HISTOIRE ROMAINE

 

LIVRE II — CHAPITRE SIXIÈME

 

 

CÉSAR, délivré de Caton et de Cicéron, maître de l’esprit de Pompée par l’influence de sa fille, et redoutant peu Crassus, dont l’ambition était tranquille dès qu’on satisfaisait son avarice, partit enfin pour les Gaules avec ses légions. Il savait que Sylla n’était devenu maître de la république qu’après avoir vaincu Mithridate. Il avait vu Pompée, à son retour de l’Orient, au moment de s’emparer du pouvoir suprême s’il l’eût osé. Moins imprudent que l’un, moins timide que l’autre, déterminé à suivre leurs traces et à les dépasser, il conçut le vaste projet de subjuguer les Gaules, d’épouvanter la Germanie, de planter ses aigles sur les bords de la Tamise, de revenir en Italie à la tête de son armée victorieuse, et de fonder un trône solide sur les débris de la république.

Les Gaulois, autrefois la terreur de Rome, avaient longtemps passé pour les plus braves des peuples barbares. Leur vaillante et nombreuse population, maîtresse du nord de l’Italie, s’était répandue comme un torrent en Germanie, en Grèce et en Asie. Plus forts que les Romains, par leur constitution physique et par leur nombre, ils auraient conquis plus rapidement qu’eux l’Europe et l’Asie, s’ils n’avaient formé sous un seul chef qu’un seuil corps de nation. Mais, divisés en autant de petits royaumes ou de petites républiques qu’ils avaient de cités, ils ne purent suivre aucun plan régulier ni pour attaquer ni pour se défendre. Leurs diverses confédérations, jalouses l’une de l’autre, se firent mutuellement la guerre. Ils perdirent d’abord leurs conquêtes. Rome, maîtresse de la Gaule cisalpine réduisit peu de temps après la Gaulé narbonnaise (la Provence) en province romaine. La fertilité du sol, l’accroissement des villes, le voisinage des Romains apportèrent un grand changement dans les mœurs. Les Gaulois s’amollirent en se civilisant ; le goût des plaisirs, l’habitude du luxe et du commerce éteignirent peu à peu chez eux l’amour de la guerre, si longtemps leur seule passion. Ils conservaient encore un grand courage ; mais ils montraient moins d’ardeur dans les succès, moins de constance dans les revers. Aussi les Germains et les peuples du Nord ; qui les avaient autrefois redoutés, se firent craindre à leur tour par eux, firent de fréquentes invasions sur leur territoire, et rendirent tributaires plusieurs de leurs cités.

Si César n’eût pas connu cette grande altération dans leurs forces et dans leurs mœurs, aurait-il pu sans témérité se flatter de conquérir, avec quatre légions, une contrée si vaste et si belliqueuse ? L’horizon des hommes de génie est plus étendu que celui de leurs contemporains ; César prévit tout ce que pouvait faire l’audace et la discipline contre des peuples vaillants, mais légers et désunis ; et, au grand étonnement du monde, avec moins de trente mille hommes, il soumit à son joug, en huit années, ces fiers descendants de Brennus, dont le Capitole craignait encore le fer et la flamme.

Ce fut l’an 696 qu’il commença cette fameuse expédition. Nous savons, par ses Commentaires, que ce pays était alors divisé en trois parties principales, la Belgique, l’Aquitaine et la Celtique. Les Romains donnaient le nom de Gaulois aux habitants de la Celtique. La Marne et la Seine séparaient la Gaule ou Celtique de la Belgique ; la Garonne servait de limites aux Celtes et aux habitants de l’Aquitaine.

Les plus vaillants de tous les ennemis que battit César, furent les Belges et les Helvétiens (ou Suisses). Ces peuples, peu adonnés au commerce, étaient aguerris par leurs combats continuels contre les Germains.

L’ambition d’un noble Helvétien offrit le premier prétexte à César pour commencer la guerre. Orgétorix savait que ses compatriotes, mécontents de se voir resserrés dans leurs limites étroites entre le Rhin et le Jura, voulaient chercher une autre patrie, un climat plus doux, une terre plus vaste et plus fertile. Il voulut profiter de ces dispositions pour s’emparer du trône, bien convaincu qu’un peuple qui émigre tout entier ne peut espérer de succès dans son invasion que sous la conduite d’un chef. Enflammant les désirs de ses compatriotes, et leur montrant beaucoup de zèle pour seconder leurs projets, il rechercha l’alliance des Séquanais (ou Francs-Comtois), des Éduens (peuple d’Autun). Les agents chargés de cette négociation laissent entrevoir son espoir de régner et de partager avec ses nouveaux alliés l’empire des Gaules. On découvre ses intrigues ; le peuple helvétien se soulève et le cite en jugement ; il refuse de comparaître, arme ses partisans, et, les trouvant trop peu nombreux pour espérer de se défendre, il se donne la mort.

Le projet d’invasion qu’il avait formé lui survécut ; et les Helvétiens, brûlant leur douze villes et leurs quatre cents villages, se décidèrent à pénétrer dans les Gaules. Le chemin qui les aurait conduits chez les Séquanais offrait entre le Rhône et le Jura un défilé trop étroit, et, comme le pont de Genève leur appartenait, ils préférèrent la route qui traversait la province romaine, d’autant plus qu’ils espéraient attirer dans leur parti les Allobroges (Savoyards et Dauphinois).

César, informé de leurs desseins, en prévint l’exécution par sa célérité. Marchant à grandes journées, il arriva inopinément près de Genève, rompit le pont que les ennemis croyaient passer sans obstacles et ordonna de grandes levées dans la province romaine.

Les Helvétiens, étonnés de son apparition imprévue, lui envoyèrent des députés chargés de lui demander la permission de passer sur le territoire romain. César ne voulait pas la leur accorder ; mais, n’ayant pas encore assez de forces pour combattre sans se compromettre, il fit une réponse vague, promit une décision définitive dans un mois, et profita de ce temps pour construire un grand retranchement depuis le lac de Genève jusqu’au mont Jura. Il y plaça les troupes nouvellement levées dans la province, et déclara ensuite son refus aux Helvétiens. Ceux-ci s’adressèrent alors aux Séquanais, qui leur ouvrirent leurs frontières. Ils se mirent donc en marche dans l’intention de traverser la Gaule et de s’établir, sur les côtes de l’Océan, dans la contrée qu’on nomme aujourd’hui Saintonge. César, informé de tous leurs mouvements, confia à Labienus le soin de défendre ses retranchements, et courut en Italie. Il y prit trois légions, en leva deux nouvelles, franchit les Alpes, battit les peuples de la Maurienne et d’Embrun, qui s’opposaient à son passage, et arriva chez les Séquanais (Lyonnais), premier peuple gaulois qu’où trouvait au-delà des limites de la province romaine.

Il y reçut les plaintes des Éduens, dont le territoire était déjà ravagé par l’avant-garde des Helvétiens. César marche au secours de ce peuple, ancien allié de Rome, et atteint les ennemis sur les rives de l’Arar (Saône), au moment où les trois quarts, de leur armée avaient passé le fleuve ; il attaque, détruit leur arrière-garde, et construit un pont sur l’Arar.

Plus surpris que découragés par ce premier revers, les Helvétiens lui proposèrent avec fierté la paix, le menaçant, s’il la refusait, du sort de Cassius, autrefois vaincu et tué par eux.

César répondit qu’il ne connaissait pas la crainte, surtout lorsqu’il avait pour lui la justice ; mais qu’il accorderait la paix aux Helvétiens, s’ils voulaient lui donner des otages. Divicon, leur général, répondit que leur usage était d’en recevoir et non d’en donner.

