HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE II — CHAPITRE SEPTIÈME

 

 

LE moment était arrivé où Rome devait perdre sa liberté, si elle n’avait pas le courage de réprimer l’ambition : de deux hommes unis autrefois pour marcher à l’empire, et divisés maintenait pour se le disputer ; mais malheureusement la république, défendue par Caton et par un petit nombre d’hommes incorruptibles, se trouva isolée entre les deux grands partis qui voulaient l’asservir.

César et Pompée ne dissimulaient plus que faiblement leur jalousie ; l’ambition avait détruit leur amitié : leur but était le même ; mais ils y tendaient par des moyens différents. César avait accumulé d’immenses richesses dans les Gaules : libéral jusqu’à la profusion, il prêtait sans intérêts des sommes excessives à un grand nombre de sénateurs et dé citoyens romains ; et dans une ville où l’usure se montrait sans pudeur, le prêt sans intérêts passait pour une rare générosité. Sa magnificence lui attira une foule d’amis, Sa maison était l’asile de tous ceux que tourmentaient, leurs créanciers : ils y vivaient de la fortune de César comme de la leur. Son camp devenait le refuge de tous ceux que poursuivaient leur conscience et les lois. Partageant fréquemment les dépouilles de l’ennemi entre ses soldats, il en était adoré ; et l’on dit de lui, dans la suite, avec raison, qu’il avait conquis les Gaules avec le fer des Romains, et Rome avec l’or des Gaulois.

Pompée, voilant avec plus d’art ses desseins, montrait une ambition plus circonspecte. Comme il croyait inutile de corrompre par des largesses les grands, unis à son sort par un intérêt commun et par un esprit de corps, il ne semblait s’occuper que de la chose publique. Resserrant chaque jour plus étroitement les liens qui l’attachaient au sénat, il réprimait l’esprit factieux du peuple, flattait la vanité des patriciens, et semblait se conduire en souverain légal, tandis que César agissait en conspirateur.

Pompée jouissait de l’estime de tous les gens de bien ; César, de l’amour de la multitude et des soldats. Le premier avait pour lui la majesté, et l’autre la force de l’empire.

Pompée, sans attaquer encore ouvertement César, commença cependant le premier les hostilités. Pompée. Le temps du proconsulat de César dans les Gaules allait expirer ; il demanda, quoique absent, le consulat pour l’année suivante, certain que, s’il l’obtenait, il éclipserait, par l’appui du peuple, tout autre pouvoir, et qu’après son consulat on lui donnerait encore le gouvernement d’une province et le commandement d’une armée.

Le consul Marcus Marcellus, excité secrètement par Pompée, fit rejeter sa demande comme contraire aux lois et aux anciens usages. César tenta encore un autre moyen pour conserver son autorité sans prendre les armes ; il fit offrir, à Pompée la main d’Octavie sa nièce, et demanda pour lui-même sa fille en mariage. Mais Pompée ne voulait plus de César comme égal ni comme allié ; il refusa dédaigneusement ses offres ; et loin de lui montrer les égards que semblait mériter sa proposition, ce fut dans ce moment même qu’il prit Scipion pour gendre, et qu’il partagea avec lui les honneurs du consulat. Poursuivant ses offenses, il publia deux lois qui blessaient indirectement César. L’une obligeait tous les fonctionnaires publics qui avaient exercé depuis vingt ans des magistratures de rendre compte de leur conduite ; l’autre, défendait à ceux qui étaient absents de solliciter aucune charge.

La haine succéda au refroidissement, et pourtant n’éclata point encore. Pompée, à la fin de son consulat, se fit donner pour successeurs Emilius Paulus et Catidius Marcellus, sur lesquels il croyait pouvoir compter. Il ignorait que César avait acheté l’amitié d’Emilius quinze cent mille écus. Mais celui qui servit le plus habilement César fut le tribun Curion, dont sept millions liai avaient assuré le dévouement. Ce magistrat très populaire, plein de feu, d’audace et d’éloquence, remplit d’autant mieux les vues de César, qu’on le croyait depuis longtemps son ennemi déclaré.

Curion, pour ne point choquer l’opinion publique par un changement trop brusque et sans motifs apparents, sollicita la surintendance des grandes routes, certain d’avance qu’il ne l’obtiendrait pas. Pompée la lui refusa, et lui donna ainsi un prétexte plausible pour murmurer et pour se plaindre. Bientôt le consul Marcus, qui voulait consommer promptement la ruine de César, proposa au sénat de le rappeler à Rome, et de lui ôter son gouvernement et son armée.

La plus grande partie des sénateurs appuyait l’opinion du consul : Scipion, afin de servir Pompée ; Lentulus, dans le fol espoir de s’élever lui-même et d’arriver un jour au même degré de puissance que Sylla, dont il n’avait ni le courage ni le talent.

Pompée, dissimulant ses projets et ses espérances, appuya faiblement Marcus qui n’exécutait que ses ordres ; il feignit même de trouver trop de rigueur dans sa proposition contre un général qui avait rendu tant de services à la république. Cependant le décret allait passer, comme il l’espérait, lorsque Curion, plus habile qu’eux tous, prit la parole : après avoir approuvé l’avis du consul, il ajouta que si l’on voulait défendre sincèrement la liberté et affranchir la république de tout sujet d’inquiétude, il fallait faire quitter tout à la fois et à César et à Pompée leurs commandements et les provinces qu’ils avaient gouvernées trop longtemps.

Plus ce conseil était sage, plus il irrita les amis de Pompée. Leur fureur éclata même à tel point que le censeur Appius proposa formellement de chasser Curion du sénat ; mais le consul Émilius s’y opposa. Après une longue et vive agitation, la majorité des sénateurs paraissait incliner pour l’avis de Curion, lorsque le consul Marcus Marcellus rompit brusquement l’assemblée, qui se sépara sans rien conclure. Le peuple couvrit Curion de fleurs, le combla d’éloges, et décida dans les comices, que si Pompée gardait son gouvernement, César devait conserver celui des Gaules, et que son absences n’ayant d’autre motif que la gloire de la république, ne pouvait l’empêcher d’obtenir le consulat.

Pompée, offensé par ce plébiscite qui renversait ses espérances, sortit de Rome, et écrivit au sénat qu’il se démettrait de ses charges dès que César serait privé des siennes. Curion, de son côté, déclara qu’il serait caution, s’il le fallait, de César, le sachant prêt à suivre l’exemple que Pompée lui donnerait.

Le sénat, embarrassé par ces deux propositions, dont aucune n’était sincère, n’osait ni les accepter ni les rejeter entièrement : il voulait cependant favoriser Pompée, parce qu’il croyait que si les deux rivaux se trouvaient tous deux sans armées, rien ne pourrait résister à César que soutenait évidemment l’immense majorité du peuple. Il prit donc un parti mitoyen, et se contenta d’ordonner qu’on retirerait une légion à César et une à Pompée pour les envoyer contre les Parthes. César obéit ; il envoya une légion en Italie ; mais Pompée lui redemanda aussi celle qu’il lui avait autrefois prêtée ; de sorte que ce fut, dans la réalité, César seul qui perdit deux légions. Il ne lui était plus d’ailleurs possible de douter des intentions hostiles de ses adversaires, lorsqu’il sut que ces deux légions, loin de partir pour l’Asie, restaient près de Rome sous les ordres de Pompée.

Cicéron, revenu alors de Cilicie, crut pouvoir jouer un rôle conforme à ses vertus et à sa dignité, en se rendant médiateur entre deux hommes puissants, dont l’ambition menaçait également la liberté. César parut disposé à négocier ; et, profitant habilement des fautes que l’orgueil faisait commettre à son rival, il se donna sans danger l’apparence de la justice : certain d’avance que ses propositions ne seraient point acceptées, il demanda que lui et Pompée fussent également privés de leurs commandements militaires et civils, pour laisser la république, comme autrefois, paisiblement gouvernée par ses magistrats. Cette démarche adroite le rendit à la fois plus populaire et plus dangereux.

Dans ce même temps, Pompée étant tombé malade à Naples, la crainte de le perdre causa une douleur générale dans toute l’Italie. Sa guérison imprévue fit succéder à la consternation une joie si excessive, que partout on rendit des actions de grâces aux dieux, et qu’on lui prodigua des honneurs que jamais aucun citoyen avant lui n’avait reçus. A la même époque, Appius, revenant de l’armée de César, répandit partout les plus fausses nouvelles, soutenant que les soldats, las de la guerre et rebutés par la sévérité de leur chef, ne soupiraient qu’après le repos, et abandonneraient César dès qu’ils auraient repassé les Alpes. Pompée, trompé par ces rapports infidèles, et enivré des hommages dont il se voyait l’objet, refusa tout accommodement ; et lorsque Cicéron lui demanda sur quelle force il comptait pour résister à César, il répondit avec fierté : Dans quelque lieu de l’Italie que je me trouvé, dès que je frapperai la terre de mon pied, il en sortira des légions. — Ah ! lui dit alors le sage orateur, vous avez commis deux grandes fautes dans votre vie, celle de vous être lié autrefois avec César, et celle de rompre à présent avec lui.

La haine et la présomption égaraient la plupart des patriciens, comme elles aveuglaient Pompée. Chaque jour il éclatait en injures et en menaces contre César ; Caton même se vantait de le contraindre, avant peu, à rendre compte de sa conduite, et de lui faire éprouver le même sort qu’à Milon qui languissait toujours dans l’exil.

Plus ses ennemis montraient de passion et d’imprudence, plus César, tout en se préparant à la guerre, affectait de sagesse et de modestie. Il offrit à cette époque trois moyens de conciliation : le premier était qu’on le maintint dans son gouvernement, comme Pompée dans le sien ; le deuxième, qu’on les rappelât tous deux ; et le troisième, qu’on lui permit de demander le consulat, quoique absent.

Le sénat rejeta ces trois propositions. César, irrité, franchit les Alpes avec une légion, et s’établit à Ravenne, la dernière place de son gouvernement. De là il écrivit aux nouveaux consuls, Lentulus et Marcellus, leur rappela ses services, ses exploits, sa déférence pour le sénat, protesta de nouveau qu’uniquement occupé de l’honneur de Rome et du sien, il ne craignait point qu’on prît sa modération pour de la faiblesse, et déclara qu’il se dépouillerait de son autorité dès que Pompée aurait renoncé à la sienne.

Le mépris qu’on faisait alors du peu de forces qu’il avait amenées en Italie aveugla tellement le sénat, qu’après avoir hésité quelque temps à lire sa lettre, au lieu d’y répondre, il rendit un décret pour lui ordonner de licencier sur-le-champ son armée, sous peine d’être déclaré ennemi de la république. On prit, en même temps, une mesure qui n’était usitée que dans les plus extrêmes périls : on adressa un autre décret aux consuls et aux préteurs, pour leur ordonner de veiller au salut de la république, et de donner à Pompée le commandement général des armées.

Sans respect pour aucune forme, les consuls ne différèrent pas à un seul moment l’exécution de ces décrets ; et avant de savoir si César obéirait ou résisterait, ils firent prendre les armes, et donnèrent le gouvernement des Gaules à Domitius Énobarbus.

Vainement Marc-Antoine, que César avait fait nommer récemment tribun, ainsi que Cassius et Curion, ses collègues, voulurent s’opposer à de si violentes résolutions ; injuriés, menacés, poursuivis, et ne se trouvant plus en sûreté dans Rome, ils en sortirent, déguisés en esclaves, et se rendirent précipitamment à Ravenne.

César, informé par eux des excès auxquels on se portait contre lui, profita de leur arrivée pour échauffer le zèle de ses partisans, et fit paraître les trois tribuns avec leurs habits d’esclaves, aux regards de l’armée, certain que cette vue enflammerait son ressentiment.

