HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE III — CHAPITRE PREMIER

 

 

CLAUDE (An de Rome 794. — De Jésus-Christ 41)

LES conjurés n’avaient eu qu’un seul but, celui de délivrer Rome d’un tyran sanguinaire. Lorsque la nouvelle de sa mort se répandit on craignit, dans les premiers instant, que ce ne fût un faux bruit, et la peur fermait encore les cœurs à la joie : mais dès que les consuls furent certains que Caïus n’existait plus, ils convoquèrent le sénat ; la honte du joug ralluma quelques étincelles de l’antique amour pour la liberté ; le consul Saturnius retraça vivement les malheurs dont Rome s’était vue la victime depuis qu’elle avait reconnu des maîtres. Au tableau de la gloire et de la grandeur de la république, il opposa celui des affronts et des supplices qui venaient d’avilir et d’ensanglanter Rome sous le sceptre de Tibère et de Caïus. Comparant l’intrépide Chéréa à Brutus et à Cassius, il le déclara plus digne d’éloges que ces deux illustres Romains. Les uns n’avaient peut-être frappé un grand homme que par esprit de faction et de rivalité ; l’autre, animé par de plus nobles sentiments, au péril de sa vie, délivrait la terre d’un monstre.

Ne nous montrons pas indignes de lui, ajouta-t-il ; imitons son généreux exemple ; Chéréa brise nos chaînes, ressaisissons nos droits ; il a détruit le tyran, détruisons la tyrannie.

De telles paroles, qui depuis si longtemps n’avaient pas retenti dans l’enceinte du sénat, enflammaient tous les esprits, le consul proposa l’abolition des titres d’empereur et de César ; le sénat adopta unanimement son avis. Il décréta le rétablissement du gouvernement républicain ; et, soutenu par l’assentiment de quelques cohortes prétoriennes, il s’empara du Capitole.

Un esprit tout contraire animait les plébéiens ; le peuple, trop loin du sceptre pour en craindre les coups, préférait la puissance d’un monarque à l’orgueil des grands ; il jouissait, sous les empereurs, d’une licence conforme à ses mœurs ; il trouvait son repos dans son obscurité ; la politique des Césars le satisfaisait par des distributions fréquentes d’argent et de blé ; la magnificence d’une cour, lui prodiguait les fêtes et les combats de gladiateurs ; enfin les supplices, qui n’épouvantaient que les patriciens, étaient encore des spectacles pour cette multitude envieuse et cruelle.

Le souvenir de la république ne lui rappelait que des guerres perpétuelles, des levées rigoureuses, des lois sévères, et la domination odieuse de la noblesse.

Les prétoriens étaient encore plus éloignés de tout sentiment républicain ; ils regrettaient un trône dont ils se trouvaient les gardiens et presque les maîtres.

La garde étrangère voyait son existence inséparable de celle des tyrans qui la payaient avec prodigalité pour dissiper leurs terreurs et pour exécuter leurs vengeances. La masse presque entière de l’empire préférait le repos, sous un chef au renouvellement des guerres civiles et aux tyrannies alternatives de plusieurs grands ambitieux : enfin toutes les passions basses, qui naissent de la faiblesse et de la corruption, précipitaient la majorité de la nation dans la servitude. La liberté n’avait pour elle que de nobles et faibles souvenirs, rappelés vainement par un petit nombre d’hommes courageux.

Cependant leur ardeur, la justice de leur cause, et l’autorité du sénat auraient pu, dans une circonstance si favorable, lutter encore quelque temps pour la liberté ; mais le hasard, qui souvent a plus d’influence que les combinaisons des hommes sur la destinée des états, décida en peu d’instants du sort de l’empire.

Quelques soldats, qui parcouraient le palais, aperçurent derrière une tapisserie Claude, frère de Germanicus et oncle de Caligula ; ce faible prince, transi de frayeur, se cachait timidement pour éviter le sort de sa famille immolée ; ils le saisissent, le portent tout tremblant sur leurs épaules, le montrent à leurs compagnons, le proclament empereur ; et ce prince, qui leur demandait la vie, reçoit le sceptre de ces mêmes mains dont il attendait la mort.

Le sénat, informé de cet événement, chargea un tribun du peuple d’ordonner à Claude d’attendre de résultat de ses délibérations. Le prince répondit qu’il n’était plus le maître de ses volontés, et que son ami Hérode Agrippa, tétrarque de Judée, qui se trouvait alors à Rome, lui conseillait, de ne pas se rendre aux ordres du sénat, Le peuple agité se déclarait en faveur de Claude ; les soldats menaçaient ; le sénat se divisa. Dès qu’on délibère entre la liberté et la servitude, on mérite d’être esclave. Le sénat céda, et proclama Claude empereur.

Claude, pour s’assurer l’appui de l’armée, promit quinze mille sesterces à chaque légionnaire ; achetant ainsi le trône qu’on lui donnait, il fonda le gouvernement militaire, gouvernement qui réunit en lui seul tous les vices du despotisme et tous les dangers de l’anarchie.

