appartenaient aux chevaliers, et les petits métiers étaient pris par les esclaves et les étrangers.

Cependant ces misérables formaient une classe de privilégiés, puisqu'ils étaient citoyens romains. Ils avaient le privilège d'être protégés par le droit romain, de pouvoir contracter un mariage qui leur donnât autorité absolue sur leur femme et leurs enfants, et de pouvoir acquérir la propriété.

Ils avaient depuis le IIe siècle le privilège de ne pouvoir être battus de verges, ni condamnés à mort par aucun magistrat.

Ils avaient le privilège de pouvoir s'enrôler dans les légions et de voter dans les assemblées du peuple, de prendre part aux fêtes et d'assister aux spectacles publics.

Le signe de leur privilège était la toge, robe de laine blanche que seuls les citoyens avaient le droit de porter.

Les esclaves. — Avant la conquête, les Romains travaillaient chacun sur son champ, et les grands propriétaires faisaient cultiver leurs terres par leurs clients plutôt que par des esclaves.

A mesure que Rome soumit des peuples nouveaux, les esclaves devinrent plus nombreux. Tous les gens capturés à la guerre, non seulement les guerriers faits prisonniers, mais les habitants des villes prises d'assaut, hommes, femmes et enfants, appartenaient au vainqueur ; c'était l'usage général des anciens, et les Romains le pratiquaient avec rigueur. Les captifs faisaient partie du butin, on les vendait à des marchands d'esclaves. Les marchands achetaient aussi des enfants volés et des hommes pris par les pirates ou même par les brigands.

Les esclaves étaient presque tous des étrangers, des Grecs, des Orientaux ou des Barbares d'Occident, Gaulois, Ibères, Sardes. Il y avait à Rome un marché aux esclaves, comme il y avait un marché aux bœufs. Les esclaves à vendre, hommes ou femmes, étaient exposés sur une estrade ; on leur mettait au cou un écriteau qui indiquait leur âge, leur pays, leurs qualités et leurs défauts. Celui qui les achetait devenait leur maître, pouvait les revendre, les léguer à ses héritiers. Les enfants qui naissaient des femmes esclaves devenaient esclaves comme leur mère.

L'esclave appartenait à son maître, comme un objet ou un animal. Il n'avait aucun droit, ne pouvait être ni propriétaire, ni mari, ni père. Il devait obéir à son maître ; quoi qu'il lui commandât, même un crime, il devait satisfaire tous ses caprices ; les Romains disaient que l'esclave n'avait pas de conscience, son seul devoir était d'obéir.

Le maître avait tous les droits sur son esclave ; il l'envoyait où il lui plaisait, le faisait travailler autant qu'il voulait, fut-ce au-dessus de ses forces, le nourrissait comme il voulait, pouvait le battre, l'enfermer, le torturer, le tuer suivant son caprice, sans avoir à en rendre compte. Si l'esclave résistait, s'il se sauvait, l'État aidait le maître à le dompter ou à le rattraper, et l'homme libre qui gardait un esclave fugitif était coupable de vol comme s'il s'était approprié un cheval échappé.

On employait les esclaves à toutes sortes de travaux. Pour les travaux des champs on avait des esclaves de campagne : laboureurs, bergers, vignerons, jardiniers. Tout propriétaire d'un grand domaine le faisait cultiver par une bande d'esclaves que commandait un surveillant, d'ordinaire esclave lui-même. Les esclaves de campagne étaient les plus mal nourris et les plus mal traités. Beaucoup travaillaient les fers aux pieds. La nuit on les enfermait souvent dans une prison souterraine, l'ergastule, éclairée par des fenêtres étroites et hautes. Quand le maître voulait châtier un esclave, il l'envoyait à la campagne.

Plus redoutable encore que la campagne était le moulin. Les anciens n'avaient pas de moulins mécaniques (à eau ou à vent), ils faisaient moudre le grain par des esclaves avec des moulins à bras ; travail écrasant, semblable aux travaux forcés du bagne. Voici comment le poète comique Plaute parle du moulin : Là pleurent les mauvais esclaves qu'on nourrit avec de la bouillie, là on entend le bruit des fouets et le cliquetis des chaînes.