La conférence fut rompue ; les barbares s’éloignèrent du fleuve ; César voulait les suivre, mais il manquait de vivres. Étonné de ne pas voir se réaliser les promesses des Éduens qui avaient imploré son secours et qui devaient lui fournir des subsistances, il apprit par un homme puissant de ce pays, nommé Divitiacus, sur le dévouement duquel il comptait, que deux factions divisaient ce peuple, que l’une d’elles favorisait les Helvétiens, et que Dumnorix, frère de Divitiacus, s’était mis à la tête de ce parti, dans l’espoir d’arriver à la royauté.

César, sans perdre de temps, appelle devant lui Dumnorix, l’accable de reproches, lui pardonne en faveur de son frère, et fait cependant surveiller toutes ses démarches ; cette conjuration déjouée, les vivres arrivèrent, et l’armée romaine, marchant rapidement, se trouva bientôt en présence des ennemis campés au pied d’une hauteur, à deux journées de Bibracte (Autun). César, ayant reconnu leur position, envoya secrètement Labienus tourner cette montagne, et s’emparer de son sommet. Ayant fait ensuite un mouvement pour se rapprocher de ses vivres, les ennemis prirent sa manœuvre pour une retraite, sortirent avec autant de confiance que d’ardeur de leur camp, et se précipitèrent sur lui. Ils étaient intrépides, très supérieurs en nombre, enhardis par des guerres heureuses. Le succès de cette bataille pouvait décider toute la Gaule en leur faveur, détruire la renommée de César, et renverser, dès leur naissance, les vastes projets de son ambition.

César sentit que ce moment et cette première affaire décideraient de sa destinée. Communiquant à son armée le sentiment qui l’agitait, il ordonne à tous les officiers de renvoyer leurs chevaux, il descend lui-même du sien, et prouve ainsi qu’il est déterminé à faire de cette plaine le premier théâtre de sa gloire ou son tombeau.

Les légions attaquent de front les ennemis avec impétuosité, et les enfoncent ; mais leur corps de réserve, tombant sur les flancs des Romains, rétablit le combat et balance la fortune. Labienus alors descend de la montagne, et attaque de son côté les barbares. Leur opiniâtreté disputa la victoire depuis une heure après-midi jusqu’au soir. Aucun d’eux, même en se retirant, ne tourna le dos aux Romains ; ils combattirent jusqu’au milieu de leurs bagages, et, après avoir vu ces bagages pris et leur camp forcé, ils se retirèrent, au nombre de cent trente mille hommes, sur les terres des Lingons (habitants de Langres).

Parmi les prisonniers faits sur eux se trouvèrent une fille et un fils d’Orgétorix. César envoya aux habitants de Langres la défense de donner asile aux vaincus. Lui-même, après avoir soigné les blessés et enterré les morts, il poursuivit l’ennemi, gagna quelques marches sur lui, coupa sa retraite, et le força d’implorer sa clémence. On fit une trêve ; les Romains demandèrent des otages. Tandis qu’on négociait, six mille hommes du canton d’Urbigène (Berne) s’échappèrent pour se sauver en Germanie. César ordonna aux cités qui se trouvaient sur leur passage de les arrêter. Elles obéirent et les lui renvoyèrent. Il les réduisit en esclavage, et conclut la paix avec les Helvétiens, en exigeant d’eux qu’ils rentrassent dans leur pays, dont il craignait que les Germains ne voulussent s’emparer.

Les Helvétiens avaient quitté leurs foyers au nombre de trois cent soixante-huit mille hommes, dont quatre-vingt-douze mille portaient les armes. Cent dix mille seulement retournèrent en Suisse ; tout le reste périt, à la réserve de vingt mille Boïens qui, avec le consentement de César, s’incorporèrent aux Éduens et s’établirent chez eux.

Les Gaulois redoutaient plus la domination romaine que l’invasion des Helvétiens ; mais, en tout temps, la victoire paraît commander à l’opinion ; la crainte prend le langage de la flatterie, et la haine les apparences de l’amitié, Tous les chefs de la Gaule celtique vinrent féliciter César sur son triomphe. Les hommes vulgaires se laissent endormir par l’encens et par les hommages ; les hommes de génie en profitent sans s’y fier.

César comptait plus, pour ses succès, sur les rivalités des différons peuples de la Gaule que sur leur affection. Il apprit, dans une conférence secrète qu’il eut avec Divitiacus., la véritable situation des affaires du pays. Depuis longtemps la confédération des Éduens et celle des Arvernes (Auvergnats) se disputaient l’empire. Les Arvernes, vaincus plusieurs fois, se joignirent aux Séquanais, et appelèrent les Germains à leur secours. Tout parti qui commet cette faute sacrifie l’intérêt général à l’intérêt privé, et livre sa patrie au joug humiliant de l’étranger. Les Germains passèrent le Rhin, d’abord au nombre de quinze mille hommes ; cent vingt mille de leurs compatriotes les suivirent bientôt. Les Éduens leur résistèrent avec courage ; mais, après avoir perdu une grande bataille dans laquelle périrent leur sénat, leur noblesse, la plus grande partie de leur cavalerie et de leurs alliés, ils se virent forcés de se soumettre, de donner des otages, et de descendre ainsi du premier rang dans les Gaules à celui de tributaire de l’étranger. Cependant leur malheur non mérité n’égalait point celui des Séquanais, et les vainqueurs portaient envie aux vaincus. Arioviste, roi des Germains, se montrait plutôt l’oppresseur des Séquanais que leur appui. Appelé par eux dans la Gaule, il s’était rendu le maître de leurs pays, avait pris le tiers de leurs terres, et venait encore récemment d’en faire distribuer à vingt-quatre mille Harudes (habitants de Constance).

Ces barbares exerçaient sur eux les plus horribles cruautés, et, pour les maintenir dans l’assujettissement, ils gardaient en otage les enfants des plus nobles familles. Moi seul, disait Divitiacus, j’ai refusé au tyran de ma patrie le serment qu’il a exigé des Éduens et des Séquanais. J’ai couru à Rome pour implorer des secours que je n’ai pu obtenir. Bientôt tous les peuples de la Germanie fondront sur les Gaules ; vous seul, César, vous pouvez nous sauver ; mais nous sommes perdus si Arioviste découvre le secret de la négociation dont mon pays me charge près de vous. Nous pourrions encore à la vérité nous dérober à la mort en abandonnant nos foyers ; les Séquanais n’ont pas cette ressource ; Arioviste tient leur existence dans ses mains ; et il les exterminerait s’il pouvait les soupçonner d’implorer votre appui.

César, après avoir interrogé les députés des Séquanais, dont les larmes et la honte ne confirmérent que trop le récit de Divitiacus, promit de les délivrer du joug qui pesait sur eux.

Il était d’un grand intérêt pour Rome d’empêcher les Germains de s’établir dans les Gaules, d’où ces peuples féroces seraient bientôt sortis pour ravager la province romaine, pour franchir les Alpes, et pour faire renaître de nouveau en Italie la terreur que les Cimbres et les Teutons y avaient autrefois répandue. Le génie de César prévit et prévint ces malheurs dont, quatre siècles après, l’empire romain, dans sa décadence, se vit la proie et la victime.

César, déterminé à chasser les barbares au-delà du Rhin, envoya des ambassadeurs à Arioviste pour lui demander une conférence. Le roi des Germains répondit, avec une fierté sauvage, que si César avait affaire à lui il pouvait le venir trouver dans son camp. César lui écrivit que, s’il voulait conserver l’amitié de Rome, il devait cesser d’attirer les Germains dans les Gaules, rendre aux Séquanais leur indépendance, aux Éduens leurs otages, et ne plus commettre contre eux d’hostilités : sinon que, le sénat et le peuple, ayant, sous le consulat de Messala et de Pison, ordonné aux gouverneurs de la province romaine de protéger les Éduens et leurs alliés, il se verrait forcé de venger leurs injures par les armes.