Lorsque Claude fut élevé à l’empire il était âgé de cinquante ans ; il avait vécu dans l’obscurité sur les marches du trône ; il n’était pas dépourvu d’esprit, mais de caractère ; il ne manquait pas de lumières, mais d’action ; sa faiblesse approchait souvent de l’imbécillité. Cependant, livré dans sa jeunesse, à l’étude des lettres, il écrivit, par le conseil de Tite-Live, une histoire de Carthage. Auguste avait augmenté l’alphabet de la lettre x, Claude y ajouta trois lettres qui ne furent en usage que sous son règne.

On citait de lui plusieurs pensées ingénieuses, plusieurs mots remarquables ; il voulait le bien et fit le mal, il avait l’esprit juste, mais ses infirmités corporelles et ses excès dans tous les genres de débauches l’abrutirent. Sa figure était belle ; mais ses genoux étaient tremblants et sa démarche incertaine. Sa vie privée fut honteuse ; ses femmes et ses favoris immolèrent un grand nombre de victimes à leur cupidité ou à leurs jalousies. Néanmoins, comme ses ministres ne manquaient pas d’habileté, l’empire ne perdit sous son règne ni sa force ni sa grandeur ; il étendit même ses limites.

Dans les premiers moments de son administration, s’efforçant de vaincre sa faiblesse, il fit des actes sages, et dignes d’éloges. Les édits cruels de Caïus furent abrogés, les portes des prisons ouvertes ; les bannis rentrèrent dans leurs foyers, et les ministres du prince obtinrent même difficilement de lui, pour sa propre sûreté, la condamnation de Chéréa et de ses complices.

La fin de Chéréa fut digne de sa vie ; il ne montra ni faiblesse ni repentir, soutint qu’il avait défendu l’humanité, la justice, la patrie, la liberté et demanda, pour toute grâce, l’honneur de mourir percé du même glaive qui avait frappé le tyran. Claude ne voulut accepter aucun des titres fastueux donnés à ses prédécesseurs ; il défendit qu’on lui rendît aucun des honneurs réservés aux dieux. Il prit aucune décision sans l’avis des consuls, et montra en toute occasion une grande déférence pour le sénat. Loin d’accueillir les délateurs, il les fit poursuivre, et condamna ceux qui étaient convaincus de calomnie à combattre contre les bêtes féroces, leurs semblables. Il assistait régulièrement aux audiences des juges ; les arrêts qu’il rédigeait lui-même étaient dictés par l’équité. Une mère désavouait son fils, il la condamna à l’épouser, et l’obligea ainsi à le reconnaître.

Dans ce temps, une grande cause occupa les esprits. Le consul Silius provoqua le renouvellement de la loi Cintia, qui défendait aux avocats de recevoir de l’argent. Il rappelait à l’appui de son opinion les antiques mœurs et les exemples glorieux de tous ces grands hommes, ornements de la république, qui donnaient et ne recevaient pas, qui consacraient leur éloquence à la défense des innocents, et qui ambitionnant avec autant d’ardeur la gloire de la tribune que celle des armes, et l’honneur de protéger le pauvre opprimé que celui de triompher d’un ennemi redoutable, ne voulaient d’autre salaire que la reconnaissance publique.

Les avocats, s’opposant à son avis, représentèrent, à l’appui de l’usage, la pauvreté actuelle de la plupart des sénateurs, les dépenses que coûtaient de longues études, la nécessité de s’indemniser de tant de frais, et ils ne rougirent pas de citer en leur faveur les exemples honteusement fameux de Clodius et de Curion.

Quand la cupidité lutte contre la vertu, son succès est rarement douteux : les avocats gagnèrent leur procès ; mais l’empereur, mettant un frein à leur avidité, réduisit et fixa leur salaire à cent cinquante livres par cause.

La douceur et la modestie de ce prince, pendant les premiers temps le faisaient chérir. Étant arrivé à Ostie, il tomba malade : on fit courir le bruit de sa mort ; et le peuple, le croyant assassiné, se souleva, menaça les sénateurs, et ne s’apaisa qu’en apprenant que l’empereur existait. Une disette, survenue quelque temps après, donna une nouvelle preuve de l’inconstance de la multitude : elle passa de l’amour à la haine, et insulta publiquement l’empereur, qui, depuis ce moment, eut soin d’équiper toujours un grand nombre de vaisseaux chargés de l’approvisionnement de Rome.

Le dénombrement ordonné par Claude produisit six millions huit cent quarante mille citoyens. Les hommes habiles qu’il employait signalèrent leur administration par de magnifiques ouvrages ; on construisit un aqueduc qui portait une eau salubre jusqu’à la plus haute des sept montagnes ; on finit le port d’Ostie ; enfin les canaux ouverts pour dessécher le lac Fucin grossirent les ondes du Tibre et le rendirent plus navigable.

