HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE VINGT NEUVIÈME

 

 

GALLIEN (An de Rome 1011. — De Jésus-Christ 258)

ROME, sur le penchant de sa ruine, ne pouvait chercher un remède à ses maux et un terme à l’anarchie militaire dans l’établissement d’un trône héréditaire. L’élection, soit qu’elle vînt du sénat ou du peuple, soit qu’ils ne fissent que confirmer le choix des armées, satisfaisait l’amour propre des Romains : c’était encore un ombre de liberté, l’adoption même leur paraissait préférable au hasard de la naissance ; et, par un sort remarquable, l’expérience vint encore joindre sa force à celle des mœurs pour les empêcher de perpétuer le pouvoir dans une famille. Un grand nombre d’empereurs élus et de princes adoptés avaient relevé la gloire de l’empire, étendu ses limites et retardé sa décadence, tandis qu’excepté Titus tous ceux qui avaient succédé à leur père, tels que Domitien, Caracalla, Commode, Héliogabale, n’avaient été que de vils et lâches tyrans.

Le règne de Gallien dut, plus que tout autre, faire craindre au peuple la transmission du pouvoir suprême par droit de naissance. Ce prince, que son père Valérien avait décoré du titre de César, flétrit son nom par son ingratitude le souilla par ses débauches, le rendit odieux par sa férocité, et livra, par sa faiblesse, aux fureurs des factieux et aux ravages des barbares, ce vaste empire qui, démembré pendant sa vie, aurait infailliblement péri, si quatre princes, habiles et courageux, élus successivement, par le sénat, n’étaient venus rassembler ses débris, relever sa force, et lui rendre pour quelque temps une nouvelle existence.

Valérien languissant dans les fers, le sénat, le peuple et les armées reconnurent Gallien comme seul empereur. Nul ne semblait devoir être plus animé que lui contre les Parthes ; il avait à la fois son père à délivrer et l’empiré à venger : mais les hommes sont plus gouvernés par leurs passions que par leurs devoirs, et leur intérêt même cède à leur caractère. Gallien, doué d’une imagination vive s’était montré dans sa jeunesse éloquent orateur, poète élégant ; il avait cultivé la philosophie, et Plotin, célèbre alors, lui avait inspiré tant de goût pour la doctrine académique, qu’il voulut, dit-on, fonder en Campanie une république organisée comme celle de Platon. Les plus habiles généraux lui apprirent l’art de la guerre, dans les Gaules et dans la Germanie. Il avait combattu avec courage et succès sous les ordres du fameux Aurélien. Rome fondait sur lui de grandes espérances ; il n’en réalisa aucune. Son caractère était sans force, son esprit sans jugement, son ardeur sans constance, son âme sans vertus ; il n’avait de courage que par accès, s’arrachait avec peine à la mollesse, lorsque l’intérêt de sa vie ou de son pouvoir l’exigeait impérieusement, et retombait ensuite dans son indolence, entraîné par la force de ses vices.

Voluptueux comme Héliogabale, débauché comme Néron ; étranger à tout sentiment de gloire et de patriotisme, il n’aimait dans le pouvoir suprême que la funeste liberté de se livrer sans frein aux plus honteuses voluptés : régner, pour lui, c’était jouir, et il lui importait peu que le trône fût avili, que l’empire fût démembré, et que les étrangers outrageassent la majesté romaine, pourvu que son  repos dans Rome ne fût point troublé, et qu’on le laissât jouir d’une table délicate et d’un palais majestueux, rempli d’histrions et de courtisanes, et qui ressemblait plus au sérail d’un monarque d’Orient qu’à la cour d’un empereur romain.

Son ingratitude pour son père dévoila promptement sa bassesse et sa lâcheté. La captivité de Valérien, loin de l’indigner et de l’exciter à la vengeance, ne parut à cette âme vile, qu’un événement heureux, puisqu’il l’élevait au trône. Il en parla au sénat avec une indifférence qu’il voulait faire regarder comme stoïque. Je n’ignorais pas, dit-il, que mon père était soumis, comme tout autre homme, aux vicissitudes humaines.