Arioviste répliqua que de tout temps le droit des vainqueurs était de dicter des lois aux vaincus, que les Romains avaient constamment et largement usé de ce droit. Les Éduens, ajoutait-il, ayant voulu courir les chances de la guerre, ont été défaits et soumis à un juste tribut ; s’ils veulent le payer, ils vivront en paix ; s’ils prétendent s’en affranchir, je les châtierai. Vos menaces, César, ne m’effraient pas, tous ceux qui ont osé m’attaquer s’en sont mal trouvés, et vous apprendrez à vos dépens ce que peut un peuple qui ne s’est jamais laissé vaincre, et qui, depuis quatorze ans, n’a pas couché sous un toit.

Au moment où César recevait cette lettre, il apprit que les habitants des cent cantons des Suéves se préparaient à traverser le Rhin pour se réunir à l’armée d’Arioviste. Cette nouvelle accéléra sa marche ; et, craignant que les barbares ne se rendissent maîtres de Vésontio (Besançon), posté très avantageux, il se bâta de s’en emparer.

Il comptait que l’ardeur des légions serait égale à la sienne ; son espoir fut trompé. Les marchands et les voyageurs qui arrivaient dans son camp faisaient des récits exagérés de la vaillance, de la force, de la taille gigantesque et du regard terrible des Germains. Tous ces récits, qui se grossissaient en se répandant, refroidirent d’abord les courages, les ébranlèrent peu à peu, et finirent par jeter une terreur panique dans l’armée. Les préfets, les sénateurs, les chevaliers, qui avaient peu d’usage de la guerre, et qui n’avaient suivi César que par affection, demandent des congés, et s’éloignent sous différents prétextes. Les officiers se cachent dans leurs tentes, le camp retentit de plaintes et de gémissements ; les soldats, croyant leur perte certaine, ne s’occupent qu’à rédiger leurs testaments. Ceux qui, par un reste de pudeur, voulaient dissimuler leur crainte, ne parlent que de l’a difficulté des chemins, de la profondeur des forêts ; enfin on en vint jusqu’à dire universellement que, si le général ordonnait de marcher, on n’obéirait pas.

César, seul sans effroi au milieu de cette armée terrifiée, rassemble les officiers des légions, et leur dit : Sous mon consulat, Arioviste s’est empressé de solliciter l’amitié de Rome ; et je crois qu’il réfléchira mûrement avant que d’y renoncer. S’il est assez insensé pour braver notre puissance, que craignez-vous ? Cet ennemi vous est-il inconnu ? Qui peut vous faire douter de votre courage et du mien ? Valez-vous moins que vos ancêtres, et moi, suis-je inférieur à Marius ? Les Cimbres et les Teutons ont fui devant eux. Récemment les Helvétiens que vous venez de vaincre ont mis en déroute ces Germains qui vous font trembler. Arioviste n’osait pas lui-même combattre les Éduens ; il leur a refusé longtemps la bataille ; et, s’il les a vaincus depuis, ce n’est que par surprise et par trahison. Ceux qui craignent de manquer de givres peuvent se rassurer, j’y ai pourvu. La difficulté des chemins ne doit pas vous occuper davantage ; je les ai reconnus : ils sont plus praticables que vous ne pensez.

On parle de désobéissance ; on menace, dit-on, de ne pas marcher : je ne puis croire à cette indignité ; jamais un général romain n’a éprouvé l’auront de se voir désobéir avant de s’être attiré la haine des troupes par son avarice, ou leur mépris par ses revers. Au reste, je comptais ne me mettre en marche que dans quelques jours ; mais vos murmures me décident à partir demain avant l’aurore ; je veux voir promptement si le devoir est chez vous plus fort que la peur. Si on refuse de me suivre, je suis au moins certain que la dixième légion ne m’abandonnera jamais, j’en ferai ma cohorte prétorienne ; et, seul avec elle, j’irai sans crainte attaquer et vaincre l’ennemi.

La fermeté de son maintien, la fierté de son regard, la hardiesse de ses paroles font une révolution soudaine dans les esprits. La tristesse des soldats se dissipe ; la joie et l’espérance brillent sur leurs fronts. Ils ne voyaient que le danger et la mort ; ils ne  demandent que la guerre et la victoire. Les tribuns de la dixième légion accourent aux pieds de César, le remercient de sa confiance, et lui promettent un éternel dévouement. Les autres légions lui députent leurs officiers pour lui jurer qu’elles le suivront partout et aussi loin qu’il le voudra.

César, ayant ainsi relevé leur courage, sort de son camp, et s’approche d’Arioviste, qui lui propose une entrevue. Le barbare, voulant le tromper, avait demandé qu’on n’amenât de part et d’autre qu’une escorte de cavalerie. César soupçonna le piége, et ordonna à des soldats de la dixième légion de monter sur les chevaux de cette escorte ; ce qui fit dire à un des légionnaires que César faisait plus pour eux qu’il n’avait promis, puisqu’ils ne devaient être que des prétoriens, et qu’il en faisait des chevaliers.

Les deux escortes s’arrêtèrent à deux cents pas d’un tertre où la conférence eut lieu. César rappela au roi ses traités avec Rome et l’obligation où se trouvait la république de défendre les Éduens.

Arioviste répondit qu’il n’était venu dans la Gaule qu’à la prière des Gaulois ; que, s’étant ensuite tous réunis pour fondre sur lui, il les avait vaincus ; que le tribut imposé sur eux devenait le fruit légitime de sa victoire. Les Romains, disait-il, n’ont point soutenu les Éduens contre les Séquanais. Pourquoi donc seraient-ils plus obligés à les défendre contre moi ? Je soupçonne, César, votre vrai motif ; vous ne prenez les armes que dans le dessein de vous rendre maître des Gaules. Je suis résolu à m’y opposer. Si, dans cette guerre, je pouvais vous ôter la vie, je vous préviens que je ferais une chose agréable à plusieurs grands personnages de Rome, qui m’ont envoyé des courriers pour m’y engager. Mais, loin de nous nuire, unissons nos intérêts : si vous consentez à me laisser libre dans mes conquêtes, je promets de favoriser les vôtres de tout mon pouvoir.

César commençait à lui répliquer qu’il ne voyait pas trop de quel droit la Gaule appartiendrait plu tôt aux Germains qu’aux Romains, lorsqu’on vint l’avertir que la cavalerie ennemie s’avançait, insultait la sienne, et lui lançait des pierres. César rompit la conférence, et se retira en défendant aux Romains d’user de représailles, car il voulait par là prouver sa bonne foi, et rejeter sur Arioviste seul le tort d’une si lâche infraction de la trêve. Une conduite si perfide redoubla l’ardeur des Romains contre les barbares. César savait que les Germains étaient supérieurs aux Romains dans les combats de troupes légères. Un fantassin agile accompagnait chacun de leurs cavaliers, le secondait dans l’attaque en lançant des traits, et le défendait de son bouclier et de son glaive s’il le voyait trop pressé. Aussi, loin de compromettre ses troupes en escarmouches, il retrancha son camp en présence de l’ennemi, et lui présenta la bataille. Arioviste la refusa et se tint renfermé dans ses tentes.

Les espions de César lui apprirent la cause de cette temporisation. Les Germains croyaient aux charmes et aux sortilèges ; ils pensaient que leurs femmes lisaient dans l’avenir, et ils regardaient leurs paroles comme des oracles. Arioviste, les ayant consultées, elles lui répondirent que les Germains ne pouvaient espérer de vaincre s’ils combattaient avant la nouvelle lune.