Claude, voulant prouver sa reconnaissance au tétrarque Hérode Agrippa, joignit Samarie à ses états. Ce prince usa mal de ses bienfaits : ce fût lui qui commença la persécution des chrétiens, et qui fit emprisonner saint Pierre, le premier des apôtres.

Les armes romaines rétablirent Mithridate dans le royaume de l’Ibérie, un autre prince du même nom dans la Cilicie ; et Antiochus dans la Commagène. Dans ce temps, la Bretagne, aujourd’hui l’Angleterre, était divisée en plusieurs principautés : un des princes qui régnaient dans ce pays espérait s’agrandir avec l’appui de Rome ; il se soumit à Claude, et l’invita à faire passer des légions dans cette île, pour y établir sa domination. Platidius, chargé par l’empereur d’exécuter cette entreprise, éprouva beaucoup de résistance de la part de ses propres soldats. Ils avaient oublié les exploits de César, et se plaignaient qu’on voulût les conduire au-delà des bornes du monde : enfin ils obéirent. Platidius défit plusieurs fois les fils du roi Cynobélinus ; et Claude, voulant recueillir personnellement la gloire de ces succès, partit de Rome, traversa la Gaule, et descendit en Bretagne.

L’histoire ne donne aucun détail de ses actions ; on sait seulement qu’il soumit une grande partie du pays, et que les légions lui donnèrent le titre d’imperator. Pompée et Silanus, ses gendres, le précédèrent en Italie ; il rentra dans Rome en triomphe. Messaline, sa femme, le suivait sur un char. Le sénat donna à son fils le surnom de Britannicus. Ce fut dans cette guerre que Vespasien, lieutenant de Plautius, fonda sa brillante renommée qui, plus tard, lui valut l’empire. Il se couvrit de gloire dans quarante combats, prit vingt villes, et s’empara de l’île de Wigth. Titus, son fils, se distingua par sa valeur et par sa modestie. Le sénat accorda l’ovation à Plautius, et les ornements triomphaux ainsi que le consulat à Vespasien.

Claude, ne put lutter plus longtemps contre la nature : ses efforts pour vaincre son caractère avaient épuisé ses forces ; il retomba dans son indolence ; et livra l’empire, comme sa personne, aux caprices de l’impudique Messaline et à la cupidité de ses affranchis, Pallas et Narcisse, qui régnèrent sous son nom, et changèrent un prince naturellement juste et doux en tyran avare et sanguinaire.

Les gendres de l’empereur, Pompée et Silanus, furent leurs premières victimes ; ils immolèrent à la jalousie de Messaline deux princesses, filles de Drusus et de Germanicus. Un sénateur généralement estimé, Valerius Asiaticus, possédait les jardins magnifiques de Lucullus ; Messaline lui enviait cette propriété : elle le fait arrêter, l’accuse de conspiration, et lui reproche d’avoir commis un adultère avec Poppée, femme de Scipion. Valerius se défend avec courage, rappelle ses exploits, ses services, prouve son innocence. Claude, touché de sa justification, se montrait prêt à l’absoudre, lorsque Vitellius, se prétendant ami de l’accusé, mais lâchement dévoué à l’impératrice, prend la parole, et, feignant le plus tendre intérêt pour un ancien compagnon d’armes, convient, en pleurant, d’un crime qui n’existait pas, implore hypocritement la clémence de l’empereur, et demande pour grâce qu’on laisse à Valerius le choix du genre de sa mort.

Valérie indigné se tut : las des tyrans et de la vie, il rentra dans ses foyers, se fît ouvrir les veines, et ordonna froidement qu’on plaçât son bûcher assez loin pour que la flamme ne pût pas endommager les arbres de son jardin.

Poppée, recevant son arrêt, se donna la mort. L’empereur, livré aux débauches, ignorait tellement les condamnations cruelles prononcées en son nom, que, peu de jours après, voyant à sa table Scipion, il lui demanda pourquoi il n’avait pas amené avec lui sa femme Poppée : Le sort en a disposé, répondit celui-ci.

Les biens que les confiscations enlevaient aux condamnés tombaient dans les mains des affranchis : ils acquéraient d’immenses richesses en trouvant des crimes à l’innocence et en vendant l’impunité aux coupables. L’empereur, gouverné par eux, les élevait aux premières dignités de l’état ; et tandis que Rome gémissait de leurs rapines, il vantait leur désintéressement, et louait en plein sénat la modération de Narcisse, qu’on savait possesseur de plus de cinquante millions de sesterces. Ces désordres et la faiblesse du monarque excitaient l’indignation publique, le peuple manifestait ouvertement son mépris pour Claude. Un jour, en rendant la justice, il se plaignait de sa pauvreté ; on lui répondit qu’il pouvait facilement remplir son trésor avec les seules dépouilles de ses affranchis.

