HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE VINGT DEUXIÈME

 

 

MAXIMIN, LES DEUX GORDIEN, PUPIEN, BALBIN, LE JEUNE GORDIEN (An de Rome 986. — De Jésus-Christ 233)

SÉVÈRE ne laissait pas d’enfants. Après quelques jours de tumulte et de débats l’armée, élut pour empereur Maximin, qui, sans attendre les décrets du sénat et du peuple, nomma César son fils Maxime. Le père du nouvel empereur, né parmi les Goths s’appelait Micca ; sa mère Ababa reçut le jour dans le pays des Alains ; ainsi, des deux côtés, sn origine était barbare.

Jules Maximin, représenté par les historiens comme un cyclope, en avait les formes gigantesques et la férocité. On prétend que sa taille était de huit pieds, que les bracelets de sa femme lui servaient de bagues, qu’il mangeait dans un jour quarante livres de viande, que d’un seul coup de poing il faisait sauter les dents d’un cheval, et qu’on le vit plusieurs fois traîner seul un chariot chargé. Les récits des écrivains de son temps ressemblent aux contes des ogres. Ce qui est certain, c’est que ce barbare, qui se comparait à Hercule, se vantait lui-même d’égaler Milon en force, Ajax en vaillance, Phalaris en cruauté. Enrôlé dans les troupes romaines, il remporta tous les prix militaires, et obtint la main de Memmia, descendante de Catulus et fille de Sulpicius personnage consulaire. Septime Sévère, qui avait, remarqué son courage, le plaça dans sa garde. Devenu centurion et favori de Caracalla, il demeura fidèle à sa mémoire, refusa de servir sous Macrin, et se retira en Thrace, lieu de sa naissance. Héliogabale le rappela, l’admis dans sa honteuse intimité et le nomma tribun. Alexandre, le croyant moins déplacé dans un camp qu’à la cour, le recommanda au sénat, et lui donna le commandement de la quatrième légion.

Dès que Maximin fut parvenu à l’empire, on vit promptement qu’il ne voulait régner que par la terreur. Il tua, bannit ou destitua tous les amis d’Alexandre. La persécution contre les chrétiens recommença ; et, si l’on en croit Origène, la plupart des évêques périrent victimes de ses fureurs. En détestant les vices de ce monstre, on doit rendre justice à ses talents militaires. Toujours armé et presque toujours heureux, il délivra l’empire de ses ennemis, recula ses frontières, poursuivit les barbares jusqu’au fond de leurs forêts, dévastant tout sur son passage comme un torrent. Il menaçait les Germains d’une ruine totale, et se flattait de porter ses conquêtes jusqu’à la mer du Nord. Dans ses lettres au sénat il se vantait d’avoir surpassé les exploits des plus célèbres conquérants ; mais la nécessité de défendre son pouvoir usurpé, qu’on attaquait de toutes parts, le força bientôt de s’arrêter dans ses triomphes.

Magnus, soutenu par quelques amis d’Alexandre, conspira contre lui, et forma le dessein de rompre un pont sur lequel ce tyran devait passer. Quelques traîtres découvrirent le complot ; quatre mille victimes suffirent à peine à la vengeance de Maximin. Plusieurs légions, s’étant soulevées, proclamèrent empereur Quartianus ; mais Macédonus, un des chefs de la conjuration, trahit ses complices, tua le nouveau César, et, porta sa tête à Maximin.

Le tyran, d’autant plus cruel que son pouvoir était plus incertain, voyait avec indignation que le sénat, obéissant à regret à un barbare, refusait de légaliser son usurpation. Ses agents à Rome reçurent une liste de proscription qui condamnait à mort les plus illustres personnages. Le sang coulait, la terreur régnait dans la capitale, et les ombres de Marius et de Sylla semblaient sortir de leurs tombeaux pour se repaître encore de supplices.

