HISTOIRE NARRATIVE ET DESCRIPTIVE DU PEUPLE ROMAIN

 

CHAPITRE V. — CONQUÊTE DE L'ITALIE.

 

 

Rome et l'Italie. — Au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, le peuple romain ne possédait que la petite ville du Palatin avec quelques kilomètres carrés aux alentours. En 266, il était maitre de toute l'Italie[1], depuis les Apennins au nord jusqu'à la Sicile au sud, et Rome était devenue une des plus grandes villes du monde.

Ce changement s'est fait en cinq siècles. Les Romains ont attaqué un à un tous les peuples de l'Italie ; souvent ils ont été vaincus eux-mêmes, mais à la fin ils les ont tous vaincus et soumis.

Pendant ces cinq siècles, Rome a été continuellement en guerre. Le temple de Janus qui, devait être fermé en temps de paix, est resté toujours ouvert. Mais l'histoire de ces guerres nous est très mal connue ; les Romains ne savaient guère sur la conquête de l'Italie que quelques faits certains, mêlés à beaucoup de légendes.

Conquête du Latium. — Les Romains ont commencé par soumettre leurs plus proches voisins, les petits peuples du Latium. On disait que, dès le temps des rois, les Latins avaient obéi à Rome. Sur le mont Aventin, à Rome, s'élevait un temple de Diane où les trente villes latines, dit-on, venaient célébrer des cérémonies ; on montrait dans le vestibule de ce temple d'énormes cornes de vache sur lesquelles on racontait cette légende :

Il était né dans les montagnes une vache extraordinaire. Les devins avaient prédit que le peuple qui l'immolerait à Diane deviendrait maitre des autres peuples. Le propriétaire, un Sabin, vint à Rome avec la bête et l'amena au temple du mont Aventin pour la sacrifier. Le prêtre, qui était Romain, lui dit : Tu ne peux pas sacrifier à Diane avant de t'être purifié. Le Sabin descendit pour se purifier vers le Tibre qui coule au bas de la colline. Mais il avait laissé sa vache, le prêtre romain la sacrifia au nom de son peuple et Rome eut la domination sur les villes du Latium.

Une autre légende racontait comment Rome avait vaincu les Latins.

Après l'expulsion de Tarquin, les Latins prirent parti pour lui et livrèrent aux Romains une grande bataille près du lac Régille (496). Pendant la bataille, on vit deux guerriers montés sur des chevaux blancs combattre à la tête des Romains, puis entrer les premiers dans le camp ennemi. Les Romains, excités par leur exemple, mirent en déroute les Latins.

Le général voulait récompenser les deux héros, mais personne ne put les trouver. Le soir même de la bataille, à Rome, on avait vu deux guerriers couverts de sang et de poussière laver leurs armes dans la fontaine de Junon, ils avaient annoncé au peuple la victoire. C'étaient les demi-dieux Castor et Pollux qui venaient d'aider les Romains. En reconnaissance on leur éleva un temple à Rome. Sur le champ de bataille, on trouva dans un rocher l'empreinte d'un pied de cheval gigantesque.

Un vieux traité entre les Romains et les Latins, inscrit sur une colonne de bronze, disait : Il y aura paix entre Rome et les Latins tant que le ciel sera au-dessus de la terre et la terre sous le soleil. Ils ne s'armeront pas l'un contre l'autre, ils ne laisseront pas traverser leur territoire à un ennemi. Ils se porteront secours avec toutes leurs forces. (493.)

Le butin et les conquêtes devaient être divisés en deux parts égales, l'une pour les Romains, l'autre pour les Latins.

Légende de Porsenna. — Vers le même temps, Porsenna, roi de la ville étrusque de Clusium, vainquit les Romains et assiégea Rome. Mais on n'était pas d'accord sur la façon dont cette guerre avait fini.

D'après quelques historiens, Porsenna prit Rome, et força les Romains à se soumettre. Le Sénat lui envoya les insignes de la royauté : le trône d'ivoire, le sceptre, la couronne. Les Romains perdirent tout le territoire qu'ils possédaient au nord du Tibre, et Porsenna leur défendit d'avoir des instruments de fer, excepté pour travailler la terre (507).

D'après une autre légende, Porsenna, venu pour rétablir les Tarquins, fut arrêté devant Rome. Un brave guerrier, Horatius Coclès (le Borgne), défendit à lui seul le pont de bois du Tibre, contre l'armée étrusque ; il donna aux Romains le temps de couper le pont derrière lui ; puis, se jetant à l'eau tout armé, il traversa le fleuve à la nage et rentra dans Rome. On lui éleva une statue.

Porsenna assiégea Rome. Un jour, un jeune Romain, Mucius, résolut de se sacrifier polir délivrer sa patrie. Il sortit de la ville avec un poignard caché sous ses vêtements et vint se mêler à la foule qui entourait Porsenna. Un secrétaire, assis à côté du roi, était occupé à payer la solde des guerriers étrusques ; Mucius, le prenant pour le roi, le tua d'un coup de poignard. Il fut arrêté et mené devant Porsenna. J'ai voulu te tuer, dit-il, je me suis trompé, mais il reste 300 jeunes gens dans Rome qui ont juré de faire comme moi. Et pour lui prouver qu'un Romain n'a peur ni de la mort ni de la souffrance, il posa sa main droite sur un feu allumé pour un sacrifice, et l'y laissa brûler sans manifester aucune émotion. Porsenna, ému et effrayé, fit relâcher Mucius, qu'on surnomma Scævola (le Manchot), et offrit la paix aux Romains.