Compagnons, dit-il à ses soldats, vous savez combien, par amour pour le bien public, j’ai supporté tranquillement les injures et les injustices de mes ennemis. Jaloux de vos exploits et de la gloire qu’ils m’ont acquise, ils sont parvenus à m’enlever l’affection de Pompée, dont j’avais toujours admiré les talents et favorisé l’élévation. Ils viennent récemment, aveuglés par leur haine, de commettre un attentat presque inouï dans la république : leur violence a privé les tribuns du peuple de l’exercice de leurs droits les plus sacrés. Sylla lui-même, en dépouillant ces magistrats de la plus grande partie de leurs privilèges, leur avait laissé celui d’embrasser la défense du peuple et d’intercéder le sénat en sa faveur. Rétablis dans leurs dignités par Pompée, ils on vu tout à l’heure ce même Pompée leur ôter tout ce qu’il leur avait rendu ; il a fait plus ! vous savez que le décret solennel qui investit les premiers magistrats d’un pouvoir absolu, qui les charge de veiller au salut de la république qui appelle tous les citoyens aux armes, n’a jamais été rendu qu’au moment des plus grands périls, lorsque des tribuns violents ont proposé des lois pernicieuses, ou lorsque le peuple soulevé s’est retiré dans les temples et sur le mont Aventin. Ce fut dans de telles circonstances que Saturninus et les Gracques expièrent leurs fautes par leurs malheurs, mais aujourd’hui aucun motif pareil ne justifie de semblables rigueurs, aucune loi agraire proposée, aucune conspiration tramée, aucune sédition ne motive la mesure sévère qu’on vient d’employer. Ce n’est point pour la république, c’est contre nous qu’on prend les armes. J’espère, soldats, que vous ne m’abandonnerez pas, et que vous défendrez l’honneur d’un général qui vous a si souvent conduits à la victoire, qui a servi avec vous si glorieusement la république, et qui vient de subjuguer par vos armes la Gaule et la Germanie.

A ces mots, les soldats de la troisième et de la dixième légion (car les autres n’étaient pas encore arrivées) s’écrient, tous qu’ils sont prêts à soutenir la dignité de leur général et les droits des tribuns du peuple.

Cette harangue, manifeste court, mais énergique, annonçait et déclarait`la terrible guerre qui devait embraser le monde et renverser la république.

Ce qui distingue les exploits de César des actions de tous les autres généraux, c’est que, peu dépendants du hasard, ils furent presque toujours les effets d’un calcul infaillible et les résultats d’un vaste plan longtemps médité. Après avoir pris les mesures les plus justes, il en assurait la réussite par son incroyable célérité ; et ses ennemis, toujours prévenus, se voyaient frappés en même temps que menacés.

Ariminium (aujourd’hui Rimini) était alors une des villes les plus considérables d’Italie te César regardait comme très important de s’en rendre maître ; il envoya promptement et en secret ses soldats les plus déterminés avec ordre d’y entrer furtivement sans autres armes que leurs épées. Tandis qu’ils y marchaient, feignant de ne s’occuper que de jeux et de spectacles, César assistait à un combat de gladiateurs dans la ville de Ravenne. Il se mit ensuite à table avec ses amis, et loin de paraître méditer aucune grande entreprise, il ne s’entretint que de littérature et de philosophie. Tout à coup, au milieu du repas, il sortit sous prétexte qu’on demandait à lui parler, et cria ses convives de continuer, jusqu’à son retour, à se livrer aux plaisirs du festin ; mais ils l’attendirent vainement ; car, ayant fait atteler son char, il partit pour Ariminium.

César arrivé sur les bords du Rubicon, faible rivière qui séparait la Gaule cisalpine du reste de l’Italie, s’arrête réfléchissant aux suites du pas qu’il va franchir. Troublé sans doute par quelques remords, ébranlé par un reste de cette vénération pour les lois et pour la liberté, qui se gravait dès le berceau dans le cœur de tout citoyen romain, irrité par les offenses de ses ennemis, poussé par l’ambition qui l’enflammait, retenu par la crainte des blessures qu’il allait faire à sa patrie, il balance dans sa tête la destinée du monde, et, s’adressant à l’un de ses amis, Asinius Pollion : Que de malheurs pour moi, disait-il, si je m’arrête ! Que de maux pour la république si je passe ce ruisseau !

On raconte que dans le même moment ses regards furent frappés par l’apparition d’un homme d’une taille gigantesque qui jouait de la flûte. Ce fantôme, produit par la crédulité populaire ou par l’artifice de César, saisit une trompette, sonne la charge, et traverse la rivière. César prononce enfin ces mots courts et terribles : le sort en est jeté, et il franchit précipitamment le Rubicon, semblable, dit Plutarque, à un homme qui s’enveloppe la tête pour dérober à ses regards la vue de l’abîme dans lequel il va se jeter.

Son arrivée imprévue, les armes de ses soldats qui l’attendaient, et la faveur, du peuple qui l’appelait par ses vœux, lui livrèrent sans obstacle Ariminium.

Dès que cette nouvelle parvint à Rome, la consternation se répandit dans le sénat. La vanité, toujours imprévoyante dans le repos, présomptueuse dans la prospérité, est toujours faible dans le péril. Ces fiers patriciens, qui avaient injurié César sans prudence, et qui, le voyant descendre des Alpes, n’avaient su prendre aucune mesure pour l’arrêter, se laissèrent frapper de terreur par la prise d’une petite ville, comme si tous les peuples de la Gaule et de la Germanie étaient venus fondre en masse sur l’Italie.

On ordonne en tumulte à tous les citoyen de prendre les armes : les sénateurs, se croyant déjà assiégés dans Rome, en sortent avec précipitation ; les consuls, oubliant leur dignité, abandonnent le timon des affaires, et laissent au seul Pompée le commandement des troupes et le soin de défendre la république. Pompée lui-même commence à se méfier de sa fortune ; partageant l’effroi général, il s’éloigne de Rome, lève des troupes à la hâte, hésite sur la direction qu’il leur donnera ; et, dans l’espoir de gagner le temps nécessaire pour réunir ses forces et pour faire revenir son armée d’Espagne ; il envoie des députés à César, et lui offre des conditions qu’il savait inacceptables.

César, aussi peu sincère, mais plus habile, consent à négocier, pour couvrir ses vues ambitieuses d’un voile de modération, mais, il traite sans s’arrêter, s’empare de Pezzaro, d’Ancône, de toutes les villes du Picenum, et vient mettre le siége devant Corfinium, où s’étaient renfermés le consul Lentulus, plusieurs patriciens, une forte garnison, et l’un de ses plus grands ennemis, Domitius Énobarbus, nommé par le sénat pour le remplacer dans son gouvernement.

Les légions des Gaules étaient arrivées ; César pressait vivement le siège ; Domitius écrivit à Pompée que la ville manquait de vivres, qu’il devait promptement accourir, s’il voulait délivrer un corps d’élite si nombreux, ainsi que tant de personnages importants. Il ne reçut pour toute réponse qu’un refus de secours, et le conseil de se tirer d’affaire comme il le pourrait. Cet abandon le détermina à tout disposer pour s’enfuir secrètement, et pour se dérober à la vengeance du vainqueur. Les soldats, pénétrant ses desseins, l’arrêtèrent, ainsi que leurs officiers. Le consul Lentulus prend alors le parti hasardeux de passer dans le camp de César ; il lui rappelle son ancienne amitié, s’excuse lâchement de ses torts, et implore sa clémence. César, par l’accueil favorable qu’il lui fait, rassure tous ceux qui se trouvaient dans la ville. On convient de la lui livrer. Il y entre paisiblement, reçoit le serment des légions, renvoie libres et sans rançon Domitius, le consul Lentulus et les patriciens ; il n’exige d’eux aucune promesse de ne pas servir contre lui ; et rend même à Domitius sa caisse militaire. Loin de prétendre à me venger, disait-il, je ne veux que regagner les esprits et goûter longtemps les fruits de la victoire. La cruauté excite la haine publique, et ne peut jouir tranquillement des triomphes dont elle ternit l’éclat.

Renforcé par la garnison de Corfinium il ne laissa pas à ses ennemis le temps de respirer ; les harcelant et les poursuivant sans cesse, il tourna Rome, s’empara de toute la Pouille, et força Pompée de s’enfermer dans Brundusium (Brindes) avec son armée.

Pompée, dont le génie semblait s’être endormi si longtemps dans les vains honneurs du pouvoir, voyait sa force presque totalement détruite en Italie ; mais sa gloire vivait encore tout entière dans l’Orient : c’était sur cet ancien théâtre de ses triomphes, qu’il espérait creuser le tombeau de son rival, et son fils Cnéius parcourut la Grèce, l’Asie et l’Égypte, pour les armer en sa faveur.

César, pénétrant ses projets, voulait terminer promptement la guerre en enfermant dans Brindes son rival. Il investit rapidement cette ville, et construisit, avec une célérité étonnante, deux fortes digues pour fermer le port ; mais ces travaux n’étaient pas achevés, lorsque Pompée, trompant sa vigilance, s’embarqua de nuit avec ses troupes, après avoir embarrassé les rues de Brindes par des barricades, par des fossés et par des puits recouverts de terre, qui ralentirent la marche de l’ennemi, et favorisèrent son habile retraite. Abandonnant ainsi Rome à son rival, il descendit en Épire, où il réunit promptement cinquante-cinq mille Romains et un grand nombre de troupes thraces, grecques et asiatiques.

Cicéron, étonné de la rapidité de cette invasion, avait été plus de temps à réfléchir sur le parti qu’il devait prendre, que César n’en avait employé pour conquérir l’Italie. Son éloquence et son nom étaient encore une puissance dans l’opinion publique ; et l’on devait croire qu’il se servirait de son influence pour continuer à jouer le rôle honorable de médiateur.

César, qui ne négligeait aucun moyen de succès, et qui regardait peut-être comme plus important alors de gagner les esprits que de vaincre les légions, voulut conquérir Cicéron, s’appuyer de l’alliance de son génie, et se montrer dans Rome avec lui, afin de paraître y ramener la liberté plutôt que la tyrannie : Cicéron, moins facile et moins faible qu’on ne l’aurait cru, ne céda ni à ses prières ni à ses menaces. Cet acte de fermeté lui fut glorieux. Dans une circonstance pareille, un point de résistance devient souvent un point de ralliement. Ne suivant pas le vaincu, ne se laissant point entraîner par le vainqueur, il pouvait réunir autour de fui un grand nombre de citoyens qui ne voulaient point de maître, et affranchir Rome de la domination de César comme il l’avait sauvée des fureurs de Catilina : mais Cicéron avait plus de lumières que de courage ; ses lettres à Atticus le prouvent ; il calculait tous les pas que faisait César pour arriver à la tyrannie : il mesurait et comptait toutes les fautes de Pompée, et, flottant entre les deux partis rivaux, au lieu de défendre contre eux la liberté, il avouait lui-même sa faiblesse, et disait à son ami : Je sais bien le pari que je voudrais éviter mais je ne sais pas celui que je dois suivre.

Cependant la retraite de Pompée n’avait laissé en Italie aucune troupe ni aucune ville qui pussent arrêter César. Ses lieutenants venaient de lui soumettre la Sardaigne et la Sicile, et il vint promptement à Rome, où les sénateurs qui y étaient restés le reçurent comme un maître, et le peuple comme un libérateur.

Il rassembla ce petit nombre de sénateurs, et leur parla comme s’il avait harangué le sénat. Il vanta ses services, se plaignit des injures qu’il avait reçues, déplora les malheurs d’une guerre civile, dont il était, disait-il, la victime et non l’auteur. Enfin il rassura les esprits par de magnifiques et trompeuses protestations de son dévouement à la république.