César, jugeant tout le parti qu’il pouvait tirer de cette aveugle superstition, attaqua le camp ennemi, et força ainsi les barbares à en sortir. L’aile qu’il commandait rompit d’abord leur aile gauche ; mais la droite de leur armée enfonça les Rom mains. Le jeune Publius Crassus, qui commandait la cavalerie ; fit avancer la troisième ligne et rétablit le combat. Bientôt l’ennemi rompu prit la fuite de tous côtés, et ne s’arrêta qu’au bord du Rhin : Arioviste et peu de ses gens traversèrent le fleuve à la nage et sur de petits bateaux ; le reste se noya ou fut taillé en pièces. Une fille d’Arioviste fut prise ; on tua l’autre. Deux de ses femmes périrent. César retrouva vivants deux de ses députés jetés dans les fers par Arioviste. L’un d’eux, Procillus, avait dû tirer au sort trois fois pour savoir si on le brûlerait avant ou après d’autres prisonniers.

La défaite du roi de Germanie répandit la terreur parmi les Suèves, qui repassèrent promptement le Rhin.

César, après avoir terminé si glorieusement deux guerres dans une seule campagne, mit ses légions en quartiers d’hiver chez les Séquanais, et revint dans la Gaule cisalpine pour y présider les assemblées. Aussi profond en politique qu’habile à la guerre, il s’établissait chaque hiver dans cette province d’où il pouvait à la fois correspondre avec  son armée, veiller sur la Gaule et contenir ses ennemis dans Rome.

C’était alors loin de Rome qu’il fallait admirer les Romains. Tandis que la république plantait ses aigles sur les bords du Rhin, la tristesse et la confusion régnaient dans la capitale. Le sénat, qui croyait avec raison que l’exil de Cicéron était celui de la liberté, décida solennellement qu’il ne délibérerait plus sur aucune affaire jusqu’à son rappel. Par ce sénatus-consulte, tout le mouvement de l’administration se trouvait arrêté, et les vœux de toute l’Italie redemandaient le libérateur de Rome.

Plus l’opinion publique se prononçait contre les factieux, et plus Claudius redoublait d’insolence. Il avait triomphé en attaquant la justice et la vertu ; mais il échoua lorsqu’il osa lutter contre la force et contre l’ambition. Il commit l’imprudence d’outrager dans un discours Pompée, dont les nombreux amis grossirent le parti de Cicéron, et lui donnèrent dans les tribus une majorité évidente. Le sénat, profitant de cette circonstance favorable, fit un décret pour rappeler l’illustre banni, et le peuple confirma le décret, malgré tous les efforts de Claudius, qui tenta vainement d’opposer la violence à la justice.

Le retour de Cicéron fut un vrai triomphe ; il reçut des députations de toutes les villes d’Italie, qui rendirent aux dieux de solennelles actions de grâces. On célébra des fêtes en son honneur ; le sénat et le peuple sortirent des murs pour le recevoir ; enfin, comme il le dit lui-même, Rome entière sembla s’ébranler et quitter ses fondements pour venir embrasser son libérateur. Un tel jour suffirait à la vertu pour la dédommager d’un siècle d’adversité.

On lui rendit ses biens, et la république fit rebâtir sa maison. Cicéron, moins irrité de l’injure viens que reconnaissant du bienfait, et se laissant peut-être trop aller à cette gratitude excessive faiblesse trop souvent inséparable de l’honnêteté, ne reprit pour la première fois la parole dans le sénat que pour faire donner à Pompée, pour cinq ans, la surintendance des vivres, avec un pouvoir sans limites sur tous les ports et sur toutes les côtes de l’empire..

Cet excès d’une joie trop vive et trop imprudente mécontenta les républicains, et servit de prétexte aux premières plaintes de César. Les pirates de Cilicie ne servaient plus de prétexte à cette puissance trop étendue que l’on confiait à Pompée ; et la disette momentanée, produite par la négligence de l’administration, n’était pas un motif suffisant pour élever un homme au-dessus des lois.

Ce fût cette même année (696) que mourut Lucullus, dont la gloire et même la raison s’étaient depuis quelque temps éclipsées.

César n’eut pas le loisir de s’occuper longtemps des progrès trop rapides de l’autorité de son collègue. La défaite d’Arioviste et la crainte de l’ambition romaine qui étendait déjà sa puissance dans les Gaules, de Marseille jusqu’aux rives du Rhin, et jusqu’aux sources de la Saône, éveillèrent l’inquiétude de la Belgique.

Les Belges, Germains d’origine, belliqueux et indépendants, résolurent de venger la Germanie, et de garantir la Gaule delà domination romaine.

César ne pouvait leur opposer que huit légions ; mais il savait que la constance romaine lutterait avec succès contre la vaillance mal réglée et l’humeur mobile de ses ennemis. Nous l’avons suivi avec détail dans sa première campagne pour faire connaître son caractère, sa marche, ses moyens, et le pays dont il méditait la conquête ; à présent nous allons tracer avec rapidité le cours de ses brillants exploits. Ses Commentaires, qui en rendent un compte détaillé, sont dans les mains de tout le monde, et les jeunes gens qui se destinent à la défense de leur patrie doivent sans cesse les relire pour y puiser les leçons du génie.

César ne laissa pas à la ligue qui le menaçait le temps de se grossir ; il marcha promptement sur les bords de l’Aisne, restant en masse, tandis que les Belges s’affaiblissaient en se séparant. Dès la première action, il en fit un grand carnage, prit Reims, s’empara de Soissons, et se rendit maître de Beauvais et d’Amiens. Les Nerviens, peuples qui habitaient les rives de l’Escaut et de la Sambre, avec ceux de l’Artois et du Vermandois, lui livrèrent une bataille qui fut sanglante et disputée ; elle mit les Romains dans un péril imminent. César, voyant ses troupes plier, se saisit du bouclier d’un soldat, et se jette au milieu des ennemis ; les légions, honteuses de leur crainte, s’élancent sur ses pas et décident la victoire.

Il attaqua ensuite les peuples de Namur, qu’on nommait Aduatiques. L’effroi que leur inspirait l’aspect, nouveau pour eux, des machines de guerre de César, les détermina d’abord à capituler ; mais prompts à rompre le traité comme à le conclure, ils sortent la nuit de leurs remparts, et tombent à l’improviste sur les Romains : César remédie avec célérité au désordre produit par cette attaque, rallie ses cohortes, enfonce les ennemis, s’empare de la ville, et en fait vendre tous les habitants.

Il se confiait tellement à sa fortune, à la puissance de sa renommée à la terreur qu’inspiraient ses victoires, à la supériorité que la tactique des Romains, leurs armes et leur science pour les campements leur donnaient sur le courage bouillant mais sans ordre des Gaulois, qu’au moment même où il portait ses aigles dans le Nord contre les plus belliqueux de ses ennemis, il chargeait sans crainte ses lieutenants, avec des corps de troupes peu considérables, de parcourir et de soumettre les autres parties de la Gaule. Publius Crassus, fils du triumvir, exécuta ses ordres avec succès sur les côtes de la Celtique, de la Seine jusqu’à la Loire.

César, après avoir vaincu les Belges, revînt, suivant son usage, au commencement de l’hiver, dans la Gaule cisalpine. Le sénat ordonna en son honneur des supplications. C’étaient des actions de grâces solennelles. Leur durée, qui alla jusqu’à quinze jours, fut plus longue que celle de toutes les solennités semblables qui les avaient précédées.

Les triumvirs crurent nécessaire à cette époque de conférer ensemble et de resserrer les liens qui les unissaient. César alla trouver Crassus à Ravenne et Pompée à Lucques. Ils convinrent que l’on prorogerait de nouveau pour cinq ans le proconsulat de César dans les Gaules, et que leurs clients réunis à Rome porteraient Pompée et Crassus au consulat.