Statius Corvinus et Gallus Asinius, patriciens illustres, ne pouvant supporter la honte de voir Rome opprimée par deux esclaves et par imbécile, formèrent une conspiration ; elle fut découverte et punie par de nombreux supplices. Bientôt une conjuration plus redoutable éclata. Furius Camillus, qui commandait en Dalmatie, prit le nom d’empereur, se fit reconnaître par ses légions, et envoya l’ordre à Claude de lui céder l’empire.

Ce lâche prince voulait obéir, pourvu qu’on lui permît de vivre : ses favoris le forcèrent à régner. Les légions, inconstantes comme le peuple, ne persistèrent que cinq jours dans leur révolte, et livrèrent le chef qu’elles avaient nommé. Mais, depuis ce moment, rien ne put calmer les terreurs de Claude : on fouillait tous ceux qui l’approchaient ; sa garde visitait avec soin toutes les maisons où il devait entrer ; et comme il vit un jour dans le temple une épée qu’un soldat avait laissé tomber, il sortit avec précipitation, convoqua le sénat, et se plaignit amèrement des dangers auxquels il se voyait sans cesse exposé.

Dès que le prince se livre à la terreur, il ouvre à la méchanceté les moyens les plus faciles de fortune et de puissance. Sous prétexte de veiller à la sûreté de l’empereur, ses favoris faisaient mourir tous ceux dont ils convoitaient les richesses. Ce règne honteux coûta la vie à trente sénateurs et à trois cents chevaliers. Claude assistait quelquefois à ces supplices comme au spectacle ; plus souvent il les ignorait. Un tribun étant venu lui annoncer qu’on venait d’exécuter sa volonté et d’égorger un consulaire ; il répondit : Je n’avais pas donné d’ordre, mais, puisque c’est fait, je l’approuve.

Messaline, déjà déshonorée par un grand nombre de faiblesses, encouragée par la délation, porta enfin l’impudicité à tel point qu’on ne pourrait écrire sans honte l’histoire de ses désordres. Elle se rendait publiquement dans les lieux de débauches, dont le libertinage n’approche qu’en secret ; elle forçait des dames romaines à se prostituer en présence de leurs époux ; elle jouissait de l’opprobre dont elle couvrait l’empereur, et se livrait sans rougir à des histrions, à des affranchis et même à des esclaves..

Claude, seul, dans l’empire, ignorait sa honte : Catonius Justus, préfet des gardes, voulut dessiller ses yeux ; Messaline le fit périr. Enfin cette femme, dont le nom est devenu un opprobre, égayée jusqu’au délire, conçut une passion tellement violente pour Caïus Silius, consul désigné, dont on admirait la rare beauté, qu’elle le força de répudier Julia Silana, sa femme, citée dans Rome comme un modèle de grâces et de vertus.

Messaline, sans frein dans ses passions, sans voile dans ses plaisirs se montrait partout publiquement avec l’objet de son amour ; et, comme le dit Tacite, ce qui paraîtrait une fable si toute la cour et toute la ville n’en avaient pas été témoins, bravant à la fois les lois, la décence, la raison, l’empereur et l’empire, elle épousa Silius, mêla son contrat avec d’autres actes, le fit signer à Claude sans qu’il s’en doutât ; et, tandis que ce prince faisait un voyage à Ostie, trouvant l’adultère un crime trop commun, elle célébra solennellement son infâme mariage en présence du sénat, des soldats et du peuple.

Ces noces sacrilèges, cet outrage public à la pudeur, ce mépris insolent pour l’empereur et pour Rome, excitaient l’indignation universelle ; mais la crainte la forçait au silence. Chacun condamnait Messaline, personne n’osait l’accuser ; et comme dans cette cour infâme, n’existait d’hommes libres que des affranchis, et que leur crédit pouvait seul balancer celui de l’impératrice, Caliste, Narcisse et Pallas osèrent seuls se concerter pour informer leur maître de son déshonneur.

Cependant trop d’exemples récents faisaient redouter, la mort, que dictait un mot, un soupir, une caresse, un sourire de Messaline : Caliste et Pallas manquèrent de courage pour exécuter leur résolution : Narcisse y persista ; mais n’osant parler lui-même, il fit tout découvrir à l’empereur par deux courtisanes, Calpurnie et Cléopâtre. Lorsque, prosternées à ses pieds, elles lui annoncèrent le mariage de Messaline avec Silius, Claude, irrité, était plus disposé à les punir qu’à les croire. Cléopâtre effrayée demanda qu’on fit venir Narcisse : cet affranchi confirma son rapport. Il était trop dangereux, dit-il, de vous ouvrir les yeux ; je ne vous aurais point parlé des faiblesses de l’impératrice pour Titius, pour Vectius, pour Plantius, ni même de son adultère avec Silius, des richesses qu’il vous a enlevées, des esclaves qu’il vous a pris, de vos trésors qu’il prodigue pour orner son palais ; mais son dernier crime est trop éclatant pour le taire. Apprenez enfin que vous êtes répudié ; Silius a osé prendre pour témoins de ses noces criminelles le peuple, le sénat et l’armée. Si vous balancez à frapper, Rome sera la dot de ce nouvel époux.

