HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE TROISIÈME

 

 

GALBA (An 68)

LA nouvelle de la mort de Néron répandit la plus vive joie parmi tous ceux qui avaient quelques périls à craindre, quelque réputation à soutenir, quelque fortune à conserver. On parcourait les rues comme aux jours de fêtes ; on s’embrassait sans se connaître. Les amis de la vertu et de liberté se félicitaient ; ainsi que leurs clients, de voir la terre purgée d’un monstre.

Le sénat, triomphant de la chuté du tyran, comme s’il l’avait seul renversé, se flattait de ressaisir ses droits ; mais la vile populace, les esclaves pervers, les avides affranchis, et les hommes qui faisaient consister leur bonheur dans l’excès des vices, dans la profusion des fêtes, dans la passion des jeux, portaient le deuil de Néron.

La joie des gens de bien ne tarda pas à être troublée ; l’ombre de Néron vint encore les épouvanter : un imposteur prit son nom, et se fit des partisans dans l’Orient : il ressemblait à ce prince, et jouait de la lyre comme lui. Après quelques succès momentanés, il fût arrêté et mis à mort.

D’autres motifs d’inquiétude augmentaient leurs alarmes, ils redoutaient l’esprit turbulent des armées et l’ambition des chefs. Ceux-ci aimaient encore la gloire, mais ne voulaient pas de liberté : Nymphidius, commandant de la garde prétorienne, leva le premier l’étendard de la révolte. Fier du pouvoir qu’il se croyait sur les soldats, il aspira ouvertement à l’empire ; mais ses partisans se trouvant peu nombreux, il périt dans une émeute.

Macer voulut soulever l’Afrique ; le propréteur Garrucianus le poignarda. Valens et Aquinius firent éprouver le même sort à Capito qui cherchait à se faire porter au trône par les légions de Germanie.

Tous ces meurtres, commis par des hommes non moins ambitieux que leurs victimes, affligeaient profondément les partisans du gouvernement républicain, et leur prouvaient qu’il était impossible de voir renaître la liberté dans un état où les soldats n’étaient plus citoyens.

Le sénat, éclairé par ces événements, aima mieux se donner un maître que de le recevoir ; il proclama Galba, et, par ce décret, apaisa la révolte d’une partie de l’armée d’Espagne. Celle de Germanie était entrée dans les Gaules pour réprimer l’insurrection gauloise. Virginius Rufus, son chef, voulait s’entendre avec Vindex ; mais leurs troupes combattirent l’une contre l’autre avec acharnement ; sans écouter leurs ordres : l’armée des Gaules fut battue ; Vindex, qui la commandait, se tua de désespoir. Les légions de Germanie offrirent l’empire à Virginius ; il le refusa ; attendit la décision du peuple et du sénat, et ne reconnut Galba que lorsque ce prince fut proclamé empereur par eux.

L’armée du Haut-Rhin se trouvait sous les ordres d’Hordéonius, général sans talent et sans caractère. Il avait suivi d’abord l’impulsion de Vindex ; il se conforma ensuite à l’exemple de Virginius.

Servius Sulpicius Galba, illustre par sa naissance, comptait parmi ses aïeux le vertueux Catulus, digne émule et collègue de Cicéron et de Caton. Dans sa jeunesse il avait montré de nobles sentiments, une rare modestie, une bravoure brillante. Porté au commandement par ses services autant que par son nom il avait fait la guerre avec succès en Afrique, en Germanie et en Espagne. Observateur rigide de la discipline, simple dans ses goûts, équitable dans ses jugements, économe dans ses dépenses, il parut digne de l’empire, tant qu’il n’y fût pas parvenu. L’âge affaiblissant son esprit il se laissa conduire par des favoris qui abusèrent de sa confiance ; la vieillesse changea sa sévérité en dureté et son économie en avarice.

L’enthousiasme que les légions d’Espagne lui avaient montré s’était refroidi ; on répandait le bruit de la fuite de Néron et Galba, désespéré, était près de se donner la mort, lorsqu’il apprit tout à coup la fin tragique du tyran, et les décrets du sénat et du peuple, en sa faveur. Prenant alors le titre de César et les vêtements impériaux, il partit pour Rome ; mais l’inquiétude que lui donnaient les intrigues de Nymphidius, la révolte de Macer, les prétentions de Capito et l’irrésolution de l’armée de Germanie, lui firent croire qu’il devait frapper ses rivaux de terreur. On lui vit porter à son cou un poignard, jusqu’au moment où il apprit que ses concurrents étaient tués. Dans sa route il chassa, les gouverneurs, rasa les villes, et, chargea de tributs les peuples qui s’étaient montrés trop lents à le reconnaître.

