HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE VINGT-CINQUIÈME.

 

Hérode

LE NOUVEAU roi réunit une armée nombreuse ; et, secouru par les Romains que commandait Ventidius, il échoua d’abord contre Jérusalem et perdit son frère Joseph dans un combat. Mais bientôt la victoire couronna ses armes ; il battit Antigone, et mit le siège devant la ville sainte.

Pendant ce siège, il rendit ses droits et sa puissance plus solides, en épousant, à Samarie, Mariamne, fille d’Alexandra, petite-fille du roi Aristobule, et nièce du grand-prêtre Hyrcan. Après ce mariage, Hérode, assisté par les Romains, entra dans Jérusalem et y fit un grand carnage. Antigone, aimé du peuple, s’était, retiré dans une tour ; mais son courage l’abandonna, et, il ne sut pas faire respecter son malheur par sa fermeté. Il vint se jeter aux pieds de Sosius, général romain, qui lui prouva son mépris en l’appelant Antigona[1]. On l’envoya ensuite prisonnier à Antoine. Hérode, craignant que ce captif ne s’échappât encore, et ne vint soutenir ses prétentions et ébranler son trône, envoya de grands présents à Antoine qui se laissa corrompre, et le fit périr.

L’histoire donne à Hérode le nom de Grand, parce qu’il fut habile, brave, heureux et, puissant, et que les hommes ont toujours accordé à l’éclat de la fortune ce titre, qui devrait être réservé aux grandes vertus.

Ce monarque, en s’unissant par les liens du mariage à la famille d’Aristobule, n’abjura point sa haine contre elle. La crainte de la voir remonter sur le trône fut pour lui une source continuelle de tourments, et le porta à tous les crimes qu’il commit, et qui rendent sa mémoire exécrable.

Le grand sacrificateur Hyrcan s’était retiré chez les Parthes ; Hérode craignant la légitimité de ses prétentions, désirait l’avoir en sa puissance. Pour y parvenir, il le trompa par des promesses et par les apparences les plus fortes, d’amitié et de reconnaissance. Les amis d’Hyrcan l’avertirent en vain du sort qui l’attendait : il crut que malgré l’opprobre de sa mutilation, Hérode lui rendrait le grand sacerdoce, et partagerait son pouvoir avec lui ; il partit pour Jérusalem. Le roi le reçut avec magnificence, et lui témoigna, même publiquement, beaucoup de respect, dans la crainte du peuple qui révérait sa race, mais il ne lui laissa aucune autorité, le fit exactement surveiller, et, donna le sacerdoce à un Juif d’une famille obscure, nommé Anaël. Ce choix déplut aux Juifs ; il était contraire à leurs coutumes, parce qu’Anaël se trouvait un de ceux qui étaient restés au-delà de l’Euphrate depuis le retour de la captivité.

Mariamne, femme d’Hérode, Alexandra, mère du jeune Aristobule, et Hyrcan virent dans ces actes le mépris de leurs droits et le présage de leur ruine., Alexandra même envoya des députés à Cléopâtre, reine d’Égypte, pour implorer sa protection. Salomé, sœur d’Hérode, ennemie de Mariamne et de toute la famille d’Aristobule, informa le roi de ces démarches, et l’excita à la vengeance. Alexandra, craignant son courroux, voulut se sauver en Égypte avec son fils ; mais elle fut arrêtée et ramenée à Jérusalem.

Tout le peuple juif marquait le plus intérêt pour la famille de ses anciens rois. Hérode obligé de dissimuler et de céder, accorda le sacerdoce à Aristobule.

Lorsque le jeune prince offrit son premier sacrifice, la gloire de son nom et sa rare beauté émurent le peuple ; l’air, retentit de ses acclamations. Hérode furieux, jura dès lors la perte du prince : mais une feinte amitié voila ses cruels projets. Quelque temps après, il emmena sa famille et Aristobule à Jéricho, et donna de grandes fêtes en l’honneur de celui qu’il voulait assassiner.

Au sortir d’un festin, il conduisit ses convives au bord d’un vivier. Aristobule, invité par des jeunes gens à se baigner avec eux, entra dans l’eau ; ils se mirent à jouer et à lutter ensemble ; et dans cette lutte les agents d’Hérode le firent plonger assez longtemps pour qu’il expirât.

Le roi témoigna une grande douleur de cet événement, et honora par de magnifiques funérailles sa malheureuse victime. La cour connut le crime, mais la feinte douleur du tyran trompa le peuple.

Cependant on avait porté à Antoine de telles plaintes contre ce forfait, qu’Hérode fut obligé de se rendre près de lui pour se justifier ; il confia en partant son autorité à Joseph, mari de sa sœur Salomé.