En garantie de la paix, les Romains donnèrent en otage à Porsenna plusieurs jeunes filles des familles les plus nobles ; le roi les fit garder dans son camp, près du Tibre. L'une d'elles, Clélia, se jeta à l'eau, échappa aux flèches que tiraient sur elle les gardiens, traversa le fleuve et rentra à Rome. On lui éleva, sur la Voie Sacrée, une statue qui la représentait à cheval.

Guerres contre les Volsques, les Èques et les Véiens. — Rome avait pour voisins : à l'est les Èques, qui habitaient les montagnes, — au sud les Volsques, divisés en plusieurs petits peuples qui demeuraient dans une plaine fertile, — au nord-ouest les Véiens, peuple étrusque, établis près du Tibre. Elle leur fit la guerre pendant près de deux siècles, d'ordinaire avec l'aide de ses alliés, les Latins.

Les Romains ne savaient pas l'histoire de ces guerres, mais ils conservaient les légendes de quelques guerriers fameux. On a vu la légende de Coriolan, vainqueur des Volsques (493-498). Voici celle de Cincinnatus :

Quinctius Cincinnatus s'était fait aimer au point qu'on l'appelait le père des soldats. Il avait vaincu les Èques, pris Antium, délivré une armée romaine cernée par les Èques, repris le Capitole aux bandits qui l'avaient surpris ; il avait été plusieurs fois consul et même dictateur ; il était le personnage le plus considérable de Rome.

Un jour on apprend à Rome que l'armée, en guerre contre les Èques, est cernée dans une gorge de montagnes et va être prise. Quinctius seul pouvait la tirer de danger. Le Sénat l'envoie chercher. Les envoyés le trouvent dans son pré, près du Tibre, creusant un fossé, vêtu seulement d'une tunique, appuyé sur sa bêche. Pour recevoir convenablement les messagers du Sénat, il envoie sa femme lui chercher sa toge[2], s'essuie et s'habille. Les envoyés alors le saluent du titre de Maître du peuple et le pressent de venir aussitôt que possible. Il monte dans une barque et arrive à Rome.

Le lendemain, au point du jour, il descend sur la place, fait fermer les boutiques et ordonne à tous les citoyens d'être le soir au Champ de Mars, chacun avec ses armes, 5 pieux et du pain pour cinq jours. Ce même soir, il part, fait 6 lieues en quatre heures avec son armée, et tout autour du camp ennemi fait creuser un fossé et élever une palissade. Les Èques, enfermés, sont forcés de se rendre ; Quinctius revient avec l'armée romaine qu'il a dégagée. Au bout de quinze jours, il abdique et rentre dans son domaine (458).

Voici la légende des 306 Fabius :

La famille des Fabius gouvernait Rome depuis plusieurs années[3] ; le peuple finit par la trouver trop puissante et la chassa de Rome. Les Romains étaient alors en guerre contre les Véiens. Les Fabius se dévouèrent pour combattre les ennemis de leur patrie. Ils allèrent s'établir avec tous leurs clients, en face même de Véies, sur une colline escarpée, près de la rivière Cremera. Ils sortaient de là pour aller ravager les terres des Véiens. Ils étaient 306 patriciens et plus de 4.000 clients. Un jour, ils furent surpris par l'armée ennemie, ils se battirent tout un jour et furent tous exterminés. De toute la famille, il ne resta qu'un enfant, qu'on avait laissé à Rome, parce qu'il était trop jeune pour combattre (477).

Prise de Véies. — Un des plus puissants adversaires de Rome avait été le peuple étrusque des Véiens. Leur capitale, Véies, bâtie sur un rocher escarpé, entourée d'un rempart épais, n'était qu'à quatre lieues de Rome. Les Véiens n'avaient qu'a traverser le Tibre pour ravager les terres des Romains ; il leur était arrivé même de prendre le Janicule.

La guerre avait cessé depuis plus d'un demi-siècle ; quand elle recommença (405), ce fut une guerre d'extermination. Une armée romaine vint camper devant Véies. Jusqu'alors les guerriers romains servaient chacun à ses frais, on les renvoyait chez eux à l'entrée de l'hiver ; le gouvernement romain décida de payer une solde aux guerriers et de les garder au camp pendant l'hiver pour continuer la guerre.

Le siège, dit-on, dura dix ans. Véies demanda secours aux autres peuples étrusques ; ils déclarèrent leur ligue dissoute et ne bougèrent pas. Véies fut prise, les habitants massacrés ou vendus, leur territoire fut partagé et la ville resta déserte (396).

Légende de Camille. — Sur la prise de Véies et sur le général qui l'avait prise, Camille, on racontait de nombreuses légendes.

Les Romains assiégeaient Véies depuis dix ans sans pouvoir la prendre. Un patricien, fameux par son courage, Camille[4], fut élu dictateur et chargé de diriger le siège. Il fit creuser secrètement une galerie souterraine qui, passant sous le rempart de Véies, aboutissait sous la citadelle, à l'endroit où était le temple de Junon, déesse protectrice de Véies. Ce travail terminé, il ordonna à son armée d'attaquer le rempart, et pendant que les assiégés étaient sur leurs murailles occupés à repousser l'assaut, un détachement romain s'engageait dans la galerie et arrivait sous le temple de Junon. A ce moment, le roi des Véiens venait d'immoler une victime. Les Romains entendent le devin qui, après avoir regardé les entrailles de l'animal, disait : Les dieux donneront la victoire à celui qui leur offrira ces entrailles. Ils sortent de la galerie en criant et frappant leurs armes, mettent en fuite les Véiens, prennent les entrailles et vont les porter à Camille qui achève le sacrifice. Ainsi fut prise la ville.