Claude, moins indigné qu’effrayé, demande alors en tremblant s’il est encore empereur, et si l’on n’a pas proclamé Silius ; il fait interroger Terranius, préfet de l’Annone, Geta, commandant du prétoire : leurs dépositions ne lui laissant plus de doute, il court au camp pour s’assurer des cohortes prétoriennes, plus occupé de sa sûreté que de sa vengeance. Sa harangue fut courte ; la nature du crime et un reste de pudeur l’empêchaient de s’étendre sur l’énormité du forfait.

Pendant ce temps, Messaline, ivre de crimes et de voluptés, célébrait à la campagne la fête des vendanges : Silius, couronné de lierre, se montrait insolemment près d’elle ; une foule de femmes sans pudeur, déguisées en ménades, dansaient autour d’eux. Valens, un des acteurs de la fête, était monté sur un arbre. On lui demanda en riant ce qu’il découvrait ; prophétisant alors sans le savoir, il dit qu’il voyait un orage menaçant se former du côté d’Ostie.

Peu d’instants après, on apprend que Claude, sait tout, que les prétoriens partagent sa colère et qu’il revient à Rome pour se venger. Les jeux cessent, la fête finit ; le vice et la honte commencent à connaître la crainte ; l’effroi prend l’apparence du remords ; tout fuit, tout se disperse : Messaline, comptant encore sur le prestige de ses charmes et sur la faiblesse de son époux, espère fermer ses yeux à l’évidence et rouvrir son cœur à la tendresse.

Avant de risquer une entrevue, elle charge ses enfants, Britannicus et Octavie, de se rendre auprès de son époux avec Vibidie, la plus ancienne des vestales, pour implorer sa clémence. Elle-même traverse enfin la ville pour aller au-devant de lui ; ses vices, pendant sa faveur, ne l’empêchaient pas d’être entourée de la foule des grands ; au moment de sa disgrâce, sa cour se trouva réduite à trois personnes : esclaves et favoris, tous l’avaient abandonnée. Ne trouvant point de char pour la porter, elle monta dans un tombereau d’immondices, et continua sa route.

Narcisse et ses amis l’écartèrent ainsi que ses enfants, et les empêchèrent d’approcher de l’empereur ; mais ils n’osèrent arrêter la vestale.

Vibidie conjura Claude de ne point condamner sa femme sans l’entendre ; il ne répondit rien : Narcisse dit qu’on l’écouterait un autre jour.

Messaline retourna dans les jardins de Lucullus qu’elle avait achetés du sang d’Asiaticus ; et, connaissant son époux, elle se flattait de régner encore s’il la voyait. En effet, déjà ce lâche prince s’attendrissait ; il lui échappa de dire : Quand cette malheureuse Messaline viendra-t-elle donc me faire entendre sa justification ? Narcisse prévint audacieusement l’entrevue ; il prononça, lui-même l’arrêt au nom de l’empereur, et chargea un tribun, avec quelques soldats, de l’exécuter.

Ils trouvèrent Messaline, sans courage, étendue sur la terre ; Lepida, sa mère, qui s’était éloignée d’elle pendant ses égarements et dans les jours de son pouvoir, était venue l’assister au moment de sa mort. Elle la pressait d’échapper aux bourreaux par un trépas volontaire ; un soldat lui offrit son épée : cette femme pusillanime, et qui n’avait de hardiesse que pour le vice, approcha plusieurs fois la pointe du fer de son sein palpitant, sans oser l’effleurer ; enfin le soldat, plus par pitié peut-être que par barbarie, poussant sa main timide, enfonça le glaive dans son cœur.

L’imbécile Claude, qui en la revoyant lui aurait probablement sacrifié l’honneur et l’empire, fut si peu ému de la nouvelle de sa mort, qu’il n’interrompit point son repas. Suétone rapporte même que, quelques jours après, il demanda, par habitude, pourquoi Messaline ne venait pas reprendre sa place près de lui.

La première fois qu’il parut au sénat, il déclara qu’il avait été trop malheureux dans ses liens pour en contracter d’autres ; mais ses affranchis en décidèrent autrement. Leur intérêt voulait qu’il se remariât ; les uns lui proposèrent une descendante du dictateur Camille, d’autres Lollia, déjà fameuse par l’amour de Casus : une troisième l’emporta ; ce fut Agrippine, sa nièce, fille de Germanicus, veuve de Domitius Énobarbus, et mère du jeune Domitius, qui depuis épouvanta le monde sous le nom de Néron.