Le premier acte de son autorité compléta la dégradation du sénat : comme il craignait l’ambition des membres de ce corps et leur influence sur les armées, il défendit, par un décret, aux sénateurs d’exercer aucun emploi militaire. La vanité en gémit d’abord, la peur s’y soumit, la mollesse s’y accoutuma ; et le résultat de cette loi honteuse fut de ne fermer les avenues du trône qu’aux personnages les plus illustres, les plus dignes d’y prétendre, et de les ouvrir aux aventuriers, et même aux barbares que leur féroce vaillance plaçait alors dans les rangs de l’armée, et faisait souvent parvenir aux premiers grades.

L’exemple des succès de Sapor, le spectacle d’un empereur romain réduit en servitude, et l’indolence de Gallien excitèrent tous les anciens ennemis de Rome à l’attaquer. Les Germains, franchissant les Alpes, poussèrent leurs excursions jusqu’à Ravenne ; les Francs ravagèrent les Gaules ; une autre partie de cette confédération belliqueuse, bravant l’océan sur de frêles vaisseaux, débarqua en Espagne, et prit Tarragone ; les Goths et les Scythes exercèrent d’affreux ravages dans l’Asie-Mineure et dans la Macédoine ; les Quades et les Marcomans se rendirent maîtres de la Dacie, de la Pannonie ; et les Perses de la Syrie.

Les fléaux du ciel se joignirent à ceux de la terre ; une peste affreuse dévastait l’Italie : au milieu de ce désordre, l’empereur, tranquillement occupé de festins, de spectacles, se montrait aux Romains en robe asiatique ; ses cheveux étaient couverts d’une poudre d’or pour imiter la couleur de ceux d’Apollon. On le voyait aux bains publics, accompagné d’une foule de courtisanes éhontées, il en sortait pour consacrer la nuit à des festins, dont le luxe rappelait celui de Vitellius. Insensible aux calamités de l’empire, il recevait avec insouciance les nouvelles les plus désastreuses. Lorsqu’on lui annonça la révolte des Égyptiens : Ne pouvons-nous pas, répondit-il en riant, vivre sans le lin d’Égypte ? Lui parlait-on de la perte de l’Asie : Eh bien, nous nous passerons de soie ; de l’invasion des Scythes : Nous chercherons ailleurs du salpêtre ; de la défection des Gaules : Qu’importe, l’état peut subsister sans les casaques et sans les draps d’Arras.

Cette lâche apathie inspirait non seulement un juste mépris, mais le désir général de trouver, hors de Rome, une force qui pût défendre et sauver l’empire, puisqu’on ne pouvait espérer aucun appui d’un sénat dégradé, d’un peuple esclave et d’un prince corrompu.

Il existait encore dans les camps des hommes habiles, vaillants et fermes, prêts à exposer leur vie, soit pour délivrer leur patrie, soit pour illustrer leur nom, soit enfin pour élever leur fortune. Valérien, éclairé par une longue expérience, avait confié, sur toutes les frontières, le commandement des légions à des chefs vieillis dans les combats ; et, comme le mérite et non la faveur dictait ses choix, presque tous ceux qu’il nomma répondirent à son attente par leurs succès. Mais, sous le faible Gallien, tous ces généraux, indignés des affronts que recevait l’empire, et honteux d’obéir à un chef qui ne savait pas commander, augmentèrent les maux de l’état, en voulant chacun s’emparer du gouvernement pour le sauver du naufrage.

Lorsque personne n’a de droits antiques et reconnus, tout le monde a des prétentions, et chacun des généraux, dont le nom était honoré par quelques victoires, crut pouvoir, sans présomption, aspirer à l’empire. Ainsi, au moment où toutes les provinces étaient envahies par une multitude de peuples barbares, on vit les armées romaines élire, chacune pour empereur, le général qui la commandait. Tous unis pour détrôner Gallien, ils se déchiraient entre eux pour lui succéder. Cette anarchie militaire fit porter le nom de César à trente tyrans, dont la plupart, aussitôt renversés qu’élevés, parurent et s’évanouirent comme des ombres.