Ce qui lui manquait alors le plus pour l’exécution de ses vastes desseins, c’était l’argent ; sans ce nerf de la guerre, il ne pouvait ni grossir ses troupes, ni poursuivre celles de ses ennemis ; mais leur retraite s’était faite avec tant de précipitation, que Pompée, dans ces premiers moments de troubles négligea d’emporter avec lui le trésor public. Le jeune Metellus, qui en avait la garde, en refusa l’entrée au vainqueur ; et, résistant seul au maître de Rome, à ses prières, à ses promesses, et même à son courroux, il défendait au nom des lois le dépôt que lui avaient confié les consuls. César, irrité, lui dit, en mettant la main sur son glaive : Je n’écoute point les lois, lorsque je porte l’épée ; je vais te tuer, si tu n’obéis : songe bien, jeune présomptueux, qu’il m’est plus facile d’exécuter cette menace que de te la faire. Metellus céda. César, après avoir pris largement dans le trésor les sommes qui lui étaient nécessaires, plaça des cohortes et des commandants dans les différents cantons de l’Italie afin d’en assurer la tranquillité, et partait avec ses légions pour l’Espagne, disant qu’il allait attaquer une armée sans général, et revenir ensuite combattre un général sans armée.

Marseille refusa de lui ouvrir ses portes, déclarant d’abord qu’elle voulait rester neutre dans cette guerre ; mais elle reçut peu de jours après dans son port Domitius Énobarbus avec des vaisseaux et des légions de Pompée. César chargea Trébonius de l’assiéger, continua sa marche, et arriva en Espagne.

Afranius et Pétréius, généraux habiles, y commandaient une armée de soixante mille hommes. Les troupes de César étaient moins nombreuses, mais plus aguerries ; et une excellente cavalerie gauloise, qui l’avait suivi, lui donnait un grand avantage sur ses ennemis.

Afranius, profitant de la connaissance du pays et de la faveur des lieux, se tint d’abord avec succès sur la défensive ; mais César, ayant détourné les eaux de la rivière de Sègre, la passa sans obstacle, et força par l’habileté de ses manœuvres les lieutenants de Pompée à se retirer. César, gagnant avec célérité quelques marches sur eux, s’empara rapidement des défilés qu’ils voulaient franchir pour entrer en Celtibérie, les harcela, leur coupa les vivres, les enveloppa, et les contraignit enfin à capituler. Ils licencièrent leurs troupes, et promirent de ne plus servir contre lui. Pénétrant ensuite dans l’Espagne ultérieure, où commandait Varron, toute la province se souleva en sa faveur. Varron, abandonné de la plupart de ses soldats, se rendit. César, oubliant d’anciennes injures, ne le traita point en ennemi ; et sa clémence acheva de soumettre ceux que ses armes avaient vaincus.

Une des maximes de ce guerrier célèbre était qu’un général ne doit pas croire qu’il ait rien fait lorsqu’il lui reste quelque chose à faire. Aussi, sans se reposer après sa victoire, il revint promptement presser le siège de Marseille, qui, jusque-là, s’était opiniâtrement défendue. L’arrivée du conquérant de l’Espagne effraya les habitants et la garnison, qui se rendirent.

La fortune suivait partout César ; mais elle ne traitait pas aussi favorablement ses lieutenants. Dolabella et Caïus Antonius furent battus en Illyrie par Octavius et par Scribonius, lieutenants de Pompée. Curion, que César avait envoyé en Afrique avec deux légions, combattit d’abord heureusement le préteur Varus, et Juba, roi de Mauritanie ; mais ensuite, se laissant emporter par son ardeur, il fut enveloppé, et périt après avoir vu son armée détruite.

On apprit en Italie ces deux échecs avant de savoir la défaite d’Afranius en Espagne ; et, dans le temps même où de fausses nouvelles faisaient croire à ses succès contre César, on écrivait d’Épire que les troues de Pompée grossissaient chaque jour, et que tous les rois d’Orient, s’armaient en sa faveur. Presque tous les sénateurs restés à Rome en sortirent, et s’embarquèrent pour rejoindre Pompée. Cicéron, ne résistant point à leur exemple, et renonçant à sa sage neutralité, se laissa séduire par eux. Tous les riches, tous les grands l’imitèrent : tant est rapide la pente qui entraîne tous les hommes du côté où ils croient voir la fortune.

Après la prise de Marseille, César revint à Rome, et comme tous les premiers magistrats en étaient absents, le préteur Lepidus, au mépris des anciennes règles, tint les comices, et le nomma dictateur. Ce titre, qu’on craignait de voir perpétuer, mécontentait le peuple ; César s’en aperçut, et il abdiqua au bout de dix jours la dictature, mais comme il lui fallait un titre en apparence légal pour voiler son usurpation, il se fit sa élire consul.

Ses premiers actes furent deux lois, dont l’une favorisait les débiteurs ; l’autre rappelait les exilés, et rendait aux enfants des citoyens proscrits par Sylla le droit d’aspirer aux charges publiques. Après avoir présidé les comices, et fait élire des magistrats qui lui étalent dévoués, il partit de Rome avec un faible corps de troupes, et s’embarqua témérairement à Brindes, pour combattre Pompée. Maître de l’Orient, Pompée avait réuni sous ses ordres trois cents vaisseaux, neuf légions romaines, et une foule d’étrangers, conduits par Ariobarzane, roi de Cappadoce, par Cotys, roi de Thrace, et par les généraux macédoniens, thébains, syriens, phéniciens et égyptiens, les plus estimés dans leur pays.

Pompée avec toutes ces forces qui couvraient la mer et les côtes, croyait le chemin de la Grèce fermé à César ; mais la sécurité jette souvent dans le péril : c’est le danger imprévu qu’on rencontre.

Bibulus, commandant la flotte, n’avait pas réuni à temps ses vaisseaux ; et César, avec une faible partie de son armée, débarqua entre des rochers près du mont de la Chimère. Il était arrivé avant qu’on le crût parti. Ce fut alors que Cicéron dit de lui qu’il était un prodige de vigilance et de célérité.

Apollonie se déclara pour lui, et il s’empara d’Orico. Après ce succès, il chargea un prisonnier, nommé Ruffus, de porter à Pompée des propositions de paix. Je vous ai enlevé, lui disait-il, l’Italie et l’Espagne ; vos lieutenants ont battu les miens en Afrique et en Illyrie ; nous avons tous deux assez remporté d’avantages et assez commis de fautes pour craindre les vicissitudes de la fortune : épargnons de grands malheurs à nôtre patrie, licencions chacun sous trois jours nos armées, et soumettons nos différends au jugement du sénat et du peuple romain.

Cette proposition resta sans réponse ; Pompée savait que César était trop sûr de l’appui du peuple ; et lui-même, à la tête de la plus nombreuse armée, maître de la mer, entouré à Thessalonique des consuls, des préteurs, du sénat presque entier, de tous les chevaliers romains, de Caton et de Cicéron, dont les noms seuls valaient des légions, se croyait trop certain de la victoire pour traiter. Il comptait exterminer, sans combattre, un ennemi dont les forces ne montaient pas alors à vingt mille hommes, et qui ne pouvait tirer de vivres ni de la Grèce ni de l’Italie.

Dans le même temps, Scipion, qui avait remporté quelques avantages en Asie, partit avec ses légions pour rejoindre Pompée, dont il était le premier lieutenant. Dès qu’il fut arrivé en Grèce, César lui envoya un officier pour l’inviter à terminer la guerre par sa médiation.

Scipion écouta d’abord favorablement son envoyé ; mais, craignant ensuite de se rendre suspect à son parti, il, rompit toute négociation. César tenta encore quelques voies d’accommodement ; il eut une entrevue avec Libon, qui demeura sans effet, parce qu’il vit qu’au lieu de songer sincèrement à la paix, on ne tendait qu’à obtenir une trêve pour gagner du temps.

Dès que Pompée avait été instruit du débarquement de César, il s’était mis promptement en marche pour se porter sur la côte ; il arriva trop tard pour sauver Apollonie et Orico, et la diligence de César l’empêcha même de gagner Dyrrachium, où étaient ses magasins d’armes et ses munitions.

Aussitôt que les avant-gardes des deux armées s’approchèrent, un grand nombre de soldats des deux partis se reconnurent, se mêlèrent et s’entretinrent familièrement ensemble. César, voulant tourner à son avantage cette circonstance, appela Labienus, son ancien, lieutenant, et qui, désertant sa cause, était devenu l’un de ses plus implacables ennemis. Il lui demanda s’il n’était pas possible par quelque accord de prévenir l’effusion du sang romain. Comme ils s’entretenaient ensemble, les soldats les plus ardents des deux partis se lancèrent des traits ; on se sépara, et Labienus dit, en partant, qu’il n’y avait aucun autre moyen de faire la paix, que d’apporter à Pompée la tête de César.

Toutes les démarches pacifiques du conquérant de la Gaule lui conciliaient de plus en plus les vœux du peuple et de l’armée ; et l’orgueil des refus de Pompée n’augmentait son crédit que dans le sénat et parmi les patriciens.

Pendant plusieurs mois ces deux grands capitaines employèrent l’un contre l’autre les ressources de leur expérience et de leur génie ; César, pour forcer son ennemi à combattre, Pompée, pour éviter sans se compromettre une action décisive.

La position de César devenait de jour en jour plus critique. Il avait inutilement voulu empêcher la jonction de son rival et de Scipion ; il ne recevait point de vivres, et ne voyait point arriver les légions qu’il attendait de Brindes, et auxquelles la flotte de Bibulus fermait la mer. Cédant à son impatience, il se déguise une nuit en esclave, se jette dans une barque, met à la voile pour Brindes, et, avec une audace incroyable, confie sa grande destinée aux vents et aux hasards.

Une tempête furieuse s’élève ; le patron, craignant de périr et ne pouvant plus opposer son frêle esquif à la violence des flots près de l’engloutir, veut revirer, de bord et rentrer dans la rade ; le guerrier se lève, et se découvrant à lui : Que peux-tu craindre, dit-il, tu portes César et sa fortune ? Le patron, interdit, craint plus César que la mort, et obéit en silence. Mais la fureur des éléments rend sa manœuvre inutile, et le rejette malgré lui sur la côte d’où il était parti.

Peu de jours après, César apprit qu’Antoine échappant à la vigilance des ennemis, avait traversé la mer, et que, sans éprouver de pertes considérables, il était heureusement débarqué avec ses légions. L’ennemi ne put empêcher leur jonction.

César, avec ce renfort, vint présenter de nouveau la bataille à Pompée, près de Dyrrachium ; celui-ci, sans la refuser de manière à nuire à sa renommée, rangea ses troupes en bataille si près de ses retranchements qu’on ne pouvait l’attaquer sans désavantage.

César alors, quoique très inférieur en nombre, conçut le projet hardi d’assiéger cette forte armée, et de s’en rendre le maître, en la privant de subsistances. S’emparant avec une incroyable célérité de toutes les hauteurs qui dominaient la plaine où Pompée campait, il y construisit des forts qu’il finit par des retranchements, de sorte que l’ennemi se trouvait exactement bloqué dans cette enceinte.

Le succès répondit, à son attente ; déjà le défaut de vivres faisait souffrir les ennemis, lorsque deux nobles Allobroges, pour un léger mécontentement, quittèrent le camp de César, et vinrent découvrir à Pompée le côté faible de la position de son rival : c’était une partie de retranchements qu’on n’avait pas eu le temps d’achever du côté de la mer.

Tandis que César, profitant de ses avantages, attaquait et forçait l’un des camps de Pompée, celui-ci se portant au lieu indiqué par les transfuges, combat et culbute la neuvième légion qui s’y trouvait. Sa fuite jette le désordre, et répand la terreur dans l’armée de César : cavalerie, infanterie, tout se mêle, s’entasse dans les chemins, s’étouffe dans les fossés. César, arrachant une enseigne, veut en vain arrêter les fuyards ; il est emporté par la foule qui l’entraîne : les retranchements sont déserts ; officiers, soldats, tous jettent leurs armes, se dispersent, et regagnent en tumulte leur camp qu’ils ne songent pas même à défendre, et dont Pompée se serait infailliblement emparé s’il les eût poursuivis mais, prenant cette déroute inattendue pour un piège, il s’arrêta, et donna le temps à la crainte de se dissiper et au courage de renaître.