Camille avait promis à la déesse de Véies, Junon, de l'installer dans un temple sur l'Aventin. Mais personne n'osait toucher l'idole de la déesse. Camille fit venir de jeunes nobles Romains en vêtements de fêtes et, mettant la main sur l'idole, il demanda à la déesse si elle voulait quitter Véies et venir s'établir à Rome. On entendit alors l'idole dire : Je le veux ; et d'elle-même elle suivit les Romains.

Camille, vainqueur, entra dans Rome sur un char traîné par quatre chevaux blancs, ce qui devait être réservé au dieu Jupiter. Il avait promis de donner à Apollon de Delphes la dîme du butin pris à Véies, et il avait fallu que chaque soldat rendit le dixième de sa part. Camille pour ce fait fut condamné à l'amende, et s'exila. En sortant de Rome, il pria les dieux, si ses concitoyens l'avaient condamné injustement, de les faire repentir de leur injustice.

Invasion des Gaulois. — Vers ce temps commencèrent les guerres contre les Gaulois. Depuis longtemps déjà il y avait des Gaulois établis dans le nord de l'Italie. Leurs ancêtres venaient du pays qui est aujourd'hui la France[5] ; ils avaient traversé les Alpes et conquis la grande plaine du Pô, qui depuis lors s'appela aussi Gaule, puis ils s'étaient avancés sur les bords de l'Adriatique, jusqu'à Ancône. Ils parlaient la même langue que les Gaulois de France, une langue celtique semblable à celle des Irlandais et des Bretons ; leurs peuples portaient le même nom que quelques-uns des peuples de Gaule.

Un de ces peuples gaulois, les Sénons[6], établi dans les montagnes qui bordent la mer Adriatique, attaqua une ville étrusque, Clusium ; les Romains prirent parti pour Clusium, ce qui amena la guerre. Voici comment la légende racontait la chose :

30 000 guerriers sénons étaient venus à Clusium demander des terres pour s'y établir ; les gens de Clusium refusèrent, et firent demander secours aux Romains. Rome envoya trois nobles, trois Fabius, qui vinrent à Clusium engager les Gaulois à rester en paix. Le chef gaulois leur répondit : Bien que ce soit la première fois que nous entendions parler des Romains, nous les croyons braves, puisque les gens de Clusium leur ont demandé secours. Nous ne refusons pas la paix, à condition que les gens de Clusium, qui ont trop de terres, eu donnent une partie aux Gaulois. Sinon, nous combattrons, et les envoyés pourront aller dire à Rome combien les Gaulois sont plus braves que les autres hommes. — Un des envoyés, Fabius Ambustus, dit : De quel droit attaquez-vous Clusium ? Le Gaulois répliqua : Notre droit, nous le portons à la pointe de nos épées ; tout appartient aux braves.

On se battit ; les trois Fabius se battirent dans l'armée de Clusium. Fabius Ambustus tua un chef gaulois et prit ses armes. Les Gaulois demandèrent à Rome de punir les Fabius, qui, étant venus en ambassadeurs, ne devaient pas combattre contre eux. Le peuple refusa et même nomma les trois Fabius commandants. Les Gaulois alors descendirent le long du Tibre sans attaquer ni piller personne, disant qu'ils n'en voulaient qu'aux Romains.

Bataille de l'Allia. — Les Gaulois rencontrèrent l'armée romaine à Il milles de Rome, au bord de la petite rivière de l'Allia ; les Romains s'étaient rangés, la droite sur les hauteurs, la gauche appuyée au Tibre. Ils voyaient pour la première fois les Gaulois, avec leurs grands corps blancs presque nus, leurs yeux clairs, leurs cheveux roux, leurs grosses moustaches.

Les Gaulois, suivant leur coutume, attaquent brusquement en poussant des cris de guerre sauvages et en frappant leurs armes sur leurs boucliers ; ils se battaient avec de longues épées qu'ils tenaient à deux mains. Les Romains prennent peur, leur centre se débande, se rejette sur l'aile gauche et l'entraîne ; presque tous sont massacrés ou se noient dans le Tibre. Ceux qui se sauvent à la nage vont se réfugier à Véies.

L'aile droite, restée sur la hauteur, avait échappé et rentra dans Rome. Les Gaulois s'attardèrent à couper les têtes des morts et à piller le camp romain (390).

Les Romains conservèrent toujours le souvenir de la défaite de l'Allia ; l'anniversaire (18 juillet) resta un jour néfaste, un de ceux où la religion défendait de rien entreprendre. Longtemps ils continuèrent à redouter les Gaulois comme les plus terribles de leurs ennemis.

Siège du Capitole (390). — Les Romains n'essayèrent pas de défendre Rome, ils se contentèrent d'occuper la citadelle du Capitole, bâtie sur un rocher abrupt et facile à défendre. Le Sénat, les magistrats, les prêtres s'y réfugièrent. Les habitants s'enfuirent dans les villes voisines. Les Gaulois brillèrent Rome et assiégèrent le Capitole. Voici comment on racontait ce siège :

Deux jours après la bataille, le soir, les Gaulois arrivent devant Rome ; ils trouvent les remparts déserts, les portes ouvertes. Redoutant quelque ruse, ils attendirent le jour pour attaquer.

Le lendemain, ils entrent dans la ville, les habitants s'étaient enfuis avec leur mobilier, abandonnant leurs maisons. Les Gaulois n'entendent aucun bruit, ne voient personne ; ils se dispersent pour piller. Dans le vestibule des maisons, ils aperçoivent quelques vieillards vêtus de robes blanches à bordure de pourpre, un bâton d'ivoire à la main, assis sur un siège d'ivoire, immobiles et silencieux[7]. C'étaient d'anciens consuls qui avaient résolu de se dévouer pour attirer sur l'ennemi la colère des dieux. Les Gaulois étonnés ne leur firent d'abord aucun mal ; mais l'un d'eux s'étant avisé de caresser avec la main la barbe d'un de ces personnages (un Papirius), le vieillard le frappa de son bâton à la tête. Les Gaulois irrités les massacrèrent tous. Puis ils mirent le feu à la ville.