Cicéron aurait voulu, aurait dû peut-être s’opposer avec les républicains à la domination des triumvirs ; mais son exil avait abattu son courage, et quoique César eût été le promoteur de son bannissement, il se crut forcé à lui donner des éloges en plein sénat, et à opiner pour la prolongation de son commandement. Il s’accuse lui-même de faiblesse dans ses lettres à Atticus, et avoue qu’il aurait dû imiter Philoxène, qui aima mieux retourner en prison que de louer les vers de Denys.

Une nouvelle confédération ne tarda pas à se former dans la Celtique contre Rome. Les Vénètes, habitants de Vannes, dans l’Armorique ou Bretagne, s’unirent aux peuples d’Évreux, de Coutances, de Lisieux, et envoyèrent même des députés en Belgique, avec l’espoir de soulever toutes les Gaules pour la cause sacrée de l’indépendance.

Les Vénètes, défendus par la mer, par une flotte bien exercée, par des marais presque impraticables et par d’épaisses forêts, se croyaient invincibles. On avait envoyé dans leur ville dés députés romains pour leur demander des vivres ; ils les maltraitèrent et les outragèrent.

César rejoignit promptement son armée, et marcha contre eux. Il trouva de grandes difficultés, non seulement â les vaincre, mais même à les approcher. Aucun obstacle ne rebutait son courage : il fit construire des vaisseaux, et, au moyen de ses machines, il aborda et détruisit tous les navires ennemis. Les Vénètes, consternés par la ruine imprévue d’une flotte sur laquelle ils fondaient tout leur espoir, capitulèrent et se rendirent. César, vengeant sans mesure et sans pitié l’injure faite à ses envoyés, fit massacrer tout le sénat de Vannes, et réduisit en servitude tous les habitants : Il est difficile de concevoir, après le récit d’une telle action, que les contemporains, et même les ennemis de César, aient si fréquemment vanté sa clémence : mais tout dans le monde est relatif, et beaucoup de vertus de ces anciens temps nous sembleraient aujourd’hui barbares.

A l’époque où Décius Brutus, sous les yeux de César, avait vaincu la flotte des Vénètes, un autre de ses lieutenants, Titurius Sabinus, défit complètement le peuples de Coutances, d’Évreux et de Lisieux ; et le jeune Crassus, avec une seule légion, sans craindre le grand nombre de peuples armés qui l’entouraient, les attaqua, les battit, et fit rapidement la conquête de toute l’Aquitaine.

Le fameux Marc-Antoine venait à cette époque de poser en Égypte le premier fondement de sa réputation et de sa fortune. Commandant les troupes romaines sous les ordres du proconsul Gabinius, il remit sur le trône Ptolémée Aulètes que ses sujets avaient chassé.

Ayant acquis, ainsi que son général, par un honteux pillage, d’immenses richesses, on lui attribua toute la  gloire de la conquête, et Gabinius seul reçu le châtiment dû à ses concussions. Après avoir terminé cette guerre, il partit pour la Gaule, et vint s’associer à la fortune de César. Celui-ci n’ignorait pas que tous les peuples septentrionaux de la Gaule, rompant les traités ; étaient entrés dans la ligue des Vénètes ; mais, l’approche de l’hiver lui fit prendre le parti de dissimuler son ressentiment, et d’en ajourner les effets jusqu’au retour du printemps.

Le sénat romain trouvait plus de difficultés à soumettre ses ennemis intérieurs que les étrangers. Lorsque, par ses ordres, on voulut rebâtir la maison de Cicéron, Claudius, s’appuyant sur une réponse ambiguë des aruspices, s’opposa au travail des ouvriers, arma ses partisans, et marcha contre Cicéron. Milon et ses amis le défendirent avec courage, et mirent en fuite les factieux. La liberté mourante jetait encore quelques feux pâles, et les républicains réunirent leurs efforts pour disputer le consulat à Pompée et à Crassus. Les comices furent si orageux qu’on se vit obligé de différer l’élection : mais, après un court interrègne, le parti des triumvirs employant tour à tour la séduction et la violence, l’emporta pleinement. On refusa la préture à Caton ; Pompée et Crassus, furent nommés consuls. Le premier obtint le département de l’Espagne, que lui avaient promis ses collègues les triumvirs, et Crassus celui de la Syrie.

Tous deux préparèrent leur perte par des moyens opposés : Crassus fit déclarer contre les Parthes une guerre dangereuse et sans utilité. Il espérait y acquérir une haute renommée, une fortune immense, et revenir en Italie plus grand et plus redoutable que Sylla. Il ne trouva chez les Parthes que la honte et la mort.

Pompée, dans le même temps, commit deux grandes fautes. Fier de gouverner l’Italie, et satisfait de l’éloignement de ses rivaux, il prolongea le commandement de César dans les Gaules, et, au lieu de se mettre lui- même, suivant l’usage, à la tête de son armée en Espagne, il y envoya ses lieutenants. Enivrant son orgueil d’hommages trompeurs, il accoutuma les soldats à l’oublier, et il se contenta d’une vaine apparence d’empire à Rome, tandis qu’il en laissait à son rival la force et la réalité.

L’année du consulat des deux triumvirs ne fut signalée que par un meilleur choix de juges et par une bonne loi contre la brigue ; mais, cette loi n’attira aux consuls que des satires, d’autant mieux fondées qu’ils donnaient continuellement l’exemple de l’infraction de leurs décrets.

A l’expiration du consulat, lorsque Crassus partit pour l’Asie, les augures tentèrent en vain de le faire renoncer à cette guerre- désastreuse, en lui présageant sa ruine ; il brava leurs menaces et les imprécations que le tribun Attéius Capito fit publiquement contre lui. Dans ce siècle superstitieux un général perdait la plus grande partie de sa force, en contraignant les soldats à se battre contre les ordres supposés des dieux.

Une nouvelle invasion des Usipiens et des Teuctères, peuples de la Germanie, que les Suèves avaient chassés de leur pays, força César à marcher contre eux (698). Les Germains, passionnés pour la guerre et pour la liberté, conservaient encore des mœurs rudes et sauvages. De tous les arts que produit la civilisation, l’art militaire était le seul dans lequel ils eussent acquis quelques lumières. César nous a fait connaître mieux qu’aucun autre historien ces peuples redoutables qui devaient un jour fonder une nouvelle Europe sur les débris de l’empire romain.

De son temps les Suèves étaient les plus puissants et les plus belliqueux des Germains. Cette nation était divisée en cent cantons de chacun desquels sortaient, tous lés ans, mille hommes armés qui port aient la guerre chez les peuples voisins. Les autres habitants cultivaient la terre, et fournissaient des subsistances à leurs armées. L’année suivante, les guerriers revenaient au labourage et les cultivateurs prenaient les armes à leur tour. Ainsi aucun d’eux ne pouvait perdre l’habitude des travaux champêtres ni celle des combats.

La propriété, partout ailleurs base de la civilisation, était inconnue à ces peuples. Aucun Suève ne pouvait posséder un champ en propre ; toutes les terres restaient en commun. Ils consommaient peu de blé, et tiraient leur principale nourriture du lait, de la chair de leurs troupeaux, et de celle des animaux qu’ils tiraient à la chasse. L’extrême liberté dont jouissaient leurs enfants contribuait à leur donner une taille prodigieuse et une complexion robuste. L’hiver comme l’été ils se plongeaient dans les fleuves ; ils ne connaissaient ni étuves ni bains chauds ; malgré la rigueur du climat, ils ne portaient que des vêtements de peau, et si étroits qu’ils ne couvraient qu’une partie de leurs corps.

Trop accoutumés au pillage pour avoir besoin d’acheter, ils ne recevaient les marchands étrangers que pour leur vendre le butin qu’ils avaient rapporté de leurs expéditions. Loin de rechercher comme les Gaulois, les chevaux de race des autres pays, ils ne se servaient que de ceux qui naissaient dans leurs forêts. Ces chevaux n’étaient remarquables ni par leur grandeur ni par leur beauté ; mais un exercice continuel les endurcissait à la fatigue, et les rendait capables de résister aux plus grands travaux.

