HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE VINGT ET UNIÈME

 

 

ALEXANDRE-SÉVÈRE (An de Rome 975. — De Jésus-Christ 222)

LE génie de Rome, pour retarder sa décadence, faisait sortir de temps en temps de ses ruines quelques princes vertueux qui rappelaient les anciennes mœurs rétablissaient l’ordre et la justice, opposaient une digue au torrent de la corruption, et rendaient à l’empire quelques instants de jeunesse et de vigueur. Alexandre Sévère fut de ce nombre, et son règne fit jouir les Romains de dix années de paix et de bonheur. Les prétoriens le proclamèrent Auguste et empereur au moment où Héliogabale venait d’expirer. Le sénat confirma leur choix et lui décerna les titres de père de la patrie et de tribun. Comme il n’était alors âgé que de quinze ans, son aïeule Mœsa et sa mère Mammée gouvernèrent en son nom. Elles lui formèrent un conseil de seize sénateurs estimés, lui donnèrent pour ministres, Fabius Sabinus que ses vertus faisaient comparer à Caton, et Ulpien, préfet du prétoire, célèbre jurisconsulte, dont on révérait l’expérience et les vertus.

Mœsa, austère, habile, courageuse, imprimait dans l’âme du jeune empereur les principes mâles qui font les grands rois. Mammée, indulgente, spirituelle, bienfaisante, sensible, lui inspira les douces vertus de la religion chrétienne qu’elle professait. La nature avait disposé Alexandre à profiter d’une si heureuse éducation. Son esprit était juste, son cœur humain, son caractère moleste ; détestant le faste des cours, il voulait que son trôné ne fût orné que par ses vertus, et il ne faisait consister son ambition qu’à rendre le peuple heureux.

Ce jeune prince, méprisant les titres orgueilleux que tant de vils tyrans avaient pris pour décorer leur bassesse, défendit par un décret, qu’on le nommât seigneur. Il voulait que les prêtres l’appelassent, leur frère ; les sénateurs, leur fils ; les guerriers, leur compagnon ; les citoyens, leur ami. Vêtu d’une robe blanche, sans or ni pierreries, ennemi du luxe, il marchait dans Rome sans gardes, se mêlait familièrement avec les citoyens, s’entretenait avec tous ceux dont il estimait le caractère, et ne montrait de fierté qu’aux hommes dont les vices excitaient son mépris.

Son premier soin fut de purifier le palais souillé par les extravagantes orgies d’Héliogabale. Il en exila les histrions, les prostituées, les délateurs, les hommes cupides, et surtout les flatteurs, race perfide, si pernicieuse aux princes, qui créa partout tant de tyrans et d’esclaves, et qu’il regardait comme plus dangereux pour lui que les ennemis de l’empire. Les uns, disait-il, ne pourraient me prendre que quelques terres ; les autres peuvent me faire perdre mes vertus et ma renommée.

Pour effacer les vestiges de la dissolution du règne précédent, il punit les concussionnaires, écarta des emplois tous les hommes sans mœurs, écouta l’opinion publique pour le choix des magistrats, soumit au sénat la décision des affaires les plus importantes, et se fit assister, pour rendre la justice, par les jurisconsultes les plus éclairés.

La dépravation publique avait été portée à un tel point que, pendant la vie d’Héliogabale, les courtisanes étaient venues insolemment demander au sénat la permission de changer leurs maisons en palais magnifiques, puisque l’empereur, les autorisant par son exemple, transformait son palais en lieu de débauche. Tous les temples avaient été pillés, le trésor livré aux eunuques et aux esclaves, les fortunes des particuliers et le sang de l’innocence vendus à l’encart. Alexandre renvoya en Syrie le dieu Élagabale avec ses prêtres, rendit aux autels leurs cultes et leurs dieux, rétablit l’ordre dans les finances, et répara les édifices publics.

Des lois douces rappelèrent les exilés et restituèrent les biens confisqués ; des lois rigoureuses prononcèrent de fortes peines contre l’adultère, la prostitution, la prévarication : mais l’empereur donna l’ordre en secret de n’exécuté promptement et strictement que les premières. Les lois rigoureuses, disait-il, doivent plus servir à effrayer qu’à punir.