Ils essayèrent de prendre d'assaut le Capitole ; ils furent repoussés et se mirent à le bloquer. Un jour, un Romain vêtu d'un costume sacré, portant dans ses mains les objets du culte, descendit lentement du Capitole, traversa le camp ennemi, monta sur la colline du Quirinal où il accomplit un sacrifice et revint lentement au Capitole par le même chemin. C'était un Fabius qui venait de célébrer une cérémonie religieuse que sa famille[8] devait accomplir une fois par an. Les ennemis le laissèrent passer.

Les Gaulois restèrent longtemps campés au pied du Capitole. La saison des pluies était venue, ils n'avaient ni abris, ni vivres ; ils souffraient de la famine et des maladies. Les Romains réfugiés à Véies avaient rappelé Camille alors en exil, l'avaient pris pour chef et nommé dictateur ; Camille se prépara à aller délivrer le Capitole. Un jeune homme se chargea d'avertir les défenseurs. Il traversa le Tibre sur une écorce, arriva au pied du Capitole du côté le plus abrupt que les ennemis avaient cru inutile de garder et, s'aidant des arbustes et des ronces, grimpa jusqu'à la citadelle.

Les Gaulois aperçurent les traces du messager. Par une nuit sombre, ils montèrent en prenant le même chemin ; ils parvinrent jusqu'en haut sans trouver personne qui les arrêtât, ce côté n'était pas gardé. Mais les oies sacrées du temple de Junon les entendirent, elles poussèrent des cris et battirent des ailes. Les Romains accourent au bruit. Manlius[9], qui demeurait auprès, le premier arrivé, renverse de son bouclier le Gaulois qui marchait en tête ; les assiégeants sont précipités en bas du rocher. Ainsi le Capitole fut sauvé par Manlius Capitolinus.

Quand les défenseurs eurent épuisé leurs vivres, il fallut capituler. Les Gaulois consentirent à quitter Rome ; les Romains s'engagèrent à leur payer mille livres d'or, à leur fournir des vivres et des moyens de transport. Pour peser l'or, les Gaulois apportèrent de faux poids ; les Romains réclamèrent. Le chef gaulois alors jeta sot, épée dans la balance en disant : Malheur aux vaincus ! (Væ victis !)

La légende ajoutait que les Gaulois ne rapportèrent pas chez eux l'or de la rançon de Rome. D'après les uns Camille arriva, fit emporter l'or en disant qu'on devait délivrer la patrie non avec de l'or, mais avec du fer ; on se battit dans les ruines de Rome. Camille écrasa les Gaulois. Puis il ordonna aux villes alliées de fermer leurs portes aux fuyards, si bien que tous les Gaulois venus à Rome furent exterminés.

D'après d'autres, ce fut un siècle plus tard qu'on reprit la rançon de Rome.

Le mieux renseigné des historiens anciens, Polybe, dit que les Gaulois rentrèrent paisiblement avec leur butin pour aller combattre les Vénètes, qui les attaquaient du côté du nord.

Le Capitole seul restait intact, Rome était en ruines. Les Romains rebâtirent leur ville à la hâte, en un an, disait-on, avec des maisons en bois et en briques, et des rues très irrégulières.

Guerres contre les Gaulois. — Les Gaulois établis dans les Apennins furent longtemps des ennemis très redoutés à Rome.

Ils s'allièrent aux villes ennemies des Romains.

Un jour ils s'avancèrent jusqu'au pied du rempart la Porte Colline) ; puis ils se firent avec leurs chariots un camp où ils rentraient après avoir ravagé le pays.

Plusieurs fois des armées gauloises vinrent piller les environs de Rome. On proclamait alors la levée en masse contre les Gaulois (tumultus gallicus) ; toutes le affaires s'arrêtaient, les citoyens devaient tous prendre les armes et se tenir prêts à partir.

Ces guerres durèrent près d'un demi-siècle. On ne les connaissait guère que par des légendes.

Une armée gauloise vint camper au bord de l'Anio. Sur l'autre bord campait l'armée romaine. Un pont joignait les deux rives. Chaque jour un chef gaulois, de la taille d'un géant, venait en tête du pont défier les Romains et demander qui oserait combattre contre lui. Un Romain, Manlius, accepta le défi. Il vainquit le géant, le tua, lui enleva son collier sanglant et se le passa autour du cou. On le surnomma Torquatus (torques signifie collier) (361).

Dans une autre guerre, Valerius combattit de même un Gaulois, qui avait délié les Romains (349). Pendant le combat, un corbeau vint se poser sur le casque du Gaulois, lui déchira la figure avec son bec et l'étourdit avec ses ailes. Valerius tua son adversaire et fut surnommé Corvus (Corbeau).

Soumission des Latins. — Pendant ce temps, Rome avait fini de soumettre les Volsques qui habitaient la plaine au sud du Latium. Les villes volsques furent ruinées, le pays devint un grand marais presque désert à cause des lièvres, les fameux marais pontins. Puis les Romains commencèrent à conquérir la Campanie.

Les Latins, alliés de Rome, se révoltèrent alors. Ce fut une guerre terrible (340) ; nous ne la connaissons que par la légende.

Les Latins avaient envoyé à Rome deux magistrats demander l'égalité complète avec les Romains ; le Sénat les reçut au Capitole. Les envoyés réclamèrent un consul et la moitié des sénateurs latins. En entendant cette proposition, Manlius s'écria : Jupiter, écoute ce blasphème ! et il jura de poignarder le premier Latin qui entrerait au Sénat. Le Latin Annius répondit en insultant Jupiter Capitolin. Aussitôt, un éclair, un coup de foudre ; et Annius, en sortant du Capitole par l'escalier à cent marches, roula du haut en bas et se tua.

