HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE VINGT HUITIÈME

 

 

VALÉRIEN (An de Rome 1004. — De Jésus-Christ 251)

VALÉRIEN arrivait à l’empire précédé par une grande renommée. Jamais le choix des légions ne fut confirmé par une approbation plus éclatante, par un consentement plus unanime : on croyait, en l’élevant au trône, voir rentrer dans Rome toutes les antiques vertus. Il avait atteint l’âge de soixante-dix ans sans qu’aucune faiblesse ternît sa réputation : fidèle aux lois dans un temps de licence, aux bonnes mœurs dans un siècle corrompu, modeste dans la victoire, intrépide dans les revers, franc et courageux au milieu d’un sénat flatteur et timide, on l’avait vu chéri par les bons princes et craint par les tyrans.

Il rendit à la justice sa force, aux patriciens leur considération, aux peuples leur repos, et on regardait son palais comme le sanctuaire de la piété, l’asile de la justice et l’école de la sagesse.

Les chrétiens seuls ne jouirent pas des bienfaits d’un règne si doux. Valérien attaché invariablement aux principes, aux lois, aux institutions, aux mœurs des anciens temps, voulait rendre à l’antique culte son lustre et sa puissance. Ennemi des nouveaux dogmes, persuadé par les augures et par les magiciens d’Égypte, qu’il ne pouvait fonder la prospérité de l’empire et la sienne que sur la ruine du christianisme, il persécuta cruellement les chrétiens. Saint Cyprien, qui écrivit l’histoire de leurs malheurs, périt lui-même à Carthage. Trois cents martyrs, jetés à Massa-Candida dans une fosse de chaux bouillante, Xistus, Quartus, saint Laurent, Priscus, Marcus et Alexandre perdirent la vie dans des tourments affreux. Leur sang  cimenta l’opinion qu’on voulait comprimer ; l’injustice et la violence minent le parti qui les emploie, et fortifie celui qui leur résiste.

Bientôt l’empire se vit de nouveau attaqué dans l’Orient par les Perses, au Nord par des essaims de barbares. Valérien, malgré son âge, prit les armes, repoussa les Goths, vainquit les Sarmates, les Scythes, les Roxolans, et marcha ensuite contre les Perses. Mais la vieillesse et la fatigue avaient affaibli son corps et son esprit ; ses moyens ne répondaient plus à son courage ; il parut incertain dans ses plans, lent dans leur exécution. Sa voix ne savait plus commander, son bras ne pouvait plus combattre. Il livra une bataille aux Perses et la perdit. Découragé par ce revers, il voulut négocier, demanda une conférence à Sapor ; et, trahi par Macrien, un des généraux  qu’il estimait le plus, il se rendit sans précautions au lieu fixé pour l’entrevue ; et tomba dans le piége que lui tendait son ennemi. Sapor, violant le droit des gens, le fit prisonnier et abusant indignement d’un avantage qu’il ne devait qu’à la perfidie, il vengea, avec excès, sur ce malheureux empereur, les affronts tant de fois prodigués par Rome aux princes et aux captifs. Il se faisait suivre en tous lieux par l’infortuné Valérien, chargé de chaînes et revêtu de la pourpre impériale et, lorsqu’il montait à cheval ou sur un char, il forçait ce vieillard vénérable à se coucher par terre et à lui servir de marchepied, se vantant de donner ainsi au monde le spectacle d’un triomphe réel, et supérieur à tous ceux de Rome n’étalait depuis longtemps que de pompeuses décorations et de vaines images.

Valérien languit dans cette servitude pendant sept années. Lorsqu’il eut atteint l’âge de quatre-vingt-trois ans la mort finit ses misères ; mais elle ne fut point le terme des outrages de Sapor. Ce prince barbare fit enlever la peau de Valérien, ordonna qu’on la remplît de paille pour qu’elle conservât une forme humaine ; et suspendit dans un temple ce honteux trophée, revêtu des ornements impériaux. Il le montrait avec insolence aux Romains que le sort amenait dans ses états ; tel est l’aveuglement de la vengeance ; Sapor crut couvrir Rome d’une honte éternelle, et ne flétrit que sa propre gloire.