Maximin voulut exercer de semblables cruautés en Afrique ; mais la plus grande partie des légions, loin d’obéir, levèrent l’étendard de la révolte, et donnèrent le titre d’empereur au sénateur Gordien, âgé de quatre-vingts ans. Ce vieillard dont la couronne n’orna que le tombeau fit parvenir à Rome une proclamation, dans laquelle il protestait qu’exempt d’ambition ; il ne s’était rendu aux vœux de l’armée que pour délivrer Rome d’un monstre.

A cette nouvelle, le sénat, sortant de sa stupeur, confirma le choix de l’armée, et déclara Maximin, ainsi que son fils, traîtres à la patrie et déchus de leur grandeur usurpée.

Le peuple, encouragé par cet exemple, s’arme en tumulte, triomphe de la résistance des prétoriens, tue le préfet du prétoire et massacre le gouverneur de Rome nommé par le tyran. Le sénat donna le titre de César au fils de Gordien, et défendit aux provinces et aux légions d’obéir aux ordres de l’usurpateur.

Lorsque Maximin fut informé de ces événements, il hurla comme une bête féroce, se frappa la tête contre les murailles rassembla promptement ses troupes, crut les attacher à sa cause par d’immenses largesses, leur promit la ruine et le pillage de Rome ; quitta la Pannonie et dirigea son armée contre l’Italie ; mais le grand nombre de ses soldats et le défaut de vivres rendirent sa marche difficile et lente.

Cependant Capellianus, auquel il avait confié le gouvernement de Numidie, et qui maintenait dans l’obéissance un corps de vieilles troupes, attaqua, près de Carthage, le jeune Gordien qui ne commandait que des soldats nouvellement levés.

Gordien combattit avec vaillance ; mais, abandonné par son armée, il fût vaincu et périt sur le champ de bataille. Son père, ne pouvant le venger ; et ne voulant pas lui survivre, s’étrangla avec sa ceinture. Capellianus mit à mort tous leurs partisans, pilla les temples, dévasta les villes, ravagea les champs, et surpassa les fureurs des monstres de l’Afrique et même celles de son maître.

Ce désastre consterna Rome, mais n’abattit point la fermeté que le désespoir inspirait alors au sénat. Les plus timides prennent du courage lorsque la faiblesse n’offre plus d’espérance. Les sénateurs s’assemblèrent dans le temple de Jupiter, et, après de courts débats, ils élurent pour empereur Maximus Pupienius et Claudius Balbinus. Le premier fils d’un serrurier, parvenu par son mérite et par sa bravoure aux plus hautes dignités de l’état, avait été successivement gouverneur de Bithynie, de Grèce, des Gaules, préfet de Rome et consul. Il s’attirait le respect par ses mœurs pures, par sa grave fermeté, et se conciliait l’opinion publique par sa douceur.

Balbin, issu, d’une famille illustre, deux fois consul, gouverneur intègre de province, s’était fait estimer par sa justice. Éloquent orateur, poète élégant, il était plus propre à l’administration qu’aux combats.

Le peuple, dont le temps, l’esclavage et la tyrannie n’avaient pas affaibli la vieille haine contre des grands, refusa de souscrire au choix du sénat. Chaque parti soutint ses prétentions avec les armes. Après plusieurs jours de sédition et de combats, le peuple promit d’obéir aux empereurs s’ils voulaient partager leur pouvoir avec un enfant de la famille de Gordien, âgé alors de douze ans. Les empereurs y consentirent, lui donnèrent titre de César, et établirent la paix par cette condescendance.

Pupienus, sans perdre de temps, rassembla toutes les troupes qui se trouvaient en Italie, et se mit à leur tête pour combattre Maximin. Celui-ci, furieux, précipitait sa marche, impatient de franchir les Alpes ; mais l’active prévoyance du sénat avait défendu les passages, approvisionné les places, et enlevé de la campagne tous les grains et tous les bestiaux.

