HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE DIX-NEUVIÈME

 

 

MACRIN (An de Rome 970. — De Jésus-Christ 217)

CARACALLA, exécré dans tout l’univers, n’avait pour partisans que les prétoriens, enrichis par ses largesses. Au moment de sa mort, ils se soulevèrent ; Macrin, feignant de partager leur douleur, sut échapper à leurs soupçons, et rejeter le crime sur le meurtrier seul qui avait péri.

Bientôt les cohortes prétoriennes, cessant de pleurer leur prince, ne s’occupèrent que du choix de son successeur. L’impératrice, Julie, veuve de Sévère, avait une sœur nommée Mœsa ; celle-ci donna le jour à deux filles, Sœmis et Mammée : Caracalla séduisit Sœmis ; de ce commerce criminel naquit un prince d’une rare beauté, appelé depuis Héliogabale : son extrême jeunesse et l’illégitimité de sa naissance éloignaient de lui les suffrages. L’armée hésitait entre Adventus et Macrin, tous deux préfets du prétoire : enfin on se décida pour Adventus, plus vaillant et plus expérimenté que son collègue : mais, comme il ne savait pas lire et se sentait plus fait pour commander des soldats que pour gouverner un empire, il refusa modestement l’honneur ou plutôt le fardeau qu’on lui offrait.

Toutes les voix se réunirent alors sur Macrin ; les prétoriens le proclamèrent empereur et donnèrent le titré de César à son fils Diadumène. Macrin, en informa le sénat, qui confirma cette élection. Les sénateurs, par haine pour la mémoire de Caracalla, firent abattre ses statues ; mais la crainte des prétoriens les força de placer au rang des dieux celui dont ils auraient voulu rayer le nom de la liste des hommes. On ne respecta ni la douleur ni la vertu de Julie : elle fut bannie et se laissa mourir de faim, désespérée de la mort d’un fils dont elle n’aurai dû pleurer que la naissance.

Marcus Opilius Macrinus était né en Mauritanie, dans un lieu qu’on nomme à présent Alger. Protégé par Plautien, il devint intendant des postes pendant le règne de Sévère, avocat du fisc sous Caracalla, et préfet du prétoire après la mort de Papinien. Une des principales fonctions de cette charge consistait à rendre la justice au nom de l’empereur, et Macrin, comme magistrat, se fit estimer par l’équité de ses arrêts. Monté sur le trône, il parut ennemi de la délation, punit les calomniateurs, et annonça le dessein de faire renaître la justice et la liberté. Mais dans un temps où la force tenait lieu de droit, l’épée seule pouvait donner et défendre le sceptre. Macrin savait mieux plaider et juger que vaincre ; il aurait voulu négocier au lieu de combattre ; Artaban, exaspéré de l’affront qu’il avait reçu, refusa tout accommodement qui ne serait pas fondé sur l’abandon de la Mésopotamie et sur le paiement de fortes indemnités. Les deux armées se livrèrent bataille près de Nysibe ; elle dura trois jours, couvrit les Parthes de gloire et prépara leur perte en épuisant leurs forces. Les Romains, obligés de céder le champ de bataille, se retirèrent dans leur camp et se prétendirent cependant vainqueurs, parce qu’ils ne furent pas poursuivis. Macrin rendit aux Parthes leurs prisonniers, le butin fait sur eux et acheta la paix par une indemnité de vingt millions.

Le sénat, accoutumé à flatter ses maîtres, lui décerna le triomphe, et le surnom de Parthique ; il n’accepta ni l’un ni l’autre, établit sa résidence à Antioche, où il s’occupa uniquement des réformes qu’il voulait faire à la législation.

Pour simplifier la jurisprudence, il révoqua les rescrits des empereurs, et réduisit le nombre des anciennes lois. Il publia des règlements sévères contre le luxe, contre la délation, contre la débauche. Il protégea les savants ; ceux que Caracalla avait exilés revirent leur patrie. Dion l’historien obtint le gouvernement de Pergame et de Smyrne.