Pour le service du maître, on avait des esclaves de ville. Les Romains, à l'exemple des Orientaux, mettaient leur vanité à s'entourer d'une foule de serviteurs. Les riches en avaient parfois des centaines, divisés en plusieurs services : des esclaves chargés de la garde-robe, des esclaves valets et des femmes de chambre, — des esclaves cuisiniers, des esclaves pour servir à table, des esclaves préposés à l'argenterie, — des esclaves pour garder les meubles, — des esclaves baigneurs, — des esclaves pour faire escorte au maître ou à la maîtresse, — des esclaves porteurs de litières, — des esclaves cochers et palefreniers, — des esclaves secrétaires et lecteurs, — des esclaves musiciens ou acteurs, — des esclaves médecins. Les nourrices et les précepteurs étaient esclaves.

On comptait aussi comme esclaves de ville les esclaves tailleurs, cordonniers, maçons, menuisiers, artisans de tout genre, qui fabriquaient les objets pour les maîtres, sa famille et ses esclaves ; car, dans les grandes familles romaines, on faisait à la maison presque tout ce qu'on consommait, le pain, les vêtements, les chaussures. Certains maîtres faisaient même fabriquer dans des ateliers par leurs esclaves ouvriers des objets qu'ils faisaient vendre au public par leurs esclaves marchands. D'autres louaient leurs esclaves au dehors comme maçons, marins, copistes, acteurs, coiffeurs, cuisiniers.

La façon de traiter les esclaves variait suivant le caractère du maître. Les maîtres humains et sensés nourrissaient bien leurs esclaves, leur laissaient le droit d'avoir une petite famille, d'amasser une petite fortune, même de posséder d'autres esclaves. Les maîtres capricieux ou méchants traitaient leurs esclaves comme des animaux, les battaient, les mutilaient, les tuaient sans raison. Un affranchi d'Auguste nourrissait des poissons dans un vivier ; quand un de ses esclaves laissait casser un vase, il le faisait jeter dans le vivier en pâture à ses poissons.

Les punitions étaient très dures. Si l'esclave commettait un petit vol, on le suspendait à fourche par le cou. S'il s'enfuyait, on lui marquait la figure au fer rouge. S'il commettait un crime, on le faisait mourir sur la croix.

Sous ce régime de terreur, de travail excessif ou d'oisiveté forcée, les esclaves devenaient ou taciturnes et féroces, ou lâches et soumis. Beaucoup se suicidaient. Les autres finissaient par mener une vie tout animale. Caton disait qu'il aimait les esclaves dormeurs. L'esclave doit travailler ou dormir.

Cette vie étouffait tout sentiment de fierté et de courage. Ainsi le mot servile (d'esclave) prit le sens de vil.

Le maître avait le droit d'affranchir son esclave. Une fois affranchi, l'esclave devait encore obéissance à son ancien maître, mais il devenait citoyen romain. On faisait une différence entre l'affranchi et les citoyens de naissance, on ne l'admettait ni aux honneurs, ni dans l'armée. Et ses fils même conservaient une sorte de tache. Mais à la longue les descendants d'affranchis finissaient par se confondre avec les citoyens.

Le cens. — Pour fixer le rang de chacun dans la société, on faisait à Rome tous les cinq ans une grande opération, le cens (recensement).

Les deux magistrats élus pour faire le cens, les censeurs, sont d'anciens consuls ; leur fonction est regardée comme la plus honorable de toutes.