César, qui avait mesuré tout son danger, s’écria : Pompée sait vaincre, mais il ne sait pas profiter de la victoire ! Après avoir infligé quelques châtiments à l’indiscipline, et rassuré ses soldats en leur rappelant leurs exploits qu’un léger échec ne pouvait effacer, il changea de plan, s’éloigna de Dyrrachium, et marcha en Thessalie.

Le bruit de sa défaite, grossi par la renommée, l’y précédait ; la ville de Gomphies, qui s’était montrée précédemment favorable à sa cause, lui ferma ses portes. On n’outrageait pas impunément César ; il escalada promptement les remparts, livra la ville au pillage, et se porta sur Métropolis, qui se rendit à son approche.

Il devint bientôt maître de toute la Thessalie, excepté de Larisse que Scipion était venu défendre avec une légion ; celui-ci appela Pompée à son secours. Pompée, jusque-là, n’écoutant que la prudence, avait suivi le plan le plus sage et le plus habile. Gagner du temps, c’était perdre César, qui ne recevait ni vivre ni recru pour son armée, tandis que la sienne, pourvu de tout, grossissait chaque jour. Mais la victoire de Dyrrachium enivrait  toutes les têtes ; les vieux sénateurs, les jeunes patriciens supportaient avec regret l’éloignement de Rome, la privation des plaisirs, l’ennui de la campagne ; regardant César comme un fugitif, ils accusaient hautement leur chef de retarder la consommation de sa ruine pour satisfaire son orgueil, et pour garder plus longtemps le commandement d’une armée dont le camp renfermait le sénat, les consuls, et toute la majesté de l’empire.

Pompée, cédant à leur impatience, marcha en Thessalie, et campa  au pied d’une hauteur, dans la plaine de Pharsale, où César accourut promptement pour livrer la bataille décisive qu’il avait depuis si longtemps souhaitée.

Quel spectacle que celui de la lutte de ces deux colosses de gloire, à laquelle assistaient, comme à un combat de gladiateurs, l’Europe, l’Asie et l’Afrique, incertaines sur le choix du maître que le sort des combats allait leur donner.

Dans le camp de César on ne s’occupait qu’à préparer ses armes, à s’exciter mutuellement au combat, à tout disposer pour le succès. Dans le camp de Pompée on ne songeait qu’aux fruits de la victoire, au retour en Italie, aux spectacles de Rome. Les chefs se partageaient d’avance l’héritage et les dépouilles des vaincus. Domitius, Scipion et Lentulus se disputèrent même vivement le souverain sacerdoce dont César était revêtu. La vengeance n’occupait pas moins que l’ambition, et les patriciens décidaient la proscription de tous ceux de leurs collègues qui, restés à Rome, s’étaient soumis à l’ennemi.

Pompée, partageant l’ivresse générale, parla avec mépris de César, le représenta comme un brigand, comme un ennemi de la justice et des lois : il atténua le mérite de ses exploits, disant qu’il n’avait vaincu que des barbares, et qu’il ne résisterait pas à des Romains. Je vous ai promis, ajoutait-il, que l’armée de César serait vaincue avant de combattre ; si cette assertion vous paraît incroyable, mon plan, que vous allez connaître, vous l’expliquera. César n’a que mille chevaux à opposer à notre nombreuse cavalerie ; cette cavalerie, composée de l’élite de Rome et de tous les chevaliers romains, tournera son armée ; l’attaquera sur ses derrières et sur son flanc ; elle la détruira sans compromettre nos légions et sans même qu’elles trouvent l’occasion de lancer un javelot.

Labienus, dont le nom inspirait aux soldais une grande confiance, parce qu’il brillait encore de quelques rayons que la gloire de son ancien chef avait répandus sur lui, leur dit : Compagnons, ne croyez pas que vous ayez aujourd’hui devant vous ces anciens légionnaires aguerris, ces braves vainqueurs des Gaulois ; moi , témoin de toutes leurs batailles, je puis vous attester que la plus grande partie d’entre eux à péri dans les Gaules, une autre dans les marais d’Italie, et que le reste vient d’être exterminé dans les combats de Dyrrachium. Vous n’avez à combattre que des barbares et de nouvelles levées.

Pompée plaça à son aile droite les légions de Cilicie et les troupes d’Espagne, commandées par Afranius ; au centre Scipion avec deux légions de Syrie : il prit lui-même le commandement de l’aile gauche, où se trouvaient les deux légions qu’il avait autrefois reprises à César. Sa droite était appuyée à une rivière, sa gauche, était couverte par sa cavalerie ; sept cohortes d’élite gardaient son camp et en défendaient les forts. Le reste de ses troupes était répandu entre son centre et les deux ailes.

Il ordonna à toute l’armée d’attendre de pied ferme l’attaque des ennemis, espérant sans doute que, fatigués par leur course, ils arriveraient en désordre, et seraient enfoncés facilement par ses légions.

Pompée (selon César) fit par cet ordre une grande faute, en oubliant que l’ardeur de celui qui attaque s’accroît, tandis que le courage de celui qui se défend s’ébranle et s’attiédit.

César avait rangé son armée sur quatre lignes ; il se plaça à l’aile droite opposée à Pompée, et que Sylla commandait sous ses ordres. Il confia le centre à Cnéius Domitius, la gauche à Marc-Antoine, et détacha six cohortes d’élite pour fortifier sa droite contre la cavalerie ennemie.

L’armée de Pompée s’élevait à près de cinquante mille hommes, et celle de César à vingt-deux mille. César, haranguant, ses troupes énergiquement, mais en peu de mots, leur rappela leurs victoires, les injures dont on avait payé leurs travaux, ses efforts sans cesse renouvelés pour éviter la guerre civile ou pour la terminer. Montrant une profonde horreur pour l’effusion du sang romain, il en rejeta tout l’odieux sur l’inflexible orgueil de ses ennemis. La valeur éprouvée de ses soldats et la justice de sa cause lui étaient, disait-il, de sûrs garants de la victoire.

Rassurant enfin ses légions contre la nombreuse cavalerie de Pompée qui couvrait la plaine, il représenta ces chevaliers romains comme de jeunes efféminés, plus soigneux de leur figure que de leur renommée. Songez, dit-il, en les attaquant, à ne les frapper qu’au visage, et vous les verrez fuir. Après ces mots, ses troupes reçurent le signal du combat. Pompée avait donné pour mot d’ordre Hercule l’invincible, et César Vénus la victorieuse.

Les légions de César, mûries par l’expérience, s’arrêtèrent au milieu de leur coursé dès qu’elles virent que les troupes de Pompée les attendaient sans faire aucun mouvement. Après avoir repris quelques moments haleine, elles s’élancèrent de nouveau et joignirent l’ennemi qui, les reçut de pied ferme et intrépidement.

La brillante et nombreuse cavalerie de Pompée, la fleur de la jeunesse romaine, sur laquelle se fondait l’espoir de son général, chargea dans cet instant, suivant l’ordre qu’elle en avait reçu, la faible cavalerie de César ; et, après l’avoir forcée à se retirer, elle déploya ses colonnes en escadrons, cherchant, par une conversion, à envelopper l’aile droite des ennemis.

Les six cohortes de la quatrième ligne de César, qu’il avait destinées à s’opposer à ce mouvement, se précipitèrent alors avec impétuosité sur ces chevaliers, dirigeant leurs lances contre leurs visages : ce que César avait prévu arriva. Cette jeunesse épouvantée de ce nouveau gente d’attaque, tourna le dos et prit la fuite. Les cohortes la poursuivirent, l’empêchèrent de se rallier, et prenant ensuite en flanc et en queue l’aile gauche de Pompée, y jetèrent le désordre et l’enfoncèrent.

Pompée, voyant la défaite de sa cavalerie, sur laquelle il avait trop compté, semble tout à coup privé de son génie, de son courage et même de sa raison ; et, tandis que son centre et son aile droite, encore intacts, disputaient le champ de bataille avec opiniâtreté, et rendaient la fortune incertaine, désertant lui-même le premier sa cause, il quitte le combat, commande aux cohortes prétoriennes de défendre, en cas de malheur, l’entrée du camp, se retire consterné dans sa tente, et attend en silence, sans vouloir y prendre part , les arrêts du sort sur sa destinée.

Les cohortes victorieuses poursuivaient leurs avantages. Après une longue résistance, qui avait duré depuis l’aurore jusqu’à midi, les légions de Pompée, se voyant à la fois attaquées de front, en flanc et sur les derrières, cèdent à la fortune ; les uns se retirent sur une montagne peu éloignée, et les autres se dispersent, jettent leurs armes, fuient, meurent ou se rendent.

Quoique les vainqueurs fussent accablés par la chaleur, harassés de fatigue, César les conjure de ne pas laisser leur victoire incomplète ; il les harangue, les presse, ranime leur force et leur courage. Entraînés par sa voix et par son exemple, ils attaquent le camp ennemi que les cohortes prétoriennes, les alliés et surtout les Thraces défendent avec vigueur. César criait aux siens : Exterminez les étrangers, mais épargnez les Romains !

Après un combat sanglant lés retranchements sont forcés. Pompée alors s’écrie : Eh quoi ! ils viennent jusque sous nos tentes ? A ces mots, déjà dépouillé de sa gloire, il quitte la pourpre, les marques de sa dignité, prend un vêtement obscur, et, monté sur un coursier rapide, il fuit jusqu’à Amphipolis.

Les vainqueurs, qui venaient de quitter un camp où l’on ne voyait que du fer, sont frappés dans le camp du vaincu par l’éclat de l’or, de l’argent et de l’ivoire ; toutes les tentes étaient ornées de myrtes et de lierre, et ils ne rencontraient partout que des tapis de pourpre et des tables couvertes d’une brillante vaisselle d’or et d’argent.

La discipline des troupes de César était si sévère, qu’à sa voix, sans s’arrêter au pillage, les soldats le suivirent, et marchèrent à la poursuite des ennemis. Ceux-ci, quittant la position qu’ils occupaient, se retirèrent sur une hauteur près de Larisse. Là, enveloppés par l’armée victorieuse, ils capitulèrent et se rendirent, César, dans cette grande journée, ne perdit que douze cents hommes. La perte de Pompée s’éleva à quinze mille, et vingt-quatre mille furent faits prisonniers.

César, contemplant avec tristesse cette foule de Romains étendus sur le champ de bataille, dit en soupirant : Ils l’ont voulu, et m’y ont forcé ! car ils m’auraient proscrit, si, après tant de conquêtes, j’avais licencié mon armée. Conservant les jours de ceux que le fer avait épargnés, il écrivit à l’un de ses amis : Le plus doux fruit de ma victoire est de sauver tous les jours la vie à quelques-uns de ceux qui ont combattu contre moi.

On lui apporta les papiers de Pompée ils les brûla sans les lire, ne voulant pas, disait-il, apprendre par ses correspondances le nom des ingrats qui avaient projeté de le trahir.

Pompée, en fuyant, répéta plusieurs fois que sa fortune était renversée par la lâcheté de ceux sur lesquels il avait le plus compté. Apprenant que César le poursuivait sans relâche, il s’embarqua sur un vaisseau marchand, et rejoignit, sa femme Cornélie à Lesbos. Elle espérait son triomphe, et s’évanouit en apprenant son désastre. Hélas ! lui dit-elle, veuve de Crassus, je vous ai apporté mon malheur en dot. Avant de vous unir à moi, vous dominiez les mers avec cinq cents vaisseaux : vous fuyez aujourd’hui ! Pourquoi vous associer encore à mon infortune ? Que n’ai-je exécuté le dessein que j’avais formé de m’ôter la vie ! mais, je le vois, les dieux m’ont destinée à augmenter sans cesse les malheurs de Pompée !