Alexandre n’était pas chrétien, mais il aimait la morale du christianisme, et avait fait écrire en lettres d’or, dans plusieurs endroits de son palais, cette maxime de l’Évangile : Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit. Elle fut toujours la règle de sa conduite ; il défendit toute persécution contre les chrétiens, et les protégea ouvertement. On prétend même qu’il voulait proposer au sénat d’ériger un temple à Jésus-Christ, et de le placer au rang des dieux ; mais les prêtres des idoles l’en dissuadèrent : Ce culte, dirent-ils, est exclusif, incompatible avec tout autre ; si vous lui accordez un temple, les nôtres seront déserts. En entrant dans la chapelle du palais, un mélange d’images, plus philosophique que pieux, prouvait la tolérance du prince. On y trouvait les portraits ou les statues d’Abraham, d’Orphée, d’Alexandre le Grand, de Jésus-Christ et d’Apollonius de Tyane : il leur offrait à tous des sacrifices, considérant comme divin tout ce qui le frappait par un caractère de grandeur et de sagesse.

La vie active de Sévère était régulière et toujours utilement employée. Il consacrait la matinée aux affaires, lisait ensuite les ouvrages des philosophes grecs, ceux de Cicéron et d’Horace, et les vers de Virgile qu’il appelait le Platon des poètes. Conformément aux anciennes coutumes, il fortifiait ensuite son corps par les exercices du Champ-de-Mars, dans lesquels il montrait beaucoup d’adresse. Rentré dans son palais, il prenait les pinceaux ou la lyre, et l’on dit qu’il cultivait avec succès les beaux-arts. Après les séances du sénat ou celles des tribunaux qu’il suivait avec exactitude, il faisait un repas modeste, entouré de quelques amis, dont les vertus et non la complaisance avaient mérité sa faveur. Il aimait à entendre d’eux et à leur dire la vérité ; et, loin de faire venir un de ses prédécesseurs, des bouffons, des danseurs et des pantomimes pour égayer le festin, il invitait à sa table des savants, des artistes, des littérateurs, dont l’entretien et les écrits l’éclairait en l’amusant ; car, même dans ses plaisirs il cherchait toujours un but utile.

Passionné pour la justice, il se montra peut-être trop sévère pour les courtisans qui, profitant de l’apparence de la faveur et de l’intimité, abusaient les solliciteurs par de fausses promesses, et vendaient un crédit qu’ils n’avaient pas. On lui prouva que Vétronius Turinus, qu’il admettait à ses lectures, vendait à des dupes des places et des emplois, à la nomination desquels il se vantait faussement de contribuer. Il le  condamna à être attaché à un poteau, autour duquel on brûla du foin et du bois vert le malheureux fut bientôt suffoqué ; et pendant son supplice, un,héraut criait : La fumée punit le vendeur de fumée. Un Romain ne pouvait être tout à fait exempt de cruauté ; puisque le plus doux des empereurs punit de mort une bassesse qui ne méritait que l’exil et le méprisa.

La vénalité des charges lui paraissait sans doute un crime ; aussi disait-il souvent : Celui qui permet d’acheter des emplois vend la justice. Tout ce qui pouvait offenser l’équité, ou nuire à la chose publique encourait son animadversion. Son palais, ouvert à tous les citoyens, offrait à leurs regards cette inscription sévère : On n’entre ici qu’avec un cœur et des mains pures.