Les Suèves, à la fois fantassins et cavaliers, combattaient souvent à pied, et sautaient avec agilité sur leurs coursiers afin de poursuivre l’ennemi vaincu ou d’écharper au vainqueur par une prompte retraite. Ces animaux étaient dressés à les attendre s. ns changer de place pendant qu’ils combattaient. Ils les montaient à poil, et regardaient l’usage des selles comme un luxe honteux. Comptant sur leur courage et sur la vitesse de leurs chevaux, ils ne balançaient pas à attaquer la cavalerie la plus nombreuse et la mieux équipée. L’entrée du vin était sévèrement interdite chez eux. Ils croyaient que cette liqueur énervait, efféminait les hommes, et les rendait incapables de supporter les fatigues de la guerre.

Avant de pénétrer dans leur contrée, il fallait traverser des pays inhabités, des campagnes incultes de soixante milles d’étendue. Ils pensaient que cet entourage de déserts prouvait évidemment qu’aucun peuple voisin n’avait pu résister à leurs armes, et ils faisaient ainsi de ces tristes solitudes les sombres monuments de leur gloire sauvage.

Les peuples les moins éloignés des Suèves étaient les habitants de Cologne, qu’on appelait les Ubii ; on les considérait comme les plus riches et les plus puissants des Germains. Ils devaient ces avantages à leur situation sur les bords du Rhin, qui leur avait fait contracter l’habitude du commerce et au voisinage des Gaulois dont ils avaient pris peu à peu les mœurs. Les Suèves, souvent en guerre avec eux, n’avaient pu détruire leur nombreuse population, et leurs succès s’étaient bornés à les affaiblir et à les rendre tributaires.

Tels se montraient alors les Germains, bien plus formidables, si nous en croyons César, que les Gaulois. Ceux-ci, plus civilisés, aimaient le luxe et les plaisirs : ils étaient vaillants, mais légers, mobiles, avides de changements, et si curieux de nouvelles qu’ils arrêtaient avec empressement les voyageurs et les marchands, les forçaient de répondre à leurs questions indiscrètes, et se décidaient souvent, sur leurs rapports infidèles, à tenter les entreprises les plus hasardeuses.

Les nobles et les prêtres formaient les deux classes les plus considérées de cette nation : le reste était presque traité comme esclave. Les prêtres ou druides, à la fois pontifes, législateurs et juges, commandaient à la terre au nom du ciel ; ils sacrifiaient aux dieux des victimes humaines, choisies le plus communément parmi les hommes coupables de crimes ; mais, à leur défaut, on immolait quelquefois l’innocence.

L’arme la plus redoutable des druides était l’excommunication. Le Gaulois qui s’en voyait frappé se trouvait tout à coup isolé. Ses amis, ses parents le fuyaient ; on se croyait souillé par son approche.

L’ordre des druides était présidé par un chef qui résidait ordinairement dans les environs de Chartres. Ils adoraient à peu près les mêmes dieux que les Romains. Mercure était la divinité qu’ils révéraient le plus. Le culte des druides tirait son origine de la Grande-Bretagne. Aussi, dans les affaires difficiles et d’une haute importance, on envoyait quelquefois consulter les prêtres de cette île.

Les nobles administraient les villes, commandaient les guerriers, et décidaient dans leurs assemblées de toutes les affaires. Ceux qui possédaient le plus de terres, et qui se voyaient entourés du plus grand nombre de vassaux ou d’hommes dévoués, que dans quelques cités on nommait soldurii, jouissaient d’une grande considération, parvenaient aux premières charges, et souvent même s’emparaient de l’autorité suprême.

Toutes ces différentes cités, plus ou moins républicaines ou monarchiques, formaient des confédérations qui s’étendaient, se resserraient, ou se divisaient suivant l’humeur inconstante de leurs chefs. Les Germains, au contraire, du temps de César, n’adoraient que les astres, les montagnes, les fleuves, les forêts, ne consultaient d’oracles que leurs femmes, et n’admettaient point de différence de rangs. Égaux entre eux, hospitaliers pour le voyageur, exempts de lois comme de besoins, ils ne se soumettaient à un chef que pour combattre. Chez ces peuples fiers et belliqueux on ne connaissait de règles que le niveau, et de sceptre que l’épée.

César, informé de l’invasion des Germains, rassemble ses légions, marche contre les barbares, les défait, taille en pièces les Teuctères, et rejette les autres au-delà du Rhin. Ce fleuve ne l’arrête pas ; en dix jours il fait construire un pont immense, objet d’admiration pour les Romains et d’effroi pour les barbares. Il franchit le fleuve, pénètre en Germanie, épouvante et disperse ces peuples sauvages, étonnés de voir les aigles romaines dans leurs forêts. Revenant ensuite dans la Gaule, il la traverse, réunit un grand nombre de vaisseaux, s’embarque, descend sur la côte de la Grande-Bretagne ; triomphe de ses habitants jusque-là inconnus aux Romains, les force à lui promettre des otages, et revient sur le continent sans pouvoir étendre plus loin ses conquêtes, parce qu’une tempête avait dispersé les bâtiments qui portaient sa cavalerie..

César augmentait ainsi chaque année sa gloire, sa richesse et son autorité. Plus inquiet que content de ses triomphes, le parti républicain dans Rome, profitant de son éloignement, cherchait à réveiller parmi le peuple l’amour presque éteint de. la liberté. Réunissant toutes ses forces, il regagna enfin la majorité, parvint à faire nommer consul Domitius Énobarbus et Caton préteur ; mais la gloire de César lui donnait à Rome de nombreux partisans. On craignait l’armée de Crassus qui pouvait promptement revenir d’Asie ; et Pompée, augmentant sa popularité en entretenant l’abondance dans la capitale, voyait à sa disposition l’armée d’Espagne, et venait de rassembler autour de Rome quelques légions, de sorte que les républicains, malgré leurs progrès dans l’esprit du peuple, se virent contraints à l’inaction, et demeurèrent opprimés par le triumvirat : l’opinion était pour eux, mais la force se trouvait dans les mains de leurs ennemis.

On apprit bientôt les premiers succès de Crassus ; il venait d’enlever aux Parthes un grand nombre de villes en Mésopotamie : l’avarice le détourna de la gloire ; il revint à Antioche, écrasa la Syrie d’impôts, pilla la Judée et s’empara du trésor de Jérusalem. Il espérait conquérir l’empire par la puissance de l’or, César y marchait plus sûrement par celle des armes.

Ce guerrier infatigable pacifia le nord de la Gaule, et fit une nouvelle descente dans la Grande-Bretagne : tout se soumit. Cassivellaunus, souverain d’un pays situé sur les bords de la Tamise, à vingt lieues de la mer, fut le seul qui ne lui céda la victoire qu’après une opiniâtre résistance. Les côtes étaient habitées par des peuples venus de la Belgique ; lorsqu’il eut défait ces hommes belliqueux, les habitants sauvages de la Grande-Bretagne reconnurent la domination romaine, payèrent un tribut et donnèrent des otages. Cette conquête stérile augmentait plus la gloire du vainqueur que la puissance de Rome.

César, revenu dans les Gaules, trouva ce pays désolé par une famine qui le contraignit à diviser ses troupes pour les faire subsister plus facilement.

Ambiorix, chef des Éburons (peuple de Liège), profitant de la dissémination des forces romaines, marcha contre deux légions commandées par Sabinus et par Cotta. Le premier, découragé par cette attaque imprévue, et résistant aux conseils sages et vigoureux de son collègue se laissa tromper par les barbares, et signa une capitulation qui n’était qu’un piège. Attaqué dans sa marche, et déterminé trop tard à se défendre, il périt victime de sa faiblesse. Les barbares forcèrent le camp et détruisirent les deux légions. Cet échec ranima dans les Gaules l’esprit d’indépendance et disposa tous les peuples à l’insurrection.