Quelques-uns, plus puissants, plus habiles ou plus heureux, tels que Posthumius, Victorin et Tetricus dans les Gaules, Auréole en Illyrie, Odenat et Zénobie en Orient, jouirent plusieurs années de leur puissance, et partagèrent avec le prince qui régnait à Rome un empire que leur courage avait su défendre contre les barbares.

Macrien, dont la trahison avait causé la ruine de Valérien, leva le premier l’étendard de la révolte. Il fut élu empereur par l’armée d’Orient, sans cesse attaquée par les Perses, et qui ne recevait de Rome ni ordres, ni argent, ni renforts. On donna le titré de César à ses deux fils, Macrien et Quiétus.

Macrien, par un succès éclatant, justifia d’abord le choix des troupes ; il livra bataille aux Perses et les défit. Apprenant ensuite que les légions qui se trouvaient en Grèce venaient de donner l’empire à Valens, il marcha contre lui. Pison qui commandait son avant-garde, repoussé dans une première attaque, se retira en Thessalie, et prit aussi le titré d’empereur. Valens le poursuivit, le vainquit, le tua, et fut lui-même ensuite massacré par ses soldats, dont il voulait réprimer la licence.

Macrien enhardi par la mort de ses deux concurrents, forma le dessein de passer en Italie. Laissant l’armée d’Orient sous les ordres de Quiétus, son fils, et de Baliste ; il se rendit en Thrace à la tête de quarante mille hommes, et en chassa les Goths. Continuant sa  route, il entra dans l’Illyrie, mais un obstacle qu’il n’avait pas prévu l’arrêta dans sa marche. Auréole, qui commandait en Illyrie et en Dalmatie, s’était vu forcé par ses légions de recevoir le titre d’empereur. Ce fardeau, plus dangereux que désirable, obligeait celui qui le portait à vaincre ou à périr. Il livra bataille à Macrien, qui fut tué dans le combat, ainsi que son fils. Ce succès rendit Auréole si puissant que Gallien, n’osant le combattre, conclût la paix avec lui.

Dans ce même temps, l’orgueil de Sapor reçut un juste châtiment, et créa dans l’Asie une puissance nouvelle.

Odenat, prince de Palmyre en Syrie, était chef d’une faible tribu d’Arabes nommés Sarrasins ; redoutant le voisinage et la puissance du roi de Perse, il lui envoya des ambassadeurs chargés de lui offrir son hommage et de riches présents. Sapor les reçut avec mépris, joignit la menace à l’insulte, et fit jeter les présents dans la rivière en ordonnant aux députés de dire à leur prince, qu’il devait venir lui-même se prosterner aux pieds de son maître, les mains liées derrière le dos.

Odenat, indigné d’un tel affront, et excité à la vengeance par sa femme Zénobie, princesse habile et fière, également célèbre par son courage, par son esprit et par sa beauté, prend les armes, se déclare roi de Palmyre, lève des troupes, les grossit par de rapides succès, étonne l’ennemi par l’audace de ses entreprises, réunit ses forces à celles des Romains, reprend la Mésopotamie, Nysibe et Carrhes, se voit bientôt à la tête d’une puissante armée, livre bataille au roi de Perse, taille en pièces ses troupes, s’empare de ses femmes, de son trésor, et le poursuit jusqu’à Ctésiphon.

Gallien, heureux d’avoir vaincu sans combattre, nomma Odenat général des armées d’Orient. Le roi de Palmyre parcourut la Perse en conquérant, la livra au pillage, et réduisit en servitude plusieurs satrapes prisonniers qu’il envoya à Rome. L’empereur, pour le récompenser d’avoir fait ce que lui-même aurait dû faire, et trouvant plus doux de partager l’empire que de le défendre, donna au vainqueur le titre de César, et accorda celui d’Auguste à Zénobie et à ses enfants. Cette faiblesse pouvait s’excuser en l’attribuant à la reconnaissance ; mais il acheva de se couvrir d’opprobre et de ridicule, en triomphant lui-même publiquement des Perses qu’un autre avait vaincus.