Arabinus, magistrat, prévaricateur et destitué, osa se présenter un jour devant lui : Cet homme me croit donc aveugle, dit l’empereur, et il le chassa honteusement. Ce prince, si rigoureux contre les délits publics, poussait peut-être trop loin la clémence, lorsqu’on n’offensait que lui. Le sénateur Camille, fier d’une illustre naissance qui n’est qu’un fardeau quand elle n’est pas soutenue par le mérite, aspira présomptueusement au trône et forma une conspiration contre Alexandre. Les conjurés avaient tout avoué, les preuves étaient évidentes ; le conseil pressait l’empereur de condamner le coupable ; ce prince, au lieu d’y consentir, prit la résolution singulière et neuve de punir cet ambitieux par le poids même de la couronne qu’il ambitionnait. Il savait que Camille, élevé dans la mollesse, livré aux femmes, énervé par les plaisirs, était incapable de soutenir l’application et la fatigue : il le nomma César, l’associa à l’empire ; l’occupa jour et nuit, le fit marcher à la suite dans une expédition contre les barbares, et fatigua tellement son corps et son esprit, que l’insensé, reconnaissant son erreur, demanda pour toute grâce, le repos et la retraite.

La paix régnait depuis dix ans ; Rome et les provinces jouissaient d’un long calme sous le règne en d’un prince juste, économe, libéral, qui remplissait le trésor en soulageant le peuple, se montrait accessible à toutes les plaintes, redressait tous les torts, punissait le vice, récompensait la vertu, plaçait le mérite et répandait partout les lumières dont il aimait à s’entourer. Mais une grande révolution dans l’Orient, troubla, malgré les efforts de Sévère, cette tranquillité passagère.

Le royaume des Parthes, fondé par Arsace, dans le temps de la première guerre punique, sur les débris de l’empire d’Alexandre le Grand, venait de tomber, après quatre cent soixante-six ans de grandeur et de puissance. Sa gloire ne brilla jamais avec plus d’éclat qu’à l’époque qui précéda sa chute. Artaban avait vaincu Macrin, mis en fuite son armée, reconquis la Mésopotamie, et forcé Rome à lui payer un tribut ; mais il eut des triomphes plus dangereux que des revers. La victoire sanglante des Parthes leur avait coûté les trois quarts de leurs soldats ; le reste couvert de blessures et épuisé par la fatigue, n’était plus capable de contenir l’humeur turbulente des peuples tributaires qui supportaient impatiemment leur joug. Les Perses s’étaient toujours vus à regret soumis aux Parthes ; un guerrier persan, né de l’adultère d’un soldat appelé Sasan avec la femme du cordonnier Babec, réveille dans leurs cœurs l’amour de l’indépendance, les appelle aux armes, prend audacieusement le nom antique d’Artaxerxés, le justifie par ses exploits, gagne trois batailles contre les Parthes, tue Artaban leur roi, monte sur le trône qu’il a relevé, et rétablit la monarchie des Perses, cinq cent cinquante-cinq ans après la mort de Darius.

Comme tous les conquérants, Artaxerxés ne savait point mettre de borne à son ambition ; à peine vainqueur des Parthes, il veut rendre à l’empire des Perses la puissance et l’éclat de celui de Cyrus : il attaque les Romains, veut les chasser de l’Asie, répand la terreur en Syrie, et ne rencontre d’obstacles que sous les murs de cette ville d’Atra, devant lesquels la gloire de Trajan et celle de Septime Sévère avait déjà, deux fois échoué.

La nouvelle de cette invasion répandit la tristesse dans Rome. Cette reine du monde, depuis longtemps déchue de sa grandeur, s’occupait plus de défendre ses limites que de les étendre ; opprimée par tant de tyrans, déchirée par tant de guerres civiles, elle se voyait à regret forcée de sortir du repos, jusque-là inconnu, dont Alexandre Sévère la faisait jouir ; et l’empereur lui-même, plus ambitieux de couronnes civiques que de lauriers, comptant plus, pour sa gloire, sur de sages lois que sur d’incertaines et coûteuse victoires, aurait voulu éviter cette guerre lointaine dont l’indiscipline des troupes lui faisait craindre l’issue.