Tous les sentiments de ce monarque étaient des fureurs ; il détestait la famille d’Aristobule ; et cependant il adorait la reine Mariamne avec une jalousie si violente qu’il chargea Joseph, dans le cas où il serait condamné par Antoine, de tuer la reine afin que personne ne pût la posséder après lui.

Son adresse et ses présents le justifièrent pleinement dans l’esprit d’Antoine. Il revint en Judée ; et, malgré les efforts de Salomé pour aigrir sa jalousie contre Mariamne, son amour l’emportait, lorsque cette malheureuse reine eut l’imprudence de se plaindre de l’ordre barbare qu’il avait donné en partant. Croyant alors que Joseph, son beau frère, l’avait trahi par amour, il n’écouta plus que sa haine et Salomé ; il fit tuer Joseph, mit Alexandra en prison, et tint suspendu sur la tête de sa femme infortunée un glaive qu’elle ne devait pas longtemps éviter.

Sur ces entrefaites la reine Cléopâtre vint à Jérusalem. Cette princesse, aussi ambitieuse et aussi cruelle qu’Hérode, voulut inutilement inspirer de l’amour à ce prince ; il la connaissait et la détestait. Elle s’était déjà fait céder une partie de son royaume, et il forma, dit-on, le projet de la tuer ; mais la crainte que lui inspirait Antoine le retint. Il lui paya le tribut qu’il lui devait, et l’accompagna jusqu’en Égypte.

Il offrit ensuite à Antoine ses secours contre Auguste ; mais Antoine le chargea de combattre les Arabes. Comme il était près de leur livrer bataille, il survint un affreux tremblement de terre qui jeta l’épouvante dans l’armée des Juifs. Les Arabes profitèrent de leur terreur, et les battirent. Hérode, aussi adroit que courageux trouva bientôt le moyen de ranimer ses troupes. Il marcha de nouveau contre les Arabes, les défit complètement, et les assujettit à lui payer un tribut.

Dans ce temps, la bataille d’Actium décida la destinée du monde. Antoine fut vaincu ; Octave, depuis Auguste, devînt le maître de l’empire. La position d’Hérode, ami d’Antoine, était critique. Octave pouvait le perdre et donner son trône à la famille d’Hyrcan et d’Aristobule. Le roi, dans cette conjoncture difficile prit je parti d’aller à Rome. Avant son départ, ayant surpris une intelligence entre Hyrcan et les Arabes, il fit périr ce vieillard vénérable, autrefois son maître et son bienfaiteur, fit enfermer dans une forteresse Mariamne et Alexandra, et renouvela à son frère Phéraras l’ordre inhumain de tuer la reine s’il ne réussissait pas dans sa démarche auprès du vainqueur.

L’esprit et l’éloquence de ce roi barbare eurent encore un plein succès ; sa magnificence, ses exploits, son adresse, lui concilièrent l’amitié du nouvel empereur et il revint triomphant à Jérusalem.

Son amour pour Mariamne résistait toujours aux intrigues de Salomé ; mais la reine, ulcérée contre lui, répondit avec froideur à sa passion, et fit renaître ses premiers soupçons. Le grand échanson, gagné par Salomé, accusa la reine d’avoir voulu le porter à empoisonner son époux. Hérode, aigri par les refus de cette infortunée, la fit juger et condamner. Alexandra, sa mère, craignant le même sort donna un horrible exemple de lâcheté en se joignant aux accusateurs de sa fille. Le roi hésitait encore à ordonner l’exécution du fatal arrêt ; mais Salomé, ayant excité une émeute dans le peuple, vint dire à Hérode que les Juifs voulaient donner le trône à Mariamne ; il le crut et envoya au supplice cette reine, aussi fameuse par ses malheurs que par ses vertus et par sa beauté.

L’amour et le remords la vengèrent bientôt. Hérode tomba malade ; on désespérait de sa vie. Alexandra informée de son état, fit une tentative pour s’emparer des forteresses. Le roi l’apprit et la fit mourir.

Hérode, échappé à la mort contre son attente, répandit sa colère et son désespoir sur son peuple, et fit périr sur l’échafaud ses parents, ses, amis, et une foule d’innocentes victimes. Il viola la loi de Moïse en établissant à Jérusalem des jeux, des théâtres et des fêtes en l’honneur d’Auguste. Le peuple indigné se révolta et brisa les images qu’on voulait lui faire honorer. Hérode punit les auteurs de la sédition ; mais ceux qui les avaient dénoncés, s’étant depuis fait connaître, furent hachés en pièces par les Juifs.

Agité de mille craintes, le roi se crut obligé de fortifier son palais et d’en faire une citadelle.

Peu de temps après, la Judée fut désolée par la peste et par la famine. L’activité d’Hérode, pour arrêter la contagion et pour nourrir le peuple, apaisa sa haine. Voulant ensuite chasser de sa mémoire l’image de Mariamne et le souvenir de son crime, il épousa la fille d’un lévite, nommé Simon, qui était célèbre par sa beauté, et, afin d’illustrer son obscur beau-père, il lui donna le grand sacerdoce.