Le censeur convoque d'abord tous les citoyens sur le Champ de Mars, et leur annonce de quelle façon il va procéder. Les citoyens doivent alors, l'un après l'autre, venir en personne devant le censeur ; seuls les malades et les infirmes sont excusés. Le censeur se tient sur le Champ de Mars en plein air avec ses registres. Chaque citoyen se présente à son tour ; il jure de dire la vérité : il dit son nom, son âge, son pays, sa tribu, le nom de son père, ses années de service militaire ; il déclare la valeur de sa fortune, évaluée en argent. Le censeur fait inscrire le tout sur un registre. Il a le droit d'inscrire un chiffre plus élevé, s'il croit la déclaration fausse. Il a le droit aussi d'ajouter une remarque (nota) s'il pense que le citoyen ne se conduit pas comme il devrait. Ainsi il note celui qui a été lâche à la guerre, ou insolent, ou trop brutal avec sa femme et ses enfants, celui qui cultive mal son champ, ou ne célèbre pas régulièrement les fêtes religieuses, ou dépense trop d'argent pour sa table. La note du censeur déshonore celui à qui il l'inflige.

Le censeur dresse ainsi la liste des citoyens divisés en 35 tribus. D'ordinaire, il inscrit chaque citoyen dans la tribu, où il était déjà Mais il a le droit de le transporter dans une autre tribu et même de ne l'inscrire dans aucune, c'est un moyen de le dégrader, de lui enlever ses droits de citoyen.

Le censeur dresse la liste des chevaliers ; il peut dégrader un chevalier en ne l'inscrivant pas.

Le censeur dresse la liste des sénateurs. Il conserve la liste du cens précédent, y ajoute les noms de ceux qui depuis ont été magistrats et souvent complète la liste avec quelques autres personnages, toujours des nobles. Mais il a le droit d'effacer un sénateur de la liste (ce qu'on appelle enlever du Sénat). Un sénateur fut effacé parce qu'il possédait 10 livres d'argenterie ; un autre pour avoir répudié sa femme ; un autre pour avoir négligé les tombeaux de sa famille.

Ce droit de noter d'infamie et d'effacer quelqu'un de la liste des citoyens, des chevaliers, du Sénat, rendait les censeurs maîtres de l'honneur de tous, même des plus grands personnages. Les censeurs s'en servirent pour maintenir l'ancienne coutume ; on disait qu'ils avaient le gouvernement des meurs.

Une fois le cens fini, les censeurs convoquent tous les citoyens pour la grande cérémonie religieuse de la purification (lustratio). Ce jour-là tous les citoyens sont réunis hors de la ville, au Champ de Mars, chacun à son rang. On amène les trois victimes expiatoires, un taureau, une brebis, un porc ; on les promène trois fois autour de l'assemblée, on les sacrifie à Mars, dieu protecteur de Rome ; cette cérémonie est destinée à purifier la cité. Le censeur promet à Mars un sacrifice pareil pour la prochaine lustratio. Il emmène ensuite l'assemblée jusqu'à l'entrée de Rome et la renvoie. Puis il va dans un temple planter un clou en souvenir de la cérémonie ; il y dépose les listes du cens et il abdique son pouvoir.

Une séance du Sénat. — Le Sénat est formé de tous les anciens magistrats, c'est-à-dire des personnages les plus nobles et les plus riches de Rome. Aussi est-il devenu le véritable maître du gouvernement. Mais il a conservé les vieilles formes : il n'a le droit ni de s'assembler, ni de donner des ordres ; il n'est, en principe, que le conseil des magistrats.

Le magistrat, quand il veut consulter le Sénat, le fait convoquer par un crieur.

Avant de venir à la séance, il doit faire un sacrifice pour s'assurer que les dieux sont favorables.

Les sénateurs se réunissent dans un temple, d'ordinaire la Curia Hostilia, sur le Forum, un bâtiment très simple, blanchi à la chaux et garni de bancs de bois. La religion oblige à réunir toujours le Sénat dans un sanctuaire consacré par les auspices.

Les magistrats viennent s'asseoir sur leur chaise curule, les sénateurs sur les bancs de bois. La salle reste ouverte, mais le public n'est pas admis à y entrer.