Les légions, et surtout les prétoriens, trop souvent maîtres du trône, encouragée à la licence par des princes qui leur devaient la couronne, et se croyaient obligé à d’acheter leur appui, résistaient aux efforts de l’empereur qui voulait en vain les assujettir aux anciens règlements. Le vertueux Ulpien, secondant les sages intentions de son prince, devint, l’objet de la haine de ces cohortes séditieuses. Les prétoriens méprisèrent ses ordres ; ennemis de toute discipline, ils éclatèrent en menaces, le chassèrent du camp, et, se révoltant enfin ouvertement, le poursuivirent jusqu’au palais. L’empereur et le peuple, embrassant sa défense, combattirent pendant trois jours contre les rebelles mais les soldats furieux, ayant mis le feu aux maisons, la multitude faible et mobile, cessa de leur opposer aucune résistance. Ils se précipitent en foule sur le malheureux Ulpien ; Alexandre, qui seul le défendait alors, le couvre de son manteau, et s’offre généreusement aux poignards des rebelles : ils n’osent frapper l’empereur ; mais, implacables dans leur rage, ils égorgent leur victime à ses pieds. Honteux de leur crime après l’avoir consommé, et tremblants devant la majesté du prince qu’ils venaient d’outrager, ils passent de la fureur à l’abattement implorent leur grâce, et se retirent consternés dans leur camp. L’empereur, qui n’avait pu sauver son ami, le vengea et punir les chefs de la sédition ; mais il dut prévoir en même temps le sort que lui réservaient des soldats sans discipline, pour qui la tyrannie était un besoin à la justice un fardeau.

Alexandre envoya des ambassadeurs à Artaxerxés et lui écrivit une lettre sage et forte, dont l’objet était de l’éclairer sur les malheurs auxquels son ambition sans frein exposait l’Asie et ses propres états. Il l’invitait à consolider par la paix un trône nouveau et mal affermi, et à ne point chercher une vaine gloire aux dépens du repos du monde et du sang de ses sujets. Enfin il le menaçait des armes de Rome s’il ne respectait pas ses possessions. Le fier Persan trouva que cette lettre sentait plus l’école que la guerre : Les princes vaillants, disait-il, sont courts en paroles et forts en actions. En congédiant les ambassadeurs, il ne leur adressa que ce peu de mots : Les lois et les principes sont pour le vulgaire, le droit des princes consiste dans leur force et dans leur épée ; dites à votre maître que voici ma réponse à sa lettre philosophique : J’opposerai mon camp à son papier, ma lance à sa plume, mon sang à son encre, et mes actions à ses discours.

L’empereur après avoir exposé au sénat la justice et la nécessité de cette guerre, et concerté avec les plus habiles généraux le plan de ses opérations, partit de Rome, laissant le sénat et le peuple en deuil de l’absence d’un prince que leur amour récompensait de tous ses travaux.

Ses troupes, habituées au désordre, voulurent piller les bourgs et les villes qui se trouvaient sur leur passage. il parvint, par un heureux mélange de douceur et de sévérité, à réprimer leur licence, et à les convaincre qu’elles ne devaient pas se permettre contre leurs concitoyens des excès qu’eux-mêmes vengeraient cruellement, si on se les permettait sur leurs propriétés. Joignant les leçons à l’exemple, il payait tout avec exactitude, marchait à pied à la tête des légions, et se nourrissait comme le simple soldat.

Lorsqu’il fut arrivé à Antioche, Artaxerxés, voulant plutôt le braver que l’honorer, lui envoya quatre cents officiers perses magnifiquement équipés et armés. Ces ambassadeurs militaires lui ordonnèrent, au nom de leur maître, d’évacuer l’Asie. Les Romains demandaient leur mort à grands cris ; Sévère, moins cruel, se contenta de les faire dépouiller de leurs vêtements, et de les envoyer labourer des terres en Phrygie. Temps déplorable, où une telle violation du droit des gens était vantée comme un acte de modération et d’humanité.