On se battit au pied du mont Vésuve. L'aile gauche des Romains commençait à reculer. Le consul Decius appelle le grand pontife et lui déclare qu'il va se dévouer pour donner la victoire à sa patrie. Il se met un javelot sous les pieds, se couvre la tête d'un voile et, debout, récite la formule sacrée : Janus, Jupiter, Mars, Quirinus, Bellone, Lares, dieux Novensiles, dieux Indigètes, dieux qui avez en votre pouvoir nous et nos ennemis, et vous, dieux Mânes, je vous prie et vous demande la grâce d'accorder au peuple romain force et victoire, et de frapper de terreur, de crainte et de mort les ennemis du peuple romain. Suivant la formule que j'ai prononcée, pour l'État, l'armée, les alliés du peuple romain, je dévoue, avec moi, l'armée et les alliés des ennemis aux dieux Mânes et à la Terre. Il retrousse sa toge, prend ses armes, monte à cheval et se jette au milieu des ennemis.

Il est tué. Les Romains sont vainqueurs, grâce au dévouement de Decius.

Rome soumit les Latins et détruisit leur ligue. Elle défendit aux villes latines de faire la guerre et d'avoir des assemblées entre elles. Les Latins devaient combattre sous les ordres des généraux romains.

Antium avait une flotte de guerre. Les Romains lui enlevèrent son territoire et lui prirent sa flotte (338).

Guerre samnite. — Les Samnites, montagnards guerriers des Abruzzes, avaient été les alliés des Romains contre les Gaulois. Ils avaient aussi partagé avec eux le pays des Volsques. Ils se brouillèrent à propos de la Campanie. C'était une plaine très fertile ; la capitale, Capoue, était célèbre par sa richesse. Les habitants de Capoue avaient demandé à être gouvernés par Rome, et étaient devenus citoyens romains.

On racontait que les Samnites, jaloux, avaient fait une première fois la guerre à Rome (343-341).

D'autres villes de Campanie prirent à leur service des guerriers samnites. Les Grecs de Palœpolis s'enhardirent jusqu'à ravager le territoire habité par les Romains. Une armée romaine vint assiéger Palœpolis. Les Samnites la défendirent. Alors commença une guerre qui dura plus de vingt ans (326-304). Elle fut longtemps indécise. On conservait à Rome le souvenir du désastre des Fourches Caudines. Voici comment on le racontait :

C'était dans les premières années de la guerre. L'armée romaine, commandée par les deux consuls, en traversant les montagnes pour aller à Lucérie, s'engagea imprudemment dans le défilé des Fourches Caudines. Les Samnites barrèrent le chemin en avant avec des arbres et des rochers, et ils barrèrent la retraite en arrière ; les Romains se trouvèrent pris entre des pentes abruptes couvertes de bois, au fond d'une gorge dont l'ennemi tenait toutes les issues. Ils avaient à peine la place de camper.

Le chef des Samnites, Pontius, demanda conseil à son père Hérennius, qui lui dit : Il faut choisir entre deux partis, ou s'attacher les Romains par la reconnaissance, ou profiter de l'occasion pour les écraser en exterminant leur armée. Pontius ne fit ni l'un ni l'autre. Il consentit à laisser partir les Romains, mais à condition que les consuls s'engageraient, au nom du peuple romain, à faire retirer les garnisons romaines du Samnium. Les consuls jurèrent et laissèrent en otage aux Samnites six cents cavaliers, jeunes gens des familles nobles.

C'était l'usage des peuples d'Italie, quand une armée capitulait, de faire passer les vaincus sous le joug avant de les renvoyer. On posait une lance en travers sur deux lances fichées en terre, et les vaincus défilaient sous cette lance en courbant la tête. Les Romains sortirent de leur camp sans armes et avec un seul vêtement et passèrent sous le joug. Leurs bagages, leurs armes, tout ce qui se trouvait dans leur camp, appartenait, suivant l'usage, au vainqueur (321).

Le peuple romain, seul, avait le droit de conclure un traité. Devait-il se considérer comme engagé par le serment des consuls ? Le Sénat déclara que, les consuls ayant outrepassé leurs pouvoirs, le traité était nul ; le consul Postumius indiqua lui-même un procédé pour se mettre en règle avec sa conscience sans tenir sa parole.

Les féciaux romains, chargés de déclarer la guerre, amenèrent au camp des Samnites les consuls qui avaient signé le traité, et les leur livrèrent nus et enchainés, en disant : Puisque ces hommes, sans l'autorisation du peuple romain, ont promis de faire un traité et ainsi vous ont fait tort, pour dégager le peuple romain, je vous livre ces hommes. Aussitôt Postumius donna au fécial un coup de genou, en disant : Je suis maintenant Samnite ; en frappant le fécial malgré le droit des gens, j'ai donné à Rome le droit de faire la guerre aux Samnites. Pontius ne voulut pas tenir compte de cette comédie et réclama l'exécution du traité. Mais les Romains firent la guerre et furent vainqueurs.

Pendant longtemps les Samnites résistèrent. On se battit en Latium, en Campanie, en Apulie. Les Étrusques s'allièrent aux Samnites (311). Les Romains les forcèrent à cesser la guerre.

Puis ils entrèrent dans le pays des Samnites, prirent la forteresse de Bovianum où ils trouvèrent beaucoup d'argent et. les battirent dans une grande bataille. Les Samnites se résignèrent à demander la paix.

Rome fit alors entrer dans son alliance, de gré ou de force, les villes de la Campanie et les petits peuples des montagnes.