Un méprisable bouffon troubla, par une sanglante raillerie, ce triomphe indécent et puéril. Voyant une foule d’esclaves, achetés dans différents pays pour jouer dans cette cérémonie le rôle de captifs, il courut dans leurs rangs, demandant à haute voix s’il ne pourrait pas trouver parmi eux l’empereur Valérien.

Odenat, poursuivant ses succès, soutenait dignement le rang où l’avait élevé son courage : il combattit, défit et tua Quiétus, fils de Macrien, ainsi que Baliste, qui tous deux venaient d’usurper le titre d’empereur. L’Orient pacifié reconnaissait les lois d’Odenat ; une lâche trahison termina sa gloire et sa vie. Méon, son neveu, jaloux des préférences et du pouvoir qu’il accordait à son fils Hérode, sur ses autres enfants et sur toute sa famille, forma une conspiration contre lui, l’assassina, poignarda aussi Hérode, et périt lui-même sous les coups de ses complices, au moment où il venait de prendre audacieusement la couronne.

Zénobie seule fut reconnue par les troupes, par les grands et par les peuples d’Asie, digne de l’empire. Dirigeant son époux par ses conseils, elle l’avait secondé dans les combats. On admirait également ses charmes, sa fierté, ses vertus, son audace. On trouvait en elle la douceur d’une femme et le courage d’un homme. Son mérite personnel suffisait pour inspirer la vénération ; mais le vulgaire y joignait celle qu’attire une antique et illustre origine : on la croyait issue, par ses  aïeux paternels, de Sémiramis, et, par sa mère, de Cléopâtre. Gallien, beaucoup moins digne qu’elle du trône, dédaigna de l’admettre au partage de l’empire : il envoya des troupes et des généraux contre elle ; ils furent vaincus, et Zénobie jouit de sa puissance et de sa gloire jusqu’au règne d’Aurélien.

Toutes les parties de l’empire se trouvaient tellement disposées à la révolte contre un chef méprisable que souvent la plus légère étincelle, suffisait pour faire éclater le feu de la sédition. Une rixe entre un esclave et un soldat, dans la ville d’Alexandrie, excita du tumulte : les troupes et les citoyens y prirent part ; l’autorité civile voulait réprimer ce désordre ; les légions se mutinèrent, et proclamèrent empereur Émilien leur commandant. Mais Théodat, envoyé par Gallien contre lui, le prit et le jeta dans une prison où il mourut.

L’Afrique avait aussi nommé un César ; Celsus, général estimé, soutenait son nouveau titre avec sagesse et courage ; mais Galliéna, parente de l’empereur, et qui se trouvait alors à Carthage, paya des assassins qui le poignardèrent.

Trébellianus s’était révolté et couronné dans l’Asie-Mineure. Les troupes de Gallien le défirent et le tuèrent.

Censorin, consul, tenta la même fortune, et éprouva le même sort.

Une insurrection plus effrayante éclata peu après en Mœsie : les légions, qui défendaient cette province, portèrent à l’empire Latius Ingenuus : ce concurrent parut assez redoutable à Gallien pour le forcer à sortir de son indolence, et à marcher en personne ontre lui. Arrivé dans son camp, il parut retrouver son ancien courage, livra bataille, remporta la victoire, poursuivit Ingenuus, le prit et l’envoya à la mort. La générosité est une vertu trop élevée pour trouver placé dans une âme basse et lâche. Gallien ne fit grâce à personne ; habitants et soldats, tout fut exterminé. Trébellius Pollion nous a conservé l’ordre infâme que ce prince envoyait à Verrianus, son lieutenant : Vous ne remplirez pas mes intentions, disait-il, si vous ne faites subir la mort qu’à ceux qui portent les armes ; il faudrait massacrer tous les mâles dans cette contrée rebelle ; si l’on pouvait ôter la vie aux vieillards et aux enfants, sans encourir trop de blâme. Je vous ordonne d’envoyer au supplice quiconque a mal parlé de moi ; tuez, déchirez, mettez en pièces ces misérables ; conformez vos sentiments aux miens que vous fait connaître cette lettre écrite de ma main.