Cet illustre fugitif l’embrassa, la consola, affermit son courage, et descendit sur les côtes de Cilicie, où il ralliât quelques bâtiments et deux mille hommes. Son dessein était de s’établir à Antioche, et d’y rassembler une armée ; mais la Syrie, autrefois le théâtre de sa gloire, devint alors celui de son humiliation. Antioche lui ferma ses portes et toutes les villes d’Asie lui interdirent l’entrée de leur territoire. Il aurait pu, il aurait dû sans doute se porter en Numidie où des légions dévouées et un allié fidèle, le roi Juba, offraient encore quelques chances favorables à son courage ; mais son impatience préféra des ressources moins éloignées.

Le souvenir des services qu’il avait rendus aux Ptolémée le décida à chercher un asile et des secours en Égypte. La dernière chose qu’une grande âme prévoit, c’est la bassesse et l’ingratitude. Il compta sur la reconnaissance, et se perdit.

Son arrivée prochaine ayant été annoncée à Ptolémée, ce jeune roi rassembla son conseil pour délibérer sur ce qu’il devait .faire. Tout homme qui délibère entre le courage et la honte finit nécessairement par prendre le parti le plus lâche.

Les infâmes ministres du roi d’Égypte, craignant le ressentiment, de Pompée si on le renvoyait, et les vengeances de César si on le recevait, décidèrent leur faible maître à gagner la bienveillance du vainqueur par la mort du vaincu.

Pompée, croyant aux protestations de dévouement qu’il reçoit, et résistant aux terreurs de Cornélie que l’amour éclairait, descend sur une chaloupe, s’éloigne de ses vaisseaux, passe sur une barque où ses assassins l’attendaient, et tombe sous les coups du traître Septimius, aux yeux de son épouse désolée, que la flotte romaine dérobe, malgré elle, en fuyant, à la perfide cruauté de ses ennemis.

Le corps du grand Pompée, séparé de sa tête, reste seul, étendu sur les sables brûlants de la côte africaine ; et tandis que les rois ingrats et le monde entier abandonnent et trahissent cet ancien maître de la terre, Philippe, un affranchi, secondé par un vieux soldat romain, fidèle à la gloire et au malheur, rassemble les débris d’un bâtiment échoué, en forme un bûcher, recueille ses cendres, lui élève un monument de terre et de gazon, et y place cette inscription : Quelle modeste tombe couvre les restes de celui à qui la terre éleva des temples !

Le parti de Pompée lui survécut, et combattit quelques temps encore, pour défendre sa cause, et pour venger sa mémoire. Ses magasins étaient à Dyrrachium ; Caton commandait les troupes qui les gardaient ; Cicéron, Varron et d’autres sénateurs s’y trouvaient avec lui. Labienus, le jeune Pompée, ainsi que les commandants de diverses escadres les rejoignirent. Consternés de leur défaite, ils étaient tous résolus à fuir, mais chacun avec des motifs différents. Caton, après avoir ramené ses soldats en Italie, formait le dessein de fuir dans un désert toute tyrannie. Cicéron ne désirait que la retraite et le repos ; Labienus et Pompée, ainsi que Scipion, prétendaient continuer la guerre. Ils se rassemblèrent pour délibérer.

Caton ; qui n’était que préteur, déféra le commandement de la flotte au proconsul Cicéron ; mais celui-ci, loin d’accepter cet honneur périlleux, déclara qu’il fallait non seulement quitter les armes, mais les jeter. Ce lâche discours irrita tellement le jeune Pompée, qu’il l’appela déserteur, traître, et l’aurait tué, si Caton ne l’eût dérobé à sa violence. Cicéron, échappé de ce péril, partit pour Brindes, honteux, consterné, craignant également le retour de l’ennemi qu’il avait combattu et le triomphe des amis qu’il abandonnait. Il attendit avec inquiétude les ordres de César, qui lui rendit sa bienveillance.

Caton, que la chute du ciel n’aurait pas ébranlé, partit avec quelques vaisseaux pour chercher Pompée, dont on ignorait encore la destinée. Scipion, suivi de Labienus, conduisit ses légions en Afrique, résolu d’implorer le secours de Juba, roi de Mauritanie. Cassius, avec dix vaisseaux, se dirigea vers les côtes d’Asie, dans le dessein d’armer pour sa cause Pharnace, roi du Bosphore. Le jeune Pompée partit avec le reste des troupes et de la flotte pour l’Espagne, où son courage et son nom réunirent bientôt une puissante armée.

César, qui comptait plus sûr sa célérité que sur le nombre de ses troupes pour soumettre l’Orient, n’avait qu’un but, celui de poursuivre assez rapidement Pompée pour ne pas lui laisser le temps de se reconnaître, de rassurer les esprits, et de former une nouvelle armée. N’emmenant avec lui que trois mille hommes, et les précédant lui-même, il traverse l’Hellespont sur une barque, et tombe au milieu des vaisseaux de guerre commandés par Cassius. Tout autre, troublé par ce péril extrême, eût été perdu. César, inaccessible à la crainte, aborde les ennemis en vainqueur, leur parle en maître ; leur ordonne de se rendre ; on lui obéit.

Poursuivant sa marche, il arrive en peu de jours à Alexandrie. Le rhéteur Théodote, un des meurtriers de Pompée, lui présente la tête de ce héros. César repousse avec horreur cet infâme tribut, et verse des larmes sur le sort d’un grand homme qu’il aurait dû venger.

Le jeune roi Ptolémée, et Cléopâtre, qui était à la fois sa sœur et sa femme, se disputaient alors le trône. César soumit leur querelle à son arbitrage. La reine vint la nuit avec audace dans l’appartement de César ; ses charmes gagnèrent sa cause ; elle s’empara du cœur de son juge. Une autre sœur du roi, nommée Arsinoé, partit d’Alexandrie, et se mit à la tête de l’armée égyptienne, que commandait sous ses ordres Achillas. Cette armée s’empara de toute la ville d’Alexandrie à l’exception du quartier où César, comptant plus sur son nom que sur ses forces, s’était retranché avec quatre mille hommes.

Jamais il ne courut plus de périls et ne montra plus de courage personnel que dans cette circonstance. Il incendia la flotte égyptienne, dont les flammes, se communiquant à la fameuse bibliothèque, détruisirent ce célèbre monument du génie d’Alexandre et de la sagesse des premiers Ptolémée. Repoussé dans une attaque contre l’île de Pharos, César, voyant son vaisseau submergé, se jeta dans la mer tout armé, portant ses Commentaires dans une main et tenant dans ses dents sa cotte de mailles, il traversa la rade à la nage, échappant aux traits qu’on lui lançait de toutes parts ; il ne dut son salut qu’à son courage indomptable et à son incroyable vigueur.

Bientôt des renforts arrives, de Palestine et de Syrie le mettent en état de reprendre l’offensive contre ses ennemis. Il poursuit l’armée d’Arsinoé qui, après avoir fait mourir le général Achillas, lui avait donné l’eunuque Ganimède pour successeur. Cette reine tombe dans les fers de César : il emporte Péluse d’assaut ; Memphis lui ouvre ses portes ; Ptolémée échappé du palais où on le gardait, rassemble une nouvelle armée, et livre sur les bords du Nil une bataille où César remporte la victoire. Le roi, se jetant dans une barque trop chargée, périt en voulant traverser le fleuve. César rentre en triomphe dans Alexandrie, et place sur le trône Cléopâtre qui règne sur l’Égypte et sur lui.

La guerre ne le retenait plus dans cette contrée ; les vents, trop longtemps contraires à son départ, lui étaient devenus favorables ; les plus grands intérêts l’appelaient à la poursuite du parti vaincu mais la politique cède trop souvent aux passions. L’amour vainquit cette fois l’invincible César, et enchaîna quelque temps dans le sein des plaisirs son infatigable activité.

L’Italie en trouble redemandait le chef que dans son absence elle venait de nommer dictateur. Caton et Scipion, qui, au refus du timide Cicéron, s’étaient mis à la tête des restes de l’armée de Pharsale, relevaient en Afrique leur parti, soutenu par l’alliance de Juba. Le jeune Pompée faisait revivre son père en Espagne, levait de nouvelles légions, couvrait les mers de ses vaisseaux ; et César, qui savait si bien le prix du temps, ne semblait alors connaître que celui des voluptés.

Un danger plus prochain le tira de ce sommeil ; Pharnace, fils du fameux Mithridate, et roi du Bosphore, après s’être emparé de la Colchide, du Pont, de la Cappadoce et de l’Arménie, venait de défaire en bataille rangée un général romain, Domitius Calvinus. À cette nouvelle, César s’arrache des bras de Cléopâtre qu’il ne devait plus revoir ; il lui laisse pour gage de son amour un fils qu’on nomma Césarion. Traversant avec le vol d’un aigle la Syrie, la Cilicie, il arrive dans le Pont lorsqu’on le croyait encore à Alexandrie. Il attaque Pharnace, près de Zéla, avec vingt mille hommes, Pharnace dont l’armée était triple de la sienne ; il l’enfonce, la met en fuite, et remporte une victoire complète. Ce fut pour rendre compte de cette bataille qu’il écrivit ces trois mots célèbres : Veni, vidi, vici. Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.

Pharnace, après sa défaite, se retira dans le Bosphore. Le gouverneur du royaume, révolté contre lui pendant son absence, le combattit et le tua. César donna son trône à Mithridate de Pergame, dont les secours lui avaient été si utiles en Égypte.

Ayant ainsi pacifié l’Orient, il revint à Rome. Antoine souillait cette ville par ses débauches, humiliait le sénat par sa hauteur, et poussait l’insolence au point de s’y montrer en vainqueur, et de le présider en portant, contre l’usage, un glaive à son côté. En même temps Dolabella y flattant la multitude, pour arriver au pouvoir, répandait le trouble dans tous les esprits, et menaçait toutes les fortunes d’une subversion totale par un projet de loi, dont le but était l’abolition des dettes. Enfin, quoiqu’on eût décerné la dictature à César pour un an, le consulat pour cinq, le tribunat pour toute sa vie et un pouvoir sans limite, tous ceux qui s’étaient déclarés et qui avaient formé des vœux pour la liberté, craignaient l’arrivée et la vengeance du vainqueur.

 César parait, dissipe toutes ces inquiétudes, réprime les accès d’Antoine, s’oppose aux propositions factieuses de Dolabella, accorde aux débiteurs une remise d’arrérages, borne ses rigueurs à la vente des biens de Pompée, rappelle les bannis, pardonne aux vaincus, ne fait, pour la distribution des emplois, aucune distinction entre ses partisans et ses anciens ennemis et rétablit par sa clémence le calme et la paix.

Cependant l’Afrique l’appelait encore aux combats ; Caton, traversant les déserts de la Libye et bravant les feux du soleil, la stérilité du sol, les animaux féroces et les énormes serpents qui infestaient ces vastes contrées, avait conduit à Utique les débris, de l’armée de Pharsale. Il trouva près de cette ville l’armée de Mauritanie et les légions levées par Metellus Scipion : toutes ces troupes, dévouées à la défense de la liberté, devaient offrir le commandement général au plus ferme soutien de la république, à Caton ; mais il refusa, se chargea seulement de la défense d’Utique, et voulut qu’on choisit pour général Scipion, dont le nom semblait, sur la terre de Carthage, un présage assuré de la victoire. Labienus commanda l’armée sous ses ordres.

César, avec sa diligence accoutumée rassemble ses légions et ses vaisseaux, s’embarque et aborde en Afrique. Au moment où il descendait, de sa chaloupe, son pied glisse, il tombe. Craignant alors l’impression que cet accident pouvait produire sur l’esprit de ses soldats, il feint d’embrasser la terre, et s’écrie : Afrique ! je te tiens.