Cette princesse ambitieuse employa pour séduire son oncle, tous les artifices d’une femme, toutes les caresses d’une courtisane. Suivant les lois romaines, un pareil lien était interdit et réputé incestueux ; mais, dès que le pouvoir montra ses désirs, le sénat approuva l’inceste ; la flatterie même prétendit que le peuple forcerait l’empereur à cet hymen, s’il hésitait à satisfaire ses vœux. Cependant l’opinion publique désapprouvait tellement ce nœud, que l’empereur et l’impératrice, voulant engager plusieurs personnes à contracter de semblables mariages pour s’appuyer de leurs exemples, deux courtisans seuls obéirent.

Dès qu’Agrippine régna, tout changea de face à la cour : la mollesse fit place à l’activité, la licence à la sévérité, la volupté à l’intrigue ; l’empire n’était plus gouverné par l’efféminée Messaline, par ses frivoles amants, mais par des ministres graves, par une femme impérieuse, d’un esprit élevé, capable de toutes les grandes actions et de tous les grands crimes. Audacieuse, ardente, ambitieuse et indifférente sur tous les moyens d’arriver à la domination, comme elle voulait s’assurer le pouvoir par plusieurs liens, elle maria son fils Domitius à Octavie, fille de Claude ; et, s’autorisant de l’exemple d’Auguste, qui avait placé Tibère dans sa famille, quoiqu’il eût un petit-fils, elle força le faible Claude d’adopter Domitius.

Cet acte, qui commençait la ruine de Britannicus, reçut des éloges peu sincères du sénat, et fut accueilli avec transport par le peuple qui chérissait Domitius comme le seul descendant mâle de Germanicus. Ce jeune prince, en approchant du trône, prit le nom de Claudius Néron.

A cette époque, les chrétiens qui se trouvaient à Rome, commençant leurs combats pour la vérité contre l’erreur, attaquèrent l’ancien culte avec le zèle ardent que montre toute religion nouvelle. Leurs tentatives excitèrent des troubles ; pour en prévenir la suite, Claude bannit les Juifs et les chrétiens.

Dans ce même temps, les Romains firent la conquête de la Mauritanie : le proconsul Ostorius se couvrit de gloire en Bretagne ; il subjugua les Isséniens, peuples qui habitaient le pays de Suffolk, Cambridge, Norfolk, et porta ses armes jusqu’à la mer d’Irlande. Il soumit, au nord de l’Angleterre, ceux de Northumberland nommés les Brigantes : il rencontra plus d’obstacles en combattant les Silures, habitants de Colchester ; le roi Caractacus les commandait. Ce prince, habile et vaillant, enflammait les esprits de son amour ardent pour l’indépendance, et transformait en héros ses sauvages sujets par son éloquence, par ses conseils et par son exemple. Sa valeur lutta quelque temps avec succès contre la tactique romaine ; mais enfin, après des prodiges de courage, vaincue en bataille rangée, il fut trahi par Cartismandua, reine des Brigantes, chez laquelle il chercha un asile et qui le livra aux Romains.

On le conduisit à Rome. Lorsqu’il parût devant le sénat, au lieu d’avilir son malheur par une basse soumission, il l’ennoblit par son intrépidité. Romains, dit-il, si, trop fier de ma naissance et de mes succès, j’avais su conserver plus de modération dans la prospérité, je serais peut-être venu ici comme votre ami et non comme votre captif ; vous n’auriez point sans doute dédaigné l’alliance d’un monarque vainqueur, issu d’aïeux illustres, et souverain de plusieurs nations belliqueuses ; j’ai voulu tenter trop souvent la fortune, son inconstance m’a trahi : aujourd’hui le sort m’abaisse autant qu’il vous élève : je possédais d’immenses richesses, des soldats nombreux, une grande quantité d’armes et de chevaux. Quel homme n’aurait pas voulu combattre pour conserver ces biens ? Votre ambition veut enchaîner tous les peuples, doivent-ils être assez lâches pour venir au-devant de vos fers ? Ma résistance vous honore autant que moi, une soumission prompte n’eût illustré ni mon nom ni votre victoire ; si vous ordonnez mon supplice, on m’oubliera bientôt ; si vous me laissez le jour, ma vie rappellera sans cesse votre justice.

Son noble langage lui attira le respect de ses ennemis, il conserva la vie et la liberté.

Son vainqueur Ostorius connut bientôt à son tour les caprices de la fortune ; il éprouva des revers, se vit remplacé par Didius Gallus, et mourut de chagrin.

Les Germains, divisés en factions, demandèrent à Rome un roi ; Claude leur envoya un de leurs princes qu’on avait élevé dans la capitale, et qui prit le nom d’Italicus. Ses sujets ne purent souffrir longtemps la dépendance d’un élève d

Rome qui leur apportait des mœurs étrangères ; ils le détrônèrent. Pompilius entra en Germanie avec ses légions remporta plusieurs victoires, et soumit plusieurs peuples. La guerre se prolongea ; Corbulon s’y fit remarquer par son habileté, par son courage, et surtout par sa fermeté : il rétablit la discipline dans l’armée, et fut comparé pour ses vertus sévères aux plus illustres généraux de la république.

