HISTOIRE DES JUIFS

 

CHAPITRE VINGT-QUATRIÈME.

 

Aristobule, Alexandre, Alexandra, Hyrcan, Aristobule, rois

LE NOUVEAU roi signala le commencement de son règne par des actes d’ambition et de cruauté. Il envoya sa mère en prison parce qu’Hyrcan l’avait déclarée régente et qu’elle lui disputait le gouvernement. Il eut même la barbarie de l’y laisser mourir de faim. Trois de ses frères furent aussi enfermés par ses ordres. Le seul Antigone, qu’il aimait, fut d’abord bien traité et associé au trône mais la reine, jalouse de son crédit, fit croire à Aristobule qu’il conspirait contre lui ; et lorsqu’elle le vit troublé par la crainte, elle fit dire à Antigone que son frère voulait voir une armure qu’il possédait. Le malheureux Antigone, trompé par cet avis perfide, se couvrit de ses armes, et se rendit chez le roi. Son frère, alors persuadé qu’il arrivait avec de mauvais desseins, le fit massacrer. Les remords suivirent bientôt le crime, et Aristobule mourut après un an de règne[1]. Sa veuve rendit la liberté aux jeunes princes, et plaça sur le trône Alexandre. Celui-ci fit mourir un de ses frères qui prétendait à la couronne, et conserva la vie à l’autre qui ne montrait aucune ambition.

Alexandre combattit avec succès Ptolémée roi d’Égypte, et Zénon, prince de Philadelphie. Il suivit l’exemple de son père, et eut toujours des troupes étrangères à sa solde. Ses armes furent moins heureuses contre Obodas, roi des Arabes : vaincu par lui, il se sauva avec peine à Jérusalem. Son règne fut troublé par des révoltes continuelles qu’excitait sa tyrannie : il fit périr plus de cinquante mille Juifs pendant l’espace de six ans. Il voulut trop tard faire succéder la douceur à la sévérité : ce changement parut faiblesse et encouragea la haine. Une partie du peuple se révolta et appela à son secours le roi Démétrius Euchères.

Les deux rois se livrèrent bataille. Alexandre fut vaincu ; mais les Juifs, satisfaits de s’être vengés, et craignant que Démétrius ne profitât de cette victoire pour les assujettir, abandonnèrent ce prince, et se soumirent de nouveau à Alexandre, qui devint à son tour vainqueur de Démétrius et le força d’évacuer la Judée.

Le roi d’Israël, plus cruel encore dans la prospérité que dans le malheur, couvrit son royaume de prisons et d’échafauds ; et pendant un festin qu’il donnait à ses concubines, il les fit jouir du barbare spectacle de la mort de huit cents prisonnier qu’il fit crucifier à leurs yeux, après les avoir rendus témoins du supplice de leurs femmes et de leurs enfants.

Antiochus, successeur de Démétrius et le dernier des Séleucides, se joignit aux Arabes pour entreprendre une nouvelle guerre contre les Juifs. Alexandre triompha, de tous ses ennemis, et sa gloire parut affaiblir dans l’esprit du peuple le souvenir de sa cruauté.

Épuisé par la fatigue et le travail, il mourut après avoir régné vingt-sept ans[2]. Avant d’expirer, voulant calmer la crainte qu’inspirait à la reine la haine du peuple, il lui dit : Si vous suivez mon conseil, vous conserverez tranquillement le trône. Cachez d’abord ma mort aux soldats. Quand vous serez retournée à Jérusalem, gagnez l’affection des pharisiens ; confiez-leur quelque autorité ; ils ont tout pouvoir sur l’esprit du peuple, et disposent de sa haine et de son amour. Feignez de me blâmer pour qu’ils chantent vos louanges ; remettez mon corps entre leurs mains ; dites que vous leur permettez se venger du mal que je leur ai fait, en privant me de la sépulture ; enfin, promettez, que vous ne ferez rien sans leur conseil, et je vous assure que si vous flattez ainsi leur orgueil, au lieu de déshonorer ma mémoire, ils me feront de magnifiques funérailles, et vous laisseront gouverner avec une entière autorité.

Alexandra suivit ce conseil qui réussit comme le roi l’avait prévu. La reine avait deux fils : elle donna le sacerdoce à l’aîné nommé Hyrcan, dont le caractère pacifique ne lui causait aucune inquiétude ; Aristobule, plus ardent, fut obligé par elle de vivre comme un simple particulier.