Quintus Cicéron, frère de l’orateur, commandait séparément une légion ; il se vit bientôt attaqué par une foule de barbares qu’enhardissait leur premier succès. Plus ferme que Sabinus, il se défendit avec intrépidité ; mais malgré sa constance, ses soldats, épuisés de fatigué, couverts de blessures et manquant de vivres, se voyaient réduits à la dernière extrémité. Un Gaulois dévoué aux Romains traverse le camp ennemi, informe César du péril de Cicérone et revient avec le même bonheur porter aux assiégés l’espoir d’un prompt secours.

César, à la tête de sept mille hommes, accourt, enfonce et taille en pièces soixante mille Gaulois. Cette action vigoureuse effraie les autres peuples prêts à se soulever.

Cependant les habitants de Trèves, sous la conduite d’Induciomare, prirent audacieusement les armes. César les battit complètement et on lui apporta la tête du général ennemi. L’agitation sourde qui régnait dans les Gaules ne lui permit pas de revenir en Italie après cette campagne, et  il resta tout l’hiver à la tête de son armée.

Les liens que forme l’ambition ne tardent pas à être rompus par elle : Pompée, en paraissant toujours favoriser le pouvoir et ménager l’amitié de ses collègues, cherchait à s’élever sur eux. Ses clients nombreux agitaient le peuple par leurs intrigues, et voulaient le faire nommer dictateur. Le tribun Q. Mutius Scævola s’y opposa avec fermeté. Les partisans de Pompée retardaient par leurs efforts l’élection des consuls ; ce qui produisit un interrègne de plusieurs mois : enfin, Cnéius Domitius Calvinus et Marcus Valerius Messala, gagnant la multitude par leurs largesses, obtinrent ou plutôt achetèrent le consulat.

À la même époque, Crassus, gorgé d’or et reprenant les armes contre les Parthes, méprisa les conseils et refusa les secours d’Artabaze, roi d’Arménie. Trompé par les avis perfides d’Abgare, roi d’Édesse, il s’engagea imprudemment dans des plaines vastes et arides où son armée se vit bientôt, au milieu de salles brelans, privée de vivres et épuisée de fatigues.

L’orgueilleux Crassus croyait que les Parthes fuyaient devant lui ; tout à coup il voit cette plaine déserte peuplée de soldats et de chevaux une nuée innombrable de barbares fond sur lui : les Parthes langent une foule de traits contre les Romains qui tentent vainement de se venger par leurs glaives. L’ennemi, aussi rapide dans sa fuite que prompt dans ses attaques, lance toujours la mort et ne peut la recevoir. Il renouvelle sans cesse et de tous côtés ces combats et ces retraites.

Le jeune Crassus, qui commandait la cavalerie, n’écoutant que sa bouillante ardeur, se précipite au milieu des Parthes, et périt. L’armée romaine, après une longue mais inutile résistance, prend la fuite ; sa retraite est coupée : les Romains, excédés de tant de périls et de fatigues, se révoltent et veulent capituler. Suréna, général des Parthes, invite Crassus à une conférence, et, contre le droit des gens, veut le retenir prisonnier. Le proconsul résiste et meurt en combattant seul contre une foule d’ennemis : Cet homme avare, ambitieux, mais vaillant, vécut en satrape et mourut en Romain.

Sa présomptueuse témérité fut la cause de la destruction presque totale de la plus forte armée que Rome eût encore envoyée en Asie. Il ne s’en sauva que de faibles débris, dérobés aux fers des Parthes par l’héroïque intrépidité de Cassius.

César vengeait à l’Occident les armées romaines de leurs honteux revers en Asie. Prompt à réparer la perte du corps de Sabinus, il demanda un renfort ; Pompée lui envoya trois légions. Dès le printemps il se mit en marche à la tête de ses troupes, et dévasta le pays des Nerviens qui se préparaient à la révolte. Ayant ensuite rassemblé à Lutèce (Paris) les députés des différentes villes de la Gaule, il se porta dans le pays des Sénonais qui avaient refusé de se rendre aux états de Lutèce ; les surprit par sa célérité, les défit, et força leur chef Accon à lui donner des otages.

Les Carnutes (peuple de Chartres) revinrent aussi à l’obéissance. Il subjugua rapidement les Ménapiens, et l’un de ses lieutenants battit et dompta les Trévirois. Comme on avait instruit César d’un nouvel armement des Germains dont les peuples qu’il venait de soumettre imploraient les secours, il repassa encore le Rhin, et força les barbares épouvantés à se sauver au fond de leurs forêts. Voulant les intimider par un frein redoutable, il fortifia la tête de son pont, et y établit une garnison. Ayant ensuite pillé le pays de Liége, et condamné à mort Accon, chef des Sénonais, il crut par ces exemples avoir consolidé la tranquillité, et revint passer l’hiver, dans la Gaule cisalpine.

Lorsque Rome était pauvre et libre on récompensait les généraux les plus illustres par une couronne de chêne ou de lauriers, ; quand Rome devint puissante et corrompue, on employa les dépouilles de l’ennemi à faire des couronnes d’or qu’on donnait aux vainqueurs, Jules César en reçut plus de dix-huit cents. Ce qui n’était sous la république qu’un don volontaire offert à la gloire, devint sous les empereurs, un impôt exigé par l’orgueil et payé par la servitude. L’or fut la matière dont se composa la chaîne qui asservit la république.

Quand la richesse d’un peuple est le fruit de son industrie et de son commerce, elle favorise la liberté et accroît l’indépendance des citoyens ; mais quand elle n’est que le produit des conquêtes, son seul résultat est de donner à quelques ambitieux la facilité, d’acheter des clients, de payer des soldats pour opprimer le peuple ; et comme alors la richesse devient le seul moyen de considération et d’autorité ; elle corrompt les mœurs publiques, et fait sacrifier à l’avarice toutes les vertus.

Les temps étaient changés[1]. Le grand Pompée ne s’occupait plus d’augmenter sa gloire, seule base solide de puissance dans les pays gouvernés par l’opinion ; et tandis que César accroissait sans cesse sa renommée, au milieu des périls, par de pénibles travaux et par de nombreux succès, son rival ne songeait qu’à étendre sa puissance illusoire et à multiplier les jouissances de sa vanité.

Pompée, profitant de ‘l’anarchie que produisaient dans Rome les intrigues des candidats qui prétendaient à la première dignité de l’état, parvint, contre l’usage, à se faire nommer seul consul ; et, ce qui est difficile à concevoir, tout le sénat et le sévère Caton lui-même favorisèrent cette violation des règles antiques. On ne peut expliquer cette déviation des principes républicains que par un seul motif : jusque-là Pompée, soutenant, ainsi que César, le parti populaire, lui avait donné l’avantage sur les patriciens ; Crassus, qui avait suivi le même système, était mort en Asie ; Pompée perdit alors sa femme Julie, seul lien qui l’unissait à César. Le triumvirat n’existait plus ; Pompée sentait l’impossibilité de balancer dans la faction populaire le crédit du conquérant des Gaules, et surtout de l’homme Hardi qui avait relevé les statues de Marius. Ainsi, n’étant plus retenu par l’empire que la fille de César exerçait sur son esprit, il se montra disposé à changer de parti et à soutenir la cause des grands et des riches contre le peuple. Le sénat et Caton lui-même regardèrent l’acquisition de Pompée comme la conquête la plus importante pour leur parti. De ce moment, il devint le chef de l’aristocratie, et en apparence le défenseur de la liberté ; car il était trop évident que César, en se montrant populaire, ne visait qu’au pouvoir absolu.