En arrivant à Rome, il déploya la même sévérité, ordonna aux troupes de la marine, dont on avait formé des légions, de retourner sur la flotte ; et, d’après leur refus d’obéir, les fit envelopper, charger et décimer.

La garde germaine était restée fidèle à Néron ; on la soupçonnait de vouloir porter au trôné Dolabella ; il la licencia. Un grand nombre de citoyens que Néron avait exilés furent rappelés par le nouvel empereur. Mais ils demeurèrent mécontents parce qu’en leur rendant leurs emplois il ne leur restitua pas leurs biens. Il fit promener dans Rome chargés de fers, Élius, Polyclète, Locuste, Patrobus, Pétinus, infâmes ministres des cruautés de Néron. Croyant mal à propos, dans un temps de corruption et de révolution, pouvoir rétablir la vigueur de l’antique discipline, il refusa aux troupes la gratification que les empereurs donnaient à leur avènement, et répondit à leurs réclamations, qu’il savait choisir des soldats et non les acheter.

L’empereur cassa plusieurs officiers prétoriens soupçonnés d’avoir voulu favoriser Nymphidius. Ce qui hâta surtout sa perte, ce fut le choix funeste de ses ministres. Il accordait une confiance sans réserve à Titus Vinius, son lieutenant en Espagne, homme adroit, hardi, mais avide ; à Cornélius Laco, capitaine des prétoriens, orgueilleux, ignorant et lâche ; à Martianus Icelus, affranchi hautain et flatteur, qui prétendait aux plus hautes dignités, et voulait couvrir de pourpre les marques de ses anciennes chaînes.

De la différence qui existait entre le caractère du prince et ceux de ses favoris, il résultait la plus étrange contradiction dans les actes du gouvernement. Tout ce que Galba faisait de lui-même semblait digne d’estime ; tout ce qu’il laissait faire à ses favoris le discréditait. On avait approuvé généralement ses discours modestes au sénat, la liberté qu’il laissait aux délibérations, son respect pour les droits du peuple, son mépris pour les délateurs, son affabilité pour les citoyens, mais on supportait impatiemment l’insolence et l’avarice de ses ministres : tantôt on voyait condamner de grands personnages pour de légers délits ; tantôt on voyait absoudre de vrais coupables, hommes de basses mœurs et d’obscure naissance.

Avec de louables intentions, Galba ne fit rien de grand ni d’utile, parce qu’il avait peu de lumières. Néron, prodigue sans mesure, avait donné à la multitude des sommes immenses. On faisait monter à quatre-vingt dix millions ses libéralités extravagantes. Galba ordonna, sans prudence, la restitution de ce qui avait été donné sans motif. Une commission de cinquante chevaliers, chargée de cette recherche, remplit sa mission avec rigueur. Toutes les fortunes se virent attaquées et dérangées par cette inquisition arbitraire et fiscale : il semblait que tout dans Rome fût à l’encan ; et, ce qui augmenta le mécontentement, ce fut de voir que l’empereur, au lien d’appliquer l’argent recouvré par cette mesure aux besoins de l’état, s’en emparait avidement, et le gardait pour lui seul. La vénalité des commissaires accrut le désordre ; on maltraita les provinces comme la capitale. Delphes et Olympie se virent forcées de rendre les dons qu’elles avaient reçus de Néron. Plus on se plaignait de cette sévérité déplacée, plus on blâma, d’un autre côté, des actes de faiblesse pour des hommes odieux. Le peuple appelait en jugement Halotus et Tigéllinus, complices et peut être auteurs de la plupart des crimes de Néron ; ils prodiguèrent leurs, trésors aux favoris de Galba, et achetèrent ainsi leur absolution.

Ce mélange de rigueur et de corruption excitait dans Rome la colère et le mépris. Le mécontentement de la capitale se répandit dans les provinces ; les légions de Germanie, persuadées qu’elles devaient craindre la vengeance de Galba, parce qu’elles s’étaient déclarées les dernières, pour lui, se révoltèrent contre le faible Hordéonius Flaccus, leur lieutenant, et offrirent l’empire à Vitellius que l’empereur venait de leur donner pour général.