Le magistrat qui préside, parle d'abord ; il communique au Sénat ce qu'il croit utile, en commençant par les affaires de religion ; il lit les lettres des généraux ou des gouverneurs ; il fait parler les envoyés des peuples étrangers, les magistrats ou les sénateurs qui ont un renseignement à donner.

Puis il expose la question sur laquelle il veut consulter le Sénat ; il commence par ces mots : Dans l'intérêt du peuple romain, Pères conscrits, nous vous soumettons ceci, et finit en disant : Sur cela, que convient-il de faire ? C'est ce qu'on appelle demander l'opinion du Sénat.

Les sénateurs ne votent pas. C'est le président qui les interroge un à un, en suivant l'ordre de dignité des magistratures que chacun d'eux a exercées (consuls, préteurs, édiles, tribuns, questeurs).

Il les interroge en disant : Parle, un tel. Chacun répond de sa place, soit en se levant et expliquant ses raisons, soit en restant assis et disant qu'il se range à l'avis de tel autre.

D'ordinaire, les premiers interrogés seuls parlaient, les autres se rangeaient à un avis déjà exprimé. On finit même par adopter un procédé plus rapide. Le magistrat exposait les avis différents ; on disait : Que ceux qui sont de cet avis passent à droite. (La salle était divisée en deux par un large couloir.) Les sénateurs se séparaient et on comptait les voix. Les sénateurs des derniers rangs, ceux qui n'avaient pas été magistrats, ne parlaient jamais ; ils se bornaient à aller s'asseoir d'un côté ou d'un autre. On les appela pedani (qui votent avec les pieds).

Le magistrat levait la séance en disant : Pères conscrits, nous ne vous retenons plus.

Dans les jours suivants, il faisait rédiger le sénatus-consulte (avis du Sénat) en présence de deux sénateurs.

Le Forum. — Le centre de la vie politique de Rome était maintenant le Forum, la place du marché entre les collines du Palatin et du Capitole, une place étroite pour une si grande ville et rétrécie encore par les monuments : du côté de l'est, la Curia Hostilia où se réunissait le Sénat ; du côté du sud, le petit temple rond de Vesta, qui abritait le foyer de la cité, et le temple de Castor et Pollux, bâti près de la source où l'on disait avoir vu les deux demi-dieux laver leurs armes ; du côté de l'ouest, une rangée de boutiques ; du côté du nord, les rostres etla colonne en l'honneur de Duilius ; sans parler des statues qui encombraient la place.

C'est là que d'ordinaire on convoquait l'assemblée par tribus, les jours du marché, quand les paysans venaient à la ville.

Un magistrat, d'ordinaire un tribun de la plèbe, présidait. Devant les citoyens assemblés en foule et sans ordre, il prononçait un discours pour expliquer sur quelle question il allait appeler le peuple à voter. Il donnait ensuite la parole aux citoyens. L'orateur se tenait debout sur la tribune aux harangues, un espace carré, consacré par les auspices, un peu élevé au-dessus de la place. On l'appelait aussi les Rostres, parce que le devant était orné d'une rangée d'éperons de navires (rostres) pris à la ville d'Antium.

Pour se faire entendre de l'assemblée, souvent très bruyante, l'orateur parlait à pleine voix, en faisant de grands gestes ; parfois il marchait dans la tribune.

Les élections. — Quiconque voulait être élu à une magistrature devait faire une déclaration. Puis, à chaque jour de marché, il venait se mettre sur un endroit élevé où tout le monde pouvait l'apercevoir ; il était vêtu d'une toge blanche (candida), d'où le nom de candidat. Il allait parler aux gens du marché, leur serrait la main, les appelait par leur nom, les priait de voter pour lui.

La place du Forum était devenue trop petite pour les élections. Les assemblées, même par tribus, votaient sur le Champ de Mars et dans les anciennes assemblées par centuries toutes les centuries votaient en même temps (excepté une centurie tirée au sort pour voter la première).