Tandis que l’empereur se livrait ainsi, dans une trompeuse sécurité, aux travaux de la législation, comme si son pouvoir eût été consolidé, trois femmes et un enfant se préparaient à le renverser. ‘Prolongeant trop longtemps son séjour à Antioche, il commit la faute de ne pas séparer les` légions, force toujours dangereuse quand elle n’est pas utilement occupée. Traitant les officiers avec hauteur, et voulant ramener trop brusquement ses soldats licencieux à l’antique discipline, il mécontenta l’armée.

Mœsa se trouvait alors en Phénicie avec ses deux filles, Sœmis et Mammée, et leurs enfants, Bassien et Alexandre. Ces deux jeunes princes étaient prêtres du soleil ; ce qui avait fait surnommer Bassien Héliogabale, L’extrême beauté de ce jeune homme excitait l’admiration des soldats et lui attirait leur affection. L’habile Mœsa, profitant de ces dispositions favorables et des fautes de Macrin, vend ses pierreries, répand à pleines mains l’argent, soulève une légion, et conduit dans son camp Héliogabale, qu’elle proclame empereur. 

Macrin, peu alarmé d’un mouvement partiel qu’il comptait promptement apaiser, envoya Julien contre les rebelles avec deux légions. Les soldats d’Héliogabale, trop peu nombreux pour tenir la place, se fortifièrent dans leur camp qui fut investi. Pendant ce blocus, les agents de Mœsa pénétrèrent dans les lignes des assiégeants, et y répandirent l’esprit de révolte : les deux troupes se réunirent, coupèrent la tête à Julien et l’envoyèrent à l’empereur, qui s’aperçut enfin qu’il ne devait pas mépriser ce qu’il appelait une conspiration d’enfant. A la tête des prétoriens et des corps restés fidèles, il marcha contre les factieux et informa de ces événements le sénat, qui, sur sa demande, déclara ennemis publics Héliogabale et Alexandre, ainsi que leur mère et leur aïeule.

Macrin, après quelques succès peu décisifs, montrant dans ses mesures une irrésolution qui encouragea et grossit le parti des ennemis, se retira d’Apamée à Antioche. Bientôt les progrès des rebelles le forcèrent d’en sortir et de leur livrer bataille sur les frontières de la Phénicie. Gannys, gouverneur d’Héliogabale, n’avait jamais fait la guerre ; cependant cet homme, jusque-là toujours livré au plaisir, disposa son armée avec ordre et combattit avec vaillance. Malgré ses efforts, les prétoriens, voulant soutenir leur ancienne renommée étaient parvenus à enfoncer ses rangs. Tout à coup, Mœsa et Sœmis se montrent au milieu des fuyards, les arrêtent, les accablent de reproches, les rallient et les déterminent à retourner au combat. Le jeune Héliogabale, tirant son épée, se place à leur tête ; la bataille recommence avec fureur ; Macrin, épouvanté, prend la fuite : malgré sa lâcheté les prétoriens combattaient toujours ; la crainte des vengeances qui suivent les guerres civiles redoublait leur courage. Héliogabale, sentant alors la nécessité de les rassurer pour les désarmer, leur promet une amnistie entière ; le combat cesse à l’instant, et les deux armées réunies proclament de nouveau Héliogabale empereur.

Macrin s’étant sauvé en Bithynie, s’embarqua pour se rendre à Byzance. Les vents contraires le forcèrent de revenir à Calcédoine, où il se cacha quelque temps. Ayant appris que son asile était découvert, il prit de nouveau la fuite ; vivement poursuivi, et près d’être atteint, il se jeta hors de son chariot, et se brisa l’épaule en tombant. Les officiers qui le cherchaient se saisirent de lui et lui tranchèrent la tête. Il avait vécu cinquante-quatre ans, et régné une année. Son fils Diadumène fut pris et tué. Ainsi tomba ce pouvoir précaire, élevé et renversé par la trahison.