L’Orient devint aussi le théâtre de grandes dissensions civiles ; Cotys, Mithridate, Gotarse, Bardane, Méhardate se disputèrent les armes à la main les couronnes des Parthes, de l’Arménie et du Bosphore ; tantôt vainqueurs, tantôt vaincus ils se détrônèrent tour à tour. Rome prit part à leurs querelles, et profita de leurs divisions. Le plus malheureux de ces princes fut celui dont les prétentions avaient pour appui les plus antiques droits. Mithridate, roi du Bosphore, descendant de Cyrus, se voyant chassé de son royaume, trahi par ses alliés, vaincu par ses ennemis, céda aux conseils qu’on lui donnait, et se rendit à Rome. Le faible Claude voulait d’abord l’assujettir à l’ignominie du triomphe ; le fier Mithridate ne lui répondit que ces mots : On ne m’a point amené ; je suis venu ; si tu en doutes, laisse-moi partir, et fais-moi chercher. On respecta son malheur, et on le traita en allié.

Ce fut pendant le règne de Claude que Rhadamiste, en Orient, se rendit trop célèbre par un de ces actes de férocité qui déshonoraient si souvent les princes d’Asie. Vologèse régnait sur les Parthes ; Pharasmane, un de ses frères, possédait ; l’Ibérie le troisième, nommé Mithridate, devait le trône d’Arménie à la protection de Rome. Rhadamiste, fils de Pharasmane, se faisait remarquer par sa taille majestueuse, par sa force singulière, et par son adresse dans tous les exercices. Son ambition, et l’estime que lui portaient les peuples, excitèrent l’inquiétude de son père. Ce vieux monarque craignant pour son trône résolut de l’éloigner et de détourner vers un autre but son désir impatient de régner : Rhadamiste, suivant ses perfides conseils, feint d’être disgracié, et demande un asile en Arménie chez Mithridate, son oncle, qui l’accueille avec bonté. L’ingrat abusant de sa tendresse, porte à la révolte les grands de son royaume. Lorsqu’il vit les esprits disposés selon ses vœux ; il revint chez son père. Pharasmane alors, sous un prétexte frivole, déclare la guerre à son frère et donne à Rhadamiste le commandement de l’armée. Bientôt Mithridate, mal défendu par des sujets infidèles, se vit obligé de se renfermer dans le château de Gornéas entre l’Araxe et l’Euphrate. Les Romains auraient dû le soutenir sur un trône qu’il tenait d’eux ; mais un préfet corrompu par l’or de Pharasmane, ne leur en laissa pas le temps : soulevant par ses intrigues les soldats du roi, il leur persuada de demander la paix ; et Mithridate fut contraint de capituler.

Rhadamiste, joignant la perfidie à la cruauté, le trompa pour le perdre, lui prodigua des protestations de tendresse et s’engagea, par serment, de ne jamais attenter à ses jours par le fer ou par le poison ; mais au moment où ce malheureux monarque parut devant lui, pour signer le traité, les soldats de Rhadamiste se jetèrent sur lui et l’étouffèrent. Quadratus, commandant de Syrie, instruit de cet événement, somma pour la forme, Pharasmane de sortir d’Arménie ; mais, persuadé qu’il était utile aux Romains de perpétuer les troubles de cette contrée, en la laissant sous la domination d’un prince odieux, il favorisa secrètement Rhadamiste. Pélignus, son lieutenant, pressa cet ambitieux de monter sur le trône, et assista même à son couronnement.

Cette lâcheté divulguée couvrait Rome de honte : on chargea Helvidius de la réparer ; la crainte d’une guerre avec les Parthes ralentit les efforts de ce nouveau général. Vologèse entra en Arménie ; effrayés de la marche des Parthes, les Ibères abandonnèrent d’abord Artaxate et Tigranocerte ; mais Rhadamiste, les en chassa bientôt et se montra plus terrible que jamais après la victoire. Il ne gouverna que par des supplices. Ses peuples quoique accoutumés au despotisme, ne pouvaient supporter longtemps cet excès de tyrannie. Ils se révoltent tous, courent aux armes, investissent le palais : Rhadamiste, monte sur un coursier rapide, s’échappe seul avec sa femme, l’infortunée Zénobie. Cette princesse était enceinte ; son courage et l’amour lui prêtaient des forces ; mais les secousses continuelles qu’elle éprouvait déchirant ses entrailles ; elle conjure son époux de la sauver par une mort honorable des affronts de la captivité.

Rhadamiste, touché de sa vertu, jaloux de ses charmes, tourmenté par la crainte et par l’amour, cède enfin à la plus violente de ses passions, à la jalousie ; il tire son glaive, frappe sa victime, la traîne au bord de l’Araxe, et la précipite dans le fleuve. Il fuit ensuite en Ibérie, seul avec le poids de son crime.