Le matin, les citoyens se rendaient au Champ de Mars. Il y avait là un grand espace entouré de barrières de bois, ce qui le faisait ressembler à un parc à moutons ; aussi l'appelait-on ovile. Les citoyens y entraient et se groupaient chacun dans sa tribu ou sa centurie. On leur distribuait une tablette de bois où ils inscrivaient les noms.

Puis ils défilaient un à un sur un pont étroit, et chacun en passant déposait sa tablette dans une urne. Ce système avait été établi en 139 seulement ; jusque-là le citoyen, en passant, devait dire à haute voix le nom du candidat pour lequel il votait.

La carrière des honneurs. — A Rome, une magistrature s'appelait un honneur, ce n'était pas une profession ; le magistrat ne recevait pas de traitement : au contraire, il lui fallait dépenser de l'argent pour se faire élire ; une fois élu, il lui fallait en dépenser encore, souvent beaucoup, car le magistrat devait donner des fêtes au peuple à ses frais.

Aussi n'arrivait-il aux magistratures que des gens riches et presque toujours des nobles, les nobles se soutenaient entre eux, et il leur était plus facile de se faire connaître des électeurs.

On avait fini par fixer l'âge auquel on pouvait se présenter pour chaque magistrature et l'ordre dans lequel on devait les demander. Le candidat devait d'abord avoir fait dix campagnes dans l'armée.

A 25 ans il pouvait être élu questeur, il avait à administrer une caisse publique ;

Puis tribun de la plèbe, ce qui lui donnait le droit de convoquer le peuple ; ou édile, chargé de diriger la police et les approvisionnements de Rome ;

Puis préteur, il rendait la justice ou gouvernait une province ;

Puis consul, il gouvernait Rome ou commandait une armée ;

Enfin censeur (vers 50 ans au plus tôt), il dressait la liste des citoyens et célébrait la lustration.

Ainsi le même homme avait été tour à tour caissier, administrateur, juge, général, homme d'État. Cette série de fonctions s'appelait la carrière des honneurs. Chacune ne durait qu'un an et pour s'élever au degré suivant il fallait une nouvelle élection.

L'administration des provinces. — L'ancien gouvernement romain n'était organisé que pour gouverner la ville de Rome et son petit territoire. Il fallut un autre système pour les pays conquis.

En Italie, quand les Romains avaient soumis un peuple, ils ne se donnaient pas la peine de l'administrer, ils se bornaient à exiger de lui des soldats et quelquefois de l'argent. Chaque peuple conservait son petit gouvernement et ses lois. Il y en avait de plusieurs espèces, des colonies dont les habitants étaient citoyens à Rome, des colonies latines, des cités alliées, des cités libres. Ainsi Rome n'avait pas besoin d'envoyer des fonctionnaires ; les magistrats de Rome suffisaient à gouverner toute l'Italie.

Quand Rome fit des conquêtes hors d'Italie, elle commença par envoyer dans chaque pays un magistrat spécial, un préteur, avec la mission de le gouverner. Le pays soumis à un gouverneur s'appelait province (ce qui signifie mission). Les plus anciennes provinces furent les pays enlevés à Carthage : la Sicile, la Sardaigne, les deux provinces d'Espagne. Quand le nombre des provinces augmenta, pour éviter de créer de nouveaux magistrats, on prit l'habitude d'envoyer un magistrat, consul ou préteur, au moment où il venait de finir son année à Rome. On lui prolongeait son pouvoir, mais pour sa province seulement ; il n'était plus consul (ou préteur), il devenait proconsul (ou propréteur).

Aussitôt son année de consulat terminée, le proconsul sort de Rome ; il sort avec une escorte militaire, lui-même vêtu du manteau de guerre, et par un chemin fixé d'avance il va droit dans sa province. Là il a le pouvoir absolu (l'imperium), comme autrefois le roi l'avait à Rome et il l'exerce à sa fantaisie, puisqu'il est seul magistrat — le questeur, d'ordinaire un jeune homme, parti avec lui pour tenir la caisse, est son inférieur. Le proconsul n'a dans sa province ni collègues pour lui disputer le pouvoir, ni tribuns pour l'arrêter, ni Sénat pour le surveiller.