Les grands hommes tournent à leur profit la faiblesse du vulgaire : il avait donné dans son armée un emploi élevé à un homme obscur et sans mérite, mais qui s’appelait Scipion, afin de balancer dans l’opinion publique l’avantage que ce nom donnait au général ennemi.

Cette armée vint promptement attaquer la sienne, afin de ne point lui laisser le temps de prendre toutes les mesures qui devaient assurer ses succès. La réputation de Metellus Scipion, la nombreuse cavalerie de Juba, le courage des vieux soldats de Pompée, et surtout l’habileté de Labienus, ardent comme tous les transfuges, triomphèrent dans ce premier combat du génie de César. Malgré tous ses efforts, la fortune resta indécise, et, s’il ne fut pas vaincu, il lui fut au moins impossible de vaincre ; ce qui, pour un tel homme, semblait presque une défaite.

César, rapide dans ses autres expéditions, prouva dans cette circonstance, que la patience ne lui était pas plus étrangère que la célérité, et qu’il savait attendre quand la prudence l’exigeait. Décidé à ne plus combattre, jusqu’à ce qu’il eût reçu les renforts qu’il attendait de Sicile, il s’enferma dans son camp supportant avec tranquillité les insultes de Metellus Scipion et les bravades de Juba.

Dès que ces nouvelles troupes furent arrivées, il sortit de ses retranchements et marcha sur Thapsus qu’il feignit d’assiéger pour attirer Metellus et Juba dans une position désavantageuse ; son plan réussit.

Les deux armées se livrèrent bataille. César, malade, ne put y assister, mais les habiles dispositions qu’il avait faites décidèrent la victoire, et l’on ne s’aperçut de son absence qu’au carnage épouvantable, que ses lieutenants firent des ennemis. On les massacra presque tous sans pitié, quoiqu’ils eussent jeté leurs armes et demandé la vie.

Juba, voyant son armée détruite, se donna la mort pour échapper à la fureur de ses sujets dont il était détesté. Metellus Scipion avait pris la fuite, mais, tombé dans les mains des vainqueurs, il se perça de son épée.

César, s’empara promptement de toutes les villes qui voulaient arrêter sa marche, et s’avança vers Utique, où se trouvait alors l’ombre de la république, représentée par un grand nombre de patriciens qui avaient pris le nom de sénat sous la présidence de Caton. Ce Romain sévère, qui n’eut peut-être d’autre défaut que l’affectation de la singularité et l’exagération de la vertu, voyant l’armée de Scipion détruite, l’univers soumis, et les défenseurs d’Utique frappés de terreur, crut que son existence devait finir avec celle de la liberté. Dissimulant le dessein qu’il méditait, il fit embarquer pour l’Espagne une partie des sénateurs, et conseilla aux autres de se s6uinettrë à César. Il parla le soir, avec ses amis de littérature, de philosophie et de choses indifférentes, avec une liberté d’esprit et une gaîté qui ne permettaient à personne de pénétrer son projet, rentrant, après le festin, dans son appartement, il n’entretint longtemps avec deux philosophes ; et, s’étant aperçu, qu’on lui avait ôté son glaive qui était ordinairement au chevet de son lit ; il appela ses esclaves, et se plaignit vivement qu’on le privât de tous moyens de défense si les troupes de César entraient la nuit dans la ville : Craignez-vous, dit-il, que j’attente à mes jours ? Vos soins sont superflus ; car, si je le veux, j’ai mille autres portes pour sortir de la vie. On lui rendit son épée. En la recevant, il prononça ces mots : Me voilà donc encore maître de ma destinée !

Resté seul, il se jette sur son lit, et, après avoir lu pendant quelques heures le Traité de Platon sur l’immortalité de l’âme, il saisit son glaive Y ‘ enfonce dans ses entrailles, jette un grand cri, et tombe sur le plancher.

A ce bruit on accourt. Il respirait encore : on pose malgré lui un appareil sur ses blessures ; mais, dès qu’il voit ses amis s’éloigner, il arrache cet appareil, déchire et rouvre sa plaies et meurt libre comme il avait vécu.

Le lendemain matin, César, entrant sans obstacle dans la ville, apprit la fin de ce grand homme et s’écria : Caton ! j’envie la gloire de votre mort ! pourquoi n’avez-vous envié celle de vous sauver la vie ?

Ce qui prouva la sincérité de ce mouvement généreux, ce fut la clémence avec laquelle il traita le fils de Caton et les autres personnages distingués qui se trouvaient encore dans Utique. Après avoir ainsi terminé en six mois la guerre  d’Afrique César revint à Rome, où il triompha tout à la fois des Gaules, de l’Égypte, de Pharnace et de Juba.

Ce triomphe dura quatre jours ; on voyait devant son char un tableau représentant le Rhin, le Rhône, le Nil et l’Océan enchaînés ; il était suivi par Vercingétorix, par Arsinoé et par le fils de Juba, illustres et malheureux trophées du vainqueur. Après cette solennité, Vercingétorix, dont le seul crime était d’avoir vaillamment défendu l’indépendance de sa patrie, fut envoyé à la mort. Quelles mœurs barbares que celles qui permettaient qu’une pareille action n’empêchât pas de vanter César comme le plus doux dés conquérants !

Rome entière semblait oublier que ce triomphe n’était que celui de la force sui la liberté. Toute la ville retentissait des louanges de César, le sénat, surpassant en adulations les courtisans d’Asie, ordonna qu’aux jours solennels le char du vainqueur de la république serait attelé, comme celui du soleil, de quatre chevaux blancs. Sa statue fut placée dans le Capitole, en face de Jupiter. On mit sous ses pieds le globe du monde, avec cette inscription : A César, demi-dieu.

Le peuple lui accorda la censure pour trois ans, la dictature pour dix, et le privilège de se faire précéder par soixante douze licteurs. Tous les citoyens, formant des vœux pour sa prospérité, solennisèrent son triomphe par un festin où vingt-deux mille tables furent servies avec profusion. La république célébra sa ruine comme un triomphe ;  et, pour qu’il ne manquât rien à l’humiliation de Rome, on vit pour la première fois dans les fêtes un grand nombre de chevaliers combattre au rang des gladiateurs. Tel fut le spectacle que Caton voulut éviter en se donnant la mort.

César, rougissant peut-être seul de tant de bassesses, crut devoir opposer une modération politique aux honneurs excessifs qu’on lui prodiguait, et promit au sénat d’user avec une grande réserve du pouvoir immense dont il était revêtu.

On ne peut que donner des éloges à la plupart des actes de son administration ; il assigna des récompenses aux citoyens qui se trouvaient pères de plusieurs enfants, accorda le droit de cité à plusieurs savants étrangers, et renouvela les anciennes lois contre le luxe des tables et des vêtements. Trop prodigue dans ses récompenses, il fit entrer dans le sénat neuf cents citoyens, dont plusieurs n’avaient d’autre mérite que celui de lui avoir montré un servile dévouement.

Depuis longtemps les erreurs du calendrier avaient amené un tel désordre que les mois ne s’accordaient plus avec les saisons. César y remédia, et se vit obligé, pour commencer cette réforme, d’ajouter soixante-sept jours à l’année 707, de sorte qu’elle en eut en tout quatre cent quarante-cinq.

Le ciel et la terre paraissaient obéir à César. Cicéron, après la défaite de Pharsale, s’était comme un autre soumis au vainqueur ; mais il ennoblit cette faiblesse en ne se mêlant des affaires publiques que pour adoucir le joug de la tyrannie. Sa voix éloquente se fit entendre avec courage en faveur des proscrits, et plus d’une fois il força le vainqueur du monde à se vaincre lui-même et à pardonner.

Caton s’était affranchi du despotisme par sa mort ; Cicéron s’en consola par l’étude, et ce fut dans ce temps de tyrannie qu’il composa la plupart de ses ouvrages philosophiques, éclairant ainsi pour leur bonheur privé ses concitoyens qu’il ne pouvait plus gouverner pour le bonheur public.

L’Espagne, que le ciel semble avoir destinée de tout temps à se voir la proie des étrangers, sans se laisser totalement subjuguer par eux, relevait alors le parti de Pompée. Les deux fils de ce grand homme, joignant les troupes qu’ils avaient rassemblées aux débris de Pharsale et aux restes de l’armée de Metellus, parvinrent à enformer treize légions. César, informé de leurs progrès, s’embarqua promptement pour les combattre. Ils évitèrent quelque temps avec soin d’en venir à une action générale ; et l’habile expérience de Labienus, qui leur servit de conseil, empêchant César de les forcer au combat, on ne s’occupa d’abord des deux côtés qu’à s’emparer de quelques villes ; mais enfin César menaçant, par ses manœuvres, les points dont la conservation était la plus importante pour leurs subsistances, ils se décidèrent à lui livrer bataille près de Munda.

Si l’on en croit Suétone et Florus, il n’y en eut jamais de plus sanglante et de plus disputée. César répétait souvent qu’ailleurs il s’était armé pour la victoire, et qu’à Munda il avait combattu pour défendre sa vie.

Les légions de Pompée, irritées de tant d’échecs, fatiguées de tant de courses, désespérées de se voir privées de leurs biens et de leur patrie, combattent avec une telle fureur, qu’après une longue résistance elles ébranlent les bandes aguerries de César, et les forcent à plier. En vain il rallie ses troupes, et, pour ranimer leur courage, se jette plusieurs fois dans la mêlée ; après l’avoir dégagé du péril, ses soldats intimidés continuaient leur retraite. Voulez-vous, compagnons, criait César, voulez-vous livrer à des enfants votre général qui a vieilli avec vous dans les combats ? Sa voix faisait rougir les légionnaires de leur faiblesse ; mais elle ne pouvait les décider à reprendre l’offensive, et la dixième légion seule, soutenant sa renommée, tenait intrépidement tête à l’ennemi. Dans ce moment César, qui avait ordonné à quelques escadrons numides d’insulter le camp de Pompée, s’aperçoit que Labienus détache un corps de cavalerie pour l’envoyer à leur poursuite ; il dit aussitôt d’une voix forte : La victoire est à nous ! Les ennemis prennent la fuite ! Ce cri répand l’espérance dans une armée et le découragement dans l’autre ; la dixième légion s’élance et se précipite sur les ennemis ; les auges légions suivent son exemple ; rien ne leur résiste ; Labienus périt, et l’armée de Pompée, après avoir perdu trente mille hommes, jette ses armes, se disperse et cherche son salut dans les montagnes.       

Cnéius Pompée, voulant gagner la mer et se trouvant coupé par la cavalerie ennemie, se retira dans une caverne et y fut découvert par des soldats qui lui coupèrent la tête. Son frère Sextus échappa aux recherches de ceux qui le poursuivaient, rassembla quelques vaisseaux, et ne fit plus la guerre que comme pirate jusqu’au moment où d’autres révolutions lui permirent de rassembler une armée.  

Cette journée glorieuse termina la carrière militaire de César, pendant laquelle il avait combattu trois millions d’hommes, subjugué trois cents peuples, pris huit cents villes, et immolé à son ambition un million de guerriers.

À son retour, il mécontenta le peuple en recevant les honneurs du triomphe pour une victoire qui contait tant de sang romain.

Les sénateurs, soit par excès de flatterie, soit dans l’intention d’exciter la haine publique contre le dictateur, accumulèrent sur sa tête plus d’honneurs qu’aucun mortel n’en avait encore reçu. On lui décerna, le nom de Jupiter Julius, le droit de porter la robe triomphale aux jours de fête, et en tout temps le privilège de ceindre son front d’une couronne de lauriers. Comme il était chauve, il reçut avec un plaisir presque puéril, cet honneur qui lui permettait de cacher sous des lauriers la nudité de sa tête. Le mois quintilis reçut le nom de Julius, pour rappeler l’époque de la naissance de César.

