HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE VINGT QUATRIÈME

 

 

PHILIPPE (An de Rome 996. — De Jésus-Christ 243)

PHILIPPE recueillit le fruit de son crime. Proclamé empereur par les légions, il en informa le sénat, et lui écrivit que Gordien, était mort subitement : taire l’assassinat, c’était presque s’en avouer l’auteur.

Le sénat, qui malgré sa faiblesse, n’avait pu supporter l’humiliation d’obéir aux lois d’un Goth, refusa d’abord de confirmer l’élection d’un Arabe. Il élut empereurs Marcinus et Valens Hostilianus ; mais à peine nommés, ils moururent, et le sénat, vaincu par la crainte, reconnut Philippe et lui décerna le titre d’Auguste.

Philippe, âgé de quarante ans, né en Arabie, fils d’un chef de voleurs, enrôlé dans sa jeunesse par les Romains, monta de grade en grade au commandement de l’armée par sa valeur, parvint au trône par ses crimes, et le perdit, ainsi que la vie, par ses cruautés. Il s’associa son fils qui n’avait que sept ans, et, comme il craignait que la continuation de la guerre ne l’empêchât d’employer ses troupes à consolider son pouvoir, il acheta honteusement la paix des Perses, et leur céda la Mésopotamie avec une partie de la Syrie. Pressé de jouir de son élévation dans le pays qui l’avait vu naître, il resta quelque temps en Arabie, fonda la ville de Philippopolis, et partit ensuite pour l’Italie.

Rome, consternée, le reçut avec les honneurs que la servitude était contrainte de rendre à la force, et le peuple ne montra son indignation que par son silence. La terreur ne put lui arracher d’applaudissements pour un brigand couronné, qui venait de conclure une paix honteuse.

Philippe fit vainement de grandes largesses, célébra les grands jeux séculaires, et donna aux Romains le spectacle d’un courbât où deux mille gladiateurs s’entretuèrent. Il reconnut bientôt que Rome, privée de vertus, avait encore besoin de gloire ; et qu’il ne pourrait faire oublier la bassesse de son origine, et les crimes de son élévation qu’en rendant aux armes romaines leur éclat. Il assembla ses troupes, menaça les Perses, et les contraignit, en les effrayant, à lui rendre sans combattre ce qu’il leur avait cédé. Plusieurs historiens prétendent que Philippe, tourmenté par ses remords, et converti par Origène, se fit chrétien ainsi que sa femme Sévera. Eusèbe et saint Jérôme assurent que Babylas, évêque d’Antioche, lui refusa l’entrée de l’église, exigeant, avant de l’y recevoir, qu’il confessât tous ses crimes. Dans ces temps corrompus, où la liberté avait perdu jusqu’au souvenir de sa force, la foi chrétienne montrait seule du courage. Philippe jouit peu de temps de son pouvoir et de la paix. Apprenant que les Goths recommençaient  leurs  ravages dans la Thrace, il envoya contre eux une armée commandée par Marinas. Ce général après avoir repoussé l’ennemi, excita une révolte dans les légions, qui le nommèrent empereur.

Philipe, effrayé, convoqua le sénat, et se plaignit vivement de l’ingratitude d’un homme qu’il avait élevé aux premiers emplois et revêtu de sa confiance. Les regards et le silence des sénateurs lui prouvèrent que la perfidie de Marinus ne produisait d’autre effet que de rappeler la sienne.

L’empereur, manquant de fermeté comme de vertu, offrit alors d’abdiquer, mais un des sénateurs, Decius, prenant la parole le rassura et lui prédit la prompte chute d’un rebelle peu redoutable par son caractère et par ses talents. On appris bientôt en effet que l’armée d’Illyrie, détruisant son propre ouvrage, venait de tuer Marinus. Cet événement aurait dû inspirer à Philippe quelque défiance d’un homme qui connaissait si bien les dispositions de l’armée; mais ce prince, au contraire, aveuglé par sa joie, se livra entièrement à Decius, lui donna le commandement de l’armée, augmenta le nombre de ses troupes et lui accorda tout l’argent qu’il désirait.

Decius s’était acquis une grande considération par son habileté militaire. Dès qu’il arriva en Mœsie, l’armée le proclama empereur. Comme il voulait gagner du temps et affermir son nouveau pouvoir, il écrivit à l’empereur que, cédant à la violence, il lui restait toujours fidèle, et qu’il viendrait bientôt le rejoindre pour abdiquer en sa présence.

Philippe ne le crut point et partit pour le combattre; mais, comme dans sa fureur il précipitait sa marche, accablait ses troupes de fatigue, ne leur laissait pas de relâche, et punissait de mort la plus légère faute, son armée, arrivée à Vérone, se révolta et reconnut Decius. Philippe s’efforça vainement de réprimer cette rébellion. Un soldat furieux se jeta sur lui, et lui fendit la tête en deux d’un coup de sabre. Un assassinat lui avait donné la couronne, un assassin la lui enleva. Les neuf meurtriers qui avaient trempé leurs mains dans le sang de Gordien subirent un juste châtiment : on les contraignit de se tuer avec les mêmes épées dont ils avaient frappé ce jeune prince.

Philippe périt l’année de Rome 1000, de Jésus-Christ 247.