Il commande seul, en chef, toutes les troupes de la province, les mène combattre où il veut, les cantonne où il veut.

Il siège dans son tribunal, le prétoire, allant de ville en ville pour rendre ses arrêts ; il condamne à l'amende, à la prison, à la mort.

Il fait rédiger en arrivant dans sa province une ordonnance, l'édit sur la façon dont il veut rendre la justice, et cet édit a force de loi.

Il ordonne aux habitants de venir en armes combattre sous ses ordres ou de lui fournir les provisions, les armes, les bêtes de somme, autant qu'il juge à propos d'en demander.

En un mot il est souverain, car il représente à lui seul le peuple romain.

Les Romains, qui avaient soumis la province, cherchaient à l'exploiter dans leur intérêt ; non dans l'intérêt des peuples de la province. Les provinces, dit Cicéron, sont les domaines du peuple romain. Les habitants des pays conquis étaient devenus des sujets de Rome, non des citoyens ; ils restaient des étrangers (peregrini). Ils devaient payer des redevances sur leurs récoltes, un tribut en argent, une taxe pour chaque famille. Ils devaient obéir à tous les ordres de Rome, c'est-à-dire de leur gouverneur.

Ce gouverneur, à qui personne n'avait le droit de résister, se conduisait souvent en despote, faisant emprisonner, fouetter, exécuter les gens qui lui déplaisaient. En voici un exemple raconté par un orateur romain : Dernièrement un consul vient à Teanum (en Campanie) ; sa femme prend fantaisie de se baigner dans le bain des hommes. On fait sortir aussitôt les gens qui se baignent. Mais la femme du consul se plaint qu'on n'a pas fait assez vite, et que les bains sont mal tenus. Le consul fait arrêter le premier magistrat de la ville, M. Marius ; le licteur l'attache à un poteau sur la place publique, lui arrache ses vêtements et le bat de verges.

D'ordinaire le proconsul regardait sa province comme un domaine où il venait pour s'enrichir. Il pillait les trésors et les temples, forçait les villes et les riches habitants à lui donner de l'argent, des objets d'art, des vêtements de prix. Rien de plus facile : comme il pouvait loger ses troupes où il voulait, les villes le payaient pour écarter son armée ; comme il pouvait condamner à mort qui il voulait, les particuliers le payaient pour être épargnés ; s'il demandait un objet, personne n'osait le lui refuser.

Le gouverneur se hâtait de ramasser de l'argent, il n'avait qu'un an à rester dans la province pour faire fortune. Puis il retournait à Rome ; un autre venait et recommençait. On avait fait une loi pour défendre à tout gouverneur de recevoir un cadeau, on avait créé un tribunal pour poursuivre le crime de concussions. Mais le tribunal, formé de nobles, ne condamnait pas volontiers un noble, uniquement pour rendre justice à des sujets ; si par hasard on condamnait un gouverneur, il en était quitte pour l'exil, et s'en allait dans quelque ville d'Italie jouir de la fortune amassée par ses pillages. La condamnation n'était pas même une vengeance et ne réparait rien ; au contraire, les habitants, en accusant leur ancien gouverneur, s'exposaient à la haine de leur gouverneur nouveau. Voilà comment le nom de proconsul a fini par devenir synonyme de despote.

Le gouverneur n'était pas seul à piller. Il amenait toujours une escorte, des amis, des officiers, des hommes de loi, et tous faisaient comme lui. En outre, les compagnies de publicains qui avaient acheté au peuple romain le droit de lever l'impôt, les douanes, les redevances, entretenaient chacune dans la province un personnel de percepteurs et de greffiers ; ces gens regardaient les habitants comme des sujets, leur faisaient payer plus qu'il ne devaient, les maltraitaient, les faisaient emprisonner et même vendre comme esclaves. Voilà comment le nom de publicain finit par prendre le sens de voleur.