Tandis que la trahison lui préparait des poignards, l’adulation lui élevait des temples. On lui rendait partout les honneurs divins, il fut revêtu du commandement général de toutes les troupes avec le pouvoir de faire à son gré la guerre ou la paix. On le déclara dictateur perpétuel, sous le titre d’Imperator ; consul pour dix ans, et père de la patrie ; enfin, ce qu’on aura autant de honte à dire que de peine à croire, le sénat délibéra sur un projet de loi dont l’objet était de livrer à sa disposition la pudeur de toutes les dames romaines.

De tous les honneurs offerts au dictateur, il ne refusa que le consulat décennal, parce qu’il n’ajoutait rien à son autorité, et qu’il lui enlevait les moyens de satisfaire à peu de frais la vanité de quelques grands personnages.

César, arrivé au terme de ses désirs, pouvait jouir en paix de se puissance s’il avait pu lui-même y poser des bornes : mais quel ambitieux sut jamais s’arrêter ! Le maître du monde n’avait pas besoin du vain titre de roi ; aucune couronne ne brillait autant que ses lauriers. César eut la faiblesse d’ambitionner un nom odieux aux Romains ; cette faute causa sa ruine.

Tous les projets de cet homme extraordinaire étaient vastes et sans bornes comme son génie ; il rebâtit Carthage et Corinthe ; il avait conçu le dessein de remplir Rome de monuments, d’y rassembler la plus magnifique bibliothèque du monde il voulait rédiger un code civil, composer la statistique de l’empire, creuser à l’embouchure du Tibre un port pour les grands vaisseaux, dessécher les marais Pontins, joindre la mer Égée à celle d’Ionie en perçant l’Isthme de Corinthe, venger la mort de Crassus, subjuguer les Parthes, pénétrer en Scythie, franchir le Borysthène, ouvrir une route au travers des forêts de la Germanie, dompter ses habitants, et revenir à Rome par les Gaules.

Enivré de gloire, égaré par les conseils d’Antoine, et probablement trompé par les sénateurs qui méditaient sa perte, il résolut de ceindre le diadème avant de partir pour la guerre des Parthes. Le sénat, toujours servile, fit placer sa statue parmi celle des rois de Rome ; mais, par un sort étrange, on la posa près du buste de Brutus : c’était lui prédire son sort

Tous ceux qui dans Rome aimaient encore en secret la liberté, appelaient par leurs vœux un second Brutus ; il parut. Ce Romain destiné à rendre pour quelques instants, par un crime, la liberté à sa patrie, était le fils de Servilie, sœur de Caton ; il se nommait Marcus Bru tus ; la passion de Servilie pour César faisait croire généralement que ce héros, qui devait être sa victime, lui avait donné le jour. Brutus, fidèle aux principes de Caton, suivit en Thessalie les drapeaux de Pompée. Le jour de Pharsale, César, au milieu du champ de bataille, montra une vive inquiétude sur le sort du jeune Brutus : il était pris, on le lui amena. Ne se bornant pas à lui pardonner, il le combla de faveurs.

Brutus détestait la tyrannie ; mais il aimait le tyran. Son âme était partagée entre un sentiment qu’il ne pouvait vaincre et un devoir qu’il regardait comme sacré.

De toutes parts des avis secrets l’excitaient à soutenir la gloire de son nom et à délivrer sa patrie. En quelque lieu qu’il portât ses pas, et jusque sur le tribunal où il siégeait comme préteur, il trouvait des billets où l’on avait tracé ces mots : Tu dors, Brutus, tu n’es pas un vrai Brutus.

Jusque-là sa philosophie stoïque ne l’avait pas empêché d’acquérir à juste titre le renom du plus aimable, du plus doux, comme du plus vertueux des Romains ; mais la passion de la liberté, les vœux du peuple, et les conseils de ses amis tous républicains ardents, l’entraînèrent dans la conjuration que Cassius et soixante de ses complices tramaient contre le dictateur.

On avertit César de s’en défier ; il dit : Je connais la vertu de Brutus ; il attendra ma mort pour ressusciter la liberté. On lui avait aussi dénoncé Dolabella. Je ne crains point, répondit-il, ces hommes gras et vermeils ; c’est plutôt ce Cassius maigre, pâle et mélancolique dont je me méfie.

Cependant la superstition, qui mêle toujours ses fables aux vérités de l’histoire, raconte qu’alors plusieurs présages annoncèrent la chute du colosse qui pesait sur la terre. On vit errer des feux dans le ciel ; la nuit, des fantômes parcoururent la ville : César ordonnant un sacrifice, on ne trouva point de cœur dans le corps de la victime. En démolissant le tombeau de Capys, le fondateur de Capoue, on trouva une inscription qui annonça qu’on verrait périr le chef de la famille des Jules, l’année où ce tombeau serait ouvert. Enfin un devin avertit César que le jour des ides de mars lui serait funeste.

César, peu crédule, méprisait les présages qui le menaçaient, et se servait de ceux qui lui étaient favorables. On devait, pas ses ordres, publier un ancien oracle de la sibylle, qui déclarait que les Parthes ne seraient vaincus par les Romains que lorsque ceux-ci combattraient sous les ordres d’un roi.

Les tentatives des amis du dictateur, pour le faire couronner par le peuple, échouèrent toutes, et n’eurent d’autre résultat que de lui prouver la haine invincible des Romains contre la royauté.

Antoine, à la fête des Lupercales, ayant offert en courant un diadème à César, les murmures du peuple le contraignirent à le refuser. Ses partisans avaient placé des couronnes sur les têtes de ses statues ; les tribuns du peuple, Flavius et Marullus, vinrent audacieusement les arracher ; ce qui leur attira de grands applaudissements de la multitude.

Les courtisans de César, loin d’être découragés, se croyaient certains d’arriver à leur but par la servile complaisance du sénat. Cette compagnie, épouvantée et corrompue, devait, disait-on, se rassembler aux ides de mars pour décerner à César le titre de roi d’Afrique, d’Espagne, de Gaule, de Grèce et d’Asie, en ne lui laissant cependant en Italie que le nom de dictateur.

Les conjurés, informés de cette résolution, choisirent ce jour pour exécuter leur dessein. Porcie, fille de Caton, femme de Brutus, était digne par sa fermeté d’un tel père et d’un tel époux. Eclairée par son amour, elle avait deviné les projets de Brutus, et s’indignait de voir qu’il la crût trop faible pour lui confier le secret de son entreprise. Elle se fait elle-même une large blessure ; et, après avoir résisté aux souffrances qu’elle en éprouvait, sans montrer la moindre émotion, elle entre la nuit chez son mari, et lui découvrant sa plaie : Regarde, dit-elle, Brutus ; juge si la fille de Caton mérite ta confiance entière, et si elle est digne de partager tes espérances et tes périls. Avant de te demander ton secret, j’ai voulu savoir si j’étais capable de vaincre la douleur. Porcie fut la seule femme admise au nombre des conjurés.

Ces conspirateurs fameux étaient Cassius, qu’on pouvait regarder comme leur chef, quoiqu’il en laissât le titre à Brutus, plus considéré par son nom et par sa vertu ; Servius Galba, ancien lieutenant de César ; les deux Casca, Cimber, Minutius, partisans de Pompée ; Décimus Brutus, Domitius Cinna, Cassius de Parme, et Pontius Aquila. Les autres ne sont pas connus.

La majorité du sénat, sans être dans la conspiration, ne se trouvait que trop disposée à désirer une révolution. César n’était point cruel ; il avait pardonné à ses ennemis, plusieurs d’entre eux jouissaient de ses bienfaits ; il venait même de relever les statues de Pompée, et par là, comme le dit noblement Cicéron, il avait affermi les siennes. Mais s’il laissait chacun tranquille sur son existence et sur ses propriétés, il blessait sans ménagement, l’amour-propre de tous.

L’orgueil est si irritable qu’il ne reçoit pas de blessures légères ; toutes lui semblent mortelles ; et celui qui pardonnerait sa ruine totale veut se venger de la moindre offense.

César, se jouant des formes républicaines, faisait à son gré des sénatus-consultes sur lesquels le sénat n’avait pas délibéré. Cicéron écrivit à Atticus que, pendant son absence, il voyait, du fond de sa retraite, publier des décrets rendus sur son rapport, dont il n’avait jamais entendu parler et qu’il recevait à ce sujet des remerciements de rois et de princes dont il ignorait avant l’existence.

César étant assis un jour sur sa chaise curule, dans le Forum, tout le sénat vint le féliciter sur la dictature perpétuelle et sur d’autres nouveaux honneurs qu’on venait de lui décerner. Il ne daigna pas se lever ; ce qui excita une vive indignation, quoiqu’il voulût après donner pour excuse l’état de souffrance où il se trouvait.

Les esprits s’aigrissaient chaque jour, et la haine continuait à cacher son poignard sous le voile de la flatterie. Enfin les conjurés, s’étant rassemblés la nuit chez Brutus, décidèrent qu’ils immoleraient le dictateur le jour des ides, dans le portique de Pompée, où le sénat devait s’assembler.

Plus l’instant fatal approchait, et plus César semblait mépriser les conseils que lui donnaient la prudence et l’amitié. Exerçant un pouvoir usurpé sur une république jalouse de ses droits, au milieu des amis de Pompée qu’il avait vaincus ; il ne voulait point de gardes autour de lui : Il vaut mieux, disait-il, mourir une fois que de vivre dans de continuelles alarmes ; et comme on cherchait encore à réveiller ses soupçons contre Brutus : Je le connais, dit-il, un assassinat semblerait à sa vertu une victoire trop facile.

La veille des ides, comme il soupait chez Lepidus, l’entretien tomba sur le genre de mort qu’on devait préférer ; il répondit : La plus prompte et la moins prévue.

Cependant le jour qui devant terminer sa destinée étant arrivé, sa femme Calpurnie, troublée par un songe dans lequel elle avait cru le voir assassiné entre ses bras, se jette à ses pieds, et le conjure de ne pas sortir de sa maison, dans un moment que tant de présages devaient lui faire regarder comme funeste.

La grande âme de César, touchée par les craintes de l’amour, fut un moment ébranlée. Cédant, aux larmes de Calpurnie, il se décide à contremander l’assemblée du sénat. Un des conjurés, Décimus Brutus, qui entrait alors chez lui, prévoyant que ce délai pouvait renverser tous leurs desseins, lui représenta vivement l’injure qu’il ferait au sénat en refusant d’y venir, lorsqu’il l’attendait pour le couronner, et la tache dont il couvrirait sa gloire, si un songe de Calpurnie le décidait à faire une telle insulte au premier corps de l’état. César sortit, et la fortune sembla vouloir encore sur sa route le détourner du précipice où il allait tomber.

Ayant rencontré l’augure Spurina, qui lui avait annoncé son malheur, Tu le vois, lui dit-il, voilà cependant les ides de mars venues. — Oui, répondit le devin, mais elles ne sont pas encore passées.

Un esclave voulait l’avertir du péril qui le menaçait ; il ne put percer la foule dont il était environné.

Arthémidore, philosophe grec, lié avec les principaux conjurés, avait pénétré leur secret ; se mêlant au grand nombre de ceux qui présentaient des placets à César, il lui remit un mémoire qui contenait tous les détails de la conjuration et lui dit : Lisez promptement ; ceci est pour vous d’un intérêt urgent. César obsédé, n’eut pas le temps de lire cet écrit qu’il tenait encore lorsqu’il entra dans le sénat.

Les conspirateurs, qui l’y attendaient, cachaient sous un calme profond les mouvements divers dont ils étaient agités. L’œil le plus pénétrant, n’aurait pu deviner à leur maintien le coup terrible qu’ils méditaient. Ils s’occupaient avec une étonnante liberté d’esprit de la discussion des affaires publiques ; et l’un des sénateurs opposant à une opinion de Marcus Brutus la recommandation de César, César lui-même, répondit le préteur, ne pourrait m’empêcher de faire exécuter les lois.