Soumission des Samnites. — Au bout de quelques années, les Samnites recommencèrent la guerre (298), cette fois alliés avec les Étrusques, les Lucaniens, les Ombriens et les Sabins.

Les Romains avaient pour eux les Latins et les Campaniens. Ils envahirent le pays des Samnites et passèrent cinq mois à tout détruire. On reconnaissait plus tard les endroits où leurs armées avaient campé[10] rien qu'à voir les ruines et la solitude des environs.

Rome cependant courut encore un grand danger. Elle eut à combattre à la fois les Samnites, les Étrusques, les Ombriens et une armée des Gaulois Sénons qui marchaient sur Rome. On fit partir cinq armées romaines. Dans la plaine de Sentinum, l'armée des Samnites et des Gaulois fut exterminée (295). Voici comment on racontait cette bataille :

Les Gaulois formaient l'aile droite, les Samnites l'aile gauche. L'armée romaine se rangea en face, le consul Fabius à droite, le consul Decius à gauche. Entre les deux armées, une biche passa en courant poursuivie par un loup, elle s'enfuit vers les Gaulois qui la tuèrent, le loup traversa les rangs des Romains et s'enfonça dans la forêt. Les Romains y virent un heureux présage, car le loup était leur animal sacré.

Les Gaulois lancèrent leurs chars de guerre, les cavaliers romains effrayés s'enfuirent ; les cavaliers gaulois les poursuivirent et rompirent la première ligne des fantassins. Déjà la déroute commençait ; Decius, qui commandait de ce côté, résolut de se dévouer comme son père. Il se fit consacrer par le pontife et prononça la formule : Que devant moi se précipitent la terreur et la fuite, le sang et la mort, la colère des dieux du ciel et des dieux souterrains ! Puis il se jeta au milieu des Gaulois et se fit tuer.

A l'aile droite, Fabius avait mis eu fuite les Samnites ; il accourut au secours de l'aile gauche. Les Gaulois reculèrent et se serrèrent les uns contre les autres. Mais ils n'avaient pour se couvrir que de mauvais boucliers en bois ; les Romains ramassèrent les javelots qui jonchaient la terre, percèrent ces boucliers fragiles et massacrèrent les Gaulois.

Une autre bataille, celle d'Aquilonie (292), était célèbre par la légende de la Légion du lin.

Tous les Samnites en âge de se battre avaient reçu l'ordre de se réunir près d'Aquilonie. Au milieu du camp était dressée une tente en toile de lin, dans la tente s'élevait au milieu un autel, entouré de guerriers tenant l'épée à la main. Le général samnite fit un sacrifice sur l'autel. Puis il fit défiler devant lui un à un les plus braves des Samnites. Chacun entrait seul dans la tente, s'approchait de l'autel et jurait de ne rien dire de ce qu'il allait voir. Alors le général lui ordonnait de s'engager par un serment à le suivre partout où il le mènerait, à ne pas s'enfuir du combat et à tuer quiconque s'enfuirait ; s'il manquait à sa promesse, il se déclarait lui et les siens voué à la colère des dieux. Quiconque refusait de jurer, les guerriers l'égorgeaient au pied de l'autel et son cadavre restait là pour servir de leçon à ceux qui entraient après lui dans la tente.

Parmi ceux qui avaient juré, le général en choisit dix, chacun des dix en choisit dix autres, et ainsi de suite. On forma ainsi un corps de 16.000 hommes, qu'on appela la Légion du lin. Ils portaient des armures ornées et des casques à panaches. Ils se firent tous massacrer sur place sans reculer.

Nous ne savons pas où se donna la dernière bataille.

On disait que le dernier général samnite fut Pontius, le vainqueur des Fourches Caudines et que d'abord il vainquit les Romains. Enfin son armée fut massacrée ; lui-même fut pris, mené à Rome derrière le char du vainqueur et décapité.

Les Samnites se soumirent (290). Ils conservèrent leur gouvernement, mais s'engagèrent à ne plus faire la guerre que sous le commandement de Rome. Pour les surveiller, on envoya 20.000 colons romains à Venouse.

Soumission de l'Italie centrale. — Vers le même temps, Rome soumit les Sabins des montagnes (290) et leur prit une partie de leurs terres qu'on distribua à des citoyens romains. Les Romains arrivèrent jusqu'à la mer Adriatique où ils établirent une colonie, Hadria.

Les Étrusques, pendant les guerres samnites, avaient plusieurs fois attaqué les Romains ; mais chacune de leurs villes avait son gouvernement ; jamais elles n'agirent toutes de concert ; et chaque fois les Romains, en ravageant leur territoire, les forcèrent à demander la paix.

Les Gaulois Sénons, encore une fois, traversant les montagnes, envahirent l'Étrurie et assiégèrent Arretium, ville étrusque alliée de Rome. Une armée romaine, venue au secours d'Arretium, fut détruite. Les Romains la vengèrent ; ils entrèrent chez les Sénons, les exterminèrent, les chassèrent et firent de leur pays un désert. Puis ils y envoyèrent une colonie, Sena gallica (284).

D'autres Gaulois, les Boïens, qui habitaient au sud du Pô, envahirent l'Étrurie avec les débris du peuple sénon et marchèrent sur Rome. On se battit près d'un marais, le lac Vadimon ; les Gaulois furent massacrés, le Tibre fut rouge de leur sang. Les Boïens firent la paix (283).

Puis les Étrusques vaincus se soumirent et devinrent les alliés des Romains.

Rome alors domina sur toute l'Italie, excepté la partie du sud occupée par les Grecs.