Hérode savait que l’éclat des actions des rois et la grandeur de leurs monuments éblouissent le peuple et l’aveuglent sur leur injustice. Il reconstruisit et embellit le temple du Seigneur, se fit élever un palais magnifique, et, toujours soigneux de s’attirer l’amitié d’Auguste, il bâtit en son honneur la ville de Césarée, et lui envoya deux de ses fils, Alexandre et Aristobule, pour qu’ils fussent élevés à Rome sous ses yeux.

Son règne affermi fut tranquille pendant quelques années. Il fit encore un voyage à Rome, et en ramena ses enfants. Depuis son retour les querelles et les malheurs de sa famille recommencèrent avec plus de violence que jamais.

Salomé craignait la vengeance des fils de Mariamne : elle persuada au roi que ses enfants voulaient l’assassiner. Archélaüs, roi de Cappadoce, qui avait donné sa fille Glaphyra en mariage à Alexandre, réconcilia le père avec ses enfants.

Le troisième fils d’Hérode, Antipater, excité par Salomé, se joignit à elle pour perdre ses frères, et donna tant de vraisemblance à ses délations, que le roi vint les accuser lui-même devant Auguste qui obtint de lui leur pardon.

Ce fut dans ce temps que cet empereur publia, un édit très honorable pour les Juifs, où il vantait leur courage, leur fidélité, et leur confirmait la permission de se gouverner eux-mêmes et de conserver leurs coutumes et leurs lois.

Hérode entreprit encore et poursuivit avec succès une nouvelle guerre contre les Arabes. Épuisé d’argent par les dépenses qu’il avait faites pour embellir Jérusalem et pour conserver l’amitié des Romains, il fit ouvrir secrètement le sépulcre de David, espérant y trouver de grandes richesses. Il voulut même faire déplacer le cercueil de ce roi ; mais Josèphe assure qu’il sortit alors du tombeau des flammes qui consumèrent deux ouvriers, et forcèrent le roi à renoncer à cette entreprise sacrilège.

Sylléus, Romain chéri de Salomé, brouilla Auguste avec Hérode ; mais l’empereur, reconnaissant qu’il avait été trompé, fit périr Sylléus ; et, cédant enfin aux plaintes continuelles qu’Hérode faisait contre ses fils, il ordonna de former une grande assemblée à Berith pour y juger cette affaire. Hérode s’y rendît : ce père furieux accusa ses propres enfants. Antipater et Salomé avaient séduit les grands officiers du roi, qui déposèrent contre eux. On condamna ces malheureux princes, et ils furent étranglés, par l’ordre d’Hérode, à Sébasti. Le roi fit ensuite massacrer par le peuple trois cents officiers qu’il lui dénonça comme conspirateurs.

Antipater délivré, par la mort de ses frères, de tout obstacle pour arriver au trône, voulut se hâter de s’en emparer : il forma un complot pour empoisonner son père. Hérode le fit juger devant Varus ; il subit la peine méritée par tant de crimes.

Hérode, accablé de chagrins, de fatigues, et de remords, fut enfin attaqué par une maladie cruelle qui le couvrit d’ulcères, lui déchira les entrailles et fit sortir des vers de tout son corps. Ses souffrances augmentèrent encore sa cruauté : il ordonna à Salomé, sa sœur, pour célébrer ses funérailles de faire entourer l’Hippodrome et d’y faire massacrer les principaux d’entre les Juifs qui s’y trouveraient.

Une nouvelle cruauté troubla la fin de sa vie. Le grand-prêtre Mathathias et Judas à la tête d’une troupe de Juifs zélés pour leur religion arrachèrent un aigle d’or qu’Hérode avait consacré à la porte du temple. Un prompt supplice punit cette action courageuse.

Hérode désigna d’abord un de ses fils, Antipas, pour son successeur ; mais il changea son testament, et donna le trône à un autre, nommé Archélaüs, qu’il avait eu d’une Samaritaine, et qui était devenu l’époux de Glaphyra, veuve d’Alexandre. Il légua mille talents à l’empereur Auguste, et cinq cents à l’impératrice Livie, et termina sa carrière cinq jours après la mort de son fils Antipater[2].

Auguste confirma les dernières volontés d’Hérode ; mais bientôt après, sur les plaintes nombreuses que les Juifs formaient contre Archélaüs, il exila le prince à Vienne, dans les Gaules, et réunit la Judée à la Syrie. Ainsi finit le royaume des Juifs, qui, depuis ce moment, devint province romaine.

 

 

 



[1] An du monde 3967. — Ayant Jésus-Christ 37.

[2] An du monde 4003. — Avant Jésus-Christ 1.