Valens et Cécinna, accablés de dettes, avides de mouvements et de nouveautés, relâchant tous les liens de la discipline pour se concilier l’affection des soldats, cherchaient à corrompre les légions qu’ils commandaient et à leur faire embrasser la cause de Vitellius, dont les mœurs promettaient aux amis du vice un nouveau Néron.

L’empereur, informé de ces troubles crut que sa vieillesse seule les faisait naître, qu’il la dissiperait en se choisissant un jeune successeur, et enlèverait par là tout espoir aux factions.

Dès que son intention fut connue, ce choix divisa la cour. Othon, qui le premier avait soutenu Galba de son nom, de ses troupes, de son épée et de sa fortune, prétendait hautement à cette adoption. Il faisait valoir en sa faveur ses services, son zèle, et l’affection que lui témoignaient les cohortes prétoriennes. Vinius l’appuyait. Othon avait contre lui Lacon, jaloux de son crédit et de ses propres vices. Tous les gens de bien craignaient de voir monter sur le trône un des plus ardents compagnons de débauche de l’impudique Néron.

Galba, n’écoutant aucun de ses ministres, et ne consultant que la voix publique, déconcerta tous ses favoris et déclara qu’il adoptait pour son successeur Lucinianus Pison, homme de mœurs austères, et dont Rome respectait autant les vertus que la naissance.

L’empereur l’appela près de lui y et lui parla en ces termes : Si dans un rang ordinaire Galba eût adopté Pison, il aurait encore dû se féliciter d’introduire dans sa famille un descendant de Crassus et de Pompée, et Pison, devrait s’honorer d’unir l’illustration de ses ancêtres, à celle des Sulpicius et des Catulus. Aujourd’hui, c’est ton empereur, porté au trône par les suffrages des hommes et par la faveur des dieux, qui, rendant justice à tes vertus, et ne consultant que l’amour de la patrie, t’appelle librement à un trône que nos aïeux se disputaient les armes à la main ; il veut te faire partager un pouvoir qu’il ne doit qu’à ses travaux militaires.

Auguste adopta Marcellus et Agrippa, ses gendres, ensuite ses enfants, enfin Tibère, fils de son épouse. Ce prince prit son successeur dans sa famille, je choisis le mien parmi les » citoyens : ce n’est point que je manque d’amitié pour mes parents et pour mes compagnons d’armes ; mais n’ayant pas accepté l’empire par ambition, je ne considère que le bien de Rome, et je te préfère, non seulement ma famille, mais à ton frère aîné qui serait digne du rang où je t’élève, si tu ne le méritais pas encore mieux que lui.

À ton âge, on est revenu des erreurs de la jeunesse. Tu as supporté la mauvaise fortune ; la prospérité t’offre une épreuve plus difficile. Le malheur nous fortifie, le bonheur nous amollit : je crois que ton cœur restera vertueux ; mais ton élévation changera celui des autres ; leur amitié sera remplacée par l’adulation, par l’intrigue, par l’intérêt personnel, poison destructeur de toute affection réelle.

La franchise préside aujourd’hui à notre entretien ; dorénavant ce ne sera plus à toi, mais à l’empereur qu’on parlera. Les princes trouvent beaucoup de flatteurs pour encourager leurs passions, peu d’hommes courageux pour leur rappeler leurs devoirs.

Si cet empire immense pouvait se passer d’un chef, je me serais senti digne de rétablir la république, mais depuis longtemps le destin ne le permet pas : tout ce que nous devons au peuple romain, c’est de consacrer, moi, mes derniers jours à faire un bon choix, et toi, toute ta vie à le justifier. Rome était devenue, sous Tibère, sous Caïus, sous Claude, l’héritage d’une famille ; elle devient plus libre, puisque nous donnons l’exemple d’élire ses maîtres. Après nous les plus vertueux citoyens parviendront à l’empire par l’adoption : le sceptre, dû à la naissance, est soumis au caprice du hasard ; le choix d’un prince qu’on adopte est le fruit de la réflexion et de l’opinion publique qui le désigne.