L’armée de Maximin, épuisée de fatigue, murmure en trouvant la disette où elle espérait l’abondance. Son chef, pour l’apaiser, attaque de vive force Aquilée, défendue par les consulaires Crispinus et Ménophile. Les assiégés soutiennent intrépidement l’assaut, écrasent les assiégeants en leur lançant des traits, des pierres, des poutres embrasées, et les découragent tellement qu’ils ne veulent plus s’approcher des remparts.

Dans le même temps, l’imprudence de deux sénateurs excitait dans Rome un nouveau tumulte. Les prétoriens, impatients de savoir des nouvelles de l’armée, s’étant approchés en grand nombre de la salle où le sénat était rassemblé, Gallican et Mécène, qui soupçonnaient leur fidélité quittent la séance, injurient ces soldats, les écartent, les accusent d’espionnage. La multitude, toujours crédule pour toute accusation, se jette sur les prétoriens et les poursuit jusqu’à leur camp. Les cohortes furieuses en sortent ; repoussent à leur tour le peuple et mettent le feu à la ville. Comme cette sédition était fortuite et n’avait point de chef, l’empereur Balbin parvint facilement à la calmer.

Le mécontentement de l’armée de Maximin, plus durable parce qu’il était causé par la famine, s’augmentait à la nouvelle de l’approche de Pupienus. Maximin crut ramener l’ordre par la crainte, mais sa cruauté soulevait toutes ses légions ; on méprisa ses ordres, on déchira ses images ; et, lorsqu’il voulut imposer aux rebelles, les soldats furieux se précipitèrent sur lui, le massacrèrent ainsi que son fils, et envoyèrent leurs têtes à Rome. Lorsque le courrier expédié par l’armée pour informer le sénat de la mort de Maximin entra Rome, le peuple était assemblé au théâtre ; la joie fut universelle ; chacun, en se voyant délivré de ce tyran, se croyait échappé à la mort : on brûla dans le Champ-de-Mars la tête du monstre qui en avait tant fait tomber ; l’encens fuma dans tous les temples, le calme rentra dans tous les cœurs, et la paix parut rétablie dans l’empire. Mais la vanité est presque toujours inséparable de la faiblesse : le sénat, depuis si longtemps dominé par l’armée, se vantait imprudemment d’avoir élu, sans son consentement, les deux empereurs Pupien et Balbin. Cette jactance irrita les prétoriens, ils haïssaient dans ces deux princes la tempérance, la justice et la modération qui leur avaient mérité les suffrages du sénat. Les soldats, amis de la licence, ne pourraient supporter des chefs qui voulaient rétablir l’ancienne discipline. Les deux empereurs auraient dû rester unis pour leur résister ; la jalousie du pouvoir les divisa. Ils prétendaient tous deux à la supériorité ; Pupien par son mérite, et Balbin par sa naissance. Cette mésintelligence augmentait la force de leurs ennemis. Cependant, comme ils apprirent que les frontières de l’empire étaient menacées par les Perses et par les Germains, ils parurent se rapprocher, et convinrent de marcher, l’un en Orient et l’autre en Germanie.

Leurs troupes s’éloignèrent de Rome et, avant, de les rejoindre, ils voulurent célébrer les jeux capitolins. Les deux empereurs, après le départ des armées, se trouvaient presque seuls, chacun dans son palais, et n’avaient, pour toute défense que leurs esclaves. La haine des prétoriens profite de cet isolement ; ils se soulèvent contre les princes. Pupien, averti à tant de leur complot, conjure son collègue de rappeler l’armée du Rhin qui était encore peu éloignée de Rome. la jalousie de est défiante ; Balbin hésite à suivre ce conseil ; les séditieux investissent le palais, outragent les empereurs et veulent les entraînés dans leur camp ; mais avertis qu’on envoyait l’ordre aux troupes du Rhin de revenir, ils se hâtent de consommer leur crime, massacrent les deux empereurs, proclament le jeune Gordien Auguste, et apaisent le mécontentement du peuple, en lui rappelant que ce jeune prince devait le trône à ses suffrages, tandis que Pupien et Balbin, rejetés d’abord par lui, ne devaient leur élévation qu’à l’orgueil et au caprice du sénat.