Les pharisiens profitèrent de l’autorité qu’on leur laissait pour faire périr Diogène, principal ministre des cruautés du feu roi. Ils voulaient imiter ses rigueurs et condamner tous leurs ennemis au supplice ; Aristobule obtint qu’ils ne seraient qu’exilés. Cette démarche lui forma dès lors un grand parti dans l’état.

Le règne d’Alexandra dura neuf ans. Elle se fit aimer de ses sujets par sa piété et par sa douceur, et respecter de ses voisins, en entretenant sans cesse une puissante armée. Tigrane, roi d’Arménie, la menaça d’une invasion ; mais elle fut délivrée de ce danger par les Romains que commandait Lucullus ; et Tigrane, obligé de combattre contre eux, renonça à son entreprise.

La reine, en mourant, avait donné le trône à Hyrcan ; Aristobule, son frère, le lui disputa : cette rivalité fit bientôt perdre aux Juifs leur liberté. Le sort de toute nation divisée est de devenir la proie de l’étranger : la Judée en offre plus d’un exemple, et Rome ne dut sa grandeur qu’aux querelles des princes et aux discordes des peuples.

Hyrcan, d’abord battu par son frère, suivit les conseils d’un riche Iduméen, nommé Antipater, et se réfugia près d’Arétas, roi des Arabes, qui le ramena en Judée avec une armée de cinquante mille hommes. Aristobule, vaincu à son tour, se renferma dans Jérusalem où il fut assiégé. Le grand- Pompée faisait alors la guerre en Arménie et avait envoyé en Syrie une armée sous les ordres de Scaurus. Informé de la guerre civile qui déchirait la Judée, il résolut d’en profiter pour soumettre ce pays à la domination de la république romaine. Métellus et Lollius s’étaient emparés de Damas[3] ; les Romains entrèrent en Judée ; Aristobule et Hyrcan cherchèrent à gagner Scaurus par des présents. Ceux d’Aristobule, plus riches, firent pencher la balance romaine, et Scaurus ordonna à Hyrcan et aux Arabes de lever le siège de Jérusalem, et de se retirer en Arabie.

Aristobule ne se contenta pas de ce succès ; il poursuivit ses ennemis, et leur tua sept mille hommes, parmi lesquels était Céphale, frère d’Antipater.

Hyrcan, craignant sa ruine totale, courut aux pieds de Pompée pour implorer son secours. Aristobule soumit aussi, quoiqu’à regret, sa dignité à  cette humiliante politique qui lui semblait insupportable. Il se rendit auprès de Pompée avec un grand cortège ; mais indigne de la hauteur du général romain, il rompit la négociation et se retira dans une forteresse. Cerné par les Romains, il céda quelque temps à la force, et donna aux gouverneurs de ses places les ordres, que lui dictait Pompée. Cette condescendance lui procura une liberté dont il profita promptement pour se retirer à Jérusalem et se préparer à la guerre. Pompée le poursuivit et l’assiégea dans Jérusalem ; le parti d’Hyrcan ouvrit les portes de la ville aux Romains ; celui d’Aristobule défendit le temple avec tant de vigueur que le siége dura trois mois. Enfin Pompée, qui avait profité du jour du Sabbat pour accélérer ses travaux et avancer ses tours, ordonna l’assaut. Le fils de Sylla, Cornelius Faustus, franchit le premier la muraille ; les Romains prirent la forteresse, y tuèrent douze mille Juifs, égorgèrent les sacrificateurs qui continuaient leurs fonctions malgré l’appareil des armes et les cris des combattants.

Pompée entra avec respect dans le temple, le sauva du pillage, gagna la faveur du peuple par ses égards pour son culte, pour ses coutumes, et rétablit Hyrcan dans ce sacerdoce. Mais s’il rendit à la Judée une liberté apparente, il détruisit réellement sa puissance, en rétablissant les Samaritains dans leur indépendance, et en restituant aux Syriens les pays conquis par les Juifs.