Antioche était la Sybaris de l’Asie. Dans ce doux climat tout portait à la mollesse et au plaisir ; son air embaumé avait successivement énervé les fiers descendants de Cyrus, les intrépides compagnons d’Alexandre, et les austères guerriers de la république romaine. Les bois délicieux de Daphné, consacrés à Vénus, étaient un théâtre où l’on voyait journellement le vice hardi immoler l’innocence et sacrifier la pudeur. Malgré tous les efforts à Sévère, une de ses légions, enfreignant ses ordres quitta son camp, abandonna ses chefs, oublia ses devoirs, et se livra aux plus honteux excès. L’empereur, irrité, la rassemble, monte sur son tribunal et lui reproche de renverser l’empire, en détruisant la discipline, seule force des armées, seul gage de la victoire, seule base de la grandeur romaine. Il veut ordonner la punition des plus coupables ; on l’interrompt par des murmures menaçants : Taisez-vous insensés, dit Alexandre, songez à résister aux Perses, et non à votre empereur, qui pourvoit à tous vos besoins, qui veille à votre salut, et qui ne s’occupe que de votre gloire. L’agitation continue, le bruit des armes se mêle aux clameurs : Vous ne m’effraierez pas, s’écrie Sévère ; si vous employez contre l’état des armes destinées à ne frapper que ses ennemis, je trouverai d’autres soldats qui châtieront votre audace. Et comme le tumulte croissait toujours, il prononça ces paroles d’une voix terrible : Citoyens, vous n’êtes plus soldats, déposez vos armes, quittez l’habit militaire, et retirez-vous. A ces mots les rebelles obéissent, se dépouillent de leurs boucliers, jettent leurs glaives, et se retirent consternés dans leurs tentes. L’empereur, après avoir réprimer leur insolence par sa fermeté, fit grâce à leur repentir, et marcha contre les Perses.

Les auteurs de ce temps les écrivains de l’histoire d’Auguste, ne sont pas d’accord sur l’issue de cette guerre. Hérodien prétend que les Romains furent vaincus et forcés de se retirer à Antioche ; d’autres, assurent qu’Artaxerxés, battu, perdit une partie de ses états. La version de Lampride paraît la plus vraie ; il cite une lettre, dans laquelle Alexandre rend compte au sénat d’une grande victoire qu’il remporta sur les Perses : Les ennemis, dit-il, opposaient à nos efforts trois cent mille hommes, cent trente mille chevaux, sept cents éléphants, dix-huit chariots armés de faux. Artaxerxés a pris la fuite ; il a perdu dix mille cavaliers, une partie de son infanterie, tous ses chariots ; deux cents éléphants ont été tués, on en a pris trois cents. Le butin des soldats est immense ; on leur a distribué les prisonniers, qu’ils ont vendus, et que le roi de Perse a rachetés. Tous les pays conquis par Artaxerxés sont rentrés sous la domination romaine.

Ce qui confirme encore la vérité de ce récit, c’est que Sévère, trop modeste pour jouir d’une gloire non méritée, reçut, à son retour à Rome les honneurs du triomphe, et l’on y vit son char traîné par les éléphants qu’il avait conquis. Mais probablement, après son départ d’Asie, ses lieutenants, moins habiles et moins fermes, se virent contraints d’abandonner le fruit de leurs victoires et de se retirer en Syrie. C’était le sort des Romains dans toutes leurs guerres contre les Parthes, et c’est ce qui peut expliquer la contradiction des historiens sur les événements de cette guerre.

Le sénat décerna à l’empereur le titre de Persique. Ce prince fit aux dieux de solennels sacrifices, donna au peuple de magnifiques spectacles, et fonda d’utiles établissements pour l’éducation gratuite des orphelins, que, par tendresse pour sa mère, il appela mamméens. L’excès de sa piété filiale fut son seul défaut ; Mammée exerçait un empire absolu sur lui ; cette princesse, douée de beaucoup de vertus, était trop jalouse de son crédit, et portait l’économie jusqu’à l’avarice. Sévère avait épousé la fille d’un patricien ; le beau-père conspira contre son gendre ; et Mammée, abusant de son pouvoir, triompha de la clémence ordinaire d’Alexandre, fit prononcer la mort du coupable, et obtint même l’exil de l’impératrice. Employant le même ascendant, elle empêcha son fils de faire aux soldats les largesses que la corruption du siècle rendait nécessaires, et, par cette parcimonie, elle devint la cause de sa perte.