Dès qu’on vit paraître le dictateur, la plupart des conjurés, comme ils en étaient convenus, allèrent au-devant de lui, et l’accompagnèrent jusqu’à sa chaise curule, tandis que d’autres éloignaient de lui Antoine, son ami et son collègue au consulat, en prétextant la nécessité de lui parler d’une affaire importante.

Pendant que César s’avançait, un sénateurs Popilius Léna, qu’on savait instruit de la conjuration, s’approche de lui, et lui parle quelque temps à l’oreille : une consternation soudaine saisit alors tous les conjurés, qui, se croyant trahis, portent déjà la main sur leurs poignards, décidés à se tuer pour éviter le supplice : Brutus seul, jugeant au maintien de Popilius qu’il était plutôt suppliant qu’accusateur, rassure d’un coup d’œil ses complices.

Dès que César est assis, Cimber se jette à ses pieds, lui demandant le rappel de son frère qu’il avait exilé. Les autres conjurés entourent César pour appuyer cette demande : le dictateur refuse ; trop pressé par leurs instances, il veut se lever, Cimber le retient par sa robe. C’était le signal convenu. César s’écrie : Ce ne sont plus des prières, c’est de la violence ! Casca, placé derrière son siège, le frappe à l’épaule, mais faiblement, car la crainte d’un coup si hardi rendait sa main tremblante et son poignard incertain. Misérable ! que fais-tu ? dit César en se retournant ; en même temps il perce le bras de Casca avec un poinçon qu’il tenait dans la main. Casca appelle son frère à son secours, tous les conspirateurs tirent leurs poignards ; César s’élance sur eux ; il écarte les uns, renverse les autres ; il reçoit enfin un coup de poignard dans la poitrine. Le sang qu’il perd, les glaives qu’on présente à ses yeux n’effraient pas son courage ; il se défend de tous côtés, quoique sans armes, comme un lion furieux et blessé ; mais au moment où il aperçoit Brutus qui lui enfonce son poignard dans le flanc, il prononce en gémissant ces mots : Et toi, Brutus, aussi ! Alors il cesse toute résistance, s’enveloppe la tête, baisse sa robe pour mourir encore avec décence, reçoit sans se plaindre tous les coups qu’on lui porte, et, par un sort étrange, tombe et meurt aux pieds de la statue de Pompée.

Tandis que les conspirateurs immolaient à leur ressentiment, à leur ambition, ou à la liberté, cette grande victime, tout le sénat, saisi d’horreur, restait immobile et en silence, n’osant ni seconder les conjurés, ni défendre le dictateur. Il leur était également impossible de parler ou de fuir ; mais lorsque César eut rendu le dernier soupir, et que Brutus, élevant son poignard ensanglanté, adressa la parole à Cicéron, et voulut haranguer le sénat, chacun des sénateurs, craignant d’approuver ou de condamner une telle action, sortit précipitamment de l’assemblée.

Antoine, Lepidus et les amis de César, glacés de crainte, se dépouillèrent des marques de leurs dignités, et cherchèrent précipitamment une retraite qui pût les dérober à la mort.

Les conjurés, suivis de quelques citoyens et d’un grand nombre de gladiateurs, se rendirent au Capitole et s’y fortifièrent. La nouvelle de ce meurtre, circulant rapidement dans la ville, y répandit la terreur. Les boutiques furent à l’instant fermées ; le Forum resta vide ; chaque citoyen, saisi d’effroi, s’enferma dans ses foyers : et le corps de César, isolé au milieu de la capitale du monde qui semblait alors déserte, fut porté par trois esclaves dans la maison de l’infortunée Calpurnie[1].

César mourut à cinquante-six ans. Jusqu’à quarante-deux il n’était pas sorti du rang des citoyens, et cependant son génie faisait déjà prévoir et craindre sa domination.

En quatorze ans il fit la conquête du monde ; jamais aucun homme ne le surpassa en talents, en ambition, en fortune. Nul général ne sut inspirer plus de dévouement à ses soldats : on les voyait aussi passionnés pour lui que leurs aïeux l’étaient autrefois pour la république. Il les enflammait d’un courage invincible.

Un de ses lieutenants, Acilius abordant un vaisseau ennemi, vit sa main droite coupée ; il continua de combattre, renversent avec son bouclier les ennemis qui l’entouraient ; il s’élança sur leur navire, et s’en empara.

Prés de Dyrrachium, Cassius Séva ayant l’œil crevé, l’épaule et la cuisse percées, et son bouclier hérissé de trente flèches, appela d’une voix forte les ennemis ; ils crurent qu’il voulait se rendre, et accoururent : Cassius, un genou en terre, sabra, perça tous ceux qui l’approchèrent ; le reste prit la fuite, le laissant vainqueur et entouré de victimes.

Pétronius se trouvait un jour enveloppé ; il fut pris par Scipion qui lui offrit la vie. Les soldats de César, répondit Pétronius, la donnent, mais ne la reçoivent pas. Et il se tua.

Avant la guerre civile, au moment où Pompée, Scipion et Caton excitaient le sénat à refuser au conquérant de la Gaule la prolongation de son gouvernement. L’officier chargé de ses dépêches, frappant de sa main la poignée de son épée, dit fièrement au sénat : Si vous, refusez à César le commandement qu’il veut et qu’il mérite, ce glaive le lui donnera.

La nature avait aussi bien traité César que la fortune. Sa taille était élevée, son teint d’une blancheur éclatante, sa tête ovale, son visage plein et coloré, ses yeux noirs et vifs, son corps élancé. Sa constitution robuste ne fut altérée que par quelques attaques d’épilepsie. Son maintien était doux et fier, sa voix sonore ; une grâce noble brillait dans tous ses mouvements quoiqu’il fût aussi dur, aussi infatigable dans les travaux qu’intrépide dans le péril, personne ne s’occupa jamais avec plus de soin de sa figure et de ses plaisirs. Il aimait à plaire comme à commander : ou lui voyait : toujours des habits somptueux, des étoffes fines, des franges magnifiques. Il ajoutait à sa parure les plus belles perles et les pierres les plus précieuses. On admirait dans son palais un grand nombre de statues et de tableaux des plus grands-maîtres.

Dans les forêts de là Germanie, comme au milieu des sables de l’Afrique, on remarquait dans sa tente, un parquet brillant et des carreaux moelleux. L’ordre le plus régulier et même le plus minutieux régnait dans sa maison. Il mit aux fers son panetier pour avoir servi à ses convives un pain différent du sien.

Sa ceinture flottante qu’il ne serra jamais, annonçait dès sa jeunesse l’excessif relâchement de ses mœurs. Dominé par les passions de la déesse dont il prétendait descendre, il enleva Posthumia à Sulpicius, Lollia à Gabinius, Tertullia à Crassus, Mucia à Pompée, qui l’appelait l’Égysthe de sa maison.

La femme qu’il aima le plus ardemment fut Servilie, sœur de Caton et mère de Marcus Brutus ; il lui fit présent d’une perle, estimée six millions. Il s’enflamma aussi pour Eunoé, reine de Mauritanie, et languit quelque temps dans les chaînes de la trop fameuse Cléopâtre.

Ses soldats le raillaient librement sur ses mœurs : ils chantaient autour de son char de triomphe : Romains, cachez vos femmes ! Nous vous amenons ce chauve voluptueux qui a conquis toutes les dames gauloises avec l’or enlevé à leurs maris.

Sans frein dans ses amours, il ne connut point les excès de la table. Caton disait de lui qu’il était le premier homme tempérant et sobre qui eût voulu renverser une république.

César savait que l’or est aussi nécessaire que le fer pour conquérir le monde : aussi, loin d’imiter la retenue des Fabricius, des Paul-Émile et des Scipion, qui ne combattaient que pour la liberté, il amassa d’immenses richesses par ses brigandages, surpassa en rapines, tous les proconsuls de son temps, tira six mille talents de Ptolémée, pilla toutes les villes, dépouilla tous les temples, enleva trois mille livres d’or au Capitole, et vendit sans pudeur plusieurs royaumes.

Né pour primer dans tous les genres, il dominait ses rivaux par la parole, comme il les terrassait par ses armes ; et Cicéron, vantant la noblesse, l’élégance et l’harmonie de son style, à la fois simple, fin, orné, fécond, écrivait à ses amis que personne ne pouvait disputer à César la palme de l’éloquence. Ses Commentaires, ajoutait-il, méritent le suffrage des hommes de goût. Sa manière d’écrire les porte à brûler leurs plumes. Ses mémoires sont simples, pleins de sens et de grâces, ils sont à demi nus, et pour tout ornement semblent avoir un vêtement tombé.

César composa dans sa jeunesse un éloge d’Hercule, une tragédie d’Œdipe et un recueil de maximes, ouvrages dont Auguste défendit la publication parce qu’il les trouvait trop incorrects ; mais il laissa deux livres -sur l’analogie et un poème intitulé le Voyage, qu’il avait composé pendant les vingt-quatre jours que dura la guerre d’Espagne.

Cicéron eût le courage de publier pendant sa dictature l’éloge de Caton : César y répondit par deux livres appelés Anti-Caton ; et, combattant avec urbanité le premier orateur de Rome, il l’éleva dans sa réponse au-dessus de Périclès.

Il ne supportait pas la résistance, mais il souffrait la raillerie. Lorsqu’il changea le calendrier, et que son ordonnance sembla régler la marche des astres, on dit devant Cicéron : Demain l’étoile de la lyre se lèvera. — Oui, répondit celui-ci, elle se lèvera pour obéir à l’édit de César.

César sollicita le consulat pour Calvus, qui avait fait contre lui des épigrammes, et il accorda dans son palais un logement au père du poète Catulle, qui l’avait diffamé dans une satire.

Un sénateur, se moquant de ses mœurs aussi efféminées que son courage était viril, lui dit qu’il ne serait pas facile à une femme de tyranniser des hommes. Rappelez-vous, répondit César, que Sémiramis a subjugué l’Orient, et que les Amazones ont conquis l’Asie. Cependant cet homme que l’on comparait à une femme, maniait les armes avec plus d’adresse que tous les soldats romains, domptait les chevaux les plus fougueux, marchait tête nue au soleil et à la gelée, faisait cinquante lieues par jour sur un cheval ou sur un chariot, et traversait à la nage les fleuves les plus rapides.

Son esprit était prompt comme son épée ; il dictait à la fois à plusieurs secrétaires et en des langues différentes ; il inventa, les chiffres pour garder les secrets de la politique. Il composait à cheval des poèmes, écrivait des dépêchés sur son char, rédigeait ses Commentaires dans sa tente, et méditait des lois en combattants.

Cruel pour effrayer, il se montra clément pour rassurer : il accorda la vie, à Domitius, son ennemi, qui devait le remplacer dans le commandement des Gaules. Respectant la reconnaissance pour l’inspirer, il permit à plusieurs de ses officiers de rejoindre Pompée dont ils avaient reçu des bienfaits.

Au commencement de la guerre civile, Pompée avait déclaré qu’il traiterait en ennemis tous ceux qui n’embrasseraient pas sa cause ; César, plus habile, proclama qu’il regarderait comme amis tous ceux qui resteraient neutres, et se donna ainsi les incertains et les timides, qui formeront éternellement la majorité du monde.

Politique profond, orateur éloquent, historien véridique, soldat intrépide, administrateur éclairé, vainqueur généreux, porté par la fortune et couronné par la gloire, César, qu’on se borne trop souvent à ne vanter que comme le premier des généraux et comme le plus célèbre des conquérants, fut un homme universel. Son génie était vaste comme le monde, qu’il dominait ; mais de même, qu’en admirant les pyramides d’Égypte, on s’étonne de voir que ces masses, victorieuses du temps, aient coûté tant de sang et d’or sans aucune utilité pour le genre humain, de même on regrette, en contemplant César, dont le nom a traversé les siècles, que sa grandeur colossale, funeste aux hommes, et fondée sur les débris de la liberté, n’ait pas eut pour base la vertu.

 

 

 

 



[1] An de Rome 709.