Zénobie, expirante, mais soutenue sur l’onde par ses vêtements, fut portée doucement, sur la rive du fleuve. Des bergers l’aperçurent ; elle respirait encore ; ils pansèrent sa plaie, la guérirent et lorsqu’elle leur eut appris son nom et ses malheurs, ils la conduisirent à Artaxate, où le nouveau roi d’Arménie, Tiridate, frère de Vologèse, la reçut et la traita en reine.

L’ambition qui ensanglantait l’Asie produisait dans l’Occident d’autres crimes. L’implacable Agrippine fit périr toutes ses rivales : Lollia, celle qu’elle redoutait le plus, fut accusée de sortilège ; et lorsque le bourreau eut tranché ses jours, la cruelle impératrice, pour se rassasier de vengeance, voulut qu’on lui apportât sa tête, elle ne laissait à Claude que le titre d’empereur ; exerçant sa puissance même au-delà de l’Italie, elle fonda, dans le pays des Ubiens, une colonie qui porta son nom, et qui depuis fut appelée Cologne.

Le but de tous ses vœux était d’assurer l’empire à Néron ; et tandis que le désir d’obtenir sa faveur et la crainte d’exciter sa haine réluignaient7 du fils de Claude tous les hommes qui avaient un rang et une fortune à conserver, elle attirait autour du jeune Néron les personnages les plus distingués de l’empire. Elle rappela de l’exil le célèbre philosophe Sénèque, l’éleva à la préture, et le chargea de l’éducation de son fils.

Rien ne pouvait modérer son désir effréné de placer cet enfant sur le trône. Un augure lui ayant annoncé que ce jeune homme, s’il était empereur, serait peut-être cause de sa mort : Eh bien, répondit-elle, que je meure, pourvu qu’il règne !

La surveillance active de Geta et, de Crispinus qui commandaient la garde prétorienne, et se montraient dévoués à Britannicus, la força quelque temps de dissimuler ses desseins ambitieux ; mais elle trouva enfin le moyen de faire destituer ces deux chefs, et de réunir leurs chargés sur la tête d’Affranius Burrhus, général habile, expérimenté. Burrhus fit briller une vertu sévère au milieu d’une cour corrompue ; sa reconnaissance trop vive pour Agrippine fut sa seule faiblesse.

On était toujours obligé de distraire par des jeux le peuple romain pour lui faire oublier sa servitude. Claude lui donna le spectacle de la plus magnifique naumachie ; le lac Fucin fut le théâtre, d’un combat naval, où dix-neuf mille captifs reçurent ordre de verser leur sang pour amuser l’oisiveté romaine. On y accourut de toutes les parties de l’empire. Claude, Agrippine et Néron présidaient à cette fête sanglante. Lorsqu’ils parurent sur leur trône, les combattants s’écrièrent : Généreux empereur, ceux qui vont mourir vous saluent. Claude leur répondit, avec sa simplicité ordinaire, par des vœux pour leur conservation. Les infortunés regardèrent comme clémence ce qui n’était qu’ineptie, ils se crurent libres et voulurent se séparer : on parvint difficilement à les faire combattre ; ils obéirent enfin. Cette bataille meurtrière dura un jour tout entier, et très peu d’entre eux survécurent à ce combat.

L’impératrice donna bientôt après un autre spectacle aux Romains : dans le dessein d’augmenter la popularité du jeune Néron, elle fit plaider dans le sénat la cause des Troyens. L’éloquence de Sénèque et l’orgueil national rendaient peu douteux le succès de ce plaidoyer ; et Troie, antique berceau des Romains, fut affranchie, par un décret, de tout tribut.

Cependant la solitude où Britannicus vivait relégué, ses droits, son innocence, son isolement l’orgueil de Néron, les hauteurs d’Agrippine excitaient l’aversion des favoris de Claude contre l’impératrice. Ils cherchaient à réveiller l’empereur de sa honteuse léthargie, et à l’empêcher de sacrifier son fils à un étranger. Pallas seul soutenait constamment Agrippine ; elle avait acheté son appui par de criminelles complaisances. L’empereur, continuellement attaqué par les autres affranchis, ouvrait déjà l’oreille à leurs avis bientôt il se repentit d’avoir adopté Néron, et sa tendresse se réveilla pour Britannicus. Enfin, dans l’ivresse, il lui échappa de dire qu’il était destiné à trouver des épouses infidèles et à les punir.

Agrippine, informée de ses desseins, résolut sa perte : elle lui fit servir des champignons auxquels la trop fameuse Locuste avait mêlé un poison subtil ; mais son effet, paraissant trop lent à son impatience, Xénophon, médecin de l’empereur, sous prétexte de faire vomir ce misérable prince, lui passa dans la gorge une plume empoisonnée, Il expira l’an 51 de notre ère, dans sa soixante-quatrième année. Il avait régné ou plutôt végété pendant l’espace de treize ans. Le nom de Claude, illustré par ses aïeux, est devenu, par l’imbécillité de ce prince, une insulte populaire.