Rome ne jouit pas longtemps des douceurs de la paix : bientôt on apprit que les Germains, franchissant le Rhin et le Danube, étendaient leurs ravages dans l’Illyrie et dans les Gaules. Alexandre reprit les aimes pour les combattre, et composa la plus grande partie de son armée d’Arméniens et de Parthes, croyant que leur agilité, leur force et leur adresse à lancer des traits les rendraient plus propres que les Romains à étonner et à vaincre les froids et pesants Germains.

Les larmes du peuple, lorsque l’empereur s’éloigna de Rome, semblèrent un présage du deuil que sa mort devait bientôt répandre dans l’empire. On prétend qu’arrivé près de Lyon, un vieux druide lui dit : N’espère pas la victoire, ne compte point sur tes soldats ; tu mourras de la main d’un barbare. — Eh bien, répondit d’un air calme Alexandre, j’éprouverai le sort des grands hommes ; aucun d’eux n’a terminé ses jours par une mort naturelle.

Continuant à déployer les talents d’un général et la bravoure d’un soldat, il battit les ennemis en plusieurs rencontres, les chassa jusqu’au Rhin, et fit ses dispositions pour entrer en Germanie. Mais, tandis que ses exploits soutenaient la gloire de Rome, la sévérité avec laquelle il maintenait la discipline excitait le murmure des légions gauloises, plus licencieuses et moins dociles que celles d’Orient. Maximin les commandait et fomentait leur mécontentement. Ce barbare, Goth de naissance, s’était attiré l’admiration des soldats par sa taille colossale, par sa force prodigieuse, par son courage intrépide. Enrôlé dès sa jeunesse dans les troupes romaines ; sa bravoure l’avait porté rapidement aux premiers emplois prêtant une oreille complaisante aux plaintes des factieux, il encourageait leur audace, enflammait leurs ressentiments, et les raillait de leur faiblesse qui les courbait, disait-il, sous le joug d’un prince enfant gouverné par une femme avare. Enhardis par le chef qui aurait dû les réprimer, les séditieux se rassemblent, s’arment et s’avancent en foule, menaçant l’empereur par leurs cris. Ce prince, sans défiance, n’était défendu que par un petit nombre de prétoriens. A l’approche des rebelles, la garde épouvantée prend la fuite ; Mammée sort de la tente impériale avec les préfets du prétoire, croyant qu’une rixe de soldats était seule la cause de ce tumulte. Sa vue, loin d’inspirer quelque respect aux conjurés, redouble leur colère. Ils se jettent avec fureur sur elle, et l’égorgent ainsi que tous ceux qui l’entouraient. Ivres de crimes et de sang, les assassins pénètrent dans la tente de l’empereur. Alexandre, privé de secours, dénué de tout moyen de défense, couvre sa tête avec sa toge, et se livre sans résistance aux coins des meurtriers. Ma mère, s’écria-t-il, ma mère est cause de ma mort !

Les barbares l’accablent d’outrages, le percent de leurs glaives et le massacrent sans pitié. Il mourut âgé de vingt-neuf ans, dans la quatorzième année de son règne, emportant avec lui les regrets, le repos et la gloire de Rome. Le sénat, le peuple et les provinces le pleurèrent ; le deuil fut universel et sincère : l’armée, oubliant sa rigueur, et ne se souvenant que de ses vertus, vengea sa mort par le supplice de ses assassins. Le sénat ordonna l’apothéose d’Alexandre et de Mammée : on célébrait encore leur fête dans le siècle de Constantin. Ce fut sous le règne d’Alexandre Sévère que mourut Dion Cassius, qui avait écrit l’Histoire de Rome, dont une grande partie est parvenue jusqu’à nous[1]. Sévère avait fait renaître momentanément dans l’empire la liberté, l’ordre et les lois ; sa mort y ramena toutes les fureurs et tous les désordres de l’anarchie militaire.

 

 

 

 



[1] An de Rome 986. — De Jésus-Christ 233.