Guerre contre Pyrrhus. — La plus grande ville grecque d'Italie était alors Tarente. Elle avait un bon port, le seul bon sur cette côte, par lequel passait le commerce de la montagne. Les Tarentins achetaient les laines aux montagnards et en faisaient des étoffes qu'ils teignaient ; ils fabriquaient aussi les grands vases en argile rouge qui servaient à garder le vin ou l'huile. Ils avaient beaucoup d'argent, s'habillaient richement et s'amusaient dans les banquets et les spectacles. Voici comment on racontait leur brouille avec les Romains :

Une ville grecque, Thurii, assiégée par les montagnards de la Lucanie et du Bruttium[11], demanda secours à Rome. Fabricius amena une troupe de Romains, mais ils étaient si peu nombreux qu'ils n'osaient attaquer les assiégeants. Tout d'un coup ils virent un jeune homme, d'une taille gigantesque, appliquer une échelle contre le rempart du camp ennemi et monter à l'assaut, les Romains le suivirent et prirent le camp. On ne retrouva pas le guerrier à qui on devait la victoire, mais on se souvint qu'il portait un casque surmonté d'un plumet semblable à celui de la statue de Mars, et Fabricius fit célébrer des actions de grâces au dieu Mars. Les Romains restèrent en garnison à Thurii.

Dix navires romains y furent envoyés le long de la côte et passèrent devant Tarente. Or, les Romains s'étaient engagés par un traité avec Tarente à ne pas naviguer plus loin que le cap Lacinium. Les Tarentins irrités attaquèrent ces navires et en coulèrent quatre ; puis ils chassèrent les Romains de Thurii et pillèrent la ville.

Le Sénat envoya des ambassadeurs à Tarente réclamer réparation. Le peuple de Tarente se rassembla dans le théâtre, suivant l'usage des Grecs, pour recevoir les ambassadeurs romains ; mais quand ils voulurent parler, la foule se mit à rire et à les huer ; un bouffon salit la toge du chef de l'ambassade, Postumius, qui dit : Riez maintenant, cette robe sera lavée dans votre sang.

Rome déclara la guerre à Tarente (281). Les Tarentins, habitués à la paix, ne se souciaient pas de se battre. Ils prirent à leur service Pyrrhus, roi d'Épire, qui commandait un peuple de guerriers dans les montagnes, de l'autre côté de la mer Adriatique.

Pyrrhus était déjà célèbre comme général. Il prétendait descendre d'Achille, le héros de l'Iliade, il avait conquis la Macédoine et s'était battu en Asie. Il rêvait, disait-on, de conquérir la Sicile et l'Italie d'abord, puis tout l'Occident jusqu'à l'Océan. Les Tarentins lui avaient promis, dit-on, 350.000 fantassins et 20.000 cavaliers.

Il partit par mer avec sa phalange de 20.000 fantassins, 2.000 archers, 3.000 cavaliers thessaliens et 20 éléphants d'Asie. Il débarqua à Tarente, malgré une tempête, et ordonna aux jeunes gens de Tarente de s'enrôler dans son armée ; pour les empêcher de se sauver, il fit fermer les portes de la ville, fit fermer le théâtre et les força à faire l'exercice militaire.

Les Romains furent d'abord embarrassés ; leur religion leur défendait de combattre un ennemi avant de lui avoir déclaré la guerre suivant la forme ancienne : le fécial devait aller à la frontière de l'ennemi et lancer un javelot sur son territoire. Comment déclarer la guerre à Pyrrhus, dont le pays se trouvait au delà de la mer ? On trouva un expédient. Un Épirote, déserteur de l'armée de Pyrrhus, acheta un champ ; on considéra ce champ comme devenu territoire épirote, le fécial vint y jeter son javelot et déclarer la guerre.

L'armée romaine vint au-devant de Pyrrhus et le rencontra près d'Héraclée, dans une plaine (280. La bataille fut très disputée ; Pyrrhus, comme autrefois Alexandre, chargeait à la tête de sa cavalerie, pendant que la phalange immobile présentait un front hérissé de lances. A la fin, les éléphants attaquèrent ; les Romains n'avaient jamais vu ces bêtes monstrueuses, ils prirent peur, s'enfuirent et abandonnèrent leur camp. Mais Pyrrhus avait perdu beaucoup de monde.

On racontait que le lendemain de la bataille, Pyrrhus parcourut le champ de bataille et remarqua que tous les cadavres des Romains étaient frappés par devant, aucun n'avait fui. Puis il dit : Encore une victoire comme celle-là et je retournerai seul en Épire. De là vint l'expression de victoire à la Pyrrhus, pour dire une victoire chèrement achetée.

On disait aussi que Pyrrhus offrit aux prisonniers romains d'entrer à son service et qu'aucun n'accepta sa liberté à ce prix.

Après sa victoire, Pyrrhus vit arriver les Samnites et les Lucaniens révoltés contre Rome ; il marcha avec eux sur le Latium. Mais en chemin il s'arrêta et passa l'hiver à négocier avec les Romains. Le négociateur fut son ami Cinéas, le philosophe, un Grec de Thessalie, que la légende a rendu fameux.

Cinéas, disait-on, avait cherché à détourner Pyrrhus de son expédition. Il vint à Rome avec des cadeaux pour les sénateurs et de belles étoffes pour leurs femmes, mais personne ne se laissa tenter. Le jour où il proposa la paix au Sénat, le vieil Appius Caudius, qui était aveugle, se fit porter dans la salle et parla avec passion contre la paix. Que Pyrrhus, dit-il, commence par sortir de l'Italie, alors on verra si on doit traiter. Le Sénat ordonna à Cinéas de sortir de Rome le soir même.

Cinéas de retour près de Pyrrhus, lui dit : En voyant le Sénat, il m'a semblé voir une assemblée de rois. Combattre les Romains, c'est combattre l'Hydre, leur nombre est sans limites, comme leur courage.