Pompée apprit à Jérusalem la mort de Mithridate : il laissa la Judée isolée, ruinée, tributaire, et partit pour Rome, emmenant prisonniers Aristobule, ses deux fils et ses deux filles. L’un de ses captifs, Alexandre, fils aîné d’Aristobule, se sauva en chemin, revint dans son pays, se mit à la tête d’un parti, et fut vaincu par Gabinius qui conserva dans la Judée le gouvernement républicain.

Aristobule trouva aussi le moyen de s’échapper de Rome. Mais, encore plus malheureux que son fils, il fut battu, pris et envoyé à Rome par Gabinius qui remporta de nouveaux succès contre Alexandre.

Crassus, succéda à Gabinius, vint dans la Judée la ravagea, pilla le temple de Jérusalem, et emmena trente mille prisonniers, après avoir fait périr, par le conseil d’Antipater, les plus grands partisans d’Aristobule[4].

Antipater devint, avec raison, fameux dans l’histoire des Juifs ; né dans la classe des particuliers, il acquit et conserva un crédit constant, au milieu de tous les orages. Son habileté résista aux vicissitudes de la fortune, et il sut diriger à son gré l’esprit des rois et des généraux romains les plus opposés entre eux par leur caractère et leurs intérêts. Ayant épousé une femme d’une des plus illustres maisons de l’Arabie, il en eut quatre fils, Hasaël, Hérode, Joseph et Phéraras, et une fille nommée Salomé. Pour dernière faveur de la fortune, sa famille renversa la dynastie des Asmonéens qui régnait depuis cent vingt-six ans en Judée, et Hérode, le second de ses fils, s’empara de leur trône, ainsi que nous le dirons bientôt.

Dans ce temps, César, ayant vaincu Pompée était devenu le maître de Rome. Il envoya Aristobule avec deux légions en Syrie ; le parti de Pompée l’y fit emprisonner, et son fils eut la tête tranchée. Antipater, prévoyant la fortune de César, lui avait rendu de grands services. Le dictateur lui accorda le titre et les privilèges de citoyen romain, le nomma gouverneur de Judée, confia le gouvernement de Jérusalem à Pharaës son fils aîné, et celui de Galilée à Hérode, son second fils ; enfin il confirma en sa faveur Hyrcan dans le sacerdoce.

Hérode se distingua bientôt dans son gouvernement, par la destruction des brigands qui désolaient la Galilée ; il en fit arrêter et périr un grand nombre. Hyrcan prétendit qu’il empiéta sur son autorité, et lui ordonna de comparaître à son tribunal ; mais la soumission d’Hérode l’apaisa, et il fut absous.

Bientôt on apprit en Judée la mort de César, qui fit naître une nouvelle guerre civile. Antipater, avec son habileté accoutumée, se concilia l’affection de Cassius, en lui donnant les secours d’argent qui lui étaient nécessaires ; ce fut là le dernier de ses succès. Matichus, animé par ses ennemis, oublia qu’il lui avait précédemment sauvé la vie, et l’assassina. Hérode, qui s’était emparé de l’esprit de Cassius, vengea son père, et fit tuer Matichus par les Romains.

Cependant Antigone, fils d’Aristobule, à la tête des partisans de son père, attaqua Jérusalem. Il fut battu ; mais, ayant imploré le secours des Parthes, il recommença la guerre ; et, comptant plus sur l’artifice que sur la victoire, il engagea Phasaël et Hyrcan à entrer en conférence avec lui. Lorsqu’ils s’y furent rendus, le barbare fit mutiler Hyrcan ; Phasaël se tua lui-même[5].

Hérode évita le même piège ; il se sauva avec sa famille et ses richesses qu’il renferma dans une forteresse d’Idumée. De là il se rendît en Égypte où Cléopâtre l’accueillit favorablement ; et il partit pour Rome, dans l’intention de réclamer la protection du sénat.

Antoine qui s’intéressait à lui, plaida sa cause ; et le sénat, irrité du secours qu’Antigone avait demandé aux Parthes, ses ennemis, nomma Hérode roi de Judée.

 

 

 



[1] An du monde 3898. — Avant Jésus-Christ 106.

[2] An du monde 3925. — Avant Jésus-Christ 79.

[3] An du monde 3941. — Avant Jésus-Christ 63.

[4] An du monde 3950. — Avant Jésus-Christ 54.

[5] An du monde 3964. — Avant Jésus-Christ 40.