Contemple le sort de Néron : issu d’une longue suite de César, ce n’est pas Vindex, gouverneur d’une faible province, ce n’est pas moi, avec une seule légion, qui l’avons renversé ; ce sont ses débauches, ses excès, ses cruautés qui l’ont précipité du trône. Puisque tant de droits anciens n’ont pu sauver ce prince, le premier qui ait subi une condamnation du peuple, comment échapperions-nous à l’envie nous qui n’avons d’autres titres que notre épée, et l’estime due à quelques vertus ?

Ne t’alarme point cependant, si dans tout l’empire deux légions refusent encore de se soumettre : je ne suis point arrivé au trône sans périls ; ma vieillesse était le seul reproche qu’on pût me faire, elle disparaît par ton adoption.

Tu verras toujours Néron regretté par les méchants ; agissons seulement de sorte qu’il ne le soit jamais par les hommes vertueux.

Si j’ai fait un bon choix, de plus longs avis seraient inutiles ; ta règle de conduite est facile et simple ; rappelle-toi toujours ce que tu louais ou blâmais dans la conduite des princes qui t’ont précédé. Ailleurs, chez des peuples soumis à des rois, une famille de maîtres gouverne une nation d’esclaves ; ici, songe que tu vas régir des hommes qui ne peuvent supporter ni une liberté totale, ni une entière servitude.

Pison répondit avec calme à ce discours, parla de l’empereur avec respect, de lui-même avec modestie : rien ne changea dans son maintien ; il paraissait plus mériter qu’aimer le trône. Galba le mena au camp, et harangua en peu de mots et avec sécheresse les soldats ; qui le reçurent froidement. Cette sévérité antique était déplacée ; la plus légère gratification eût peut-être alors concilié les esprits.

Le choix de ce nouveau César enflamma Othon de jalousie et de colère. Il vit le mécontentement des troupes, et conçut l’espoir d’en profiter. Affable et familier avec les soldats, il se mêlait à leurs jeux, prenait part à leurs intérêts, s’occupait de leurs familles et de leurs affaires, encourageait leur licence, et ne dissimulait point avec eux non seulement son désir, mais même son besoin de parvenir au trône. Accablé de dettes, il lui fallait, disait-il, périr ou régner, et il lui était indifférent de mourir de la main de l’empereur ou de celle de ses créanciers. Tel était le malheur de ce temps, qu’au mépris des décrets du sénat et du peuple, deux soldats gagnés par un affranchi renversèrent un empereur légalement élu, et disposèrent de l’empire romain en faveur d’un jeune débauché, qui n’aspirait au rang des Césars que pour payer ses dettes.

Ces deux soldats corrompus par Onomaste, domestique d’Othon, en séduisirent quelques autres qui formèrent audacieusement le projet de détrôner Galba et de couronner Othon. On fut promptement informé au palais de leurs intrigues et de leurs discours. Rien n’était aussi facile d’étouffer ce complot dans sa naissance ; mais Lacon, lâche officier et ministre indolent, méprisa ce bruit, et ne le crut pas digne d’exciter l’inquiétude ni même l’attention de l’empereur.

Les conjurés fixèrent au 15 Janvier l’exécution de leurs desseins. Le 14 au soir, Othon vient, suivant sa coutume, saluer Galba ; qui l’accueille sans méfiance et l’embrasse avec cordialité. Il assiste avec l’empereur à un sacrifice ; et y reste jusqu’au moment, où l’affranchi Onomaste l’avertit que son architecte l’attendait chez lui. C’était le signal convenu, il sort sous prétexte d’examiner une maison qu’il voulait acheter. Arrivé au rendez-vous des conjurés, près de la colonne dorée d’où partaient toutes les routes d’Italie, il s’étonne de ne voir autour de lui qu’une trentaine de soldats. Cependant, trop avancé pour pouvoir reculer et fondait son espoir sur son audace, il harangue cette faible troupe, lui rappelle l’avarice de Galba, la rigueur de ses ordres, le massacre des troupes de la marine, la dureté insupportable de sa discipline, la destitution des officiers, les rapines de ses favoris : Vous cherchez, dit-il, un remède à tous ces maux ? Il est dans vos mains. Vous m’avez déjà nommé votre prince, donnez m’en donc le pouvoir comme le titre. Que la crainte d’une guerre civile ne vous arrête pas, Rome n’a qu’un sentiment : elle méprise le faible vieillard qui la gouverne. La seule cohorte qui garde l’empereur est, suivant l’antique usage, en toges et sans armes ; elle servira moins à défendre Galba qu’à empêcher qu’il ne nous échappe. Il n’y aura entre elle et vous qu’un combat de zèle pour me seconder.