Pyrrhus avait offert de relâcher ses prisonniers et de devenir l'allié de Rome si Rome renonçait à l'Apulie. Les Romains refusèrent.

Au printemps suivant, Pyrrhus assiégea Asculum. Les consuls vinrent l'attaquer avec 70.000 hommes. Ils convinrent avec Pyrrhus de l'endroit et de l'heure de la bataille.

Pyrrhus avait placé au centre et à droite les Grecs, les Italiens du Sud et les Tarentins armés de boucliers blancs, à gauche les Samnites, aux deux extrémités ses cavaliers, ses archers et ses éléphants. Au signal donné, les Grecs se mirent à chanter le péan et les cavaliers se lancèrent au galop, ils couraient autour des escadrons romains, tournaient bride, puis chargeaient de nouveau. Les fantassins à droite firent reculer les Romains, mais ceux du centre commençaient à plier. Pyrrhus fit avancer les éléphants. Les Romains, pour les combattre, avaient préparé 300 chars garnis de faux et de longues perches mobiles qui portaient au bout un paquet d'étoupe enduite de poix enflammée ; ils comptaient sur la fumée et l'odeur pour faire fuir les éléphants. Mais chaque éléphant portait sur son dos des archers à l'abri dans une tour ; ces archers tuèrent les conducteurs des chars ; des soldats se glissant entre les chars vinrent couper les traits et les chars restèrent immobiles.

Pendant qu'on se battait, une troupe de guerriers italiens qui venait rejoindre l'armée romaine, arriva sur la hauteur derrière le camp de Pyrrhus qui n'était presque pas gardé, le prit sans combat, le pilla et, y mit le feu. Les cavaliers de Pyrrhus, accourus à cette nouvelle, trouvèrent le camp déjà incendié.

Le soir venu, on s'arrêta et des deux côtés on recula ; les Romains repassèrent la rivière et rentrèrent dans leur camp (279).

Pyrrhus en avait assez de cette guerre. Les Siciliens lui demandaient de venir les aider contre les Carthaginois. Il passa en Sicile et y resta deux ans.

On racontait que le médecin de Pyrrhus avait offert au consul romain Fabricius d'empoisonner son maitre. Fabricius ne voulut pas de ce moyen déloyal ; il avertit Pyrrhus qui, par reconnaissance, renvoya au Romain tous ses prisonniers sans rançon.

Soumission de Tarente. — Les Romains profitèrent de l'absence de Pyrrhus pour soumettre tous les peuples du Sud et ravager le pays des Samnites.

Au bout de deux ans ; Pyrrhus revint en Italie. Mais en passant le détroit, les Carthaginois lui prirent sa flotte et sa caisse ; pour se procurer de l'argent, il prit le trésor du temple de Proserpine, à Cumes. Dès lors il n'eut plus que des malheurs, il dit lui-même que c'était une punition de la déesse.

L'armée romaine recula et rentra dans le Samnium. Pyrrhus l'y suivit et l'attaqua près de Bénévent. Mais les Romains savaient maintenant combattre les éléphants en leur lançant des flèches enflammées ; ils repoussèrent l'armée de Pyrrhus et lui prirent son camp (275). Pyrrhus repassa en Épire, ne ramenant que 8.000 hommes.

Deux ans après, en Grèce, à l'assaut d'Argos, il reçut sur la tête une tuile jetée par une vieille femme et en mourut.

Il avait laissé dans Tarente une garnison ; son général livra la ville aux Romains. Ils détruisirent les remparts et enlevèrent aux habitants leurs armes.

Il y eut encore quelques guerres dans les montagnes et avec une ville étrusque, Volsinies, qui fut détruite. Puis les Romains furent maîtres de toute l'Italie (266).

 

 

 



[1] Ce que nous appelons l'Italie du Nord se nommait alors Gaule cisalpine ; pour les anciens Romains l'Italie s'arrêtait aux Apennins.

[2] La toge était le vêtement de cérémonie.

[3] Pendant sept ans, tous les consuls furent des Fabius.

[4] Son nom complet est Marcus Furius Camillus.

[5] Les Romains l'appelaient Gaule transalpine (de l'autre côté des Alpes) ; ils appelaient Gaule cisalpine (de ce côté des Alpes) le pays du Pô où s'étaient installés les Gaulois envahisseurs.

[6] Il y avait aussi en France un peuple, les Sénons, dont la capitale était Sens.

[7] D'après une autre légende. ils étaient tous assis sur la place publique.

[8] La gens Fabia.

[9] Manlius était patricien et avait sa maison sur le Capitole. Il était célèbre aussi par sa mort que la légende présentait ainsi. Il était devenu jaloux de Camille, et, pour se faire un parti, avait racheté les débiteurs esclaves des créanciers. Les patriciens, pour se débarrasser de lui, l'accusèrent de vouloir se faire roi. Il fut mis en prison et amené devant le peuple, réuni sur la place du Forum. Mais il montra le Capitole en demandant si on serait assez ingrat pour condamner le sauveur de la patrie. L'assemblée refusa de le condamner. Les patriciens convoquèrent de nouveau le peuple, mais dans un endroit d'où l'on ne pouvait apercevoir le Capitole, et, cette fois, Manlius fut condamné. On le jeta du haut de la roche Tarpéienne. De là vint ce proverbe : La roche Tarpéienne est près du Capitole. La maison de Manlius fut démolie et il fut défendu à l'avenir de bâtir aucune maison sur le Capitole.

[10] On croyait reconnaître les 45 camps de Decius et les 36 camps de Fabius.

[11] Le Bruttium s'appelle aujourd'hui la Calabre.