Cette vengeance atroce révolta la province et les troupes ; elles proclamèrent empereur Régilianus, Dace d’origine, et descendant du roi Décébale. Le nouveau César, après avoir forcé Gallien à la retraite, combattit les Sarmates avec succès ; mais, peu de temps après, attiré dans une embuscade par les Roxolans, il y périt.

Jusqu’alors, Posthumius, un des plus généraux de Valérien, avait maintenu la tranquillité dans les Gaules. Gallien lui envoya son fils Salonin, sous le prétexte de lui faire apprendre l’art militaire sous un si bon chef ; mais dans le dessein réel d’épier et de perdre un général dont il était jaloux. Le jeune prince, orgueilleux, cruel et débauché comme son père, blessa la fierté des Gaulois ; ils l’assassinèrent. Posthumius, proclamé, empereur par les suffrages unanimes de la Gaule et de la Bretagne, remporta de si nombreuses et de si brillantes victoires sur les Francs et sur les Germains, qu’il reçut et mérita le surnom d’Hercule Gaulois. Sans lui, sans Odenat et sans Zénobie, l’empire romain aurait dès lors été détruit.

Cette époque, comme tous les temps d’orages et de calamités politiques, produisit et développa de grands caractères. Ils seraient aujourd’hui plus honorés, si ce siècle, fécond en hommes courageux et en grands capitaines, n’eût pas été stérile en historiens.

Gallien porta ses armes contre Posthumius qui venait de s’associer Victorin. Cette guerre ne fut marquée par aucune action importante. L’empereur, ennuyé des camps, fatigué de ses faibles efforts, et vain de quelques légers succès, rentra dans Rome en triomphe. L’inconstance des Gaulois vengea bientôt Gallien du rival qu’il n’avait pu vaincre. Ils assassinèrent Posthumius avec son fils, et donnèrent la pourpre impérial à Lollianus. Victorin, qui lui disputait l’empire, tomba sous le poignard d’un Gaulois dont il avait outragé la femme. Victorine, sa veuve, défendit courageusement son autorité ; mais, la mort lui ayant enlevé ses petits-fils, elle fit élire Tetricus, sénateur romain, qui signala son règne par plusieurs victoires sur les barbares. Il soumit toute la Gaule à sa puissance. On vit encore trois autres usurpateurs, Cyriade, Saturnin et un forgeron nommé Marius, se revêtir audacieusement de la pourpre impériale qu’ils ne portèrent que peu de jours.

Le méprisable Gallien devenait de plus en plus odieux aux Romains. Héraclien et Marcien conspirèrent enfin contre lui, et profitèrent, pour exécuter leur dessein, d’une invasion qu’Auréole faisait alors en Italie. Après avoir pris Milan, Auréole se disposait à marcher contre Rome ; Gallien, forcé de sortir de sa stupeur, s’avança, contre lui, le contraignit à la retraite, et l’enferma dans Milan qu’il investit. Pendant le siège, les conjurés, après s’être concertés secrètement avec Auréole se rendent le soir à la table de Gallien. Au milieu du repas, Cécrops, un de leurs complices, accourt, et prévient l’empereur qu’Auréole veut faire pendant la nuit une sortie, dans le dessein de le surprendre et de l’enlever. Gallien, dont la colère seule enflammait le courage, sort précipitamment de sa tente, monte à cheval et fait sonner l’alarme. Cécrops, profitant du tumulte et de l’obscurité, s’approche et lui enfonce son poignard dans le flanc. Gallien son fils, et Valérien son frère, dont on estimait les vertus, payèrent de leur tête le malheur d’être liés par le sang à un monstre.

Gallien mourut à l’âge de cinquante-cinq ans, il en avait régné neuf. En terminant sa honteuse vie, il laissa l’empire démembré ; l’Orient sous le joug de Zénobie, l’Illyrie gouvernée par Auréole, les Gaules et l’Occident sous la domination de Tetricus et de Victorine ; la Thrace, la Macédoine, une partie de l’Asie-Mineure en proie à la fureur des Goths et des Scythes, et Rome dans l’anarchie et dans la terreur, attendant en silence le maître que devaient lui donner la volonté des soldats et les caprices de la fortune.