Les conjurés répondent à ses paroles par de vives acclamations ; ils proclament Othon empereur, mettent l’épée à la main ; intimident la foule qui les environne, la traversent, se grossissent en chemin de ces nouveaux partisans qu’attirent toujours la hardiesse et le changement, et conduisent le nouveau César au camp.

Julius Martialis, tribun, était alors de garde : l’étonnement où le jette une telle entreprise l’empêche d’arrêter les conspirateurs ; toutes les cohortes prétoriennes et tous les soldats de la marine se joignent précipitamment à eux : Othon leur prodigue les promesses et les caresses, ne trouvant aucun moyen trop bas pour s’élever au trône. Ils lui prêtent tous serment de fidélité.

Les nouvelles de cet événement arrivent au palais, altérées par les passions, grossies par la peur ou atténuées par la flatterie. Les consuls, les sénateurs, les chevaliers accourent près de Galba, mesurant leur zèle et leurs paroles suivant les différents rapports qu’on reçoit successivement. Galba flotte incertain au milieu des opinions opposées de ses ministres. Les uns veulent qu’il marche contre les rebelles, et qu’il arme le peuple ; d’autres qu’il se retire au Capitole. Cependant Pison harangue la cohorte prétorienne, lui représente  longue » carrière de gloire du prince, la majesté du sénat, les droits du peuple ; il leur rappelle les vices et les excès d’Othon : si les soldats, dit-il, méprisent les lois, et veulent disposer du trône, au moins ne doivent-ils pas choisir pour empereurs des scélérats et des débauchés ; et, si l’intérêt seul les anime, il vaut mieux pour eux mériter des récompenses par la fidélité que par le crime.

Se croyant assuré de la cohorte du palais, il se rendit au camp avec Celsus ; mais les révoltés leur en défendirent l’entrée, et les repoussèrent à coups de javelots. Cependant le bruit se répand dans Rome qu’Othon vient de périr dans une émeute : les flatteurs s’empressent de féliciter l’empereur ; les plus circonspects déclament hautement contre les rebelles ; les plus lâches affectent le plus d’ardeur. Après une longue indécision Galba monte enfin à cheval suivi de ses gardes ; la curiosité l’accompagne plus que l’affection. Un prétorien, Julius Atticus, accourt, tenant à la main un glaive ensanglanté, et criant qu’il a tué Othon : Galba, imperturbable dans ses maximes d’ancienne discipline, lui dit froidement : Qui t’en a donné l’ordre ? et continue sa marche.

Un peuple innombrable le reçoit sur le Forum en silence, et attentif comme on l’est à un grand spectacle. Cependant Othon, certain que la rapidité peut seule assurer le succès d’une telle entreprise, fait marcher promptement tous ses soldats, craignant que le moindre retard ne leur montrât le péril et ne refroidît leur ardeur. Un corps de cavalerie nombreux, traversant la ville avec célérité, parait tout à coup sur le Forum mais, à la vue de l’empereur, du sénat’ et du peuple, cette troupe s’arrête intimidée : au lieu de profiter de ce moment favorable qui pouvait tout changer, Galba hésite ; on l’abandonne ; l’ennemi prend courage, foule aux pieds tout ce qui se trouve sur son chemin : Galba, entouré par les rebelles, présente sa gorge aux soldats, en leur disant : Frappez, si le salut de la république l’exige. Ces furieux le massacrent, et sa tête coupée et portée au bout d’une lance à Othon. Son corps resta longtemps dans la rue ; tous ses courtisans avaient fui ; un seul esclave fidèle lui donna la sépulture : ses trois favoris furent égorgés. Un centurion, Sempronius, donna, dans ce jour de crimes et de lâcheté, un rare exemple de courage et de fidélité. Armé d’un poignard, il combattit seul, arrêta l’armée ennemie, sauva momentanément Pison, et le conduisit dans un asile, où il fut, peu de temps après, livré par la trahison aux satellites du nouvel empereur qui le firent périr. Tacite, en racontant cette révolution criminelle qui renversa les lois, le trône, et soumit le sceptre aux caprices du soldat, dit avec raison de ce crime : Peu le conçurent, quelques-uns l’exécutèrent, et tous le souffrirent.