Cicéron se rangea, comme ses amis, du côté de Pompée, quoiqu’il ne fût pas la dupe de sa douceur et de son apparent amour pour la république. Il dit lui-même dans ses lettres, en parlant de ces deux célèbres rivaux qui se disputaient l’empire : L’un ne peut souffrir de maître, l’autre ne peut supporter d’égal : César compte s’emparer du trône ; Pompée  veut qu’on le lui donne. Et Caton, éclairé plus tard, s’écriait au moment où la guerre civile éclata : Si Pompée est vainqueur, je m’exile ; si César triomphe, je me tue.

L’élévation de Pompée seul au consulat remplit la ville de troubles et de factions. Claudius cherchait à soulever le peuple, dans l’intention de renverser cette puissance d’un seul consul, qu’il regardait comme une royauté. Il espérait en même temps faire périr Cicéron, auquel il avait voué une haine implacable. Milon, ami de Cicéron, rencontre ce tribun factieux dans les environs de Rome ; une querelle s’élève entre les gens de leur suite, et l’un des esclaves de Milon poignarda Claudius. Le peuple cita en jugement Milon, et le condamna à l’exil ; malgré tous les efforts qu’employa pour le défendre son ami le plus grand des orateurs romains.

Pompée, plus tranquille après la mort de Claudius, resserra ses liens avec les grands, en épousant Cornélie, fille de Metellus Scipion et mère du jeune Crassus. Gouvernant seul pendant quelque temps la république, il fit de salutaires changements dans les lois, et abrégea les formes de le procédure judiciaire. Tout semblait en ce moment favoriser son ambition et réaliser ses espérances. Le seul rival qu’il pût redouter se trouvait alors exposé à un si grand péril, que tout génie inférieur au sien y aurait succombé.

César n’avait pins à combattre des peuples désunis ; Vercingétorix, roi des Arverniens, qui attribuait avec raison les revers des Gaulois à leur désunion, se montra digne par ses talents et par son courage de lutter contre ce grand homme. Il envoya des députés dans toutes les villes de la Gaule ; pour concilier les différends et pour exciter tons les esprits à tenter un généreux et dernier effort contre là domination romaine. Ses envoyés, rallumant l’amour de la liberté, firent cesser toutes les discordes : enfin la Gaule entière se souleva contré Rome, et toutes les cités, armant leurs guerriers jurèrent de les réunir sous la tente au commencement du printemps.

César, informé de leurs projets, brave les rigueurs de l’hiver, rentre dans les Gaules, traverse les Cévennes, marche droit au centre de la rébellion, trouve l’Auvergne sans défense et la dévaste. Le prince gaulois, qui se trouvait dans le Berri avec son armée, revient promptement au secours de ses sujets. César, qui n’avait pas assez de forces pour l’attendre, court chercher à Langres les légions qu’il y avait laissées ; les ayant réunies ; il marcha contre Génabum (Orléans), dont les habitants venaient de massacrer une garnison romaine, Il prend cette ville et la brille : il conduit ensuite son armée dans le Berri, et se rend maître de la ville de Bourges, qu’on nommait alors Avaricum. Un danger plus imminent le force à s’éloigner ; il apprend que les plus anciens alliés des Romains, les Éduens, viennent de se révolter. Convaincu qu’il était urgent de les punir de leur défection, il rejoint promptement Labienus, son lieutenant, qui venait de faire sans succès, à la tête de quatre légions, le siège de Paris, et il marche avec lui sur Autun.

Vercingétorix, nommé généralissime par les Gaulois, avait jusque-là suivi le plan le plus habile, et qui pouvait devenir le plus funeste aux Romains. Il les harcelait sans cesse de tous côtés, en évitant avec prudence toute action générale : mais la nouvelle marche de César trompa ce jeune prince ; il prit sa retraite du Berri pour une fuite, crut qu’il était temps de hasarder une bataille, la livra et la perdit. Les débris de son armée, au nombre de quatre-vingt mille hommes, se retirèrent dans la ville d’Alize en Bourgogne.

César qui le poursuivait vint l’assiéger, sa prudence égalait son intrépidité ; ne se bornant pas à entourer la ville de retranchements, et prévoyant qu’il pourrait être bientôt lui-même attaqué ; il fit construire une ligne de contrevallation, garnie de fossés, de palissades, de chausse-trapes et de puits remplis de pieux pointus, qui défendaient le camp romain du côté de la campagne.

L’événement justifia sa prévoyance : deux cent quarante mille Gaulois vinrent pour forcer ses lignes, et ne purent en approcher. Cependant un de leurs corps, composé de cinquante mille guerriers d’élite, attaque une colline que sa trop grande étendue avait empêché de fortifier. César, réunissant ses meilleures troupes, marcha contre eux, et, malgré leur opiniâtre résistance, en tailla une partie en pièces, et mit le reste en fuite.

L’armée gauloise, découragée par cet échec, abandonna l’espoir de délivrer Alize, et se dispersa. Le grand nombre des troupes renfermées dans la ville causa leur perte. Il n’est point de courage qui résiste à la famine. Vercingétorix ne pouvait plus attendre de secours, ni recevoir de vivres ; il livra aux Romains la ville, l’armée et sa personne.

César réduisit en esclavage le général, ses officiers, ses soldats, tous les habitants d’Alize, et les partagea entre les légionnaires. Après cet exemple effrayant de sévérité, il pardonna aux Arverniens et aux Éduens, et se servit de leur influence et de leur secours pour réduire à l’obéissance tous les autres peuples ; mais comme il croyait le feu de la rébellion plutôt couvert qu’éteint, il passa tout l’hiver dans les Gaules.

Ce qu’il avait prévu arriva. Les Gaulois se soulevèrent encore, et formèrent le projet de ne plus combattre en masse, mais en plusieurs corps d’armée séparés. César instruit de leurs desseins, sut habilement les prévenir. Il employa le dernier mois de l’hiver à subjuguer les habitants du Berri et les Carnutes. Au printemps il marcha contre le peuple le plus vaillant des Gaulois, les Bellovaques (Beauvais). Ceux-ci soutinrent leur renommée par leur courage ; mais, forcés de céder la victoire, ils se soumirent, César, après avoir désarmé tous ses ennemis, eut l’habileté de faire succéder la douceur à la force et la clémence à la rigueur. Par ce moyen il parvint à consolider ses conquêtes et à pacifier, totalement les Gaules[2].

Rome, maîtresse de ces vastes contrées, courait alors le risque de perdre l’Asie. Les Parthes, profitant de la défaite de Crassus, méditaient la conquête de la Syrie et de la Cilicie. Cassius, à la tête de l’armée détruite, se maintint avec fermeté en Syrie, et arrêta quelque temps leur marche. Son successeur Bibulus, plus timide ou moins habile, se laissa enlever cette province. Le proconsul Cicéron défendit mieux la Cilicie ; prouvant dans cette campagne qu’il était né pour tous les genres de gloire, il joignit un laurier militaire aux palmes de l’éloquence. Dès qu’il eut appris que les Parthes avaient passé l’Euphrate, il marcha contre eux à la tête de ses légions, les repoussa dans les défilés du mont Taurus, s’avança ensuite jusqu’au mont Amanus, les surprit, les défit complètement, et, après cinquante sept jours de siège, s’empara de Pindenissus, leur plus forte place. Ces victoires lui firent décerner par l’armée le titre d’Imperator, récompense la plus ambitionnée parles généraux romains. Le sénat ordonna en son honneur des supplications ; et, sans la guerre civile quine tarda pas à éclater, on lui aurait probablement accordé les honneurs du triomphe qu’il sollicitait, et auxquels ses succès lui donnaient le droit de prétendre.

 

 

 

 



[1] An de Rome 701.

[2] An de Rome 702.